Le Code criminel
Projet de loi modificatif--Message des Communes--Adoption de la motion de renonciation aux amendements du Sénat et d'adoption des amendements des Communes
17 mars 2021
Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler du message que le Sénat a reçu de l’autre endroit à propos du projet de loi C-7. Je dédie mon discours aux Premières Nations et aux communautés de personnes handicapées qui continuent de lutter courageusement afin de créer un monde meilleur pour les personnes et les communautés qu’elles défendent et qu’elles représentent.
Le gouvernement libéral s’est engagé à renouveler sa relation de nation à nation avec les peuples autochtones du Canada et a promis de faire progresser les enjeux qui ont le plus d’importance pour les Premières Nations, la nation métisse et les communautés inuites. Malgré cela, le Canada continue de rater d’excellentes occasions de collaborer et d’échanger de façon significative avec les Premières Nations, la nation métisse et les peuples inuits à propos d’un aspect crucial de leur chemin vers l’autodétermination, c’est-à-dire le fonctionnement actuel des lois du pays et les conséquences négatives qu’elles ont eu et continuent d’avoir pour les peuples autochtones.
Depuis le premier contact, les peuples autochtones de l’île de la Tortue s’efforcent de résister à la violence coloniale alors que, en raison de l’institutionnalisation de valeurs et de lois racistes et coloniales, les peuples autochtones subissent de la discrimination simplement parce qu’ils sont autochtones et qu’ils vivaient déjà sur un territoire que d’autres ont déclaré terra nullius, ou territoire sans maître.
Les Premières Nations ont dû mettre sur pied de nouvelles organisations et de nouveaux groupes pour appuyer leur retour vers l’autodétermination et rétablir les structures d’autonomie gouvernementale qui existaient auparavant mais avaient été interdites par la loi. Parallèlement, la communauté des personnes handicapées a également créé ses propres organisations et groupes pour faire reconnaître ses droits et défendre son autonomie. Ces représentants et défenseurs des Premières Nations et des personnes handicapées ne cessent de promouvoir le bien-être de leurs communautés. Malgré tout le travail et tous les progrès accomplis, les Premières Nations et la communauté des personnes handicapées continuent de trouver mille et un défis à relever dans leur démarche d’organisation vers le changement. Cela découle de la législation en vigueur, c’est-à-dire des lois nées d’une philosophie colonialiste, des lois qui ont été instaurées en excluant, muselant et surveillant systématiquement ces communautés.
Comment l’État colonial peut-il continuer d’exercer son pouvoir sur une autre nation souveraine, les Premières Nations, et sur les communautés de personnes handicapées?
Sénateurs, faites preuve d’ouverture en écoutant mon discours avec vos yeux, vos oreilles, votre cœur et votre esprit. Je ne blâme personne, pas plus que je ne veux faire honte à qui que ce soit. Je vous demande de comprendre la position dans laquelle nous nous trouvons et pourquoi nous en sommes rendus là aujourd’hui. En tant que sénateurs, quelle est notre compréhension de l’incidence des lois sur les Premières Nations et les personnes handicapées, surtout si l’on tient compte du fait que la majorité des lois canadiennes ne sont pas équitables pour les Premières Nations et les personnes handicapées?
Honorables sénateurs, c’est avec un mélange de fébrilité, d’étonnement et de naïveté que je suis arrivée à la Chambre rouge, en 2017. Cependant, au cours des quatre dernières semaines, je me suis rendu compte que la présence de 0 sénateurs autochtones dans cette Chambre ne suffit pas à éradiquer le racisme structurel profondément enraciné dans le processus législatif sur la Colline du Parlement du Canada. Nous devons tous être vigilants par rapport aux processus et aux politiques qui reflètent un colonialisme structurel et systémique profondément enraciné et nous devons travailler ensemble à les changer. Sinon, nous aggraverons encore les inégalités, les injustices et la violence envers les Premières Nations en continuant de faire fi des problèmes au sein des divers ordres de gouvernement.
En tant que sénatrice autochtone, comment puis-je prendre les moyens nécessaires pour atténuer ces risques imposés unilatéralement aux peuples autochtones au moyen des lois que nous avons contribué à faire adopter? Comment puis-je rendre des comptes aux gens que je côtoie et qui ont placé leur confiance en moi et dans le Sénat? Rendre des comptes aux gens que je côtoie signifie comprendre qu’en tant que sénatrice, je fais partie du processus législatif et que, partant, je suis tenue de rendre des comptes aux personnes qui sont assujetties aux lois que nous adoptons, la plupart du temps à leur insu et sans leur consentement.
Quels sont les thèmes récurrents des histoires des Premières Nations et de la communauté des handicapés, dont on ne tient pas compte dans les projets de loi que nous étudions, comme le projet de loi C-7? Parmi ces thèmes troublants, soulignons qu’il n’y a pas eu de véritables consultations auprès d’une organisation ou de défenseurs appropriés; on ne sait pas exactement comment le projet de loi est compris ou expliqué à divers segments de la population, y compris les professionnels de la santé; il n’y a pas de données décrivant les inégalités et les iniquités qui existent; il n’y a pas d’occasions de discuter de questions pertinentes pour certains groupes, comme le fait que l’aide médicale à mourir ne fait pas partie de certaines cultures ou que le suicide est épidémique dans certaines communautés.
Honorables sénateurs, quels sont les impacts anticipés du projet de loi C-7 sur les femmes et d’autres groupes marginalisés? Les défenseurs des droits des personnes handicapées réclament que l’on offre des soutiens accrus aux personnes handicapées plutôt que de faire exactement le contraire en élargissant l’aide médicale à mourir. En 2019, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées a recommandé que le Canada établisse des mesures de sauvegarde adéquates pour éviter que les personnes handicapées ne demandent l’aide médicale à mourir simplement parce qu’il n’y a pas d’autres options communautaires ou de soins palliatifs.
Est-ce que cela a vraiment été fait? Voyons plutôt ce que dit la page 4 de l’analyse comparative entre les sexes plus sur le projet de loi C-7 qui a été commandée par le ministre Lametti :
Les taux de troubles de l’humeur et de trouble d’anxiété généralisée sont plus élevés chez les femmes que chez les hommes; on observe le contraire dans le cas des troubles liés à l’utilisation de substances. Il convient de noter que l’étude de Statistique Canada qui a tiré ces conclusions sous-estime probablement les taux de maladie mentale, car elle ne comprenait pas les personnes vivant dans les réserves et d’autres établissements autochtones, les membres à temps plein des Forces canadiennes et la population institutionnalisée, dont bon nombre sont extrêmement vulnérables.
On peut lire ceci un peu plus loin :
Il existe des facteurs de risque propres au genre pour les maladies mentales courantes qui touchent de manière disproportionnée les femmes, comme la violence fondée sur le genre, les désavantages socioéconomiques, le revenu faible et l’inégalité des revenus, le statut social et le rang social inférieurs ou subordonnés et la responsabilité incessante de prendre soin d’autrui. Le taux élevé d’exposition des femmes à la violence sexuelle, et le taux proportionnellement élevé de troubles de stress post-traumatique (TSPT) engendré par cette violence, font des femmes le groupe de personnes le plus important à être touché par le TSPT.
Les différences entre les genres existent également dans les tendances en matière de demande d’aide concernant des troubles psychologiques. [...] Ces différences entre les genres peuvent aider à expliquer la raison pour laquelle les femmes atteintes de troubles psychiatriques sont plus susceptibles que les hommes de demander l’AMM dans les pays du Benelux. On peut s’attendre à ce que, si l’AMM était mise à la disposition des personnes dont l’unique trouble est une maladie mentale au Canada, nous constations une augmentation du nombre de femmes qui demandent l’AMM pour des souffrances psychiatriques et à un âge plus jeune.
Il existe un risque bien réel de vague de suicide dans les groupes vulnérables à la suite d’un décès avec l’aide médicale à mourir, surtout si les membres de ces groupes vulnérables s’identifient à la personne qui a obtenu l’aide médicale à mourir.
Dans les pays du Benelux, où l’admissibilité à l’AMM ne se limite pas à ceux qui souffrent physiquement, il y a eu des décès par AMM controversés, et on peut s’attendre à ce que des cas similaires se produisent au Canada si les critères d’admissibilité étaient semblables.
Chers collègues, je vous exhorte tous à soutenir ceux qui sont menacés, à être leur allié, et à agir de concert pour que nous nous protégions les uns les autres.
La situation actuelle au pays ne constitue pas un enjeu autochtone, mais un enjeu canadien. Dans son livre de 2015 intitulé Strong Helpers’ Teachings: The Value of Indigenous Knowledges in the Helping Professions, Cyndy Baskin, une auteure mi’kmaq et celtique, cite Patton et Bondi à la page 490 :
Les alliés dans la lutte pour la justice sociale reconnaissent l’interconnectivité des structures oppressives et travaillent en partenariat avec les personnes marginalisées pour établir des coalitions pour la justice sociale. Ils aspirent à dépasser les gestes individuels et à diriger l’attention vers les systèmes et les processus oppressifs. Leur quête ne se résume pas à aider les personnes opprimées, mais à créer un monde plus juste sur le plan social, au bénéfice de tous.
Mme Baskin ajoute ensuite :
Même si le terme « allié » est largement utilisé, certains pensent qu’il s’applique à une personne qui mène la bataille d’une autre personne alors qu’il s’agit plutôt de prendre part à la bataille. Par exemple, lorsqu’on lui a parlé du rôle des alliés au sein du mouvement militant pour les femmes noires, bell hooks a remis en cause le terme utilisé en affirmant : « Si quelqu’un défend ses propres convictions et que ses convictions sont antipatriarcales et antisexistes, il n’a pas à être l’allié de qui que ce soit. Il se trouve en première ligne de son combat de la même façon que je suis en première ligne du mien. »
Prendre conscience de ses propres privilèges et de sa relation avec ceux-ci est crucial pour devenir un allié selon les ouvrages de Mmes Bishop, Kendall et Nattrass. Il est essentiel de se situer dans les systèmes d’oppression qu’on tente d’abolir ainsi que d’en comprendre l’histoire et le contexte actuel.
Dans le même livre, Ben Carniol affirme :
D’un point de vue général, je considère qu’il est important que les alliés désapprennent beaucoup de choses que la société les a amenés à croire dès leur plus jeune âge, croyances renforcées quotidiennement par les discours colonialistes qui sont encore extrêmement répandus, de façons subtiles ou moins subtiles. Ce désapprentissage suppose une reconnaissance de l’oppression du colonialisme et des motifs d’oppression et, pour cela, il faut remonter dans l’histoire. Nos alliés dans la population générale doivent donc prendre connaissance de la dépossession, du vol des terres, de la violation des traités, du rôle assimilateur des politiques gouvernementales et de la population non autochtone en général.
Ce passage vient de ses communications personnelles de 2015.
Sénateurs, même si je sais qu’il faudra beaucoup de temps pour combattre le racisme institutionnel sous-jacent dans le processus législatif, je crois fermement que nous sommes capables de relever le défi. Quel autre choix avons-nous puisque l’autre option consiste à continuer de placer des groupes vulnérables de la population canadienne dans des situations désavantageuses.
Même si je voterai contre ce message, j’espère sincèrement que nous pourrons faire de ce moment un tournant décisif pour tenter d’aller de l’avant d’une manière plus inclusive et compréhensive, tout en nous assurant de donner aux personnes qui ont grandement besoin d’être entendues, mais qui continuent de ne pas l’être, une voix au Parlement. Merci.
Honorables sénateurs, je me lève encore une fois dans cette enceinte pour parler du message de la Chambre des communes sur le projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).
Avant d’en venir à la réponse du gouvernement et aux raisons pour lesquelles je ne peux pas appuyer le message, j’aimerais encore une fois remercier les sénateurs et leur personnel, l’Administration du Sénat et le personnel des comités qui ont consacré beaucoup de temps et d’efforts à ce processus législatif. J’aimerais également remercier les témoins qui se sont présentés devant le comité, les autres intervenants et les Canadiens préoccupés qui nous ont envoyé des courriels et téléphoné avec beaucoup de courage et de détermination et qui ont vraiment donné au Sénat matière à réflexion et à débat. Les propos convaincants que j’ai entendus, dont ceux des sénateurs pendant ce débat, notamment ceux de la sénatrice McCallum, ont marqué de manière indélébile mon cœur, mon esprit et mon âme.
Mesdames et messieurs les sénateurs, comme vous le savez, le projet de loi C-7 visait à rendre la loi conforme à la décision rendue en 2019 par la Cour supérieure du Québec, laquelle a invalidé une disposition ne permettant qu’aux personnes souffrant intolérablement et dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible de se prévaloir de l’aide médicale à mourir. Malheureusement, si nous adoptons le message de la Chambre, nous promulguerons le projet de loi C-7, qui ira bien plus loin que cela. Je suis convaincue que de nombreux parlementaires, à l’autre endroit, auraient aimé avoir plus de temps pour débattre en profondeur du message de notre Chambre et des amendements subséquents qu’ils ont reçus du Sénat. Or, la piètre gestion du gouvernement et son incapacité à répondre aux décisions des tribunaux et à faire adopter des mesures législatives avant l’échéance fixée ont entraîné un engorgement au chapitre des projets de loi. Le gouvernement a donc eu recours à la clôture, ce qui a forcé les parlementaires à examiner en très peu de temps des questions immensément complexes et délicates, en l’occurrence une question de vie ou de mort, et ce, sans aucune marge d’erreur. C’est tout à fait honteux.
L’une des raisons très évidentes de rejeter le message, honorables sénateurs, a été parfaitement articulée par l’une de nos collègues, la sénatrice Judith Seidman. Je la cite encore une fois, simplement pour ajouter aux propos que je voulais formuler. Voici ce qu’elle a dit :
[...] nous avons [...] présenté des amendements dont on peut dire qu’ils dépassent à la fois le principe et la portée du projet de loi C-7 dont nous étions saisis [...] [N]ous avons amendé le projet de loi C-14 afin d’inclure deux importantes dispositions [...] La deuxième disposition concerne la mise sur pied d’un comité [...] afin d’examiner les dispositions du projet de loi C-14 et la situation des soins palliatifs au Canada.
Honorables sénateurs, nous ne pouvons pas ignorer ni abdiquer nos responsabilités en tant que parlementaires et législateurs. Nous devons examiner les trois rapports finaux du groupe d’experts publiés par le Conseil des académies canadiennes, et avoir l’assurance, d’abord et avant tout, que nous avons respecté nos obligations relativement aux dispositions du projet de loi C-14.
Le fait que le gouvernement libéral n’a pas permis au Parlement de faire son travail et d’examiner le dossier est un autre symptôme inquiétant de sa négligence. On nous demande d’étendre le régime de l’aide médicale à mourir sans l’appui de l’examen qui devait avoir lieu cinq ans après la légalisation de l’aide médicale à mourir. Honorables sénateurs, si nous adoptons le message à l’étude aujourd’hui et promulguons le projet de loi C-7 modifié sans avoir examiné adéquatement le régime, nous compromettrons la sécurité de certaines communautés, notamment celle de la communauté des personnes handicapées. Les groupes de défense des droits des personnes handicapées condamnent le projet de loi, soutenant qu’il dévalorise la vie des personnes handicapées, auprès de qui, en raison des attitudes sociales et de l’absence de services de soutien, pourraient parfois être exercées, directement ou indirectement, des pressions pour qu’elles mettent fin à leurs jours prématurément.
La perte d’une vie humaine à la suite d’un suicide est également une réalité tragique courante au sein des communautés autochtones. Nous avons entendu de nombreux témoins inquiets pour leurs enfants, les jeunes de leur collectivité et d’autres membres de leur collectivité qui sont aux prises avec d’énormes difficultés et qui affichent un taux de suicide bien supérieur à l’ensemble de la population canadienne. Par exemple, le taux de suicide est scandaleusement élevé chez les Inuits. En effet, à 60 pour 100 000 habitants, il est 11 fois plus élevé que la moyenne au Canada. Des dirigeants autochtones, dont Tyler White, le chef de la direction des Siksika Health Services, Graydon Nicholas, ancien lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, Nick Sibbeston, sénateur à la retraite, des conseillers autochtones spécialisés en santé et en prévention du suicide, ainsi que des aînés ont rédigé une lettre à l’intention des parlementaires concernant le projet de loi C-7, dans laquelle ils disent notamment :
Le projet de loi C-7 est contraire à bon nombre des valeurs, des systèmes de croyances et des enseignements sacrés de notre culture. Il ne faut pas imposer à nos peuples la vision voulant que l’aide médicale à mourir soit une solution digne pour les personnes en phase terminale ou pour les personnes handicapées.
Honorables sénateurs, à l’instar de la sénatrice Batters et d’autres sénateurs, je suis certaine que vous repensez encore aux témoignages poignants entendus pendant tout le processus. Un de ces témoignages qui m’a le plus touchée est celui de François Paulette, un aîné, et ses paroles. Vous savez, cela ne ferait pas honneur à son témoignage, parce que je ne saurais exprimer en cinq ou sept minutes toute la profondeur du témoignage d’un aîné d’une nation millénaire. Je vais donc reprendre ses paroles pour rappeler ce qu’il a dit.
Je vais vous parler de notre vision du monde et de sa terminologie. L’expression à retenir est Déné Ch’anié, ce qui signifie littéralement « le chemin que nous suivons » d’hier à demain. Dans la vision du monde des Dénés, il n’y a pas de description ni de mot pour « aide médicale à mourir » ou « suicide ».
Vous savez, lorsqu’il indique que le mot suicide ou le concept de suicide n’est entré que récemment dans sa communauté, il dit que cela ne fait qu’environ 300 ans.
Je poursuis la citation :
Les connaissances occidentales et le savoir traditionnel des Dénés sont deux façons différentes de voir le monde, de comprendre les rapports entre les uns et les autres, de percevoir la mort et d’envisager la question du suicide.
J’aurais dû prendre part aux discussions dès le début. Ce projet de loi aurait dû être conçu conjointement par des Autochtones et des représentants du gouvernement.
Notre histoire est longue. Nous sommes guidés par notre histoire, mais encore plus par notre langue. Notre langue est descriptive. Si un concept n’a pas de mot dans notre langue, c’est que ce concept n’a jamais fait partie de notre histoire.
Ainsi, si on s’en tient à ce message, le mot « suicide » et l’expression « aide médicale à mourir » sont inconnus des Dénés. J’essaie d’imaginer ce qui se passe chez les Dénés et dans les autres communautés autochtones qui doivent composer avec cette nouvelle réalité, avec ce nouveau régime dont pourront se prévaloir les personnes admissibles. On dit qu’il faut deux ans pour préparer le terrain, mais j’essaie d’imaginer comment on s’y prendra. Doit-on imposer un nouveau régime à une communauté dont la culture est incroyablement riche et ancienne comme celle des Dénés? La question me préoccupe sérieusement.
Les aînés autochtones, notamment, et les sénateurs qui siègent dans cette enceinte nous ont exhortés à respecter le droit d’établir le mode de prestation des services de santé dans les communautés autochtones, pour ne pas anéantir des décennies de travail pour lutter contre la crise des suicides dans ces communautés en créant un cadre qui fait la promotion du suicide comme solution aux troubles de santé mentale.
Le Dr Neil Hilliard, consultant en soins palliatifs et professeur agrégé de clinique au département de médecine de l’Université de la Colombie-Britannique, nous avertit que, depuis l’adoption du projet de loi C-14, les soins palliatifs dans cette province ont décliné et que leur accès a été réduit, citant des circonstances aggravantes. Il a déclaré que le programme de soins palliatifs de la Fraser Health Authority :
[...] a été dissous et décentralisé pour devenir un réseau régional. Des centres de soins palliatifs qui avaient jusque là refusé d’offrir l’aide médicale à mourir ont graduellement acquiescé à l’exigence de la Fraser Health Authority. Le directeur général de la Langley Hospice Society a démissionné. Un nouveau centre de soins palliatifs de 15 lits qui devait ouvrir ses portes à Langley en 2019 n’est toujours pas terminé. La Delta Hospice Society, qui constituait le dernier bastion, risque maintenant de perdre l’Irene Thomas Hospice, car la Fraser Health Authority ne renouvellera pas son contrat, qui arrive à échéance le 25 février 2021.
Je sais que les soins palliatifs sont essentiels. Ce qui me préoccupe, en adoptant ce message, c’est que l’examen quinquennal, dans le cadre duquel nous devions examiner la situation des soins palliatifs, n’a pas eu lieu. Nous ne pouvons donc pas dire que notre pays est prêt à adopter ce message. Je ne sais pas ce que cela signifierait, mais il faudrait que le gouvernement songe à une solution plus raisonnable que cette imposition d’un délai, alors que le pays n’est pas prêt.
Le Dr Mark Sinyor, psychiatre et professeur agrégé de psychiatrie à l’Université de Toronto, a récemment écrit ceci dans une lettre ouverte à la CBC :
À titre de scientifique, je dois demeurer ouvert à la possibilité que l’ensemble des revendications avancées par les défenseurs de l’aide médicale à mourir soient exactes. Mais nous ne pouvons pas adopter une loi qui régit des décisions de vie ou de mort sur la seule base d’une possibilité.
Il poursuit :
Dans d’autres domaines de la médecine, des chercheurs rigoureux consacrent fréquemment des carrières entières à étudier méticuleusement les avantages et les inconvénients de traitements avant de les recommander.
En ce qui concerne l’aide médicale à mourir, cette pratique, mise en place depuis seulement cinq ans, a été conçue pour un petit groupe de personnes jugées admissibles dont le décès est naturellement prévisible. Nous n’avons pas encore procédé à l’examen nécessaire pour savoir s’il serait préférable d’élargir l’accès à l’aide médicale à mourir. Pourtant, c’est ce que nous ferons si nous approuvons ce message.
J’éprouve du respect envers tout professionnel qui évalue et administre l’aide médicale à mourir, mais d’après les témoins que nous avons entendus, ces experts de l’aide médicale à mourir seraient encore en apprentissage. Ils sont en train de s’améliorer et d’en apprendre davantage. Il est donc possible que, d’ici deux ans, l’aide médicale à mourir soit élargie, ce qui nécessitera peut-être la mise en place d’un nouveau régime, au lieu de la simple modification du régime en place. Lorsque nous avons créé le nouveau régime d’aide médicale à mourir, il était destiné à un groupe très restreint de personnes.
L’un des experts qui nous ont conseillés est Raphael Cohen-Almagor, titulaire de la chaire de politique à l’Université de Hull au Royaume-Uni. Il a étudié l’aide médicale à mourir dans neuf pays. Il a dit que nous devrions être très prudents dans la manière dont nous étendons l’aide médicale à mourir et que, si nous décidons de le faire, nous devrions faire en sorte que ce qui a été conçu à l’origine soit directement transportable et applicable. De plus, si nous n’ajoutons pas de mesures de sauvegarde appropriées et que nous nous contentons d’étendre le programme sans renforcer les capacités et sans prévoir toutes les exceptions nécessaires, nous mettons les gens en danger. Son témoignage était également très convaincant et continue de résonner.
Comme nous le savons, si nous approuvons le message, dans à peine deux ans, les personnes dont la seule affection sous-jacente est une maladie mentale seront admissibles à l’aide médicale à mourir.
Honorables sénateurs, je dirais aujourd’hui que nous avons été témoin des difficultés techniques qui sont survenues à la séance d’hier. La sénatrice Bernard a dû recommencer une troisième fois sa déclaration. Nous savons qu’il faut beaucoup de personnes et beaucoup de temps pour simplement épuiser l’ordre du jour. Je pense qu’il y a 200 employés qui travaillent dans les coulisses. Nous les remercions pour leur travail incroyable.
J’essaie d’envisager une fenêtre de deux ans pour étendre potentiellement l’aide médicale à mourir aux personnes dont la seule affection sous-jacente est une maladie mentale. Honorables sénateurs, en ces temps de pandémie de COVID, où tout est retardé et où tous les systèmes comportent des lacunes, deux ans ne suffisent pas.
Dans une déclaration publiée après la réponse du gouvernement, l’Association canadienne pour la santé mentale a dit ceci :
[...] tant que le système de soins de santé ne répond pas adéquatement aux besoins des Canadiens en matière de santé mentale, l’aide médicale à mourir ne devrait pas être une option — ni maintenant ni dans 2 ans.
La chef de la direction de l’Association canadienne pour la santé mentale, Margaret Eaton, s’est exprimée clairement ainsi : « Avant même de considérer qu’une maladie mentale est incurable, nous devrions nous occuper du système canadien de santé mentale, car il ne va pas très bien. »
Dans son mémoire à la Chambre des communes, M. Lemmens a expliqué clairement la situation de la façon suivante :
Les soins à domicile adéquats ou l’aide à la vie autonome, préférés par la plupart des personnes handicapées et plus sûrs dans un contexte de pandémie, ne sont pas disponibles, ou le sont insuffisamment, dans plusieurs provinces.
Le délai d’attente médian pour l’accès aux cliniques antidouleur spécialisées était d’environ 5,5 mois en 2017-2018, certaines personnes ayant même attendu jusqu’à quatre ans, rendant l’obtention de l’AMM plus rapide que l’obtention d’un traitement antidouleur.
Cela me fait penser aux soins palliatifs que mon père a reçus. Il est décédé en 2008. C’était la date de son anniversaire hier; il aurait eu 89 ans. En pensant aux soins extraordinaires qu’il a reçus au centre de soins palliatifs et au courage dont il a fait preuve jusqu’à la nuit où il a rendu son dernier souffle, cela me rappelle l’importance de cette option. Or, nous n’avons pas mené d’examen pour déterminer dans quelle mesure ces soins sont accessibles. Nous savons que l’accessibilité pose problème dans bien des provinces.
Sénatrice Martin, j’ai bien peur que votre temps de parole soit écoulé. Voulez-vous demander cinq minutes de plus?
Non. Merci, Votre Honneur.
Honorables sénatrices et sénateurs, la Chambre des communes nous revient avec sa réponse aux amendements qui ont été adoptés par le Sénat sur certains éléments du projet de loi C-7 portant sur l’aide à mourir. Le message que nous venons de recevoir énonce en détail la réponse, qui a reçu la majorité des voix à la Chambre des communes la semaine dernière. Rappelons que le projet de loi C-7 est un projet de loi émanant du gouvernement; ce n’est pas le nôtre.
Nous savons que la plus récente prolongation de la Cour supérieure du Québec, que le gouvernement a obtenue, arrive à échéance le 26 mars, c’est-à-dire la semaine prochaine. La cour a insisté sur le fait que cette quatrième prolongation est la dernière qu’elle entend accorder au gouvernement pour faire adopter sa loi. Dans l’éventualité où l’échéance du 26 mars serait dépassée sans qu’il y ait de projet de loi, la décision de la Cour supérieure du Québec, rendue dans l’affaire Truchon en 2019, prendra pleinement effet au Québec uniquement. Rappelons que ce jugement a invalidé l’exigence prévue au Code criminel selon laquelle la mort doit être raisonnablement prévisible pour qu’une personne puisse demander l’aide à mourir.
Il m’apparaît important de réitérer que le Sénat a adopté des amendements dans le cadre de l’exercice de sa responsabilité à titre de l’une des deux Chambres législatives du Parlement fédéral. En tant que membres de cette Chambre législative, créée en vertu de la Constitution canadienne, nous, les sénateurs et les sénatrices, avons la responsabilité d’étudier attentivement les projets de loi qui sont adoptés par la Chambre des communes. C’est ce que nous avons fait, comme nous avons le devoir de le faire pour chacun des projets de loi.
Pour faire ce travail, nous avons eu l’appui de plusieurs personnes, groupes et organismes, à l’égard desquels nous sommes reconnaissants. Les amendements apportés par le Sénat ont été analysés par le gouvernement, qui a choisi d’en accepter une partie, d’en rejeter une autre et d’en modifier certains. Il a obtenu une majorité de voix pour ces modifications à la Chambre des communes.
Dans l’exercice de notre responsabilité de législatrices et de législateurs, nous avons entendu de très nombreux témoins. Les amendements que nous avons adoptés découlent directement de ces témoignages. Le projet de loi C-7 a ceci de particulier : il porte sur des questions liées à la fin de la vie, la fin de notre vie, et la fin de la vie de personnes qui nous sont proches — parents ou amis.
La charge émotive que ces questions génèrent, pour nous-mêmes comme pour les témoins que nous avons entendus et les personnes qui ont communiqué avec nous d’autres façons depuis plusieurs mois, est très importante. Nous le reconnaissons. De plus, le fait de discuter de ces questions fondamentales durant une période de pandémie comme celle que nous traversons depuis un an a exacerbé notre stress, notre anxiété, nos angoisses et notre peur de la mort. Tout le débat entourant l’aide à mourir est donc rendu plus difficile dans les circonstances actuelles, engendrées par la pandémie de COVID-19.
Certains trouveront que le message que nous venons de recevoir va trop loin, alors que déjà, plusieurs trouvent que cette mouture du projet de loi C-7, tel qu’il est modifié, ne va pas assez loin.
Chers collègues, le respect de l’autonomie des personnes dont les souffrances sont intolérables, que ces personnes vivent en situation de handicap ou non, est une question de droit fondamental de la personne qui doit être respecté et protégé. Le droit à l’autonomie des personnes doit aussi respecter et protéger le droit de toute personne en situation de handicap d’avoir une vie digne, en toute égalité.
Nous avons bien entendu les témoins qui ont dit que ce droit à l’égalité dans la conduite de leur vie n’est pas respecté, alors que la Loi constitutionnelle et la Charte canadienne interdisent cette discrimination. Je cite le paragraphe 15(2) de la Charte canadienne des droits et libertés qui permet notamment l’adoption des :
[...] programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leurs [...] déficiences mentales ou physiques.
Ce droit constitutionnel à une vie digne pour une personne en situation de handicap n’est pas incompatible avec le droit d’avoir accès à l’aide à mourir, lorsque cette personne juge que les souffrances qu’elle a endurées sont devenues intolérables, comme le confirme le jugement Truchon.
Le message que nous avons reçu de la Chambre des communes ne va pas aussi loin que ce qu’une grande majorité de la population a clairement exprimé, soit la possibilité d’indiquer clairement dans des directives anticipées sa volonté d’avoir accès à l’aide à mourir avant le déclin de ses capacités cognitives.
Plusieurs témoins ont déploré le fait que le gouvernement a choisi de ne pas entreprendre la révision parlementaire prévue dans la loi adoptée en 2016, et qui devait être commencée en juin dernier. Le message que nous venons de recevoir prévoit qu’un comité mixte chargé d’examiner, entre autres, la question des directives anticipées devra être créé dans les 30 jours suivant la sanction royale de la loi.
La révision parlementaire votée dans une loi engage les gouvernements, quels qu’ils soient. Nous avons dû le rappeler au gouvernement actuel au moyen d’un amendement au projet de loi C-7.
À mon avis, nous avons maintenant la responsabilité de contribuer à créer sans délai le comité mixte pour continuer la réflexion nécessaire sur les directives anticipées et sur d’autres questions tout aussi importantes.
Chers collègues, beaucoup de travail nous attend, y compris en ce qui concerne l’interaction entre la compétence fédérale en matière de droit criminel et les compétences des provinces, notamment en matière de santé et de capacité légale à consentir.
Je suis d’avis qu’il y a lieu de ne pas insister sur les amendements adoptés par le Sénat sur le projet de loi. Ne pas accepter le message que nous avons reçu est susceptible de provoquer une impasse, y compris un dépassement de l’échéance du 26 mars, ce qui priverait toutes les personnes qui vivent à l’extérieur du Québec, dont les souffrances sont intolérables, mais dont la mort n’est pas prévisible, de l’accès à l’aide à mourir.
Le droit à l’aide médicale à mourir, qui est maintenant reconnu au Canada, est le résultat de nombreuses procédures judiciaires intentées par des citoyennes et des citoyens dont les souffrances étaient intolérables, et dont l’objectif était de faire reconnaître ce droit. Souvenons-nous aussi des personnes qui avaient fait une demande d’aide médicale à mourir en bonne et due forme, et à qui on l’a finalement refusée, parce qu’on a jugé que leurs capacités cognitives étaient atteintes au point de ne pas pouvoir donner un consentement valable.
C’est en pensant à toutes ces personnes que j’en suis venue à la conclusion qu’il revient au Sénat de confirmer la reconnaissance et la protection de ce droit en acceptant le message que nous venons de recevoir de l’autre endroit, et ce, même si le projet de loi ne comporte pas tous les éléments que nous aurions souhaité y voir inscrits. Il est primordial pour moi que nous continuions d’assumer nos responsabilités. Merci.
Honorables sénateurs, j’appuie le message du gouvernement, qui répond à l’amendement du sénateur Kutcher concernant la santé mentale même si nous nous retrouvons avec un délai plus long — 24 mois. Le délai plus long est conforme à l’approche prudente du gouvernement en réponse à la décision historique de la Cour suprême en 2015.
Évidemment, je suis aussi ravi de voir la proposition de la sénatrice Jaffer concernant l’élargissement de la collecte de données dans le message.
Je suis favorable à la proposition du gouvernement de créer un comité d’experts indépendant chargé d’examiner les protocoles et les mesures de protection associés aux demandes de personnes atteintes d’une maladie mentale. Je suis également heureux de voir que le comité se concentrera à trouver un équilibre entre les droits constitutionnels et les mesures de protection connexes dont la Cour suprême a parlé en 2015.
Il s’agit de l’un des thèmes centraux dont nous avons débattu au cours des dernières semaines. À cet égard, je suis heureux d’apprendre que le rôle du comité indépendant ne sera pas de déterminer si l’aide médicale devrait être offerte dans les cas de maladie mentale, mais plutôt d’établir les conditions dans lesquelles elle sera offerte.
La Cour suprême a statué en 2015 que le droit pénal devait autoriser une certaine forme d’aide médicale à mourir et elle a soutenu que la tâche d’élaborer une réponse appropriée incombait au Parlement.
La cour a déclaré qu’il était nécessaire de mettre en place « un régime soigneusement conçu, qui impose des limites strictes » pour protéger les personnes vulnérables, et que le Parlement était mieux placé que les tribunaux pour concevoir des régimes réglementaires aussi complexes. C’est ce que nous avons fait ici.
Elle a reconnu que le Parlement avait la difficile tâche de concilier les intérêts concurrents de ceux qui voudraient avoir accès à l’aide médicale à mourir et de ceux qui pourraient être mis en danger par la légalisation.
Chers collègues, nous avons vu à quel point cette tâche est complexe.
Je me suis entretenu avec des psychiatres qui évaluent aussi les demandes d’aide médicale à mourir et qui se penchent depuis un certain temps déjà sur les protocoles qui seraient requis pour évaluer la santé mentale. J’étais déjà satisfait qu’une approche très stricte et prudente soit prise pour évaluer la santé mentale des personnes qui demandent l’aide médicale à mourir, qui, évidemment, s’ajouterait à l’obligation de répondre au critère d’être aux prises avec des problèmes de santé graves et irrémédiables ou une affection, une maladie ou un handicap qui causent des souffrances persistantes qui sont intolérables. Le fait qu’un comité d’experts indépendant examinera ces enjeux procurera la diligence raisonnable pour trouver le juste équilibre entre les droits des personnes et les mesures de sauvegarde.
Chers collègues, les psychiatres spécialisés dans l’éthique médicale qui ont eu à faire des évaluations pour les demandes d’aide médicale à mourir disent déjà qu’au fur et à mesure que leur profession intégrera cette pratique, les évaluations de la santé mentale tendront vers les souffrances à long terme, voire des souffrances qui durent toute la vie, au même titre que les autres critères stricts du régime de l’aide médicale à mourir. Par conséquent, seul un petit nombre de demandes seraient approuvées chaque année, ce qui devrait probablement être le cas.
Par ailleurs, je joins ma voix à celle d’autres sénateurs présents qui ont félicité le gouvernement d’avoir accepté la proposition d’un examen parlementaire conjoint sur les dispositions du Code criminel qui portent sur l’aide médicale à mourir. Ainsi, l’examen pourra aborder la santé mentale, les mineurs matures, les demandes anticipées, les soins palliatifs au Canada et les mesures de protection pour les personnes handicapées.
Chers collègues, ce comité parlementaire, tout comme le comité d’experts indépendant, se concentrera, entre autres, sur les mesures de protection appropriées qui doivent accompagner l’accès à l’aide médicale à mourir.
À cet égard, le comité proposé répondrait tant aux préoccupations soulevées par les représentants de la communauté des personnes handicapées qu’à celles des défenseurs des demandes anticipées qu’a proposées la sénatrice Wallin dans son amendement qui, malheureusement, ne figure pas dans le message.
Je félicite le ministre Lametti et son cabinet, ainsi que les responsables, de s’être montrés réceptifs à nos conseils les plus éclairés. Je remercie la marraine du projet de loi, la sénatrice Petitclerc, et le porte-parole du projet de loi, le sénateur Carignan, qui se sont tous les deux exprimés énergiquement sur cette mesure législative. De plus, nous avons pu constater l’excellent travail de la sénatrice Jaffer, qui a présidé le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles lors de son examen minutieux du projet de loi, à l’occasion duquel de nombreux témoins ont exprimé un très large éventail de points de vue.
Je sais gré à ces sénateurs et à tous les sénateurs qui ont participé aux débats, surtout ceux qui en sont venus à leur propre évaluation qui ne reflétait pas nécessairement la ligne de leur parti ou de leur groupe.
Je félicite et je remercie également le sénateur Kutcher, qui a défendu ses convictions contre vents et marées. On en a tous profité dans une certaine mesure, à l’instar des personnes qui demandent l’aide médicale à mourir en raison de souffrances occasionnées par un problème de santé mentale.
Honorables sénateurs, nous nous sommes acquittés de la responsabilité qui est la nôtre de défendre la Constitution ainsi que d’envisager les mesures de sauvegarde dont certains droits doivent parfois être assortis. Nous l’avons fait de façon délibérée, planifiée et programmée en tenant des débats organisés, qui ont permis aux Canadiens d’avoir accès à nos discussions, tout comme certains d’entre vous l’ont fait lors de l’étude du projet de loi C-14 en 2015 et de la réforme sur le cannabis en 2017 et en 2018.
Ce genre de planification et d’organisation s’impose si nous voulons répondre aux attentes des Canadiens. Ce fut un privilège de prendre part à ces débats organisés, mais ce privilège pourrait et devrait être quotidien de sorte que nous devons tirer les leçons de l’expérience que nous avons vécue.
Chers collègues, j’appuie le message de la Chambre. Il est raisonnable et reflète les amendements importants du Sénat, qui appuient les efforts déployés pour trouver le juste équilibre entre des droits importants et des mesures de sauvegarde nécessaires. Merci.
C’est guidé par un examen approfondi du projet de loi dont nous sommes saisis et empreint de respect pour le rôle du Sénat et son mandat à titre d’institution complémentaire de la Chambre des communes que j’interviens aujourd’hui à propos du message que nous avons reçu de l’autre endroit au sujet du projet de loi C-7.
J’ai l’intention de voter en faveur de cette version du projet de loi C-7, non pas parce qu’il aurait été impossible de faire mieux, mais parce que je le considère maintenant meilleur, à certains égards, qu’il ne l’était auparavant, et que cette version témoigne du second examen objectif qu’a mené le Sénat ainsi que les échanges constructifs entre les deux institutions parlementaires.
Je suis aussi d’avis que cette version du projet de loi C-7 ne tient pas suffisamment compte de l’importance des demandes anticipées, dont il était question dans l’amendement proposé par la sénatrice Wallin. J’espère que le comité mixte, qui est maintenant mentionné dans le projet de loi grâce aux amendements du sénateur Tannas et de la sénatrice Boniface, se penchera sur la question des demandes anticipées quand il entreprendra son travail.
Tant à la Chambre des communes qu’au Sénat, le projet de loi C-7 a suscité d’amples débats auxquels il fallait s’attendre puisqu’ils illustrent l’évolution des mœurs de la société canadienne. Les débats ont parfois mis en lumière les conflits qui peuvent surgir quand les valeurs de certains groupes ou particuliers ne concordent pas avec les droits et privilèges conférés à tous les Canadiens par la Charte canadienne des droits et libertés.
Notre société change à bien des égards et on a des perspectives différentes sur la façon dont les Canadiens choisissent de mener leur vie. On accorde désormais une plus grande importance à l’autonomie individuelle plutôt qu’aux attitudes paternalistes. Par rapport à la fin de vie à laquelle nous allons tous devoir faire face, l’évolution sociale nous amène à faire des choix individuels.
Les Canadiens sont de plus en plus conscients que diverses options de fin de vie s’offrent à une personne jouissant de toutes ses facultés, mais qui est atteinte d’une affection grave et incurable, et qui éprouve des souffrances intolérables. La décision de la personne souffrante lui appartient à elle seule, et non à quelqu’un d’autre ou à une organisation. Grâce au projet de loi C-7 ainsi qu’au projet de loi C-14 qui l’a précédé, la concrétisation de ce choix n’est plus un acte criminel, mais une considération thérapeutique, une intervention médicale fournie dans le cadre compatissant d’une approche thérapeutique axée sur le patient.
Cette évolution se manifeste aussi dans les jugements des tribunaux — Rodriguez en 1993, Carter en 2015, E.F. en 2016 et Truchon en 2019 — qui nous ont amenés jusqu’ici. Elle trouve aussi écho dans un sondage Ipsos commandé par Dying with Dignity en février 2021, dont une bonne partie des résultats rejoignent le message que nous venons de recevoir. Mené auprès de 3 500 Canadiens, ce sondage a été pondéré de manière à bien refléter la composition générale de la population, et sa marge d’erreur est de plus ou moins 1,9 point de pourcentage, 19 fois sur 20. Il fait ressortir qu’environ les deux tiers des Canadiens sont favorables à ce qu’on supprime la disposition sur la mort raisonnablement prévisible qui se trouvait dans l’ancienne loi. À peu près la même proportion estime de plus que l’aide médicale à mourir devrait être offerte aux personnes dont la maladie mentale est le seul problème de santé, et les trois quarts des Canadiens croient que l’on devrait pouvoir renoncer au consentement ultime. Même si le consensus n’est pas parfait, on dirait que la vaste majorité des Canadiens appuient le travail réalisé par le Sénat et l’autre endroit avec le projet de loi C-7.
Le changement social ne fait jamais l’unanimité et suscite toujours de vigoureux débats. L’incertitude et la détresse causées par ces mouvements sont bien réelles, et la preuve en a été faite, y compris pendant nos débats. Or, même si nous devons effectivement en prendre conscience et faire de notre mieux pour en tenir compte dans nos décisions, le moment est venu de décider ce qu’il adviendra du projet de loi C-7.
Avant de poursuivre, je tiens à reconnaître le droit légitime des peuples autochtones et des personnes qui vivent avec un trouble mental grave et persistant ou avec un handicap, lesquels ont besoin d’un accès accru aux meilleurs soins qui soient et à de bien meilleurs soutiens sociaux et économiques. C’est une chose que nous souhaitons tous. Toutefois, le fait que ces objectifs ne soient pas encore atteints — et il faut travailler fort pour les concrétiser — n’est pas une raison suffisante pour nier à des personnes compétentes qui éprouvent des souffrances intolérables le droit garanti par la Charte de demander l’aide médicale à mourir si elles répondent à tous les critères inscrits dans la loi.
Je vais consacrer le reste de mon allocution aux révisions faites à la disposition visant à exclure la maladie mentale. L’une des modifications consiste à faire passer le délai d’entrée en vigueur de la disposition de 18 à 24 mois. D’après ce que je comprends, le prolongement du délai vise à allonger la piste de décollage, pour que l’on puisse ajouter un élément et s’attendre raisonnablement à avoir terminé les travaux à temps. L’élément additionnel est un examen indépendant mené par un groupe d’experts :
[...] portant sur les protocoles, les lignes directrices et les mesures de sauvegarde recommandés pour les demandes d’aide médicale à mourir de personnes atteintes de maladie mentale.
Et un rapport du groupe d’experts aux ministres :
Au plus tard au premier anniversaire de la sanction de la présente loi, [...] faisant état des conclusions et recommandations des experts [qui est] présenté aux ministres.
Je crois comprendre que cela peut se faire en 24 mois, mais qu’un échéancier de 18 mois serait trop serré. Je peux accepter ce raisonnement et appuyer un échéancier visant à maintenir la priorité du gouvernement pour régler cet enjeu. Cependant, j’aimerais obtenir l’assurance supplémentaire que cet examen par des experts se poursuivrait, peu importe que le Parlement siège ou non, de sorte qu’en cas d’élections ou de prorogation, ces travaux puissent être menés en temps opportun.
Il est essentiel que ce groupe se concentre sur la manière d’évaluer et d’administrer l’aide médicale à mourir à une personne compétente atteinte d’un trouble mental, pourvu que cette personne réponde aux critères juridiques établis. Son mandat ne consiste pas à poursuivre les discussions sur le projet de loi C-7 et le projet de loi C-14. Je crois comprendre que ces discussions se tiendront dans le cadre de l’examen du comité mixte. J’espère qu’en créant ce groupe, le gouvernement se prévaudra de la meilleure expertise clinique canadienne sur l’évaluation de l’aide médicale à mourir et son administration à des personnes atteintes d’un trouble mental, en plus de faire en sorte d’explorer en long et en large les enjeux pertinents. Les personnes qui participent à cette entreprise importante doivent être des experts dans l’administration de l’aide médicale à mourir. Elles doivent avoir vécu la réalité clinique de l’évaluation et de l’administration de l’aide médicale à mourir, et — par-dessus tout — les patients et les familles doivent en faire partie intégrante.
Pendant ce temps, le projet national pour établir une formation sur l’évaluation des demandes d’aide médicale à mourir et la prestation de la procédure, qui a déjà été lancé, devrait être terminé. Il mènera à un programme de formation agréé conçu pour les médecins et les infirmiers praticiens afin d’enrichir leurs connaissances sur les questions liées à l’évaluation et à la prestation de l’aide médicale à mourir. Le programme inclura les meilleures pratiques cliniques pour tous les aspects de ce processus touchant toutes les personnes qui sont atteintes d’une maladie mentale et qui demandent l’aide médicale à mourir. Cette approche s’appliquera aux demandes pour lesquelles la maladie mentale est la seule condition évoquée et aux cas où le patient est atteint d’une maladie mentale en plus d’une maladie physique qui répond aux critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir.
Ce programme, qui sera agréé par le Collège royal des médecins et chirurgiens et le Collège des médecins de famille du Canada, fera la promotion de normes nationales sur l’évaluation des demandes d’aide médicale à mourir et sur la prestation de la procédure. Les Canadiens peuvent être assurés que ces normes seront de la plus haute qualité. En effet, comme beaucoup d’entre nous au Sénat le savent, les normes pour les médecins et les infirmiers praticiens qui sont utilisées pour orienter la formation de ces professionnels de la santé au Canada font partie des normes les plus élevées du monde, si elles ne sont pas les plus exigeantes. J’espère que l’examen indépendant qui sera lancé par le gouvernement du Canada s’appuiera sur les observations et les résultats découlant du travail de ce groupe.
Dans le cadre de cet examen indépendant, il faudra aussi envisager des mesures de sauvegarde supplémentaires. Je pense que c’est une bonne idée. Toutefois, il serait judicieux d’examiner ce qui a déjà été fait dans ce domaine. Par exemple, au Québec, une commission d’examen, Commission Soins Fin de Vie, passe en revue les déclarations de tous les décès liés à l’aide médicale à mourir dans la province. En signalant des problèmes dans les déclarations dûment remplies en temps réel, la commission permet à l’organisme de réglementation de la profession médicale, le Collège des médecins du Québec, de mettre à jour son guide de pratique clinique et ses directives à l’intention des membres. Il y a également eu deux forums sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie au Québec : un sur les directives anticipées, et l’autre sur l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de troubles mentaux. Ces forums ont permis aux parties responsables et aux groupes d’intervenants de se réunir avec des membres du gouvernement et ont offert l’occasion de recueillir divers points de vue sur ce qui constituerait des mesures de sauvegarde adéquates.
Plusieurs témoins ayant comparu devant le comité sénatorial ou présenté des mémoires ont également suggéré de possibles mesures de sauvegarde qu’il serait utile d’examiner de manière plus approfondie. Elles incluent celles proposées par le Dr Jeff Kirby, médecin de famille et éthicien médical de l’Université Dalhousie, ainsi que par la Dre Chantal Perrot de Toronto, médecin de famille et psychothérapeute qui fournit l’aide médicale à mourir.
Les organismes de réglementation des secteurs médical et infirmier, qui agissent dans l’intérêt de la population, devraient participer au comité d’examen indépendant. Tous les médecins et tout le personnel infirmier doivent appartenir à un ordre professionnel et respecter le code de déontologie approprié. Les organismes de réglementation canadiens, notamment les collèges de médecins et de chirurgiens provinciaux et territoriaux, mettent à jour leurs normes relatives à l’aide médicale à mourir à mesure que les dispositions concernant l’administration de ce service évoluent.
Par exemple, le 27 mars 2020, le Collège des médecins et des chirurgiens de la Nouvelle-Écosse a apporté une modification temporaire à ses normes relatives à l’aide médicale à mourir en réponse à la COVID-19. Cela s’est fait quelques semaines après que l’Organisation mondiale de la santé a déclaré l’état de pandémie. De son côté, le Collège des médecins du Québec a collaboré avec les organismes de réglementation responsables des infirmiers, des pharmaciens, des psychologues et des travailleurs sociaux et avec le Barreau du Québec pour élaborer un guide complet des pratiques exemplaires liées à l’aide médicale à mourir, qu’il met à jour régulièrement. Voilà quelques exemples qui illustrent à quel point les organismes de réglementation du domaine médical sont attentifs aux changements qui surviennent dans l’environnement et dans la loi et aux nouvelles orientations médicales qui pourraient avoir une incidence sur l’examen des demandes d’aide médicale à mourir et sur l’administration de ce service. Avec l’adoption du projet de loi C-7, les organismes de réglementation dans l’ensemble du Canada devront continuer de jouer un rôle de premier plan dans l’établissement des normes relatives aux pratiques exemplaires concernant l’aide médicale à mourir.
La période de deux ans permettra aussi la conception et la mise en œuvre d’une vaste base de données nécessaire pour mieux comprendre tous les détails liés à la portée et à la nature des demandes d’aide médicale à mourir, de l’examen de ces dernières et de l’administration du service au Canada. L’amendement de la sénatrice Jaffer était un grand effort en ce sens. Cependant, la base de données doit comprendre davantage d’éléments, y compris, mais sans s’y limiter, les éléments proposés dans cette enceinte par la sénatrice Dasko le 15 mars dernier. Une vaste base de données est nécessaire pour que nous puissions évaluer l’incidence de l’aide médicale à mourir. Cette base de données doit être complète, adaptée aux besoins de l’ensemble des Canadiens et établie de telle sorte que les chercheurs indépendants puissent y accéder librement aux fins de leurs propres analyses.
Un ensemble de données robuste, transparent et accessible aux chercheurs indépendants légitimes peut aider à cerner des aspects à améliorer, appuyer la rectification des politiques et constamment servir à déboulonner les mythes.
Honorables sénateurs, en conclusion, permettez-moi de clore la boucle en revenant sur mes propos introductifs. Peut-être pourrions-nous y réfléchir alors que nous nous apprêtons, dans un avenir rapproché, à entamer pleinement et respectueusement l’examen parlementaire du projet de loi. Il sera essentiel d’imprégner ce travail de compassion et de respect envers ceux qui souffrent de manière intolérable. On considère que la compassion se compose des éléments suivants : la reconnaissance de la souffrance, la compréhension du caractère universel de la souffrance, l’émotion évoquée par la souffrance, l’établissement d’un lien avec la personne qui souffre, la tolérance de son propre inconfort devant cette souffrance et l’intervention ou la motivation à intervenir pour alléger les souffrances.
La compassion et le respect à l’égard d’autrui ne peuvent être axés sur un point de vue qui fait passer en second lieu le choix effectué par une personne compétente, quelle que soit notre opinion ou celle des autres quant à ce choix. Il ne nous appartient pas de décider si la souffrance d’une personne lui est intolérable.
Lorsque j’étais étudiant en médecine, j’ai eu le privilège de rencontrer le Dr Ronald Bayne, un des premiers médecins spécialisés en gériatrie au Canada, une personne compatissante qui comprenait les limites et les réussites du système de santé. Il a récemment opté pour l’aide médicale à mourir alors qu’il était en fin de vie. Il comprenait les changements sociaux qui s’opèrent présentement et il savait que la compassion face aux gens qui vivent des souffrances intolérables et notre acceptation de leurs choix personnels font partie de cette évolution. Dans sa sagesse, il a voulu dire quelque chose à ceux qui croyaient devoir prendre les décisions relatives à sa fin de vie à sa place :
Pour qui se prennent [les opposants à l’aide médicale à mourir] pour intervenir et aller dire à quelqu’un : « Non, vous ne pouvez pas mettre fin à vos jours. Vous devez continuer de souffrir [...]
Il y a là matière à réflexion.
Chers collègues, je vous prie de vous joindre à moi et d’appuyer le projet de loi C-7. Merci. Meegwetch.
Honorables sénateurs, j’interviens moi aussi avec une profonde tristesse pour parler du message du gouvernement au sujet du projet de loi C-7.
D’entrée de jeu, je tiens à remercier, d’abord et avant tout, les membres du Comité des affaires juridiques. Ils ont fait un travail formidable en convoquant quelque 130 témoins. Je remercie aussi la présidente du comité, la sénatrice Jaffer. J’ai eu l’occasion d’assister à de nombreuses séances du comité, et je reconnais qu’il n’était pas tâche facile d’assurer le bon déroulement des travaux et de garder la situation en main. Je félicite la sénatrice Jaffer de l’excellent travail qu’elle a fait à la présidence et notamment de son impartialité dans la conduite des travaux.
Je remercie également les autres membres du comité, notamment ceux qui ne partageaient pas mon avis. En dépit de nos divergences d’opinions, je leur suis reconnaissant du travail qu’ils ont fait au comité. Ce qui est formidable au Parlement — grâce au processus démocratique en place —, c’est que nous n’avons pas à être du même avis. Néanmoins, nous devons faire preuve de respect les uns envers les autres, en particulier lorsque nos opinions divergent.
Je remercie mes collègues de caucus de leur travail, notamment le sénateur Carignan, le porte-parole de l’opposition pour le projet de loi. Évidemment, je ne peux pas passer sous silence l’excellent travail de la vice-présidente, la sénatrice Batters. Je salue également la contribution du sénateur Boisvenu. Enfin, j’exprime ma gratitude à nos collègues qui ont agi comme remplaçants à l’occasion. Merci à tous.
Tout comme la sénatrice Martin, je souhaite remercier les témoins, des témoins qui se sont ouverts, qui ont dévoilé leur vulnérabilité. C’était très impressionnant. Nous vous en remercions. À ceux qui souhaitaient en obtenir plus que ce que nous avons obtenu, je dirai ceci : nous allons poursuivre la lutte et continuer de lutter pour vous, les Canadiens vulnérables.
Je remercie tous les sénateurs. Je crois vraiment que ce projet de loi a permis de démontrer qu’il ne s’agit pas d’un enjeu partisan. Très franchement, j’ai été attristé par les commentaires du sénateur Dean, qui a remercié ceux qui avaient voté de manière indépendante et non selon leur allégeance politique. Je ne sais pas trop à qui il faisait référence. S’il vérifiait le compte rendu, il verrait que mon bon ami le sénateur Carignan, ainsi que le sénateur Smith, qui ont tous deux dirigé notre caucus avant moi, ont voté différemment lors des nombreux votes que nous avons tenus au sujet de ce projet de loi.
Je ne sais donc pas trop qui fait preuve de partisanerie. Est-ce que cela signifie que lorsque les sénateurs conservateurs votent du même côté que d’autres sénateurs, cela devient de la partisanerie? C’est vraiment triste, chers collègues. Cette mesure législative — aucune mesure législative, en fait — ne devrait pas nous diviser et susciter des attaques partisanes. Cette mesure législative ne s’y prête vraiment pas.
Chers collègues, j’éprouve du respect envers tous ceux qui voteront pour le message aujourd’hui. Je peux ne pas être d’accord avec vous, et je peux même être en colère contre vous, mais c’est aussi mon droit. Je respecte toujours votre droit de voter comme vous le faites, et j’espère vraiment que vous respecterez mon droit de voter contre ce projet de loi et de faire tout ce que je peux pour améliorer une mesure législative que je juge déficiente.
Chers collègues, sur ce, permettez-moi de vous faire part de mes observations.
Bien que l’amendement le plus troublant que nous examinons aujourd’hui provienne de cette enceinte, je tiens à dire quelques mots sur le processus. Nous avons entendu dire que ce processus d’amendement représente le Parlement dans ce qu’il a de meilleur, et qu’il a été respectueux jusqu’à présent, de sorte que nous devrions accepter ce message du gouvernement. Je suis respectueusement en désaccord.
Dès le départ, le Parlement a été contraint de commencer l’examen d’une proposition radicale d’expansion du suicide assisté avant d’entamer l’examen parlementaire obligatoire de notre système actuel. L’examen quinquennal a été inscrit dans la loi initiale parce que nous avons reconnu la gravité de ce changement de paradigme. Nous avons tous compris que toute nouvelle expansion devrait avoir lieu après un examen minutieux et réfléchi du système actuel.
Il ne s’agissait pas d’un examen facultatif, mais bien d’un examen obligatoire.
On nous a ensuite avisés que nous étions dans une situation d’urgence en raison d’un jugement d’un tribunal inférieur et d’une échéance imminente. Ce n’est, bien sûr, pas le cas. Nous sommes dans cette situation à cause des visées personnelles du ministre de la Justice et des membres du gouvernement Trudeau. Nous voici donc maintenant sur le point d’adopter un projet de loi qui va tellement au-delà de la décision Truchon qu’il est absurde de laisser entendre qu’il était censé représenter une réponse à cette décision.
Le gouvernement a pris la décision sans précédent de ne pas faire appel de la décision Truchon qui a été rendue par la Cour suprême du Canada dans une affaire concernant une personne. Par conséquent, nous avons pris aveuglément des décisions politiques radicales en fonction de ce que certains pensent que la cour pourrait dire.
Avec une révision de cette ampleur, il nous aurait été utile de savoir clairement comment légiférer à l’avenir.
Le gouvernement s’est également mis des bâtons dans les roues à plusieurs reprises quant au respect de chaque délai supplémentaire et il a rejeté la faute sur tout le monde. Le projet de loi a été présenté pour la première fois il y a plus d’un an, soit une semaine après que le gouvernement avait déjà demandé une première prolongation à la cour supérieure. Ensuite, au lieu de présenter un projet de loi qui répondait simplement à la décision, le gouvernement a présenté une mesure législative beaucoup plus radicale et étendue, qui nécessiterait manifestement un examen plus long et approfondi de la part du Parlement.
Le gouvernement a demandé d’autres reports de la date d’échéance, notamment quand le début de la pandémie de COVID-19 a empêché le Parlement d’étudier le projet de loi et de le faire progresser comme il l’aurait souhaité. Le gouvernement a ensuite raté une autre échéance quand le premier ministre a prorogé le Parlement pour éviter un examen minutieux du scandale UNIS.
Après que le Sénat eut coopéré aux efforts, notamment en menant une étude préalable exhaustive, le gouvernement a agi de façon irrespectueuse à l’égard du processus parlementaire quand il a insisté pour que nous « mettions la main à la pâte » et que nous précipitions l’adoption du projet de loi afin de respecter la nouvelle échéance fixée.
Après ce dernier report de l’échéance, le gouvernement a décidé de couper court aux débats de façon préventive à la suggestion du Bloc québécois, un parti selon lequel le Sénat ne devrait même pas exister, mais qui a tout de même accepté avec plaisir une suggestion du Sénat à propos d’un enjeu que la Chambre des communes n’avait pas étudié. Le gouvernement, en collaboration avec le Bloc, a étouffé le débat au sujet d’une nouvelle proposition cruciale, que la Chambre des communes n’a donc pas examinée.
Le Comité de la justice de la Chambre des communes n’a convoqué aucun témoin à propos de l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes d’une maladie mentale parce que cet élément ne faisait pas partie du projet de loi. Ensuite, après avoir reçu le message du Sénat, le gouvernement a permis une étude d’à peine quelques jours, quelques heures, en fait, avant d’imposer la clôture. Le gouvernement a ainsi mis un terme à toute possibilité d’étudier davantage le dossier ou de présenter d’autres questions et d’autres opinions dissidentes, et il a continué à foncer droit devant. De toute évidence, il a procédé ainsi parce que la pression s’intensifiait.
Des militants pour la santé mentale, des psychiatres, des associations professionnelles et la population ont manifesté leur indignation avec force. Les gens ont entendu parler de la situation. Le gouvernement devait régler la question rapidement. Au lieu de donner à la Chambre des communes la possibilité d’étudier une question aussi complexe que l’idée d’offrir l’aide au suicide aux Canadiens qui souffrent uniquement d’une maladie mentale, ils ont tout simplement mis fin à la discussion. Tous les Canadiens devraient s’inquiéter du mépris envers le Parlement dont ce gouvernement a fait preuve dans sa gestion de l’étude de ce projet de loi qui porte sur une question de vie ou de mort.
Lundi dernier, le sénateur Gold a dit que le gouvernement avait fait preuve d’ouverture à l’idée d’étudier des amendements constructifs s’accordant avec les objectifs du projet de loi. Selon ce qu’on nous avait dit, sénateur Gold, le projet de loi avait pour objectif de répondre à la décision rendue dans l’affaire Truchon. Or, il est évident que les amendements acceptés ne reflètent pas cet objectif. On peut donc se demander quel est au juste l’objectif de ce projet de loi.
Le leader du gouvernement et la marraine du projet de loi avaient préparé des discours contre les amendements qui visaient simplement à préserver les mesures de sauvegarde en vigueur, et ce, avant même d’entendre des arguments favorables au maintien de ces mesures, puis ils ont voté contre ces amendements. Cependant, en ce qui concerne un pilier de ce projet de loi — l’exclusion cruciale que le gouvernement avait défendue pendant des mois —, les trois représentants du gouvernement et la marraine de ce projet de loi ont changé d’avis par rapport à la position qu’ils avaient défendue à l’étape de la deuxième lecture et, n’ayant soudainement plus d’avis sur la question, ils se sont abstenus.
Devons-nous croire qu’il s’agit d’une coïncidence et que le gouvernement était véritablement ouvert à accepter un amendement raisonnable? Devons-nous croire que le gouvernement a soigneusement pesé notre message après l’avoir reçu et qu’il a évalué sa conformité avec la décision Truchon avant de prendre sa décision finale? Bien sûr que non.
Le gouvernement savait quels amendements il allait accepter ou rejeter bien avant qu’on vote au Sénat. Cela est devenu on ne peut plus clair avec les abstentions par rapport à l’amendement sur la disposition de caducité, une exclusion que la marraine et le leader du gouvernement ont ardemment défendue dans leurs discours à l’étape de la deuxième lecture.
Soyons clairs : dès le départ, l’objectif n’était pas de réagir à la décision Truchon. L’objectif consistait plutôt à faire correspondre la mesure législative aux opinions du ministre Lametti et du gouvernement sur cet enjeu.
Chers collègues, je soupçonne que cet amendement a été rédigé au bureau du ministre Lametti. Si c’est là le meilleur du Parlement, je ne voudrais pas voir le pire. Ce qui me préoccupe le plus, c’est la politique dont hériteront les Canadiens en conséquence.
Honorables sénateurs, comme beaucoup de gens partout au pays, j’ai le cœur brisé. Je ne comprends vraiment pas pourquoi nous agirions aussi rapidement, en l’absence de données probantes et avec des conséquences aussi sinistres.
Une grande diversité de points de vue a été exprimée sur le sujet. Même si j’ai d’énormes difficultés à comprendre le raisonnement justifiant l’inclusion de la maladie mentale dans le régime, j’espère vraiment que cette opinion est fondée sur la compassion.
Cependant, dans le cadre de cette discussion, il importe de se rappeler que l’ensemble du régime d’aide médicale à mourir au Canada, comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada, repose sur la notion selon laquelle seules les personnes qui sont atteintes de problèmes de santé graves et irrémédiables sont admissibles au suicide assisté. Comme l’a dit récemment le Dr Sonu Gaind, qui est psychiatre et qui a été président de l’Association des psychiatres du Canada, il « n’est pas possible de prévoir le cours d’une maladie mentale de manière irrémédiable ». Il a aussi précisé ceci : « Aucun débat légitime n’a été tenu sur cette question. »
Le Centre de toxicomanie et de santé mentale a lui aussi conclu qu’il n’y a tout simplement pas suffisamment de données probantes dans le domaine de la santé mentale pour déterminer si une personne en particulier est atteinte d’une maladie mentale irrémédiable.
L’Association canadienne pour la santé mentale a exprimé les mêmes préoccupations que les associations de psychiatrie et a affirmé que le Canada doit continuer d’exclure la maladie mentale en tant que seul motif pour demander l’aide médicale à mourir.
Margaret Eaton, la chef de la direction de cette association, a affirmé ce qui suit dans un plaidoyer à l’intention du Parlement :
Avant même de considérer qu’une maladie mentale est incurable, nous devrions nous occuper du système canadien de santé mentale, car il ne va pas très bien.
Après avoir étudié pendant 15 mois des données probantes à l’échelle mondiale, le Conseil des académies canadiennes est parvenu à la même conclusion, tout comme le groupe consultatif d’experts sur l’aide médicale à mourir. Par ailleurs, l’association américaine de psychiatrie et le Royal Australian and New Zealand College of Psychiatrists ont également conclu qu’il n’y a aucune preuve justifiant la prestation de l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant uniquement de maladie mentale.
Le ministre Lametti lui-même a dit au Comité de la justice de la Chambre des communes, puis au Comité sénatorial des affaires juridiques, qu’il n’y a pas de consensus dans le milieu de la santé mentale et de la psychiatrie qui justifierait l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladie mentale en ce moment. Puis, la semaine dernière, le ministre Lametti a affirmé à la Chambre des communes qu’il y a un large consensus concernant l’inclusion des personnes souffrant de maladie mentale dans le régime d’aide médicale à mourir. Je suppose qu’il a lu le même rapport que le sénateur Kutcher.
Soit le milieu psychiatrique canadien a changé soudainement et radicalement sa position, d’une manière qui coïncide avec le nouvel objectif stratégique du gouvernement, soit le ministre induit délibérément en erreur le Parlement. Le ministre n’est en mesure de répondre à aucune question sur son brusque revirement, mais il a laissé entendre qu’il agissait avec prudence en fixant dans deux ans l’entrée en vigueur de l’amendement.
Cet amendement — la sénatrice Batters l’a encore souligné clairement l’autre jour — ne donne pas au Parlement deux ans pour déterminer si la maladie mentale devrait être incluse. Il part plutôt de l’hypothèse dangereuse que les preuves se présenteront d’une manière ou d’une autre et justifieront rétroactivement ce saut en avant. Comme l’a déclaré le Dr Mark Sinyor, psychiatre :
Dans d’autres domaines de la médecine, des scientifiques sérieux consacrent généralement toutes leur carrière [...]
Je cite des propos que la sénatrice Martin a tenus un peu plus tôt.
[...] à peser attentivement les avantages et les inconvénients des traitements avant de les mettre en œuvre. Dans le cas présent, cette approche éprouvée a été inexplicablement remplacée par des gesticulations et un discours moralisateur.
La disposition de caducité nous est présentée comme devant nous donner le temps d’élaborer des normes ou des garanties, mais cette notion a été discréditée par le milieu de la psychiatrie, car elle ignore la seule véritable mesure de sauvegarde dont nous disposons.
Le Dr Gaind a fait observer :
Ceux qui prônent l’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir proposent d’adoucir cette réalité en mettant en place « des mesures de sauvegarde ». C’est ignorer le fait que le caractère irrémédiable d’une situation est, en soi, la principale mesure de sauvegarde intégrée au cadre de l’aide médicale à mourir, et que la court-circuiter rend vaines toutes les autres soi-disant « mesures de sauvegarde ».
Il a poursuivi en ces termes :
Parce que nous ne pouvons pas dire si une situation sera irrémédiable, il est absolument certain que l’aide médicale à mourir sera offerte à des personnes qui pourraient se rétablir, et nous n’avons aucune mesure de sauvegarde dans ce cas-là.
Honorables sénateurs, un délai de 24 mois ne fera rien pour nous rassurer, car les conséquences ont déjà commencé à se faire jour. Nous avons tous reçu des courriels de psychiatres nous parlant de patients leur ayant fait part de leur intention d’arrêter leurs traitements parce que l’accès à l’aide médicale à mourir est imminent. On parle là de patients qui faisaient des progrès lents, mais constants.
La disposition de caducité n’est rien de plus qu’une tentative d’atténuer les effets d’une mesure législative qui a été terriblement mal conçue et adoptée beaucoup trop rapidement. La question que je me pose est la suivante : pourquoi maintenant? Personne dans cette enceinte ne peut affirmer qu’un quelconque consensus professionnel existe sur la question. Si un changement majeur se produit dans deux ans et que nous constatons soudainement qu’il y a un consensus dans le domaine de la psychiatrie, ainsi qu’une évolution de l’opinion des Canadiens, alors rien n’empêchera le gouvernement en place d’envisager l’élargissement de l’aide médicale à mourir.
Cela dit, on ne peut nier que nous n’en sommes pas du tout là. Le manque de données probantes, l’absence de consensus et le risque énorme que pose l’amendement en question nous prouvent, objectivement, que nous avons affaire à une terrible décision politique.
Je pose donc la question de nouveau : pourquoi maintenant? Quelle justification pourrait-on y trouver? La juge ayant rendu la décision dans l’affaire Truchon ne nous a jamais enjoint de prendre une telle mesure. Nous ne savons pas ce que la Cour suprême du Canada en pense, car la décision du gouvernement de ne pas porter la décision en appel nous a privés de ses observations.
Des experts juridiques des deux camps ont comparu en comité, certains soutenant fermement que l’exclusion de la maladie mentale était nécessaire et tout à fait constitutionnelle, puisqu’on peut invoquer l’article 1 de la Charte. Il est tout à fait impossible de prétendre qu’il existe un consensus juridique sur l’inconstitutionnalité de l’exclusion de la maladie mentale.
À l’étape de la deuxième lecture, le sénateur Gold a prononcé un discours empreint de passion, présentant des arguments réfléchis justifiant le maintien tel quel de l’exclusion de la maladie mentale, notamment au chapitre de la constitutionnalité. Maintenant, l’objectif stratégique a changé, tout comme l’analyse de la constitutionnalité qui accompagne le projet de loi.
Chers collègues, j’espère sincèrement que nous n’accordons pas trop d’importance à des alarmes passagères concernant la constitutionnalité, d’autant plus que nous n’avons pas de directive à cet égard de la part de la Cour suprême du Canada.
Néanmoins, comme l’a fait remarquer, avec raison, le sénateur MacDonald dans son discours à l’étape de la troisième lecture, les arguments concernant la constitutionnalité ne sont pas pertinents pour notre processus décisionnel. En effet, le sénateur a dit :
Un sénateur n’est pas un avocat plaidant; le Sénat n’est pas un tribunal. Nous ne sommes pas ici pour rendre un jugement, mais bien pour légiférer. Un sénateur peut très bien avoir un avis constitutionnel sur tel ou tel enjeu, mais nous ne devrions pas présumer de la décision que prendra probablement un tribunal. Ce travail doit être laissé aux mains des tribunaux eux-mêmes.
Ainsi, chers collègues, de grâce, prenons la bonne décision stratégique en fonction des renseignements et des témoignages à notre disposition, étant donné que la mauvaise décision risque d’avoir et aura de terribles conséquences.
Au chapitre de la maladie mentale, nous devons offrir un peu d’espoir à ceux qui n’en ont plus du tout. Si ce n’est pas là notre plus grande priorité, c’est que nous avons échoué. Nous devrions investir dans la recherche, dans l’accès aux traitements et dans la prévention du suicide, mais cet amendement propose plutôt d’aider ceux qui traversent une période particulièrement sombre à mettre fin à leurs jours, alors qu’il se peut très bien qu’ils s’en sortent.
Nous avons été nombreux à regarder la vidéo virale Tell Me To Stay, ou « dites-moi de rester », qui a circulé depuis que le Sénat a adopté l’amendement sur la disposition de caducité. On y voit une jeune femme qui a essayé sept fois de se suicider supplier le Parlement de ne pas autoriser les médecins à mettre fin à la vie des personnes qui pourraient se retrouver dans la même situation. Comme elle le dit elle-même : « Je suis la version future de moi-même, celle qui a survécu pour vous transmettre ce message. » Elle ajoute qu’il se pourrait bien que certaines personnes atteintes de maladie mentale nous remercient de rendre cette avenue possible, mais qu’il est justement là, le problème. Dans ses mots :
Si, pendant une de mes crises, quelqu’un avait essayé de m’aider à me suicider, je sais que la vie que j’ai vécue se serait envolée en fumée.
Elle explique également que, quand elle était aux prises avec ses tiraillements internes, elle n’avait surtout pas besoin de quelqu’un pour l’aider à se suicider, mais pour prendre sa défense et se battre pour elle.
La maladie mentale, chers collègues, affecte des gens de toutes les tranches d’âge, de tous les niveaux d’éducation et de revenu et de toutes les origines. Il faut garder en tête que les vies qui sont en jeu sont celles de nos voisins, de nos amis et de nos proches.
J’ai récemment eu des nouvelles d’une personne qui souffre de dépression et d’anxiété depuis des décennies et qui a obtenu des résultats mitigés de divers traitements, mais qui va bien depuis un bon moment. Elle s’est dite déconcertée et chagrinée que nous pensions ajouter la maladie mentale alors que nous sommes enfin, chers collègues, à la veille d’un changement de paradigme sociétal, un changement qui normalisera la thérapie, réduira la stigmatisation et priorisera l’accès au soutien en santé mentale. Ayant gardé le silence et ressenti de la honte concernant sa maladie pendant des dizaines d’années, elle peut maintenant sentir la transformation s’opérer. Nous y sommes presque, selon elle, et les retombées de cette transformation pour des gens comme elle pourraient être majeures. Et voilà que, juste au moment où cette transformation s’apprête à se produire, nous faisons un grand pas en arrière, un pas qui pourrait signifier la fin de la vie de gens comme elle, au nom de l’autonomie.
Nous avons tous reçu des lettres de Canadiens qui ont été atteints de maladies mentales et qui affirment sans hésiter que, si le suicide assisté avait été possible lorsqu’ils ont vécu leurs pires moments, ils ne seraient plus avec nous aujourd’hui. Si on leur avait offert un moyen assuré de mettre fin à leurs souffrances, ils n’auraient pas eu à se donner la peine de faire une tentative de suicide eux-mêmes par des moyens plus ou moins efficaces. Souvent, malheureusement, ces tentatives ratées constituent le premier pas vers le traitement, vers la guérison et vers l’avenir.
On peut se tourner vers les travaux de Malcolm Gladwell concernant l’association pour mieux comprendre. Les recherches de Gladwell, entre autres, sur la question confirment avec assez de certitude que les idées suicidaires d’une personne atteinte de maladies mentales n’expliquent pas à elles seules qu’elle choisisse la mort. C’est plutôt la rencontre des idées suicidaires et de circonstances particulières.
Par exemple, en 1963, la poète Sylvia Plath, qui souffrait de dépression depuis longtemps, a allumé le gaz du poêle de sa cuisine, en Angleterre, et s’est enlevé la vie en plaçant sa tête dans le four. Dans les années qui ont suivi la Première Guerre mondiale, beaucoup de foyers britanniques ont commencé à utiliser le gaz de houille pour alimenter leur poêle et leur chauffe-eau. Ce gaz est un composé de divers éléments, y compris le monoxyde de carbone, qui est sans odeur et mortel. Cette transition a offert aux Britanniques un moyen simple pour se suicider dans leur propre foyer et ils y ont eu recours. La même année où Sylvia Plath a mis fin à ses jours, 5 588 personnes en Angleterre et au pays de Galles sont mortes par suicide. Parmi elles, 2 469 personnes, soit 44,2 %, s’y sont prises exactement de la même manière que Sylvia Plath. Aucun autre moyen n’a été utilisé dans une proportion comparable.
Au cours de la même période, l’industrie britannique du gaz a subi une transformation. Comme le gaz de ville était de plus en plus cher et polluant, on a décidé d’opter pour le gaz naturel. En 1977, tous les appareils de la ville fonctionnant aux gaz ont été convertis au gaz naturel. On a alors noté une baisse considérable du nombre de suicides par le gaz, qui est passé de 2 469 en 1962 à 0 en 1977. Nombreux sont ceux qui estiment que d’éliminer une possibilité de suicide ne fera pas une grande différence, car une personne déterminée à mettre fin à ses jours trouvera toujours un moyen de mettre son plan à exécution. Or, dans les faits, une fois le gaz de ville éliminé, le taux global de suicide en Angleterre a chuté.
Dans le même ordre d’idées, Gladwell note que le pont Golden Gate à San Francisco a été le lieu de plus de 1 500 suicides depuis son inauguration en 1937. Aucun autre endroit dans le monde n’a été témoin d’un si grand nombre de suicides en une si courte période. La Ville de San Francisco avait envisagé d’installer un filet de sécurité ou une barrière pour empêcher les gens de se jeter en bas du pont, mais de nombreuses personnes estimaient qu’il s’agissait d’un effort inutile. Après tout, ceux qui avaient décidé de s’enlever la vie trouveraient certainement un autre endroit d’où se précipiter dans le vide ou une autre méthode pour arriver à leurs fins. Cependant, il a été établi que ce n’est pas le cas. La décision de se suicider était associée à ce pont en particulier.
Le psychologue Richard Seiden a effectué un suivi auprès des 515 personnes qui, entre 1937 et 1971, avaient voulu se jeter du haut du pont, mais en avaient été empêchées. Seulement 25 de ces 515 personnes ont quand même tenté de se suicider d’une autre façon. La grande majorité des personnes qui ont tenté de se jeter du haut du pont Golden Gate à un moment donné n’ont voulu se jeter de ce pont qu’à ce moment-là.
Lors d’une enquête nationale, les trois-quarts des Américains avaient répondu que si jamais une barrière était finalement installée sur le pont Golden Gate, la plupart des personnes qui songeaient à se suicider en sautant de ce pont trouveraient tout simplement un autre moyen de mettre fin à leurs jours. Cette hypothèse s’est aussi révélée fausse. Gladwell a constaté avec ses collègues que le suicide est un comportement associé à un contexte particulier. Il en a conclu ceci :
Il s’agit du geste qu’une personne dépressive commet à un moment précis d’extrême vulnérabilité où elle a un accès immédiat à un moyen de se donner la mort.
Honorables sénateurs, avec cette nouvelle proposition, nous offrirons aux patients atteints de maladie mentale les moyens létaux les plus facilement disponibles. Nous leur offrirons un moyen sûr de mettre fin à leurs souffrances et à leur vie, ce qui, comme les données le démontrent, les incitera beaucoup plus à passer à l’acte. En adoptant cette mesure, nous ne nous contentons pas de fournir les moyens, mais nous envoyons un message dangereux aux patients, quelque chose comme : « Nous sommes d’accord avec vous pour dire que dans vos moments les plus sombres, votre vie ne vaut vraiment pas la peine d’être vécue, et nous vous aiderons même à y mettre fin ».
Honorables sénateurs, nous ne sommes pas obligés d’aller en ce sens. Nous ne sommes pas obligés d’adopter cet amendement simplement parce qu’il a été proposé dans cette enceinte. La communauté psychiatrique et les personnes ayant souffert d’une maladie mentale ont manifesté une profonde inquiétude. Il y a de nombreuses raisons pour que cette chambre change d’avis et mette la pédale au plancher.
C’est le moment de procéder à un second examen objectif comme jamais. Ce n’est pas souvent que nous pouvons vraiment dire qu’avec ce vote, nous avons l’occasion de sauver des vies, de prévenir les décès inutiles et prématurés de personnes vulnérables et d’offrir de l’espoir à ceux qui l’ont perdu, mais aujourd’hui, nous avons cette occasion. S’il vous plaît, chers collègues, ne laissons pas la portée du vote d’aujourd’hui nous échapper.
Si vous êtes convaincus que, dans 24 mois, nous aurons toutes les réponses et que nous aurons un consensus professionnel suffisant pour aller de l’avant, c’est certainement votre droit de déployer des efforts en ce sens. Un nouveau projet de loi sera de toute façon nécessaire pour adopter les nouvelles mesures de sauvegarde et les nouveaux paramètres proposés. Toutefois, il n’y a absolument aucune raison ni aucune justification pour aller de l’avant maintenant.
Pourquoi ne pas permettre au comité consultatif de jouir d’une véritable indépendance dans ses délibérations? S’il détermine, dans deux ans, que de l’aide au suicide peut être offerte sans crainte aux personnes atteintes d’une maladie mentale, le Parlement pourra agir en conséquence. Pourquoi limiterions-nous toutefois sa capacité à étudier la question et présumerions-nous de leurs conclusions lorsque nous savons que le milieu psychiatrique demeure très divisé? Le risque est tout simplement trop grand.
Pour clore la discussion, j’aimerais vous laisser avec quelques réflexions saisissantes du Dr John Maher, un psychiatre canadien. Vendredi dernier, c’est-à-dire le lendemain du vote à la Chambre des communes, il a écrit une lettre qui a même attiré l’attention du Globe and Mail aujourd’hui. Je pense qu’il est important de considérer ses paroles dans leur intégralité. Voici ce qu’il a écrit :
Il y a plusieurs années, je me trouvais sur la promenade des chutes Niagara avec mes trois jeunes enfants. Alors que nous nous tenions à la balustrade, à environ 6 mètres de la cascade rugissante, qui envoyait une brume rafraîchissante sur nos visages rougis par la chaleur estivale, un jeune homme qui avait peut-être 18 ans a enjambé la balustrade, qui était peu élevée, et s’est dirigé vers un petit promontoire rocheux qui surplombait immédiatement le vide de 150 pieds qui se terminait sur les rochers et dans les eaux bouillonnantes. La joyeuse foule de touristes s’est figée comme par magie, car tout le monde regardait le jeune homme et savait qu’une vie était en jeu. Le jeune homme a tourné son regard vers le vide et ne l’a jamais détourné. Ses vêtements étaient sales et on aurait dit qu’il se parlait à lui-même. Tenait-il une conversation existentielle, entendait-il des voix ou était-ce une combinaison des deux?
Je suis un père. J’ai détourné mes enfants de ce que je craignais qu’il se passe. Ils avaient tous moins de 9 ans et ils m’ont demandé : « Cet homme ne sait-il pas que c’est dangereux de s’approcher aussi près du bord? C’est mouillé et il pourrait glisser ». Ils étaient inquiets pour lui, tout comme moi.
Je suis psychiatre. Je me suis demandé ce que je pouvais faire. Qu’est-ce que je devais faire? Il ne pouvait entendre personne en raison du vacarme produit par l’eau. J’ai pensé à essayer de l’agripper et de le tirer en arrière, mais je savais que je pourrais tomber dans le vide avec lui. Est-ce que j’étais prêt à risquer ma vie pour le sauver? Que dire de mes enfants que je protégeais et que je tenais près de moi?
Le monde s’est arrêté pendant sept longues minutes. Il n’y avait aucun mouvement dans la foule qui observait le jeune homme et qui comptait maintenant des centaines de personnes, toutes en sécurité de l’autre côté d’une basse clôture que n’importe qui parmi nous aurait pu facilement enjamber à tout moment.
Je connaissais les taux de suicide au Canada. Au total, 23 % des personnes qui essaient de se suicider font une deuxième tentative, mais seulement 7 % parviennent à se suicider. Ce taux de suicide annuel correspond à 4 000 êtres humains. Je savais que la majorité des idées suicidaires sont ambivalentes et temporaires et que les personnes peuvent être aidées. Ce jeune homme qui avait toute la vie devant lui accepterait-il de l’aide?
Je suis aussi un éthicien. Hier soir, j’ai regardé les délibérations de la Chambre des communes à la télévision alors que le gouvernement libéral a mis fin au débat sur l’aide médicale à mourir. Tandis que j’écoutais les conservateurs, les néo-démocrates et les verts — les députés de gauche et de droite étaient unis dans leur humanité commune — implorer le gouvernement de ne pas étendre l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’une maladie mentale, j’ai pensé aux chutes Niagara.
L’image qui m’est venue à l’esprit était celle du jeune homme au bord du gouffre avec deux groupes se tenant de part et d’autre de lui. D’un côté, il y avait un député libéral et un député bloquiste qui lui disaient qu’ils respectaient son droit de choisir la mort et que, s’il avait une maladie mentale qui lui causait d’énormes souffrances, il s’agissait d’une raison suffisante pour eux de lui trouver un médecin pour le pousser dans le gouffre. De l’autre côté, il y avait un député conservateur, un député néo-démocrate et un député vert. Ils disaient au jeune homme qu’il était important et que, peu importe ce qu’il ressentait actuellement, il y avait de l’espoir. Ils lui ont dit qu’ils tenteraient de l’aider. Ils essaieraient de lui trouver de l’argent pour le sortir de la pauvreté. Ils tenteraient de faire en sorte qu’il obtienne des soins de santé mentale, même si une telle chose était difficile et que les listes d’attente étaient longues. Ils tenteraient d’amener les gens à arrêter de se moquer de lui en raison de sa maladie mentale. À ce moment-là, les députés ont retenu le médecin, qui était plus que prêt à pousser sans ménagement l’homme dans le gouffre au nom de l’autonomie.
Que s’est-il passé ce jour-là? L’homme s’est éloigné du bord dans un état d’hébétude, comme s’il était dans son propre monde. Il a enjambé le garde-fou, et des étrangers l’ont spontanément étreint. Certains ont pleuré. Il était sincèrement surpris par toute cette attention et prenait soudainement conscience qu’il n’était pas seul. Plusieurs personnes marchaient avec lui de peur de le laisser seul alors qu’il luttait contre le désespoir. J’ose croire qu’il a obtenu de l’aide et qu’il mène une bonne vie. C’était un étranger, mais sa vie était importante. Quel camp choisiriez-vous?
Chers collègues, quel camp choisirons-nous? Merci.
Sénateur Plett, quelques sénateurs veulent vous poser des questions. Accepteriez-vous d’y répondre?
Votre Honneur, je crois que mon discours se passe de commentaires et je suis prêt à ce que la motion sur ce projet de loi soit mise aux voix. Merci.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion et qui sont sur place veuillent bien dire oui.
Que les sénateurs qui sont contre la motion et qui sont sur place veuillent bien dire non.
À mon avis, les oui l’emportent.
Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?
Une heure.
Le vote aura lieu à 17 h 32. Convoquez les sénateurs.
Honorables sénateurs, le vote porte sur la motion suivante : l’honorable sénateur Gold, avec l’appui de l’honorable sénateur Boehm, propose que, relativement au projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), le Sénat... Puis-je me dispenser de lire la motion?
Que, relativement au projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), le Sénat :
a)n’insiste pas sur ses amendements 1a)(i), 1a)(iii), 1b) et 1c), auxquels la Chambre des communes n’a pas acquiescé;
b)accepte les amendements apportés par la Chambre des communes à son amendement 2;
c)accepte l’amendement apporté par la Chambre des communes par suite de ses amendements 1a)(ii) et 3;
d)accepte les amendements apportés par la Chambre des communes à son amendement 3;
Qu’un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’en informer.
Honorables sénateurs, la raison pour laquelle je m’abstiens officiellement de voter est que même si le projet de loi présente certaines améliorations, il est fondamentalement lacunaire et discriminatoire en ce qu’il rejette la demande claire du Sénat de permettre à tous ceux qui souhaitent avoir recours à l’aide médicale à mourir de faire une demande anticipée.
Honorables sénateurs, je remarque que nombre d’entre vous veulent justifier votre abstention. Je tiens à rappeler que le temps pour faire ceci est lors du débat sur la question. Cela dit, pour cette fois-ci, et cette fois-ci seulement, je vous permettrai de vous expliquer très brièvement.
Honorables sénateurs, je choisis de m’abstenir de voter, car je considère que les droits viennent avec des responsabilités et qu’il est irresponsable de la part du gouvernement, surtout en ce moment et à la lumière des lacunes, des inégalités et de la discrimination présentes dans les traitements et les systèmes de soins de santé, d’aller de l’avant avec ce projet de loi sans d’abord veiller à mettre en place les appuis nécessaires. Merci.
Honorables sénateurs, je demande que les interventions à cette étape-ci demeurent brèves. Sinon, celles-ci devraient avoir lieu durant le débat.
Je m’incline face à la volonté de la Chambre élue, mais je continue de croire que le manque cruel de soins en psychiatrie et l’absence de consensus médical auraient dû nous inciter à faire preuve de plus de prudence.