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Le discours du Trône

Motion d'adoption de l'Adresse en réponse--Suite du débat

24 octobre 2024


L’honorable Ratna Omidvar [ - ]

Honorables sénateurs, le débat sur cet article est ajourné au nom de l’honorable sénateur Plett, et je demande le consentement du Sénat pour que, à la suite de mon intervention, le reste du temps de parole du sénateur lui soit réservé.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Le consentement est-il accordé?

Son Honneur la Présidente [ - ]

Il en est ainsi ordonné.

L’honorable Ratna Omidvar [ - ]

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet du discours du Trône afin de parler d’un besoin urgent pour le Canada. Le Canada est aux prises avec une crise des soins de santé primaires. Dans le discours du Trône, le gouvernement avait déclaré ceci : « Pour bâtir un avenir meilleur, nous devons renforcer notre système de santé et nos mesures d’aide en santé publique afin d’aider tous les Canadiens [...] »

Pourtant, un nombre alarmant de 6,5 millions de personnes n’ont pas accès à un médecin de famille, un chiffre qui devrait passer à 10 millions au cours de la prochaine décennie. Nous sommes à la traîne par rapport à nos homologues internationaux, nous classant au dernier rang des 10 pays à revenu élevé en ce qui concerne l’accès aux soins de santé primaires. Il ne s’agit pas seulement d’une statistique, mais d’un danger clair et immédiat.

La pénurie de médecins de famille au Canada est aiguë et s’aggrave sous l’effet d’une interaction complexe de facteurs. De nombreux gouvernements provinciaux ont réduit les services et les budgets et ont privatisé progressivement les soins de santé, ce qui a considérablement érodé le système public. En outre, notre population augmente et vieillit, mais nous sommes confrontés à d’importants défis administratifs et à des programmes de résidence sous-financés. Pour aggraver ces problèmes, de moins en moins de diplômés en médecine choisissent de se lancer dans les soins primaires. Si nous ne prenons pas de mesures décisives, le Canada risque de connaître une pénurie de 50 000 médecins de famille d’ici 2031.

Cette crise imminente menace de mettre à rude épreuve notre système de soins de santé, entraînant des délais d’attente plus longs et une détérioration des conditions sanitaires, en particulier dans les régions rurales, sous-financées et mal desservies.

À l’heure actuelle, environ 1 500 résidents terminent leur résidence en médecine familiale chaque année. Ce nombre est largement insuffisant pour répondre à la demande croissante.

Si l’arrivée récente de cinq nouvelles facultés de médecine, portant le nombre total de nos facultés de 17 à 22, est prometteuse pour l’avenir, nous devons reconnaître que la construction de nouvelles facultés et la délivrance de diplômes à de nouveaux étudiants sont un processus long et coûteux. Les premières cohortes de ces nouvelles écoles ne recevront pas leur diplôme avant les années 2030. Même à ce moment-là, il ne sera pas suffisant d’augmenter le nombre de diplômés. Sans une augmentation correspondante du nombre de postes de résidents, il n’y aura pas d’afflux de nouveaux médecins de famille.

Le gouvernement fédéral fait des efforts pour relever ces défis. Les budgets fédéraux de 2023 et de 2024 prévoient un investissement important de 200 milliards de dollars afin d’améliorer les soins de santé pour les Canadiens. Cependant, malgré cette augmentation du financement, nous ne disposons toujours pas de solutions viables pour répondre aux besoins immédiats en temps opportun.

À la lumière de ces difficultés, les sénateurs Kutcher et Ravalia, qui sont tous les deux médecins, et moi proposons des solutions dans un rapport intitulé Maximiser le talent médical : Comment le Canada peut accroître de 50 % le nombre de médecins de famille de façon rapide et efficace par rapport aux coûts.

Notre rapport propose deux solutions clés qui changeraient grandement les choses à court terme. Le Canada dispose d’un grand nombre de médecins qualifiés prêts à combler les lacunes de notre système de santé, mais beaucoup d’entre eux ne sont pas en mesure d’exercer la médecine en raison d’une pénurie de places en résidence et d’une capacité limitée en matière d’évaluation de la capacité à exercer.

À l’heure actuelle, seulement 39 % des diplômés étrangers en médecine sont affectés à des programmes de résidence dès leur première tentative, et seulement 18 % le sont lors de tentative la suivante. Il s’agit de diplômés de programmes médicaux étrangers. Il peut s’agir de Canadiens ou d’immigrants venus au Canada. Ils ont néanmoins réussi tous les examens requis pour déterminer que leur formation est équivalente à celle des étudiants canadiens diplômés des facultés de médecine canadiennes. Leur formation a été évaluée au moyen de deux examens. Ils ont réussi tous les tests linguistiques. Nombre d’entre eux possèdent une vaste expérience clinique. Pourtant, près de 45 % d’entre eux sont laissés pour compte. Nous renonçons à ces ressources facilement accessibles au lieu de les mettre à contribution.

Alors que les soins de santé sont principalement gérés par les provinces, les mesures que nous proposons offrent au gouvernement fédéral une occasion unique de prendre les devants. Tout d’abord, nous devons augmenter le nombre de places en résidence pour les diplômés en médecine formés à l’étranger. Ensuite, nous devons élargir le cadre actuel d’évaluation de la capacité à exercer pour en faire un cadre national solide.

Nous croyons, chers collègues, qu’il s’agit là d’initiatives fédérales viables qui sont destinées à augmenter considérablement le nombre de médecins de famille au pays. En tirant parti des ressources fédérales, nous pouvons mettre en œuvre des stratégies qui s’attaquent directement à la pénurie en médecine familiale, pour améliorer l’accès aux soins primaires. Il est temps d’agir et de trouver des solutions novatrices. Merci.

L’honorable Mohamed-Iqbal Ravalia [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour répondre au discours du Trône, qui est axé sur le renforcement de l’économie canadienne et la construction d’un avenir plus résilient et inclusif. Notre système de santé se trouve au cœur de cette résilience, et aujourd’hui, le Canada est confronté à une crise des soins de santé qui est étroitement liée au bien-être de notre économie et de notre société.

L’Institut canadien d’information sur la santé rapporte aujourd’hui que plus de 5 millions de Canadiens n’ont pas accès à un médecin de famille, et ce nombre devrait atteindre 10 millions de personnes au cours de la prochaine décennie.

Prenons la situation suivante : une personne atteinte d’hypertension artérielle ou de diabète a besoin de faire renouveler son ordonnance courante. Toutefois, sans médecin de famille ni fournisseur de soins primaires, cette personne se retrouve à l’urgence et, après avoir attendu pendant des heures — et j’ai la preuve que, dans certains cas, cette attente peut aller jusqu’à 16 heures —, elle voit enfin un médecin, qui renouvelle son ordonnance.

Vous voyez l’ironie de la situation? Cette visite à l’urgence, qui aurait facilement pu être évitée, coûte des centaines de dollars au système de santé, occasionne un stress considérable à la personne concernée et lui fait perdre une journée.

Telle est la réalité lorsque des millions de Canadiens n’ont pas accès à des soins primaires. Les urgences débordent à cause de problèmes courants, ce qui rend le système plus coûteux et moins efficace pour toutes les personnes concernées.

Cette pénurie n’affecte pas seulement la santé, mais aussi l’économie. Il faut une population en bonne santé pour que l’économie soit prospère. Si l’on veut réduire la pression sur les urgences, maintenir les Canadiens en bonne santé et s’assurer qu’ils peuvent contribuer pleinement à la société, il faut leur donner un accès rapide aux soins primaires.

En tant que médecin de famille, j’ai vu de mes yeux le rôle essentiel que jouent les soins primaires dans la santé et le bien-être des Canadiens. Pourtant, nous sommes à la croisée des chemins. Nous nous situons actuellement au bas de l’échelle des pays à revenu élevé en ce qui concerne l’accès aux soins primaires. C’est inacceptable pour un pays aussi prospère et plein de ressources que le nôtre.

En parallèle, des milliers de médecins immigrants hautement qualifiés et de Canadiens qui étudient à l’étranger, par exemple en Irlande, en Australie et dans les Caraïbes, et qui sont désireux de contribuer à notre système de santé, se butent à des obstacles systémiques, comme le nombre limité de postes de formation en résidence et l’insuffisance des programmes d’évaluation de la capacité à exercer. Ces obstacles empêchent notre système de santé d’exploiter les talents dont nous avons tant besoin et ils gâchent le potentiel de ces médecins, qui ont une riche expérience clinique et, dans certains cas, une expérience internationale qui serait particulièrement précieuse pour notre population immigrée.

J’espère qu’en dépit des récents changements apportés par le gouvernement aux politiques d’immigration, le Canada continuera d’accueillir des immigrants hautement qualifiés.

Après de longs débats, la sénatrice Omidvar, le sénateur Kutcher et moi avons publié un rapport intitulé Maximiser le talent médical : Comment le Canada peut accroître de 50 % le nombre de médecins de famille de façon rapide et efficace par rapport aux coûts. Il propose des solutions réalisables qui tiennent compte de la vision plus large du gouvernement pour une économie inclusive et résiliente.

Le rapport présente deux recommandations clés pour remédier à la pénurie en exploitant le potentiel des médecins issus de l’immigration et de ceux qui ont étudié à l’étranger.

Premièrement, il faut augmenter le nombre de postes de résidence en finançant 750 postes de résidence supplémentaires en médecine familiale par année. Cela ajouterait dans la prochaine décennie 6 000 nouveaux médecins de famille qui sont prêts et aptes à fournir des soins aux Canadiens, en particulier ceux qui vivent dans des collectivités mal desservies.

Deuxièmement, nous devons élargir les programmes d’évaluation de la capacité à exercer qui permettent aux médecins formés à l’étranger de démontrer leurs compétences et leur capacité à exercer leur profession au Canada sans avoir à suivre une formation supplémentaire pendant des années. Avec un investissement fédéral relativement modeste de 70 millions de dollars, nous pourrions ajouter au moins 1 000 médecins de famille chaque année grâce à ce programme.

Remédier à la pénurie de médecins de famille réduira les coûts des soins de santé, améliorera la qualité de vie des Canadiens et stimulera notre économie grâce à une population en santé et productive. De plus, ces mesures s’harmonisent avec la volonté du gouvernement de favoriser l’inclusion en exploitant le potentiel des professionnels immigrants qui sont mis de côté depuis longtemps.

Dans ce contexte, je tiens à souligner l’investissement historique de 200 milliards de dollars que le gouvernement fédéral fera dans les soins de santé au cours des 10 prochaines années. Cet investissement est essentiel pour résoudre de graves problèmes en matière de soins de santé, y compris la crise de la main-d’œuvre dans le secteur de la santé. Il comprend 46,2 milliards de dollars d’argent frais, dont une partie importante est destinée à la planification et au maintien en poste des effectifs de la santé, un élément clé pour remédier à la pénurie de médecins de famille.

De plus, 25 milliards de dollars seront distribués dans le cadre d’accords bilatéraux avec les provinces et les territoires, ce qui permettra de répondre de manière appropriée aux besoins locaux en matière de soins de santé, en particulier ceux des populations rurales, éloignées et autochtones. Cet investissement a pour priorité d’accroître l’accès aux services de soins primaires, de réduire les temps d’attente et d’appuyer les initiatives en matière de santé mentale, autant d’éléments essentiels à l’établissement d’un système de santé résilient.

Toutefois, pour relever ce défi directement, nous devons agir rapidement et stratégiquement afin de permettre aux professionnels de la santé talentueux de participer pleinement à notre système de santé. Cela signifie qu’il faut tirer parti de l’investissement du gouvernement pour augmenter le nombre de places pour les médecins résidents, développer les programmes d’évaluation de la capacité à exercer et veiller à ce que toutes les collectivités, surtout celles qui se trouvent dans des régions mal desservies, disposent d’un solide réseau de soins de santé primaires.

Je pense que nous nous trouvons à un moment charnière de l’histoire des soins de santé au Canada. La pénurie de médecins de famille s’aggrave de jour en jour, en particulier dans les communautés rurales et éloignées où l’accès aux soins est le plus limité.

Grâce aux solutions énoncées dans notre plan et à l’investissement du gouvernement fédéral dans les soins de santé, nous espérons pouvoir avoir un effet immédiat et profond. C’est plus qu’une question de politique de soins de santé; il s’agit de faire en sorte que toutes les collectivités aient accès aux soins.

En supprimant les obstacles auxquels se heurtent ces médecins, nous renforçons non seulement notre système de santé, mais aussi notre économie et le bien-être de la société dans son ensemble.

Ensemble, nous pourrons bâtir un système de soins de santé qui reflète les valeurs canadiennes d’inclusivité, de résilience et d’ouverture, un système qui répond aux besoins de tous les Canadiens. D’ici là, chers collègues, soyez assurés que je serai heureux de continuer de rédiger des ordonnances à mes distingués collègues.

Merci, meegwetch.

L’honorable Flordeliz (Gigi) Osler [ - ]

Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Merci, sénateurs, pour votre rapport.

Sénateur Ravalia, pouvez-vous nous expliquer pourquoi le rapport parle de deux voies? La première consiste à augmenter le nombre de places en résidence. En avez-vous discuté avec les collèges et les universités qui s’occuperaient de ces places?

Deuxièmement, pouvez-vous nous parler des évaluations de la capacité à exercer? Comme vous le savez, les médecins sont accrédités par un collège et assujettis à sa réglementation; c’est un champ de compétence provinciale. Les programmes d’évaluation de la capacité à exercer sont administrés par différents organismes de réglementations provinciaux. Pourquoi prévoir deux voies plutôt que l’une ou l’autre?

Le sénateur Ravalia [ - ]

Je vous remercie de votre question très pertinente, sénatrice Osler.

Le programme de résidence serait destiné plus particulièrement aux médecins qui viennent de terminer leur formation, surtout les Canadiens qui étudient à l’étranger et qui ont besoin d’une voie d’accès vers une formation de base pour entrer dans le système.

Comme vous le savez, plus de 4 000 jeunes Canadiens étudient à l’étranger et sont impatients de revenir au Canada. Dans le système actuel, seule une petite poignée d’entre eux sont admis dans nos programmes. Malheureusement, la majorité d’entre eux se retrouvent aux États-Unis, où ils s’installent, et ils ne reviennent jamais au pays. Il s’agit là d’une ressource abondante et précieuse dont nous ne profitons pas. J’ai eu le privilège de mentorer plusieurs de ces personnes. Je pense qu’il est tragique qu’on ne leur donne pas cette chance.

Évidemment, la création de ces places dépend beaucoup de la capacité. Même s’il est financé par le fédéral, je respecte le fait que le système de santé canadien est géré par les provinces. Dans certaines provinces, nous avons souvent réussi à créer des places de résidence pour les Canadiens qui étudient à l’étranger.

En revanche, le programme d’évaluation de la capacité à exercer s’adresse aux personnes qui sont venues au Canada en tant que médecins pleinement formés et qui sont maintenant en voie d’obtenir leurs titres de compétences canadiens. Encore une fois, en raison de problèmes de capacité, ces personnes sont soumises à un processus de présélection, à des examens et à une évaluation des connaissances linguistiques qui sont très rigoureux, mais elles attendent ensuite de pouvoir entrer dans le système.

Nous estimons que cette évaluation de la capacité à exercer, qui peut durer entre 12 et 16 semaines, encadrée et suivie attentivement par des médecins formés au Canada dans des environnements universitaires et communautaires, nous donnerait l’occasion de mettre ces personnes en conformité avec les normes acceptables de nos collèges et de les laisser exercer leur profession. Merci.

L’honorable Pierrette Ringuette [ - ]

Sénateur Ravalia, je tiens tout d’abord à vous remercier, vous et vos collègues, d’avoir produit ce rapport et d’avoir proposé cette voie à suivre. Je tiens également à vous remercier pour les ordonnances.

Ces dernières années, j’ai vu des jeunes de ma région obtenir leur diplôme et revenir exercer chez nous. Cependant, ils ne veulent pas être médecins de famille. Ils ne veulent pas ouvrir un cabinet et avoir un adjoint administratif, compte tenu des frais que cela engendre.

Je dirais que 95 % d’entre eux finissent par aller travailler aux urgences. Aujourd’hui, nous n’avons plus un service des urgences, mais deux, en raison du manque de médecins de famille. Il semble que nous soyons dans cette situation puisque les nouveaux médecins ne veulent pas ouvrir un cabinet de médecine familiale. Comment résoudre ce problème? Est-il causé par le ministère provincial ou par l’administration de santé locale?

Au lieu de travailler aux urgences, si les nouveaux médecins de ma région ouvraient un cabinet de médecine familiale ou une clinique, les gens seraient mieux servis, car ils n’auraient plus besoin d’aller attendre 12 à 16 heures aux urgences. Quelle est la solution?

Le sénateur Ravalia [ - ]

Merci beaucoup, sénatrice Ringuette. C’est une question que se posent ceux d’entre nous qui ont occupé des fonctions administratives ou travaillé dans des facultés de médecine.

Historiquement, le pourcentage de médecins intéressés par les soins primaires ou la médecine familiale varie entre 25 % et 40 %. Cela s’explique en partie par le fait que de grands pans de notre formation médicale se déroulent dans des environnements de soins tertiaires, par exemple des grands hôpitaux et des centres universitaires, où la valeur d’un médecin de famille est généralement sous-estimée. Les jeunes médecins sont attirés par la cardiologie, la neurologie, la neurochirurgie et la chirurgie vasculaire. C’est un aspect.

Une plus grande partie de la formation des médecins de famille doit être déplacée dans les communautés rurales, où ceux-ci peuvent passer de longues périodes en stage d’observation dans un environnement de soins primaires fonctionnel, polyvalent et attrayant.

Deuxièmement, il existe un écart de rémunération majeur entre les soins primaires et les soins spécialisés. Dans certains cas, un médecin de famille peut gagner moins de la moitié, voire un tiers du salaire d’un ophtalmologiste, en plus d’avoir à gérer sa clinique.

Il y a plusieurs aspects à prendre en compte : d’abord, comment rendre cette branche de la médecine plus attrayante? Ensuite, comment s’assurer que les médecins de famille sont rémunérés à la hauteur de leur formation et des fonctions dont ils s’acquittent?

Son Honneur la Présidente [ - ]

Le temps prévu pour le débat est terminé. Voulez-vous davantage de temps pour répondre à la question?

Le sénateur Ravalia [ - ]

Si mes collègues sont d’accord.

Le sénateur Plett [ - ]

Seulement si vous répondez à la question.

Le sénateur Ravalia [ - ]

Je vous remercie, sénateur Plett.

Le point le plus important, et cela s’est produit dans d’autres pays, c’est la façon dont la médecine ne devrait plus être la responsabilité des médecins, mais être offerte davantage dans des établissements gouvernementaux où on aurait un accès complet aux soins primaires : des médecins travaillant main dans la main avec des infirmiers praticiens, des travailleurs sociaux, des pharmaciens et d’autres professionnels de la santé. Merci.

Honorables sénateurs, je prends moi aussi la parole pour aborder le discours du Trône, après mes collègues la sénatrice Omidvar et le sénateur Ravalia.

Nous nous concentrons sur la question de la pénurie de médecins, et non sur tous les problèmes de notre système de santé, même si ceux-ci doivent également être abordés.

Mes observations porteront sur l’occasion de s’appuyer sur ce qui existe déjà pour créer un programme national qui paverait rapidement et de manière rentable une voie d’accès au permis d’exercice pour les médecins formés à l’étranger. Il s’agit de médecins qui ont obtenu leur diplôme de médecine, qui ont fait des études supérieures, qui ont exercé dans un autre pays — certains pendant de nombreuses années —, qui sont arrivés au Canada et qui sont devenus des citoyens canadiens ou des résidents permanents. Voilà en quoi consiste ce groupe.

Ce type de programme représente un investissement extrêmement modeste pour permettre à des milliers de médecins, dont la pénurie est criante, d’entrer en exercice chaque année. Imaginez ce que cela signifierait pour tous ceux qui n’ont pas de médecin de famille ou qui attendent des mois, voire des années, pour consulter un spécialiste dans les régions où les spécialistes sont rares.

Cette voie d’accès pour exercer la médecine passe par l’évaluation de la capacité à exercer, comme l’a mentionné la sénatrice Osler. Elle permet aux médecins formés à l’étranger de démontrer leur aptitude clinique dans un cadre supervisé, souvent dans une collectivité au sein de laquelle ils travailleront à la fin de leur formation.

Soyons clairs. Cette voie d’accès à la pratique existe déjà dans certaines provinces, mais elle n’est pas organisée à l’échelle nationale. Il n’y a eu que peu ou pas de tentatives coordonnées pour l’étoffer et créer un programme national pour que l’évaluation de la capacité à exercer puisse être utilisée pour pallier la pénurie de médecins à laquelle nous faisons face depuis au moins 10 ans.

Chers collègues, il existe depuis des décennies une solution économique pour évaluer les compétences cliniques des médecins d’expérience : l’évaluation de la capacité à exercer, ou ECE, mais, au cours de la dernière décennie, seulement 1 000 médecins qualifiés environ ont été en mesure de la subir.

Cependant, selon le Dr Gus Grant, registraire du Collège des médecins et des chirurgiens de la Nouvelle-Écosse, il y a environ — tenez-vous bien — 13 000 médecins qualifiés qui sont en attente de subir une ECE à l’heure actuelle. Faites le calcul. Le Canada connaît actuellement une pénurie de 6 000 à 7 000 médecins de premier recours, et pourtant nous avions sous le nez une solution qui aurait pu atténuer la crise il y a de nombreuses années.

Si un programme national d’évaluation de la capacité à exercer avait été en place, il est fort probable que nous n’en serions pas là aujourd’hui. Permettez-moi d’être très clair sur ce qu’est cette voie d’accès au permis d’exercice : elle est spécialement conçue pour les médecins expérimentés en mi-carrière qui ont déjà pratiqué la médecine dans un autre pays. Comme l’a dit le sénateur Ravalia, elle n’est pas destinée aux jeunes diplômés de l’école de médecine qui n’ont jamais pratiqué la médecine. Il s’agit de médecins qui ont déjà de l’expérience.

De plus, ces médecins formés à l’étranger ont passé tous les examens canadiens pour garantir qu’ils répondent aux mêmes normes qui s’appliquent aux médecins d’ici. Bon nombre de ces médecins formés à l’étranger peuvent être des membres de communautés linguistiques ou culturelles au Canada qui ont du mal à trouver des médecins et ainsi connaître leur langue et leur culture.

Souvent, ces médecins ont immigré au Canada en pensant qu’ils allaient pouvoir utiliser leurs compétences médicales à leur arrivée, mais devinez quoi? Ils ne le peuvent pas. Par conséquent, alors que leur communauté est mal desservie, ils n’ont pas accès à un programme simple qui permettrait de répondre aux besoins du milieu où ils vivent.

Chers collègues, c’est une injustice flagrante pour tout le monde.

Ces médecins conduisent des taxis alors que plus de six millions de Canadiens n’ont pas de médecin de famille. Chers collègues, ils sont là depuis longtemps.

Donc, qu’est-ce que l’évaluation de la capacité à exercer? Qu’est-ce que cela implique? Il s’agit d’une voie vers l’obtention d’un permis d’exercice qui garantit que les médecins expérimentés qui ont été formés et ont exercé à l’étranger possèdent les compétences nécessaires à une pratique médicale sûre et efficace au Canada. Cette évaluation approfondie des compétences des médecins formés à l’étranger est menée sous la supervision directe d’un médecin évaluateur qualifié dans un cadre clinique, habituellement sur une période de trois mois.

Avant d’être admis à l’évaluation de la capacité à exercer, le candidat doit faire évaluer ses diplômes d’études et de résidence en médecine, réussir une série d’examens, faire la preuve de ses compétences linguistiques et satisfaire à d’autres exigences exhaustives. Au moment de son entrée dans le programme, le médecin a déjà démontré qu’il répondait aux normes nécessaires à l’exercice de la médecine au Canada. L’évaluation de la capacité à exercer est la cerise sur le gâteau.

Il s’agit donc d’une évaluation intensive de trois mois du médecin dans le contexte de son travail clinique, sous la supervision d’un médecin expérimenté. À l’issue de cette évaluation, le participant satisfait aux mêmes normes qu’un diplômé en médecine canadien pour l’obtention d’un permis d’exercice.

Étant donné que la période d’évaluation n’est que de trois mois, augmenter les capacités d’évaluation de la capacité à exercer aura rapidement pour effet de nous aider à remédier à l’extrême pénurie de médecins disponibles. De plus, les participants qui ont réussi l’évaluation de la capacité à exercer signent souvent une entente de service grâce à laquelle ils vont exercer la médecine dans des régions du Canada où les besoins sont les plus criants, en particulier des régions rurales. Autrement dit, chers collègues, l’évaluation de la capacité à exercer est un des moyens les plus rentables d’augmenter rapidement le nombre de médecins hautement qualifiés en mesure de répondre aux besoins du Canada en matière de soins, et d’y répondre maintenant.

En fait, chers collègues, il existe un cadre pour un réseau national en matière d’évaluation de la capacité à exercer. Il a été créé récemment par le Conseil médical du Canada. En réalité, moyennant un financement adéquat, le Conseil médical du Canada pourrait accueillir le programme national d’évaluation de la capacité à exercer.

Actuellement, quelqu’un qui veut avoir accès à une évaluation de la capacité à exercer doit aller de province en province, comme une balle qui rebondit sur une table de ping-pong, et même si cette personne a manifestement toutes les qualifications requises, il arrive souvent qu’elle n’ait pas accès au programme faute de place disponible.

Ma province, la Nouvelle-Écosse, met enfin en place un programme solide, centralisé et coordonné d’évaluation de la capacité à exercer, sous la conduite du Collège des médecins et chirurgiens de la Nouvelle-Écosse et en collaboration avec le Conseil médical du Canada. C’est le premier en son genre au Canada.

Les versions précédentes du programme ont été gérées par des médecins très engagés de l’Université Dalhousie, mais ceux-ci n’ont pas reçu le financement ou les autres soutiens nécessaires pour développer le programme. Il s’agit donc d’une première étape nécessaire, mais ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan.

Cependant, en investissant simplement dans la création d’un programme national d’évaluation de la capacité à exercer et en finançant ces places, le gouvernement fédéral pourrait transformer cette goutte d’eau en une rivière d’opportunités.

Chers collègues, qu’en est-il du coût? À l’heure actuelle, le coût de l’évaluation d’un médecin expérimenté dans le cadre d’un programme d’évaluation de la capacité à exercer — êtes-vous prêts — est d’environ 35 000 $. C’est tout. Si un programme national créait 500 places pour des évaluations de la capacité à exercer dans l’ensemble du Canada, il pourrait probablement agréer environ 1 500 médecins par an à 35 000 $ par médecin. Faites le calcul et dites-moi que ce n’est pas un bon rendement.

En outre, un programme national d’évaluation de la capacité à exercer pourrait être périodiquement revu et adapté pour mieux refléter les besoins en ressources humaines chez les médecins. Il pourrait être possible d’ajuster le nombre de places en fonction des besoins. Ce serait unique. Le programme pourrait même contribuer à définir les critères d’admission des médecins candidats à l’immigration au Canada.

Chers collègues, la mise en place d’un programme national d’évaluation de la capacité à exercer et le financement des sites pourraient être assurés directement par le gouvernement fédéral. Les provinces et les territoires continueraient à établir les critères d’émission des licences et les structures administratives appropriées superviseraient les sites d’évaluation de la capacité à exercer. Un tel programme nécessite le leadership du fédéral et un investissement fédéral direct. Il ne fait aucun doute que ce programme peut être mis en place. Chers collègues, il faut le mettre en place. Merci.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Le sénateur Kutcher accepterait-il de répondre à une question?

Certainement.

L’honorable David Richards [ - ]

Pouvez-vous nous dire comment on gère la situation dans d’autres pays, comme les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande? Ces pays disposent-ils d’un meilleur programme pour gérer les médecins qui souhaitent y exercer leur profession?

Je vous remercie beaucoup de cette question. J’hésite à parler précisément de ces pays parce que je ne connais pas tous les aspects de leur processus d’obtention d’un permis d’exercer, et je ne veux pas me tromper à ce sujet. Je me contenterai de dire qu’il y a plus de voies d’accès au permis d’exercer et plus de capacité à absorber les gens dans le système dans certains de ces pays qu’il n’y en a au Canada. Par exemple, il est honteux que des médecins qui ont été formés à l’étranger et qui sont des citoyens canadiens s’installent chez nos voisins du Sud plutôt que de venir au Canada. Quelle perte de ressources humaines, quelle honte. C’est tout simplement inacceptable. C’est ce dont le sénateur Ravalia parlait quand il a mentionné l’augmentation du nombre de programmes de résidence.

L’autre partie qui retient mon attention, ce sont les programmes d’évaluation de la capacité à exercer. Il y a des médecins qui ont immigré au Canada et qui pratiquaient dans leur pays d’origine.

Permettez-moi de vous raconter l’histoire d’un neurochirurgien qui était à la tête d’un ministère dans un autre pays; je ne nommerai pas le pays. C’était un clinicien exceptionnel, un enseignant exceptionnel et un merveilleux éducateur. Il ne peut pas obtenir de permis d’exercer. Quelle perte incroyable pour nous. C’est une seule petite histoire. Je pourrais vous en raconter des centaines. Ce n’est pas une façon de gérer l’accès aux soins de santé.

L’honorable Marie-Françoise Mégie [ - ]

Merci, sénateurs Kutcher, Ravalia et Omidvar, d’avoir parlé de ce sujet. Je ne suis pas sûre d’avoir compris si le cadre national est déjà en place en Nouvelle-Écosse. Cependant, vous savez qu’il y a beaucoup de chasses gardées des collèges des médecins des provinces. Le blocage vient beaucoup de là. Ils se renvoient la balle. Le collège dit oui, l’université dit non, parce qu’ils doivent débourser de l’argent pour ces personnes. Comment pensez-vous qu’on peut mettre en œuvre ce cadre national?

Je vous remercie de votre question, sénatrice Mégie. Hélas, comme le disait Pogo, nous avons rencontré l’ennemi, et c’était nous. Je tiens à être très clair : mes collègues qui examineront ce débat plus tard, d’un bout à l’autre du pays, seront agacés, mais la réalité est que nos facultés de médecine et nos collèges de médecins n’ont pas fait le travail nécessaire pour garantir le bon fonctionnement du système.

Deuxièmement, les gouvernements provinciaux ont échoué eux aussi. Ce n’est pas nouveau, chers collègues. Lorsque le rapport Barer-Stoddart a été publié au début des années 1980, il se trouve que j’étais vice-président de l’Association canadienne des médecins résidents et président de la Professional Association of Residents of Ontario. Nous avons rédigé notre contre-rapport. À l’époque, au début des années 1980, nous avions prédit une énorme pénurie de médecins au Canada. Ce n’était un secret pour personne. Aucune province ni aucun territoire n’en était surpris.

Ce à quoi nous assistons depuis des dizaines d’années, c’est un renvoi du problème au groupe suivant et une incapacité à le résoudre. C’est possible d’y arriver, sénatrice Mégie. Nous pouvons créer un programme national et, si la province veut délivrer des permis à ces personnes, elle pourra le faire. J’aimerais voir la réaction des Canadiens si, dans une province, 3 000 médecins disent : « Nous sommes prêts, nous avons suivi le programme » et que la province répond : « non, nous ne vous accorderons pas de permis. »

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