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Séminaire parlementaire international sur la liberté de presse - Le Groupe britannique de l’Union interparlementaire

Parlement britannique

9 septembre 2019


L’honorable Sénatrice Julie Miville-Dechêne :

Bonjour,

Je tiens tout d’abord à remercier les organisateurs de m’avoir invité à ce séminaire sur la protection d’un métier que j’ai exercé avec passion. Je suis une nouvelle parlementaire – sénatrice depuis un peu plus d’un an, mais j’ai été journaliste durant l’essentiel de ma carrière à Radio-Canada, la télévision publique canadienne.

Durant mes 25 ans d’antenne, je n’ai jamais été l’objet de pressions directes ou voilées pour modifier mes reportages. Des critiques oui bien sûr, parfois méritées, car les journalistes font des erreurs, ce qui ne diminue en rien l’importance de la liberté de presse. Une presse libre est aussi une presse imparfaite.

Les journalistes n’ont pas tous la chance d’avoir un tel environnement de travail : aujourd’hui, partout dans le monde, la liberté de la presse est grandement menacée. Selon le Comité pour la protection des journalistes,

  • 15 journalistes ont été tués jusqu’ici cette année,
  • 250 ont été emprisonnés en 2018 et
  • 63 sont actuellement portés disparus[1].
  • La violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes dans les médias est un autre problème grandissant, tout comme la menace envers les journalistes qui travaillent sur les questions environnementales.

 

En décembre 2006, dans le cadre d’un reportage sur la laïcité en Turquie, j’ai fait une entrevue avec un journaliste turc d’origine arménienne, Hrant Dink. Il était poursuivi en justice et critiqué par les cercles nationalistes turcs pour avoir écrit sur le génocide arménien. Il craignait pour sa vie, il m’avait confié qu’il se sentait comme un pigeon qu’on allait abattre. Moins d’un mois après cette rencontre, Hrant Dink était tué de 2 balles à bout portant en pleine rue à Istanbul. J’étais horrifiée. Ce journaliste me disait qu’il voulait aider la Turquie à avoir de véritables débats, à se moderniser, à promouvoir la liberté d’expression. Il a payé ce combat de sa vie. Et il n’est pas le seul. À l’heure actuelle, 134 journalistes sont emprisonnés en Turquie, une centaine pourraient perdre leur carte de presse.

Toutefois, cela ne veut pas dire que la liberté de la presse n’a pas ses défis au Canada. Reporters sans frontières nous classe au 18e rang. Même si nous figurons ainsi dans le peloton de tête, nous savons que les milieux médiatiques se mondialisent et que les problèmes qui sévissent ailleurs peuvent rapidement devenir les nôtres.

Une cause importante se trouve en outre actuellement devant la Cour suprême du Canada, une cause qui porte sur un principe fondamental de la liberté de presse : la protection des sources journalistiques, qui est menacée dans mon pays. Une des parties dans cette cause est une de mes anciennes collègues, une journaliste courageuse qui a révélé des stratagèmes de corruption présumés dans le milieu politique du Québec. Un ancien ministre demande que l’identité de ses sources soit dévoilée pour assurer sa défense dans le cadre de son procès.

Nous n’oublions pas non plus que Mohamed Fahmy a été emprisonné en Égypte et que les journalistes canadiens Brian Smith et Tara Singh Hayer ont été assassinés en sol canadien. Nous ne sommes pas à l’abri de ces problèmes.

En tant que parlementaires, nous avons un rôle crucial à jouer pour ce qui est de protéger et de favoriser la liberté de la presse. J’aimerais amorcer la discussion en mettant l’accent sur trois domaines d’intervention.

Tout d’abord, en tant que législateurs, nous avons la possibilité de favoriser la concrétisation d’un grand nombre des objectifs de l’Engagement mondial, y compris de voir à ce que les gouvernements qui ciblent des journalistes ou des organes de presse soient tenus responsables de leurs actes. L’adoption de mesures législatives prévoyant des sanctions expressément liées aux violations flagrantes des droits de la personne, comme la loi Magnitsky, est un pas dans la bonne direction. Pour être vraiment efficaces, les sanctions doivent cependant être imposées collectivement; la collaboration et la coordination entre États aux vues similaires sont donc essentielles.

Comme bien d’autres personnes, je trouve très inquiétant le cas du blogueur saoudien emprisonné Raif Badawi. Son épouse et ses trois enfants habitent dans ma province, le Québec, où une campagne vigoureuse pour sa remise en liberté est menée. J’appuie cette campagne. Des pressions sont exercées afin que le Parlement canadien y contribue en demandant que la citoyenneté canadienne soit accordée à Raif Badawi.

En tant que personnes qui contribuent aux relations et à la diplomatie internationale, les parlementaires peuvent en outre attirer l’attention sur les obstacles à la liberté de la presse dans les autres pays qui nécessite l’attention et l’intervention de la communauté internationale. Le Parlement du Canada, par exemple, l’a récemment fait en publiant un rapport d’un comité de la Chambre des communes sur la situation au Myanmar et au Venezuela[2].

Enfin, en tant que leaders de communautés locales, nationales et internationales, nous nous devons de participer de manière responsable à la diffusion de l’information et devrions chercher à nous exprimer de façon appropriée, même dans les débats animés. Les parlementaires devraient éviter de répandre de fausses informations, s’abstenir de dénigrer les médias — surtout lorsque ces derniers nous critiquent — et dénoncer publiquement toute violence commise contre des journalistes partout où elle se produit.

En tant que parlementaires, nous devons en somme agir ensemble pour protéger la liberté des médias essentielle à toute démocratie. Sont en jeu non seulement la vie et les droits de ces professionnels, mais aussi la sécurité, la prospérité et les droits de la personne dont nous dépendons tous à l’échelle mondiale. Il est essentiel de veiller à ce que la liberté de la presse soit protégée, étendue et améliorée partout dans le monde. J’attends avec intérêt la discussion à venir et j’ai très hâte d’entendre vos points de vue au sujet de la campagne sur la liberté de la presse.

Cette campagne est une excellente initiative. C’est pourquoi je suis ici pour l’appuyer. Or, notre défi, comme vous le savez sûrement, consiste à ne pas s’en tenir aux discours et à agir collectivement dans les cas de violation des droits des journalistes.

Je vous remercie de votre attention.

 

 

[1] Committee to Protect Journalists, “Data & Research.”

[2] House of Commons, Standing Committee on Foreign Affairs and International Development, Subcommittee on International Human Rights, The Canary in the Coal Mine: Responding to Violations of Press Freedoms in Venezuela and Myanmar, Twenty-Seventh Report, 1st Session, 42nd Parliament, June 2019.

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