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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Débat

11 février 2021


L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition)

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet d’une question qui mérite une grande attention et beaucoup plus de temps que celui qui m’est imparti. Je suis certain que d’autres sénateurs parleront aussi de cette question, mais elle mérite autant d’attention que le Sénat peut lui accorder.

Je parle du fait que le gouvernement a carrément omis de consulter les Autochtones. Lors des séances du comité sur le projet de loi C-7, des témoins ont soulevé cette préoccupation à maintes reprises. Maître Scott Robertson, associé principal de l’Association du Barreau autochtone, a déclaré ceci au comité :

La préparation et la rédaction de ces amendements étaient tout sauf respectueuses: on a essentiellement fait fi de la participation et des idées des Autochtones.

Neil Belanger, directeur exécutif de la British Columbia Aboriginal Network on Disability Society, a déclaré ceci :

À ma connaissance, le gouvernement a tenu une seule réunion avec des organisations autochtones, et bon nombre d’entre elles n’ont pas pu y assister.

Mme Carrie Bourassa, professeure au département d’épidémiologie et de santé communautaire du Collège de médecine de l’Université de la Saskatchewan, nous a dit ceci :

Six aînés de nations métisses et de Premières Nations de la Colombie-Britannique, [de la Saskatchewan], du Manitoba et de l’Ontario ont partagé leurs connaissances sur les attitudes, les pratiques, les problèmes et les inquiétudes ayant trait à la fin de vie. Ils ont notamment dit que les Autochtones n’avaient pas été consultés sur la question de l’aide médicale à mourir [...]

Tyler White, chef de la direction des services de santé de Siksika, a dit ceci :

Il est inquiétant que les consultations entourant le projet de loi C-7 menées à ce jour auprès des Autochtones du Canada, qui seront touchés de façon disproportionnée par cette mesure, aient été aussi inadéquates.

Bonnie Brayton, directrice nationale du Réseau d’action des femmes handicapées du Canada, a déclaré ceci : « Les Autochtones handicapés n’ont pas été consultés. »

Le Dr Thomas Fung, médecin-chef des services de santé de Siksika, nous a dit ceci : « Personne dans notre communauté ne connait les détails de ce projet de loi, et il n’y a assurément aucun dirigeant qui a été consulté à ce sujet. »

Chers collègues, même si mon temps de parole est limité, nombreux sont les exemples du manque de respect flagrant du gouvernement à l’égard des préoccupations des peuples autochtones, des personnes handicapées, de différents autres groupes, bref, d’à peu près tout le monde.

Lors d’une réunion du comité, j’ai demandé à un groupe de témoins composé de quatre représentants autochtones s’ils croyaient que nous devrions interrompre l’étude de ce projet de loi afin d’effectuer davantage de consultations. Trois des témoins ont répondu « oui » sans hésiter, et le quatrième a répondu « peut-être ». Voilà qui en dit long sur la façon dont le gouvernement traite ce projet de loi.

L’an dernier, dans le cadre de ses consultations publiques sur le projet de loi, le gouvernement n’a organisé qu’une seule table ronde sur le point de vue des Autochtones. Par ailleurs, à cette table ronde, il n’y avait pas un seul représentant des Métis, des Inuits ou des Autochtones qui souffrent d’un handicap.

Lorsque nous avons interrogé le ministre Lametti au sujet de cette façon lamentable de consulter, il a répondu ceci : « Nous avons organisé ces tables rondes du mieux que nous l’avons pu. » C’est le mieux que le gouvernement peut faire. Le ministre a peut-être omis de lire la lettre de mandat que le premier ministre lui avait écrite, et dans laquelle on peut lire ceci :

Je m’attends à ce que, à titre de ministre, vous travailliez dans un partenariat intégral avec les peuples et les communautés autochtones dans le but de faire progresser la véritable réconciliation.

Chers collègues, d’une part, le gouvernement a présenté un projet de loi qui veille à ce que toutes les mesures soient prises pour que les lois du Canada respectent la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Or, d’autre part, il a déposé un projet de loi qui inquiète grandement les Autochtones et il tente de lui faire franchir toutes les étapes le plus rapidement possible sans mener les consultations appropriées.

Qui plus est, il ne tient même pas compte du peu de consultations qu’il a effectuées.

Dans le rapport intitulé Ce que nous avons entendu : Une consultation publique sur l’aide médicale à mourir, publié en mars 2020, le gouvernement a écrit ceci :

Lors de la table ronde, certains Autochtones ont souligné les différences dans la façon dont les Autochtones perçoivent la mort et le fait de mourir. Ils ont indiqué qu’il est nécessaire d’obtenir des conseils de la part des Aînés et des chefs spirituels. Ça permettrait de s’assurer que l’AMM est dispensée d’une manière culturellement sûre et appropriée. Certains intervenants ont déclaré qu’il était difficile de parler d’AMM et des demandes anticipées dans le Nord. De nombreux patients parlent une langue différente. Certains mots et termes de la loi sur l’AMM n’existent pas dans leur langue. Ça rend la communication sur l’AMM difficile.

Le rapport porte à croire que le gouvernement était à l’écoute, jusqu’à ce que nous apprenions lors de nos réunions de comité qu’aucune solution n’avait été mise en place pour remédier aux préoccupations soulevées.

Chers collègues, je prends une minute pour parler brièvement non pas de l’amendement de la sénatrice, auquel je reviendrai plus tard, mais des personnes handicapées. Après avoir parlé avec des membres de la communauté des personnes handicapées, m’être concentré considérablement sur cet aspect et avoir entendu les témoignages éloquents présentés au comité par des organismes de défense des droits des personnes handicapées, je suis convaincu que la création du deuxième volet et le but du projet de loi sont discriminatoires. En effet, alors que le premier volet, qui porte sur la mort raisonnablement prévisible, s’applique à tous les Canadiens atteints d’une maladie grave et irrémédiable et dont la mort approche, le deuxième volet cible expressément les personnes handicapées et laisse entendre que leur vie ne mérite pas d’être vécue.

Ce groupe protégé par la Charte se trouve donc ciblé et fait l’objet d’une discrimination injustifiée. Parmi tous les amendements que nous avons entendus aujourd’hui, honorables sénateurs, seul celui que propose la sénatrice McPhedran — je ne débattrai pas ici de son amendement; il me sert seulement d’exemple — bref, son amendement est le seul qui tienne vraiment compte des demandes de la communauté des personnes handicapées. J’en remercie la sénatrice McPhedran.

Chers collègues, ce projet de loi est un échec immense et lamentable de la part du gouvernement. Il est inacceptable. Personnellement, j’estime qu’il faut en empêcher l’adoption. Merci.

L’honorable Mary Jane McCallum [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour participer au débat sur le projet de loi C-7.

Encore une fois, je m’adresse à vous en tant que femme autochtone et en tant que professionnelle de la santé exerçant sa profession dans les réserves du Manitoba depuis 1973. Ce faisant, j’ai eu de nombreuses conversations avec des gens de la collectivité et des dirigeants au Manitoba et partout au Canada relativement au sort des descendants des premiers habitants du pays. Comme je l’ai déjà dit, l’aide médicale à mourir n’a jamais fait l’objet de ces conversations.

Cependant, favoriser une bonne qualité de vie en a toujours fait partie.

Au fil de mes années de pratique dans les réserves, j’ai vu les composantes complexes du système de santé laisser tomber les membres des Premières Nations. D’ailleurs, l’état de santé général de ces gens a continué de se détériorer, et ce, malgré mon travail et celui de beaucoup d’autres professionnels de la santé avec qui j’ai travaillé, qui traitent bien les Autochtones et les Métis et qui sont dévoués à leur travail, à leurs patients et à leur code déontologique.

Chers collègues, les questions que je soulève sont celles qu’ont formulées les Autochtones, les Métis et les Inuits, de même que les communautés de personnes handicapées partout au Canada. C’est mon obligation de veiller à ce que leurs voix soient entendues en cette enceinte, aussi difficile que ce soit de les faire entendre. Nous devons faire la lumière sur ces questions pour bien comprendre les vastes répercussions du fait d’ignorer et de ne pas consulter certains segments raciaux, ethniques, culturels ou socioéconomiques de la population.

Ces gens ont peur. Ils se demandent pourquoi on continue de faire comme s’ils n’existaient pas, pourquoi les décisions qu’on prend continuent de les désavantager et pourquoi les lois qui protègent les autres non seulement ne les protègent pas, eux, mais les exposent au contraire à un danger encore plus grand.

Après tout ce que nous avons vécu, il me semble que ce ne serait pas difficile de consulter adéquatement les Canadiens, surtout ceux qui seront les plus touchés par les futures lois. Pourtant, même si les Premières Nations n’ont pas été consultées, point, avant la présentation du projet de loi C-7, voilà qu’à entendre certains sénateurs, nous ne pouvons pas évoquer les consultations défaillantes, le manque de ressources, ce genre de chose, car cela outrepasserait la portée du texte.

Si les Premières Nations n’ont pas pu exprimer leur point de vue avant que le projet de loi soit présenté et qu’elles ne peuvent pas l’exprimer davantage maintenant, quand le pourront-elles? L’incapacité de négocier des solutions adéquates et adaptées à la réalité des Premières Nations est bien réelle. Nous ne comptons pas, c’est ça? Peut-être que nos préoccupations auraient été mieux prises en compte si le projet de loi avait fait l’objet d’une véritable analyse comparative entre les sexes plus. Selon ce que j’ai vu, l’analyse effectuée par le gouvernement est tout simplement inadéquate, car au lieu de reposer sur des données propres au contexte canadien, elle se fie plutôt à des données provenant de l’étranger — et c’est sans parler du fait qu’elle n’aborde d’aucune façon les répercussions du projet de loi sur les différents groupes racialisés.

Encore une fois, on coupe les coins ronds, et encore une fois, les groupes minoritaires sont injustement désavantagés.

Honorables sénateurs, dans sa lettre du 18 janvier au Comité sénatorial des affaires juridiques, le ministre Lametti déclare que son énoncé concernant la Charte tient compte de considérations pertinentes aux droits particuliers concernés — soit les articles 15 et 7 — par le projet de loi. Je crois savoir que chaque Canadien a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, sans qu’il puisse être porté atteinte à ce droit, et que le gouvernement doit respecter les principes fondamentaux de la justice lorsqu’il empiète sur ces droits.

Pourtant, il semble que chaque fois qu’un projet de loi est rédigé, il n’y a pas ou très peu de consultation au sujet des effets qu’il aura sur les peuples autochtones. On dirait que les problèmes des Autochtones se trouvent continuellement dans la catégorie des conséquences imprévues et deviennent source d’angoisse pour les gouvernements.

Dans une certaine mesure, nous avons la possibilité de corriger le projet de loi en en débattant et en recommandant des amendements. Toutefois, étant donné la position dans laquelle les Autochtones, les médecins et les handicapés ont été mis, leurs préoccupations sont trop profondes pour que l’on y remédie en amendant simplement le projet de loi.

Les Autochtones ont un droit égal à la vie, à la liberté et à la sécurité. Les Autochtones se sont battus pour le droit à une bonne qualité de vie, mais, avec le projet de loi à l’étude, il y a des lacunes en matière de sécurité. Des individus, des militants, des médecins et des représentants des handicapés nous ont indiqué que les répercussions du projet de loi les préoccupaient.

Nous ne savons pas clairement et concrètement comment le projet de loi touchera ces groupes. Comment le projet de loi reconnaît-il le droit à l’égalité des minorités et des défavorisés et comment l’applique-t-il, comme l’article 15 de la Charte le garantit?

Chers collègues, j’ai été outrée d’entendre certains sénateurs affirmer que les médecins ont les compétences pour effectuer les évaluations de la capacité qui seront exigées. Compte tenu des cas récents et divers de racisme institutionnalisé — que ce soit de la part du gouvernement, des établissements d’enseignement, de la police, des établissements correctionnels, des services de protection de l’enfance et j’en passe —, le concept selon lequel les Premières Nations, les Métis et les Inuits devraient recevoir des soins adéquats dans ces établissements publics est déjà compromis. Il faudra des années pour changer la mentalité des personnes responsables de déterminer comment offrir et administrer les soins de santé. Il me semble irréaliste de croire que l’on peut ajouter à ces responsabilités celle d’évaluer les capacités du patient. Comment peut-on croire cela avec certitude?

Je sais qu’il s’agit de dispositions du Code criminel, mais elles sont intimement liées aux politiques en matière de santé. Quand on prend en considération tous les aspects de la vie, on se rend compte qu’on ne peut pas considérer ces deux aspects séparément. Les fournisseurs de soins de santé seront tenus de fournir ce service, et bon nombre d’entre eux devront le faire contre leur gré et y seront mal préparés. Ce service sera offert à des patients. C’est la réalité. J’ai vu comment on offre des soins et j’ai parlé avec des infirmiers et des médecins. Ces gens sont déjà débordés à cause des soins d’urgence qu’ils doivent offrir au quotidien et de la pandémie de COVID-19 à laquelle ils doivent maintenant faire face. Où trouveraient-ils le temps de se pencher sur cette question et d’en discuter adéquatement sans subir de pressions?

Honorables sénateurs, je pourrais vous raconter bien des situations où des gens sont forcés de vivre dans des conditions inacceptables parce qu’on ne leur donne pas les ressources dont ils ont besoin pour répondre à leurs problèmes. J’entends déjà parler de personnes qui se font recommander l’aide médicale à mourir de façon indue en raison des problèmes sociaux exacerbés par la pandémie de COVID-19. Quels sont les recours des familles qui doivent composer avec ce genre de problèmes? Où sont les mesures de sauvegarde pour éviter qu’on mette fin indûment à la vie d’une personne? Merci.

L’honorable Victor Oh [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole pour discuter des impacts négatifs potentiels que le projet de loi C-7 pourrait avoir sur les personnes handicapées.

Les préjugés et les stéréotypes demeurent une préoccupation pour les Canadiens. Parmi les sujets qui n’obtiennent pas toute l’attention qu’ils méritent, on retrouve les préjugés et les stéréotypes à l’égard des infirmes et des handicapés. Nous devons donner une voix aux personnes handicapées et faire en sorte que les lois que nous proposons ne leur nuisent pas.

Il suffit d’observer ceux qui ont été les plus touchés par la pandémie dans cette province et dans la province voisine. Il s’agit des personnes qui résident dans des établissements de soins de longue durée. Par définition, ces personnes nécessitent les soins et l’attention des autres. La COVID-19 s’est propagée dans bon nombre de ces établissements, tuant des milliers de Canadiens au passage. Cela s’est avéré un scandale épouvantable durant la première vague, qui s’est malheureusement répété à la deuxième vague. Je ne crois pas un seul instant que si le tribut que leur a imposé la COVID-19 avait plutôt été infligé à un autre groupe de citoyens, on aurait permis que cela se reproduise lors d’une deuxième vague. Cela s’applique aussi à l’aide médicale à mourir et aux personnes handicapées.

Comme des spécialistes des droits de la personne de l’ONU l’ont déclaré en janvier :

Nous acceptons tous que ce ne peut être une décision rationnelle si une personne appartenant à un autre groupe protégé — qu’il s’agisse d’une minorité raciale, sexuelle ou de genre — choisit de mettre fin à ses jours parce qu’elle souffre en raison de son statut.

Pourtant, nous semblons tolérer ce genre de réflexion de la part de certaines des personnes les plus vulnérables. Il n’est pas difficile d’imaginer pourquoi Krista Carr d’Inclusion Canada, un organisme national représentant les personnes handicapées et leur famille, a affirmé ceci : « notre plus grande crainte a toujours été de voir une situation de handicap devenir un motif acceptable de suicide assisté par l’État [...] ».

Ce n’est pas de la pure spéculation de sa part. Dans un article paru la semaine dernière dans le magazine MacLean’s, Gabrielle Peters, qui a aussi comparu devant le comité, a décrit l’expérience vécue par la Dre Corinna Iampen. Hospitalisée après avoir subi une blessure invalidante permanente, mais non mortelle, Mme Iampen a été abasourdie quand le médecin à son chevet lui a demandé si elle souhaitait parler à l’équipe de l’aide médicale à mourir. Elle n’avait pas songé à mettre fin à ses jours, mais c’est ce que le médecin supposait qu’elle voulait.

Honorables sénateurs, en terminant, je veux faire écho aux propos de mon collègue, le sénateur Don Plett, qui a dit ceci lors de son intervention l’autre jour :

[…] notre réticence à écouter la communauté des personnes handicapées lorsqu’elle demande de l’aide — alors que nous agissons à un rythme alarmant pour leur proposer le suicide assisté même si rien ne nous y oblige — représente une réelle tragédie nationale.

J’irais même un peu plus loin en disant que c’est plus qu’une tragédie; c’est une honte. Dans notre empressement à offrir ces options, nous faisons trop de suppositions sur ce qui est le mieux pour les personnes handicapées. Il est primordial que nous prenions davantage de temps pour travailler avec ces personnes afin d’évaluer leurs besoins et nous assurer de leur fournir le soutien dont elles ont besoin sur ces questions importantes. Merci.

L’honorable Kim Pate [ + ]

Honorables sénateurs, le gouvernement se fait le champion de mesures visant à favoriser l’égalité, dont la Loi canadienne sur l’accessibilité et le projet de loi promis sur la santé des Autochtones fondé sur les distinctions. En même temps, il a fait du projet de loi C-7 une priorité. Il fait un pas en avant pour respecter les droits de certaines personnes, mais risque d’inscrire dans la loi des inégalités dans le système de santé et de les aggraver, au détriment des personnes les plus marginalisées.

Pour ceux qui n’en étaient pas conscients auparavant, cette pandémie expose au grand jour le traitement discriminatoire des personnes marginalisées de même que l’intersectionnalité toxique de la pauvreté, du racisme, du capacitisme et de l’âgisme. La médiocrité des soins de longue durée, l’inaccessibilité des soins palliatifs, des soins à domicile et des soins communautaires, les préjugés systémiques, les pénuries de main-d’œuvre occasionnées par les attitudes discriminatoires concernant l’importance du personnel soignant dans les établissements, depuis les hôpitaux jusqu’aux établissements de soins de longue durée : tous ces facteurs mènent à des milliers décès qui pourraient être évités. Le projet de loi C-7, dont le gouvernement a fait une priorité au beau milieu d’une pandémie, aura pour effet d’aggraver ces inégalités intersectionnelles et leurs conséquences mortelles, et non de les atténuer.

Beaucoup soutiennent que le Code criminel constitue un instrument trop radical pour remédier aux inégalités complexes et de longue date que des témoins ont portées à notre attention. C’est vrai. Toutefois, le Code criminel est l’un des rares outils dont dispose le gouvernement fédéral pour concrétiser une certaine vision de la justice, de l’inclusion, de la dignité et du respect pour tous. En élargissant les exemptions qui permettent de se soustraire à certaines dispositions du Code criminel, comme l’exige le projet de loi C-7, on rassurera peut-être les Canadiens dont l’autonomie personnelle n’est pratiquement pas entravée, à toutes fins utiles, par des désavantages sociaux et matériels. Toutefois, cette rassurance aura un prix. Ce prix, c’est la vie de personnes marginalisées qui nous disent déjà qu’elles se sentent encore plus dévalorisées.

Comme pour les attitudes discriminatoires qui les sous-tendent, on peut rendre ces iniquités un peu moins visibles, mais il n’en est pas moins urgent d’y remédier. Cette semaine, des représentants des Nations unies ont servi un avertissement direct au gouvernement canadien concernant la discrimination dans ce projet de loi et l’absence de consultations des personnes handicapées. Ils ont mis en lumière les conséquences imprévues d’une mesure législative qui est par ailleurs bien intentionnée.

Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas étudié l’aide médicale à mourir du point de vue des personnes handicapées? Pourquoi n’avons-nous pas, à tout le moins, veillé à ce que les dispositions en vigueur soient examinées avant de passer à l’étude de ce projet de loi?

Tout comme nous secouons la tête en pensant aux pratiques eugéniques et aux décisions politiques et législatives génocidaires de nos prédécesseurs, beaucoup remettent déjà en question la sagesse d’une décision législative visant à élargir les dispositions du suicide assisté dans le Code criminel sans que nous ayons d’abord tout fait pour reconnaître — et encore moins régler — les inégalités systémiques qui entraînent des souffrances et des traitements discriminatoires et nourris par des préjugés.

Pouvons-nous vraiment fermer les yeux sur ces réalités et prétendre que ceux qui nous exhortent à faire preuve de prudence tombent tout simplement dans le paternalisme? En sommes-nous vraiment à dire que les groupes de défense des droits des personnes handicapées, qui luttent pour leur autonomie et leur inclusion depuis le début, tiennent maintenant des propos alarmistes et se retranchent dans le paternalisme?

Notre histoire fourmille d’exemples où les gens détenant privilèges et pouvoirs l’ont emporté sur ceux qui sont considérés comme moins dignes de protection. Ce projet de loi en sera-t-il un autre exemple, sans même que soit reconnue la douleur qu’ont causée les ressources inadéquates consacrées à la santé, au logement et aux mesures sociales et économiques? Une douleur qui pourrait être apaisée par des mesures de soutien adéquates?

Dans le rapport publié aujourd’hui, le directeur parlementaire du budget répète une fois de plus ce qu’on ne peut ignorer. En dépit des initiatives du gouvernement fédéral en matière de logement, les familles autochtones restent une fois et demie plus susceptibles d’avoir des besoins en matière de logement que les autres familles canadiennes. Dans le cas des familles inuites, ce facteur est de 2,4 fois supérieur. En outre, près d’un tiers des utilisateurs de refuges pour sans-abri au Canada s’identifient comme Autochtones. Les programmes actuels ne s’attaquent pas aux vestiges du colonialisme et au racisme systémique et perpétuent ainsi ces problèmes. Cette lacune se répercute sur les soins que reçoivent les personnes ayant des problèmes de santé et sur la souffrance qu’elles vivent. Comment peut-on considérer l’aide médicale à mourir comme un choix acceptable pour ceux dont les seules autres options sont d’être dans la rue ou dans un établissement public?

À cause de l’incapacité de l’État à fournir les moyens de vivre dans la collectivité, un trop grand nombre de personnes ont été placées dans des établissements de soins de longue durée faute de pouvoir obtenir les services de soutien dont elles auraient eu besoin pour vivre chez elles. Par ailleurs, comme l’ont précisé plusieurs témoins — de l’enquêteur correctionnel aux professionnels de la santé travaillant avec les personnes les plus marginalisées, notamment les sans-abri —, les mesures prévues dans le projet de loi C-7 feront en sorte qu’il sera plus facile de demander la mort que d’obtenir la plupart des services ou mesures de soutien nécessaires.

Certains soutiennent que le fait d’élargir aux personnes qui ne sont pas en fin de vie l’admissibilité à l’aide médicale à mourir vise à respecter le choix de chacun quand la souffrance devient insupportable. Mais que peut-on choisir, honorables sénateurs, quand la pauvreté, le racisme, la discrimination fondée sur l’incapacité, l’institutionnalisation et la marginalisation éliminent toutes autres options pour soulager la souffrance?

Disons-nous que c’est un choix d’édulcorer le fait que l’incapacité lamentable du gouvernement à venir en aide aux gens par l’entremise de programmes sociaux, de logement et de soutien du revenu signifie que certaines personnes qui ne sont pas en fin de vie vont considérer l’aide médicale à mourir pour échapper à leurs souffrances?

En tant que sénateurs, nous avons l’obligation de représenter les intérêts des personnes qui, bien souvent, sont sous-représentées dans l’autre endroit. Il suffit de regarder ce qui s’est passé à l’hôpital de Joliette où, dans une même journée, un homme blanc, relativement bien nanti et ayant toutes ses capacités physiques a indiqué avoir reçu des soins de santé attentionnés et respectueux, alors qu’une femme autochtone moins bien nantie, souffrant d’une condition cardiaque incapacitante, a été victime d’abus sexistes et racistes alors qu’elle se mourait dans son lit d’hôpital.

Chers collègues, ce genre d’histoire survient dans presque toutes les régions du pays. Par ailleurs, ce que nous pouvons constater avec le principe de Jordan, et qui sera désormais confirmé avec le principe de Joyce, c’est qu’en l’absence de financement approprié et de lignes directrices claires, les mots et les promesses ne suffisent pas pour corriger les inégalités systémiques et intersectionnelles que l’on retrouve dans nos systèmes de santé. Selon moi, la décision de ne pas examiner ces iniquités et d’élaborer un plan pour y mettre fin avant d’adopter ce projet de loi est le comble de l’irresponsabilité, et je ne considère aucun d’entre vous comme irresponsable, chers collègues. Meegwetch. Merci.

L’honorable Yvonne Boyer [ + ]

Honorables sénateurs, je me joins à vous aujourd’hui pour parler du projet de loi C-7, à l’étape de la troisième lecture. Je parlerai plus particulièrement de la santé des Autochtones et de l’application des modifications proposées au Code criminel.

En tant que membre du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, j’ai eu le privilège de participer aux discussions approfondies sur la question de l’aide médicale à mourir au cours de l’étude préliminaire et de l’étude du comité. Au cours d’innombrables sessions marathons, notre comité a entendu des experts et des personnes concernées par cette mesure législative. Nombre d’entre eux avaient vécu personnellement une expérience en lien avec l’aide médicale à mourir et nous ont raconté des histoires souvent déchirantes.

Je voudrais prendre une minute pour remercier tous les témoins d’avoir pris le temps de nous parler et de revivre leurs expériences afin que nous puissions travailler ensemble pour évaluer minutieusement cette mesure législative.

Comme Autochtone ayant passé toute sa vie professionnelle à travailler au sein du système de santé ou à étudier les lois qui le régissent, je me sens vraiment très concernée par le sujet de ce projet de loi. Comme je l’ai toujours fait dans mon travail de sénatrice, j’ai abordé l’étude de cette mesure législative sous un angle autochtone.

Le Canada a souvent oublié de réfléchir à l’incidence des changements législatifs sur les Autochtones partout au pays, ou a fait sciemment l’impasse de la réflexion. Malheureusement, c’est encore le cas avec le projet de loi C-7.

En tant que membre autochtone du comité chargé d’étudier le projet de loi, j’ai essayé de faire entendre un large éventail d’opinions autochtones. Cela aurait dû être fait bien plus tôt dans le processus, notamment lorsqu’on a commencé à songer au projet de loi et, bien sûr, lors de sa rédaction.

Dans les témoignages que nous avons entendus, les Autochtones ont tous parlé du manque criant de services de santé qui leur étaient offerts dans l’ensemble du pays, en particulier dans les collectivités nordiques et éloignées. Il s’agit d’ailleurs d’une de mes préoccupations constantes, mais cela est beaucoup plus préoccupant dans le contexte du projet de loi.

Dans son vibrant témoignage, la Dre Lisa Richardson, médecin autochtone et chef de file stratégique du Centre for Wise Practices in Indigenous Health, a déclaré ce qui suit :

Dans un milieu où l’on retrouve du racisme à la fois systémique et interpersonnel, je crois que les Autochtones ne sont pas en sécurité. Je crois que les préjugés à l’égard des Autochtones influencent les décisions et les conseils concernant le programme d’aide médicale à mourir pour les Autochtones, quel que soit le niveau d’éducation.

Cette opinion a été exprimée par des témoins autochtones et des alliés tout au long des audiences sur le projet de loi et pendant l’étude préliminaire. Comment pouvons-nous nous attendre à ce que les Autochtones fassent confiance à un processus aussi profondément personnel que l’aide médicale à mourir, alors que le projet de loi et le système de santé dans son ensemble ont choisi d’ignorer le racisme systémique que subissent les Autochtones lorsqu’ils y accèdent? Je crains que, pour les Autochtones, le manque d’accès au système de santé et la peur d’y accéder ne compliquent l’exercice de leur droit protégé par la constitution de décider eux-mêmes du moment où, le cas échéant, ils souhaitent recourir à l’aide médicale à mourir.

Par ailleurs, Marcella Daye, conseillère principale en politiques de la Commission canadienne des droits de la personne, a souligné que le développement de services adaptés à la culture concernait le programme d’aide médicale à mourir. Elle affirme :

[La] participation de la collectivité s’impose et, lorsqu’il y a lieu, il faut faire appel aux aînés, de sorte que le cadre de cette aide ne soit pas étroitement axé sur les médecins, mais fasse place sans restrictions à la dimension rituelle et culturelle qui existe pour beaucoup d’Autochtones.

Chers collègues, comme pour tout projet de loi, les opinions sont nombreuses et, lors de l’étude préalable et de l’étude, je me suis trouvée complètement déchirée sur la position que je devrais adopter à l’égard du projet de loi. Je crois que nous devons progresser en plaçant la compassion au premier plan de nos décisions. Il y a des gens qui souffrent au Canada et qui éprouvent une douleur incommensurable et inimaginable que peu, voire aucun, d’entre nous dans cette enceinte ne peut même imaginer.

Lorsque j’ai entendu le témoignage de la Dre Cornelia Wieman, présidente de l’Association des médecins autochtones du Canada, le préjudice potentiel que nous pourrions causer en n’adoptant pas le projet de loi m’est apparu clairement. Lorsqu’elle nous a fait part de son vécu, elle a dit ceci :

De nombreux médecins autochtones travaillent en première ligne. Nous voyons la souffrance des gens. Il est vrai que nous devons offrir plus de services et de soutien aux gens qui, par exemple, sont en phase terminale, des services auxquels l’accès n’est pas nécessairement équitable.

Il y a toutefois des gens qui, avec les mesures de sauvegarde existantes, ont pris leur décision en pleine connaissance de cause et ont eu accès à l’aide médicale à mourir. C’est le cas de certains Autochtones. Elle a ajouté ceci :

J’ai une amie très proche qui est décédée d’un cancer, et je trouvais intolérable de passer, ne serait-ce qu’une minute avec elle en douleur chronique aiguë, mais ce n’était pas moi qui éprouvais cette douleur. Alors, nous pouvons discuter de ces questions de façon abstraite et professionnelle, mais nous devons aussi garder à l’esprit que, en ce moment même, il y a des gens qui souffrent concrètement, de façon intolérable.

Chers collègues, plus nous tardons à adopter ce projet de loi, plus longtemps nous imposons de la souffrance aux gens. La décision de demander l’aide médicale à mourir doit être laissée strictement au patient et à son médecin, pour qu’elle soit prise de manière appropriée sur le plan culturel. Les peuples autochtones doivent avoir le choix d’y adhérer ou non en fonction de leur droit inhérent à l’autodétermination. En tant que nations souveraines, les Premières Nations sont les seules qui savent ce qui est le mieux pour elles.

Dans une lettre que j’ai reçue de dirigeants autochtones de partout au Canada, on voulait que le gouvernement du Canada :

Reconnaisse la valeur des pratiques de guérison autochtones en respectant le droit des peuples autochtones à l’autodétermination dans le domaine spirituel, y compris le droit d’observer nos propres traditions et coutumes lorsque nous soutenons ceux qui sont mourants, à l’abri de la discrimination dans le système de santé.

En discutant du point de vue des peuples autochtones concernant n’importe quelle question, nous devons d’abord reconnaître qu’il existe beaucoup de diversité au sein de ce groupe et qu’aucun groupe ni aucune personne ne peut parler en notre nom à nous tous. La Dre Suzanne Steward, directrice de l’Institut de la santé autochtone Waakebiness-Bryce et professeure agrégée à la faculté de la santé publique de l’Université de Toronto, a déclaré qu’il est important, c’est-à-dire capital :

[…] d’élaborer du matériel de psychoéducation autochtone axé sur la communauté; de fournir à tous les professionnels de la santé qui administrent l’aide médicale à mourir une formation clinique adaptée à la culture autochtone et qui prend en compte les traumatismes; d’offrir comme pratique courante des services ayant un fondement culturel autochtone dans tous les établissements de santé qui offrent l’aide médicale à mourir.

Je pense finalement que nous devons faire adopter ce projet de loi et en profiter, à titre de sénateurs, pour nous engager à faire mieux à l’avenir. Nous ne pouvons pas continuer à ignorer les peuples autochtones comme les législateurs de ce pays l’ont fait depuis des siècles.

Il est absolument essentiel de saisir la première occasion qui s’offre à nous de réexaminer cette question dans le cadre d’un examen parlementaire obligatoire. À la suite de la récente annonce faite par le gouvernement fédéral concernant un projet de loi sur la santé des Autochtones fondé sur les distinctions, je m’attends à ce que ce projet de loi soit piloté par des Autochtones. J’espère également que ces voix autochtones soient amplifiées afin que nous puissions, en tant que pays, examiner la façon dont l’aide médicale à mourir est gérée et collaborer à l’amélioration des soins de santé destinés aux peuples autochtones. Meegwetch. Je vous remercie.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Y a-t-il d’autres honorables sénateurs qui veulent intervenir sur le thème des groupes vulnérables et minoritaires, des soins de santé (les soins palliatifs y compris) et de l’accès à l’aide médicale à mourir?

Sinon, le débat sur ce thème est conclu, et le Sénat abordera le débat sur le prochain thème, qui est celui des droits à la conscience.

Honorables sénateurs, je suis sûr que certaines personnes espéraient que j’intervienne et que d’autres auraient souhaité que je rate cette partie du débat. Quoi qu’il en soit, Votre Honneur, je souhaite présenter un amendement.

Honorables collègues, je prends la parole aujourd’hui pour présenter un amendement afin d’inclure des mesures qui puissent véritablement protéger la liberté de conscience dans le cadre du régime canadien d’aide médicale à mourir.

Comme les sénateurs qui ont participé à l’étude en comité le savent, cette question a été soulevée pendant presque toutes nos délibérations dans le cadre de l’étude préalable ainsi que pendant la deuxième étude en comité que nous avons réalisée la semaine dernière. D’ailleurs, j’ai été étonné de voir la fréquence à laquelle la question a été soulevée et l’ardeur avec laquelle ce dossier a été défendu depuis. Lorsque nous avons étudié le projet de loi C-14, des médecins et des associations ont évidemment soulevé des préoccupations que j’ai fait valoir en leur nom, mais cette fois-ci, c’est l’une des questions qui ont été le plus souvent soulevées pendant notre étude.

J’estime qu’il y a deux raisons à cela. Premièrement, la question de savoir comment cette loi sera appliquée par les provinces n’est plus purement hypothétique. Nous avons vu les exigences qui ont été imposées à des médecins qui ne souhaitent pas contribuer à donner la mort à un patient. En effet, selon la Société canadienne des médecins de soins palliatifs : « [...] au Canada, on s’attend beaucoup plus des médecins qu’ils participent à l’aide médicale à mourir que dans tout autre pays où l’aide médicale à mourir est permise. » Deuxièmement, ce projet de loi étend l’accès à l’aide au suicide de manière à inclure des Canadiens qui ne sont pas en fin de vie. Pour les praticiens, cette proposition est encore plus préoccupante, à juste titre.

Pour certains praticiens, prendre part à une telle procédure ou en faciliter le déroulement irait à l’encontre de leur liberté de religion, tandis que pour d’autres, il s’agirait ni plus ni moins que d’une violation de leur éthique médicale et de leur serment d’Hippocrate. En outre, pour certains praticiens autochtones, fournir ou faciliter l’aide médicale à mourir serait agir contre leurs valeurs culturelles et leur système de croyances. Certains praticiens estiment qu’ils violeraient leur jugement médical en recommandant, par exemple, une procédure de fin de vie pour un patient handicapé quand leur opinion professionnelle leur dicterait que des options de traitement sont disponibles.

Au cours de notre étude préalable, quand nous avions questionné le ministre Lametti au sujet de la nécessité d’intégrer la protection de la liberté de conscience dans ce projet de loi, il nous avait renvoyés à l’article utile du projet de loi C-14 et déclaré que les mesures de protection étaient toujours en vigueur. Cependant, nous savons maintenant que cet article n’offre aucune protection pour les professionnels de la santé. Il est vrai qu’aucun médecin au Canada n’est obligé d’injecter la substance mortelle à un patient. Par contre, dans certaines régions du pays, les praticiens sont tenus d’assurer un aiguillage efficace qui mènera ultimement à la mort de leur patient. Il semble que les législateurs et les organismes de réglementation ont pleinement compris ce que signifie « aiguillage » dans le domaine médical.

Au cours de notre examen du projet de loi C-14, l’Association médicale canadienne a clairement expliqué la problématique entourant l’obligation d’aiguiller les patients. Cela revient essentiellement à approuver une procédure, ce qui risque d’être problématique sur le plan moral pour de nombreux médecins.

La Dre Coelho, l’une des personnes qui ont témoigné à la dernière journée de l’étude préalable, a déclaré qu’en suivant le déroulement des audiences, elle avait noté que certains sénateurs manifestaient une profonde méconnaissance de ce que signifie aiguiller un patient. Elle avait expliqué que les médecins aiguillent un patient vers un spécialiste quand, par exemple, le traitement requis est hors de leur sphère d’expertise. Je la cite :

Nous n’allons pas référer à moins de juger que c’est bon pour nos patients. […] Il y a des conséquences éthiques au fait de référer. Il ne s’agit pas simplement de signer un bout de papier pour envoyer le dossier ailleurs.

Dans le projet de loi C-14, le gouvernement reconnaissait la nécessité de protéger la liberté de conscience. Cependant, ce projet de loi incluait une disposition inapplicable, ce qui explique les différentes politiques et les divers degrés de participation forcée à l’échelle du pays.

En ce moment, la plupart des provinces n’obligent pas les médecins à renvoyer leurs patients à un médecin acceptant d’offrir l’aide médicale à mourir et ont réussi à offrir un accès raisonnable à cette aide sans contraindre les médecins à y participer.

Tous les médecins qui réclament une bonne protection de la liberté de conscience sont tout à fait disposés à fournir un site Web, un numéro de téléphone ou d’autres renseignements permettant aux patients de faire leurs propres démarches.

En Alberta, par exemple, les patients ont accès au Service de coordination des soins pour l’aide médicale à mourir sans avoir à passer par un médecin. Au Manitoba, une norme de pratique claire précise que, si la conscience d’un médecin lui dicte de s’opposer à l’aide médicale à mourir, il peut s’assurer que le patient a accès sans délai à une ressource qui lui donnera de l’information juste sur un acte ou un traitement médical.

Les médecins de la Colombie-Britannique profitent d’une protection similaire. Pourtant — et ce point est crucial —, les collèges provinciaux ont confirmé que, dans les provinces où le médecin a le droit de ne pas participer et où des mécanismes permettent aux patients de faire leurs propres démarches, on n’a observé absolument aucun obstacle les empêchant d’avoir accès à l’aide médicale à mourir.

Cependant, en Colombie-Britannique, les établissements ne bénéficient d’aucune protection, ce qui explique que le centre de soins palliatifs Delta Hospice s’est vu contraint de fermer ses portes. Ce centre a choisi de ne pas administrer l’aide médicale à mourir, car on y considérait qu’il s’agissait d’une violation du principe fondamental des soins palliatifs, c’est-à-dire de ne pas hâter la mort. Ces établissements n’ont également aucune protection en Ontario, à l’Île-du-Prince-Édouard ni au Québec.

En ce qui concerne l’aiguillage obligatoire, la Nouvelle-Écosse exige un transfert efficace des soins. Cependant, les médecins nous ont assuré que cela s’est avéré être un aiguillage vers une autre personne, car le médecin qui s’y oppose doit confier son patient à un fournisseur de l’aide médicale à mourir.

Les médecins de l’Ontario sont tenus de procéder au transfert des soins de leurs patients, quoique Télésanté puisse servir de mécanisme libre-service pour l’aide médicale à mourir. L’infrastructure existe, mais les médecins qui s’y opposent se voient forcés de quitter la profession ou la province.

Les médecins dans cette enceinte connaissent le concept du MTR, ou médecin traitant responsable. Par exemple, lorsqu’un patient est dirigé en chirurgie, le chirurgien devient le médecin traitant responsable de ce patient dans le cadre de l’acte médical et il serait tenu responsable si quelque chose de contraire à l’éthique se produisait. Cependant, les politiques des hôpitaux de l’Ontario contraignent les objecteurs de conscience à conserver le titre de médecin traitant responsable, au lieu de l’attribuer au fournisseur de l’aide médicale à mourir, même si cela entre en contradiction directe avec les valeurs éthiques de l’objecteur. Cela est inacceptable, chers collègues.

Beaucoup de gens affirment qu’on devrait laisser aux provinces le soin d’adopter leur réglementation dans ce domaine. Rappelons toutefois que l’adoption du projet de loi C-14 a mené à la création d’un ensemble disparate de règles marqué par divers degrés de participation forcée et un manque de clarté.

La lettre adressée récemment au Sénat par l’Ontario Medical Association met en évidence, de manière plutôt remarquable, le besoin de clarté dans les lois fédérales. Quand une association médicale provinciale demande au Parlement d’inclure, dans un projet de loi, une protection explicite de la liberté de conscience des médecins, on peut probablement en conclure que le système ne fonctionne pas.

Hier, bon nombre d’entre nous ont reçu une lettre signée par plus de 40 rabbins qui se disent gravement préoccupés par les politiques de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario. La lettre dit ceci :

L’adoption imminente du projet de loi C-7 et la politique de l’Ordre, qui exige que ses membres participent à l’aide médicale à mourir ou la facilitent, crée de graves enjeux religieux et moraux pour les personnes de confession juive.

La lettre dit ensuite ceci :

Dans l’état actuel des choses, si le projet de loi C-7 est adopté, les juifs pratiquants qui travaillent comme professionnels de la santé seront forcés d’abandonner certaines de leurs convictions profondes, ou ils ne seront plus les bienvenus dans le domaine médical.

Les rabbins concluent leur lettre en suppliant le Sénat de prévoir un droit à la liberté de conscience afin que les médecins ne soient pas forcés de participer de manière directe ou indirecte à l’aide médicale à mourir.

Dans les provinces où existe une protection complète de la liberté de conscience, de nombreux médecins peuvent être déboussolés quand les ordres professionnels provinciaux modifient leurs politiques, ce qu’ils peuvent faire à leur guise. Dans ce contexte, les médecins ne savent pas avec certitude comment leur liberté de conscience sera protégée ni pendant combien de temps.

Nous savons que des groupes et des dirigeants autochtones s’inquiètent énormément de l’absence de dispositions protégeant leur liberté de conscience, surtout alors que le régime de suicide assisté est considérablement élargi. Tous les sénateurs ont reçu une lettre de dirigeants autochtones des quatre coins du pays, qui indique ceci :

Compte tenu des conséquences néfastes du colonialisme que nous avons eu à subir au cours de notre histoire ainsi que des valeurs et des idées rattachées à une autre culture qui nous sont involontairement imposées, nous estimons que les gens ne devraient pas être contraints de fournir l’aide médicale à mourir ou d’y participer.

Ils ajoutent ceci :

Peu importe ce que l’on pense de l’aide médicale à mourir, le droit à l’autodétermination et le droit d’agir selon sa conscience sont reconnus comme des droits fondamentaux de tous les peuples.

Chers collègues, toutes ces demandes montrent clairement que le projet de loi C-14 ne prévoit pas suffisamment de protection.

Dans un discours éloquent, la Dre Sephora Tang, psychiatre, nous a dit ceci :

Si la situation actuelle persiste, l’État est essentiellement autorisé à contraindre un praticien réticent à s’engager dans une action qu’il estime préjudiciable à une autre personne, et établit effectivement la possibilité d’infliger un préjudice moral aux professionnels de la santé.

Honorables sénateurs, on dit que se servir du Code criminel est une méthode radicale. Toutefois, dans le cas de la présente mesure législative, c’est le seul moyen qui nous permet d’appliquer vraiment la politique que nous souhaitons.

L’amendement contribuera à pénaliser toute personne ou institution qui en force une autre à fournir l’aide médicale à mourir ou à faciliter la prestation de celle-ci. La seconde disposition clarifie le fait que l’obligation de fournir des renseignements sur l’aide médicale à mourir n’est pas incluse dans le terme « faciliter ». L’objectif de cette mesure est de s’assurer que les médecins continueront de donner des renseignements sur l’aide médicale à mourir auto-administrée, qui a été et continue d’être employée efficacement partout au Canada.

Soyons clairs, chers collègues. Cela aura pour effet de forcer les ordres professionnels provinciaux à établir des politiques conformes à l’intention du Parlement.

Chers collègues, si les derniers jours ont bien montré quelque chose, c’est le fait qu’il n’y a pas de consensus clair sur la manière de légiférer en matière de compassion, sur la manière de s’assurer que des mesures de sauvegarde adéquates sont en place ou sur la manière d’atteindre l’objectif d’autonomie des patients, et que les divergences sur le plan médical et moral sont profondes dans le milieu médical.

Étant donné le manque de clarté et d’uniformité d’une province à l’autre, qu’il n’y a pas d’obstacle à l’accès dans les provinces où les praticiens sont pleinement protégés, et que des participants contraints et forcés, des chefs autochtones, des associations professionnelles et même une association médicale provinciale nous supplient d’intervenir, il nous incombe de rendre cette protection claire, avérée et constante. Dans une société pluraliste, je pense que c’est la seule approche responsable et équilibrée qui soit. Nous le devons à nos professionnels de la santé.

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