Le Sénat
Motion tendant à ce que le Sénat se forme en comité plénier afin de recevoir un ou des ministres pour discuter du rôle que joue le gouvernement dans le combat contre le racisme--Débat
17 juin 2020
Conformément au préavis donné le 16 juin 2020, propose :
Que, nonobstant toute disposition du Règlement ou pratique habituelle, au début de l’ordre du jour de la séance qui suit l’adoption du présent ordre, le Sénat se forme en comité plénier afin de recevoir un ministre ou des ministres de la Couronne afin de discuter du rôle que joue le gouvernement du Canada dans le combat contre le racisme envers les Noirs et les Autochtones, et pour mettre fin au racisme systémique;
Que le comité fasse rapport au Sénat au plus tard 120 minutes après le début de ses travaux;
Que l’application des dispositions de l’article 3-3(1) du Règlement soit suspendue pendant que le comité siège;
Que l’application de toute disposition du Règlement ou ordre antérieur concernant la levée de la séance soit suspendue jusqu’à la fin des travaux du comité;
Que la sonnerie pour tout vote reporté qui entrerait en conflit avec le comité soit différée jusqu’à la fin des travaux du comité.
— Honorables sénatrices et sénateurs, le racisme systémique est ici présent.
Je demanderais à tous les honorables sénateurs de porter leurs écouteurs, car il est plus important que jamais qu’ils me comprennent. Merci.
La vie des Noirs compte; la vie des Autochtones compte.
Si je vous prie de bien tendre l’oreille aujourd’hui et de bien écouter la traduction, c’est parce que, en tant que femme, noire, francophone, j’ai parfois l’impression que ma voix, comme celle de la communauté, n’est pas entendue. Alors, comment espérer être comprise par la majorité, si on ne prend même pas la peine d’être systématiquement écouté?
Je demande aujourd’hui que notre Sénat constitue un comité plénier afin d’étudier la question urgente du racisme systémique au Canada. C’est un moment historique pour enfin régler cette question du racisme. J’espère que personne ici ne bâillonnera l’occasion de gagner le respect de la population que nous devons servir.
Pourquoi est-ce urgent aujourd’hui? La rue nous parle d’un océan à l’autre, et divers ordres de gouvernement ont déjà reconnu, étudié et reçu bien des recommandations pour mettre fin au racisme systémique. Un comité plénier n’est qu’une démarche parmi tant d’autres que nous devons absolument entreprendre pour éviter que des événements regrettables, comme la mort de George Floyd, Fredy Villanueva, Bony Jean-Pierre, André Benjamin, Regis Korchinski-Paquet et bien d’autres, ne se reproduisent. Ces actes brutaux de racisme ont été révélés au grand jour ces dernières années. Ils ne représentent qu’une infime partie du racisme que les Canadiens noirs subissent tous les jours. Devant les microagressions quotidiennes ou les actes haineux plus rares, mais tragiquement mortels que nous avons vus dans certaines vidéos en ligne, de nombreux Canadiens blancs prennent aujourd’hui conscience de la nature systémique et insidieuse du racisme dans notre pays. De récentes manifestations publiques dans tout le Canada, ainsi que des campagnes en ligne, témoignent d’une volonté en plein essor de comprendre les causes et les manifestations de ce phénomène pernicieux et répandu. Il y a péril en la demeure au Canada. Nous devons passer outre l’apitoiement et agir. Si rien n’est fait au pays, nous serons encore des témoins immobiles devant l’histoire qui se répète.
Comme le disait l’honorable Claude Carignan à l’honorable André Pratte, le but du Sénat, entre autres, c’est d’attirer l’attention du public sur un point de vue. Pour ma part, j’ajouterais que le public a attiré notre attention sur ce sujet. Nous devons entreprendre un dialogue ouvert et public.
L’heure est venue d’engager nos énergies afin d’éradiquer le racisme systémique. Nous devons, lors de chaque étude de projet de loi ou d’autres études, et ce, dans chaque comité, faire une place à une analyse des impacts sur les communautés racisées.
Comme le soulignait Francine Pelletier dans le journal Le Devoir ce matin :
Le premier ministre Justin Trudeau, la mairesse Valérie Plante, le chef de police du SPVM, Sylvain Caron, et jusqu’au dictionnaire Merriam-Webster reconnaissent tous désormais le caractère systémique du racisme. La mort de George Floyd a eu l’effet de remettre les pendules à l’heure.
De la même façon que l’affaire Harvey Weinstein est venue tout à coup souligner l’ampleur du phénomène des agressions sexuelles, le faisant passer d’une série d’anecdotes à un drame social d’envergure pour les femmes, la lente agonie d’un homme noir aux mains d’un policier blanc a finalement révélé l’affaire pour ce qu’elle était : un abus de pouvoir qui se répète ad nauseam plutôt qu’une simple bavure policière. Aux États-Unis, on interpelle, on arrête, on bat, on incarcère et, finalement, on tue les Noirs de façon éhontée. C’est un fait bien documenté. On peut en dire autant des Autochtones dans ce pays. Au cours des trois derniers mois, huit Autochtones ont été tués par la police canadienne. Ce n’est pas un simple hasard.
Cela peut vous étonner, mais nous en sommes malheureusement encore à la case départ, toujours à nous demander si le Canada possède une seule et même définition du racisme systémique. J’ai souri quand j’ai lu cet article. Il est temps de mettre de l’ordre dans tout cela et que toutes les agences et tous les ministères s’accordent sur une seule et même définition. J’espère interpeller les ministres afin qu’ils nous fournissent des informations sur les mesures déjà prises et pour obtenir un plan concret avec un échéancier visant à mettre fin au racisme systémique.
C’est assurément un vaste chantier. La déclaration du Caucus des parlementaires noirs, que j’ai tenté sans succès de déposer à la Chambre, propose des gestes concrets dans le but d’atténuer les conséquences du racisme systémique. Dans ce document, le Caucus des parlementaires noirs demande à tous les ordres du gouvernement du Canada : 1) de mesurer l’ampleur de la discrimination systémique par la collecte de données axées sur la race; 2) d’aider les Canadiens noirs en favorisant la prospérité de tous par des mesures de soutien des entreprises appartenant à des Noirs ou dirigées par des Noirs; 3) d’éliminer les obstacles qui empêchent les Canadiens noirs ou autochtones d’avoir accès à la justice ou à la sécurité publique; 4) de rendre l’administration publique plus efficace en veillant à ce qu’elle reflète la diversité de la population qu’elle dessert; 5) de reconnaître l’apport artistique et économique des Canadiens noirs, et soutenir leur culture et leur patrimoine.
Comme vous l’avez entendu, nous y évoquons la collecte des données statistiques détaillées pour bâtir des politiques éclairées et informées touchant les communautés racisées.
Nous proposons aussi des outils économiques à mettre de l’avant, qui devraient nous aider à examiner de façon critique les budgets présentés et les dépenses du gouvernement. De plus, nous abordons les réformes nécessaires au sein des ministères de la Justice, de la Sécurité publique et du Patrimoine, pour que nous puissions contribuer ensemble à bâtir de nouvelles fondations pour un Canada plus inclusif.
Chers collègues, même la pandémie de COVID-19 nous met le racisme systémique sous le nez. L’exemple du décès de Marcelin François, un demandeur d’asile au Canada, est criant : il a payé de sa vie le fait de travailler pour soigner nos aînés dans des CHSLD et des résidences de personnes âgées à Montréal. L’impact de cette pandémie est d’autant plus grand pour les communautés racisées et les travailleurs étrangers temporaires en raison du manque d’équipements de protection et d’horribles conditions de vie au pays — promiscuité dans les logements, manque d’eau et de nourriture, etc. À cause des préjugés entretenus face au système, ces gens hésitent à s’exprimer et à aller chercher des soins, de peur d’être déportés. On dépend donc d’une main-d’œuvre issue de nos communautés racisées et qui est mal protégée, même lorsqu’elle se trouve à l’épicentre de la pandémie.
Certains disent qu’il n’y a pas d’urgence à parler du racisme. Nous sommes en 2020, le temps est venu de mettre en œuvre les recommandations proposées depuis des décennies, et de consacrer des ressources financières suffisantes pour les mettre en œuvre efficacement.
La réaction à la pandémie de COVID-19 prouve que les gouvernements peuvent agir rapidement et habilement en cas de crise. Les Canadiens noirs sont en état de crise. Il est temps d’agir. Les mots et les gestes symboliques, bien qu’ils soient importants, ne suffisent plus. Black lives matter. Indigenous lives matter.
Enfin, ce document, je vous en informe, a déjà été rendu public. Honorables sénateurs, conformément à l’article 14-1(4) du Règlement, je demande le consentement du Sénat pour déposer la Déclaration contre la discrimination et le racisme systémique au Canada, présentée par le Caucus des parlementaires noirs. Merci.
Le consentement est-il accordé?
Je suis désolé, sénatrice, mais j’entends un « non ». Le consentement n’est pas accordé.
J’aurais une question à poser à la sénatrice Mégie, si elle veut bien y répondre.
Avec plaisir.
Je vous remercie de votre intervention. Je tiens à ce que vous sachiez que je soutiens votre motion; elle est importante. Je souhaite participer à un comité plénier, et je sais que c’est le cas de nombreuses personnes présentes dans cette enceinte, ainsi que de nombreuses personnes qui sont absentes et ne peuvent pas être ici.
Pour pouvoir nous réunir en comité plénier, nous aurions besoin de la même technologie que la Chambre des communes utilise depuis des semaines et qui a été mise au point par le personnel au service des deux Chambres. Si nous pouvions disposer de cette technologie dans quelques jours, disons mardi prochain — nous serons ici dans six jours —, et que nous pouvions miraculeusement siéger en comité plénier, accepteriez-vous d’attendre la présentation d’un amendement favorable qui nous permettrait à tous de participer à l’aide de la technologie appropriée?
Merci, sénateur Tannas. J’apprécie beaucoup votre proposition. J’apprécie aussi votre soutien relativement au comité plénier. Je pense que nous pourrions prendre le risque pour mardi, si nous sommes sûrs qu’il y aura beaucoup plus de sénateurs présents à la Chambre, et nous pourrions utiliser la technologie, comme elle a déjà été utilisée pour les autres cas où le Sénat s’est réuni en comité plénier ici même. Merci.
Je veux moi aussi poser une question à la sénatrice Mégie. Elle fait suite à celle posée par le sénateur Tannas.
Mardi prochain, si nous nous trouvons dans la même situation qu’aujourd’hui, la sénatrice serait-elle d’accord pour que nous présentions un amendement qui permettait aux 96 sénateurs de partout au pays de débattre de cette question en comité plénier cet automne, au lieu que la majorité des participants viennent de l’Atlantique, de l’Ontario et de l’Ouest du Québec?
Je vous remercie, sénateur. Vous savez que la situation que nous vivons actuellement est celle de la COVID-19. De la même façon dont certains comités ont pu travailler virtuellement, je ne vois pas pourquoi nous devrions attendre jusqu’à l’automne. À l’automne, nous ne serons plus dans l’urgence. Vous savez que, de la façon dont fonctionnent les réseaux sociaux, c’est la nouvelle de demain, ce n’est plus la nouvelle d’hier. Au plus tard, nous pourrions le faire mardi. Cependant, je suis sûre que nous serons dans la même situation, et je crois que nos collègues sénateurs le comprendront aussi. Quel que soit la situation ou l’objet du vote, nous serons toujours en nombre réduit. Ce n’est pas que nous leur refusions leur privilège de sénateur, car nous pourrions toujours nous arranger, mais le repousser à l’automne, non, je ne crois pas.
J’aimerais avoir la possibilité, si vous le permettez, de poser une question. Merci.
Le temps de parole de la sénatrice Mégie est expiré. Je sais qu’il y a au moins deux autres sénateurs qui souhaitent poser des questions. Demandez-vous cinq minutes de plus, sénatrice Mégie?
Oui, s’il vous plaît.
Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Je tiens à dire à quel point j’apprécie les efforts que vous et d’autres membres du Caucus des parlementaires noirs avez déployés afin de soulever ces questions devant le Sénat de façon à ce que nous puissions, avec vous, les examiner plus attentivement. Je crois comme vous que le sentiment d’urgence associé à la situation actuelle nous incite à agir dès maintenant au lieu d’attendre à l’automne.
Je crois aussi, comme le sénateur Tannas, que cela devrait être tout à fait possible. S’il y a une raison pour laquelle ce n’est pas le cas, il serait utile pour tous d’avoir des explications. Je sais que l’Administration du Sénat a déjà pris des mesures à cet effet et que nous avons probablement la capacité de tenir une séance virtuelle du comité plénier à laquelle tous les sénateurs puissent participer.
Je souhaite revenir sur la fin de vos observations. Vous avez demandé la permission de déposer un document. Si j’ai bien compris, il s’agit de la lettre envoyée au gouvernement par des membres du Caucus des parlementaires noirs, qui regroupe des députés et des sénateurs, lettre que d’autres députés et sénateurs ont également signée pour signifier leur appui. Vous avez parlé de six ou sept points. J’ai vu cette lettre, puisque j’avais accepté de la signer, et je sais qu’elle contient beaucoup de renseignements très fouillés qui seraient utiles à chacun d’entre nous. Il nous serait utile à tous d’avoir cette lettre quand nous préparerons des questions à l’intention des ministres, quand nous préparerons des débats, puisque d’autres propositions seront soumises, et pour l’interpellation du sénateur Plett.
Je ne comprends pas pourquoi des membres de l’opposition officielle ont répondu « non » à votre demande de déposer la lettre. Pourriez-vous nous dire quels avantages il y aurait à ce que ce document soit déposé au Sénat et mis à la disposition des sénateurs? Merci.
Je vous remercie, sénatrice Lankin. J’aimerais savoir ce qui devrait être consigné dans le cas d’un refus de déposer le document. Je crois que c’est déjà consigné dans les transcriptions. J’ai fait une première tentative de dépôt et j’ai essuyé un refus. J’ai fait une deuxième tentative, et j’ai encore essuyé un refus. Je crois que c’est inscrit dans le compte rendu des débats du Sénat.
Quant à la raison de son importance, il y a longtemps que nous soumettons des propositions pour améliorer la situation du racisme, et cetera. Cependant, quel que soit le décès ou le drame qui arrive, tout le monde pleure, s’apitoie et rien n’est fait. Voilà un document où sont explorées les différentes sphères sur lesquelles nous pourrions travailler. Il s’agit d’un document très bien documenté qui pourrait être déposé. Cela pourrait aider le gouvernement à élaborer son plan. Nous voulons un plan et de l’action. Nous voulons plus que des paroles. Donc, avec un tel document, nous sommes sûrs d’interpeller le gouvernement afin qu’il puisse réellement agir à l’aide de lignes directrices bien faites. Merci.
Puis-je à mon tour poser une question à la sénatrice Mégie?
Madame la sénatrice, on a dit que l’opposition a refusé d’accorder son consentement pour le dépôt de la déclaration. Accepteriez-vous de confirmer que je vous ai écrit hier pour vous expliquer que, en principe, les faits décrits dans la déclaration sont indéniables et qu’il est important d’en prendre acte? Toutefois, comme vous avez demandé le consentement — et ce sera inscrit dans les comptes rendus du Sénat — après avoir envoyé une lettre le matin même, nous n’avions pas eu le temps de lire la déclaration attentivement. Elle est très étoffée. Je voulais aussi vous poser d’autres questions.
Accepteriez-vous de confirmer que j’ai communiqué avec vous hier et que je vous ai fait part du même message aujourd’hui? Vous faites la même demande au cours de ce débat. C’est toutefois davantage une question de procédure. Nous ne disons pas « non » à la déclaration en elle-même. Pourriez-vous confirmer que j’ai fait ces démarches? Merci.
Quelques minutes avant que Son Honneur le Président appelle mon nom pour déposer le document, j’ai reçu un petit billet qu’un page m’a peut-être apporté, et je n’ai pas reconnu votre signature. Je ne savais pas qui me l’avait envoyé. Le billet indiquait simplement ceci : « Arrêtez ça, c’est trop précipité, je ne peux pas voter en faveur du dépôt. »
Ce n’est pas un vote, c’est le dépôt d’un document. J’ai accepté. Je me suis dit que, 24 heures plus tard, vous auriez le temps de le lire. Éclairez ma lanterne. Lorsqu’on dépose un document, est-ce que les sénateurs doivent se prononcer sur ce dernier? Non, à ce que je sache. Nous déposons un document, et vous pouvez le lire avec les membres de votre caucus au moment opportun. Est-ce que je me trompe?
Reste-t-il encore du temps pour poser des questions?
Malheureusement, le temps est écoulé comme le Sénat s’ajournera sous peu.
Je rappelle au sénateur Tannas qu’il a posé une question au sujet d’un amendement possible, mais qu’aucun amendement n’a été présenté. Lorsque nous reprendrons le débat sur cette question, sénateur Tannas, il vous faudra prendre la parole pour proposer l’amendement, si vous le souhaitez.