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Projet de loi de mise en œuvre de l’Accord Canada--États-Unis--Mexique

Deuxième lecture

13 mars 2020


L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition)

Honorables sénateurs, je devais prendre la parole à l’étape de la troisième lecture, mais je peux le faire maintenant. Je ne pense pas qu’il va s’écouler beaucoup de temps entre la deuxième et la troisième lecture. Il se peut que je répète certains des commentaires exprimés par le sénateur Smith.

Chers collègues, d’entrée de jeu, je dois reconnaître que la période actuelle est très inusitée et peut s’avérer très déconcertante. Le Sénat et l’ensemble du Parlement accordent la priorité absolue à la santé et à la sécurité de tous les Canadiens. Les circonstances extraordinaires actuelles nous poussent aujourd’hui à prendre des mesures préventives qui sont nécessaires pour le bien public.

Je souhaite transmettre mes meilleurs vœux au premier ministre, à sa femme, ainsi qu’à toute sa famille en cette période où ils sont touchés directement par les effets de la COVID-19. Je suis sûr que vous vous joindrez tous à moi pour offrir nos pensées et nos prières à la famille du premier ministre en ce moment où elle doit prendre les mesures nécessaires pour protéger sa santé.

Je sais que d’autres parlementaires ont aussi décidé de s’isoler, comme Jagmeet Singh. Je les félicite de leur décision. Nos pensées et nos prières accompagnent des parlementaires, ainsi que tous les Canadiens qui sont aux prises avec des difficultés et de l’incertitude pendant cette période. Chers collègues, nous ferons tout ce qui est nécessaire dans ces circonstances.

Cependant, il convient de souligner que l’urgence créée par l’adoption du projet de loi C-4 aurait pu être évitée. C’est le gouvernement qui contrôle le programme législatif; c’est regrettable qu’il n’ait pas mieux géré le processus législatif pour donner au Parlement le temps nécessaire pour examiner comme il faut ce projet de loi.

Nous reconnaissons tous l’importance fondamentale de nos relations commerciales avec les États-Unis. En effet, environ 75 % des échanges commerciaux internationaux du Canada se font avec un seul pays : les États-Unis d’Amérique. Des centaines de milliers d’emplois canadiens dépendent des échanges avec nos voisins au sud. Si l’on ajoute les échanges entre le Canada et le Mexique à l’équation, on parle de retombées économiques encore plus importantes, puisque le Mexique se classe parmi les cinq partenaires commerciaux les plus importants du Canada.

Il ne fait absolument aucun doute qu’un accord qui assure au Canada l’accès aux marchés états-uniens est essentiel pour le bien de notre économie. Dans ce contexte, les conservateurs appuieront évidemment l’Accord.

Néanmoins, il y a lieu pour nous tous de nous interroger sur certains aspects de cet accord en particulier. En tant que parlementaires, nous devrons surveiller ces questions pendant les années à venir.

Premièrement, le gouvernement applaudit l’Accord comme étant une grande victoire, grâce à laquelle le Canada a grandement amélioré sa position commerciale dans l’Amérique du Nord.

Je ne suis pas certain que les témoignages que nous avons entendus vont dans ce sens. Le gouvernement a déclaré que l’accord « assure des gains de PIB de l’ordre de 6,8 milliard[s] de dollars [...] ou [0,249 %], qui seraient perdus dans l’éventualité d’un retrait des États-Unis de l’ALENA. »

En d’autres termes, le gouvernement a mesuré les gains obtenus dans le cadre de cet accord par rapport à l’absence pure et simple d’ALENA. Il suppose que la solution de rechange serait l’absence de toute forme d’accord. Cela suppose que le Congrès américain et les États du nord des États-Unis auraient simplement accepté qu’il n’y ait pas d’accord avec le Canada.

Ce scénario aurait été désastreux pour l’économie américaine. Il est difficile d’imaginer que les États-Unis eux-mêmes auraient préféré cette issue. C’est pourtant en fonction de ce scénario que le gouvernement jauge l’accord commercial qu’il a négocié.

L’Institut C.D. Howe n’a pas accepté cette approche pour l’analyse des gains ou des pertes dans le cadre de l’accord. L’analyse entreprise par l’Institut C.D. Howe compare l’accord dont nous sommes saisis à l’actuel ALENA. Selon cette analyse, l’Institut C.D. Howe conclut que :

Le PIB réel du Canada devrait diminuer de -0,4 % et le bien-être économique, chuter de plus de 10 milliards de dollars américains.

C’est certainement une analyse moins reluisante que celle que propose le gouvernement.

Nous sommes également conscients que certains secteurs canadiens éprouveront des difficultés, peut-être même de grandes difficultés, dans le cadre de cet accord. Le gouvernement a accordé un accès accru à notre marché laitier aux producteurs américains, qui sont fortement subventionnés par le gouvernement fédéral américain. Le gouvernement n’a absolument rien obtenu au chapitre des subventions américaines dans leur secteur agricole. Pourtant, il a considérablement accru l’accès des producteurs américains au marché canadien.

Nos agriculteurs n’ont toujours pas vu les détails du programme d’aide que le gouvernement a promis aux agriculteurs. C’est extrêmement décevant. Les agriculteurs ont besoin de certitude, comme toute autre entreprise.

Le gouvernement connaît les détails des dispositions agricoles de l’accord depuis plus d’un an. Pourtant, les agriculteurs sont toujours privés de la certitude dont ils ont besoin. Nous devrions tous être grandement préoccupés par la situation.

Dans un autre domaine, il est très clair qu’on n’a pas obtenu pour l’industrie canadienne de l’aluminium les mêmes avantages que pour les producteurs canadiens d’acier dans le cadre de l’accord. Alors que l’acier d’origine nord-américaine doit être « fondu et coulé » en Amérique du Nord pour être considéré comme de l’acier d’origine régionale, des dispositions semblables n’ont pas été adoptées pour l’aluminium. Nos négociateurs nous ont dit que le Mexique n’appuierait tout simplement pas de telles dispositions. Je pense toutefois qu’il est plus révélateur que les Américains n’aient pas appuyé notre position dans ce dossier.

Pourquoi n’avons-nous pas réussi à obtenir l’appui des Américains? Ce point montre pourquoi l’approche adoptée par le gouvernement canadien dans le cadre de ces négociations m’inquiète profondément. Il est arrivé à plusieurs occasions que la vice-première ministre fasse, en public, des déclarations désobligeantes à l’endroit du président actuel des États-Unis.

Au milieu des négociations, elle a même assisté à une conférence intitulée « Comment s’attaquer au tyran », où le président des États-Unis a été comparé à plusieurs dictateurs dans le monde. Je sais que chaque personne a sa propre opinion de l’administration américaine actuelle, mais il était grandement irresponsable, de la part de la principale ministre canadienne, d’agir ainsi au milieu de négociations extrêmement délicates, puisque cela risquait de nuire aux intérêts du Canada. Il faut se demander si la position du Canada dans ces négociations en a souffert.

Je crois que nous devrions probablement être soulagés d’avoir conclu un accord, mais je ne suis pas convaincu que nous ayons obtenu les meilleurs résultats qu’il était possible d’obtenir.

Par ailleurs, nous savons que plusieurs secteurs clés au Canada seront confrontés à de nouveaux défis en raison de cet accord. Les parlementaires se doivent de suivre ces défis de près au cours des prochaines années, selon moi. Le Parlement aura pour tâche de voir à ce que le gouvernement ne se contente pas de faire le nécessaire pour que le Canada profite pleinement de cet accord, mais pour qu’il soutienne aussi les secteurs que l’accord aura rendus plus vulnérables. Les sénateurs conservateurs suivront assurément cette situation de près.

J’ose croire que tous les sénateurs ici présents s’y emploieront également. Merci.

Son Honneur le Président [ - ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

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