La Loi sur la défense nationale
Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Ajournement du débat
3 juin 2019
Propose que le projet de loi C-77, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, j’ai le plaisir aujourd’hui de prendre part au débat à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-77, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
Je vous présente mes excuses d’emblée. La semaine dernière, mon intervention sur le projet de loi C-59 était un modèle de concision — je pense même ne pas avoir dépassé cinq minutes. L’intervention d’aujourd’hui ne sera pas aussi brève, mais la qualité sera au rendez-vous, alors je vous demande d’être patients.
Commençons par nous remémorer les objectifs poursuivis par cette mesure législative.
Le projet de loi C-77 comblera le fossé entre le système de justice militaire et le système de justice civile en accordant aux victimes qui font affaire avec le premier les mêmes droits que celles qui font affaire avec le second. Il corrigera en outre une injustice, puisque les personnes accusées d’une infraction d’ordre militaire pouvaient être privées des droits procéduraux généralement accordés aux personnes qui subissent un procès criminel dans le système civil, comme le droit à un avocat ou celui d’interjeter appel. Il intégrera en outre au système de justice militaire les mêmes dispositions que dans le système civil concernant la détermination de la peine lorsque l’inculpé est d’origine autochtone ou est reconnu coupable d’infractions motivées par les préjugés ou la haine.
Ce projet de loi revêt une très grande importance pour tous les membres des Forces armées canadiennes. Il s’agit d’une mesure importante pour garantir que toutes les personnes ayant affaire au système de justice militaire soient traitées avec confiance, dignité et respect et bénéficient des mêmes droits que celles ayant affaire au système de justice civile.
Le projet de loi est-il parfait? Bien sûr que non. Cela n’existe pas. Cependant, c’est un bon projet de loi qui mérite d’être adopté.
C’est particulièrement vrai et important parce que les tentatives de réforme législative de notre système de justice militaire ne sont pas fréquentes. De plus, ces tentatives ne sont pas toujours fructueuses puisque, par le passé, les mesures législatives visant à réformer le système de justice militaire sont, trop souvent, mortes au Feuilleton.
Les dispositions de la Loi sur la défense nationale ont été revues en profondeur en 1998 au moyen du projet de loi qui a entraîné la mise en place de l’actuel système de justice militaire. De 2003 à 2011, trois projets de loi visant à mettre en œuvre des réformes supplémentaires sont morts au Feuilleton sous des gouvernements successifs. Aucun d’entre eux n’a été adopté par la Chambre des communes. Le Parlement a seulement été en mesure d’adopter de petits projets de loi visant à corriger des lacunes constitutionnelles de dispositions ayant été invalidées par la Cour d’appel de la cour martiale. Finalement, en 2013, le Parlement a adopté le premier projet de loi complet sur le système de justice militaire en 15 ans.
Toutefois, ces réformes n’avaient rien prévu pour les droits des victimes. En fait, le système de justice militaire était explicitement exclu de la Charte canadienne des droits des victimes qui avait été présentée par le précédent gouvernement en 2014 et adoptée par le Parlement en avril 2015. Le parrain du projet de loi et principal défenseur était le sénateur Boisvenu, qui est aujourd’hui le porte-parole de l’opposition pour le projet de loi dont nous sommes saisis. Toutefois, les droits des victimes n’avaient pas été mis en oubli. Le gouvernement d’alors avait en outre présenté le projet de loi C-71, qui aurait intégré une déclaration des droits des victimes dans le système de justice militaire. Cependant, la première lecture du projet de loi avait eu lieu le 15 juin 2015, seulement quatre jours avant l’ajournement du Parlement en prévision des élections fédérales. Inutile de vous dire que le projet de loi C-71 n’a pas dépassé l’étape de la première lecture.
Ce qui m’amène au dernier point de mon introduction. Au comité, de nombreux témoins, notamment ceux qui ont parlé des dispositions sur les droits des victimes, ont recommandé des amendements pour améliorer le projet de loi et plusieurs de ces amendements ont été proposés lors de l’étude article par article. À mon avis, nombre de ces amendements, voire la plupart, étaient très pertinents et auraient renforcé le projet de loi, et ils étaient appuyés par les membres de l’opposition au comité.
Je me suis opposé à chacun de ces amendements, qui ont tous été défaits par les votes des sénateurs du Groupe des sénateurs indépendants et des sénateurs indépendants libéraux du comité. Si vous prenez connaissance de la transcription des travaux du comité, vous verrez qu’on nous a accusés de bien des choses. On nous a accusés de ne pas nous soucier des victimes, de n’être au Sénat que pour défendre le gouvernement et de rendre le Sénat inutile en refusant d’amender le projet de loi. Je suis certain que vous allez en entendre parler abondamment par les autres sénateurs qui vont participer au débat.
Honorables sénateurs, si je me suis opposé aux amendements, ce n’est pas parce qu’ils n’étaient pas valables. Au contraire, si la situation avait été différente, j’aurais été heureux de les appuyer, et tous les autres membres du comité aussi je pense. Je m’y suis opposé parce qu’il est fort probable que, si le projet de loi C-77 était amendé au Sénat, il mourrait au Feuilleton. Tous les sénateurs le savent. Il ne reste tout simplement pas assez de jours de séance à l’autre endroit pour traiter tous les projets de loi que le Sénat a déjà modifiés ou, comme avec le projet de loi C-69, que le Sénat renverra probablement avec des amendements avant la fin de cette législature.
Le projet de loi C-77 est important, mais il ne sera pas traité en priorité avant tous les autres projets de loi qui sont déjà à l’autre endroit ou qui devraient être reçus dans les prochains jours. Donc, si nous proposons des amendements au projet de loi C-77, celui-ci ne sera pas adopté. Le ministre a même évoqué la possibilité qu’il meure au Feuilleton lorsque la sénatrice McPhedran l’a interrogé à ce sujet au comité. Voilà pourquoi je me suis opposé aux amendements, même s’ils découlaient de recommandations faites par des témoins crédibles et même s’ils auraient amélioré le projet de loi. Honorables sénateurs, un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.
Même si les amendements l’auraient amélioré, on ne peut pas dire que le projet de loi C-77 est mauvais dans sa forme actuelle. Au contraire, c’est un bon projet de loi. Je vais essayer d’expliquer pourquoi dans le temps qu’il me reste.
Permettez-moi de commencer par les changements apportés au processus de procès sommaire proposés dans le projet de loi C-77.
Dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, j’ai souligné le caractère unique de notre système de justice militaire, en vertu duquel le personnel militaire peut être jugé pour des infractions au Code criminel et à d’autres lois fédérales, en plus des infractions spécifiques à l’armée. J’ai également mentionné que les accusations peuvent être traitées soit par la chaîne de commandement dans des procès par voie sommaire, soit par un tribunal officiel composé de juges militaires indépendants lors d’un procès devant une cour martiale.
La plupart des infractions d’ordre militaire donnent le choix à l’accusé d’être jugé par une cour martiale, mais, pour un nombre distinct d’infractions mineures, telles que l’absence sans permission ou l’ivresse, celles-ci sont automatiquement traitées par un processus de procès sommaire. Il est important de mentionner que les cours martiales et les procès sommaires sont des procédures pénales dans lesquelles un accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie hors de tout doute raisonnable. C’est là que s’arrête la similitude.
Un procès sommaire, bien que de nature pénale, ne confère pas aux accusés les mêmes droits qu’ils auraient obtenus s’ils étaient jugés par une cour martiale ou même par un tribunal civil. Les contrevenants n’ont pas le droit de consulter un avocat. Les règles de preuve ordinaires, y compris la règle du ouï-dire, sont assouplies. Il n’y a pas de transcription officielle des procédures et il n’y a pas de droit d’appel.
De plus, les procès sommaires ne font pas exception à la norme d’un procès en bonne et due forme devant une cour martiale. Au contraire, les procès sommaires écrasent la méthode de choix, même si la chaîne de commandement est de moins en moins satisfaite. Selon les rapports annuels du juge-avocat général, les procès sommaires représentent environ 90 p. 100 du total des procès militaires, et les cours martiales en représentent seulement 10 p. 100.
Le projet de loi C-77 propose d’éliminer complètement les procès sommaires. Toutes les infractions d’ordre militaire seraient désormais traitées uniquement par des cours martiales. Par conséquent, le projet de loi C-77 propose un nouveau système d’audiences sommaires pour traiter les affaires disciplinaires mineures définies comme des manquements d’ordre militaire. Les audiences sommaires seront de nature administrative et sont conçues pour permettre à la chaîne de commandement de régler rapidement et efficacement les problèmes de discipline et de moral.
Résultant des consultations menées par le Cabinet du juge-avocat général auprès de la chaîne de commandement, ce changement répond également à la question des retards dans le système de justice militaire en général et dans le processus des procès sommaires en particulier, une question qui a été soulevée dans le rapport du vérificateur général du Canada le printemps dernier.
Au comité, nous avons entendu de nombreux témoins à ce sujet, qui étaient tous dotés d’une expérience considérable à la fois au sein du système de justice militaire et auprès de celui-ci, et ils n’étaient pas d’accord avec cette modification.
Surprise, surprise.
Loin de là.
Certains témoins ont fait valoir avec force que cette partie du projet de loi C-77 ne devrait pas être mise en œuvre, car, selon eux, le débat public sur le sujet a été insuffisant. D’autres ont fait valoir que le nouveau processus d’audiences sommaires conservait toujours les caractéristiques qui en faisaient des audiences de nature pénale.
On a fait valoir que le projet de loi portait atteinte aux droits du personnel en service en retirant le droit d’une personne de choisir de subir un procès devant une cour martiale au lieu d’un procès sommaire et en changeant la norme de la preuve à l’audience pour passer d’une norme de preuve pénale à une norme de preuve civile. C’étaient de sérieuses critiques de la part de personnes sérieuses, y compris des représentants du Barreau du Québec et de l’Association du Barreau canadien.
À titre d’ancien membre de ces deux organisations, vous pouvez supposer que j’ai pris leurs témoignages très au sérieux. J’ai soulevé certaines de ces préoccupations lors de mon discours à l’étape de la deuxième lecture, et nous pourrions entendre plusieurs de ces témoins au cours des jours à venir, mais d’autres témoins, tout aussi expérimentés et qualifiés, étaient tout à fait en désaccord avec cette modification.
Michel Drapeau, un colonel à la retraite qui est désormais avocat dans un cabinet privé, a appuyé sans réserve le projet de loi C-77 et il a fermement condamné le système actuel de procès sommaires, comme il l’a déclaré dans son témoignage :
Le système actuel de procès sommaires est injuste, car un membre peut être accusé même s’il n’y a pas de règles à l’égard des preuves, les ouï-dire sont acceptés, il n’a pas droit à un avocat, il peut être jeté en prison pour une période prolongée et il peut se retrouver avec un casier judiciaire. C’est exactement le système qui est en place à l’heure actuelle [...] J’appuie sans la moindre réserve l’abolition du système de procès sommaires prévue dans le projet de loi C-77 [...] J’espère sincèrement qu’il recevra la sanction royale avant la dissolution du Parlement.
Dans la même veine, son collègue, Me Joshua Juneau, a déclaré ceci lors de son témoignage :
Comme il porte sur les audiences sommaires, le projet de loi C-77 devrait non seulement être adopté et entrer en vigueur le plus tôt possible, mais il devrait aussi être applaudi.
Qui plus est, selon eux, le système d’audiences sommaires proposé n’est manifestement pas de nature pénale. Le ministre et les fonctionnaires ont confirmé que l’objectif est de créer un processus administratif non criminel et non pénal pour s’occuper des manquements à la discipline relativement mineurs. Ils ont rappelé au comité que, au titre du système d’audiences sommaires proposé, il n’y a pas d’accusation criminelle, pas d’accusé, pas de sanction pénale et pas de casier judiciaire.
À titre de professeur de droit — j’ai enseigné à plein temps le droit constitutionnel et le droit de la preuve pendant de nombreuses années — je suis persuadé qu’ils ont raison sur ce plan. Cependant, ce n’est pas parce qu’un processus n’est pas criminel qu’il est juste.
Certains membres du comité, dont moi-même, étaient préoccupés notamment par le fait qu’un bon nombre des détails du processus d’audiences sommaires proposé, y compris la définition de ce qui serait considéré comme un manquement d’ordre militaire, devaient figurer dans des règlements qui n’avaient pas encore été rédigés. J’ai soulevé la question dans le discours que j’ai prononcé à l’étape de la deuxième lecture, et au comité. En fin de compte, j’ai toutefois été satisfait de ce que j’ai entendu au comité.
Je suis convaincu que les avocats des Forces armées canadiennes et du ministère de la Justice qui participeront au processus de réglementation tiendront compte de toutes les considérations constitutionnelles et juridiques pertinentes lorsqu’ils définiront les infractions, les sanctions et les procédures qui formeront le nouveau processus d’audiences sommaires prévu dans le projet de loi.
À cet égard, j’ai été très encouragé par les engagements pris par le ministre, tant dans son témoignage que dans une lettre qu’il a envoyée au comité après sa comparution. Dans cette lettre, le ministre a parlé d’un engagement — c’est le mot qu’il a utilisé — de la part de la Défense nationale, qui :
Veillera à ce que les règlements relatifs au processus d’audience sommaire soient rédigés à la lumière des principes fondamentaux de la création d’un système disciplinaire non criminel et non pénal.
Honorables sénateurs, après avoir pris connaissance de l’ensemble des témoignages, je suis convaincu que cette partie du projet de loi constitue un pas dans la bonne direction et mérite d’être appuyée.
Passons maintenant au deuxième changement d’importance que propose le projet de loi C-77, c’est-à-dire l’intégration d’une déclaration des droits des victimes au code de discipline militaire figurant dans la Loi sur la défense nationale.
Il s’agit de la disposition qui a le plus retenu l’attention au comité, et tous les amendements qui ont été proposés pendant l’étude article par article portaient sur elle. J’imagine qu’elle sera aussi au cœur des interventions qui suivront la mienne, en tout cas de celle du porte-parole de l’opposition. Voilà pourquoi je tâcherai — c’est ce qui explique la durée de mon intervention, et je m’en excuse encore une fois — de vous exposer de manière aussi juste que possible la gamme complète des opinions exprimées au comité ainsi que les conclusions que j’en ai tirées.
Commençons par un fait indiscutable. Vous me permettrez sans doute de citer les paroles d’un des nombreux témoins entendus par le comité, le colonel Stephen Strickey, qui est aussi juge avocat général adjoint :
La déclaration des droits de la victime reflète aussi fidèlement que possible la Charte canadienne des droits des victimes.
C’est exact. À vrai dire, il s’agit d’une copie quasi conforme de la Charte canadienne des droits des victimes, qui a été parrainée, défendue et, comme il l’a rappelé au comité, rédigée par le sénateur Boisvenu.
L’un après l’autre, les témoins ont convenu que les deux textes sont à peu près identiques. Certains peuvent ne pas appuyer la déclaration des droits des victimes qui est proposée dans le projet de loi C-77. C’est leur droit. Certains peuvent changer d’idée, mais tous doivent convenir qu’elle reprend presque mot pour mot non seulement la déclaration canadienne des droits, mais aussi, j’ajouterais, la Déclaration des droits des victimes présentée par le précédent gouvernement vers la fin de la dernière législature.
Là où les membres de l’opposition et moi sommes assurément en désaccord, c’est sur le poids que nous donnons aux témoignages souvent divergents que nous avons entendus au comité. Cependant, nous sommes carrément en désaccord — quoique, je l’admets, cela me déconcerte encore — quant au risque que nous sommes prêts à prendre, considérant que le projet de loi, et la déclaration des droits des victimes qu’il contient, risque de mourir au Feuilleton si le projet de loi est amendé ici au Sénat. Je ne comprends simplement pas en quoi prendre le risque que le projet de loi meure au Feuilleton améliore les droits des victimes; mais je digresse.
Au comité, nous avons entendu de nombreux témoins. Certains étaient fortement en faveur de la mesure législative. D’autres avaient des réserves, mais pensaient quand même qu’il était mieux que la loi actuelle. Certains préféreraient qu’il meure au Feuilleton plutôt que d’être adopté dans sa forme actuelle. Parmi les témoins, il y avait beaucoup d’experts du domaine des droits des victimes et d’autres étaient eux-mêmes des victimes qui s’en étaient sorties.
On pourrait dire que, même si la majorité des témoins appuyaient l’intention et les objectifs du projet de loi, tous estimaient que la mesure législative pouvait être améliorée. Beaucoup ont recommandé des amendements précis. Parmi eux, il y avait Mme Heidi Illingworth, ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels, Mme Denise Preston, directrice exécutive du tout nouveau Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle — une organisation indépendante —, et le major Lindsay Rodman, ex‑juge-avocat du United States Marine Corps et spécialiste des systèmes de justice militaire américain et canadien. Néanmoins, en dépit des critiques émises, elles ont toutes convenu qu’il s’agissait d’un grand pas en avant et que le projet de loi devrait être adopté.
D’autres témoins se sont montrés plus critiques à l’égard de la mesure législative et ils ont hésité à l’appuyer sans que d’autres amendements soient apportés. Cet avis a été exprimé de manière très convaincante par des victimes d’actes d’inconduite sexuelle alors qu’elles étaient en service. Par exemple, une témoin qui a été agressée sexuellement par son commandant a déclaré que le projet de loi ne pouvait pas du tout être sauvé. J’ai été profondément ému par le témoignage de ces personnes, comme l’ont été tous les membres du comité. Ces témoins ont fait preuve de beaucoup de courage pour nous faire part de leur expérience.
Je veux vous donner une idée complète et juste des témoignages que nous avons entendus. Un certain nombre des principaux enjeux soulevés par les témoins ont donné lieu à la proposition des amendements qui ont été rejetés au comité. Vous entendrez parler de ces amendements, et peut-être d’autres, dans les interventions qui suivront. Je souhaite me prononcer à leur sujet parce que j’ai l’occasion de le faire.
La critique la plus générale et importante que les témoins ont formulée envers le projet de loi est tout simplement qu’il ne protège pas adéquatement les droits des victimes, et ce, à plusieurs égards.
Des témoins ont soutenu que le projet de loi devrait être amendé pour que les victimes se voient garantir leurs droits sans avoir à le demander, comme le prévoit en fait le projet de loi C-77. Des témoins et des membres du comité ont affirmé que, surtout dans une culture hiérarchique comme l’armée, il faut garantir aux victimes que leurs droits, y compris les droits à l’information et à l’aide, leur sont accordés de façon proactive, et pas seulement « sur demande ».
En réponse à cela, le commodore Geneviève Bernatchez, juge-avocat général, a dit ceci :
L’une des choses qui sont importantes à se rappeler [...] est que la déclaration des droits des victimes vise à s’harmoniser parfaitement avec ce qui existe déjà dans la [...] Charte canadienne des droits des victimes. Il y a des dispositions similaires qui rendent certains droits conditionnels à la volonté de la victime de s’en prévaloir.
[...] l’approche qui est adoptée ici est surtout centrée sur la victime, dans le but de prendre en compte et de respecter ses désirs. Ce n’est pas toutes les victimes qui veulent que les autorités communiquent de façon proactive avec elles [...]
Chose certaine, d’un point de vue juridique, le fait d’enchâsser cette déclaration dans la mesure législative crée une obligation explicite pour l’institution de respecter ces droits des victimes. De plus, il rend l’institution et ses intervenants responsables de respecter ces droits au moment où les victimes le demandent.
Mme Preston a ajouté ce qui suit :
Nous voulons éviter le plus possible aux victimes le fardeau d’avoir à prendre les devants et à demander cette information, mais nous souhaitons également respecter leur choix et leur donner le pouvoir de fournir seulement l’information qu’elles consentent à communiquer.
Mme Preston a aussi précisé ceci :
Nous devons aussi concilier vie privée et confidentialité […] Les données dont nous disposons montrent qu’environ 45 p. 100 des rapports sont faits par des tiers. Le vérificateur général précise clairement dans son rapport que beaucoup de victimes n’aiment pas que des tiers se manifestent en leur nom parce qu’elles ne sont pas prêtes à le faire elles-mêmes et ne veulent pas entamer un processus officiel. Ce qui est inquiétant, c’est que si des tiers se manifestent et font un rapport dans 45 p. 100 des cas — par exemple, si le Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle ou des agents de liaison prennent contact avec la victime en leur disant : « J’ai entendu dire que vous avez été victime, puis-je vous fournir de l’information? » — cela pourrait irriter celle-ci davantage ou violer sont droit à la vie privée.
C’est un vrai dilemme, honorables sénateurs, mais qui n’est pas insoluble. Les témoignages font ressortir plusieurs moyens que peuvent prendre les victimes pour obtenir l’information et l’appui nécessaires pour protéger et faire valoir leurs droits. Par exemple, Mme Preston affirme que le Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle :
[…] propose un service amélioré que les gestionnaires de cas et les coordonnateurs de l’intervention et du soutien offriront à toutes les victimes — sous réserve de leur consentement, évidemment — depuis le moment où elles se sont manifestées pour la première fois jusqu’au moment où elles n’ont plus besoin d’appui.
Il y a toutefois un facteur encore plus important. Dans la lettre du ministre à laquelle j’ai fait allusion, celui-ci :
Veillera à ce que le CIIS, la police militaire et le Service des poursuites militaires informent de manière proactive les victimes de leurs droits en vertu de cette loi, y compris le droit de demander des renseignements et de demander à tout commandant divisionnaire un ALV de leur choix.
De plus, il :
Permettra aux ALV de travailler de concert avec les coordonnateurs de l’intervention et du soutien du CIIS dans les cas d’inconduite sexuelle pour s’assurer que les victimes connaissent les ressources dont elles disposent et leurs droits en vertu de la Déclaration des droits des victimes.
Une attention considérable a également été portée au rôle de l’agent de liaison de la victime dans le projet de loi. Des témoins ont dit craindre que leur commandant ne leur impose un agent, ou que l’agent provienne de la même unité que celle au sein de laquelle l’auteur présumé de l’infraction aurait purgé sa peine. Les agents de liaison seront-ils correctement formés? Devraient-ils être des avocats? Voici ce que nous avons appris au comité.
Les responsables ont établi sans équivoque que tous les agents de liaison recevraient la formation appropriée pour être en mesure de jouer leur rôle au sein du système de justice militaire, ce que confirme la lettre du ministre au comité. Le ministre a également confirmé que la victime pourrait choisir son agent de liaison. De plus, si l’agent n’avait pas encore reçu la formation appropriée, le ministre a confirmé dans son témoignage que l’on remédierait rapidement à la situation.
En ce qui concerne la relation des agents de liaison avec la chaîne de commandement, des témoins ont fait remarquer qu’il est trompeur, voire faux, de supposer qu’il existe une relation contradictoire entre la chaîne de commandement et les individus soumis à son autorité. Lors de sa comparution à titre de témoin, le lieutenant-général Charles Lamarre s’est exprimé avec une vive passion quand il a déclaré que le rôle principal de la chaîne de commandement est de prendre soin de tous ses membres.
Plus important encore, le texte du projet de loi C-77 indique clairement que la nomination de l’agent de liaison n’est pas la prérogative du commandant de la victime ou de l’accusé. Comme l’a expliqué la commodore Bernatchez :
Le projet de loi dit clairement que c’est un commandant. Ce n’est ni le commandant de l’accusé ni le commandant de la victime. Cela donne la possibilité à un commandant de nommer un agent de liaison de la victime. De cette façon, on prend véritablement en considération l’autorité d’un commandant sur le membre qui est nommé. Le commandant doit s’assurer que le membre rende des comptes, qu’il peut accomplir sa fonction sans contrainte et qu’il est formé adéquatement pour cela. Il n’est pas prévu que l’agent de liaison de la victime doit appartenir à l’unité de la victime, à celle du contrevenant ou de l’accusé. Il est écrit « un commandant ».
En ce qui concerne la question des agents de liaison et leur statut d’avocat, les témoins ont souligné l’importance de bénéficier d’un soutien pour eux-mêmes et leur famille qui irait bien au-delà de la prestation de conseils juridiques. Néanmoins, les conseils juridiques sont très importants lorsqu’on navigue dans tout système juridique, militaire ou civil. À cet égard, la Dre Preston a évoqué un projet pilote en cours, qui vise à fournir des conseils juridiques gratuits et indépendants aux victimes dans le système de justice militaire, conseils qui représentent un complément au soutien qu’un agent de liaison pourrait également fournir.
Certains témoins ont également reproché au projet de loi de ne pas donner aux victimes le droit de s’adresser aux tribunaux pour demander réparation si elles estiment que leurs droits ont été violés. Toutefois, des dispositions identiques qui écartent un tel recours figurent également dans la Charte canadienne des droits des victimes. En outre, le projet de loi C-77 prévoit que les victimes pourront avoir recours à une procédure de plainte interne si elles estiment que leurs droits n’ont pas été respectés.
Vous entendrez dire également que les victimes n’ont pas été consultées lors de la rédaction du projet de loi — ce qui est vrai; les fonctionnaires qui ont témoigné devant le comité l’ont reconnu. Ils ont toutefois insisté sur le fait que le projet de loi avait pour objectif d’incorporer les dispositions de la Charte canadienne des droits des victimes de 2015 et que des consultations approfondies avaient eu lieu auprès des victimes avant que ce projet de loi ne soit présenté au Parlement. Néanmoins, il est clair que la situation des victimes impliquées dans le système de justice militaire diffère de celle des victimes qui doivent traiter avec le système de justice civile et que les victimes doivent faire partie du processus d’élaboration de la réglementation. Sur ce point, les témoignages étaient clairs et tout cela a été confirmé par le ministre, qui s’est engagé à veiller « à ce que l’analyse des politiques nécessaires à la rédaction des règlements comprenne des consultations avec les victimes et les principaux intervenants, comme le CIIS (Centre d’intervention en cas d’inconduite sexuelle), afin de s’assurer que tous les points de vue sont correctement pris en compte. »
Honorables sénateurs, plusieurs autres questions ont été soulevées au comité et vous en entendrez peut-être davantage au cours du débat, mais mon temps de parole tire bientôt à sa fin. Il suffit de dire que, compte tenu des témoignages que nous avons entendus et des engagements qui ont été pris par le ministre, je suis convaincu que le projet de loi C-77 est un bon projet de loi qui mérite notre soutien. Toutefois, il me reste une dernière question à soulever, car elle touche au cœur de nos responsabilités en tant que sénateurs et au choix difficile auquel nous sommes confrontés à cette étape de la vie de ce Parlement.
Vous entendrez dire que le Sénat ne remplit pas ses fonctions s’il refuse de modifier le projet de loi C-77. Le porte-parole de l’opposition a très bien expliqué cela au moment de l’étude article par article, lorsqu’il m’a reproché de ne pas avoir appuyé un amendement au projet de loi. Il a dit ce qui suit :
Si votre position est de dire qu’au départ, cela ne sert à rien de modifier ce projet de loi, que faites-vous à titre de sénateurs? Notre travail est d’améliorer un projet de loi pour qu’il corresponde aux besoins des gens les plus vulnérables de notre société, à savoir les victimes d’actes criminels. Si on décide de ne pas améliorer ce projet de loi, qu’est-ce qu’on fait ici?
La question n’est pas insignifiante. Au contraire, elle traite directement du rôle du Sénat dans notre système de démocratie parlementaire. Je me permets donc de donner la réponse suivante à la question.
Honorables sénateurs, amender un projet de loi n’est pas la seule manière dont le Sénat remplit son rôle en tant qu’organe législatif complémentaire au Parlement du Canada. En fait, amender n’est pas toujours de mise. Comme on l’a souvent affirmé dans cette enceinte, les sénateurs disposent de nombreux outils, dont nos processus et notre position en tant que sénateurs, pour attirer l’attention du public sur certaines questions.
Par ailleurs, nous pouvons annexer des recommandations et des observations à nos rapports de comité, et nous le faisons souvent, notamment dans le cas du projet de loi C-77. En outre, nous pourrions — et nous devrions — faire un bien meilleur usage de nos comités pour faire le suivi des recommandations et surveiller la mise en œuvre des lois après leur adoption.
Dans le cas du projet de loi dont nous sommes saisis, le Sénat a déjà grandement contribué au processus législatif, et ce, au profit de tous les acteurs du système de justice militaire. Premièrement, nous avons reçu des engagements clairs de la part du ministre sur plusieurs questions clés qui préoccupaient grandement tous les membres du comité. Ces engagements ont apporté des précisions sur le déroulement des prochaines étapes du processus de réforme du système de justice militaire.
En deuxième lieu, le comité a approuvé à l’unanimité une série d’observations et de recommandations qu’il a annexées à son rapport. Elles visent à orienter le processus de réglementation aux fins d’application de la loi, à indiquer clairement la voie à suivre aux autorités militaires chargées de mettre en œuvre la réforme et à établir les principes à respecter lorsqu’il s’agit de demander des comptes au gouvernement et aux militaires sur l’application de la loi. Ce sont là des réalisations concrètes dont notre comité devrait être fier.
Que dire des amendements? Un amendement a-t-il plus de poids qu’une observation ou même un engagement par écrit de la part d’un ministre? Bien sûr que oui. Cependant, honorables sénateurs, il faut être réaliste, comme diraient mes enfants.
La réalité incontournable, c’est que nous en sommes à la première semaine de juin et qu’il reste seulement quelques semaines de séance avant l’ajournement du Parlement et quelques mois avant les élections fédérales. Nous devrons donc prendre une décision difficile, mais inévitable. Devrions-nous adopter le projet de loi tel quel? Devrions-nous proposer des amendements en sachant que cela risque fort bien de condamner le projet de loi à mourir au Feuilleton? Nous pouvons regretter de devoir prendre cette décision; c’est certainement mon cas. Nous pouvons faire des reproches au gouvernement, et je sais que certains le feront. Cependant, même si nous aimerions qu’il en soit autrement, nous ne pouvons pas éviter de prendre cette décision.
Qu’avaient à dire à ce sujet les témoins que nous avons reçus? Ils ont fait part de critiques et de réserves concernant ce projet de loi. La plupart ont suggéré des amendements pour corriger les lacunes perçues dans le projet de loi. Je vais citer quelques-uns de ces témoins.
Voici ce qu’avait à dire Mme Heidi Illingworth, ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels :
J’aimerais profiter de l’occasion pour vous encourager à adopter cette mesure législative. Il est clair qu’elle est vraiment importante. Il est crucial que nous rehaussions les droits dans le système de justice militaire au même niveau que ceux qui sont accordés dans le système civil de justice.
Ex-juge-avocat du Corps des Marines, Lindsay Rodman a dit ceci au sujet du projet de loi :
[...] c’est un pas dans la bonne direction [...]
[...] je ne voudrais pas sacrifier une avancée à court terme, ne serait-ce que dans l’espoir qu’elle amène des avancées encore plus importantes dans l’avenir [...]
Le major Carly Arkell est venue témoigner à titre personnel, mais aussi en tant que survivante, et, pour elle, ce fut un choix extrêmement difficile. Elle a affirmé ceci :
Je suis déchirée par rapport à cela.
Comme l’a dit le major Rodman, si c’est un point de départ, si ce n’est que le début — car nous devons faire plus dans la façon dont nous rédigeons les politiques et les règlements pour incorporer le projet de loi, mais il y a aussi d’autres aspects et ce n’est là qu’une partie de la solution — alors oui.
Toutefois, je donne au projet de loi une très faible note. Il est à peine acceptable. Je ne suis pas même certaine qu’il satisfasse vraiment la norme, pour employer une expression militaire, mais il représente un progrès considérable. C’est mieux que rien. Toutefois, nous ne pouvons nous reposer sur nos lauriers. Nous ne pouvons nous arrêter là.
Enfin, la Dre Denise Preston a dit :
Je crois qu’il s’agit d’un projet de loi important, car il place le système de justice militaire sur un pied d’égalité avec le système de justice pénale du Canada. Ainsi, il éliminerait la perception qu’il existe un système à deux vitesses et que le système de justice militaire accorde moins d’importance ou de droits aux victimes. Je crois que c’est là une importante égalisation pour les victimes.
Évidemment, l’autre chose que j’estime importante, c’est l’inscription de ces droits dans la loi. Les inscrire dans les politiques ou les respecter en pratique, c’est une chose, mais les inscrire dans la loi élève cela à un tout autre niveau.
Honorables sénateurs, en qualité de sénateurs, nous n’avons pas à choisir entre un bon projet de loi imparfait et un meilleur projet de loi. Nous devons choisir entre ce projet de loi et aucun projet de loi. Choisir ce projet de loi, c’est faire avancer la cause de la réforme de la justice militaire et appuyer les efforts pour aider davantage les victimes dans l’armée. Choisir qu’il n’y ait aucun projet de loi, c’est maintenir le statu quo, selon lequel, dans le système de justice militaire, les victimes n’ont pas les mêmes droits que les autres dans notre système de justice. Ce n’est pas notre rôle comme membres non élus du Sénat du Canada.
Je vais conclure ainsi : durant les audiences du comité, nous avons entendu de nombreux membres des Forces armées canadiennes qui ont aussi assisté à l’étude article par article. Ils ont offert des explications d’ordre technique et des précisions sur les points soulevés. Conformément à leur rôle de représentants du ministère, ils n’ont pas présenté leur opinion sur les choix stratégiques du projet de loi ou sur la pertinence d’un amendement. Comme on pouvait s’y attendre, ils n’ont pas outrepassé leur mandat.
Par contre, au terme de l’étude article par article, après que le projet de loi ait été adopté sans amendement, l’un des représentants, une femme avec une longue et brillante carrière militaire, m’a interpellé tandis que je sortais de la salle du comité. Voici ce qu’elle m’a dit. J’avoue que je la cite de mémoire : « Merci, vous ignorez à quel point ce projet de loi est important pour nous. »
À ce moment-là, elle ne me parlait pas en tant que représentante du ministère, mais en tant que femme membre des Forces armées canadiennes.
Je dois admettre qu’à ce moment, je n’avais jamais été aussi fier d’être sénateur et d’avoir contribué à faire avancer un projet de loi au stade de l’étude en comité et — j’espère sincèrement — en voie de devenir loi.
Lors de cette étude, le Sénat n’a fait aucun compromis par rapport à ses principes et n’a pas renoncé à ses obligations. Au contraire, il a rempli son obligation constitutionnelle de veiller à ce que le Parlement adopte un projet de loi qui respecte les droits de tous les intervenants pris en charge par le système de justice militaire canadien.
Honorables sénateurs, en adoptant le projet de loi C-77, nous allons remédier aux injustices du procès sommaire, y compris le fait qu’une personne peut être accusée d’une infraction criminelle sans pouvoir faire appel à un avocat, appeler d’une décision ou même consulter la transcription des délibérations. En adoptant ce projet de loi, nous allons fournir aux militaires les outils dont ils ont besoin pour régler rapidement et efficacement les questions disciplinaires et pour maintenir le moral et la discipline au sein des forces armées.
L’adoption du projet de loi C-77 mettra surtout un terme à la situation inacceptable qui permet d’appliquer deux poids, deux mesures, puisque les victimes prises en charge par le système de justice militaire n’ont pas les mêmes droits que celles qui sont prises en charge par le système de justice civile. Agir autrement et risquer ainsi de laisser le projet de loi C-77 mourir au Feuilleton serait une trahison envers tous les militaires qui nous servent avec honneur au sein des Forces armées canadiennes. Ce n’est pas pour cela que nous avons été appelés au Sénat. Merci beaucoup.
J’ai une question pour le sénateur Gold, s’il accepte d’y répondre.
Oui.
Sénateur Gold, je souscris à la plupart de vos remarques sur ce que fait ou ne fait pas le projet de loi C-77. Toutefois, j’ai un peu de mal à comprendre pourquoi vous tenez des propos alarmistes en soutenant que si le projet de loi est amendé, il mourra au Feuilleton.
Après tout, le projet de loi C-69 a fait l’objet de 187 amendements, et un autre a été proposé ce soir. Le projet de loi C-68, qui vise à modifier la Loi sur les pêches, comporte lui aussi un certain nombre d’amendements — vous siégez pourtant au Comité des pêches —, et il sera renvoyé à l’autre endroit sous sa forme amendée. Nous attendons aussi que la Chambre nous renvoie un autre projet de loi, le C-59, qui lui a été soumis avec des amendements.
Alors, pourquoi le projet de loi C-77 est-il si spécial que le gouvernement n’envisagerait même pas d’examiner des amendements viables et appropriés? Le gouvernement vous a-t-il dit qu’il n’envisagera pas d’amendements et que le projet de loi mourra au Feuilleton s’il est amendé?
Je vous remercie de votre question. Il reste une vingtaine de jours de séance à l’autre endroit. Pour chaque projet de loi que nous y renvoyons avec des amendements, le Cabinet doit décider de la réponse du gouvernement, puis la Chambre doit en débattre et l’adopter. Même avec l’attribution de temps ou la clôture — quelle que soit l’expression exacte —, cela peut prendre deux jours de séance.
La Chambre des communes est déjà saisie d’un certain nombre de projets de loi amendés et d’autres sont à venir. Le ministre m’a avisé — et, comme vous le savez pertinemment, j’ai communiqué cette information à de nombreux membres du comité et à d’autres sénateurs — que le temps manquera tout simplement pour traiter de tous les projets de loi dont la Chambre est saisie, de tous ceux qu’elle s’attend à recevoir et des autres qui lui seront renvoyés.
On m’a également avisé — et je crois sincèrement que c’est la vérité — que, aussi important que soit ce projet de loi, son rang ne changera pas dans l’ordre de priorité. Sénateur Plett, vous avez mentionné le projet de loi C-69. Nous pourrions probablement en énumérer quelques-uns. Je pense notamment au projet de loi C-59. Il y en a d’autres.
J’ai pesé mes mots. Clairement, j’ai donné l’impression de vouloir instiller la peur, même si je ne croyais pas que c’était le cas. Je répétais ce que nous savons tous. Il existe un risque réel que le ministre a confirmé dans son témoignage et que d’autres m’ont confirmé lors de différentes discussions. J’ai communiqué les détails de ce risque aux membres de l’opposition, ainsi qu’à mes collègues et aux sénateurs non affiliés. Je ne veux pas qu’on coure ce risque.
Je crois qu’il s’agit d’un bon projet de loi qui permet de faire grandement avancer les droits des victimes au sein des forces armées et qui corrige les injustices et les problèmes de longue date du processus de procès sommaire. Comme je l’ai dit dans mon discours, même si ce n’était pas la formule la plus élégante, un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.
Je n’ai pas l’habitude de parier, sénateur Plett. Les droits des victimes et de tous ceux qui sont impliqués dans le système de justice militaire seraient gravement menacés — je ne veux absolument pas présumer des intentions de personne — et, même s’ils viennent de bonnes intentions, ces amendements mettraient en péril le projet de loi. C’est ce que je pense. C’est ce que d’autres m’ont expliqué. Honnêtement, je pense que nous en sommes tous conscients.
C’est ce qui a motivé ma décision, qui n’a pas été facile. Elle ne l’a pas été non plus pour les autres membres du comité qui en sont arrivés à la même conclusion que moi, à savoir que ce projet de loi est trop important et trop bien pensé au départ pour être mis en péril.
Encore une fois, je ne dis pas que le projet de loi n’est pas valable. Par contre, quand nous trouvons des façons d’améliorer quelque chose, vous nous dites que le gouvernement Trudeau dit, « non, nous ne sommes pas intéressés à entendre parler d’améliorations possibles ». Est-ce là que le gouvernement Trudeau vous a dit à vous et au sénateur Pratte à propos du projet de loi C-71, veillez à ce que le projet de loi C-71 revienne sans amendements? Il ne dit pas cela pour toutes les mesures législatives. Peut-être que quelqu’un, vous, le sénateur Harder ou quelqu’un d’autre, pourrait nous dire quels sont les projets de loi que nous avons le droit d’amender. Sénateur Gold, je pense qu’il nous incombe d’examiner cette mesure législative avec attention compte tenu du fait que vous nous dites de ne pas oser y toucher.
Nous ferions mieux de découvrir pour quelle raison nous ne devrions pas l’amender et nous devrions peut-être l’examiner d’un peu plus près que ce que j’avais prévu au départ aujourd’hui.
Je vous remercie de votre question, sénateur Plett. Je pense que vous avez mal compris ce que j’ai dit. Soyons clairs : le gouvernement Trudeau ne m’a rien dit. Je n’ai pas ce genre de relation avec le premier ministre ou le gouvernement. Je me ferai un plaisir de m’expliquer, si c’est important. J’ai communiqué avec le ministre au début de la semaine — je suppose que j’ai commis un péché dont je n’étais pas au courant.
En tant que parrain du projet de loi, j’ai communiqué avec le ministre parce que je voulais mieux comprendre sa réceptivité aux amendements. J’ai pris cet engagement auprès des membres du comité qui m’ont indiqué qu’ils allaient présenter...
Je m’excuse, sénateur Gold, mais votre temps de parole est écoulé. Je sais qu’il y a au moins un autre sénateur qui souhaite vous poser une question.
Demandez-vous cinq minutes de plus?
Je demande cinq minutes de plus.
Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Je me suis engagé auprès du porte-parole de l’opposition et d’un de mes collègues, qui était préoccupé par des aspects du projet de loi, de déterminer la réceptivité du gouvernement aux amendements.
J’ai pensé qu’il était approprié que je le fasse en tant que parrain du projet de loi, étant donné que nous disposions de relativement peu de temps.
J’ai finalement pu parler au ministre, qui était de retour d’un voyage à l’étranger. Il a confirmé ce qu’il avait déjà dit au comité : compte tenu du peu de jours de séance restant, il y a un risque réel que le projet de loi, s’il devait être amendé, meure au Feuilleton. L’autre endroit n’aurait tout simplement pas le temps de s’y rendre après l’étude de tous les autres projets de loi qui le précèdent.
J’ai transmis cette information à tous les sénateurs intéressés du comité et à d’autres collègues au cours de la fin de semaine. Je ne mène pas ici une campagne de peur. Je ne siège au Sénat que depuis deux ans et demi. Un grand nombre d’entre vous sont ici depuis beaucoup plus longtemps. Vous savez très bien comment les choses se passent dans les derniers jours d’une législature. Le gouvernement précédent en était bien conscient lorsqu’il a présenté une déclaration identique des droits des victimes — le même titre, le même libellé, la même demande de droits, la même absence de recours — à quatre jours de l’ajournement. Personne ne s’imaginait que le projet de loi pourrait être adopté à toute vapeur.
Dans ce cas particulier, nous devons composer avec les contraintes, les impératifs et les défis du calendrier. Je ne m’excuserai pas de penser que c’est la chose responsable pour nous, sénateurs, peu importe notre caucus, notre groupe parlementaire ou notre idéologie, que d’avoir un regard clair et honnête sur le fait que, dans ce cas particulier, malheureusement, nous pourrions être confrontés à un choix difficile.
Prétendre le contraire, c’est faire passer la rhétorique avant la rationalité. C’est sacrifier non seulement les principes, mais aussi les intérêts réels des êtres humains qui servent notre pays avec honneur sur l’autel d’un pari. C’est un pari que je ne suis pas prêt à accepter.
Je remercie l’honorable sénateur de ses observations. Je partage les questions de mon collègue quant aux motifs que vous avez invoqués pour dire qu’il est préférable de ne pas amender le projet de loi. Nous pourrions nous retrouver dans une situation très difficile si le projet de loi s’avère mauvais parce que le Sénat ne l’a pas examiné convenablement. C’est ce que je pense. Toutefois, ma question est la suivante : Comment le comité s’y est-il pris pour comparer ce projet de loi à ce qui se fait dans d’autres pays? Le système de justice militaire est toujours considéré comme étant sacro-saint et distinct du système de justice ordinaire un peu partout dans le monde.
Je ne suis jamais rassurée de voir le gouvernement libéral s’ingérer dans nos forces armées, et c’est ce qu’il est en train de faire. J’aimerais vraiment connaître les résultats de la comparaison entre les pays. Avez-vous examiné la situation? Notre système est-il meilleur ou pire que celui d’autres pays?
Je vous remercie de votre question, sénatrice. Certains témoins ont comparé ce qui se fait ici et ailleurs, mais ce n’est pas suffisant pour tracer un portrait global des pratiques de par le monde.
Le major et juge-avocat Lindsay Rodman, dont j’ai parlé plus tôt et qui a passé du temps au Canada à titre de chercheuse invitée dans une université, a établi certaines distinctions avec le système américain. Elle nous a aussi expliqué comment ce système et le nôtre ont évolué en parallèle.
L’une des choses qui est ressorti de l’étude du comité, du moins en ce qui concerne la déclaration des droits des victimes... il s’agit d’un projet de loi compliqué qui comporte beaucoup d’éléments disparates. À propos des droits des victimes, on a constaté que l’on tentait de littéralement réintroduire — j’allais dire « au mot près », mais je ne voudrais pas qu’on m’en tienne ensuite rigueur — la section de la déclaration des droits des victimes qui est morte au Feuilleton en 2015. Ce document reprenait à peu près mot pour mot la déclaration civile des droits des victimes qui a été présentée à la dernière législature.
Que cette section fasse l’objet d’autant d’attention a pris par surprise de nombreux témoins et fonctionnaires — et moi aussi, je dois l’avouer. Le texte d’origine n’était pas parfait, celui-là ne l’est pas non plus, mais il s’agit malgré tout d’un grand pas en avant.
Vous vous rappellerez que la Charte canadienne des droits des victimes exclut expressément les militaires. C’est écrit noir sur blanc. Voilà pourquoi, je suppose, le gouvernement précédent a présenté un projet de loi pour les forces armées, mais, comme je l’ai dit, il l’a littéralement présenté quatre jours avant la fin de la législature.
On n’a pas beaucoup comparé la Charte des droits des victimes avec celle d’autres pays. On a jugé que ce n’était pas nécessaire. On a simplement tenté de corriger une erreur ou de combler une lacune qui avait été laissée dans la loi lors de la législature précédente.
En ce qui a trait au système des procès et des audiences sommaires, c’est vraiment le fruit de quelques années de consultations auprès de la chaîne de commandement, qui ont été entamées par le Cabinet du juge-avocat général. Merci.
Sénateur Gold, votre temps de parole est de nouveau écoulé. Vous ne demandez pas plus de temps, n’est-ce pas?
Non, je ne crois pas.