Le Code criminel—La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents
Rejet de la motion d'amendement
13 juin 2019
Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :
Que le projet de loi C-75, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié, aux pages 110 et 111, par suppression des articles 269 et 270.
Merci.
Le sénateur Sinclair a la parole.
Je voudrais faire quelques brèves observations sur ce que vient de dire la sénatrice Batters. Plus précisément, je vais me concentrer sur la question de la récusation péremptoire dans le projet de loi C-75. Nous aurions pu discuter de beaucoup d’autres dispositions de la mesure législative. Toutefois, comme ses remarques portaient uniquement sur cet aspect, je m’en tiendrai à celui-ci.
J’ai relevé un point intéressant dans les présentations que les divers témoins ont soumises au comité à propos des dispositions du projet de loi C-75 sur la récusation péremptoire. L’argument le plus fort des intervenants en faveur de l’utilisation et du maintien de la récusation péremptoire était qu’elle pouvait servir à poursuivre la discrimination. Ce que je veux dire, c’est qu’on nous a répété à maintes reprises que, si la récusation péremptoire était abolie, l’avocat qui défend un accusé autochtone perdrait le droit de récuser des Blancs d’un jury pour que celui-ci compte davantage d’Autochtones. Cette pratique représente un acte de discrimination. Bien sûr, on a d’abord relevé le problème dans les cas où la récusation péremptoire sert à retirer des Autochtones du tableau des jurés, ce qui fait l’objet d’études depuis la fin des années 1980. En ce qui concerne les jurés noirs non autochtones, ces cas de figure ont été analysés dans des commentaires sur des affaires aux États-Unis ainsi que dans d’autres études.
Les récusations péremptoires ne sont nullement régies par le Code criminel. Elles permettent essentiellement à l’avocat de la défense de dire, sans le faire à voix haute, qu’il n’aime pas une personne ou son air et que, par conséquent, il ne veut pas qu’elle fasse partie du jury. On a déjà eu recours à la récusation péremptoire pour empêcher les femmes de faire partie d’un jury lorsque l’affaire devant le tribunal était liée à un viol ou à une agression sexuelle sous prétexte que les femmes allaient éprouver de la compassion pour la victime. Lorsque des études ont démontré que, au contraire, dans certains cas, les femmes étaient plus sévères envers les victimes de sexe féminin, les avocats ont décidé de laisser tomber cette manière d’aborder les choses.
Par le passé, les récusations péremptoires ont été un moyen de permettre la discrimination. Elles n’ont pas été utilisées uniquement pour cela, mais elles ont toujours été entachées par le fait qu’elles étaient utilisées pour faire de la discrimination contre les femmes, les gens de couleur et maintenant, à ce qu’il paraît, contre les personnes de race blanche.
La réalité, c’est que tout cela a eu pour effet d’encourager les pays du monde entier à examiner sérieusement le recours aux récusations péremptoires et à retirer celles-ci de leur système. En 1988, l’Angleterre a supprimé le droit de recourir aux récusations péremptoires. Dans les procès criminels en Nouvelle-Zélande, en Australie et dans d’autres pays du Commonwealth, il est également interdit de recourir aux récusations péremptoires.
La raison la plus simple est que l’objectif du système de jury est de créer un bassin adéquat en allant chercher les bonnes personnes au sein de la collectivité. Si les membres du jury sont ainsi choisis dans un bassin représentatif de la collectivité, le jury sera représentatif de la collectivité appelée à juger l’accusé.
Il est arrivé que cette méthode ne soit pas à l’avantage de l’accusé. Lorsque nous avons étudié la question des jurys dans les communautés autochtones en vue de la production du rapport de la Commission d’enquête sur l’administration de la justice en 1991, rapport dont j’étais coauteur, une chose que nous avions mise en relief était que la sélection de gens des collectivités nordiques pour faire partie des bassins de jurés était compliquée parce que les distances que les gens doivent parcourir pour se rendre à l’endroit où a lieu le procès sont telles que c’est un réel problème pour de nombreuses personnes. La question des langues posait aussi problème. En outre, aucune aide financière n’était offerte à des personnes qui devaient se rendre dans une municipalité à 100 milles d’un centre urbain afin de couvrir leurs frais d’hébergement et de repas pendant qu’elles attendaient de savoir si elles seraient choisies pour faire partie du jury. Parfois, des gens dans le Nord qui ne trouvent que des emplois temporaires rataient une occasion d’embauche parce que c’est pendant qu’ils étaient jurés que le seul emploi qu’ils auraient pu trouver dans la communauté pendant la saison a été offert, et ils ne recevaient aucune compensation pour leur travail de juré. C’est de cette façon que les bassins de jurés étaient créés.
Le fait qu’une personne inscrite sur la liste des jurés puisse être convoquée dans le cadre du processus de sélection au hasard pour que les avocats déterminent s’ils souhaitent qu’elle fasse partie du jury, puis fasse l’objet de discrimination en raison de sa race, semblait encore plus injuste. Nous avons donc recommandé l’élimination des récusations péremptoires, comme cela s’est fait en Angleterre, en Australie et en Nouvelle-Zélande.
Je suis fier de vous informer du fait que le système de justice pénale de la Nouvelle-Zélande, de l’Australie et de l’Angleterre n’est pas devenu un enfer. Il ne s’est pas effondré. Chacun continue d’y obtenir un procès équitable. Des gens sont toujours inscrits sur les listes de jurés et convoqués pour faire partie d’un jury. C’est fait de manière équitable, sans que des récusations péremptoires soient utilisées à des fins de discrimination contre eux. La réalité, c’est que l’élimination des récusations péremptoires n’a pas nui au système dans ces pays.
L’arrêt Batson, aux États-Unis, que la sénatrice a mentionné, dit que les juges doivent superviser l’utilisation des récusations péremptoires pour s’assurer qu’elles ne sont pas utilisées à des fins de discrimination. Or, des études récentes montrent que les juges sont négligents lorsqu’il s’agit d’empêcher les tactiques discriminatoires des avocats, qui ne sont pas tenus de divulguer les raisons pour lesquelles ils écartent un candidat juré ou refusent qu’il fasse partie du jury.
Donc, en réalité, la récusation péremptoire est une source d’iniquité envers bien des communautés et elle est injuste envers les gens appelés à faire partie d’un jury qu’on renvoie ensuite chez eux. « Nous ne voulons pas de vous parce que — dans l’esprit de l’avocat — nous n’aimons pas votre race, vous n’êtes pas du bon sexe », ou toute autre raison.
Ce que nous disons dans le rapport de l’enquête sur l’administration de la justice et les Autochtones et ce que dit ce projet de loi, c’est qu’il est temps de mettre fin à cette situation. Cela ne va pas paralyser le système de justice pénale. Les gens vont continuer d’avoir droit à un procès équitable avec un jury composé de leurs pairs, un jury représentatif de la population de l’endroit où l’infraction a été commise et d’où ils viennent.
Il n’y a aucune raison pour que nous laissions cette pratique discriminatoire continuer, et j’encourage tous les sénateurs à voter contre l’amendement proposé.
Merci.
Sénateur Sinclair, accepteriez-vous de répondre à une question?
Certainement.
Sénateur Sinclair, j’aimerais revenir sur quelques-uns de vos commentaires.
Quand vous avez parlé des procès pour agression sexuelle, vous avez indiqué que, par le passé, cette pratique pouvait être employée pour exclure les femmes des jurys. Pour ma part, j’ai plutôt observé l’inverse. Au cours des dernières années, j’ai assisté à de nombreux procès devant jury pour agression sexuelle et j’ai parlé de cet aspect de la question à de nombreux avocats et juges qui ont exercé leur profession plus récemment que moi devant un tribunal pénal.
J’ai constaté que, dans les procès pour agression sexuelle où il y a peut-être une femme victime, les avocats des deux parties — en particulier les procureurs de la Couronne — utilisent le processus de récusation péremptoire pour s’assurer que le jury comprend des femmes. Simplement, en raison du processus aléatoire selon lequel les jurys sont constitués au Canada, il peut arriver que, dans un procès pour agression sexuelle, le jury se compose presque exclusivement d’hommes — par exemple, 10 jurés sur 12.
J’ai vu des responsables avoir recours au processus de récusation péremptoire pour que les jurys soient plus diversifiés grâce à la présence non seulement de membres de groupes racialisés, mais aussi de femmes.
N’êtes-vous pas d’accord pour dire qu’avec le temps et l’évolution de la société, alors que nous nous efforçons toujours d’éliminer les mythes et les stéréotypes concernant les personnes racialisées, les femmes et les membres des autres minorités visibles, ces types de changements sont utiles? N’êtes-vous pas d’accord pour dire qu’on a souvent recours au processus de récusation péremptoire pour garantir que les jurys comprennent des femmes?
Je vous remercie beaucoup de la question, honorable sénatrice. Je crois que c’est ce que j’ai fait valoir. Je soupçonne que votre fréquentation des tribunaux date d’après la période que j’ai évoquée, c’est-à-dire les débuts du recours aux jurys au Canada, dans les années 1950 et 1960. Selon les rapports de l’enquête sur l’administration de la justice et les Autochtones ainsi que des preuves anecdotiques, les avocats — masculins — écartaient alors souvent les femmes des jurys dans les procès pour agression sexuelle parce qu’ils craignaient qu’elles aient un parti pris favorable à l’endroit d’une victime qui serait elle aussi une femme.
Des études menées par la suite ont montré que celles qui étaient écartées du jury étaient en fait moins favorables que les hommes aux victimes féminines. Le nombre de femmes qui apparaissaient aux tableaux des jurés a alors soudainement augmenté. Je soupçonne que c’est ce qui se passait dans les tribunaux à l’époque que vous évoquez.
Ce qu’il faut surtout retenir, c’est qu’en l’occurrence, pour justifier le maintien d’un processus de récusation péremptoire, on affirme encore une fois qu’il faut permettre aux avocats de continuer à faire preuve de discrimination à l’endroit d’un groupe particulier parce que l’on veut qu’un autre groupe soit représenté au sein du jury. Le recours à des pratiques discriminatoires fondées sur des mythes et des stéréotypes devrait être dénoncé lors de la sélection des jurés, et non encouragé et maintenu.
En tant que juge, j’ai présidé à des centaines de procès devant jury. Je vous assure que je suis un fervent défenseur du système de jury. J’y crois d’autant plus que j’ai eu souvent l’impression que les jurés en étaient venus à une décision que je n’aurais pas prise moi-même en ma qualité de juge, mais qu’ils avaient prise parce que c’étaient des membres représentatifs de la collectivité. Il leur revenait de prendre cette décision. Il s’agissait de leur rôle, donc je l’acceptais.
C’est exactement ce que nous essayons de faire, c’est-à-dire constituer un jury représentatif de la collectivité. Heureusement, nous n’avons pas à nous préoccuper autant des problèmes qui étaient fréquents dans les années 1950 et 1960, où les avocats ne tenaient pas compte des femmes. Ce que nous essayons de faire, c’est constituer un jury représentatif.
Dans votre discours, vous avez parlé, entre autres, de la liste des jurés. Je partage votre avis à ce sujet, il y a actuellement de gros problèmes avec la constitution adéquate de ces listes au Canada. C’est attribuable en grande partie aux différentes lignes directrices provinciales, mais le projet de loi C-75 ne traite pas vraiment de la question.
N’êtes-vous pas d’accord pour dire que, dans le cadre de ce processus, certains des correctifs à apporter relèvent de la compétence des gouvernements provinciaux et de la façon dont ils essaient de trouver des gens d’une collectivité particulière pour constituer un jury? Il y a de nombreux changements à apporter pour constituer correctement une liste des jurés, et il vaudrait peut-être mieux procéder ainsi plutôt que de modifier le processus de sélection.
Honorable sénatrice, je vous remercie une fois de plus de votre question, et d’avoir soulevé ce point.
En réalité, la meilleure façon d’assurer l’équité de la liste des jurés et du tableau des jurés — c’est-à-dire les personnes qui composent le jury —, c’est de s’assurer d’avoir un meilleur processus de sélection des jurés que celui qui est actuellement en place. L’objectif est clairement de régler le problème qui découle du fait que la procédure pénale donnant lieu à un procès devant jury est divisée. Les provinces ont compétence sur la façon dont les listes des jurés sont créées. D’ailleurs, de nombreuses provinces utilisaient auparavant les listes municipales ou les listes de membres des bandes. De plus en plus de provinces se tournent désormais vers l’utilisation des listes des réseaux de santé de sorte que les personnes qui ont un numéro d’assurance-maladie sont convoquées pour être jurés à un procès ou pour être inscrites sur la liste. La liste des jurés devient ainsi représentative de la collectivité d’où proviennent ses membres.
Si la liste des personnes aptes à être des jurés n’est pas représentative, il y a de bonnes chances que le tableau des jurés lui-même ne soit pas représentatif. Nous devons nous assurer du caractère représentatif du tableau par un autre moyen que la récusation péremptoire. Si on utilise le processus de sélection des jurés — qui est, comme vous le savez, madame la sénatrice, un processus de tirage au sort dans lequel on pige littéralement votre nom au hasard —, on vous appelle et vous faites alors partie du jury, ce qui peut permettre d’avoir un tableau de jurés constitué de 12 hommes ou de 12 femmes. Voilà la façon dont nous procédons actuellement. Jusqu’à ce que nous trouvions une meilleure solution, c’est ce que nous allons devoir...
Le temps de parole est écoulé, honorables sénateurs. Madame la sénatrice Batters, souhaitez-vous demander plus de temps?
J’ai une autre question à poser.
Monsieur le sénateur Sinclair, accepteriez-vous de répondre à d’autres questions?
Oui, je suis prêt à répondre à la question. C’est toutefois à la Chambre de décider si je peux avoir plus de temps.
Accordons-nous cinq minutes de plus, honorables sénateurs?
Votre Honneur, j’entends un « non ».
Désolée, je n’avais pas entendu le « non ». Nous n’accordons pas plus de temps.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
L’honorable sénatrice Batters, avec l’appui de l’honorable sénateur Mockler, propose en amendement que le projet de loi C-75 ne soit pas lu pour la troisième fois maintenant, mais qu’il soit modifié aux pages...
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement?
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
À mon avis, les non l’emportent.
Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?
Quinze minutes.
Quinze minutes.
Quinze minutes. Le vote aura lieu à 16 h 53.
Convoquez les sénateurs.