Aller au contenu

Projet de loi sur la diffusion continue en ligne

Projet de loi modificatif--Message des Communes--Motion d’adoption des amendements des Communes et de renonciation aux amendements du Sénat--Débat

26 avril 2023


L’honorable Julie Miville-Dechêne

Honorables sénateurs, je voulais vous dire, pour vous faire rire un peu, que c’était la première fois de ma vie que j’entendais citer mon nom aussi souvent. C’est extrêmement bon pour l’ego. Cependant, j’ai le sentiment d’avoir peut-être été un peu utilisée politiquement. Comme on dit, on ne peut pas être contre ceux qui appuient nos causes.

Je prends la parole dans ce marathon d’interventions non pas pour allonger le débat, mais pour faire quelques remarques que je juge nécessaires. Certaines me concernent, d’autres sont plus générales.

Je dirai quelques mots d’abord sur la motion de clôture et la limite de six heures au débat sur le message reçu de la Chambre des communes concernant le projet de loi C-11.

En théorie, personne n’aime court-circuiter le débat, surtout au Sénat, où la nouvelle réalité non partisane devrait rendre ces procédures inutiles.

Dans la réalité, il arrive que ces mesures soient inévitables, soit quand tous les débats de substance ont été tenus, quand toutes les perspectives ont été entendues, quand tous les arguments ont été formulés, quand toutes les objections ont été signifiées.

Dans ces cas, quand il ne reste que l’obstruction, quand bien même les opposants à un projet de loi ne prétendent pas qu’il devrait être étudié davantage, je pense qu’il nous incombe de mettre fin à des échanges devenus stériles et de passer au vote. Vous m’excuserez de ne pas accorder beaucoup de valeur politique à l’utilisation des longues cloches, au déploiement des tactiques procédurales et aux insinuations partisanes.

J’ai une colonne vertébrale. Je ne suis pas une libérale. Nos opposants aiment se draper dans la démocratie. Cependant, dans ce cas-ci, je crois que c’est notre devoir démocratique d’éviter que nos débats soient indéfiniment bloqués ou pris en otage, alors qu’il ne reste plus de nouveaux éléments à apporter à la discussion.

Plusieurs ont souligné que l’étude du projet de loi C-11 a été la plus longue de l’histoire du Sénat sur un projet de loi du gouvernement. Je ne répéterai pas les chiffres. L’important est de noter que tous ceux qui voulaient être entendus l’ont été. N’est-ce pas, sénateur Housakos?

Tous les arguments ont été avancés, souvent à de multiples reprises.

J’ajouterai aussi que le débat sur le projet de loi C-11 n’a pas eu lieu qu’au Parlement. Il a occupé des tribunes dans les journaux, dans les blogues, à la radio, à la télé, de même que dans les balados et les courriels. Nous avons été inondés de toutes les perspectives possibles et imaginables.

Ultimement, il est tout simplement impossible — et d’ailleurs, personne ne le fait — de prétendre que ce projet de loi n’a pas été suffisamment étudié et que certaines voix n’ont pas été entendues.

Sur le fond des choses, le texte législatif est loin d’être parfait. Certains doutent qu’il atteigne ses objectifs. D’autres jugent qu’il va trop loin, ou pas assez.

Personnellement, malgré une étude et des amendements qui ont été proposés à des dispositions très précises du projet de loi C-11, je crois qu’il faut revenir à une vision d’ensemble.

Le projet de loi C-11 repose sur l’idée que la culture canadienne — et notamment les cultures minoritaires et francophones — ne sont pas des marchandises comme les autres, qu’on peut simplement soumettre à la loi de l’offre et de la demande. Cette culture — nos chansons, nos œuvres télévisuelles — ne peut pas être traitée comme des pneus ou du dentifrice, et ce, peu importe qu’elle soit diffusée au moyen des moyens traditionnels ou des nouvelles plateformes en ligne. Tous les États ont le droit de protéger et de promouvoir leur culture, leur patrimoine, leur identité et leurs artisans en les soustrayant, du moins en partie, à la logique impitoyable du marché.

Le projet de loi C-11 propose donc essentiellement deux choses : que les nouvelles plateformes en ligne contribuent financièrement au soutien de nos artisans et de nos œuvres, et qu’elles s’assurent que ces produits culturels sont découvrables, c’est-à-dire qu’ils sont, minimalement, vus ou entendus par le public canadien.

Je ne vois rien de choquant dans ces principes; bien au contraire.

Certains ont crié à la censure. Cette exagération hyperbolique ne devrait convaincre personne. Tous les contenus qui existent aujourd’hui continueront d’être disponibles, et tous les créateurs du Canada pourront continuer de diffuser ce qu’ils veulent sur les plateformes de leur choix. Le projet de loi C-11 propose simplement de donner un coup de pouce à nos créateurs. Si certains veulent s’indigner et déchirer leur chemise pour cela, c’est leur droit. C’est du spectacle.

Il est vrai que j’ai tenté, avec ma collègue la sénatrice Paula Simons, d’apporter des précisions au paragraphe 4.2(2) sur le contenu généré par les utilisateurs. L’idée était de rassurer certains créateurs de contenu qui s’inquiétaient de la possibilité d’une ingérence excessive et déraisonnable du CRTC. Il s’agit de gens qui gagnaient leur vie sur YouTube et sur les plateformes. Plusieurs d’entre eux sont venus nous dire à quel point ils étaient inquiets de perdre leur gagne-pain.

Il est clair que cet amendement n’a jamais été pour moi une condition sine qua non pour appuyer le projet de loi. C’était un effort pragmatique et indépendant dans le but de trouver un compromis pouvant éliminer certaines aspérités et susciter l’adhésion de certains sceptiques. Le consensus est important en politique.

Je regrette évidemment que le gouvernement et la majorité à la Chambre des communes, y compris les néodémocrates et les députés du Bloc québécois, ne l’aient pas retenu. Au bout du compte, le projet de loi, dans son ensemble, est plus important à mes yeux que cet amendement.

Je rejette donc catégoriquement l’idée que mon indépendance soit compromise ou diminuée, parce que j’appuie un projet de loi dont j’ai toujours soutenu le principe.

Au bout du compte, je vais voter pour ce projet de loi. Le représentant du gouvernement au Sénat a pris acte de l’inquiétude des créateurs de contenu envers le CRTC, d’où sa motion qui stipule ce qui suit :

Que le Sénat prenne acte de l’assurance publique du gouvernement du Canada que le projet de loi C-11 ne s’applique pas au contenu numérique généré par les utilisateurs et de son engagement à orienter en ce sens la politique du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes;

Bien sûr, c’est une promesse, mais une promesse écrite.

Je vais voter pour ce projet de loi, car je pense qu’il faut tenter quelque chose — même si ce n’est pas parfait — pour protéger notre culture dans un monde effréné, où nous sommes — en particulier les francophones et autres cultures minoritaires — une goutte dans l’océan.

On peut évidemment prétendre que dans cette concurrence sauvage, le marché récompensera toujours les meilleurs et que nos artisans émergeront d’eux-mêmes — que Klô Pelgag détrônera Beyoncé, que Daniel Bélanger en imposera à Eminem —, mais c’est de la pensée magique.

Pour se faire connaître et trouver son public, il faut bien sûr du talent, du travail, de l’ingéniosité et de la volonté individuelle, mais il faut aussi être entendu, être vu, être découvert.

Aujourd’hui, cette écoute et ces découvertes se font sur des plateformes étrangères qui n’ont aucun intérêt particulier à promouvoir notre culture — bien sûr, je veux dire notre culture, mais aussi la culture autochtone, noire, racialisée ou celle des autres communautés minoritaires.

On ne reviendra pas en arrière, bien sûr. Dans cette ère de choix infinis et de consommation à la carte, les cultures minoritaires, notamment les francophones d’Amérique du Nord, devront toujours se battre pour exister.

Je suis évidemment consciente que ce n’est pas un projet de loi seul qui pourra changer cette réalité. Nous apprécions tous les plateformes comme YouTube et Spotify, la liberté et le choix qu’elles offrent.

Toutefois, je n’ai aucun doute qu’on puisse continuer à utiliser et à apprécier ces plateformes et l’univers illimité qu’elles ouvrent — tout en donnant à nos artistes de meilleures chances d’être entendus, vus et appréciés. Ils sont le prolongement de nous-mêmes et l’expression de notre culture. Ils contribuent puissamment au socle de notre identité. Je ne suis pas prête, personnellement, à laisser le libre marché déterminer seul son destin.

Merci.

L’honorable Claude Carignan [ + ]

La sénatrice Miville-Dechêne accepterait-elle de répondre à une question?

Oui.

Le sénateur Carignan [ + ]

Je vous ai écoutée avec attention et vous avez dit vouloir appuyer le projet de loi C-11. C’est déjà fait. C’est déjà appuyé. Il est déjà adopté, le projet de loi C-11, avec quelques petits éléments, et le vote d’aujourd’hui porte sur l’insistance de la Chambre du Sénat, sur votre amendement.

Êtes-vous consciente que nous votons pour insister pour que la Chambre accepte votre amendement et non le projet de loi C-11, parce que c’est déjà pas mal fait?

Alors, oui, je pense que je sais exactement ce que je fais, je suis tout de même ici depuis quelques années et j’ai une compréhension — non, cela ne devrait pas vous inquiéter. Je sais qu’on se penche sur le message.

J’ai voté pour le projet de loi C-11 et maintenant, on se concentre sur le message et dans le message, effectivement, deux des six amendements qui ont été rejetés sont ceux auxquels j’ai participé; ils y a les miens et il y a celui de la sénatrice Simons aussi.

Comme je l’ai assez bien expliqué dans mon discours, je crois qu’à cette étape-ci, étant donné l’importance du projet de loi et étant donné que tout a été dit, s’il n’y avait pas de motion de clôture, on serait encore au même point en juin. Cela voudrait dire que cela ferait un an que le projet de loi est devant le Sénat, ce qui est quand même relativement long.

Je pense que de façon raisonnable, pas mal tout a été dit sur ce projet de loi, et on n’arrivera pas forcément à réconcilier les points de vue. De mon point de vue personnel, il faut essayer de mettre en œuvre ce projet de loi. Je sais que cela sera compliqué et que le CRTC n’a pas tous les outils pour le faire, et je prévois des embûches, mais c’est un effort que l’on fait; tout ce qui représente une certaine forme de réglementation sur Internet, aujourd’hui, est difficile.

Ce ne sont pas des recettes magiques, il faut essayer que cette mondialisation, qui a certains avantages, ne tue pas complètement les cultures nationales. Sur ce plan, effectivement, on est les premiers à toucher à la musique. D’autres ont touché aux productions télévisuelles, à Netflix, par exemple en France, on a établi des quotas de 30 %; ici, on essaie un autre système.

Ce sera compliqué, c’est sûr. Je ne sais pas trop comment cela se passera et ce sera long à mettre en place, mais à cette étape-ci, personnellement, je vote pour le message, parce que je crois qu’il est temps de mettre fin au débat et il est temps qu’on essaie de mettre en œuvre ce projet de loi.

Bien sûr, les créateurs de contenu ont des inquiétudes, mais il y a d’autres gens de l’autre côté. Les créateurs de contenu sont une partie importante de la réalité. Il y a aussi de jeunes artistes qui veulent réussir, être entendus, et qui ne sont pas forcément des créateurs de contenu sur Spotify.

Il y a donc un ensemble de parties prenantes et il y en a plusieurs — vous le savez, vous venez du Québec. Au Québec, le débat n’est pas très animé. La plupart des intervenants sont pour le projet de loi C-11, mais évidemment, il y a un choc des générations, j’en suis consciente; mais c’est quand même un projet de loi qui est perçu comme appuyant une culture minoritaire et nécessaire.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ + ]

La sénatrice accepterait-elle de répondre à une autre brève question?

Oui.

Son Honneur le Président [ + ]

Il reste deux minutes et demie à la sénatrice.

Le sénateur Plett [ + ]

Je serai bref.

Sénatrice, au début de votre discours, vous avez laissé entendre qu’on vous avait peut-être utilisée politiquement. Comme je vous ai citée à plusieurs reprises dans mon discours, j’imagine que c’est à cela que vous faisiez référence, du moins en partie.

Vous et moi sommes peut-être en désaccord sur certains sujets, mais nous nous entendons sur toute la ligne sur d’autres. Que vous aimiez être en d’accord avec moi ou non, le fait est que j’appuie sans condition la passion avec laquelle vous luttez contre l’exploitation des enfants.

Vous avez aussi utilisé le mot « opposants » dans votre discours. Sénatrice Miville-Dechêne, j’aimerais croire — et dans ce cas précis, nous pourrions voter différemment sur le sujet — que nous ne sommes pas des opposants sur ce point. Si vous êtes aussi non partisane que vous prétendez l’être — ce que je respecte —, alors je crois que nous ne sommes pas des opposants sur ce point. Nous allons voter différemment, mais nous sommes d’accord sur ce sujet.

Vous avez raison, le terme « opposants » en général n’était probablement pas le meilleur choix. J’aurais dû dire « adversaires » dans le cadre du projet de loi C-11 en général, en ce qui concerne les objectifs du projet de loi C-11, parce qu’évidemment, sur d’autres questions, que ce soit sur la question de la pornographie et des enfants ou sur la question du travail forcé, dans mes efforts pour présenter des projets de loi d’intérêt privé sur la question, vous m’avez appuyée.

Par ailleurs, j’ai quand même trouvé que nos noms revenaient souvent, ceux de Paula Simons et le mien, sur la question des amendements, et cela m’a amenée à me demander si c’était du contenu des amendements dont il était question ou du fait que ce soient des sénateurs du Groupe des sénateurs indépendants qui avaient fait ces amendements. Voilà, c’est une question que je pose.

Je ne suis sûre de rien, mais de toute façon je vous remercie de votre appui sur les questions qui nous unissent.

Haut de page