Projet de loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu
Troisième lecture--Report du vote
27 mai 2019
Je vous remercie, Votre Honneur.
Avant de poursuivre, je souhaite lire une lettre qui a été glissée sous ma porte.
Chères collègues, chers collègues,
Comme vous le savez, le vote sur l’amendement au projet de loi C-71 a été reporté au lundi 27 mai. Par conséquent, et conformément à une nouvelle entente, le vote définitif en troisième lecture du projet de loi, qui devait avoir lieu hier, aura lui aussi lieu le 27 mai.
À la lumière de ces nouveaux événements, je souhaite vous rappeler à toutes et à tous qu’il est impératif que vous soyez présents en Chambre ce soir-là afin de prendre part au vote sur cet important projet de loi. Je vous demande donc de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour assister à cette séance du Sénat.
Il est de plus très important pour la direction et pour le Secrétariat de connaître le nombre précis de membres du GSI qui seront présents. Je vous demande donc de bien vouloir confirmer dès que possible votre présence à la séance du lundi 27 mai en répondant à ce message.
Je vous remercie d’avance pour votre coopération et vous souhaite une excellente semaine de relâche.
Je n’ai jamais envoyé une telle lettre, et je suis le whip, et je l’admets.
Votre Honneur, je sais que j’abuse de votre patience, et je m’en excuse auprès de vous et de ceux que cela pourrait incommoder. Je voulais intervenir il y a déjà un moment.
Je veux simplement dire que la correspondance reçue de l’agent de liaison du Groupe des sénateurs indépendants nous implorait d’être présents en raison de la tenue de votes importants sur des affaires du gouvernement, nous informait de quels votes il s’agissait et nous demandait de dire si nous serions présents.
J’ai reçu ce genre de communications à de nombreuses reprises. Jamais on n’y indiquait comment voter. D’ailleurs, la plupart du temps, il y a une ligne qui nous dit que nous pouvons voter selon nos convictions, mais qu’il est important que nous soyons présents.
Ce que je voulais dire, c’est que, dans les commentaires qu’il a faits avant le recours au Règlement du sénateur Gold, le sénateur Plett a dit clairement qu’on nous avait ordonné d’être présents et d’appuyer le projet de loi du gouvernement. Ce n’est pas le cas. Une fois de plus, il présente les faits de façon erronée et il en a la preuve devant lui.
Je n’ai pas entendu la sénatrice Lankin invoquer le Règlement. Elle semble plutôt faire un discours. Est-ce un recours au Règlement?
Oui, j’invoque le Règlement.
À l’ordre, s’il vous plaît.
La sénatrice a demandé la parole pour ce que je croyais être un recours au Règlement. Or, je n’ai pas entendu de recours au Règlement, simplement des précisions.
Nous reprenons le débat. Le sénateur Plett a la parole.
Merci. Je crois me rappeler que la semaine avant la semaine dernière quelqu’un qui a été interrompu a demandé que la durée de l’interruption ne soit pas soustraite de son temps de parole. Je suppose que c’est ce qui sera fait dans ce cas-ci.
La façon dont vous avez voté sur cette mesure législative et sur les amendements proposés n’est pas fondée sur les faits ou les arguments. Manifestement, elle n’est motivée que par votre loyauté envers le gouvernement et les instructions de votre whip.
Je ne prends pas la parole pour essayer de vous faire changer d’idée. Je sais que ce serait en vain. Je prends la parole parce que des millions de Canadiens ont cette mesure législative à cœur. Ils se soucient de ce qu’elle était censée faire. Ils veulent que l’on s’attaque aux armes à feu et à la violence des gangs.
Ils ont peut-être cru les promesses de s’attaquer à ces problèmes faites par le gouvernement libéral durant la campagne électorale. Ils méritent de savoir la vérité sur cette mesure législative, c’est-à-dire qu’elle est une imposture et une mascarade et qu’elle ne fera strictement rien pour accroître la sécurité publique.
J’aimerais revoir la promesse électorale du Parti libéral sur la question dont nous sommes saisis. Qu’a-t-il promis au juste, et est-ce que le présent projet de loi remplit un tant soit peu cette promesse?
Dans son programme, à la page 60, le Parti libéral a promis de faire ceci relativement aux armes à feu :
Nous prendrons des mesures pour débarrasser nos rues des armes de poing et des armes d’assaut [...] nous prendrons des mesures concrètes pour qu’il soit plus difficile pour les criminels de mettre la main sur une arme.
C’est ce qu’on nous a promis. Et pourtant, le projet de loi C-71 n’a rien à voir avec les gangs. Il ne fait rien pour retirer de la circulation les armes de poing et les armes d’assaut. Il ne fait rien pour que les criminels aient plus de mal à les obtenir et à s’en servir.
Le projet de loi harcèle plutôt les propriétaires d’armes à feu respectueux de la loi, tout en laissant les gangs et les criminels s’en tirer à bon compte. Plutôt que de concrétiser les promesses électorales, il les rompt.
Chers collègues, personne ne nie que la violence armée au Canada est véritablement préoccupante. Toutefois, ce n’est que pure fantaisie de suggérer que nous allons dissiper ces préoccupations avec des politiques qui visent des propriétaires d’armes à feu titulaires de permis.
Si le gouvernement veut vivre dans un monde imaginaire, nous ne pouvons pas y faire grand-chose avant les élections. Je vous presse tout de même, chers collègues, de ne pas jouer son jeu.
Depuis le début du débat, le manque de sincérité du gouvernement Trudeau est évident. On n’a cessé de répéter que le projet de loi « met l’accent sur la sécurité publique et l’efficacité du travail des policiers ». Quand on gratte un peu la surface, on constate rapidement qu’il n’en fait rien.
Cela me rappelle un vieux proverbe qui dit : celui qui se vante d’une fausse libéralité est comme les nuées et le vent sans pluie.
Justin Trudeau parle comme s’il voulait sérieusement régler le problème des gangs et de la criminalité, mais ses actions sont vides de conséquences. Elles se résument à des promesses en l’air qui n’aboutissent à rien.
Lorsque le projet de loi C-71 a été présenté à l’autre endroit, le ministre Goodale a commencé par dresser un sombre tableau. Il a dit :
De façon générale, les taux de criminalité au Canada sont en baisse depuis des dizaines d’années. [...] Cependant, les infractions liées à l’utilisation d’armes à feu vont à l’encontre de cette tendance souhaitable.
Le ministre Goodale a répété cette affirmation devant le comité de la Chambre des communes et le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, lorsqu’il a soutenu que :
Bien que, de façon générale, les taux de criminalité au Canada soient en baisse depuis des dizaines d’années, on enregistre une hausse marquée du nombre d’incidents de nature criminelle liés à l’utilisation d’armes à feu.
Chers collègues, selon les données probantes, cette déclaration est absurde. Peu importe les statistiques qu’on examine — le taux global de criminalité, le taux de crimes violents ou l’indice de gravité de la criminalité —, les statistiques des 20 dernières années montrent clairement que les crimes commis avec des armes à feu et le taux global de criminalité suivent exactement la même courbe : quand la criminalité augmente, le taux de crimes commis avec des armes à feu augmente également; quand le taux de criminalité diminue, le taux de crimes commis avec des armes à feu diminue aussi. L’idée que le nombre de crimes commis avec des armes à feu augmente pendant que le taux global de criminalité diminue est simplement fausse.
Cependant, comme je l’ai dit plus tôt, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problème. Il y en a. Cependant, si on se penche sur les données, on se rend compte qu’il n’y a aucun lien entre ces problèmes et le fait d’obliger les propriétaires d’armes à feu respectueux des lois à obtenir une permission spéciale pour apporter leur arme à feu à autorisation restreinte à l’armurier, le fait de priver les propriétaires de leur seul vrai recours si leurs armes à feu changent de catégorie et perdent ainsi toute valeur ou le fait que la vérification des antécédents couvre actuellement une période de cinq ans plutôt que toute une vie.
Rien de tout cela n’est pertinent. Le projet de loi C-71 est un projet de loi pétri de bonnes intentions qui s’appuie sur des principes idéalistes et qui vise à donner l’impression qu’on fait quelque chose, mais sans régler quoi que ce soit.
Chers collègues, je vous encourage à vous pencher de plus près sur les rapports de Statistique Canada concernant les homicides par arme à feu. Vous constaterez alors trois choses. Premièrement, on ne parvient pas à appliquer les lois sur les armes à feu déjà en vigueur. Deuxièmement, un nombre démesuré d’homicides par arme à feu ont été commis par des Autochtones. Troisièmement, nous souffrons d’une hausse de la violence liée aux gangs. Or, le projet de loi C-71 fait complètement abstraction de ces problèmes.
Considérez ce qui suit. Premièrement, entre 2014 et 2017, 66 p. 100 des homicides commis avec une arme à feu ont été perpétrés par des gens ayant un casier judiciaire. Cela révèle que jusqu’aux deux tiers des homicides commis avec une arme à feu pourraient être attribuables à l’incapacité de bien appliquer les lois sur les armes à feu actuellement en vigueur au Canada. En effet, dans de nombreux cas, il est déjà illégal pour une personne ayant un casier judiciaire de posséder une arme à feu.
Dans tous les cas où un homicide commis avec une arme à feu a été perpétré par une personne n’ayant pas le droit de posséder cette arme, une réglementation accrue n’aurait aucunement permis de sauver des vies. Le problème était causé par l’inapplication des lois canadiennes actuelles sur les armes à feu.
Deuxièmement, au cours de la même période — 2014 à 2017 —, 68 p. 100 de tous les homicides ont été commis à l’aide d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte. Pourtant, ces armes doivent déjà être enregistrées et sont strictement contrôlées.
Cela devrait alerter quiconque prête attention à ce qui se passe. Si les mesures de contrôle des armes à feu pour les armes à autorisation restreinte ne fonctionnent pas, qu’est-ce qui nous fait croire qu’une réglementation accrue pour les armes à feu sans restriction sera efficace?
Troisièmement, d’après Statistique Canada, 38 p. 100 de tous les homicides en 2017 ont été commis par des personnes autochtones. Dans la vaste majorité de ces homicides, les victimes étaient elles aussi autochtones.
Compte tenu de la taille de la population autochtone, cette donnée indique que, à l’échelle du Canada, les Autochtones sont 12 fois plus susceptibles de commettre un homicide que les non-Autochtones. Par province, on parle de 11 fois plus susceptibles en Alberta, 13 fois dans ma province, le Manitoba, et 43 fois en Saskatchewan.
Le ministre Goodale s’est donné beaucoup de mal pour souligner que le problème de la violence liée aux armes à feu ne se limite pas aux gangs à Toronto. Il a parlé du fait que les régions rurales sont aussi touchées, en particulier dans les provinces des Prairies comme le Manitoba et la Saskatchewan. Ce qu’il a négligé de dire, c’est que, dans les régions rurales du Manitoba, 67 p. 100 des homicides avec une arme à feu sont commis par des Autochtones. En Saskatchewan, c’est 77 p. 100.
Honorables collègues, si vous n’avez pas examiné les données, ces chiffres pourraient vous surprendre. Cela dit, comprenez-moi bien. Je ne blâme pas les Autochtones pour la violence liée aux armes à feu.
Ce que je veux souligner, c’est qu’une tragédie se déroule sous nos yeux, au ralenti, dans les familles et les communautés autochtones. Or, le gouvernement libéral fait abstraction de cette tragédie en prétendant ne pas savoir que des problèmes sociaux beaucoup plus profonds sont en jeu ici. Le simple fait d’adopter de nouvelles lois sur le contrôle des armes à feu ne les réglera pas.
Honnêtement, je ne comprends pas comment mes honorables collègues du Manitoba peuvent penser que le projet de loi s’attaque ne serait-ce qu’à une seule des causes profondes expliquant ces données tragiques. Comment se fait-il que les sénateurs autochtones d’en face ne s’opposent pas tous à ce projet de loi et n’exigent pas des mesures concrètes et de vraies réponses qui pourraient vraiment aider à réduire le nombre de crimes commis au moyen d’armes à feu et la victimisation qui en découle? Si vous ne vous y opposez pas, où sont les amendements alors? Où sont les améliorations?
Honorables sénateurs, Statistique Canada nous apprend en outre qu’entre 1991 et 2017, 90 p. 100 des homicides ont été résolus, mais seulement dans les cas qui n’étaient pas liés aux gangs. Quand des gangs sont en cause, le pourcentage tombe à 44.
Si on prend encore une fois la période de 2014 à 2017, cela veut dire que, sur une moyenne annuelle de 206 homicides commis avec une arme à feu, on compte environ 70 cas où l’auteur du crime n’a pas été découvert. Environ 57 de ces 70 homicides non résolus auraient été liés à des gangs. Autrement dit, entre 2014 et 2017, environ 280 meurtriers ont pu continuer de se promener dans nos rues en toute liberté et la majorité d’entre eux — 228 — sont des membres de gangs. Cela donne à réfléchir.
Si le gouvernement voulait vraiment prévenir les homicides commis avec des armes à feu et donner la priorité à la sécurité publique, sa grande priorité ne serait-elle pas de mettre les meurtriers connus derrière les barreaux? Ce n’est toutefois pas le cas. Le projet de loi n’aura aucune incidence sur les gangs et les criminels. Au lieu de cela, le ministre Goodale s’affaire à transformer les propriétaires d’armes à feu respectueux de la loi en boucs émissaires, à multiplier les formalités administratives, les obstacles à franchir et les menaces d’accusations criminelles, tout en prétendant que ces mesures mettront les criminels derrière les barreaux.
L’affirmation est absurde et les propriétaires d’armes à feu en ont assez de cette comédie. Au lieu de prendre des mesures concrètes pour s’attaquer aux véritables problèmes, le gouvernement libéral barbote en eau peu profonde et fait semblant de prendre des mesures importantes. Ce n’est pas le moment de faire de la politique. C’est le moment de comprendre ce qui se passe réellement et de prendre des mesures concrètes pour modifier la trajectoire actuelle et sauver des vies.
Chers collègues, les faits, les recherches et les statistiques sont importants, mais le problème qui est ressorti au cours du débat sur cette question, c’est qu’il est trop facile de citer une étude pour appuyer sa position. Cela est vrai pour bien des sujets, en particulier lorsqu’il est question de l’efficacité du contrôle des armes à feu. Une personne va citer une étude qui soutient que le contrôle des armes à feu est efficace. Une autre va citer une étude qui dit le contraire. Les gens choisissent les études qui les confortent dans leur opinion et qui appuient leur position. Comment peut-on alors savoir où se situe la vérité?
En 2016, le Centre de recherche sur la sécurité publique et la justice pénale de la Colombie-Britannique a fait quelque chose de différent. Au lieu de simplement produire une autre étude sur la question, ce centre a entrepris un examen exhaustif de toutes les études existantes. Ces études portaient sur les divers processus et stratégies qui ont été mis à l’essai au Canada et dans d’autres pays pour réduire ou retirer de la circulation les armes à feu illégales, en particulier celles qui se retrouvent entre les mains des délinquants. L’examen était axé sur les travaux de recherche publiés en anglais qui évaluent les tentatives législatives, ainsi que les programmes, les tactiques et les interdictions dirigés par la police et la collectivité en vue de s’attaquer au problème que constituent la possession et l’utilisation d’armes à feu illégales.
Ainsi, au lieu de simplement produire une autre étude, le centre a pris du recul et examiné toutes les études qui avaient déjà été publiées afin de les comparer à ses propres constatations. On ne peut pas rejeter du revers de la main une telle approche si on s’intéresse vraiment aux faits.
À la fin de son examen, le centre a conclu ceci :
[...] en raison du manque de données empiriques fiables sur les armes à feu et la violence, y compris les suicides, il est pratiquement impossible d’entreprendre une analyse comparative ou d’élaborer des réponses plus efficaces. En somme, les données actuelles ne sont généralement pas concluantes et présentent tout un éventail de défis et de limites méthodologiques.
Si vous comptez parmi les personnes qui aiment argumenter en faveur d’un plus grand contrôle des armes à feu en se basant sur des études isolées trouvées ici et là, ce ne sont pas de bonnes nouvelles. Cependant, voici les faits : « [L]es données actuelles ne sont généralement pas concluantes. »
La bonne nouvelle, c’est qu’on peut agir pour contrer la violence liée aux armes à feu. L’examen a permis d’arriver à la constatation suivante :
Les études recensées [...] montrent que la police peut réduire la violence liée aux armes à feu en adoptant des pratiques soutenues, stratégiques et axées sur le renseignement qui ciblent les délinquants prolifiques et les gangs, ainsi que les emplacements où la violence liée aux armes à feu se produit souvent.
Chers collègues, c’est exactement ce que ferait un gouvernement conservateur. Au lieu de seulement effleurer le problème avec des mesures inefficaces fondées sur des données qui « ne sont généralement pas concluantes », un gouvernement conservateur prendrait des mesures claires et décisives pour lutter contre les gangs, les armes à feu illégales et la criminalité. Comparons cela à Justin Trudeau, qui a assoupli l’approche du Canada à l’égard des crimes liés aux gangs en transformant les pénalités en simples amendes administratives.
Un gouvernement conservateur mettrait fin à la libération sous caution d’office quand il s’agit de membres connus d’un gang : ces derniers devraient prouver à la cour qu’ils sont admissibles à la libération sous caution. Un gouvernement conservateur imposerait des peines plus sévères aux commanditaires de crimes liés aux gangs et il créerait de nouvelles peines pour les crimes violents commis par des gangs.
C’est le genre d’initiative dont les Canadiens ont besoin. Voilà plutôt où nous en sommes aujourd’hui : dans quelques minutes, nous devrons voter sur le projet de loi C-71, mais, même si ce dernier ne repose ni sur des faits, ni sur des données probantes, ni sur des recherches, la majorité des sénateurs voteront en faveur du projet de loi. En dépit du fait que le projet de loi ne s’attaque pas aux vrais problèmes et qu’il ne tient compte ni des propriétaires d’armes à feu ni des victimes de violence liée aux armes à feu, le Sénat renverra le texte à l’autre endroit sans amendement.
C’est une tragédie, chers collègues, parce que ce ne sont pas uniquement les propriétaires d’armes à feu respectueux des lois qui ne sont pas entendus. Ce sont aussi les collectivités secouées par la criminalité. Ce sont les familles qui ont été déchirées. Ce sont les parents, les sœurs, les frères, les amis et les connaissances des victimes de crimes liés aux armes à feu.
Honorables sénateurs, le gouvernement et vous laissez tomber ces gens en adoptant ce projet de loi parce que, même si la promesse des libéraux était bonne — « nous prendrons des mesures pour débarrasser nos rues des armes de poing et des armes d’assaut » —, ce projet de loi ne fait même pas le moindre pas pour la remplir.
Comme si ce n’était pas assez, il y a encore pire. Le projet de loi établit une façon détournée de créer un registre des armes à feu. Maintenant, je sais qu’il existe une petite disposition dans le projet de loi qui dit qu’on ne crée pas un registre, mais cela ne veut franchement rien dire. Comme l’a dit Mme Teri Bryant devant le comité, « [u]n chat est-il un chat si on ne l’appelle pas un chat? » Honorables collègues, c’est un chat.
Le 29 juin 2012, le gouvernement conservateur a enregistré un règlement qui stipule ce qui suit :
Une personne ne peut être tenue, aux termes d’une condition dont est assorti un permis délivré en vertu de la Loi sur les armes à feu : a) de recueillir des renseignements relatifs à la cession d’une arme à feu sans restrictions; b) si elle en recueille, de tenir un registre ou fichier de ces renseignements; c) si elle tient un tel registre ou fichier, de le tenir de manière à relier les renseignements identifiant le cessionnaire à ceux identifiant une arme à feu particulière ou à combiner ces renseignements, ou de manière à permettre qu’ils puissent être reliés ou combinés.
À l’époque, le ministre de la Justice, Vic Toews, a comparu devant le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles pour expliquer la nécessité de ce règlement pour empêcher que ces renseignements soient recueillis. Voici ce qu’il a dit :
Le règlement proposé vise à préciser l’objet du projet de loi C-19 : prévenir la création d’un autre registre des armes d’épaule par l’entremise des données collectées par les CAF ou d’un autre moyen. Le règlement ne vise que les pouvoirs des CAF aux termes de la Loi sur les armes à feu. La question des mesures que peuvent prendre les provinces ou les municipalités a été débattue récemment lors des séances du conseil municipal de Toronto. C’est une tout autre chose.
Le projet de loi C-71 vise expressément à déroger à ce règlement.
Alors comment se fait-il que le ministre Toews ait vu clairement que recueillir des renseignements relatifs à la cession d’une arme à feu sans restrictions revenait à créer, par un moyen détourné, un registre des armes d’épaule, mais que ce fait semble totalement échapper au ministre Goodale?
Chers collègues, le projet de loi est un échec à deux égards. Premièrement, il ne remplit aucunement la promesse du gouvernement selon laquelle il devait prendre « des mesures pour débarrasser nos rues des armes de poing et des armes d’assaut ». Deuxièmement, il rompt cyniquement la promesse du gouvernement de ne pas créer de nouveau registre national des armes à feu.
Dans une telle situation, une seule réaction s’impose au Sénat. Il faut rejeter le projet de loi.
En terminant, je vous laisse avec la réflexion suivante. Les partisans du contrôle des armes à feu aiment employer l’expression « si cela permet de sauver ne serait-ce qu’une vie, alors cela en vaut la peine ». Nous l’avons d’ailleurs entendu au Sénat. Or, ce que ces gens ne comprennent pas c’est que, si la même somme d’efforts et d’argent utilisée autrement permet sauver 10 vies, il devient criminel de refuser de le faire et de n’en sauver qu’une seule.
Pourtant, le gouvernement refuse constamment de reconnaître ce que tout homme d’honneur sait être vrai. Les ressources publiques sont limitées, et le budget ne s’équilibrera pas de lui-même. Les deniers publics doivent être distribués de la manière la plus efficace possible afin d’avoir la plus grande incidence possible et de générer les meilleurs résultats possible en matière de politique publique.
Chers collègues, il est incontestable que le projet de loi C-71 est un véritable et tragique échec à ce chapitre. Il faut le rejeter.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Le sénateur Plett accepterait-il de répondre à une question?
Oui.
Sénateur Plett, à la fin de votre discours, vous avez parlé du registre. Selon la police de Toronto, 50 p. 100 des armes à feu employées pour commettre un crime ont été achetées au pays. Une étude du ministère de la Sécurité publique et du Solliciteur général de la Colombie-Britannique a révélé une augmentation du nombre d’armes à feu achetées légalement par des hommes de paille qui revendent ensuite celles-ci sur le marché noir. Pourquoi vous opposez-vous à l’obligation pour les vendeurs de conserver le nom de ceux à qui ils ont vendu des armes à feu?
Je regrette, sénateur Dalphond, je comprends qu’un gros pourcentage des armes qui circulent à Toronto sont obtenues dans le pays même. Je n’ai rien à redire à cela. Cela ne les rend pas légales. Elles ont été obtenues au pays.
Je ne vois aucun inconvénient, sénateur Dalphond, à ce que l’on sévisse contre les armes illégales, la violence des gangs et les crimes commis avec des armes à feu. J’y suis favorable. C’est ce que j’ai dit dans tout mon discours et depuis toujours. Je pense que tous les adeptes des armes à feu appuient cette idée. Mais ce projet de loi ne fait rien pour lutter contre la violence des gangs. Il ne fait rien pour régler le problème des armes illégales.
Ma question portait en fait sur le moyen d’aider la police à retrouver les hommes de paille. N’est-il pas utile d’avoir le nom des personnes à qui ces armes ont été vendues?
Je le répète, sénateur Dalphond, la majorité de ces armes ne sont pas enregistrées et proviennent d’ailleurs. Elles ne sont pas enregistrées et leur numéro de série a été effacé. Il n’y a pas moyen d’en retrouver l’origine. Il y a déjà suffisamment d’obstacles à surmonter et nous ne nous y opposons pas, mais le fait d’ajouter encore plus d’inscriptions n’est pas la solution.
Honorables sénateurs, comme je l’ai dit, je serai brève. Je crois qu’il est important que je participe à ce débat en tant que citadine vivant à Vancouver depuis plus de quatre décennies. J’arrive tout juste de Creston, en Colombie-Britannique. C’est une région rurale de la province où j’ai passé la plupart mes soirées autour d’un feu de camp avec d’autres gens. Je sais qu’il y avait des propriétaires d’armes à feu, des adeptes d’armes à feu comme mon mari, et pourtant, dans cette collectivité, les gens ne verrouillent pas leurs portes et il y a un véritable sentiment d’appartenance à une communauté.
Je ne prétends pas être une spécialiste des armes à feu et de l’ensemble des règles et règlements connexes qui existaient déjà, bien avant l’adoption de ce projet de loi, si c’est ce qui arrive. Toutefois, il me semble important de prendre part au débat en tant que Canadienne vivant en milieu urbain qui n’a jamais possédé ou utilisé une arme à feu, même si je suis mariée à un natif de Richmond, en Colombie-Britannique, qui malgré ses origines a la région de Kootenay dans le sang et qui va parfois en compagnie de ses amis au champ de tir.
Au cours de mes 21 années dans l’enseignement, j’ai pu constater les effets de la violence liée aux gangs et l’influence des pairs sur certains enfants. J’ai enseigné à l’un des célèbres frères Bacon, qui a été chef de gang dans la vallée du Fraser. Il a été abattu tout près d’un casino, en Colombie-Britannique. Je lui ai enseigné en 11e année, alors qu’il était un jeune homme impressionnable. Réfléchissons à ce qui arrive à ces enfants. La région métropolitaine de Vancouver, ma ville, subit les affres de la violence liée aux gangs et aux armes à feu. Je sais que, lorsqu’ils étaient au pouvoir, les conservateurs ont mis l’accent sur la prévention, comme le sénateur Plett l’a mentionné. Nous avons investi dans les jeunes pour les intéresser à d’autres choses que la culture de la violence.
J’ai pris exemple sur la sénatrice Petitclerc. Au cours du débat sur le projet de loi S-5 portant sur le vapotage, elle m’a dit qu’elle s’était rendue sur place et qu’elle avait rencontré des gens de l’industrie. Le milieu scientifique avait du mal à suivre le rythme, et je me souviens d’avoir dit que je m’opposais au projet de loi même si je n’avais pas fait mes devoirs autant qu’elle. Je pensais bien que le débat sur le projet de loi C-71 serait enflammé. C’est le cas jusqu’à maintenant, et j’ai dû faire mes devoirs.
Je ne suis pas complètement remise de ce qui nous est arrivé sur la Colline il y a quelques années, de sorte que le bruit d’une arme à feu me fait peur, mais j’ai décidé de faire ma propre enquête. Je suis donc allée au Ridgedale Rod & Gun Club, à Abbotsford, en Colombie-Britannique, où se trouve des membres de gang notoires. Je suis aussi allée au Port Coquitlam & District Hunting & Fishing Club, dans la région des trois villes, qui est devenu l’un des plus grands champs de tir de la Colombie-Britannique. Il est ouvert aux civils et au gouvernement depuis 1956. Les nouveaux membres doivent suivre un cours obligatoire de quatre heures au terme duquel ils doivent passer un examen écrit et obtenir une note d’au moins 90 p. 100 pour le réussir.
Même si je ne suis pas une adepte des armes à feu — et, même si je ne présume de rien, je ne me vois pas essayer une arme à feu dans un proche avenir —, je constate que, même dans les villes, il y a des gens qui ont des armes à feu avec un permis et qui sont membres de ces clubs, et ce ne sont pas toujours les gens à qui on pense. Lorsque nous parlons des zones urbaines et des zones rurales du Canada, nous ne pouvons pas simplement présumer que c’est un problème rural ou que la violence des gangs est un problème urbain. Je pense que cela touche tous les Canadiens d’un bout à l’autre du pays.
Ce qui m’a beaucoup marquée à ces clubs est le respect avec lequel les membres m’ont accueillie, ainsi que les recherches qu’ils avaient effectuées pour me présenter des faits, des données probantes et des exemples convaincants. J’en ai donné des exemples quand j’ai posé la question sur les propriétaires de petites entreprises au sénateur Pratte. Je ne les répéterai pas, mais j’ai compris tout à coup, alors que je parlais avec ces gens, que ces Canadiens respectueux de la loi, qui sont des chasseurs ou des tireurs sportifs, qui possèdent des armes à feu, ce sont des grands-pères, des grands-mères, des parents, des propriétaires d’entreprises, des enseignants et des travailleurs du domaine de la santé. Voilà les Canadiens que j’ai rencontrés au cours du processus que nous avons entrepris.
Comme l’a souligné le sénateur Plett, nous avons entendu beaucoup de personnes. Nous avons tous reçu des courriels et des appels téléphoniques. Nous avons pris la parole pour dire pourquoi nous appuyons ou n’appuyons pas le projet de loi. Je tiens à expliquer publiquement ce qui motive ma décision de ne pas appuyer le projet de loi.
Je suis très déçue du fait que certains des bons amendements qui avaient été proposés n’ont pas été adoptés. Je tiens donc à souligner que je n’appuierai pas ce projet de loi parce qu’il s’agit, dans le meilleur des cas, d’un instrument très grossier. Il y a une différence entre les gangs et la violence commise au moyen d’une arme à feu, d’un côté, et les Canadiens qui paient leurs impôts, sont déjà soumis à de nombreux règlements et suivent les règles à la lettre, de l’autre. J’ai pu constater le protocole de sécurité qu’ils observent et le respect qu’ils manifestent les uns envers les autres.
Tenant compte de cette distinction très claire, je ne pense pas que ce projet de loi permette d’atteindre le but visé et je peux voir le lourd fardeau qui sera injustement imposé, encore une fois, aux Canadiens des villes et des régions rurales.
Ce projet de loi aurait un résultat qui me semble injuste et auquel nous nous opposerions tous : il imposerait un fardeau excessif à un groupe de Canadiens qui s’efforcent de respecter la loi et prennent toutes les mesures et les cours de sécurité nécessaires pour savoir traiter les autres avec respect et respecter les lois en vigueur. Le projet de loi C-71 les obligera en outre à se plier à d’autres formalités, alors qu’ils en font déjà beaucoup.
Cette distinction repose sur les recherches que j’ai faites et les débats qui ont eu lieu dans cette enceinte. Je tiens à souligner l’excellent travail du comité, du parrain, de notre porte-parole et de tous les intervenants.
Je tenais à dire que je vais voter contre le projet de loi C-71.
Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Sénateur Dean, vous avez une question?
J’ai une brève question à poser à la sénatrice Martin, si elle accepte.
Sénatrice Martin, nous avons tous entendu le sénateur Plett parler des engagements initiaux que le gouvernement a pris durant la campagne électorale. Moi aussi, je serais troublé de voir qu’on n’a pas donné suite à ces promesses. Toutefois, sénatrice Martin, je souligne que le projet de loi C-71 propose une vérification approfondie des antécédents qui répond directement à la question de l’usage sécuritaire des armes à feu. De plus, on obligerait les détaillants à tenir un registre qui, selon moi, permettrait aux forces de l’ordre de suivre le mouvement de certaines armes à feu détournées, à tout le moins.
Je signale qu’en novembre 2017, le gouvernement s’est engagé à verser 327,6 millions de dollars sur cinq ans pour lutter contre la violence croissante liée aux armes à feu et aux activités des gangs au Canada et pour mobiliser les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux afin d’appuyer les efforts en matière de prévention et d’application de la loi dans les collectivités.
Voici ma question à la sénatrice Martin : un financement de plus de 320 millions de dollars pour des mesures visant les armes à feu et les gangs, des initiatives à la frontière, une vérification approfondie des antécédents et un registre tenu par les détaillants pour contribuer à suivre le mouvement des armes à feu détournées — ne s’agit-il pas là de mesures tangibles qui répondent aux problèmes qui nous préoccupent tous en ce qui concerne les armes à feu et leur usage dans les activités des gangs?
J’aimerais revenir sur la réponse du sénateur Tkachuk au sujet de la vérification des antécédents. Je sais qu’il y a déjà des mesures en place pour vérifier les antécédents de quelqu’un, mais il me semble qu’une vérification qui vise toute la vie d’une personne dépasse les limites raisonnables.
Pour ce qui est de l’engagement à combattre la violence liée aux gangs et aux armes à feu, j’en félicite le gouvernement. Je sais que nous avions pris ce genre d’engagement. Nous devrions poursuivre dans cette voie, et il est très important de prendre des mesures préventives.
Le troisième volet dont vous avez parlé, sénateur, c’était...
Les registres des détaillants.
Nous croyons que c’est une façon détournée de créer un registre des armes à feu. On demande aux détaillants de tenir un registre pendant une certaine période. Est-ce pendant 20 ans? Selon ce que j’ai lu, un propriétaire qui vend son entreprise s’exposera à des sanctions si, pour une raison quelconque, il ne veille pas à ce que le registre soit transféré et conservé. Or, nous savons qu’on impose déjà un trop lourd fardeau aux petites entreprises. Si le gouvernement veut qu’on tienne un registre, alors il devrait le faire lui-même au lieu d’imposer ce fardeau aux entreprises.
C’est ainsi que j’appuie les petites entreprises. Elles sont déjà surchargées et elles devront étirer encore davantage leurs ressources.
Voilà mes réponses et ma position.
Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
L’honorable sénateur Pratte, avec l’appui de l’honorable sénateur Wetston, propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Que tous ceux qui appuient la motion veuillent bien dire oui.
Que tous ceux qui s’y opposent veuillent bien dire non.
À mon avis, les oui l’emportent.
Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?
Nous reportons le vote à la prochaine séance.
Le vote est reporté à demain, à 17 h 30.