Le Code criminel
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat
16 mars 2021
Propose que le projet de loi S-224, Loi modifiant le Code criminel (prolongation du délai préalable à la libération conditionnelle), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, ce projet de loi a pour principal objectif d’assurer un plus grand respect aux familles des personnes assassinées et brutalisées. Il reprend les éléments essentiels du projet de loi C-266, qui était parrainé par le député James Bezan lors de la précédente législature. J’aimerais le remercier pour la pertinence de son travail, et je suis heureux de pouvoir parrainer son projet de loi au Sénat.
J’espère aussi pouvoir convaincre cette Chambre de l’importance de ce projet de loi pour les familles de victimes brutalement assassinées.
Chers collègues, la plupart d’entre vous connaissent la fin de vie horrible de ma fille aînée, Julie. Comme vous le savez, ma mission dans cette Chambre est d’honorer sa mémoire et celle de toutes les victimes qui ont connu un sort similaire.
Je me suis donné le rôle de m’assurer que les peines soient plus justes, plus proportionnelles et plus pertinentes dans l’objectif de respecter la souffrance des familles des victimes lorsqu’un crime violent est perpétré contre une personne innocente.
Je vous parle de ma chère fille Julie, car elle fait malheureusement partie des victimes concernées par ce projet de loi, tout comme ma famille en fait partie. Vous comprendrez l’importance que représente ce projet de loi pour moi, mais également pour des milliers de familles de victimes qui doivent subir chaque année une ou plusieurs comparutions aux audiences de libérations conditionnelles.
Ma fille Julie était âgée de 27 ans. Elle était une jeune femme heureuse, pleine de vie, et elle réussissait très bien dans sa vie professionnelle. Le soir du 22 juin 2002, il y a maintenant 18 ans, Julie participait à une fête organisée en son honneur. Elle venait d’être promue gérante d’un commerce de Sherbrooke. Elle célébrait cette nouvelle promotion en compagnie de ses amis et elle était très motivée à l’idée d’occuper ses nouvelles fonctions. Malheureusement, c’est lors de cette soirée du 22 juin que le destin allait frapper. En se rendant à son véhicule, Julie a été kidnappée par un criminel récidiviste qui avait déjà été condamné à deux peines d’emprisonnement de 18 mois pour la séquestration et le viol d’une jeune femme à Gaspé, trois ans plus tôt.
Ce récidiviste n’avait rien à faire à Sherbrooke, car il était à ce moment-là en bris de probation. Il habitait à Montréal. Julie a été retrouvée 10 jours plus tard par un cycliste. Elle avait été assassinée et jetée dans un fossé, près d’un champ agricole.
Ce meurtrier n’a eu aucun respect pour la vie de ma fille et aucun scrupule pour ce qu’il lui a fait subir. Il a été retrouvé trois mois plus tard et accusé d’enlèvement, de séquestration, de viol et de meurtre au premier degré. Il a été reconnu coupable 30 mois plus tard et condamné à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant d’avoir purgé 25 ans de sa peine. Cependant, après sa 15e année d’incarcération, il a eu droit à une révision judiciaire de sa sentence.
À ma grande surprise, au prononcé du verdict de culpabilité, la sentence n’a jamais fait allusion au kidnapping, à la séquestration ou au viol. Pour la cour, Julie avait été tout bonnement assassinée. Toutes ces sentences prévues par le Code criminel ont été effacées au profit du meurtre.
Je me suis toujours posé cette question : pourquoi notre système de justice ne montre-t-il pas plus de respect envers les familles de victimes en pareilles circonstances? Pourquoi notre système de justice ne laisse-t-il pas la responsabilité au juge de considérer comme des facteurs aggravants les crimes qui ont précédé l’assassinat d’une innocente victime? Je me suis toujours posé des questions sur ce meurtre sordide, sur la douleur et la peur que ma fille a pu subir en raison d’une atteinte aussi grave à sa dignité, elle qui a été violée et jetée comme un déchet, sans aucun respect pour sa vie.
Certains propos dans les médias m’ont toujours marqué, parce qu’ils mettent trop souvent le fardeau de la responsabilité sur la victime. On peut lire parfois des choses comme celles-ci : « La victime était au mauvais endroit au mauvais moment. »
J’ai toujours corrigé les propos des gens qui utilisaient cette expression en leur répondant : « Non, c’est le criminel qui était au mauvais endroit au mauvais moment. » Le criminel qui a assassiné Julie n’aurait jamais dû se retrouver cette nuit-là au centre-ville de Sherbrooke pour chercher « une proie ».
Je ne souhaite cela à personne. Je me sens privilégié de pouvoir raconter mon histoire devant cette Chambre, car, à l’extérieur de ces murs, il y a des milliers de familles qui ont vécu ce que j’ai vécu, et elles doivent, chaque jour, vivre en silence avec leur douleur et leur peine, et aussi avec la crainte que ce genre de meurtrier puisse être relâché un jour dans la société et fasse une autre victime, comme ma fille.
Croyez-moi, une peine minimum de 15 ou de 25 ans pour le meurtrier de ma fille est insuffisante, et je ne souhaite à aucune femme de croiser la route de ce criminel un jour.
Chers collègues, ce projet de loi vise à donner aux juges la discrétion nécessaire à la détermination de la peine en vue des circonstances aggravantes du crime.
J’estime qu’un délinquant doit être condamné pour tous les crimes qu’il a commis, sans exception, et qu’il doit recevoir une peine d’emprisonnement proportionnelle aux peines d’emprisonnement prévues dans le Code criminel pour chaque crime qu’il a commis.
En vertu du Code criminel, l’enlèvement, l’agression sexuelle grave et le meurtre sont tous des crimes pour lesquels l’auteur peut être condamné à la prison à vie.
Les juges sont contraints, conformément à l’article 718.2d) du Code criminel, d’envisager les peines les moins contraignantes possible lorsqu’il s’agit de l’emprisonnement. C’est profondément injuste pour les familles de victimes, car un meurtrier qui est reconnu coupable d’un meurtre au premier degré avec des facteurs aggravants reçoit une sentence uniquement pour le meurtre qu’il a commis.
L’un des objectifs de ce projet de loi est justement de réparer cette injustice en donnant aux juges la possibilité, qui est prévue par le Code criminel, de prononcer une peine de plus de 25 ans de prison ferme pour un criminel qui a enlevé, violé et tué une victime innocente.
En soi, cette proposition législative porte uniquement sur la modification de l’article 745 du Code criminel, soit l’emprisonnement à perpétuité.
Le texte prévoit que la période d’inéligibilité à la libération conditionnelle peut varier de 25 ans au minimum à 40 ans au maximum. Ce projet de loi instaurerait un équilibre proportionnel entre les crimes commis et les peines encourues.
Nous ajoutons également au Code criminel l’article 745.22, qui porte sur la recommandation du jury. Lors du prononcé de la sentence, le juge prendra en considération la recommandation du jury et il tiendra compte de son avis sur la peine à prononcer. Cela signifie que le meurtrier pourrait être admissible à une libération conditionnelle après avoir purgé une peine de 40 ans de détention.
Il revient au juge et au jury de décider de la peine appropriée. Il est important de préciser que ce projet de loi traite uniquement des criminels qui ont été reconnus coupables d’enlèvement, d’agression sexuelle et de meurtre sur la même personne.
Je rappelle que ces délits font partie des infractions les plus graves inscrites au Code criminel. Je crois qu’un individu responsable d’avoir enlevé, séquestré, violé et assassiné une personne mérite de recevoir une peine qui reflète la gravité de ses actes.
Comme je le disais précédemment, personne ne peut rendre une personne assassinée à sa famille.
Honorables sénateurs, ce projet de loi n’a pas simplement pour objectif d’autoriser les juges à prononcer des peines plus méritoires et proportionnelles aux crimes qui ont été commis. Il vise également à retarder l’épreuve des audiences de libérations conditionnelles pour les familles de victimes.
Il est important de rappeler que la réhabilitation des délinquants concernés par ce projet de loi est très rare. Il est donc inutile de convoquer des familles de victimes à comparaître régulièrement, à répétition, à des audiences de la Commission des libérations conditionnelles .
Au cours de la dernière année, j’ai eu l’occasion de vivre cette expérience avec des familles. Ce processus est pénible, surtout quand elles savent que la comparution arrivera prochainement, souvent au cours de la même année.
Vous comprendrez que je ne cherche pas à alourdir les peines actuelles, car la plupart de ces criminels ne sont pas libérés après les 25 ans prévus par la loi. Il n’est tout simplement pas nécessaire de faire revivre aux familles des victimes des audiences à répétition qui ne font qu’alourdir leurs souffrances et leur anxiété, car après la première admissibilité, le meurtrier peut demander sa libération conditionnelle régulièrement, même si sa première demande a fait l’objet d’un refus.
J’aimerais souligner également le fait que ce projet de loi n’aura que très peu d’impact sur la population carcérale.
Par ailleurs, lors de son étude à la Chambre des communes, le projet de loi C-266 avait fait l’objet d’un rapport de la part du directeur parlementaire du budget. Permettez-moi d’en citer un extrait :
Service correctionnel Canada (CSC) a informé le DPB que tous les cinq ans, environ trois personnes sont condamnées pour ces trois crimes commis contre une même personne et au vu des mêmes faits. CSC a inféré que les infractions sont commises par la même personne et au vu des mêmes faits, et le délinquant a été condamné pour l’ensemble des trois infractions à la même date. Ce cas représente environ 0,3 % des quelque 180 délinquants admis dans un établissement correctionnel fédéral pour une peine d’emprisonnement à perpétuité ou à durée indéterminée chaque année et un pourcentage tout aussi petit des 960 délinquants qui purgeaient une peine dans le système correctionnel fédéral pour un meurtre au premier degré à la fin de l’exercice 2016-2017.
Ce projet de loi concernera seulement 0,3 % de la population carcérale. Même si son impact est très faible sur le système carcéral, il permet de soulager la souffrance de nombreuses familles de victimes. Imposer à des familles déjà meurtries des audiences inutiles est en quelque sorte leur faire revivre le drame qu’elles ont vécu. Devoir être confronté de nouveau à la personne responsable de ses chagrins est une torture que personne ne peut réellement imaginer.
Lorsque j’ai déposé mon projet de loi précédent, soit le projet de loi S-219, la famille de Brigitte Serre était venue témoigner pour parler de la difficulté que peut représenter une comparution à une audience. Elle avait déclaré ce qui suit :
Chaque convocation et chaque audience nous font revivre toutes les émotions que nous gardions au plus profond de nous pour pouvoir avancer dans notre vie. Chaque audience est une torture émotionnelle.
Je m’appuie notamment sur des témoignages recueillis par le député Bezan, comme celui qui traite de la triste affaire Prioriello :
Darlene Prioriello a été enlevée, violée, mutilée et tuée par David [...] Dobson en 1982. [...] Voici ce que Terri, la sœur de Darlene, a dit sur le fait de devoir subir ces audiences de libération conditionnelle pénibles, répétitives et inutiles: « Les familles subissent déjà une épreuve. Elles ne devraient pas être obligées de revivre cette épreuve tous les deux ans. Aucun être humain ne devrait avoir à faire face, ne serait-ce qu’une fois, à l’assassin d’un être qui lui était cher. Personne ne devrait avoir à se remémorer comment ce décès tragique a changé le cours de sa vie. Personne ne devrait être obligé de lire ce que l’assassin a fait à l’être cher. »
Chers collèges, la souffrance que provoque la perte d’un être cher vous marque toute votre vie. Comme je le dis souvent, vous passez de la lumière à l’obscurité. Il est très difficile de survivre à ce qui est innommable. Il est donc nécessaire que la justice, le juge et les jurés puissent imposer des peines plus longues aux contrevenants pour donner aux familles des victimes une période de quiétude plus longue. Le simple fait que ce type de criminel puisse être libéré un jour est un risque constant pour la sécurité des Canadiennes et des Canadiens.
Ce projet de loi s’adressera à des cas tels que ceux de meurtriers tristement célèbres comme Paul Bernardo ou Luka Magnotta. Je vous cite le témoignage de Joseph Wamback, fondateur et président de la Canadian Crime Victim Foundation, lors de son passage au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes en 2019 :
Le deuil est un voyage sans fin, et les audiences de libération conditionnelle ne font que prolonger et raviver le chagrin. Beaucoup de victimes, de survivants, d’amis et de proches ne sont pas en mesure de travailler durant des mois avant la tenue d’une audience. Ils doivent revivre ces expériences pendant l’audience, et ils en ressortent profondément ébranlés. Certains perdent leur emploi. Ils ne peuvent plus jouer un rôle actif. Ils ne peuvent plus devenir des membres à part entière de la société canadienne.
J’aimerais également vous faire part du témoignage personnel que m’a fait parvenir cette semaine Madeleine Hébert, la mère de Maurice Marcil, assassiné en 1979 avec Chantal Dupont sur le pont Jacques-Cartier de Montréal :
Pendant plus de vingt ans, je me suis murée dans le silence, j’ai gardé ma douleur au fond de moi. Je ne pouvais pas évoquer ces crimes. Toute manifestation de groupes sur la voie publique me faisait fondre en larmes, il m’était impossible de prendre un bébé dans les bras. Ce sont là quelques manifestations de ma souffrance.
Puis au début des années 2000, les criminels ont eu droit aux demandes de libération conditionnelle. J’ai alors rédigé des lettres pour expliquer mon point de vue et pour que l’on n’oublie pas Maurice.
Mais le coût à payer a été extrêmement lourd pour moi et pour mon environnement.
Il a fallu faire remonter en surface une douleur que les années avaient quelque peu enfouie au fond de moi. C’était, à chaque fois, comme si on ouvrait une plaie qui avait eu tant de mal à cicatriser.
Les criminels avaient, comme ils le clament, payé leur dette à la société et ils ne concevaient pas de mourir en prison. Moi, ils m’ont condamné à une vrai perpétuité et je ne comprends pas qu’ils puissent oser penser qu’ils sont quittes face à la justice.
Ils ont tué et c’est irréparable.
J’ajoute que l’un des criminels responsables de la mort du fils de Mme Hébert a déjà volontairement repoussé son audience à quelques jours de la date prévue. Mme Hébert vit en France et s’était déplacée au Canada pour y assister; elle s’est vue impuissante face à cette contrainte imposée volontairement par le meurtrier de son fils.
Les actes commis par ces criminels ne détruisent pas simplement la vie des personnes concernées. Ils détruisent à jamais la vie des familles de victimes.
Honorables sénateurs, le projet de loi initial C-266 est passé par les différentes étapes du processus parlementaire et il a été largement soutenu par les divers partis politiques. Lors de son passage au Comité permanent de la justice et des droits de la personne, ce projet de loi n’a fait l’objet d’aucun amendement et a été adopté par le comité. On a jugé à l’autre endroit que, peu importe ses affiliations politiques, ce projet de loi était nécessaire et juste pour les familles et pour les victimes.
Nous devons parler de certaines de ces familles, comme celle de Linda Bright, qui n’avait que 16 ans lorsqu’elle a été enlevée par Donald Armstrong à Kingston, en 1978. Il a présenté de nombreuses demandes de libération conditionnelle. Susan Ashley, la sœur de Linda, a fait la déclaration suivante au sujet des audiences de la Commission des libérations conditionnelles du Canada qui ont eu lieu par le passé :
[...] « Mon cœur se brise à l’idée de devoir revivre cela encore une fois. Mon cœur se brise à l’idée de voir ma mère et mon père être obligés de creuser au plus profond de leur être, où ils avaient enfoui leur chagrin, afin de ressasser ces souvenirs et cette douleur. »
Nous devons donc nous assurer que la mesure législative vise les personnes les plus dépravées de la société, les tueurs sadiques qui s’en prennent souvent aux enfants et aux femmes, ces criminels qui, bien souvent, enlèvent, abusent sexuellement et assassinent des personnes de façon atroce. Je parle de gens comme Robert Pickton, Russell Williams, Michael Rafferty, Clifford Olson, Paul Bernardo, et j’en passe.
Veillons à ce que les familles n’aient plus à souffrir une nouvelle fois des assassinats en assistant inutilement à toutes les audiences que la Commission des libérations conditionnelles du Canada doit tenir pour répondre à la demande de criminels et de prisonniers psychopathes et qui obligent les familles à se rappeler en détail les circonstances brutales du meurtre de leur proche.
Comme l’a dit Yvonne Harvey, de l’organisme Canadian Parents of Murdered Children: « Je n’ai pas eu moi-même à affronter l’épreuve d’une audience de libération conditionnelle, mais j’ai parlé à beaucoup de gens qui ont dû le faire. Je suis persuadée que le projet de loi, dont l’objectif premier est d’éviter aux familles des victimes d’avoir à assister inutilement à des audiences de libération conditionnelle, sera très bien reçu. »
Honorables sénateurs, mon combat pour les droits des victimes dans cette Chambre n’a jamais changé. Le 3 mars 2002, j’ai célébré les 10 ans de mon entrée au Sénat. Pendant ces 10 ans, j’ai essayé de donner une voix aux victimes. Je crois que nous avons progressé dans la bonne direction. Cependant, le combat n’est pas terminé.
Sénateur Boisvenu, je suis désolée, mais je dois vous interrompre.
J’avais presque terminé.
Il vous reste tout de même 26 minutes de temps de parole.
Merci.
Je ne sais pas si le sénateur Boisvenu est sur le point de terminer son discours, mais il a perdu cinq minutes encore une fois à cause des difficultés techniques, qui posent un véritable problème aujourd’hui. Je demanderais l’indulgence du Sénat, s’il reste moins de cinq minutes au sénateur, pour qu’il termine son discours ce soir. S’il en a pour plus de cinq minutes, j’accepte bien sûr que ce ne soit pas possible.
Honorables sénateurs, sommes-nous d’accord? Sénateur Boisvenu, vous pouvez poursuivre.
J’en ai pour deux minutes. Merci beaucoup, sénateur Plett. Merci aux sénatrices et aux sénateurs.
Il reste beaucoup à faire. Depuis la disparition de ma fille Julie en 2002, je me suis promis de consacrer le reste de ma vie à ce combat. Toutefois, je ne peux le faire tout seul. C’est avec vous, chers collègues, que tout est possible.
Honorables sénatrices et sénateurs, je demande que cette Chambre procède à la deuxième lecture de ce projet de loi pour qu’il soit ensuite renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles le plus rapidement possible.
Je vous remercie.