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Le Code criminel—La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents

Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Ajournement du débat

12 juin 2019


L’honorable Murray Sinclair [ + ]

Propose que le projet de loi C-75, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à certaines lois, tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.

— Honorables sénateurs, je suis heureux d’avoir l’occasion de prendre part au débat sur le projet de loi C-75, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à certaines lois, que je parraine au Sénat.

Le projet de loi propose des réformes grandement nécessaires pour moderniser le système de justice pénale, améliorer son efficacité et son efficience et réduire les délais qui y sont observés, le tout en assurant la sécurité des Canadiens. De plus, il prévoit un certain nombre de modifications visant à réduire la surreprésentation des Autochtones au sein du système de justice pénale.

Je reconnais que le projet de loi a suscité un intérêt particulier chez de nombreux sénateurs étant donné que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a souligné l’urgent besoin de réformes dans son rapport exhaustif intitulé Justice différée, justice refusée : L’urgence de réduire les longs délais dans le système judiciaire au Canada, qui a été présenté en juin 2017.

Dans ce rapport, le comité a reconnu que la question des délais est complexe et multidimensionnelle et qu’elle inclut toute une série de professionnels, y compris les juges, les procureurs, la défense, les avocats de l’aide juridique, les policiers, les agents correctionnels et les agents de probation. De plus, le système de justice pénale est une responsabilité partagée au Canada. Les gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral sont déterminés à collaborer pour agir dans ce dossier. Tous s’entendent pour dire que les changements doivent s’appliquer à l’ensemble du système et qu’ils nécessitent la mobilisation de tous les intervenants du système de justice pénale.

Le rapport du Sénat en tient compte en recommandant de réformer le système de justice pénale, d’apporter des changements opérationnels et d’étudier certains enjeux stratégiques.

Dans sa réponse, présentée en novembre 2017, le gouvernement a proposé une stratégie fédérale transversale et globale pour réduire les retards dans le système de justice pénale. Elle se décline en plusieurs volets, dont la collaboration entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux pour cerner les pratiques exemplaires, l’élaboration de méthodes novatrices, les stratégies en matière de litiges, les mesures liées aux programmes, les nominations de juges et les mesures législatives.

Pour ce qui est des nominations de juges, depuis son arrivée au pouvoir, et en date du 31 mai 2019, le gouvernement a nommé plus de 300 juges. Cependant, lorsque l’on consulte le site web du ministère de la Justice, on peut voir que, pour le moment, le nombre de postes de juge vacants est resté sensiblement le même dans l’ensemble du pays.

Les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles méritent nos remerciements pour leur étude minutieuse du projet de loi. Le comité a entendu plus de 44 témoins et examiné un nombre considérable de documents, dont 20 mémoires soumis par divers intervenants, et ce, en ne disposant que d’une très courte période pour étudier une question très complexe. Je les remercie personnellement de leur diligence, et j’estime que ces efforts ont contribué à améliorer le projet de loi.

Le comité sénatorial a entendu des représentants de services de police, de barreaux, d’associations de la défense, de groupes d’aide juridique, de groupes de défense des victimes et de groupes autochtones, ainsi que des universitaires. Nous avons entendu des témoignages convaincants sur une variété de thèmes, notamment les enquêtes préliminaires, l’incidence de la reclassification d’infractions sur les agents, l’ADN et les empreintes digitales, la violence contre un partenaire intime et la victimisation. Certains des amendements adoptés découlent directement de ces témoignages.

Le projet de loi C-75 propose les plus importantes réformes du régime de mise en liberté sous caution depuis 1972. Ces réformes simplifieront et moderniseront les dispositions relatives à la mise en liberté sous caution et les rendront plus faciles à comprendre.

Il est particulièrement intéressant de mentionner l’accent mis sur le jugement de 2017 de la Cour suprême dans R. c. Antic et son inscription dans la loi par l’incorporation du principe de la retenue. Selon ce principe, les policiers et les tribunaux doivent chercher à mettre en liberté le prévenu à la première occasion et à imposer des conditions raisonnables, pertinentes et nécessaires dans les circonstances. Le projet de loi C-75 exige également expressément qu’une attention particulière soit accordée à la situation des prévenus autochtones et des prévenus appartenant à des populations vulnérables dans les décisions concernant la mise en liberté sous caution. En application du projet de loi, les policiers et les tribunaux doivent imposer des conditions que le prévenu peut raisonnablement respecter.

Ces modifications visent à faire en sorte que la police puisse libérer les accusés qui peuvent demeurer dans la collectivité en toute sécurité plutôt que de les obliger à comparaître devant un juge pour que des conditions leur soient imposées ou approuvées, avec le consentement de la Couronne et de la défense. Ces modifications auront pour effet de réduire le nombre d’accusés placés en détention provisoire en attente de leur audience sur le cautionnement, ainsi que le nombre d’affaires soumises au tribunal des cautionnements.

De même, puisque les manquements aux conditions mènent souvent à la détention des accusés, les réformes visant à n’imposer que les conditions nécessaires, pertinentes et raisonnables réduiront également le nombre de comparutions devant les tribunaux et le nombre d’accusés détenus, ainsi que le temps consacré par les tribunaux au dépôt d’accusations et aux poursuites liées à des manquements aux conditions.

On rappelle régulièrement au Canada la gravité des problèmes auxquels sont confrontés les Autochtones dans le système de justice pénale. Le projet de loi C-75 représente une étape positive en vue de l’adoption de mesures concrètes visant à modifier les lois et les pratiques qui ont des répercussions disproportionnées sur les Autochtones en tant que victimes, survivants, accusés et délinquants. Les modifications proposées au système de libération sous caution visent à réduire le nombre d’accusations et de condamnations inutiles dont font l’objet des Autochtones et des Canadiens marginalisés pour des infractions administratives mineures.

Les réformes proposées dans le projet de loi C-75 en matière de cautionnement ont généralement été bien accueillies et elles s’inscrivent dans le droit fil de la recommandation faite en 2017 par le comité sénatorial de réformer comme il se doit le régime actuel de mise en liberté sous caution. Je signale qu’on a également accueilli favorablement le nouveau processus de comparution concernant les infractions contre l’administration de la justice qui ne portent atteinte à personne, notamment la violation des conditions de libération sous caution et le défaut de comparaître devant le tribunal.

Au cours des dernières années, il est devenu plus évident que la population en détention provisoire au Canada est en augmentation et qu’un grand nombre d’accusés — en fait, dans certaines provinces, la majorité d’entre eux — sont détenus pour non-respect allégué des conditions de mise en liberté. Certaines conditions ont peu à voir avec le maintien de la sécurité publique ou la comparution devant un tribunal.

Parallèlement, les accusés qui sont libérés sous caution semblent être assujettis à un nombre croissant de conditions, dont bon nombre sont à tort axées sur des principes de modification du comportement plutôt que sur des objectifs appropriés, comme de veiller à la sécurité publique et à la comparution devant le tribunal. Par exemple, exiger qu’un alcoolique s’abstienne de boire de l’alcool alors que ce problème n’a rien à voir avec l’infraction dont il est accusé le mettrait certainement dans une situation d’échec au départ.

Dans son rapport, le comité sénatorial s’est dit préoccupé par la quantité disproportionnée de temps et de ressources que les tribunaux pénaux consacrent aux infractions contre l’administration de la justice et il a recommandé que le ministre de la Justice trouve d’autres moyens de traiter ces infractions. À mon avis, le processus de comparution pour manquement est un excellent exemple de ce à quoi la Cour suprême du Canada et le comité sénatorial faisaient allusion lorsqu’ils ont réclamé des changements culturels qui favoriseraient l’efficacité, la coopération et l’équité.

Comme le montrent les témoignages entendus par le comité sénatorial, la réforme des enquêtes préliminaires fait depuis longtemps l’objet de débats au sein du milieu juridique. Les points de vue des intervenants demeurent fortement divisés en ce qui concerne l’utilité et la fonction des enquêtes préliminaires ainsi que la façon de les améliorer. Selon le rapport du comité sénatorial, les enquêtes préliminaires sont d’une utilité limitée si les exigences constitutionnelles en matière de communication de la preuve sont respectées, et des mesures devraient être prises pour les éliminer ou limiter leur utilisation.

Le projet de loi C-75 limite les enquêtes préliminaires aux adultes accusés d’infractions passibles d’emprisonnement à perpétuité et il permet au juge chargé de l’enquête préliminaire de limiter les questions à examiner au cours de l’audience préliminaire et le nombre de témoins appelés à comparaître. Ces changements sont le résultat d’une longue réflexion de la part des ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de la Justice, qui ont convenu à l’unanimité que le recours aux enquêtes préliminaires doit se limiter aux infractions les plus graves.

Bien qu’il soit vrai que des enquêtes préliminaires ne sont pas menées dans la majorité des cas, elles semblent prendre un temps disproportionné dans un certain nombre de provinces, y compris pour des cas peu graves. D’ailleurs, un certain nombre de juristes très expérimentés, y compris ceux de la Cour suprême du Canada, ont soulevé des questions quant à la nécessité de poursuivre la tenue d’enquêtes préliminaires. Je crois que les réformes apportées par le projet de loi C-75 à ces enquêtes représentent une approche équilibrée entre les nombreux points de vue existants.

Le comité sénatorial a entendu des témoins, y compris des avocats de la défense et des procureurs de la Couronne, qui estiment qu’une utilisation appropriée des enquêtes préliminaires peut, dans certains cas, permettre des gains d’efficience. Le comité a donc jugé bon d’élargir la possibilité de mener des enquêtes préliminaires par rapport à ce qui est prévu dans le projet de loi C-75 afin de les autoriser pour toute infraction punissable par mise en accusation d’une peine maximale, mais non passible d’emprisonnement à perpétuité dans deux cas : sur demande commune des parties et avec l’approbation du juge si des mesures appropriées ont été prises pour atténuer les répercussions sur les témoins et deuxièmement, sur demande du prévenu ou du poursuivant, et avec l’approbation du juge, si ce dernier est convaincu que cela servirait l’administration de la justice et si les critères relatifs aux témoins sont respectés.

La reclassification des infractions en infractions mixtes modernisera la classification actuelle des infractions dans le Code criminel, qui est devenue quelque peu incohérente après des années de réformes fragmentaires.

Plus précisément, le projet de loi C-75 propose d’ériger en infractions mixtes tous les actes criminels passibles d’un emprisonnement maximal de 10 ans ou moins. Il maintiendra la peine maximale lorsque la Couronne poursuit une personne sur acte d’accusation et, pour les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, la peine d’emprisonnement maximale sera uniformisée et fixée à deux ans moins un jour lorsque le procureur de la Couronne choisit de poursuivre la personne par procédure sommaire.

Le reclassement des infractions punissables par mise en accusation qui sont actuellement passibles de peines d’emprisonnement maximales de 2, de 5 et de 10 ans est une modification procédurale qui donnera aux provinces et aux territoires plus de souplesse pour utiliser au mieux leurs ressources en fonction de la gravité de chaque cas. Cela ne modifiera en rien les objectifs et les principes de la détermination de la peine.

Le reclassement ne devrait pas avoir d’incidence sur les taux d’incarcération dans les provinces, par exemple, puisque les procureurs seront formés pour être en mesure de choisir entre la procédure sommaire et la mise en accusation lorsqu’il aura été décidé que la Couronne demandera probablement une peine d’emprisonnement de deux ans ou moins.

La nécessité de telles réformes découle d’une série de réunions des ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de la Justice, axées sur des réformes législatives possibles pour réduire les délais.

En répondant à l’appel de la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt R. c. Jordan, à ce que tous les participants au système de justice pénale administrent la justice d’une manière qui soit raisonnablement prompte, les changements dans les classifications visent à éliminer des cas où les dispositions courantes de la procédure pénale nécessitent des ressources disproportionnées par rapport à la gravité de l’infraction, à en juger par la peine qu’entend réclamer le procureur.

Le comité sénatorial a adopté trois amendements liés à la reclassification des infractions. L’un d’eux, qui répond à des préoccupations exprimées par des témoins policiers, permettrait que des ordonnances de prélèvement de substances corporelles continuent d’être délivrées pour les actes criminels passibles d’un emprisonnement de 5 et de 10 ans que le projet de loi C-75 propose d’ériger en infractions mixtes et pour lesquelles de telles ordonnances peuvent actuellement être délivrées.

Par ailleurs, le comité a adopté une modification à la Loi sur l’identification des criminels pour clarifier que les empreintes digitales peuvent être prélevées dans les cas d’infraction mixte, même quand le procureur choisit de procéder par voie sommaire. Cette modification permettrait de continuer à prélever des empreintes digitales pour les 118 nouvelles infractions mixtes et elle réglerait un problème d’interprétation par les tribunaux lorsqu’il s’agit de déterminer si des empreintes digitales peuvent être prélevées dans les cas d’infraction mixte, même une fois que le procureur a décidé de procéder par voie sommaire.

Finalement, le comité sénatorial a adopté à l’unanimité une motion visant à faciliter davantage la représentation de défendeurs accusés d’infractions par procédure sommaire passibles de plus de six mois d’emprisonnement. Comme les honorables sénateurs le savent peut-être, à l’heure actuelle, les représentants, notamment les stagiaires en droit et les parajuristes, peuvent seulement comparaître si l’infraction en cause est passible de plus de six mois d’emprisonnement quand le défendeur est une personne morale, ou lorsqu’ils y sont autorisés au titre d’un programme approuvé par le lieutenant-gouverneur de la province.

Tel qu’amendé par le comité de l’autre endroit, le projet de loi C-75 autoriserait aussi les représentants à comparaître au titre de critères établis par le lieutenant-gouverneur de la province et dans le cadre de toute demande d’ajournement.

Cet amendement confère aux provinces et aux territoires le pouvoir d’établir des critères régissant la comparution des représentants, en plus de pouvoir approuver des programmes comme c’est le cas actuellement. En outre, il permet à n’importe quel représentant de comparaître pour demander un ajournement dans n’importe quelle procédure sommaire.

L’amendement répond aux critiques formulées par des témoins en offrant aux provinces et aux territoires un autre moyen de permettre le recours à des représentants, tout en reconnaissant la diversité régionale dans la façon dont la représentation juridique est réglementée à l’échelle du Canada.

Par ailleurs, les amendements apportés par le comité sénatorial permettraient aux représentants de comparaître conformément aux lois de la province, ce qui autoriserait la comparution de représentants provinciaux.

En réponse à des préoccupations concernant la violence contre un partenaire intime, des amendements ont été adoptés par le comité sénatorial en vue de renforcer les objectifs, les principes et les circonstances aggravantes en matière de détermination de la peine qui sont énoncés dans le Code criminel.

Honorables sénateurs, je veux parler des réformes proposées par le projet de loi C-75 concernant les jurés. Certains d’entre vous savent peut-être que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont tous des lois gouvernant la sélection des jurés. Le gouvernement fédéral est responsable des règles comprises dans le Code criminel sur les procès devant jury et la sélection des jurés en cour, alors que les provinces et les territoires sont responsables des lois établissant les critères de sélection des jurés et la façon dont doit être dressée la liste des jurés.

L’abolition de la récusation péremptoire des jurés, la modification de la disposition de mise à l’écart, la simplification et la modernisation du processus de récusation motivée, la modification aux motifs de récusation se rapportant au dossier criminel d’un juré pour une infraction mineure, et le fait de permettre, avec le consentement des parties, la tenue d’un procès quand le nombre de jurés est réduit à moins de 10, remédieraient à des préoccupations de longue date entourant le processus de sélection du jury et contribueraient à accroître la diversité des jurys, tout en respectant les droits des accusés et en assurant la sécurité du public.

Le processus de sélection des jurés au Canada fait depuis longtemps l’objet de préoccupations et de débats. Plusieurs ont fait état de la discrimination associée aux récusations péremptoires et de la sous-représentation des Autochtones et d’autres groupes minoritaires dans les jurys. Cette sous-représentation dans les jurys a aussi été mentionnée dans les témoignages entendus par le comité sénatorial.

Avec les modifications proposées dans le projet de loi C-75, le fédéral fait montre de leadership dans les domaines relevant de sa compétence et signale clairement qu’aucune forme de discrimination n’a sa place dans un système de justice pénale censé promouvoir l’équité et l’impartialité.

Honorables sénateurs, même si le Code criminel et les règles de la cour contiennent déjà des dispositions sur la gestion des instances, sans oublier les autres règles et les directives relatives à la pratique qui sont adoptées par les tribunaux, le comité sénatorial, dans son rapport sur les délais, craint que la gestion des instances au Canada puisse constituer le principal facteur de délais dans le système judiciaire.

Pour répondre à cette préoccupation, le projet de loi C-75 vise à améliorer l’ensemble des avantages de la gestion des instances au moyen de modifications qui permettront la nomination de juges responsables de la gestion de l’instance plus tôt dans le processus et qui élargiront les pouvoirs existants de ces juges pour inclure la capacité d’ordonner le renvoi de l’affaire dans une autre collectivité.

De plus, les modifications rendront recevable, au procès, la transcription d’un témoignage fourni antérieurement par un policier lors de l’enquête préliminaire ou d’un voir-dire. Ces modifications reconnaissent le rôle unique et essentiel des juges pour veiller à ce que les dossiers progressent et qu’ils soient réglés de façon efficace, juste et opportune.

Ces mesures n’ont soulevé aucune préoccupation majeure au comité. Je suis heureux de signaler qu’elles répondent directement à la recommandation du comité sénatorial de modifier le Code criminel pour favoriser une meilleure gestion des instances, s’il y a lieu.

Je me réjouis aussi de l’appui général au comité envers les modifications de nature plus technique du projet de loi C-75, qui facilitent le recours à la technologie dans plus d’affaires et qui étendent la possibilité de comparaître à distance afin de promouvoir un meilleur accès à la justice. Ces changements seront utiles aux tribunaux dans tout le pays. Ils seront particulièrement importants dans les collectivités éloignées. Ces mesures donneront suite à la recommandation du comité sénatorial sur la technologie de téléconférence.

Outre les amendements dont j’ai parlé plus tôt, le comité sénatorial a aussi adopté des amendements à l’égard de la suramende compensatoire fédérale. Depuis la décision que la Cour suprême du Canada a rendue, le 14 décembre 2018, dans l’affaire R. c. Boudreault, la suramende compensatoire, qui aide les provinces et les territoires à financer une partie des services aux victimes, ne peut plus être imposée au moment de la détermination de la peine.

Le comité sénatorial a adopté un amendement pour mettre en place un nouveau régime révisé de suramende compensatoire. Il exigerait l’imposition d’une suramende compensatoire, mais donnerait plus de marge de manœuvre aux juges pour qu’ils puissent décider de ne pas l’imposer dans certaines circonstances, de manière à répondre aux préoccupations soulevées par la Cour suprême du Canada. Plus précisément, le projet de loi C-75 permettra au tribunal qui détermine la peine de ne pas imposer la suramende compensatoire dans deux circonstances, c’est-à-dire si un tel paiement causerait au délinquant un préjudice injustifié en raison de sa situation financière précaire, ou si la suramende compensatoire serait disproportionnée par rapport au degré de responsabilité du délinquant ou à la gravité de l’infraction. Je crois que les amendements sur la suramende compensatoire permettent de répondre précisément aux préoccupations soulevées par la Cour suprême, dans l’affaire Boudreault, tout en rétablissant le degré de discrétion judiciaire nécessaire pour que la peine imposée soit juste et proportionnelle.

En conclusion, je suis heureux de constater qu’en plus de réduire les délais, le projet de loi prend des mesures innovatrices pour favoriser le changement de culture dont nous avons désespérément besoin. Par ailleurs, cette importante mesure législative rendra notre système plus équitable, efficace et efficient. Elle réalisera d’importants progrès en vue de moderniser le système de justice pénale, soit en améliorant les structures procédurales nécessaires pour réduire les délais et en tenant compte des répercussions qu’elle aura sur certaines des personnes les plus vulnérables et marginalisées de la société.

Le gouvernement propose une mesure législative ambitieuse et de grande envergure pour réduire les retards dans le système de justice pénale. J’espère que vous vous joindrez à moi pour appuyer le projet de loi C-75 afin que des changements qui s’imposent de toute urgence soient apportés au système de justice pénale. Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Sénatrice Omidvar, avez-vous une question à poser?

Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Le sénateur Sinclair accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Sinclair [ + ]

Certainement.

Sénateur Sinclair, il s’agit du troisième projet de loi soumis au Sénat ayant des conséquences graves pour les résidents permanents qui ne sont pas encore des citoyens canadiens. Les changements touchant les infractions mixtes et les peines vont avoir une incidence sur les peines maximales éventuelles, qui passeraient de six mois à plus de six mois, ce qui a des répercussions pour les résidents permanents et pourrait entraîner le renvoi. Le projet de loi C-45, le projet de loi C-46 et, maintenant, le projet de loi C-75.

Dans chaque cas, j’ai demandé au parrain et au ministre responsable à quel moment la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés serait modifiée pour l’harmoniser à tous les changements apportés au Code criminel.

J’aimerais savoir si vous avez vérifié et pu confirmer que cela allait se faire. Vous avez beaucoup parlé des gens les plus vulnérables de la société. À mon avis, à bien des égards, les résidents permanents qui ne sont pas encore des citoyens canadiens et risquent le renvoi entrent dans cette catégorie.

Le sénateur Sinclair [ + ]

Merci, honorable sénatrice, de votre question. Les questions de l’expulsion et de l’incidence de la décision de faire passer de six mois à deux ans la peine maximale prévue dans le cas de bien des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ont été soulevées auprès du ministre lors de son témoignage devant le comité.

Les discussions avec le ministre n’ont pas permis de régler cette question. Pendant les travaux du comité, on a souligné que, de manière générale, lorsqu’ils examinent la situation de personnes qui ne sont pas des résidents permanents, la plupart des juges tiennent compte de l’incidence de la peine sur l’expulsion éventuelle de l’accusé. Toutefois, l’ajout de dispositions dans la loi, en particulier dans le Code criminel, afin de régler ce problème nuirait aux amendements envisagés jusqu’ici par le comité pour veiller à ce que les personnes accusées d’infractions graves continuent d’être traitées de manière appropriée.

Tout ce que je peux vous dire, c’est que le ministre n’a donné aucune assurance à cet égard au comité, comme il ne l’a pas fait d’ailleurs lorsqu’il a répondu à des questions dans cette enceinte.

L’honorable Pierre J. Dalphond [ + ]

Honorables sénateurs, j’espère que vous ne m’en voudrez pas de parler à la suite de mon collègue, l’ancien juge Sinclair. Peut-être serai-je suivi de la sénatrice Andreychuk ou du sénateur Wetston. Je ne sais pas.

Dans son discours portant sur le rapport du Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, le sénateur Joyal a très habilement résumé l’objet du projet de loi C-75 et des 14 amendements proposés, à l’instar du sénateur Sinclair il y a quelques minutes. La sénatrice Dupuis a aussi parlé avec éloquence des sept observations formulées par le comité, particulièrement celles sur la discrimination systémique à l’endroit des femmes dans le processus de justice criminelle.

Aujourd’hui, je tiens à parler de trois amendements en particulier, à commencer par celui qui vise les enquêtes préliminaires. Les enquêtes préliminaires dans le cadre de poursuites criminelles ne datent pas d’hier : elles remontent au XVIe siècle, en Angleterre. Elles ont été intégrées au Code criminel canadien en 1892. L’enquête préliminaire est l’étape qui précède le renvoi de l’accusé à son procès. Au cours de cette étape, l’accusé peut obliger la Couronne à dévoiler son argumentation, interroger les témoins sous serment et répondre aux accusations.

À la fin de cette étape, un juge détermine si la preuve est suffisante pour qu’un jury convenablement instruit puisse conclure que l’accusé est coupable d’une infraction précise. Comme l’explique la Cour suprême dans l’affaire R c. Barbeau :

Avant la création des corps de police permanents, elle servait autant à enquêter sur un crime qu’à déterminer la culpabilité probable de l’accusé.

L’idée est d’épargner un procès inutile à l’accusé et au système de justice pénale.

Les enquêtes préliminaires sont réservées aux cas où l’accusé est inculpé par mise en accusation. Elles ne sont pas possibles dans les cas d’accusations punissables par procédure sommaire. En d’autres termes, dans les cas d’infractions punissables par procédure sommaire, qui sont généralement moins graves, les accusés n’ont pas la possibilité de faire l’objet d’une enquête préliminaire.

En 1991, dans l’affaire Stinchcombe, la Cour suprême du Canada a statué que, aux termes de la Charte des droits et libertés, la Couronne est tenue de divulguer à la défense tous les renseignements pertinents qu’elle a en sa possession. La communication initiale de la preuve devrait avoir lieu avant que l’accusé ne soit appelé à choisir son mode de procès ou à présenter son plaidoyer.

Cette communication permet à l’accusé d’évaluer la preuve de la Couronne, de mieux comprendre la nature de la procédure criminelle à venir et de présenter une défense pleine et entière.

En 2001, soit 10 ans après la décision Stinchcombe, des modifications ont été apportées au Code criminel pour que les enquêtes préliminaires ne soient tenues que sur demande et non automatiquement.

Depuis l’adoption de ces changements, le nombre d’enquêtes préliminaires demandées par des accusés a considérablement diminué au fil des ans. Selon l’Enquête intégrée sur les tribunaux de juridiction pénale, le nombre d’enquêtes préliminaires prévues ou tenues a diminué de 37 p. 100 entre 2005 et 2015.

En 2014-2015, des enquêtes préliminaires ont été prévues ou tenues dans moins de 3 p. 100 des causes traitées par les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes au pays.

En 2016, dans l’arrêt Jordan, la Cour suprême a statué que les affaires criminelles devant les cours provinciales devraient être traitées dans un délai de 18 mois et que les cas devant les cours supérieures ou les cas prévoyant une enquête criminelle devraient être traités dans un délai de 30 mois.

À la suite de cette décision, les tribunaux de tout le Canada ont cherché des moyens de mieux gérer les dossiers et d’assurer l’achèvement des procès dans ces nouveaux délais. Ces mesures comprenaient la simplification des enquêtes préliminaires et la possibilité d’interroger les témoins hors cour plutôt que dans le cadre d’une audience officielle, soit une enquête préliminaire, devant un juge.

Les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral ont également entamé des discussions sur les moyens de modifier le Code criminel pour accélérer les procès. Cela a mené à une proposition se trouvant dans le projet de loi C-75 qui abolira les enquêtes préliminaires dans tous les cas, sauf dans les cas d’infractions passibles d’emprisonnement à perpétuité.

Selon la proposition, les enquêtes préliminaires seraient limitées aux cas les plus graves, comme le meurtre, mais ne seraient pas utilisées dans le cas d’un accusé qui risque une peine d’emprisonnement de 10 ou de 15 ans.

La seule raison d’être de cette ligne de démarcation est essentiellement la volonté de raccourcir la durée des poursuites criminelles, puisque les statistiques montrent que ces dernières durent plus longtemps lorsqu’elles comportent une enquête préliminaire.

Si l’intention d’alléger le processus criminel et, ainsi, de réduire les délais peut motiver la proposition visant à éliminer les enquêtes préliminaires dans la quasi-totalité des dossiers, il reste que beaucoup d’intervenants se sont opposés à cette élimination. Ils ont fait valoir que, dans plusieurs cas, cette étape mène à des plaidoyers de culpabilité sans la tenue d’un procès de fond, ou encore à l’abandon de certaines accusations, ce qui fait gagner du temps aux tribunaux.

Parmi ces intervenants, j’ai été impressionné par le mémoire de l’Association des procureurs de la Couronne de l’Alberta sur l’utilité des enquêtes préliminaires. D’autres témoins ont fait valoir l’aspect plutôt arbitraire de la distinction entre l’emprisonnement à vie et les infractions exposant le contrevenant à 10 ou 15 ans de prison, qui sont quand même des peines substantielles. Les représentants du ministère de la Justice ont reconnu que la ligne de démarcation proposée réduisait de façon considérable le nombre d’infractions pouvant donner lieu à une enquête préliminaire, en les faisant passer de 800 à 70. Cependant, le ministère de la Justice a reconnu qu’il ne savait pas combien de dossiers cela représentait dans la réalité.

Dans les circonstances, plusieurs membres du comité en sont venus à la conclusion que la proposition constituait un changement majeur sans que l’on ait démontré que l’abolition du droit historique à l’enquête préliminaire était pleinement justifiée. Cependant, les membres du comité étaient bien conscients du fait que la tenue d’une enquête préliminaire signifie souvent que le plaignant devra témoigner à deux occasions, soit lors de l’enquête préliminaire et, ensuite, lors du procès. Cela implique que la victime devra faire face à l’accusé et subir un contre-interrogatoire de la part de l’avocat de l’accusé deux fois plutôt qu’une.

Pour les plaignants comme les femmes victimes d’agressions sexuelles, cela signifie revivre un événement traumatisant deux fois plutôt qu’une.

Finalement, il faut mentionner que les différents amendements proposés par le projet de loi C-75 accordent beaucoup plus de pouvoir de gestion au juge, notamment en matière d’organisation de toutes les procédures dans le cadre des procès criminels. C’est dans ce contexte, chers collègues, que j’ai proposé au comité, qui s’est dit d’accord avec ma proposition, de conserver la possibilité de tenir des enquêtes préliminaires tout en les encadrant plus rigoureusement.

L’amendement qui fait désormais partie du projet de loi énonce que les enquêtes préliminaires ne peuvent être tenues que lorsque la Couronne et l’accusé en font la demande conjointement devant un juge ou alors , s’il n’y a pas d’entente entre les deux parties, à la demande du prévenu ou du poursuivant. Dans ces circonstances, le juge devra être convaincu que la tenue d’une enquête préliminaire servira au mieux l’intérêt supérieur de la justice.

De plus, dans les deux cas, que ce soit par consentement ou parce que le juge conclut que la tenue d’une enquête préliminaire sert l’intérêt supérieur de la justice, avant d’autoriser la tenue de cette enquête, le juge devra s’assurer que des mesures ont été prises en vue de minimiser l’impact de l’enquête sur les témoins, notamment le plaignant. Il reviendra donc au juge, qui est convaincu que la tenue d’une enquête préliminaire sert l’intérêt supérieur de la justice, comme dans les cas d’agressions sexuelles, de veiller à ce que des mesures appropriées soient prises pour minimiser l’impact que peut avoir sur la victime le fait de devoir témoigner lors de l’enquête, notamment en limitant la durée du témoignage de la victime ou en ordonnant que celle-ci fasse son témoignage dans une pièce où elle n’aura pas à faire face à l’accusé, par vidéoconférence, par exemple.

En d’autres mots, les mesures qui seront prises devront faire en sorte que l’enquête préliminaire ne serve pas de manœuvre pour intimider les victimes ou les traumatiser encore davantage.

Honorables sénateurs, je crois que l’enquête préliminaire, ainsi encadrée et contrôlée par les juges, éliminera les abus et ne se tiendra que dans les circonstances où il y va réellement de l’intérêt supérieur de l’administration de la justice.

Deux autres changements méritent également d’être soulignés. Il s’agit de la prise d’empreintes digitales des accusés et de la contribution à la Banque nationale de données génétiques des personnes déclarées coupables. Mon collègue, le sénateur Sinclair, y a fait référence il y a quelques minutes.

Au comité, des représentants des forces policières ont souligné que la reclassification de 118 infractions en infractions mixtes aurait comme conséquence imprévue de limiter la capacité des policiers de prendre la photographie et les empreintes digitales des personnes accusées de ces infractions criminelles. Dans le cas des infractions qui étaient uniquement punissables par voie de mise en accusation, la Loi sur l’identification des criminels permettait aux policiers de prendre la photo et de recueillir les empreintes digitales, mais dans le nouveau système, après la reclassification de ces 118 infractions, il est incertain si les policiers conserveront cette autorité.

Les juges ne s’entendent pas au sujet de la prise des empreintes digitales dans le cas d’infractions mixtes où la Couronne procède par voie sommaire. J’ai proposé, avec l’appui du sénateur McIntyre, un amendement pour clarifier la situation et indiquer que les policiers peuvent prendre les empreintes digitales des personnes accusées pour les nouvelles infractions visées par la reclassification.

Ce sera la même chose pour les personnes déclarées coupables. Elles devront fournir un échantillon pour la banque de données génétiques, afin que les policiers puissent plus facilement identifier les suspects, exonérer les personnes innocentes, faire des liens entre les scènes de crime et déterminer si des récidivistes sont impliqués.

Ces amendements, proposés conjointement par le sénateur McIntyre et par moi, viennent répondre aux conséquences imprévues de la reclassification.

Je veux mentionner le travail de collaboration au Comité des affaires juridiques entre tous les membres. Notre collaboration nous a permis d’établir des liens solides et très intéressants.

En conclusion, je tiens à dire que je suis en faveur de la reclassification des 118 infractions en infractions mixtes parce qu’elle ne diminuera pas la durée des peines pouvant être réclamées par la Couronne — pour ces infractions — en réduisant « l’échelle » des peines prévues par le système. La Couronne pourra encore procéder par mise en accusation pour demander la peine maximale ou des peines semblables à celles qui existent dans le système actuel. En outre, la reclassification augmente le nombre de personnes qui peuvent être accusées et poursuivies en justice en permettant la procédure sommaire. Par exemple, les personnes ayant commis des infractions moins graves qui ne peuvent pas être accusées par voie sommaire en vertu des règles actuelles ne sont pas poursuivies sur acte d’accusation parce qu’il en coûterait trop cher.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à appuyer le projet de loi modifié.

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