Le Code criminel
Projet de loi modificatif--Troisième lecture
17 février 2021
Honorables sénateurs, c’est avec une impression de déjà vu que je prends la parole au Sénat aujourd’hui. Il y a près de 5 ans, soit le 15 juin 2016, le Sénat venait tout juste de terminer son étude des amendements au projet de loi C-14 et s’apprêtait à se prononcer à l’étape de la troisième lecture. L’examen du projet de loi sur l’aide médicale à mourir du gouvernement, qui comprend l’étude préalable, nous aura pris un mois au complet, sans compter la semaine de débats sur les amendements qui l’avait précédé. Nous étions tous épuisés émotionnellement. Chacun d’entre nous qui étions là à cette époque se souvient très bien de ce processus. La question dont nous étions saisis était poignante, mais nous n’avions nul autre choix que d’y donner suite du mieux que nous pouvions. En fin de compte, le projet de loi C-14 a été adopté au Sénat à 64 voix contre 12, avec une abstention.
Les amendements que nous avons présentés ont été renvoyés à l’autre endroit. Quelques-uns d’entre eux ont été acceptés, certes, mais la plupart ont fini par être rejetés. Je soupçonne que le résultat du vote qui aura lieu cette semaine et le sort réservé au projet de loi dans l’autre endroit seront très semblables. Cependant, même s’il y a de nombreuses choses qui restent les mêmes dans ce dossier-ci, j’ai été étonné de constater à quel point la situation a changé en si peu de temps.
Le projet de loi C-14 ne nous avait pas été présenté par le gouvernement, mais donnait plutôt suite à une décision de la Cour suprême du Canada. Il ne s’agissait pas de déterminer si le suicide assisté serait offert ou non, mais plutôt comment il serait offert et quelles seraient les mesures de sauvegarde.
La situation est différente en ce qui concerne le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui. Si nous débattons du projet de loi C-7, c’est parce que le gouvernement fédéral s’est incliné devant l’opinion d’un juge provincial, qui a décidé unilatéralement d’invalider une loi qui avait déjà fait l’objet de débats approfondis et été adoptée par les deux Chambres du Parlement.
Le gouvernement fédéral aurait pu se porter à la défense de sa loi. Je dirais qu’il avait la responsabilité de le faire. Il a choisi le contraire. S’il avait pris la bonne décision et interjeté appel de l’arrêt Truchon devant la Cour suprême, il aurait ainsi fait preuve de respect à l’égard du Parlement et le jugement qui en aurait résulté nous aurait offert des précisions fort attendues quant aux attentes de la cour relativement à l’arrêt Carter d’origine. Chers collègues, nous ne sommes effectivement pas ici aujourd’hui en raison d’une décision de la cour. Nous sommes ici aujourd’hui à cause de l’ambivalence du gouvernement à l’égard de sa propre loi et de son incapacité à la défendre.
Toutefois, le contexte actuel est différent pour d’autres raisons également. Il y a cinq ans, nous avons réalisé que nous étions en train d’opérer un changement sociétal de très grande ampleur, ce qui n’a pas empêché les parlementaires des deux camps de manifester beaucoup de respect les uns envers les autres. À l’époque, le Sénat constituait sans contredit un espace de débat plus partisan qu’aujourd’hui. Nous avions alors coutume de débattre de manière vigoureuse à propos de divers enjeux, que ce soit à propos des dépenses du gouvernement, des projets de loi en matière de criminalité, ou de la politique étrangère. Malgré tout, nous étions également capables de nous élever au-dessus de la partisanerie. La question du suicide assisté a certainement fait partie des enjeux dont nous avons débattu.
Notre avis sur cet enjeu est façonné par nombre de nos propres expériences de vie et, j’ose espérer, par l’ouverture d’esprit dont nous faisons preuve lorsqu’un comité entend des témoins. La politique partisane n’a pas sa place lorsque nous abordons une question de conscience, surtout au Sénat, censé être la Chambre de second examen objectif.
C’est d’ailleurs pourquoi j’ai trouvé inquiétant d’entendre un collègue remettre en question la pertinence d’un amendement que j’ai défendu avec passion. Je me suis fait demander ce qu’en penserait Stephen Harper. Comme si une telle question allait apparemment me faire douter d’un amendement sur lequel j’avais travaillé pendant plusieurs semaines, en consultant médecins, éthiciens, constitutionnalistes, avocats spécialisés en droit médical, et même le Bureau du légiste du Sénat.
Puisqu’on m’a posé la question, j’aimerais en profiter pour y répondre. Comme il le faisait toujours, Stephen Harper nous aurait encouragés, moi et tous les membres de son caucus, à voter selon notre conscience sur les enjeux éthiques. Cette manière de penser constitue d’ailleurs l’un des piliers du Parti conservateur du Canada.
Je n’ai pas présenté l’amendement sur la protection des droits de conscience au nom du Parti conservateur du Canada ou encore en tant que leader du caucus conservateur du Sénat. Soyons clairs : aucun de mes discours sur le sujet, y compris celui d’aujourd’hui, n’a été prononcé au nom de mon caucus ou de mon parti. Il aurait dû être évident, à la fin de la semaine dernière, qu’aucun caucus ne parlait d’une seule voix dans ce dossier et que la politique n’était pas au premier plan des délibérations, et à juste titre. Je n’ai pas présenté l’amendement sur la liberté de conscience à la légère ou sans examen approfondi. Je l’ai présenté par respect pour les milliers de médecins et d’infirmiers qui quitteront leur profession si cette protection n’est pas établie et par respect pour les dirigeants autochtones, les groupes confessionnels et les associations professionnelles qui ont supplié le Sénat de la mettre en place.
À la suite de notre étude et des rapports subséquents qui ont montré que la protection existante est inadéquate, les efforts visant à la renforcer ont été rejetés. Lorsque l’amendement a été présenté, comme bien d’autres la semaine dernière, aucune tentative n’a été faite pour l’améliorer. Aucune solution de rechange n’a été proposée. On n’a pas reconnu qu’il s’agit d’un problème réel auquel sont confrontés des centaines, voire des milliers, de professionnels de la santé. Au lieu de cela, les préoccupations de personnes dont la carrière médicale est en jeu ont été sommairement rejetées, bien qu’il ait été clairement prouvé qu’une telle protection n’entraînerait aucun obstacle à l’accès.
Ceux qui balaient cavalièrement cette question du revers de la main sous prétexte que « ça fonctionne bien » ou que « c’est une approche équilibrée » ne sont pas au courant de la bataille qui s’est menée en Ontario et qui a conduit l’Association médicale de l’Ontario à demander au Parlement d’intervenir, ou n’ont tout simplement pas prêté attention.
Ceux qui s’inquiètent de la façon dont cet amendement — et pour une raison quelconque, cet amendement seulement — empiète sur les compétences provinciales devraient relever que de nombreux avocats de droit constitutionnel estiment que l’ensemble de ce projet de loi risque de fouler aux pieds les compétences provinciales en tentant de réglementer les soins de santé par l’intermédiaire du Code criminel.
En fait, je crois que nous n’avons jamais vu un projet de loi passer par le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles sans que quelqu’un mette en doute sa constitutionnalité, que ce soit l’Association du Barreau canadien, l’Association canadienne des libertés civiles ou le Conseil canadien des avocats de la défense. Nous avons prêté l’oreille et, en fin de compte, nous avons choisi de mener la charge sur la base des mérites de la politique proposée.
Tout bien considéré, nous avons compris que notre rôle était de faire ce qui était juste, c’est-à-dire d’adopter une politique sensée et de laisser les tribunaux faire leur part. Ne tirons pas la sonnette d’alarme de l’inconstitutionnalité seulement lorsque quelqu’un propose un amendement qui ne nous plaît pas.
Une fois que ces propositions auront été rejetées, nous pourrons aller de l’avant. Nos emplois sont protégés. Nous pouvons continuer à faire ce que nous aimons. Toutefois, pour beaucoup de personnes au pays, cela marquera la fin d’une carrière médicale méritoire et pleine de compassion.
Comme je l’ai dit, nous n’avons pas abordé les amendements de la même façon cette fois-ci. La structure était la même. Nous avons regroupé les thèmes et étudié les sujets ensemble, mais notre approche était fort différente. Au cours de l’étude du projet de loi C-14 par le Sénat, de nombreux amendements ont été proposés, mais, cette fois-ci, ils n’ont pas fait l’objet d’attaques passionnées, pour ne pas dire jubilatoires. Nous étions conscients que ces amendements reposaient sur des convictions profondes, d’où le respect témoigné aux personnes ayant des croyances différentes des nôtres.
J’ai sciemment choisi de ne pas débattre des amendements avec lesquels je n’étais pas d’accord, car je savais que chacun d’eux avait été soigneusement mûri. Rien n’a été soumis à la légère. Même si je n’étais absolument pas d’accord avec ce qui était proposé, je n’avais nullement l’intention de débattre des convictions d’un autre sénateur. Certes, il y a moyen d’avoir un débat respectueux et pertinent sur ces amendements, et nous y sommes en partie parvenus. J’étais toutefois désolé de constater le peu de considération accordée aux préoccupations des nombreux Canadiens qui ont suivi les travaux du Sénat pendant cette courte période, et plus particulièrement celles des témoins.
On m’a récemment rappelé de quelle façon le sénateur Joyal, ardent défenseur du projet de loi C-14, avait approché une sénatrice, l’une de mes collègues, qui venait d’exprimer en toute sincérité dans cette chambre ses grandes réserves par rapport à l’aide médicale à mourir.
Il lui a dit à quel point il appréciait ses paroles et à quel point il était important que son point de vue soit entendu dans le cadre de ce débat. Leurs positions étaient opposées sur la question, et pourtant ils faisaient preuve de respect, voire se soutenaient l’un l’autre.
Je me souviens distinctement quand le sénateur Joyal, juriste qui nous inspire tous le plus grand respect, m’a approché après mon discours sur le projet de loi C-14. Ce discours traitait strictement de mes préoccupations morales, et venait du cœur. Par la suite, il m’a dit à quel point il avait aimé mon discours et à quel point celui-ci était important alors que nous débattions de cette question importante. Je le répète, nous étions dans des camps opposés relativement à ce projet de loi, mais le sénateur Joyal aimait mes discours autant que j’aimais ses observations savantes.
Ce respect s’est aussi manifesté dans le cadre de ma participation au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Quand je me suis joint au comité, je l’ai fait à contrecœur. Je ne me sentais pas du tout à ma place. J’étais vraiment loin d’être un juriste. Or, les sénateurs Serge Joyal et George Baker étaient mes plus ardents défenseurs dans ce comité. Ils me disaient souvent que, par moment, il fallait un peu de bon sens pour sortir du brouillard et ils m’encourageaient à demeurer membre du comité quand j’avais des doutes. La plupart du temps, nous étions dans des camps opposés et nous défendions ardemment nos points de vue, mais il était essentiel que nous nous respections mutuellement.
Honorables sénateurs, je regrette cette époque. En 2016, quand le point de vue et les valeurs des sénateurs étaient différents de ceux des témoins entendus par le comité, personne n’a fait preuve de mépris. J’ai été choqué de constater que l’on méprisait carrément certains témoins pour leurs points de vue, voire qu’on les ridiculisait. Quand nous invitons des personnes à venir témoigner devant l’un de nos comités parce que nous estimons que leur expertise ou leur perspective pourraient nous être utiles, nous pouvons contester leurs arguments, mais pas leur intégrité ni leurs motivations.
Un avocat qui a témoigné au nom d’un groupe militant de nature confessionnelle a été accusé par un sénateur d’utiliser les difficultés de la communauté des personnes handicapées pour livrer un plaidoyer « idéologique » contre l’aide médicale à mourir, sans s’intéresser à ces difficultés autrement que pour faire valoir son point de vue sur l’aide médicale à mourir. Le témoin a contré cette insinuation en soulignant la somme considérable de travail accompli par lui et son organisme pour aider les personnes handicapées. Or, un témoin à ce point crédible et respectueux ne devrait pas avoir à se défendre d’une accusation lourde de sous-entendus comme celle-là.
Du reste, je considère comme étant indigne de notre part que nous tolérions qu’un médecin appelé en tant qu’expert dans de multiples affaires examinées par la Cour suprême des États-Unis soit accusé de colporter une théorie du complot ou se fasse affubler de sobriquets comme « professeur Google » parce que certains n’ont pas les mêmes préoccupations que lui. Le Dr Zivot a simplement soulevé une question et il a encouragé le gouvernement du Canada à procéder à une analyse post-mortem afin de s’assurer que les médicaments utilisés pour l’aide médicale à mourir font bel et bien ce que nous attendons d’eux.
Distingués collègues, bien des choses ont changé en cinq ans. En 2016, on se souciait beaucoup de prévoir des mesures de sauvegarde. Cinq ans plus tard, ces mesures sont qualifiées d’ « obstacles à l’accès », que perpétueraient ceux qui sont idéologiquement opposés à l’aide médicale à mourir. Nous sommes bien prompts à oublier les « garanties rigoureuses et bien appliquées » demandées par la juge de première instance citée dans l’arrêt Carter. Les juges de la Cour suprême ont déclaré qu’« un système de garanties soigneusement conçu et surveillé » était nécessaire. Et pourtant, dans nos délibérations, chaque fois qu’on a voulu montrer que les mesures de sauvegarde actuelles étaient inadéquates, l’argument a été balayé du revers de la main.
Prenons l’exemple de l’amendement de la sénatrice Batters qui visait le maintien de la période de réflexion de 10 jours. En Nouvelle-Écosse, un couple qui obtient un certificat de mariage doit attendre 5 jours avant de se marier. Au Québec, cette attente est de 20 jours. Après tout, chers collègues, le mariage est une décision sérieuse qui ne doit être prise qu’après mûre réflexion. Et pourtant, si quelqu’un souhaite mettre fin à ses jours, nous avons établi qu’aucune période de réflexion n’est pas nécessaire. Voilà qui est ironique, chers collègues.
En 2016, une grande importance était accordée aux soins palliatifs pour qu’ils soient non seulement préservés, mais aussi améliorés et accessibles à l’ensemble de la population. Pourtant, lors des témoignages devant le comité, nous avons constaté qu’à l’heure actuelle, non seulement ces objectifs ne se sont pas concrétisés, mais les ressources qui étaient auparavant destinées aux soins palliatifs sont désormais utilisées pour l’aide médicale à mourir. Dans certains cas, les maisons de soins palliatifs doivent fermer leurs portes à moins d’ajouter l’aide médicale à mourir dans les services offerts à leur clientèle. Cet état de fait rend les soins palliatifs moins accessibles, pas le contraire. Malheureusement, cette fois-ci, les plaidoyers pour apporter des changements et ajouter des mesures de protection plus rigoureuses sont tombés dans l’oreille d’un sourd.
Chers collègues, ces faits me troublent profondément. Nous ne sommes pas en train de descendre lentement sur une pente glissante, pour reprendre les mises en garde formulées par les experts internationaux; nous sommes en chute libre.
Vous vous souviendrez sans doute que durant les débats sur le premier projet de loi sur l’aide médicale à mourir, le gouvernement avait reçu les mêmes critiques qui lui sont adressées dans le débat d’aujourd’hui. Certains disaient que le projet de loi serait jugé inconstitutionnel parce que l’aide médicale à mourir n’était pas accessible aux personnes atteintes de troubles psychiatriques et qu’un des critères à remplir était la mort raisonnablement prévisible. Si vous vous rappelez, la Cour d’appel de l’Alberta s’était penchée sur ces deux aspects le 17 mai 2016 et elle avait confirmé le caractère inconstitutionnel de ces critères. Pour déterminer si l’aide médicale à mourir devrait être accessible aux personnes qui ne sont pas en phase terminale, la cour d’appel avait déclaré ce qui suit :
[…] la déclaration d’invalidité dont il est question dans l’arrêt Carter de 2015 n’exige pas que le demandeur soit en phase terminale pour être admissible à l’autorisation.
Voici ce qu’a dit la cour sur la question des maladies mentales : « Les personnes ayant une maladie mentale ne sont ni explicitement ni implicitement exclues si elles répondent aux critères. »
C’était avant l’adoption du projet de loi C-14 par le Parlement. Après la décision de la cour, les critiques ont saisi l’occasion pour accuser la ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould d’avoir élaboré un projet de loi trop restrictif. Ils disaient que l’aide médicale à mourir devait être plus facilement accessible. La réponse de la ministre a été très instructrice. Voici ce qu’elle a dit :
Je tiens à être bien claire. Le projet de loi permettrait d’offrir de l’aide médicale à mourir à une très grande proportion des personnes qui seraient susceptibles de la réclamer, notamment celles qui en sont aux derniers jours de leur vie. Les données collectées dans les endroits où il est légal de fournir de l’aide médicale à mourir le montrent bien. Il ne faut pas se leurrer : le projet de loi C-14 permettrait à la vaste majorité des Canadiens qui cherchent de l’aide médicale à mourir d’obtenir cette aide.
En revanche, tandis que le projet de loi C-14 donnerait accès à l’aide médicale à mourir à la majorité des Canadiens qui souhaitent bénéficier d’une telle aide, ce n’est pas tout le monde qui pourrait l’obtenir. L’accès serait limité en conformité avec les objectifs énoncés dans le préambule du projet de loi. Ces objectifs législatifs ne faisaient pas partie de l’ancienne loi. Ils auront une incidence sur l’analyse que l’on fera des dispositions juridiques à la lumière de la Charte, ce dont ne tiennent pas compte les personnes qui affirment que le projet de loi C-14 sera invalidé.
La ministre Wilson-Raybould avait informé les députés de l’autre endroit que le projet de loi C-14 comportait de nouveaux objectifs législatifs qui modifieraient l’analyse au regard de la Charte. Elle était persuadée que si l’objectif de la mesure législative était clair, la cour se devrait de tenir compte de ces nouveaux renseignements lors des futurs examens de la loi, ce qui la mènerait à une conclusion différente de celle de l’arrêt Carter.
Je laisse aux sénateurs qui sont avocats et experts juridiques le soin de débattre du bien-fondé des affirmations de l’ancienne ministre de la Justice. Il est toutefois révélateur, selon moi, que le gouvernement ait refusé de soumettre ces questions à l’examen de la Cour suprême. Au lieu de porter la décision Truchon en appel, il l’a simplement acceptée.
Ce n’est un secret pour personne que l’actuel ministre de la Justice, David Lametti, a des points de vue très différents de ceux de sa prédécesseure. En 2016, M. Lametti est allé à l’encontre de son gouvernement et il a voté contre le projet de loi C-14 à l’étape de la troisième lecture, car il estimait que celui-ci n’allait pas assez loin.
Le ministre Lametti n’a même jamais songé à contester la décision Truchon parce qu’elle lui permet d’obtenir ce qu’il voulait. Il a affirmé qu’à son avis, le projet de loi C-7 est tout à fait équilibré et il espère qu’un jour, l’aide médicale à mourir sera offerte aux personnes atteintes de maladie mentale.
Mme Wilson-Raybould, de son côté, a contesté publiquement la version du projet de loi C-14 remaniée par le ministre Lametti, car en plus d’estimer que celui-ci aurait dû faire appel de la décision Truchon, elle est d’avis qu’en faisant disparaître la période de réflexion de 10 jours pour les patients dont la mort est imminente, le gouvernement Trudeau et le ministre vont beaucoup plus loin que ce qu’exigeait le jugement Truchon.
Le 23 novembre de l’année dernière, Mme Wilson-Raybould a dit ceci pendant la période des questions de l’autre endroit :
Monsieur le Président, le projet de loi C-7, sur l’aide médicale à mourir, élimine cette mesure de sauvegarde qu’est la période de réflexion de 10 jours de même que l’exigence d’une nouvelle confirmation du consentement, ce qui ouvre la voie aux demandes anticipées d’aide médicale à mourir. Pourquoi?
Ce changement n’est aucunement exigé par la décision Truchon rendue par la Cour d’appel du Québec, que le gouvernement a choisi de ne pas porter en appel. De plus, la Cour suprême du Canada insiste, dans l’arrêt Carter, sur la nécessité d’obtenir un consentement clair. Divers experts, dont des médecins spécialisés en soins palliatifs et des défenseurs des personnes handicapées, soutiennent qu’il s’agit d’une mesure de sauvegarde cruciale. Par ailleurs, des rapports sur l’aide médicale à mourir dont la production est exigée par la loi et qui concernent les mineurs matures et les personnes souffrant d’une maladie mentale soulignent que les demandes anticipées créent des défis considérables.
Chers collègues, le gouvernement est allé de l’avant avec le projet de loi C-7 en prétendant que la décision Truchon l’y obligeait. C’est tout à fait faux. L’ancienne ministre Wilson-Raybould a anticipé les contestations fondées sur la Charte et a pris des mesures pour que la loi y résiste. Mais, encore une fois, plutôt que de défendre sa propre loi, le gouvernement a choisi de la laisser tomber dans ce qui ne peut être interprété que comme un virage non nécessaire, mais délibéré de la politique gouvernementale en matière d’aide médicale à mourir.
Honorables sénateurs, cette enceinte est censée offrir un second examen objectif, mais je crains que nous ayons failli à la tâche. Nous avons été saisis d’un projet de loi qui propose un changement de régime majeur. Notamment, le projet de loi cible un groupe protégé par la Charte, la communauté des personnes handicapées, et leur offre une porte de sortie, sans se presser pour leur faire une place dans la société. Cette communauté est le groupe le plus directement et profondément touché par le projet de loi et elle s’est catégoriquement opposée à celui-ci. Le message que leur envoie le projet de loi, chers collègues, est vraiment horrible.
Gabrielle Peters, qui vit avec un handicap, est une fervente militante qui a expliqué précisément à quel point ce projet de loi est discriminatoire. Tous les Canadiens qui sont dans la première catégorie prévue dans ce projet de loi sont admissibles. Tous les Canadiens en fin de vie qui sont aux prises avec un problème de santé grave et irrémédiable sont admissibles à la mort administrée par un médecin. Cependant, il y a maintenant une deuxième catégorie qui cible un groupe protégé par la Charte, soit les personnes handicapées, à qui on dit qu’ils peuvent aussi mettre fin à leurs jours. Comment peut-on considérer que ce n’est pas discriminatoire?
Je tiens à remercier personnellement Gabrielle Peters ainsi que tous les autres défenseurs des droits des personnes handicapées qui ont participé à ce processus pour avoir persévéré malgré les moments extrêmement difficiles. Mme Peters a continué de forcer les parlementaires à remettre en question leurs suppositions fondées sur les capacités parce qu’ils devront prendre des décisions qui auront d’énormes répercussions sur la vie des personnes handicapées.
Honorables sénateurs, quand on raconte le vécu des personnes handicapées, quand on révèle des détails troublants sur les symptômes que ces gens doivent endurer, et quand on en déduit que les gens ne peuvent pas vivre de cette façon, j’aimerais que l’on s’imagine ce que ressentent les milliers de Canadiens qui sont aux prises avec ces symptômes et qui savent que leur vie vaut la peine d’être vécue.
Hier soir, Gabrielle Peters a publié ceci sur Twitter :
C’est insupportable.
Il y a quelqu’un au Sénat qui décrit des symptômes dont je souffre tous les jours et qui dit qu’on ne peut pas vivre de cette façon, que ce n’est pas une vie.
Je me suis mise à pleurer. Merci Canada de me dire que je ne suis pas en vie. J’imagine que me tuer devient ainsi plus facile.
Chers collègues, pesons nos mots et soyons conscients de leurs effets alors que nous concluons ce débat.
La communauté des personnes handicapées est extrêmement préoccupée par les répercussions sur ses membres. Nous savons que les services offerts aux Canadiens vivant avec un handicap sont honteusement inadéquats. Nous savons que beaucoup d’entre eux attribuent leurs souffrances au manque de services, et non au handicap lui-même. Il ne fait aucun doute que cette situation entraînera la mort de précieux membres de notre société — des morts qui sont évitables. Nous savons que les Nations unies ont soulevé de graves préoccupations. Pourtant, nous votons pour renvoyer un projet de loi à la Chambre des communes alors qu’il inclut des propositions d’élargissement sans avoir pris en compte ne serait-ce qu’une seule des inquiétudes exprimées par le groupe qui sera le plus profondément touché, un groupe qui est formé de 6,2 millions de Canadiens.
Chers collègues, nous avons laissé tomber les personnes handicapées. Pourtant, nous adoptons rapidement une proposition qui n’a pas fait l’objet d’un examen minutieux, que ce soit pendant notre étude préalable approfondie ou l’étude en bonne et due forme du comité. Je ne parle pas du bien-fondé de cette proposition parce que je sais que les intentions étaient bonnes. Or, nous n’avions pas la moindre justification pour adopter cet amendement. C’est une autre question qui aurait dû être étudiée plus en profondeur dans le cadre de l’examen quinquennal que nous attendons toujours.
Nous n’avons pas réussi non plus à répondre aux préoccupations des Autochtones. J’en ai parlé en long et en large, et nous sommes tous conscients du manque de consultation avant la proposition de cette mesure législative. Cependant, j’aimerais lire en partie une lettre du Dr Thomas Fung de Siksika Health Services, de la nation Siksika. Il remercie tous ceux d’entre nous qui ont parlé de la liberté de conscience et qui ont voté en faveur de celle-ci pour les praticiens autochtones, et il en décrit l’importance. Il conclut sa lettre en disant ceci :
Même si l’amendement n’a pas été adopté, soyez réconfortés par le fait que mon ami atteint de schizophrénie vous remercie. Il m’a dit que si l’aide médicale à mourir avait été disponible lorsqu’il était à son pire, il ne serait pas là aujourd’hui. Il est heureux d’être en vie et il a obtenu un doctorat en mathématiques. Il partage son amour de la poésie en récitant des poèmes en public au grand plaisir de nombreuses personnes.
Un autre de mes patients a révélé à sa famille qu’il voulait recevoir l’aide médicale à mourir il y a un an et demi, lorsqu’il a été admis dans un établissement de soins de longue durée. Il n’était pas admissible parce que sa mort n’était pas imminente. C’était un homme difficile et irritable qui avait abusé de l’alcool et qui s’était brouillé avec sa famille. Ses douleurs arthritiques n’étaient pas bien gérées. En revanche, une fois traité à notre établissement, les médicaments contrôlaient sa douleur, les bons soins du personnel attentif avaient calmé sa colère et j’irais même jusqu’à dire qu’il était devenu une personne agréable. Si le projet de loi C-7 avait été en vigueur, sa vie aurait été écourtée, et il aurait été privé de la possibilité de faire la paix avec lui-même. Il est mort en douceur, de causes naturelles, cette semaine.
Ce sont là quelques-unes des raisons pour lesquelles je m’oppose au projet de loi C-7 dans sa forme actuelle. Je vais également continuer à travailler avec des militants autochtones pour obliger le gouvernement du Canada à reconnaître qu’il n’a pas permis à leurs voix et à leurs préoccupations d’avoir une influence notable sur l’élaboration des politiques et la prestation des soins de santé. Il y a beaucoup de travail à faire.
J’ai été déçu de voir rejetée par une écrasante majorité la demande que nous avait fait parvenir par lettre divers groupes et dirigeants autochtones n’ayant pas été consultés dès le départ. Ils souhaitaient qu’on apporte deux simples amendements qui auraient réduit les effets néfastes du projet de loi sur leurs communautés.
Je crois aussi qu’il est important de souligner les propos du Dr John Maher, psychiatre, qui nous a écrit à tous cette fin de semaine, après l’adoption de l’amendement sur la disposition de caducité. Voici ce qu’il dit :
Honorables sénateurs, j’ai vu 20 patients vendredi. Lorsque vous avez adopté l’amendement sur la disposition de caducité afin de permettre aux personnes atteintes d’une maladie mentale de recevoir un jour l’aide médicale à mourir, vous avez mené certains de mes patients qui étaient en voie de guérison à vouloir arrêter leur traitement parce que l’aide médicale à mourir s’en vient.
Il ajoute : « Vous ne connaissez pas mes patients, mais je les connais. Je les connais depuis des années. »
Ce sont là ses paroles, pas les miennes.
Lorsque le sénateur Kutcher dit de médecins comme moi, publiquement, que nous faisons montre de discrimination envers nos patients et de paternalisme, cela me brise le cœur. J’essaie de leur sauver la vie et de les aider à retrouver de l’espoir et un sens à la vie. Alors qu’ils renaissent à la vie, ce n’est plus la maladie principalement qui les fait souffrir, mais la société — et toutes les autres formes de stigmatisation et de rejet qui s’y trouvent — qui veut maintenant les aider à mourir. Je ne peux vous dire à quel point je suis triste.
Je vous encourage à lire tous les récits, croyances et réalités que rapporte le Dr Maher sur l’aide médicale à mourir en cas de maladie mentale. Il déboulonne toute une série de mythes, par exemple : le projet de loi C-7 n’est pas discriminatoire; l’aide médicale à mourir respecte l’obligation professionnelle que chaque médecin a d’exercer selon les normes de soins établies; les psychiatres peuvent prédire quelles personnes ne guériront pas de leur maladie mentale; l’aide médicale à mourir n’incite pas les patients à se suicider; l’aide médicale à mourir n’est pas synonyme de suicide; un médecin qui aide un patient à se suicider, cela ne relève pas de la morale dans une société laïque et pluraliste; le concept d’aide médicale à mourir en cas de maladie mentale contribue à améliorer l’autonomie; il y a d’excellents soins de santé en santé mentale au Canada pour les personnes les plus malades, et ainsi de suite.
J’aimerais vous lire un des arguments qui m’a particulièrement interpellé parce qu’il illustre bien notre débat dans cette enceinte :
Il y a un mythe selon lequel le Sénat a soutenu une disposition de caducité de 18 mois parce qu’il a sagement pesé tous les témoignages qu’il a entendus. Voici ce que le Dr Maher a à répondre à cela :
Voici un fait : La majorité des témoins ayant comparu au comité du Sénat étaient défavorables à l’idée de permettre l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant d’une maladie mentale. C’est d’ailleurs pour cette raison que le comité a produit un rapport très détaillé. Soit il existe suffisamment de données pour prouver le caractère irrémédiable de la maladie mentale, soit il n’en existe pas. S’il y en avait, on nous les aurait présentées, mais ces données n’existent pas. Ainsi, lorsqu’ils ont choisi d’ignorer le rapport du comité, la majorité des sénateurs ont indûment attribué de la valeur à des suppositions, à des raisonnements fallacieux et à des idéologies politiques. En outre, ils tentent de court-circuiter l’examen législatif obligatoire du projet de loi C-14, qui a été retardé par la COVID-19; ils n’ont pas pris en compte la recommandation du Conseil des académies canadiennes, qui déconseillait clairement d’étendre le programme d’aide médicale à mourir aux personnes souffrant d’une maladie mentale en raison de l’insuffisance des données et des limites des pronostics cliniques; ils n’ont témoigné aucun respect pour les arguments étayés d’une foule d’organismes qui représentent les personnes les plus vulnérables ou ceux des Nations unies; et ils essaient maintenant de tracer une voie à suivre pour le Parlement sans présenter une demande de renvoi à la Cour suprême.
Honorables sénateurs, lorsque des psychiatres proposent l’aide médicale à mourir à des patients qui peuvent être traités par d’autres psychiatres, une proposition de la sorte ne témoigne pas du caractère irrémédiable de la maladie, mais bien des limites professionnelles des psychiatres en question. La conséquence de ces limites professionnelles est la mort. C’est tout simplement tragique.
Le Dr Maher présente un très bon argument en ce qui a trait à la disparité entre le rapport du comité sénatorial et nos interventions législatives subséquentes. Les bonds que nous avons faits me laissent également perplexe.
Nos actes ne reflètent ni ce que nous avons entendu ni un consensus dans le domaine de la psychiatrie. Comme l’a dit le Dr Sonu Gaind, psychiatre : « [...] une disposition de temporisation reviendrait à mettre la charrue devant les bœufs sans même savoir si les bœufs sont là. »
Chers collègues, je sais que, pour la plupart, voire pour tous les sénateurs, étendre ce régime aux personnes atteintes d’une maladie mentale est une question de compassion ou de respect de la Constitution. Or, étant donné la vaste divergence des opinions concernant le caractère prévisible et irrémédiable des maladies mentales et l’enjeu de vie ou de mort, je vous exhorte à reconsidérer ce message que nous sommes sur le point d’adresser à la Chambre des communes.
Je suis fier des efforts inlassables déployés par le comité pour étudier ce projet de loi ainsi que de ses rapports exhaustifs. Je l’en félicite. Toutefois, je regrette de dire que je ne suis pas fier du projet de loi que nous renvoyons à la Chambre des communes. Nous agissons carrément de manière imprudente en faisant du régime canadien le régime d’aide médicale à mourir le plus permissif au monde.
Chers collègues, j’aimerais vous rappeler l’observation formulée par la cour dans l’affaire Rodriguez c. Colombie-Britannique, qui porte à réfléchir. La cour dit :
S’il se dégage un consensus, c’est celui que la vie humaine doit être respectée et nous devons nous garder de miner les institutions qui la protège. Ce consensus trouve son expression dans notre système juridique, qui interdit la peine capitale.
Cette prohibition est fondée en partie sur le fait que permettre à l’État de tuer dévaloriserait la vie humaine et qu’ainsi l’État sert d’une certaine façon de modèle pour les individus de la société. L’interdiction de l’aide au suicide sert un objectif semblable. En maintenant le respect de la vie, elle est susceptible de dissuader du suicide ceux qui, à un moment particulier, considèrent que la vie est intolérable, ou se perçoivent comme un fardeau pour les autres. Permettre à un médecin de participer légalement à la suppression de la vie indiquerait qu’il existe des cas où l’État approuve le suicide.
Chers collègues, l’arrêt Carter a invalidé l’arrêt Rodriguez, mais il n’a pas pour autant contredit la justesse de l’observation selon laquelle le fait de supprimer l’interdiction de l’aide au suicide diminue automatiquement le respect pour la vie et érode le principe même qui :
[...] [dissuade] du suicide ceux qui, à un moment particulier, considèrent que la vie est intolérable, ou se perçoivent comme un fardeau pour les autres.
Cette mesure législative crée un contexte où il n’y a désormais plus aucun argument valable pour dissuader une personne de recourir au suicide à un moment ou un autre de sa vie. En élargissant l’admissibilité à certains groupes de personnes qui n’arrivent pas en fin de vie et pour lesquels il pourrait y avoir des traitements, et en réduisant de façon préventive les mesures de sauvegarde sans avoir de données pour justifier une telle décision, je crains que nous ne normalisions le suicide, voire que nous soyons complices de le promouvoir comme option médicale.
Nos lois ont depuis très longtemps un caractère normatif — ce qui a parfois des conséquences positives et, parfois, comme dans le cas qui nous intéresse ici, très négatives. Lorsqu’on normalise une chose, cette chose se produit plus fréquemment. Il suffit d’examiner l’exemple de la Belgique et des Pays-Bas.
Le Sénat n’aurait pas pu empêcher le gouvernement de décider de ne pas porter en appel le jugement Truchon. J’ai tout de même cru qu’il nous revenait d’écouter les experts et d’agir avec beaucoup de prudence. Je ne crois pas que nous avions la responsabilité de demander un élargissement radical. Il aurait mieux valu que ces questions soient traitées dans le cadre d’un examen parlementaire après cinq ans, qui se fait toujours attendre.
Par ailleurs, j’espère me tromper, mais je suis très troublé que les trois représentants du gouvernement et la marraine de ce projet de loi se soient conjointement abstenus de voter sur l’élargissement le plus radical de la modification proposée. Pourtant, ils se sont vivement opposés à toute proposition visant l’élargissement ou le rétablissement de mesures de sauvegarde. Des rappels au Règlement ont été faits. La constitutionnalité a été mise en doute et on a laissé entendre que le rétablissement des mesures de sauvegarde que le gouvernement avait savamment défendues il y a quelques années s’avérerait maintenant cruel. Il sera très révélateur de voir quels amendements le gouvernement acceptera.
Peu importe les amendements qui seront adoptés ou rejetés, en fin de compte, je n’aurais jamais appuyé cette mesure législative, qui constitue incontestablement une discrimination envers les 6,2 millions de Canadiens qui vivent avec un handicap. Je trouve complètement absurde notre approche vis-à-vis des préoccupations de cette communauté déjà stigmatisée, et je ne vois rien qui compense dans cette mesure législative.
Toutefois, je suis encore plus préoccupé par la version du projet de loi que nous nous apprêtons à renvoyer à la Chambre que par celle qui nous était d’abord parvenue. J’aimerais conclure par les sages paroles de notre estimé collègue, le sénateur Murray Sinclair, auquel beaucoup d’entre nous ont rendu hommage hier. Lors du premier discours qu’il a prononcé dans cette enceinte, il nous a rappelé que notre rôle était de protéger « [...] les droits des personnes dont la situation minoritaire est menacée par la règle de la majorité. » Le sénateur Sinclair a ensuite déclaré ce qui suit :
Nous devons respecter le proverbe qui dit que lorsque deux renards et un poulet votent sur la composition de leur repas, il faut prendre la défense du poulet.
Chers collègues, il s’agit là de paroles empreintes de sagesse.
Honorables sénateurs, c’est notre dernière occasion de procéder à un second examen objectif concernant ce projet de loi sur la vie et la mort. J’encourage tous les sénateurs à garder cela à l’esprit lorsque nous voterons pour décider si c’est un projet de loi qui doit être adopté ou non. Ma réponse à moi est un non catégorique. Je vous remercie, chers collègues.
Honorables sénateurs, je voudrais commencer aujourd’hui par féliciter tous mes collègues du Sénat de leur contribution aux débats rigoureux sur le projet de loi C-7. Cela inclut évidemment le sénateur Plett. Je félicite la marraine du projet de loi, la sénatrice Petitclerc, de l’excellent travail qu’elle a fait pour nous aider et nous guider au cours des délibérations. Je félicite aussi le sénateur Kutcher de s’être penché sérieusement sur les questions difficiles portant sur le lien entre l’aide médicale à mourir et les problèmes de santé mentale.
Chers collègues, il convient de noter que la qualité et l’efficacité des débats ont été favorisées par l’organisation de nos travaux et surtout par l’établissement d’un calendrier pour les discussions sur les thèmes clés du projet de loi et les votes. Comme nous le savons tous, cela nous a permis d’adopter une approche fructueuse comme celle utilisée par le Sénat lors de l’étude du projet de loi C-14 en 2016 et du projet de loi C-45, un projet de réforme des politiques relatives au cannabis, en 2016 et 2017. Je pense qu’il y a une leçon à tirer de cette situation.
J’ai plusieurs remarques à faire sur le projet de loi C-7. Tout d’abord, comme nous le savons, le projet de loi C-7 remonte à la décision de 2015 que la Cour suprême a rendue dans l’affaire Carter et, chose tout aussi importante, à la réponse du gouvernement fédéral à cette décision qui, j’estime qu’il est juste de dire, était à la fois prudente et conservatrice. En réponse à la décision de la cour, le gouvernement de l’époque a introduit le critère de mort raisonnablement prévisible et a exclu les problèmes de santé mentale du nouveau régime d’aide médicale à mourir.
En 2016, certains sénateurs soutenaient que ces restrictions étaient probablement inconstitutionnelles compte tenu de la décision Carter. Certains d’entre eux sont toujours du même avis, comme nous avons pu l’entendre pendant les débats actuels. Nous avons aussi entendu, hier, que les plaignants dans l’affaire Carter n’auraient probablement pas satisfait au critère de la mort raisonnablement prévisible. Il est donc peu probable que la cour ait eu ce critère à l’esprit lorsqu’elle a élaboré sa décision.
Dans ce sens, la décision Truchon, une décision plus récente qui touchait à la fois à la question de la mort raisonnablement prévisible et à l’exclusion relative à la santé mentale, rejoignait directement des enjeux soulevés par le Sénat en 2016. Cette décision était tout à fait prévisible, à bien des égards. Ce n’était probablement qu’une question de temps.
Je me souviens qu’à nos débuts ici, le sénateur Wetston parlait des trois piliers qui définissent les paramètres de notre travail au Sénat, soit les politiques, la loi et la politique. Nous avons assurément rebondi d’un pilier à l’autre pendant nos débats sur le projet de loi C-7. Il suffit de penser, par exemple, à notre discussion sur les droits constitutionnels et les mesures de sauvegarde qui doivent offrir un contrepoids adéquat à ces droits, particulièrement à la lumière des inquiétudes concernant les Canadiens vulnérables, notamment les personnes handicapées, un enjeu mis en évidence, entre autres, par les sénateurs McPhedran, Pate, Miville-Dechêne et Plett.
Chers collègues, en étudiant le projet de loi C-7, surtout en ce qui a trait aux grandes questions, j’ai eu tendance à revenir sans cesse à la décision de 2015 de la Cour suprême, qui a traité en grande partie de cette même question, soit l’équilibre entre les droits des différents Canadiens dans le contexte de l’aide médicale à mourir.
Fait important à souligner, la Cour suprême a décidé dans l’affaire Carter que les interdictions d’avant 2015 visant l’aide médicale à mourir prévues dans le Code criminel avaient pour but de protéger les personnes vulnérables contre toute incitation à se donner la mort dans un moment de faiblesse. La cour a jugé que l’interdiction totale de l’aide médicale à mourir était trop générale parce qu’elle s’appliquant aussi aux personnes non vulnérables et qu’elle les empêchait de recevoir l’aide médicale à mourir. Même si la Cour suprême a statué que le droit pénal doit permettre une forme quelconque de mort assistée par un médecin, elle a déclaré que l’élaboration d’une réponse appropriée relevait du Parlement. Par exemple, la cour a déclaré qu’on avait besoin d’un « régime soigneusement conçu, qui impose des limites strictes » pour protéger les personnes vulnérables, et que, dans le cas de régimes de réglementation aussi complexes, le « législateur [...] est mieux placé que les tribunaux pour [les] créer ». La cour a reconnu la tâche difficile du Parlement qui consiste à équilibrer les intérêts conflictuels de ceux qui demanderaient l’aide médicale à mourir et ceux qui seraient exposés à des risques par la légalisation de celle-ci.
Chers collègues, bon nombre de ces mesures de sauvegarde strictes existent déjà. La sénatrice Petitclerc, marraine du projet de loi, les a bien décrites hier. Elles font partie des critères d’admissibilité très rigoureux prévus à la fois dans le projet de loi C-14 et le projet de loi C-7. Nous avons entendu des exemples très concrets de la souffrance et de la détresse extrêmes des demandeurs de l’aide médicale à mourir et des critères très exigeants qui s’appliquent aux cas de troubles mentaux.
Comme il fallait s’y attendre, le milieu médical du Canada s’est préparé aux changements qui pourraient découler du projet de loi C-7, dont l’élargissement de l’aide médicale à mourir à ceux dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible et peut-être à ceux qui ont des problèmes de santé mentale irrémédiables. Le sénateur Carignan a abordé ce sujet plus tôt durant le débat.
Ce travail est entrepris par certaines des plus éminentes associations médicales du Canada, y compris le Collège royal des médecins et des chirurgiens du Canada, le Collège des médecins de famille du Canada, l’Association des médecins psychiatres du Québec, l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM, et l’Association des psychiatres du Canada. Chers collègues, ces organismes réviseront les protocoles en place pour évaluer la capacité en matière de prise de décision, les examens médicaux, les antécédents de traitement et la formation des administrateurs de l’aide médicale à mourir; et pour évaluer les problèmes de santé graves et irrémédiables, comme l’exige la loi, les maladies, les affections ou les handicaps graves et incurables, comme l’exige la loi, et les souffrances physiques ou psychologiques persistantes qui sont intolérables pour le demandeur.
Dans le cadre de ce travail, ces organisations bénéficieront vraisemblablement de perspectives venant de l’extérieur du milieu médical, notamment des défenseurs des droits des personnes handicapées et des personnes atteintes de problèmes sévères de santé mentale. Outre les exigences énoncées dans le projet de loi, les initiatives comme celles-là renforceront la confiance de la population alors que nous veillons à ce que les droits légaux soient assortis de mesures de sauvegarde appropriées.
Comme l’ont affirmé tous les sénateurs qui sont intervenus dans cette enceinte au sujet du projet de loi C-7, je joins ma voix à celle de mes collègues pour reconnaître la nécessité de faire des investissements additionnels substantiels et d’ajouter des mesures de soutien pour les populations vulnérables et les personnes handicapées. Nous convenons tous que de telles mesures devraient être une priorité tant pour le gouvernement fédéral que pour les administrations provinciales, notamment parce que ces investissements s’inscrivent dans le contexte de la crise actuelle liée à la COVID-19, mais visent également l’avenir.
Chacun d’entre nous est confronté à des décisions ardues, parmi les plus difficiles que nous n’aurons jamais à prendre en tant que parlementaires et en tant que décideurs. Néanmoins, tout bien considéré, j’envisage d’appuyer le projet de loi tel qu’amendé. Merci.
Honorables sénateurs, c’est le cœur lourd que je prends une dernière fois la parole au sujet du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), tel que modifié.
J’aimerais d’abord souligner les efforts de sa marraine, la sénatrice Petitclerc, et du porte-parole, le sénateur Carignan. Je remercie aussi tous les sénateurs et les membres de leur personnel pour les efforts qu’ils ont fournis, tant sur le plan individuel que collectif, et tant au comité qu’ici même, au Sénat. Peu importe l’opinion que l’on a de ce projet de loi, la démocratie a été bien représentée.
J’aimerais remercier les membres du comité et le personnel du Sénat qui ont écouté des témoignages convaincants et qui, comme moi, ont eu du mal à contenir leurs émotions.
Enfin, j’aimerais remercier la présidente du comité, la sénatrice Jaffer, ainsi que sa vice-présidente, la sénatrice Batters, dont les efforts herculéens ont permis d’entendre les témoignages de plus de 130 personnes en huit séances. Nous aurions été incapables d’en faire autant dans le peu de temps dont nous disposions sans vos lumières et votre leadership.
Comme bon nombre d’entre vous, j’ai reçu d’innombrables courriels remplis d’anecdotes personnelles. Le personnel de mon bureau a répondu aux appels de familles canadiennes que le projet de loi C-7 inquiète vraiment, et au comité, nous avons entendu des témoins qui nous ont prévenus des conséquences possibles de ce projet de loi. Compte tenu de tout ce que nous avons entendu et de mes propres expériences, je suis convaincue que ce projet de loi ne devrait pas être adopté, que ce soit dans sa forme initiale ou tel qu’il a été amendé.
Honorables sénateurs, si ce projet de loi est adopté, nous aurons contribué à faire du Canada le pays où le régime d’aide médicale à mourir est le plus permissif. Ce projet de loi ne propose pas d’exiger explicitement que toutes les options raisonnables soient d’abord offertes au patient et essayées. Même les trois pays ayant mis en place les régimes d’aide médicale à mourir les plus permissifs au monde — soit la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg — considèrent cette pratique comme le dernier recours pour un patient, lorsque toutes les autres options sont épuisées. À titre de parlementaires, nos paroles et les gestes que nous posons seront consignés, et les prochaines générations s’y référeront. Par conséquent, je crois qu’il est de notre devoir absolu, à nous qui constituons la Chambre de second examen objectif, de prendre du recul. Nous devons exiger des réponses à toutes les questions et des données tangibles sur les répercussions qu’aura le projet de loi C-7 pour le Canada, sur le plan législatif. Nous devons réfléchir sérieusement aux témoignages que nous avons entendus. Nous devons protéger la population canadienne des conséquences potentielles de la suppression de certaines mesures de sauvegarde et de l’assouplissement des critères d’admissibilité de manière à faciliter grandement l’accès à l’aide médicale à mourir. Comme l’a dit le sénateur Tannas : « Les questions de vie et de mort laissent très peu de place au compromis. »
Honorables sénateurs, je crains que, dans notre quête de compassion, nous ayons fait de graves compromis qui causeront un préjudice mental et physique aux Canadiens qui est aggravé par le manque criant de preuves tangibles et les nombreuses questions qui subsistent en raison de l’absence de consultations exhaustives sur le projet de loi et d’examen parlementaire. Aucun comité d’examen parlementaire n’a été formé pour nous guider. Au lieu de cela, nous avons reçu des excuses allant d’une impasse dans les négociations à la pandémie de COVID-19. En réalité, la pandémie mondiale qui persiste et la menace d’une troisième vague avec de nouvelles variantes, l’augmentation des problèmes de santé mentale, du taux de chômage et de la pauvreté, ainsi que d’autres problèmes trop nombreux pour tous les énoncer dans ce discours devraient nous pousser à mettre en veilleuse l’élargissement de l’aide médicale à mourir plutôt qu’à adopter un projet de loi imparfait et à mettre ne serait-ce qu’une personne en danger. Comme l’a dit la sénatrice Batters, « même un seul est de trop [...] »
La sénatrice Boniface s’est dite préoccupée par le fait que, dans un dossier si important, le ministre de la Justice n’a pas été en mesure de fournir une mise à jour entre le moment où il a comparu initialement pour l’étude préalable il y a deux mois et celui où il est revenu comparaître pour l’étude sur le projet de loi il y a quelques semaines.
La sénatrice Deacon a pris la parole au sujet de la nécessité d’effectuer une enquête plus qualitative et un examen plus approfondi. Il lui semblait que nous agissions « [...] un peu avec les mains liées ».
Honorables sénateurs, lorsqu’il s’agit de questions de vie ou de mort, nous devons nous délier les mains. Nous devons posséder toutes les preuves et connaître tous les faits, faute de quoi nous manquerions à nos engagements envers les Canadiens.
Au comité, nous avons entendu des témoins, notamment la directrice de Toujours Vivant—Not Dead Yet, Amy Hasbrouck, la Dre Leonie Herx, et Bonnie Brayton du Réseau d’action des femmes handicapées du Canada, entre autres. Ces témoins se demandaient pourquoi le gouvernement allait de l’avant avec le projet de loi C-7, alors que l’examen quinquennal n’a pas encore été amorcé. Les témoins ont été clairs et presque unanimes : nous avons besoin de plus de temps, de plus de données probantes et de plus de consultations. Pour donner suite aux témoignages, plusieurs de mes collègues et moi avons proposé des amendements qui auraient offert de meilleures protections. Malheureusement, tous ces amendements ont été rejetés.
Les témoins nous ont aussi mis en garde contre l’adoption de l’approche à l’aide médicale à mourir pratiquée en Belgique et aux Pays-Bas. Ils nous ont rappelé que la politique ne porte pas sur des cas individuels et que les décisions prises aujourd’hui toucheront tous les Canadiens. On nous incitait à la transparence et à la reddition des comptes pour atténuer les conflits d’intérêts et garantir que les communautés qui ne devaient pas être visées par le projet de loi étaient protégées.
La communauté des personnes handicapées est une de celles qui ont clairement exprimé leurs préoccupations concernant le projet de loi. Une des témoins les plus convaincantes, qui a demandé qu’on tue le projet de loi C-7 pour éviter de risquer de tuer des personnes handicapées, occupe beaucoup mes pensées en ce moment. Le sénateur Plett a déjà cité ses paroles, et moi aussi j’aimerais consigner au compte rendu les mots suivants de Gabrielle Peters, tels que prononcés par Spring Dawes de Dignity Denied :
Ayant suivi les débats du Parlement et du Sénat sur le projet de loi C-7 et ayant vécu dans ce pays en tant que femme pauvre et handicapée, surtout en cette période de pandémie, je sais déjà à quel point on accorde peu de valeur à mes connaissances ou à mes expériences, voire à ma vie. Je ne viens pas ici en m’attendant à ce que l’État canadien tienne compte de ma souffrance et me demande « Comment pouvons-nous vous aider? », car cela ne correspond pas à mon vécu.
Nous n’avons pas besoin de construire un laboratoire pour découvrir comment mettre fin à la souffrance de la pauvreté. Nous savons comment y parvenir, mais nous n’en faisons rien. Pourquoi diffuser des communiqués de presse sur la réconciliation et le racisme, parallèlement à d’autres communiqués de presse sur un projet de loi C-7 qui semble violer l’esprit de la réconciliation et perpétuer l’injustice et les torts causés par le racisme? Les paroles qui ont été prononcées ici par des dirigeants autochtones, par des personnes handicapées noires et par des personnes handicapées de couleur — bien que peu nombreuses — n’étaient-elles pas suffisantes? Si oui, pourquoi alors considère-t-on comme une preuve crédible le témoignage d’une seule prestataire de l’aide médicale à mourir, qui affirme être absolument convaincue que ses pairs pourront, dans 100 % des cas, prendre des décisions exemptes de tout préjugé et fondées sur une évaluation tout à fait exacte?
Honorables sénateurs, je ne remets pas en question le fait que les fournisseurs de l’aide médicale à mourir aient un réel désir et une réelle volonté de faire de leur mieux, mais il est impossible d’affirmer qu’il n’y a jamais eu d’erreurs dans la prestation de l’aide médicale à mourir et qu’il n’y en aura jamais. Les inquiétudes de Gabrielle quant aux risques que comporterait un élargissement du suicide assisté ont été abordées par le professeur Raphael Cohen-Almagor, du Royaume-Uni. Sa connaissance des régimes d’aide médicale à mourir en vigueur dans neuf États nous invite à la prudence :
J’ai ici une ligne directrice claire, et c’est celle concernant l’aptitude ou l’inaptitude à consentir du patient. Toutes les lois aux Pays-Bas et en Belgique ont commencé par viser les patients aptes. Puis, après un certain temps, on a commencé à argumenter sur la justice et la non-discrimination, et les patients inaptes sont également entrés, peu à peu, dans l’équation.
Je trouve cela très inquiétant si l’on veut s’assurer qu’il n’y a pas d’abus. Si vous permettez à des patients inaptes d’obtenir l’aide médicale à mourir, je pense que c’est à ce moment-là que vous ouvrez la porte aux abus.
Dans un article publié le 13 février dernier, la journaliste Barbara Kay résume ce que le projet de loi C-7 signifie pour les personnes handicapées :
[...] la société accorde une plus grande valeur au fait de « mourir dans la dignité » qu’au fait de vivre dans la dignité, même avec beaucoup moins d’indépendance.
L’article cite David Shannon, qui est devenu quadriplégique après avoir subi un traumatisme médullaire lors d’une mêlée de rugby à l’âge de 18 ans. M. Shannon, qui est récipiendaire de l’Ordre de l’Ontario et de l’Ordre du Canada, a écrit ceci : « J’ai aimé et j’ai été aimé. Ce dont je suis le plus fier, c’est d’avoir survécu. » Il pose la question suivante : pourquoi n’encourage-t-on pas l’autonomie des gens?
Chers collègues, nous devrions examiner attentivement les soins palliatifs au Canada pour trouver des façons de les améliorer et d’améliorer la qualité de la vie de gens plutôt que d’y mettre fin. M. Trudo Lemmens et Mme Leah Krakowitz-Broker résument la situation ainsi :
Quand une personne est affligée d’une douleur débilitante, qu’elle éprouve des difficultés financières ou qu’elle risque de dépérir dans une institution qui ne lui offrira pas les soins nécessaires, il arrive souvent qu’elle considère l’aide médicale à mourir comme la meilleure solution. Or, il nous apparaît inadmissible que les gouvernements privilégient l’aide médicale à mourir, qu’ils financent, au lieu de consacrer les deniers publics à bien prendre soin des gens et à leur permettre d’avoir une qualité de vie raisonnable. Pour tout dire, l’élargissement de l’aide médicale à mourir constitue une solution expresse de facilité pour le réseau de la santé.
Pendant que je préparais mon discours pour la troisième lecture du projet de loi C-7, j’ai senti l’esprit de notre ancien collègue, le sénateur Tobias Enverga Jr. Animé de sa ferveur religieuse et de sa fierté d’être père de trois magnifiques filles, il aurait saisi toutes les occasions possibles pour prendre la parole à chacune des étapes et à propos de chaque amendement. Il aurait sans aucun doute fait un discours durant le débat final actuel. Sa voix puissante aurait retenti dans toute l’enceinte, avec ou sans microphone.
En mémoire de notre cher collègue, je pense qu’il est approprié de reprendre un passage de son discours passionné lors de la troisième lecture du projet de loi C-14 :
[...] je suis convaincu que, si nous faisons preuve de patience, de compassion et d’amour et que nous proposons aux malades les soins palliatifs qui leur conviennent, il est probable qu’aucun d’eux ne demandera la mort.
Il avait cité le pape François, qui a dit : « [...] La vie humaine est toujours sacrée [...]. »
Lui et moi avions voté différemment sur le projet de loi C-14. Je croyais qu’il était préférable de voter pour un cadre fédéral sur l’aide médicale à mourir dans l’espoir que les provinces mettraient en place des mesures de sauvegarde encadrant l’aide médicale à mourir. Par ailleurs, j’ai réellement cru qu’un examen aurait lieu après cinq ans pour faire ressortir l’importance des soins palliatifs et la nécessité de les améliorer. Le sénateur Enverga avait voté contre le projet de loi C-14 et avait déclaré ceci :
Honorables sénateurs, je frémis à l’idée de devoir choisir entre deux maux. Or, si, à titre de législateurs, nous sommes tenus d’en choisir un, nous nous devons de choisir le moindre. Je soutiens qu’en permettant qu’une telle mesure soit adoptée, nous laissons tomber les personnes vulnérables. Les innombrables déclarations bien intentionnées — mais qui n’engagent à rien — que nous faisons sur l’amélioration des soins palliatifs dans notre grand pays n’y changeront rien.
Eh bien, cher collègue, vous avez eu raison de nous mettre en garde à ce moment-là. Les soins palliatifs sont menacés et, dans diverses régions de notre grand pays, certains établissements doivent désormais rivaliser avec l’aide médicale à mourir pour obtenir du financement.
L’examen quinquennal n’a même pas encore eu lieu qu’on nous demande malgré cela d’adopter un autre projet de loi, un projet de loi qui supprime les mesures de sauvegarde et élargit l’admissibilité à l’aide médicale à mourir.
Distingués collègues, une grande partie d’entre nous, sinon la totalité, a aimé une personne qui a souffert et qui est au crépuscule de sa vie. Ma mère reçoit des soins de longue durée depuis près de dix ans en raison de la démence avancée dont elle souffre. Ses souvenirs sont en miettes. Certains ont peut-être disparu à tout jamais. Bien que je doive me présenter comme l’ami de Yonah et qu’elle ne réagisse pas toujours, je tombe souvent sous le charme de son sourire et de ses yeux pétillants. Il ne me serait pas possible d’exprimer par des mots, dans cette enceinte, ce que je ressens alors.
Si elle avait choisi de mettre fin à ses jours au début de cette terrible maladie, nous n’aurions jamais pu vivre toutes ces années remplies de sourires, de rires, de larmes et d’yeux pétillants, des années qui sont devenues très importantes pour elle, pour ma famille et pour l’équipe bienveillante du foyer de soins de longue durée Lakeview, qui est devenue le prolongement de notre famille.
Je pense au regretté sénateur Enverga. Je pense à Gabrielle Peters, une personne handicapée parmi les millions d’autres qui, au Canada, vivent avec un handicap. Elle nous a suppliés de tout son cœur de rejeter ce projet de loi. Je pense à ma mère, qui continue à me montrer que la dignité est indissociable de la personne, quel que soit le monde dans lequel on vit. Je n’appuierai pas le projet de loi C-7.
Honorables sénateurs, je prends aujourd’hui la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-7. Hier, j’ai rencontré le chef d’une Première Nation, et voici ce qu’il m’a dit : « Ça peut jouer dur sur les réserves, côté politique, mais dans les moments importants [comme les funérailles], nous enterrons la hache de guerre et nous nous serrons les coudes. »
Chers collègues, que croyez-vous que j’essaie de faire quand je m’adresse personnellement à chacun de vous? Je me moque des études que vous avez faites et de vos diplômes. Je me fiche des privilèges et de la hiérarchie. Les Premières Nations et les personnes handicapées m’ont demandé de faire valoir leurs inquiétudes au sujet du projet de loi C-7, alors ma responsabilité à moi, c’est qu’elles soient dûment notées par le Sénat. En ce qui me concerne, je dois être fidèle aux gens qui m’ont raconté leur vie et leurs histoires.
Cela dit, je dois aussi respecter mes convictions personnelles, et mes faits et gestes doivent être conséquents avec mon attachement profond pour les soins de santé communautaires et holistiques ainsi qu’avec l’expérience concrète que j’en ai. Je dois faire de mon mieux pour que les populations qui ont été laissées pour compte, muselées, mal représentées et menacées puissent enfin se faire entendre.
Comment, en tant que sénatrice issue des Premières Nations, puis-je réussir à fonctionner dans un régime politique archaïque ancré dans la culture dominante du Canada, qui est à jamais teintée de racisme, sans pour autant trahir ma vérité et ma culture autochtones? Eh bien, cette question, les Premières Nations se la posent depuis 500 ans. Les règles actuelles continuent de compromettre l’autonomie et d’entraver la souveraineté des Premières Nations. Nous n’avons pas encore réglé le problème du racisme dans les grandes institutions du pays, y compris la nôtre, car le racisme va rarement de pair avec le changement.
Il est très difficile de voir les questions autochtones continuellement mises de côté et ne pas être adéquatement prises en compte dans les projets de loi. Il est très difficile de ne pas désespérer qu’un jour, on réponde à nos préoccupations sérieusement et justement, et ce, dans tous les projets de loi dont le Sénat est saisi.
Honorables sénateurs, dans son article intitulé The Not-So-Hidden Role of Racism in Canadian Politics, publié le 8 juillet 2019 dans le Tyee, l’auteur Andrew McLeod cite Tanya Clarmont, de la nation Teme-Augama Anishnabai :
Lorsqu’on n’arrive pas du tout à se reconnaître dans un système, il est difficile de se motiver à participer. Mais, à ce stade-ci, je crois qu’il faut intervenir, se faire entendre et tâcher d’influer sur les résultats.
Elle est citée de nouveau plus loin dans l’article :
Il peut être très ardu de prendre sa place et d’intervenir dans une structure de gouvernance qui a des lois visant certaines personnes en raison de leur race.
Lorsque l’on vit dans un pays où des lois sont axées sur la race, il est difficile de trouver sa place dans la structure et de se convaincre qu’il est possible de contribuer à la façonner. On se sent petit devant l’immensité de la tâche.
Honorables sénateurs, les Premières Nations, les personnes handicapées, la communauté LGBTQ2, les médecins et le personnel infirmier n’ont pas été adéquatement consultés. Le projet de loi ne reflète donc pas leur point de vue et il ne les protège pas.
Aujourd’hui, c’est à titre de personne marginalisée que je vous adresse la parole parce que les populations dont je parle et les problèmes que je soulève sans cesse ne sont pas pris en compte dans le projet de loi.
La plupart des sénateurs prennent la parole au nom des gens qui pourraient envisager l’aide médicale à mourir. Quant à moi, je parle au nom de ceux qui veulent être exclus du processus.
Dans un article de la Winnipeg Free Press publié le 12 février 2021 et intitulé Le gouvernement fédéral définira le concept de « consentement préalable » en consultation avec les Premières Nations, M. Lametti dit ceci :
Dans le contexte canadien, le consentement préalable donné librement et en connaissance de cause se rapporte à l’autodétermination, au dialogue bilatéral respectueux et à la participation véritable des peuples autochtones aux décisions qui les concernent et qui touchent leurs communautés et leurs territoires.
M. Lametti ajoute qu’il s’agit d’entretenir des rapports consensuels et éclairés entre les Autochtones et les non-Autochtones du Canada, précisant que « [c]e concept touche tous les autres aspects de la [Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones] et de notre relation ».
On n’a jamais fait cela auparavant, et cela fait partie des vestiges concrets du colonialisme qui subsistent encore dans une foule de secteurs.
Cela se reflète aussi dans le projet de loi C-7.
Dans l’article, M. Lametti indique que sa vision du consentement préalable donné librement et en connaissance de cause consiste à « tenter d’obtenir l’approbation par le dialogue ». Or, le projet de loi C-7 fait fi du processus d’autodétermination, du consentement et du droit à la consultation des Premières Nations. Il est à noter que nombre d’Autochtones sont aussi des personnes handicapées. Les Premières Nations et les personnes handicapées sont des groupes qui veulent être mieux intégrés à la société canadienne pour enfin sentir qu’ils en font véritablement partie, mais pour cela, ils ne devraient pas avoir à mettre de côté leur capacité de s’exprimer, leur autonomie, leur intégrité, leur liberté, leur spiritualité et leurs pouvoirs. Cette commode indifférence est structurelle et systémique dans la plupart des projets de loi et elle rendra l’autodétermination impossible pendant des années.
Chers collègues, il s’agit effectivement de droit pénal qui s’applique au secteur de la santé. Or, des recherches menées par de nombreux universitaires ont établi que le racisme s’avère endémique dans le secteur de la santé.
En ce qui concerne la stérilisation forcée des femmes, il a été établi que des membres du personnel infirmier, des travailleurs sociaux et des médecins exerçaient de la coercition au moment où ces femmes étaient le plus vulnérables. Le même racisme à l’égard des femmes des Premières Nations, des Métisses et des Inuites a été constaté dans des hôpitaux du Québec, du Manitoba, de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique. Ces femmes ne pouvaient pas échapper aux mauvais traitements en raison du racisme et du rapport de force des fournisseurs de soins.
Il y a eu peu de changements structurels, malgré ce racisme bien documenté. Or, ce sont ces mêmes fournisseurs de soins qui veilleront à l’application de l’aide médicale à mourir. Croyons-nous vraiment que leur attitude changera soudainement?
Le projet de loi C-7 permettrait véritablement de mettre fin à des vies qui ne sont pas censées prendre fin.
Honorables sénateurs, plusieurs d’entre nous ont démontré et reconnu l’absence de données adéquates pour les 25 % de Canadiens qui sont racialisés. Nous ne disposons non plus d’aucune donnée, qu’elle soit qualitative, quantitative ou tirée du savoir autochtone, sur les divers types de professionnels de la santé impliqués dans cette affaire délicate qui se chargeront de ce dossier dans leur clinique, dans leur cabinet ou dans leur infirmerie. Nous n’en savons pas suffisamment à propos de leur disposition, de leurs préoccupations, de leur préparation, etc.
Je vais citer deux lettres que des médecins canadiens ont envoyées au sujet de ce débat. Le sénateur Plett a déjà cité le Dr Thomas Fung, qui a déclaré ce qui suit :
Je suis très reconnaissant de vos voix au Sénat et du fait que vous preniez à cœur les inquiétudes exprimées par des Autochtones, des personnes ayant un handicap ou des problèmes de santé mentale et des professionnels de la santé à propos des dommages irréparables qu’aura le projet de loi C-7 dans sa forme actuelle.
[...] soyez réconfortés par le fait que mon ami atteint de schizophrénie vous remercie. Il m’a dit que si l’aide médicale à mourir avait été disponible lorsqu’il était à son pire, il ne serait pas là aujourd’hui. Il est heureux d’être en vie et il a obtenu un doctorat en mathématiques. Il partage son amour de la poésie en récitant des poèmes en public au grand plaisir de nombreuses personnes.
Un autre de mes patients a révélé à sa famille qu’il voulait recevoir l’aide médicale à mourir il y a un an et demi, lorsqu’il a été admis dans un établissement de soins de longue durée. Il n’était pas admissible parce que sa mort n’était pas imminente [...] Si le projet de loi C-7 avait été en vigueur, sa vie aurait été écourtée, et il aurait été privé de la possibilité de faire la paix avec lui-même. Il est mort en douceur, de causes naturelles, cette semaine.
Ce sont là quelques-unes des raisons pour lesquelles je m’oppose au projet de loi C-7 dans sa forme actuelle. Je vais également continuer à travailler avec des militants autochtones pour obliger le gouvernement du Canada à reconnaître qu’il n’a pas permis à leurs voix et à leurs préoccupations d’avoir une quelconque influence notable sur l’élaboration des politiques et la prestation des soins de santé. Il y a beaucoup de travail à faire.
Un autre médecin a dit ceci :
Je vous remercie de vous être portés à la défense du droit à la liberté de conscience des médecins.
Je m’inquiète énormément du précédent créé en forçant des professionnels à agir d’une manière contraire à leur jugement et à leur conscience. Même s’il a été signalé, lors du débat, que rien dans le Code criminel n’oblige un particulier à fournir ou à aider à fournir l’aide médicale à mourir, rien n’empêche non plus un organisme comme l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario de contraindre ses membres à le faire.
Chers collègues, il est crucial d’entendre le point de vue des professionnels de la santé.
Honorables sénateurs, l’analyse comparative entre les sexes menée pour le présent projet de loi repose en grande partie sur des données d’autres pays, et elle a conclu que ses principaux bénéficiaires sont des hommes blancs âgés détenant des diplômes collégiaux. Le projet de loi est-il destiné à une catégorie privilégiée de personnes? Comme une sénatrice l’a dit, nous ne savons pas si le régime d’aide médicale à mourir sera appliqué de manière juste et équitable pour toutes les tranches de la population. Qu’adviendra-t-il s’il est appliqué de façon inappropriée, sous la contrainte? Comment documentera-t-on les statistiques sur l’application inappropriée de ce régime?
Chers collègues, la société dans son ensemble fait preuve de brutalité face aux femmes autochtones. Il y a deux semaines, je me trouvais dans une clinique dentaire dans le Nord du Manitoba quand plusieurs jeunes femmes sont venues me voir pour me faire part de leurs inquiétudes face aux pressions qu’elles subissaient en ce qui concerne le vaccin contre la COVID-19. Elles s’inquiétaient pour elles-mêmes et pour leurs aînés, qui sont fragiles. Ce sont toujours les femmes les premières à faire entendre leur voix et à agir et à faire les frais de la violence qui en découle. Je ne sais pas ce qu’elles feraient si on proposait l’aide médicale à mourir à leur père ou leur grand-père. Ce n’est pas dans leur culture, et l’aide médicale à mourir serait un vrai choc culturel. Les recherches ont montré que, pour que l’autodétermination des Premières Nations soit couronnée de succès, la question de la violence contre les femmes doit être abordée.
J’aimerais vous parler de ce que serait une version équitable du projet de loi C-7, selon moi, en ce qui concerne les Premières Nations, les Métis, les Inuits, les Indiens non inscrits et les personnes handicapées. Il impliquerait une consultation complète de tous les acteurs susmentionnés, de tous les prestataires de soins de santé concernés notamment. Cela leur permettrait d’exprimer toutes leurs préoccupations.
Chers collègues, concernant ce projet de loi, le gouvernement n’a pas rempli ses responsabilités sacrées. Je ne veux pas participer, encore une fois, à l’adoption hâtive d’un projet de loi aux dépens d’un important groupe de Canadiens.
La semaine dernière, j’ai été interviewée par l’Assemblée des chefs du Manitoba sur Facebook Live. J’avais parlé au public de la responsabilité du Sénat d’équilibrer la représentation selon la population à la Chambre des communes en représentant et en protégeant les droits des personnes marginalisées et des membres des Premières Nations, des Métis et des Inuits du Canada. La question qui m’a été posée était la suivante : les Canadiens devraient-ils encore croire et faire confiance au Sénat, étant donné les problèmes récents flagrants concernant les peuples autochtones? Comment répondriez-vous à cette question?
Je vous remercie.
Honorables sénateurs, je prends de nouveau la parole au sujet du projet de loi C-7. C’est la troisième fois que je le fais au sujet de ce projet de loi; c’est une première pour moi depuis que j’ai été nommé sénateur. J’imagine que cela montre l’importance de la question à l’étude, du moins à mon avis.
Je veux qu’il soit noté que je me prononce en tant que citoyen laïque qui n’est orienté par aucune motivation théologique. Je me considère comme un libertarien, mais j’ai toujours cru que je devais trouver un équilibre entre mon penchant pour cette idéologie et les intérêts collectifs des autres, en particulier de ceux qui ont eu moins de chance dans la vie.
Lorsque le projet de loi C-14 a été adopté en 2016, le critère de la « mort raisonnablement prévisible » avait été instauré en tant qu’exigence pour l’admissibilité à l’aide médicale à mourir. C’est un critère assez large et, même si je n’ai pas voté pour le projet de loi C-14, je n’ai rien contre l’idée de permettre à une personne en fin de vie qui souffre constamment et qui a toute sa tête de demander légalement une aide médicale appropriée pour mettre fin à son agonie. Sur le fond, je n’ai rien contre l’aide médicale à mourir, mais nous avons ouvert une porte qui n’avait jamais été ouverte auparavant au Canada et je craignais que le projet de loi C-14 n’ait trop largement ouvert cette porte et que le Canada dérive vers une destination imprévue que la plupart des Canadiens ne souhaitent pas atteindre.
Le projet de loi C-7 supprime la période d’attente de 10 jours pour les personnes qui obtiennent l’approbation pour l’aide médicale à mourir. L’année dernière, plus de 280 Canadiens ont changé d’avis pendant cette période de 10 jours. Tous ces gens seraient morts si le projet de loi C-7 avait été en vigueur. Peut-on parler d’une amélioration de la législation? Cela montre que mes inquiétudes étaient justifiées. Cette situation à elle seule justifie de ne pas appuyer le projet de loi.
Cependant, le gouvernement avait assuré le Parlement qu’il y aurait un examen quinquennal du projet de loi C-14 afin que les Canadiens puissent avoir l’assurance que les procédures et les protocoles relatifs à l’aide médicale à mourir n’ont pas mené à des effets indésirables. Par conséquent, les Canadiens ont naturellement présumé que l’examen aurait bel et bien lieu avant que de nouvelles avancées soient proposées en matière d’aide médicale à mourir. Cette promesse n’a pas été tenue et le rapport de cette étude essentielle n’a jamais été produit. Pourtant, voilà qu’on nous demande d’apporter des modifications au régime qui augmenteraient de façon importante le nombre de personnes admissibles à l’aide médicale à mourir.
Comment en sommes-nous arrivés là? Une juge a déclaré que certains éléments du projet de loi C-14 étaient inconstitutionnels et que le gouvernement fédéral devait régler le problème. Il importe peu de savoir qui était la juge ou dans quelle province la décision a été rendue; les juges rendent des décisions de la sorte de manière légitime en fonction de leur interprétation des lois. Même si je pense que les tribunaux canadiens ont pris de mauvaises décisions et qu’ils continueront de le faire de temps en temps — et je ne dis pas que c’est le cas dans la question qui nous occupe —, l’ultime responsable de gérer cette question de vie ou de mort est le gouvernement fédéral, pas les tribunaux. Si le projet de loi C-14 était voué à l’échec, pourquoi alors a-t-il été présenté et adopté?
Le gouvernement prétend qu’il a les mains liées, mais c’est faux. Dans les circonstances actuelles, la décision raisonnable et responsable est de renvoyer l’affaire à la Cour suprême et non pas de demander au Parlement d’adopter à toute vapeur le projet de loi C-7. Somme toute, si le projet de loi C-7 est aussi inconstitutionnel que le projet de loi C-14 — ce qui semble être le cas —, que faut-il penser de la manière dont le gouvernement a géré ce dossier?
Les juges, comme les sénateurs, sont nommés. Il y a un maximum de 105 sénateurs et, comme vous l’avez sans doute remarqué, nous ne sommes pas toujours d’accord. La plupart des gens, y compris la plupart des politiciens à tous les niveaux, ne savent pas combien il y a de juges fédéraux au Canada. Pris ensemble, les instances judiciaires du Canada — la Cour suprême, les cours d’appel provinciales et fédérale, les cours du Banc de la Reine, les tribunaux de la famille et ainsi de suite — comptent plus de 900 juges à temps plein et près de 300 juges surnuméraires, pour un total de 1 200 juges fédéraux.
S’attend-on à ce que 1 200 juges s’entendent toujours sur tout? Je ne m’y attends certainement pas. Je présume que la plupart des sénateurs peuvent nommer une vingtaine des 338 députés. Je me demande combien de gens au pays, voire au Parlement, pourraient nommer 20 des 1 200 juges fédéraux. Nos juges, qui sont nommés à la magistrature, exercent une grande influence, mais les citoyens en savent bien peu à leur sujet ou à l’égard des croyances qui façonnent leur manière de penser et leurs décisions.
Je ne critique pas la cour ou sa composition. Je fais simplement remarquer que nous devrions mettre un peu les choses en perspective en ce qui a trait à la cour et à notre réaction à titre d’institution. Un juge est simplement un avocat nommé à la magistrature. Les avocats sont comme nous tous; certaines nominations à la magistrature sont plus solides et davantage fondées sur le mérite que d’autres. Les juges ont souvent un parti pris politique. Il n’y a rien de mal à cela. Toutefois, cessons de nous dire qu’une fois qu’un avocat est élevé à la magistrature, il devient comme par magie notre supérieur infaillible vêtu d’une toge. Ni les législateurs ni les juges n’ont encore atteint ce niveau de perfection.
Nous vivons dans un pays qui respecte la primauté du droit, et nous devons respecter les décisions des tribunaux. Je le comprends, et je ne remets pas en doute l’intégrité des tribunaux. Toutefois, chers collègues, nous ne sommes pas obligés d’acquiescer sans broncher à toutes leurs décisions, pas plus que le gouvernement d’ailleurs.
Certains sénateurs ont déclaré qu’il est impossible de revenir en arrière. Je suis du même avis, mais cela ne signifie pas pour autant que nous devrions agir de façon précipitée. Nous n’avons d’ailleurs pas à le faire. Est-ce que le gouvernement Trudeau croit vraiment que la décision d’un seul juge sur les quelque 1 200 en poste dans un pays de 37 millions d’habitants est si parfaite qu’avant de rédiger une nouvelle mesure législative, il n’aurait pas pu d’abord porter la cause devant la Cour suprême afin d’obtenir une décision définitive? Après tout, la Cour suprême n’est sûrement pas si occupée pendant la pandémie, et le sujet n’est pas si insignifiant. Elle aurait sûrement le temps de se pencher sur la question. Le gouvernement aurait dû interjeter appel de cette décision avant d’envisager la rédaction d’une nouvelle mesure législative, et nous devrions continuer d’insister pour qu’il le fasse. Après tout, n’est-ce pas la raison d’être de la Cour suprême?
Comme ce fut le cas lors du débat entourant le projet de loi C-14, nous avons entendu diverses analyses constitutionnelles des projets de loi C-14 et C-7 dans le débat actuel. Bien que de tels arguments m’intéressent sur le plan intellectuel, ils ne sont pas réellement pertinents en ce qui concerne notre processus décisionnel. Un sénateur n’est pas un avocat plaidant; le Sénat n’est pas un tribunal. Nous ne sommes pas ici pour rendre un jugement, mais bien pour légiférer. Un sénateur peut très bien avoir un avis constitutionnel sur tel ou tel enjeu, mais nous ne devrions pas présumer de la décision que prendra probablement un tribunal. Ce travail doit être laissé aux mains des tribunaux eux-mêmes.
Nous devrions plutôt veiller à ce que la sécurité et le droit à la vie des Canadiens les plus vulnérables ne soient pas compromis ni menacés par des décisions imposées à l’ensemble de la société par le gouvernement. À mon avis, il s’agit là d’un objectif beaucoup plus important à long terme, en tout cas certainement plus important que des solutions à court terme et des opinions ésotériques concernant d’obscures arguties juridiques.
Lorsque je me suis prononcé sur le projet de loi C-7 à l’étape de la deuxième lecture, je n’ai soulevé que deux interrogations : le manque de données scientifiques au pays concernant les protocoles relatifs à l’aide médicale à mourir ainsi que les situations horribles que ce projet de loi risque de créer pour les personnes handicapées. J’admets que je n’avais aucune idée que certaines autorités médicales seraient grandement choquées de m’entendre me questionner sur la souffrance que pourraient engendrer de tels protocoles sans qu’on le sache.
J’ai été extrêmement déçu que certains se soient concertés pour discréditer les propos d’un témoin pourtant sérieux concernant les protocoles. J’ai aussi été navré du ton méprisant employé envers d’autres personnes s’opposant au projet de loi C-7. Mais bon, si vous me permettez l’analogie militaire, j’imagine que, quand les canons antiaériens se mettent à vous tirer dessus, c’est parce que vous avez découvert quelque chose que l’ennemi ne voulait pas que vous découvriez.
Comme je le disais à l’étape de la deuxième lecture, je ne suis pas médecin et je ne prétends pas m’y connaître en protocoles, mais il n’en demeure pas moins que les questions que j’ai posées n’ont toujours pas trouvé de réponse. Je veux seulement que la science m’explique ce qui se passe. L’observation visuelle d’un cas d’aide médicale à mourir a certainement de la valeur, mais les histoires anecdotiques et les sermons condescendants que l’on a entendus ici, au Sénat, ne remplaceront jamais une analyse scientifique rigoureuse. C’est la condition sine qua non si nous voulons que les décisions de vie et de mort que devront prendre l’ensemble des parties intéressées soient éclairées.
Si les partisans du projet de loi C-7 sont aussi convaincus qu’ils le disent de la fiabilité des protocoles, pourquoi ne changent-ils pas le cours du débat en présentant un amendement qui exigerait la tenue systématique d’une autopsie chaque fois qu’une personne reçoit l’aide médicale à mourir? L’absence d’une disposition allant en ce sens me semble aujourd’hui constituer un oubli impardonnable, et j’ose espérer qu’il sera corrigé sous peu. Je fais totalement confiance aux médecins et à la science médicale moderne, alors arrêtons d’y aller à tâtons et demandons-leur de nous donner les réponses dont nous avons besoin.
À la troisième lecture, la semaine dernière, le sénateur Dalphond a proposé d’étudier la façon dont le Benelux gère l’aide médicale à mourir. Je me suis donc intéressé aux Pays-Bas, puisqu’il s’agit d’un pionnier dans le domaine. Je remercie le sénateur pour ses conseils, car ce que j’ai découvert devrait préoccuper toute personne qui se soucie du sort des plus vulnérables.
En 2003, année d’entrée en vigueur de l’aide médicale à mourir en Hollande, elle ne correspondait qu’à 1 % de l’ensemble des décès au pays, soit le même pourcentage qu’au Canada en 2017, première année complète où l’aide médicale à mourir était accessible. Mais, toujours en 2017, la mort médicalement assistée, adoptée 14 ans plus tôt, représentait en Hollande plus du quart de tous les décès. Les mathématiques n’ont jamais été ma force, mais le quart des décès, c’est tout de même 25 %, et je trouve perturbant qu’un nombre aussi élevé de morts orchestrées soit jugé acceptable, peu importe les critères appliqués.
Theo Boer est un professeur d’éthique hollandais; il a siégé pendant de nombreuses années au sein d’un conseil d’examen mis en place en Hollande pour assurer le suivi des cas d’euthanasie. Chaque conseil compte trois membres, soit un médecin, un avocat et un éthicien. Voici ce que M. Boer a déclaré :
Au départ, le processus législatif en matière d’euthanasie visait les cas les plus déchirants, des formes de mort absolument terribles [...] Nous avons enclenché un mouvement qui, nous le constatons aujourd’hui, a plus de conséquences que nous aurions pu l’imaginer.
Intéressez-vous de près aux Pays-Bas, car cela risque d’être la réalité du Canada dans 20 ans. M. Boer est une voix expérimentée, honorable, professionnelle, bien informée et pondérée qui s’adresse à nous. Nous devons écouter ses conseils. La loi hollandaise permet maintenant aux enfants de recourir à l’euthanasie dès l’âge de 12 ans. Est-ce vraiment la voie que nous souhaitons emprunter au Canada?
J’aimerais parler de l’amendement présenté par la sénatrice Wallin. Bien qu’il interpelle mes valeurs libertaires, je ne l’ai pas appuyé, non pas parce que je suis réticent à l’idée des demandes anticipées d’aide médicale à mourir pour les personnes qui craignent de perdre leurs facultés mentales, mais plutôt parce que je ne fais pas confiance au gouvernement pour gérer adéquatement la chose. C’est une idée qu’il vaut la peine d’examiner, mais elle nécessiterait des protections très strictes pour éviter que des personnes se voient offrir l’aide médicale à mourir prématurément, en particulier si leur décès pourrait apporter un gain financier à autrui. Chers collègues, ne vous faites pas d’illusion; cette sombre dynamique sera souvent en jeu. C’est la réalité du monde dans lequel nous vivons.
Ma plus grande inquiétude est le sort des personnes handicapées à la suite de l’adoption du projet de loi C-7. Ces personnes ont besoin de notre soutien. Or, tant de détails laissent à désirer. Elles ont raison de se sentir menacées par ce projet de loi.
Je pense aux conditions dans ma province. Claire McNeil, une avocate auprès de la Disability Rights Coalition of Nova Scotia, a comparu devant le comité sénatorial. Elle nous a dit :
À l’heure actuelle, l’accès aux services de soutien aux personnes handicapées prévu dans le projet de loi C-7 n’existe pas en Nouvelle-Écosse [...] ceux qui vivent dans la pauvreté et qui n’ont pas d’autres ressources ou capacités pour répondre à leurs besoins et qui, en Nouvelle-Écosse, se retrouvent inutilement placés dans des refuges pour sans-abri, des hôpitaux, des prisons et d’autres établissements financés par la province. C’est bien documenté.
Mme McNeil ajoute ceci :
D’un autre côté, il y a beaucoup d’autres personnes qui ne sont pas aussi institutionnalisées et qui font face à des délais extrêmement longs, de plusieurs décennies dans certains cas, et à une liste d’attente indéfinie pour obtenir des services dans la collectivité et le genre de services de soutien aux personnes handicapées envisagés dans le projet de loi qui leur permettront de vivre dans la collectivité.
Elle conclut ainsi :
La Nouvelle-Écosse est peut-être un exemple extrême de ce problème, mais je ne pense pas que ce soit un cas unique [au Canada] [...] La notion d’autonomie qui semble sous-tendre ce projet de loi est une fiction en l’absence d’une véritable égalité et d’un accès aux nécessités de la vie.
Chers collègues, il s’agit des conditions de vie réelles dans lesquelles les personnes atteintes d’une grave maladie ou d’un grave handicap prennent la décision de mettre fin à leurs jours.
La gestion et les coûts des établissements de soins palliatifs et la prestation de soins au Canada relèvent de la compétence des provinces. Combien de milliards de dollars le gouvernement fédéral a-t-il dilapidés au cours de la dernière année dans des programmes de subventions conçus à toute vitesse et mal gérés durant la pandémie? Pensons à l’argent qui aurait pu être consacré à la place à des programmes pour les personnes handicapées afin qu’elles bénéficient de l’aide et des soins de qualité dont elles ont grandement besoin et qu’elles méritent.
Le gouvernement Trudeau affirme que des normes nationales contribueraient à améliorer les services et à alléger les inquiétudes de certains Canadiens à l’égard du projet de loi C-7. Comment le gouvernement peut-il prétendre défendre et faire adopter des normes nationales d’un bout à l’autre du pays alors que le secteur de la santé relève de la compétence des provinces? Il n’y a pas de normes nationales. Le gouvernement va refiler le gâchis qu’il a créé aux provinces et s’en laver les mains.
En décembre dernier, j’ai lu dans un quotidien d’Halifax un article de David Shannon, un avocat en exercice originaire de la ville de Thunder Bay. Je crois que ce sont ses arguments qui m’ont ouvert les yeux à propos du projet de loi C-7. M. Shannon a déjà été commissaire aux droits de la personne et il est membre de l’Ordre de l’Ontario et de l’Ordre du Canada. Il a fait un saut en parachute à partir d’un avion qui volait à 25 000 pieds d’altitude; il s’est rendu au pôle Nord, où il a planté une affiche d’accessibilité pour les personnes handicapées; il a fait du théâtre et du cinéma et il a accompli toutes ces choses en fauteuil roulant. En effet, il a été victime d’une blessure qui l’a rendu quadriplégique à l’âge de 18 ans.
Je ne connais pas M. Shannon personnellement, et nous ne nous sommes jamais rencontrés. Toutefois, je tiens à lui dire qu’il est devenu mon héros. Il incarne la persévérance, le courage et la force de l’esprit humain. Malgré tous ses exploits, il insiste pour dire que sa plus grande victoire est d’avoir vécu. Toutefois, il serait le premier à vous dire que, sans le soutien adéquat, il ne pourrait pas vivre sa vie de tous les jours.
M. Shannon nous dit ceci :
Il existe un continuum culturel selon lequel on accepte la mort des personnes handicapées. La société nous dit continuellement que nous n’avons pas de valeur et que notre vie ne vaut pas la peine d’être vécue.
Si le projet de loi C-7 est adopté, son libellé sera inscrit dans la loi, approuvé par le Parlement du Canada, en affirmant essentiellement ceci : « Allez-y, mettez fin à vos jours. Nous allons vous aider à le faire parce que la vie avec un handicap doit être totalement intolérable. » [...] Or, on dirait que personne ne s’en soucie.
Je suis heureux de dire à M. Shannon qu’il se trompe complètement en disant que personne ne s’en soucie. De millions de personnes s’en soucient. Des millions de Canadiens s’en soucient. Des millions de personnes à l’étranger s’en soucient. Mes voisins, mes amis et ma famille s’en soucient. Moi-même, je m’en soucie. Ce que j’ai appris au cours des trois derniers mois sur le projet de loi C-7, notamment qu’il fait fi des personnes handicapées, n’a fait qu’affermir ma position. Je vais descendre les chutes Niagara dans un baril avant de voter pour le projet de loi C-7. Quoique, si je me rendais à l’escarpement du Niagara pour tenter cet exploit, je soupçonne que je découvrirais que David Shannon m’a devancé.
Le regretté Bill Buckley a parlé de façon réfléchie de gouvernance en disant qu’il préférerait être dirigé par des personnes choisies au hasard à partir d’une page de l’annuaire de Boston plutôt que par le corps professoral de l’Université Harvard.
L’attitude dont fait preuve le gouvernement et ses sympathisants en imposant de façon obsessive leur programme avec ce projet de loi tout en faisant soigneusement fi de la vulnérabilité accrue des personnes handicapées est un parfait exemple de la vision étroite dont parlait certainement M. Buckley.
Absolument tous les organismes réputés et reconnus qui représentent les personnes handicapées au Canada et à l’étranger sont farouchement opposés au projet de loi. Comment pouvons-nous nier cette évidence? Je ne la nierai certainement pas.
Je suis désolée, sénateur MacDonald, mais votre temps de parole est écoulé.
Honorables sénateurs, alors que nous terminons le débat sur le projet de loi C-7, j’aimerais reconnaître que le Parlement du Canada se trouve sur des terres ancestrales non cédées des peuples autochtones. Je ne proposerai pas d’amendement au projet de loi C-7 aujourd’hui. Toutefois, je tiens à saisir cette dernière occasion qui m’est donnée pour consigner au compte rendu, à des fins de consultation future, certaines inquiétudes et observations alors que ce projet de loi profondément imparfait va de l’avant; un projet de loi qui a inquiété et galvanisé chacune des organisations nationales de défense des droits des personnes handicapées du pays, en plus d’avoir eu le très rare effet de motiver trois experts indépendants de l’ONU à émettre un rapport conjoint sur la nature discriminatoire de ce projet de loi pondu à la hâte et irréfléchi.
Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance en ce qui concerne la qualité du débat sur ce projet de loi et à remercier mes honorables collègues qui ont présenté des discours réfléchis et touchants. J’espère que les amendements qui ont été adoptés ici seront intégrés dans le projet de loi avant qu’il n’entre en vigueur. Je félicite la sénatrice Petitclerc pour la manière très habile avec laquelle elle a parrainé le projet de loi.
Si je prends la parole, malgré le fait que je persiste à croire que le projet de loi C-7 n’aurait pas dû se retrouver devant nous aujourd’hui, c’est pour dénoncer le fait que le gouvernement a sciemment choisi de ne pas tenir compte des avis des experts en matière de défenses des droits des personnes handicapées, qui représentent des centaines de milliers de personnes vivant avec un handicap, et qu’il a refusé, d’une part, d’interjeter appel d’une décision prononcée par une cour inférieure et, d’autre part, de mener l’examen légalement mandaté de la loi actuelle avant de s’empresser d’aller de l’avant avec ce projet de loi.
La coalition inclut la British Columbia Aboriginal Network on Disability Society, le Conseil des Canadiens avec déficiences, l’Association canadienne pour l’intégration communautaire, le Réseau d’action des femmes handicapées du Canada, Inclusion Winnipeg, Community Care Manitoba, l’Arch Disability Law Centre, où j’ai commencé ma carrière d’avocate, et Personnes d’abord du Canada.
Les Nations unies et les experts canadiens des droits des personnes handicapées nous parlent d’une seule voix et signalent clairement au Canada que ce projet de loi risque fort de créer des situations dangereuses et discriminatoires pour les personnes handicapées, des situations désastreuses qui se produiront loin du regard du Sénat, trop loin pour que nous puissions faire quoi que ce soit pour y remédier — à moins que nous décidions collectivement que les sénateurs ne détourneraient pas le regard sans mot dire une fois que cette mesure sera en vigueur.
Comme vous le savez, la coalition pour les droits des personnes handicapées regroupe maintenant plus de 90 organismes. Certains d’entre nous ont déjà signalé au Sénat les objections mûrement réfléchies exprimées par la coalition et par des experts provenant de communautés autochtones. Ces objections ont notamment été présentées avec brio par les sénatrices Anderson, Boyer et McCallum. Aujourd’hui, je souhaite examiner brièvement, mais plus attentivement, les conseils de trois experts indépendants de l’ONU dont on n’a pas tenu compte : le rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées, l’experte Indépendante des Nations unies chargée de promouvoir l’exercice par les personnes âgées de tous les droits de l’homme, et le rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté. Ces trois experts mettent en évidence les atteintes aux droits de la personne qui se produiront probablement quand l’accès élargi prévu par le projet de loi C-7, qui vise particulièrement les personnes handicapées dont la mort n’est pas imminente, sera en vigueur au Canada. Oui, l’entrée en vigueur du projet de loi C-7 signifiera que les organismes de défense des droits des personnes handicapées ont perdu cette ronde. Cela dit, les sénateurs auront de nouveau la tâche, un jour, de s’attaquer aux conséquences discriminatoires du projet de loi C-7.
Nous sommes chargés de faire respecter la primauté du droit au Canada, ce qui comprend les droits protégés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, autant de traités que le Canada considère essentiels aux fins du respect du droit international en matière de droits de la personne.
Les experts de l’ONU ont estimé que le projet de loi « [...] semble irrémédiablement enlisé dans des préjugés sur les capacités des personnes handicapées ». Ils poursuivent ainsi :
[...] les critères d’admissibilité définis dans le projet de loi C-7 [...] pourraient être discriminatoires ou avoir une incidence discriminatoire, car en distinguant les souffrances causées par un handicap des autres, les personnes handicapées pourraient être discriminées précisément du fait de leur handicap.
Je sollicite encore une fois l’honneur de me faire le porte-voix auprès du Sénat de la coalition qui représente des centaines de milliers de personnes handicapées et des Canadiens qui se font du souci, pour ne pas dire un sang d’encre, pour leurs proches handicapés.
Chers collègues, ce fut un honneur pour moi d’occuper les fonctions de commissaire en chef des droits de la personne en Saskatchewan, et hier soir, j’ai reçu une note d’une ex-commissaire en chef des droits de la personne de l’Ontario, Catherine Frazee, que je connais bien, avec qui j’ai travaillé et que j’admire depuis de nombreuses années. La professeure Frazee a écrit au sujet de l’importance en droit de la Convention relative aux droits des personnes handicapées en nous rappellant :
« [que la convention] n’est pas un ensemble abstrait de principes idéalistes, mais un traité multilatéral auquel notre pays a adhéré en toute connaissance de cause ».
Même si elle est consciente que chaque sénateur a le droit de prendre sa propre décision, la professeure Frazee, qui est elle-même handicapée et qui s’est taillé une réputation enviable d’ardente défenseure des droits des personnes handicapées, tenait à ce que les sénateurs soient conscients du poids de leur vote. Voici ce qu’elle a écrit :
Votre vote jouera grandement contre nous le jour où nous voudrons nous adresser aux tribunaux pour en établir l’autorité en droit canadien et international. Je vous en supplie, ne laissez pas votre vote devenir une arme contre le mouvement de défense des droits des personnes handicapées du Canada. Sachez qu’il y en aura certainement pour utiliser votre vote à des fins que vous n’auriez pas souhaitées. Si vous jugez que vous ne pouvez absolument pas rejeter le projet de loi C-7, alors je vous en supplie, abstenez-vous.
Pour terminer, chers collègues, je vous prie de réfléchir à l’analyse de cette jeune leader. Voici ce qu’elle a dit : « Le projet de loi C-7 est hostile à la classe ouvrière, raciste et discriminatoire envers les personnes handicapées. » Ce sont les paroles que Sarah Jama, du Disability Justice Network of Ontario, a prononcées lors d’une conférence de presse tenue de manière virtuelle la semaine dernière, alors que nous débattions de ce projet de loi. Elle a poursuivi en ces termes :
[...] facilite le suicide, comme forme de traitement, des personnes souffrant de déficiences mentales, alors que l’aide en santé mentale n’est pas offerte gratuitement.
Alors que nous sommes en train d’essayer de nous remettre de cette pandémie, nous devons chercher à mieux comprendre le lien qui existe entre la pauvreté et un déni de droit. Comme beaucoup l’ont déjà fait, nous devons continuer à faire entendre notre voix, aussi fort que possible et de manière aussi unie que possible, à propos d’enjeux comme le revenu minimum garanti, l’éducation contre le racisme, la collecte de données et la ventilation de ces données en fonction de la racialisation et de l’exclusion sociale.
Mme Jama, organisatrice communautaire de 26 ans qui vit à Hamilton, en Ontario, est une femme noire qui utilise un fauteuil roulant. Elle a témoigné devant le Comité sénatorial des affaires juridiques, présidé avec brio par la sénatrice Mobina Jaffer. Mme Jama a rappelé aux sénateurs que Joyce Echaquan, femme autochtone de 37 ans, est morte en septembre dernier dans un hôpital de Joliette, au Québec, après avoir filmé des membres du personnel qui faisaient des commentaires cruels et racistes à son sujet. La sénatrice Pate a établi une comparaison entre la souffrance subie par Mme Echaquan et les soins de fin de vie que le même hôpital a prodigués avec compassion le même jour à un homme blanc plus privilégié.
Mme Jama a dit : « Je ne veux pas subir cela plus tard. »
Personne dans cette Chambre ne veut que Mme Jama subisse plus tard ce genre d’exclusion et de traitement discriminatoire en fin de vie, mais j’aimerais conclure en indiquant que le projet de loi C-7 est paradoxal dans la mesure où son adoption irait à l’encontre de l’engagement que le Canada a déjà pris dans le cadre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées :
Les États Parties réaffirment que le droit à la vie est inhérent à la personne humaine et prennent toutes mesures nécessaires pour en assurer aux personnes handicapées la jouissance effective, sur la base de l’égalité avec les autres.
Honorables collègues, dans ce projet de loi, on tente de faire passer un traitement discriminatoire pour un droit, mais ce n’est pas un droit pour autant. Ce projet de loi permettrait essentiellement de traiter quelqu’un de façon discriminatoire en raison de son handicap.
Merci. Meegwetch.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).
Comme l’a dit le sénateur Munson hier soir, il n’est pas toujours facile de parler de l’aide médicale à mourir. J’ajouterais que beaucoup de gens sont mal à l’aise avec l’idée générale de la mort et, en particulier, avec l’aide médicale à mourir.
Je tiens d’abord à remercier mes collègues des propos réfléchis qu’ils ont tenus sur ce projet de loi. Des collègues ont raconté des récits personnels très émouvants et ont inspiré de nombreux échanges invitant à la réflexion, en s’appuyant sur leur expérience, leur conscience et leur étude du projet de loi, sans oublier les consultations qui ont été menées sur le sujet. Les débats se sont concentrés sur des questions fondamentales : la préservation de l’autonomie personnelle et la protection de la vie, en particulier celle des personnes les plus vulnérables de notre société. Je remercie tout particulièrement la marraine du projet de loi, la sénatrice Petitclerc, qui a fait un excellent travail. Je remercie aussi la vedette, le champion et l’expert du groupe progressiste, le sénateur Dalphond, qui a répondu patiemment à toutes les questions de notre caucus sur le projet de loi C-7.
Le Sénat a une longue histoire de débats réfléchis sur les questions de mort et de fin de vie, notamment sur l’aide médicale à mourir, les soins palliatifs et la protection des Canadiens vulnérables, ainsi que sur les droits individuels et collectifs garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. En fait, le rapport final De la vie et de la mort que le Comité spécial du Sénat sur l’euthanasie et l’aide au suicide a publié en juin 1995 portait sur les mêmes questions. À l’époque, les sénateurs, tout comme la population canadienne, étaient profondément divisés sur le sujet de l’aide médicale à mourir. Cela dit, les sénateurs étaient unanimes en ce qui concerne la nécessité de protéger les Canadiens vulnérables, d’accroître la disponibilité des soins palliatifs intégrés pour soutenir les personnes en fin de vie et de reconnaître les directives médicales anticipées pour guider les mandataires chargés de prendre les décisions au sujet de la santé d’un être cher qui n’a plus la capacité de le faire.
Honorables sénateurs, cette étude date de 1995, il y a plus de 25 ans. Ce rapport sénatorial de 1995 a eu une incidence durable à plusieurs égards. C’était le premier rapport national à présenter un glossaire uniforme de termes, qui a ensuite été utilisé dans des cours sur l’éthique médicale et le droit de la santé. Il a mené à plusieurs initiatives nationales visant à améliorer les soins palliatifs et à reconnaître la planification préalable de soins. Il a aussi entraîné la mise en place d’importantes mesures de soutien comme le programme de prestations de compassion du régime d’assurance-emploi. Par ailleurs, et c’est peut-être le plus important, le rapport a ouvert la voie à un débat national qui s’est poursuivi pendant de nombreuses années. En fait, bon nombre des mesures de sauvegarde requises pour l’aide médicale à mourir, qui étaient décrites dans le rapport de 1995, font partie des mesures de sauvegarde actuelles dans le Code criminel.
En juin 2016, 21 ans après le rapport de 1995, le projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir), a décriminalisé l’aide médicale à mourir. Le projet de loi dont nous sommes actuellement saisis cherche essentiellement à supprimer la mort raisonnablement prévisible comme critère d’admissibilité, et il donne suite à la décision rendue par la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Truchon. Le projet de loi a évolué grâce à de vastes consultations auprès des Canadiens. Honorables sénateurs, ceux d’entre nous venant de la Nouvelle-Écosse connaissent très bien l’histoire d’Audrey Parker.
En tant que parlementaires, peu importe nos croyances et nos sentiments concernant l’aide médicale à mourir, nous devons représenter les Canadiens, qui ont des opinions et des idées variées au sujet de cet enjeu. Les tribunaux ont décidé que l’aide médicale à mourir était un droit pour les Canadiens et, en tant que législateurs, nous devons respecter cette décision et aborder la question et le projet de loi en conséquence. Notre tâche est de nous assurer que le projet de loi répond aux exigences établies dans l’arrêt Truchon, qu’il respecte les droits des individus et protège adéquatement les plus vulnérables d’entre nous.
Dans les efforts que nous déployons pour protéger les plus vulnérables de la société, le défi est de nous assurer que l’aide médicale à mourir ne devienne pas une solution de rechange ni une solution par défaut que les personnes choisissent parce qu’ils n’ont pas d’accès équitable et rapide à des mesures adéquates pour alléger leurs souffrances. Nous devons nous assurer que la pauvreté, l’itinérance, le racisme systémique ou le manque de soins pour les personnes handicapées et de soins de santé ne poussent personne à croire que l’aide médicale à mourir est la seule solution.
Comme l’a expliqué le 23 novembre 2020 la Dre Neilson, présidente de l’Association des psychiatres du Canada, devant le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles lors de l’étude préalable du projet de loi C-7 :
[...] l’accès équitable à des services cliniques est une mesure de protection essentielle pour faire en sorte que les gens ne demandent pas l’aide médicale à mourir en raison d’une absence de traitements, de mesures de soutien ou de services offerts et comme option de rechange à la vie.
D’autres témoins ayant comparu au comité sénatorial ont souligné à quel point les déterminants sociaux de la santé, notamment la pauvreté et l’impossibilité d’avoir un logement adéquat, ont d’importantes répercussions négatives sur l’accès satisfaisant à des soins palliatifs ou à d’autres types de soins de santé. Ainsi, les solutions de rechange à l’aide médicale à mourir pourraient ne pas être accessibles aux personnes les plus marginalisées. En tant que parlementaires, nous avons un défi à relever, car bon nombre des soutiens sociaux, économiques et de santé relèvent de la compétence provinciale. Cependant, cela ne veut pas dire que nous n’avons aucune responsabilité à assumer à cet égard.
Nous savons qu’il y a une pénurie de services dans de nombreuses régions au Canada. Dans beaucoup de collectivités, ce sont surtout les personnes handicapées qui doivent composer avec cette réalité. La crise qui sévit actuellement dans les quatre coins du pays en raison du manque de logements abordables a fait en sorte qu’un nombre accru de Canadiens doivent vivre dans des logements inadéquats ou dangereux, que de jeunes handicapés doivent habiter dans des foyers de soins de longue durée avec des gens beaucoup plus vieux qu’eux et qu’il y a un manque de logements supervisés et de soutiens communautaires au Canada.
Un témoin ayant comparu devant le comité, Jonathan Marchan, président de la Coop ASSIST, coopérative panquébécoise qui s’adresse aux personnes handicapées qui souhaitent accéder à une vie autonome, a affirmé que « la mort sans dignité n’existe pas sans la vie dans la dignité ». Il a ajouté ceci :
Il ne peut y avoir de mort dans la dignité, ni de liberté de choix tant que nous sommes forcés de vivre dans des établissements, qu’on nous fait sentir comme des fardeaux, tandis que nous sommes victimes de discrimination et de violence systémique à tous les niveaux.
L’accès à l’aide médicale à mourir représente un changement sociétal fondamental, et comme avec tout changement de cette envergure, nous devons mener un examen approfondi afin de veiller à ce que l’objectif législatif soit bel et bien atteint. C’est particulièrement le cas que lorsqu’il s’agit de changements fondamentaux qui ont des conséquences irréversibles. Il ne s’agit donc pas d’un débat abstrait sur les droits, mais d’un débat à dimension très humaine qui a une incidence sur la vie de nos voisins, de nos amis, des membres de notre famille et de nos concitoyens en général.
Honorables sénateurs, nous devons remédier aux lacunes dans les données recueillies et déterminer les répercussions néfastes que le régime actuel de l’aide médicale à mourir peut avoir sur les membres les plus vulnérables de notre société. Nous devons nous efforcer de mieux comprendre la portée des services offerts aux bénéficiaires de l’aide médicale à mourir et de savoir si ces services sont adéquats. Par exemple, nombreux sont ceux, y compris parmi les fournisseurs de soins de santé, qui pensent que les soins palliatifs ne sont disponibles que dans les derniers mois et les dernières semaines de la vie d’un patient, lorsque le traitement curatif n’est plus accessible. Par conséquent, on a souvent recours trop tard aux soins palliatifs, ce qui limite la capacité de ces soins à prévenir et à soulager les souffrances. Lorsqu’à l’inverse, on adopte une approche palliative des soins, on peut aider les patients à un stade précoce de leur maladie. Une telle approche peut être employée dès le diagnostic, au moment où le patient peut avoir encore plusieurs années à vivre.
Selon le Premier rapport annuel sur l’aide médicale à mourir au Canada, qui a été publié en juillet 2020, 82 % des personnes ayant reçu l’aide médicale à mourir en 2019 ont déclaré avoir reçu un certain niveau de soins palliatifs. Cependant, 31,4 % des personnes ayant reçu l’aide médicale à mourir ont reçu des soins palliatifs pendant moins d’un mois, dont la moitié pendant moins de deux semaines, et 16,2 % n’ont reçu aucun service de soins palliatifs. De plus, selon le rapport, les données ne traitent pas du caractère adéquat des services offerts. Ces personnes ont-elles été dirigées vers des services suffisamment tôt dans leur maladie? Les services diffèrent d’une région à l’autre au Canada, les régions rurales et éloignées n’ayant souvent pas le même niveau d’accès aux services. Les temps d’attente peuvent varier considérablement d’un bout à l’autre du pays. Quelle a été l’incidence de cette réalité sur la décision des personnes qui ont demandé l’aide médicale à mourir? Les services ont-ils été offerts en tenant compte des particularités culturelles? Avons-nous suffisamment veillé à offrir les mesures d’aide nécessaires pour garantir que la décision de demander l’aide médicale à mourir soit réellement fondée sur un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause?
Honorables sénateurs, nous avons besoin d’autres données pour veiller à ce que les dispositions assurent une protection adéquate. Je suis particulièrement frappée par la nécessité de mieux comprendre les effets de l’amendement de la sénatrice Wallin en matière de consentement préalable. Bien sûr, je suis en faveur de la planification préalable des soins et du processus qui permet d’établir qui parlera en mon nom quand je ne pourrai plus le faire moi-même. Toutefois, comme je l’ai dit dans mon intervention sur cet amendement, je crois que nous devons étudier davantage la question pour comprendre le lien entre les directives prévues dans la planification préalable des soins et le consentement préalable à l’aide médicale à mourir.
Bien que j’aie voté contre l’amendement de la sénatrice Wallin, je respecte son travail soutenu dans le dossier de la démence. Ainsi, je salue la motion d’amendement du sénateur Tannas demandant qu’un examen complet des dispositions du Code criminel concernant l’aide médicale à mourir et de l’application de celles-ci soit fait par le comité mixte constitué à cette fin par les deux chambres du Parlement dans les trente jours suivant la date de sanction. Il devait y avoir un examen parlementaire du projet de loi C-14, qui n’a malheureusement pas eu lieu. L’adoption du projet de loi ne devrait pas mettre un terme aux débat et discussions sur l’aide médicale à mourir. J’espère que l’autre chambre acceptera cet amendement.
Que l’autre endroit accepte ou non l’amendement du sénateur Tannas, je pense que le Sénat devrait entamer une étude plus approfondie de ce projet de loi, comme l’a proposé le sénateur Gold. Comme je l’ai dit au début de mon intervention, le Sénat contribue depuis longtemps à la politique publique en la matière. Ayant été membre de plusieurs des comités qui ont étudié ces questions, j’ai pris la parole à plusieurs reprises pour signifier mon ferme soutien aux efforts de ceux qui travaillent pour aider les Canadiens mourants à bien vivre jusqu’à la fin de leur vie, qu’ils aient ou non choisi l’aide médicale à mourir.
Honorables sénateurs, j’appuierai le projet de loi C-7. Je le ferai pour respecter le souhait de ceux qui choisissent de recevoir l’aide médicale à mourir dans le cadre de ce que je considère être un système d’évaluation rigoureux qui leur permettra de mourir dans la dignité. À l’instar de la sénatrice Moodie, je crois que l’aide médicale à mourir est un sujet qui sera très débattu et très contesté pendant bien des années encore. Je crois également que les contestations judiciaires liées à l’aide médicale à mourir seront plus nombreuses dans les années à venir.
Honorables sénateurs, je vous remercie de vos nombreux témoignages passionnés et personnels. Je les ai écoutés attentivement. En fait, j’en ai relu beaucoup. Vous avez tous été à la hauteur du sérieux que méritent ces mesures législatives. Merci.
Honorables sénateurs, y a-t-il d’autres sénateurs qui veulent prendre la parole dans le débat final général?
Sinon, la question est la suivante : l’honorable sénatrice Petitclerc propose, avec l’appui de l’honorable sénateur Gold, que le projet de loi, tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion et qui sont sur place veuillent bien dire oui.
Que les sénateurs qui sont contre la motion et qui sont sur place veuillent bien dire non.
À mon avis, les oui l’emportent.
Je vois deux sénateurs se lever. Le vote aura lieu à 17 h 58. Convoquez les sénateurs.
Votre Honneur, j’aimerais avoir l’occasion d’expliquer les motifs de mon abstention.
Soyez bref, je vous prie.
Merci. Mon abstention est essentiellement une forme de protestation. J’appuie l’intention et le contenu du projet de loi, et j’aurais voté en sa faveur si mon vote avait été nécessaire à son adoption. Il est impératif que les sénateurs protègent les droits constitutionnels des citoyens et, à mon avis, c’est ce que fait le projet de loi, tel que modifié.
Je me suis abstenu de voter pour exprimer ma déception envers le gouvernement, qui n’a pas pris les engagements financiers connexes pour entamer un processus visant à corriger véritablement les conditions de vie des gens que je désignerai tout simplement « les Canadiens les plus vulnérables ». Dans le plus important arrêt qu’elle a rendu ces 40 dernières années, la Cour suprême a, à l’unanimité, parlé de la nature du Canada dans le renvoi relatif à la sécession. La Cour a cité la plaidoirie du procureur général de la Saskatchewan, que je cite : « Une nation... »
Sénateur Cotter, je suis désolée, mais vous devez être bref. Les sénateurs disposent de 10 à 15 secondes pour expliquer la raison de leur abstention.
Je me contenterai de dire ceci : « Les fils de milliers de concessions mutuelles tissent la toile de la nation. » Or, selon moi, ne pas prendre l’engagement que j’espérais de la part du gouvernement contribue à affaiblir ces liens qui nous unissent, et cela me déçoit. Merci, Votre Honneur.
Je m’abstiens parce que je crois qu’il est irresponsable de la part du gouvernement de ne pas au moins avoir soumis les dispositions du projet de loi C-14 à un examen tout en se servant de son pouvoir de dépenser pour établir des normes nationales afin que les soins de santé soient offerts de façon équitable et sans discrimination dans ce pays. Nous allons de l’avant sans avoir de solution à proposer pour remédier aux inégalités intersectionnelles. Merci, Votre Honneur.