Projet de loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu
Vingt et unième rapport du Comité de la sécurité nationale et de la défense--Suite du débat
2 mai 2019
Honorables sénateurs, le sujet dont j’aimerais vous parler aujourd’hui concerne le rapport que nous avons reçu du Comité de la sécurité nationale et de la défense à la suite de son étude du projet de loi C-71, Loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu.
D’entrée de jeu, laissez-moi souligner que je suis bien consciente du fait que ma nomination au Sénat est des plus récentes et que cela fera en sorte que mon propos sera teinté de mon expérience d’avocate des 30 dernières années. Ma tendance naturelle, en découvrant les divers aspects du travail de cette illustre Chambre rouge, est donc de comparer les étapes législatives à ce qui m’est familier.
Malgré les changements proposés par le projet de loi C-75, je considère que, dans le processus judiciaire pénal, l’enquête préliminaire sert à déterminer s’il y a suffisamment de preuves pour justifier la tenue d’un procès. C’est une étape importante et distincte du procès où on accueille et analyse la preuve. De même, la deuxième lecture d’un projet de loi au Sénat porte sur le principe du projet de loi et sert à déterminer si la majorité est d’accord pour qu’il passe à la prochaine étape, soit le renvoi en comité pour étude. C’est également une étape importante et distincte de l’analyse approfondie qui sera effectuée en comité. À défaut d’un vote majoritaire à l’étape de la deuxième lecture, je comprends que le projet de loi n’ira pas plus loin. Un vote en faveur du projet de loi à l’étape de la deuxième lecture confirme un accord sur le principe du projet de loi et permet au projet de loi de cheminer vers la prochaine étape.
J’en conclus donc que, en votant en faveur du projet de loi C-71 à l’étape de la deuxième lecture , nous avons approuvé l’objectif fondamental du projet de loi, qui est d’améliorer la sécurité publique des Canadiens et des Canadiennes en rendant plus difficile l’acquisition d’une arme à feu par des personnes violentes ou suicidaires, en limitant davantage le transport des armes à feu, en reconnaissant que les policiers ont une expertise que les politiciens ne possèdent généralement pas en ce qui a trait à la classification des armes à feu — tout cela étant sujet à une analyse plus approfondie en comité, bien entendu.
Après avoir pris connaissance des objections et des commentaires à l’appui de ce projet de loi depuis mon arrivée au Sénat, je suis personnellement d’avis que, bien que celui-ci apporte des solutions très souhaitables par rapport à l’acquisition, au transport et à la réglementation des armes à feu, il aurait certainement pu comporter des mesures additionnelles encore plus fortes et plus restrictives.
Qu’on se comprenne bien : je suis tout à fait consciente que les armes à feu peuvent servir à des fins moins sordides, comme la chasse. Comme j’étais en quelque sorte le fils que mon père n’avait jamais eu, j’ai été initiée très jeune aux armes à feu et à la chasse. Je montrais à mes amis les ecchymoses que j’avais à l’épaule pour prouver que je savais tirer. J’ai moi-même chassé à maintes reprises. Vous ne le croirez peut-être pas, mais l’occasion de mon deuxième rendez-vous galant avec la personne qui deviendrait mon mari a été une magnifique et romantique excursion de chasse à la perdrix. Quoi qu’il en soit, qu’elles soient utilisées convenablement ou de façon illégale, les armes à feu ne servent qu’à une chose : tuer.
Nous savons malheureusement trop bien que notre beau pays, rempli de gens qui sont reconnus pour être pacifiques et, parfois, trop polis, n’est pas à l’abri des atteintes graves et malfaisantes. Il ne faut pas regarder très loin dans notre passé pour se le rappeler.
Le tout dernier exemple de la Nouvelle-Zélande témoigne de la volonté et de la nécessité de mettre en œuvre de toute urgence des mesures pour faire cesser les tueries que les armes à feu permettent.
J’ai donc été très surprise et, je vous le dis franchement, déçue par le nombre et la portée des amendements proposés au projet de loi C-71 au comité. Même si je crois sincèrement que tous les membres du comité ont œuvré avec diligence et conformément aux principes et aux valeurs qui leur sont chers, je crains que, pour certains, les amendements étaient motivés par des raisons politiques plutôt que sociétales. En conséquence, le projet de loi C-71, tel qu’adopté à l’étape de la deuxième lecture, a été — si vous me permettez le jeu de mots — totalement désarmé.
À mon humble avis, le fait d’avoir supprimé les articles comportant des éléments majeurs du projet de loi à l’étape de l’étude en comité contrevient aux principes fondamentaux du projet de loi, principes qui avaient été préalablement adoptés à l’étape de la deuxième lecture. En utilisant ce seul argument, je soutiens, honorables collègues, que le rapport du comité tel que déposé dans notre Chambre ne devrait pas être adopté. De surcroît, je vous soumets un autre argument tout aussi important. À titre de membres du Sénat nommés à notre fonction, notre rôle n’est pas d’aller à l’encontre du gouvernement élu, surtout que le projet de loi en question faisait partie de la plateforme électorale qui a permis au gouvernement d’être élu en premier lieu.
En tant que membres du Sénat, nous devons respecter la volonté des Canadiennes et des Canadiens. Je ne crois pas que le projet de loi C-71, tel qu’amendé par le comité sénatorial, reflète la position des Canadiens sur ce sujet.
Le privilège que constitue le fait de posséder une arme à feu est un sujet très controversé. Les gens sont habituellement pour ou contre et prônent rarement les compromis. C’est un sujet très émotif parce qu’il est question de sauver des vies ou de protéger sa propre vie. Il n’y a pas de sujet plus viscéral que la préservation de la vie humaine. C’est cela qui rend ce projet de loi si controversé et si conflictuel.
En votant en 2015, une majorité de Canadiens a choisi un contrôle plus rigoureux des armes à feu dans notre pays.
Les Canadiennes et les Canadiens ont communiqué clairement leur désir de raffermir nos lois sur les armes. Plus spécifiquement, le gouvernement élu promettait de restreindre davantage l’acquisition et le transport d’armes prohibées ou à autorisation restreinte sans permis, et de remettre le pouvoir de décision en matière d’armes entre les mains de la police, et non des politiciens.
Au risque de dire quelque chose que vous savez déjà très bien, permettez-moi, en tant que nouvelle sénatrice, de rappeler que le rôle constitutionnel du Sénat est clair : le Sénat peut proposer, approuver, rejeter ou amender des projets de loi, pourvu que la majorité des sénateurs vote en faveur des amendements proposés.
Les choses se compliquent lorsqu’il est question du fonctionnement au quotidien. Les discussions sur la façon dont le Sénat devrait réagir et jusqu’où il devrait aller, étant donné que les sénateurs ne sont pas élus — contrairement aux députés de l’autre endroit —, durent depuis 1867. Il existe néanmoins un consensus sur le fait que le Sénat est la Chambre du second examen objectif. Il existe pour servir de complément à l’autre endroit, fournir des études et des analyses, et recommander des améliorations aux projets de loi dont il est saisi pour étude.
Dans le cas qui nous occupe, on ne parle pas d’améliorer un projet de loi du gouvernement, mais bien de le rendre pratiquement inexistant, bien qu’il représente la réalisation d’une promesse électorale d’un parti majoritairement élu.
Quand nous avons reçu le rapport du comité sur le projet de loi C-71, je me suis demandé si je devais ou non voter en faveur de l’adoption du rapport. Je me posais plusieurs questions, certaines portant même sur les principes fondamentaux de notre démocratie. Je me suis demandé si je brimais ces principes en votant contre l’adoption de ce rapport. Ma réflexion m’a portée à la conclusion opposée. Le travail précieux qui a été fait en comité a porté ses fruits et demeure extrêmement utile pour ceux d’entre nous qui souhaitent revenir aux objectifs principaux du projet de loi dans sa version originale. Le problème, selon moi, se situe au niveau du contenu du rapport et du moyen par lequel il a été adopté. Je crois fondamentalement qu’adopter ce rapport irait à l’encontre de ce que les fondateurs du pays ont mis en place pour s’assurer que la voix des Canadiennes et des Canadiens soit entendue et prise en considération au moment où l’on doit voter en qualité de membres du Sénat.
Je vais donc voter contre l’adoption du vingt et unième rapport du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, dans le but de revenir au projet de loi C-71 tel qu’il était avant son étude au comité.
Je vous invite, honorables sénateurs, à faire de même.
Merci de votre attention.
Merci. Meegwetch.
L’honorable sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?
Bien sûr.
Merci. Je tiens à dire, d’entrée de jeu, que je respecte pleinement votre droit de voter pour ou contre le rapport selon vos convictions, aussi malavisées soient-elles. Le Sénat est une institution démocratique. Le comité a mené son travail de façon démocratique.
Un seul élément de votre discours me trouble — mis à part le fait que je ne suis pas d’accord avec vos propos —, et c’est l’observation selon laquelle à votre avis, certains membres du comité auraient peut-être été guidés par des raisons politiques alors que d’autres ne l’étaient pas.
J’apprécierais, madame la sénatrice, que vous me disiez quels sénateurs, parmi nous, étaient guidés par des motifs politiques et lesquels avaient l’attitude appropriée dans ce dossier.
Ce projet de loi me tient vraiment à cœur. Cela n’a rien à voir avec le fait que je sois conservateur. Je n’appuie pas ce projet de loi. Il est vrai que je fais partie de la loyale opposition et vous, du gouvernement. Je le comprends. Vous avez pour tâche d’adopter les mesures législatives du gouvernement et moi, de m’y opposer. Si je m’oppose à ce projet de loi, ce n’est toutefois pas parce qu’Andrew Scheer, ou Stephen Harper, ou le Parti conservateur s’y opposent. C’est qu’il s’agit, selon moi, d’une mesure législative fondamentalement mauvaise. Voilà pourquoi je m’y oppose farouchement.
Madame la sénatrice, j’aimerais que vous me regardiez et que vous me disiez : « Sénateur Plett, vous avez agi conformément à vos principes et à vos valeurs », qui sont peut-être différents des vôtres; ou encore que vous me disiez, en me regardant dans les yeux : « Sénateur Plett, je crois que vous étiez guidé par des motifs politiques », si c’est là votre opinion. Est-ce effectivement ce que vous croyez, madame la sénatrice?
Sénateur Plett, ce n’était assurément pas mon intention de froisser la sensibilité délicate de qui que ce soit. Vous vous souviendrez que je me suis exprimée très précisément. Je n’ai pas dit « je crois » et je n’ai pas déclaré comme un fait que les motivations étaient politiques. J’ai plutôt dit que je le craignais personnellement. En tant que sénatrice débutante — je vous le dis bien humblement —, j’observe, j’apprends, j’écoute et je lis. J’ai lu avec attention toutes les délibérations qui ont précédé le rapport qui nous est présenté.
Ma crainte est née au fil de mes lectures. C’est cette crainte que j’ai exprimée durant mon allocution, non pas comme un fait ou une croyance. Peu importe qu’il s’agisse d’un fait, d’une croyance ou d’une crainte, il demeure que nous devons traiter du résultat. Ce résultat, c’est le rapport qui, à mon avis, détruit le contenu d’un projet de loi qui avait du mérite et qui s’appuyait sur les principes fondamentaux d’une plateforme électorale sur laquelle les Canadiens se sont prononcés.
Voilà ma réponse, monsieur.
Sénatrice, êtes-vous consciente que, lors de l’adoption et du rejet d’amendements, les façons de voter ont été très variées? De fait, certains amendements ont été adoptés avec l’aide du sénateur Richards, qui est indépendant, avec l’aide de la sénatrice Griffin, qui fait partie du Groupe des sénateurs indépendants, avec l’aide de la sénatrice Jaffer, qui est une libérale indépendante. Certains de mes propres collègues ont voté contre des amendements que j’ai proposés.
Les sénateurs ont voté indépendamment de leur parti ou affiliation au Sénat. Vous êtes consciente que c’est ce qui est arrivé et qu’on ne pourrait guère parler de choix politiques?
Je ne sais pas si je répondrais oui à votre question, qui tient lieu de conclusion à votre déclaration. Toutefois, vous m’avez demandé si j’étais consciente. Oui, je suis consciente. Comme je vous l’ai dit, j’ai lu attentivement chaque ligne des délibérations du comité lors de l’étude article par article de ce projet de loi. Je n’ai pas le sentiment que votre déclaration a apaisé mes craintes et je suis encore préoccupée.
Madame la sénatrice, votre temps de parole est écoulé, mais un autre sénateur voudrait vous poser une question. Désirez-vous cinq minutes de plus?
Malgré la tentation de m’asseoir confortablement, je vais dire oui.
Malgré ma voix qui s’éteint, sénatrice Forest-Niesing, je vous félicite pour votre présentation, mais je vais prendre votre argument au mot. Si je comprends bien, vous nous dites que vous ne pouvez pas accepter le rapport du comité parce qu’il va carrément à l’encontre d’un engagement électoral pris par M. Trudeau. Est-ce bien le cas?
Est-ce une question?
C’est ma première question. J’ai compris que vous voterez contre ce rapport parce qu’il va à l’encontre d’un engagement qu’a pris un gouvernement dûment élu. J’essaie de comprendre pourquoi cet argument vous sert aujourd’hui, alors que, lorsque j’ai déposé plus tôt un amendement au projet de loi C-58 qui allait dans le même sens qu’un engagement gouvernemental, vous avez voté contre.
Désirez-vous une réponse? Je ne suis pas certaine d’avoir bien compris la question, mais si vous me demandez si mon argumentaire est entièrement fondé sur l’objectif de nous ramener à ce qui ressemblait le plus au fondement d’une promesse électorale, la réponse est non. J’ai apporté deux arguments que j’estime tout à fait convaincants, l’un autant que l’autre.