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Projet de loi d'exécution de l'énoncé économique de 2020

Deuxième lecture

20 avril 2021


L’honorable Frances Lankin [ + ]

Propose que le projet de loi C-14, Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique déposé au Parlement le 30 novembre 2020 et mettant en œuvre d’autres mesures, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je suis heureuse d’avoir l’occasion de présenter le projet de loi. J’ai l’intention de m’inspirer de l’ancien sénateur Baker, tout simplement parce que nous sommes très préoccupés, bien sûr, de voir que de nombreux employés à l’intérieur de l’enceinte du Sénat s’exposent au virus pour permettre la tenue de notre séance. La plupart des sénateurs sont à distance, mais ces employés, eux, sont bel et bien présents au Sénat. Je sais que le Président et les leaders de divers groupes sénatoriaux ont exprimé le désir de procéder rapidement.

Pour vous rassurer, j’ai écarté le très long et éloquent discours que j’avais préparé pour l’occasion et j’entends parcourir rapidement le projet de loi. Je vois que la sénatrice Griffin est ravie que j’aie renoncé à mon discours.

Je compte passer en revue les points saillants du projet de loi. Il s’agit d’une mesure législative très simple. Elle comporte essentiellement sept ou huit objectifs stratégiques, et j’entends les passer en revue. S’il y a des questions techniques, je ferai de mon mieux pour y répondre. Toutefois, nous pouvons idéalement compter sur le fait que, si nous adoptons le projet de loi à l’étape de la deuxième lecture aujourd’hui et que nous le renvoyons au Comité des finances, la ministre et ses fonctionnaires auront l’occasion de répondre à des questions détaillées au cours de l’étude en comité.

Dans un certain nombre d’articles, le projet de loi reprend l’engagement qui a été pris dans l’énoncé économique présenté le 30 novembre dernier. En fait, le projet de loi s’intitule Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique déposé au Parlement le 30 novembre 2020 et mettant en œuvre d’autres mesures. La partie 1 du projet de loi modifie la Loi de l’impôt sur le revenu et la Loi sur les allocations spéciales pour enfants.

À la suite de conversations menées entre autres avec des gens et des familles dans notre collectivité et dans la région que nous représentons, nous savons tous que de nombreuses familles ont vécu beaucoup d’incertitude et de difficultés financières. Il ne fait aucun doute que l’incertitude concernant le déroulement des classes à distance ou en présentiel et la fermeture ou l’ouverture des garderies — des décisions évidemment prises à l’échelle provinciale, dont relèvent ces programmes — a souvent entraîné des coûts supplémentaires pour les familles canadiennes.

La disposition modifiera la Loi de l’impôt sur le revenu et elle fournira aux familles un soutien temporaire cette année — jusqu’à 1 200 $ en 2021 — pour chaque enfant de moins de 6 ans. Pour obtenir cette aide, les familles doivent être admissibles à l’Allocation canadienne pour enfants et leurs enfants doivent être âgés de moins de 6 ans. Le montant qu’elles recevront, jusqu’à 1 200 $, dépendra en outre de leur revenu familial. Tous les critères d’admissibilité, les niveaux et les montants des prestations prévus dans le cadre de l’Allocation canadienne pour enfants demeurent en vigueur, mais les familles dont le revenu est inférieur à 120 000 $ par année recevront en plus quatre versements de 300 $, ce qui portera le total à 1 200 $ pour l’année 2021.

Pour les familles dont le revenu familial est supérieur à 120 000 $, le montant pour les enfants de moins de 6 ans sera réduit de moitié. Il s’agira, en fait, de quatre versements de 150 $, donc exactement la moitié, ce qui donnera un total de 600 $ par année pour ces familles.

Ces allocations seront versées tous les trois mois. Comme je l’ai mentionné, l’énoncé économique de l’automne a été présenté en novembre dernier, et le projet de loi a été présenté à la Chambre au début du mois de janvier. Il prévoit que le premier versement trimestriel sera envoyé aux personnes qui étaient admissibles en janvier de cette année, et ce, dès que le projet de loi aura reçu la sanction royale. Le deuxième paiement trimestriel aura lieu en avril, ou dès que le projet de loi aura reçu la sanction royale, le cas échéant. Même chose pour les deux versements suivants, le dernier versement étant prévu en octobre.

Par conséquent, c’est une mesure très importante. Ces versements sont temporaires. Ils s’ajoutent au supplément de 300 $ qui a été versé l’année dernière. Quand j’ai examiné ce supplément, je me suis dit qu’il s’agissait d’une mesure très utile, mais, bien entendu, le principal problème demeure l’accessibilité aux services de garde de qualité. De plus, je souligne que, vu l’annonce du budget faite hier, nous connaissons les grandes lignes de la mise en œuvre de ce programme — il faudra toutefois voir comment cela évoluera à la suite des discussions avec les provinces et les territoires —, notamment le montant pour cette année, l’augmentation qui suivra et les mesures d’aide pour les familles avec enfants qui seront en vigueur une fois que le projet de loi budgétaire, le budget principal des dépenses et le budget supplémentaire des dépenses auront été adoptés.

La deuxième mesure de la partie 1 du projet de loi porte sur la Subvention d’urgence du Canada pour le loyer, qui est une subvention pour aider les entreprises, les organismes de bienfaisance et les organismes sans but lucratif à payer leur loyer après avoir perdu une part considérable de leurs revenus. Comme les critères d’admissibilité ont été déterminés à l’automne de l’année dernière, ces organisations peuvent demander de l’aide gouvernementale pour payer leur loyer.

Il est rapidement devenu évident que, pour beaucoup d’organisations, notamment les petites entreprises, mais aussi pour certains organismes du secteur caritatif et sans but lucratif, il était impossible d’avoir les liquidités nécessaires pour payer le loyer et demander par la suite un remboursement pour cette dépense.

Le gouvernement a annoncé qu’il accepterait que la date d’échéance du paiement du loyer soit la date du virement de la subvention. Autrement dit, la subvention sera accordée avant la date d’échéance du loyer. Le loyer doit être payé dans les 60 jours. Des méthodes de vérification ont été mises en place pour assurer l’intégrité du programme. Puisque le loyer n’aura pas encore été payé, cette dépense sera couverte.

Les honorables sénateurs peuvent imaginer l’importance de cette mesure. Nous avons entendu non seulement des organismes et des entreprises, mais aussi de grandes associations de lobbyistes de grandes sociétés et des associations de défense des droits. Tous ont réclamé très clairement cette mesure, et le gouvernement a répondu à l’appel en l’incluant dans l’énoncé économique de l’automne et dans ce projet de loi.

Les parties 2, 3 et 4 du projet de loi contiennent les mêmes dispositions, mais appliquées à d’autres lois, qui concernent l’allègement des intérêts sur les prêts étudiants. Les trois mesures législatives couvertes dans les parties 2, 3 et 4 sont la Loi fédérale sur les prêts aux étudiants et sa prédécesseure — qui porte un autre nom, ce qui explique pourquoi le projet de loi y consacre une disposition distincte —, et la Loi sur les prêts aux apprentis.

Grâce à ce changement, l’intérêt sur les prêts étudiants fédéraux sera éliminé pour l’année; aucun intérêt ne s’accumulera et aucun paiement d’intérêt ne sera requis. C’est une mesure importante. Le gouvernement a mentionné les défis que vivent les étudiants : dans un contexte où le nombre d’emplois d’été et de stages a chuté et où de nouveaux confinements sont imposés, les prêts étudiants deviennent un fardeau considérable pour les étudiants. Le gouvernement souhaite donc leur offrir un certain répit, qui s’ajoute aux autres mesures de soutien mises en place et aux améliorations qu’il parle d’apporter aux programmes d’emplois d’été et de stages.

Ces trois articles présentent exactement la même modification, qui sera apportée aux trois mesures législatives applicables aux prêts canadiens aux étudiants et aux apprentis.

La partie 5 du projet de loi concerne le pouvoir de réglementation. Elle modifie la Loi sur les aliments et drogues et autorise le gouverneur en conseil, de façon rétroactive à compter du 2 octobre 2020, à prendre des règlements enjoignant à des personnes de fournir des renseignements au ministre à l’égard des aliments, drogues, cosmétiques ou instruments ou à l’égard des activités qui leur sont liées. Cela vise à prévenir les pénuries de médicaments nécessaires au Canada, et à corriger les pénuries qu’on n’aurait pas prévenues.

Quelques changements sont survenus depuis la présentation de ce projet de loi. En décembre, par exemple, les États-Unis ont mis en œuvre un ensemble de réformes liées aux programmes et aux activités des États qui permettraient à des entités — dont les pharmaciens et les hôpitaux — de commander des médicaments en vrac importés du Canada et d’autres endroits — mais nous nous intéressons ici au Canada. Le gouvernement du Canada a alors mis de l’avant un règlement qui lui permettra d’arrêter cette exportation en vrac si les médicaments en question sont essentiels au Canada et qu’il y a un risque de pénurie.

Ce pouvoir de réglementation correspond exactement à ce qui a déjà été adopté l’an dernier dans le cadre de la Loi sur les mesures d’urgence visant la COVID-19. Au départ, l’échéance de ce pouvoir était fixée à octobre 2020. La disposition incluse à la partie 5 le réactiverait de façon rétroactive à partir de la date où il a pris fin.

Le seul règlement qui a été pris en vertu de ce pouvoir de prendre des règlements est celui dont je viens de parler, mais puisque des discussions productives ont eu lieu, en l’occurrence avec les États-Unis, par l’intermédiaire de l’ambassade, on n’y a pas eu recours. Le fait que d’autres États pourraient proposer ce genre de dispositions relatives à l’exportation en vrac, ou que d’autres problèmes pourraient survenir, montre la nécessité pour le gouvernement d’être habilité à prendre des règlements qui lui permettraient de garder les médicaments au pays si une pénurie s’avérait imminente.

Encore une fois, il s’agit d’un élargissement ou d’une revitalisation d’une disposition que nous avons déjà adoptée l’an dernier, et qui fait partie du projet de loi sur les mesures d’urgence.

La partie 6 est divisée en deux autres parties et porte sur les autorisations de dépenses. Dans la première partie, on autorise des paiements sur le Trésor de 206,7 millions de dollars aux agences de développement régional, qui comprennent l’Agence de promotion économique du Canada atlantique, l’Initiative fédérale de développement économique dans le Nord de l’Ontario et Diversification de l’économie de l’Ouest Canada. Ces fonds seront versés au Fonds d’aide et de relance régionale, lequel existe déjà. Environ 900 millions de dollars ont été transférés dans ce fonds l’an dernier. Les exigences liées à ce financement sont définies par le fonds de relance, qui est gouverné et administré par les agences de développement régional.

J’ai deux ou trois choses à dire sur ce que ce fonds a permis de faire jusqu’ici. Si on se fie aux chiffres du gouvernement, il a permis de sauver 130 000 emplois, au-delà de 14 700 entreprises en ont profité depuis le début de la pandémie, plus de 9 000 d’entre elles sont situées en région rurale et près de 6 000 sont des entreprises dont les propriétaires sont des femmes. Au total, plus de 2 milliards de dollars auront été distribués grâce à ce fonds.

Le deuxième article de la partie 6 permet au ministre de la Santé de demander de l’argent. Comme pour les agences de développement régional, ces sommes devaient servir à couvrir les dépenses jusqu’à la fin de l’exercice qui était alors en cours, les deux organismes ayant calculé qu’ils n’auraient pas suffisamment de liquidités ni de marge de manœuvre du côté des programmes pour faire tout ce qu’ils estimaient essentiel pendant les deux derniers trimestres de l’année.

Ces sommes s’ajouteraient à celles déjà débloquées et seraient affectées à la santé mentale, à la toxicomanie, aux soins de longue durée — nous avons d’ailleurs entendu quelques annonces à ce sujet — ainsi qu’aux méthodes innovatrices de lutte contre la COVID-19, comme les tests de dépistage rapide, que l’on souhaite utiliser à plus grande échelle, et divers autres traitements. Une partie irait aussi aux soins à distance, aux outils de santé mentale pour les Canadiens, à la recherche sur les contre-mesures médicales, à la création et à la fabrication de vaccins, aux mesures frontalières et aux restrictions imposées aux voyageurs, comme l’obligation qui a été annoncée dernièrement de s’isoler dans un hôtel.

Là-dessus, 505,7 millions de dollars iront aux centres d’hébergement de longue durée, notamment pour les aider à prévenir les éclosions de COVID, les infections et les décès. Cet argent servira aussi à financer le portail Espace mieux-être Canada, qui permet aux Canadiens d’obtenir le soutien de pairs, de travailleurs sociaux, de psychologues et de professionnels en tout genre. Si quelqu’un souhaite connaître la ventilation exacte de ces sommes, j’ai les chiffres avec moi, mais je répète qu’ils portent sur la dernière partie de l’exercice, qui est déjà derrière nous.

Le prochain article, qui est aussi dans la partie 6 — sauf erreur — détaille la manière dont sont répartis les fonds affectés à la Prestation canadienne d’urgence. Comme vous le savez, la Prestation canadienne d’urgence est arrivée à échéance. Elle a été remplacée par la Prestation canadienne de relance économique.

Il reste à établir le nombre de demandes qui ne sont pas encore prises en compte, mais on estime qu’il y a au moins 35 000 demandes qui n’ont pas encore été approuvées ou qui accusent un retard dans le processus d’approbation. Dans la majorité des cas, c’est principalement parce qu’il reste du travail à faire ou à compléter pour vérifier l’admissibilité des demandeurs. On estime que certaines de ces demandes pourraient être frauduleuses. Certaines de ces demandes seront considérées comme admissibles, et l’argent sera versé à ce moment-là. Cependant, puisque la Prestation canadienne d’urgence est arrivée à échéance, il faut prévoir ce genre de disposition afin qu’il y ait suffisamment de fonds au titre de ce programme pour répondre aux demandes encore en traitement.

La dernière portion du projet de loi C-14, la partie 7, vise à augmenter le montant maximum de certains emprunts pouvant être effectués par la ministre des Finances en vertu de la Loi autorisant certains emprunts. Ces emprunts autorisés n’ont pas été augmentés depuis environ quatre ans. L’an dernier, je le répète, bien de l’argent a été octroyé dans le cadre de projets de loi portant sur des mesures d’urgence et des dépenses précises liées à la COVID-19. Cet argent n’avait pas été inclus, à l’origine, dans les emprunts autorisés. On en tiendra maintenant compte et il fera partie de la limite des emprunts autorisés ainsi que des sommes dont on prévoit avoir besoin pour continuer d’intervenir en réponse à la COVID-19 et de mettre à exécution d’autres programmes et initiatives.

À l’heure actuelle, le montant maximum est de 1,16 milliard de dollars. On le portera à 1,831 milliard de dollars. Cela comprend une marge de prudence de 5 % de sorte qu’il reste une somme d’emprunt autorisée disponible au cas où des dépenses imprévues s’imposeraient.

Je tiens à être claire : ce n’est pas un pouvoir de dépenser. Il s’agit du plafond d’emprunt pour le gouvernement. Les dispositions sur les autorisations de dépenses par le Parlement passeront par des projets de loi précis ou, comme on peut le voir maintenant, par un budget qui a été présenté hier, pour lequel il y aura un budget des dépenses et un budget supplémentaire des dépenses afin d’étudier les dépenses réelles et de les autoriser. La disposition à la partie 7 n’est pas un pouvoir ou une autorisation de dépenser.

Je veux souligner un autre aspect à ce sujet pour tous ceux d’entre vous qui ont écouté la présentation du budget hier. Même si, comme beaucoup l’ont mentionné, il faudra du temps pour lire le budget de plus de 800 pages, un certain nombre des annonces que nous avons entendues ou lues depuis hier indiquent que presque toutes les dispositions de la loi seront bonifiées, améliorées et prolongées par l’entremise du budget. Certaines propositions sur les dépenses en santé, l’exonération du remboursement des prêts d’études et d’autres mesures de soutien ont été annoncées. Dans certains cas, une prolongation ou une bonification pourrait s’ensuivre.

Pour finir, je voudrais parler du budget. Il était inspiré de l’énoncé économique de l’automne. Il sera supplanté dans bien des domaines; il n’en reste pas moins qu’un pouvoir sera toujours nécessaire. Par exemple, la solution administrative qui a été trouvée pour éviter que les loyers des entreprises ou des organisations ne doivent être payés avant que les subventions au loyer ne soient versées, mesure qui serait rétroactive à novembre, est une mesure de nature administrative utile, mais insuffisante à long terme. Il faut qu’elle soit inscrite dans la loi, avec l’approbation du Parlement. Cela vaut aussi pour quelques autres éléments.

Je ne ferai pas d’observations sur le fait que nous avons généralement besoin de ces dispositions ou que nous souhaitons qu’elles soient mises en place. Je sais que nous aurons une critique constructive de la part de la sénatrice Marshall, qui est l’experte en la matière au Sénat. Si le Sénat choisit d’adopter ce projet de loi à l’étape de la deuxième lecture et de le renvoyer au comité, les audiences commenceront rapidement et la ministre et ses fonctionnaires seront en mesure de répondre à des questions plus techniques à ce moment-là.

Honorables sénateurs, merci beaucoup. Je vais conclure sur ce point. Zut alors! C’est la seule occasion qui m’ait été donnée, parce que j’ai parrainé le projet de loi, de faire un discours de plus de 15 minutes, et je renonce à cette occasion pour que nous puissions rester brefs et protéger la santé des travailleurs et des autres dans l’enceinte du Sénat.

Son Honneur le Président [ + ]

Il y a un sénateur qui veut poser une question. Voulez-vous y répondre?

La sénatrice Lankin [ + ]

Seulement si ce n’est pas une question du sénateur Plett. Excusez-moi, je plaisantais.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition)

Ce n’est pas gentil, sénatrice Lankin. Vous vouliez parler un peu plus longtemps, alors je me suis dit que je devais vous en donner la possibilité.

La sénatrice Lankin [ + ]

Merci, monsieur.

Sénatrice Lankin, en fait, le caucus conservateur appuie fermement l’octroi d’aide financière aux Canadiens ayant souffert financièrement de la pandémie. Toutefois, l’Allocation canadienne pour enfants ne semble pas être l’instrument le plus approprié à cette fin. En effet, elle n’est pas fondée sur le revenu, et elle ne sera pas imposable. De plus, il n’y a aucune façon de savoir si les personnes recevant un paiement supplémentaire dans le cadre de l’Allocation canadienne pour enfants ont vraiment été touchées durement par la pandémie.

Sur les 2,4 milliards de dollars qui seront versés au titre de cette allocation, on estime que 337 millions de dollars seront alloués à des ménages gagnant au moins 100 000 $ par année et plus de 50 millions de dollars, à des familles dont le revenu combiné dépasse les 150 000 $. On pouvait comprendre l’utilisation d’instruments imprécis au début de la pandémie. Cependant, à ce stade, j’aurais cru que le gouvernement ciblerait un peu plus précisément l’aide qu’il accorde dans le contexte de la pandémie de COVID.

Je suis désolé que ce soit moi qui vous pose cette question, sénatrice Lankin, mais je veux une réponse. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le gouvernement a choisi de se servir de l’Allocation canadienne pour enfants pour compenser les répercussions financières de la pandémie, au lieu d’une mesure plus précise pour veiller à ce que l’aide financière soit versée aux personnes qui en ont vraiment besoin?

La sénatrice Lankin [ + ]

Merci beaucoup, sénateur Plett, de votre question. Vous savez que je faisais une blague et, si je l’ai faite, c’est parce que je connais votre sens de l’humour et que je savais que vous ne seriez pas insulté.

J’apprécie la question. Je veux d’abord vous assurer qu’il ne s’agit pas de mon gouvernement. C’est moi qui suis la marraine du projet de loi, mais c’est seulement dans le but d’en guider l’étude et de présenter l’information que me communique le gouvernement. Je veux simplement que vous fassiez la part des choses et que vous compreniez que, en tant que sénatrice indépendante, je ne représente d’aucune façon le gouvernement.

Ensuite, je crois que les points que vous avez soulevés sont en partie valables. J’ai regardé le tableau pour savoir quel sera l’impact pour les ménages au-dessus de 120 000 $ et pour les ménages en dessous de 120 000 $. La majeure partie des sommes ira aux Canadiens à faible revenu, mais, comme dans le cas de l’Allocation canadienne pour enfants, toutes les familles peuvent faire une demande et être admissibles. Le critère d’admissibilité est d’être déjà admissible à l’Allocation canadienne pour enfants.

Des dispositions et des mécanismes sont déjà en place concernant la façon pour l’Agence du revenu du Canada de mettre en œuvre ce programme, de faire l’évaluation de l’admissibilité et de procéder aux paiements. Le programme sera administré de façon séparée, mais l’Agence du revenu du Canada sera responsable d’établir l’admissibilité des demandeurs. Évidemment, les déclarations de revenus seront employées pour déterminer si le revenu d’un ménage donné se situe au-delà ou en deçà de la barre des 120 000 $.

Peut-être que c’est aussi votre cas, mais moi et d’autres savons que l’annonce concernant l’apprentissage et la garde des jeunes enfants est prometteuse. Nous verrons comment cela sera développé et négocié avec les provinces et les territoires et quelle forme cela prendra, mais c’est une initiative très prometteuse, et je crois que c’est la bonne chose à faire.

Comme vous l’avez indiqué, cet instrument imprécis, qui était justifié au début de la pandémie, a été annoncé dans l’énoncé économique de l’automne. Il a fallu quelques mois pour que le projet de loi soit renvoyé au Sénat, et voilà où nous en sommes maintenant. Toutefois, j’adhère au point que vous avez soulevé, à savoir qu’il s’agit d’un instrument relativement imprécis.

Enfin, vous avez indiqué que vous appuyez l’idée d’offrir de l’aide aux Canadiens, et je vous en suis reconnaissante. Il est évident que les partis à la Chambre des communes ne s’entendaient pas sur les dispositions à adopter, mais ils ont tous convenu qu’il fallait aider les Canadiens.

Dans ce cas-ci, le comité a envisagé quatre amendements. Trois de ces amendements ont été jugés irrecevables. Ils visaient à rendre permanentes les exemptions d’intérêt sur les prêts aux étudiants, et ils ont été jugés irrecevables parce qu’ils relevaient de la prérogative royale.

Le dernier amendement présenté au comité concernait le pouvoir d’emprunt. Il y avait une controverse entourant la somme d’argent : devait-elle être beaucoup plus petite ou un peu plus petite que prévu? L’amendement a été rejeté. Aucun amendement n’a été présenté à l’étape de la troisième lecture à la Chambre des communes, et quatre et des cinq partis politiques de l’autre endroit ont appuyé le projet de loi.

Merci, sénatrice Lankin. Vous avez dit que je n’aurais pas dû être offusqué par vos propos. Je vous prie à mon tour de ne pas vous offusquer de l’observation suivante : lorsque vous parrainez un projet de loi d’initiative ministérielle, vous le faites au nom du gouvernement. Merci.

La sénatrice Lankin [ + ]

Je vais considérer cela comme une deuxième question; il ne faut jamais rater l’occasion de répondre. En réalité, bien que je sois la marraine du projet de loi au Sénat, je ne fais pas partie du gouvernement. Or, vous avez dit plus précisément « votre gouvernement », et je conteste cette affirmation. Là n’est pas la question. Nos opinions peuvent diverger là-dessus.

Merci.

L’honorable Elizabeth Marshall [ + ]

Merci de vos observations sur le projet de loi C-14, sénatrice Lankin. Je vais me répéter à certains égards, mais je ne prendrai pas 45 minutes. Je tenterai également de vous donner une idée de ce que je surveillerai lorsque le projet de loi sera renvoyé au Comité des finances.

Comme la sénatrice Lankin l’a mentionné, le projet de loi C-14 vise à mettre en œuvre certaines initiatives que le gouvernement fédéral a annoncées dans l’énoncé économique de l’automne, qui a été présenté à la Chambre des communes en décembre 2020.

Le projet de loi comprend sept parties, et je vais faire des observations sur la plupart d’entre elles, mais pas toutes.

La première partie porte sur l’Allocation canadienne pour enfants, et cette mesure a fait l’objet d’un échange entre la sénatrice Lankin et le sénateur Plett. Cette partie du projet de loi vise à fournir une aide financière supplémentaire aux familles admissibles à l’Allocation canadienne pour enfants.

Pour chaque enfant âgé de moins de 6 ans, le gouvernement propose le versement de quatre paiements trimestriels supplémentaires au cours de l’année actuelle. Les deux premiers paiements trimestriels seront fondés sur le revenu net de la famille en 2019, tandis que les deux derniers seront fondés sur le revenu net de la famille en 2020. Plus précisément, les familles admissibles à l’Allocation canadienne pour enfants dont le revenu net est égal ou inférieur à 120 000 $ auront droit à des paiements trimestriels de 300 $ par enfant âgé de moins de 6 ans, tandis que celles dont le revenu net est supérieur à 120 000 $ auront droit à des paiements trimestriels de 150 $ par enfant âgé de moins de 6 ans.

D’après le libellé du projet de loi, pour être admissibles à cette aide supplémentaire, les familles doivent déjà être admissibles à l’Allocation canadienne pour enfants en fonction de leur revenu de 2019. Étant donné qu’il ne reste que quelques jours avant la date limite pour soumettre sa déclaration de revenus pour l’année civile 2020, il faudra demander des précisions concernant l’admissibilité à l’Allocation canadienne pour enfants et à l’aide supplémentaire proposée dans ce projet de loi.

J’ignore pourquoi le gouvernement s’acharne à déterminer l’admissibilité en fonction des renseignements fiscaux de 2019. Il me semble qu’il serait mieux de se fonder sur 2020, d’autant plus que 2020 a été l’année de la pandémie et que bien des familles non admissibles en raison de leur revenu de 2019 le seraient probablement si l’on tient compte de leur revenu de 2020.

Comme l’indique l’énoncé économique de l’automne, on estime que l’initiative coûtera environ 2,4 milliards de dollars en 2021.

La partie 1 du projet de loi C-14 modifie également la Loi de l’impôt sur le revenu afin que les frais de location puissent être admissibles à titre de dépenses dans le cadre de la Subvention d’urgence du Canada pour le loyer lorsqu’ils deviennent exigibles plutôt que lorsqu’ils sont payés, pourvu que certaines conditions soient respectées.

Le projet de loi C-9, que nous avons adopté en décembre dernier, a réglé certains des problèmes de la subvention pour le loyer. En effet, le programme a connu beaucoup de problèmes depuis son lancement en avril dernier. Il est vite devenu évident, après l’adoption du projet de loi C-9, que les entreprises allaient devoir payer leur loyer avant de pouvoir demander la subvention et recevoir l’argent du gouvernement. C’était un problème majeur pour les entreprises qui n’avaient pas les liquidités nécessaires pour payer leur loyer à l’avance. La modification permettra donc au gouvernement de rembourser le loyer aux propriétaires d’entreprises avant que celui-ci ne soit payé.

Il faut demander des précisions pour savoir si le gouvernement veillera à ce que les paiements soient utilisés aux fins prévues et, dans l’affirmative, comment il compte s’y prendre. Je m’attends à ce que les fonctionnaires qui témoigneront devant le Comité des finances soient en mesure de fournir ces informations.

Les parties 2, 3 et 4 du projet de loi C-14 proposent de réduire l’endettement des étudiants en éliminant les intérêts sur la partie fédérale du Programme canadien de prêts aux étudiants et des prêts aux apprentis pour l’exercice 2021-2022. Plus précisément, ces prêts ne seront pas assujettis à des intérêts entre le 1er avril 2021 et le 31 mars 2022. De plus, pendant cette même période, l’emprunteur ne sera pas obligé de payer des intérêts sur la partie fédérale des prêts du Programme canadien de prêts aux étudiants. L’énoncé économique de l’automne estime que cette mesure coûtera environ 329 millions de dollars.

Il faut obtenir plus de précisions concernant la manière dont le gouvernement compte mettre en œuvre ces changements et concernant leur incidence sur les prêts étudiants radiés et annulés.

Au comité des finances, nous examinons presque chaque année les prêts radiés parce que le projet de loi de crédits supplémentaires comporte une disposition visant à radier certains prêts étudiants. En plus des prêts radiés conformément au projet de loi des crédits supplémentaires, un nombre important de prêts est radié en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques. D’autres prêts sont annulés en vertu de la Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants et de la Loi sur les prêts étudiants. Les prêts radiés et annulés représentent des centaines de millions de dollars; nous devons donc examiner l’incidence de cette disposition du projet de loi sur les prêts radiés et annulés.

La partie 6 du projet de loi autorise des paiements sur le Trésor d’une valeur totale de 1,6 milliard de dollars qui seront destinés à trois usages. Premièrement, 206,7 millions de dollars seront versés à six agences de développement régional pour le Fonds d’aide et de relance régionale. Le Comité des finances cherchera à obtenir des précisions sur les critères à respecter pour être admissible à ce programme, la méthode de distribution des fonds et tout suivi requis après le versement des fonds.

Deuxièmement, 901,3 millions de dollars seront fournis dans un certain nombre de domaines de la santé touchés par la COVID-19, notamment la santé mentale et la toxicomanie, les soins de longue durée, les approches novatrices pour le dépistage de la COVID-19, les soins virtuels et les outils de santé mentale. Il faudra obtenir des précisions sur les critères d’admissibilité au financement, les critères à remplir, l’utilisation qui devra être faite de l’argent et le suivi qui devra être fait une fois l’argent versé. Ce financement devra être lié aux initiatives budgétaires annoncées hier.

Troisièmement, 500 millions de dollars seront destinés au soutien du revenu prévu dans la Loi sur la prestation canadienne d’urgence, ce qui est en lien avec les paiements de la Prestation canadienne d’urgence effectués au cours de la dernière année. Cela mettra fin à ce programme.

La partie 7 du projet de loi C-14, qui est celle qui m’intéresse le plus, prévoit une augmentation du montant maximum des emprunts du gouvernement du Canada. Ce maximum est établi par la Loi autorisant certains emprunts. Je me souviens de l’époque où cette loi a été mise en œuvre. Elle a été promulguée en 2017 par la loi d’exécution du budget et elle permet au ministre des Finances d’emprunter de l’argent avec l’autorisation du gouverneur en conseil.

Je siégeais au Comité des finances à l’époque, et cette partie de la loi d’exécution du budget a fait l’objet de nombreuses discussions. Le projet de loi prévoit donc un montant maximal qui peut être emprunté. En 2017, la Loi autorisant certains emprunts a fixé ce montant à 1,168 billion de dollars. Cela comprend l’ensemble des emprunts du gouvernement pour 2017, plus les prévisions d’emprunts du gouvernement pour les trois années subséquentes, plus les emprunts des sociétés d’État et, enfin, une proportion 5 % du total des emprunts prévus à la fin de la période de trois ans, en guise de capacité d’intervention d’urgence. La sénatrice Lankin a fait référence à ce montant équivalant à 5 % comme capacité d’intervention d’urgence.

Chaque année, dans la documentation sur le budget, le gouvernement présente sa stratégie pour gérer la dette. Puisqu’aucun budget n’a été présenté au cours des deux dernières années, c’est dans son Portrait économique et budgétaire de juillet dernier que le gouvernement a présenté sa stratégie pour gérer la dette durant l’exercice 2020-2021. Puis, en décembre, il a mis à jour sa stratégie de gestion de la dette pour 2020-2021 dans son énoncé économique de l’automne, en plus de présenter les modifications proposées à la Loi sur le pouvoir d’emprunt qui sont énoncées dans le projet de loi C-14.

Par ailleurs, l’énoncé économique de l’automne propose un nouveau plafond de 1,831 billion de dollars ainsi qu’une analyse expliquant comment le gouvernement en est arrivé à déterminer ce plafond. La méthode employée prête à confusion parce que le calcul prend comme point de départ la dette combinée à la fin d’octobre 2020 plutôt qu’à la fin de l’exercice précédent. L’analyse comprend plusieurs éléments et démontre comment a été établi le nouveau plafond proposé de 1,831 billion de dollars, une augmentation par rapport au plafond existant fixé à 1,168 billion de dollars. L’augmentation proposée s’élève à 663 milliards de dollars, ou 57 %, au cours des trois prochaines années, soit jusqu’au 31 mars 2024.

L’ampleur de cette hausse de 663 milliards de dollars a suscité beaucoup de discussions, tout comme les différents éléments qui la composent. À titre d’exemple, l’augmentation du plafond de la dette comprend de nouvelles dépenses de relance de 100 milliards de dollars qui figuraient dans l’énoncé économique de l’automne présenté en décembre mais n’ont pas été inscrites dans le cadre financier du gouvernement à ce moment-là.

Ces 100 milliards de dollars ont beaucoup retenu l’attention du directeur parlementaire du budget, de l’Institut C.D. Howe, du Fonds monétaire international et d’autres intervenants qui s’interrogeaient sur le bien-fondé d’un programme de relance de 100 milliards de dollars. Cela dit, il faudra examiner cette somme à la lumière des nouvelles initiatives annoncées dans le budget d’hier.

Signalons que l’augmentation de 663 milliards de dollars comprend aussi une somme de 87 milliards de dollars constituant une capacité d’intervention d’urgence. Cette somme représente 5 % du plafond de la dette proposé. Le gouvernement ne nous a pas expliqué pourquoi il aurait besoin d’une capacité d’intervention d’urgence de 5 % des dettes déjà contractées. De plus, une capacité d’intervention d’urgence de 5 % était déjà incluse dans le plafond initial de 1,168 billion de dollars en 2017. Pourquoi retrouve-t-on cette capacité une deuxième fois dans le plafond de la même dette?

Le gouvernement doit aussi régler d’autres questions liées à la forte augmentation du plafond de la dette. À titre d’exemple, les parlementaires voudront savoir si la Banque du Canada achètera une partie de cette dette supplémentaire.

Dans un rapport publié récemment, le directeur parlementaire du budget prévoit que les besoins d’emprunt feront augmenter la dette à 1,7 billion de dollars d’ici le 31 mars 2024, ce qui est seulement 125 milliards de dollars de moins que le plafond de la dette proposé. Puisque les projections du directeur parlementaire du budget ne comprennent pas les dépenses de 100 milliards de dollars pour stimuler l’économie, et aucune des mesures ou des éléments du nouveau budget, comme le plan d’aide de 5,9 milliards de dollars pour Air Canada, il y a lieu de se demander comment on financera ces nouvelles dépenses. Va-t-on encore une fois augmenter le plafond de la dette ou imposer de nouvelles taxes?

Mon dernier point porte sur la transparence.

Comme les honorables sénateurs le savent, j’ai souvent dit dans cette enceinte qu’il est difficile de suivre les dépenses du gouvernement liées à la COVID-19. Le financement proposé dans le projet de loi vise principalement des programmes de dépenses liés à la COVID-19. Le gouvernement doit préciser comment il divulguera ces dépenses et comment il fera rapport de celles-ci dans ses documents financiers, comme les Budgets des dépenses, les Budgets supplémentaires des dépenses, La revue financière et les comptes publics. Il faudra aussi déterminer comment ces dépenses sont liées aux initiatives budgétaires annoncées hier.

En outre, le gouvernement doit préciser dans quel exercice financier ces dépenses seront facturées. Quelles dépenses seront facturées dans l’exercice financier 2020-2021 qui vient de se terminer, et quelles dépenses seront facturées dans l’exercice financier 2021-2022 qui a commencé il y a trois semaines?

Honorables sénateurs, voilà qui conclut mes observations sur le projet de loi C-14 à l’étape de la deuxième lecture. Je ferai d’autres observations à l’étape de la troisième lecture. Merci.

L’honorable Kim Pate [ + ]

Je remercie les sénatrices Lankin et Marshall de leur bon travail et de leurs observations.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-14 mettra en œuvre certaines dispositions de l’énoncé économique de l’automne dernier. Avec cet énoncé, ainsi qu’avec le discours du Trône et le budget d’hier, le gouvernement nous indique que, pour survivre à la pandémie de COVID-19, nous devons rebâtir en mieux et faire en sorte que la reprise bénéficie à tout le monde. Pour ce faire, nous devons refuser de laisser certains de nos concitoyens dans les situations de précarité économique et de marginalité qui font en sorte, depuis le début de la pandémie, qu’ils risquent davantage d’être malades ou d’éprouver des problèmes financiers.

On peut lire ceci dans l’énoncé économique de l’automne : « [Une] relance solide et complète ne doit laisser personne pour compte. » Nous applaudissons encore une fois le gouvernement d’avoir pris les mesures qu’il a prises pendant la crise afin d’aider directement les Canadiens, car il s’agissait d’un besoin vital. Pourtant, nous avons beau faire de notre mieux pour réparer le filet social du pays, qui a été durement éprouvé, et pour doter le pays des mécanismes de soutien sanitaire, économique et social dont il a besoin, nous ne pouvons fermer les yeux sur les 3,5 millions de Canadiens qui vivent dans la pauvreté et qui tombent encore et toujours entre les mailles du filet.

Le budget a prévu quelques mesures à cette fin. Il propose une bonification de l’Allocation canadienne pour les travailleurs, de même que l’établissement d’un salaire minimum fédéral de 15 $ l’heure qui pourrait arrondir des salaires insuffisants et permettre ainsi à environ 125 000 personnes juste sous le seuil de pauvreté de passer juste au-dessus de ce seuil. Même si c’est une bonne nouvelle, cela n’aide pas 96 % des personnes vivant dans la pauvreté et 50 % des personnes sous le seuil de pauvreté qui travaillent, mais dont le salaire n’est pas suffisant pour survivre.

Le gouvernement s’obstine à présenter des mesures de soutien du revenu qui mettent l’accent sur les moyens d’inciter les gens à travailler plutôt que sur les moyens de s’assurer que, dans un pays aussi riche que le Canada, personne ne voit sa santé et son bien-être limités par la pauvreté.

Le projet de loi C-14 et l’énoncé économique de l’automne ne font rien pour changer la situation. Des mesures comme la Prestation canadienne d’urgence, la PCU, ont été mises en œuvre justement à cause de l’insuffisance des mesures canadiennes de soutien destinées aux personnes dans le besoin. Malheureusement, les critères d’admissibilité à la PCU et aux programmes connexes n’offrent pas aux plus démunis l’accès à des mesures d’urgence adéquates, ce qui met en danger leur santé et, par conséquent, notre santé collective, en plus de coûter des vies.

Parmi ceux qui sont exclus des programmes comme la PCU, on retrouve les personnes dont le revenu annuel est inférieur à 5 000 $; les personnes pour qui le travail au salaire minimum, le travail précaire ou le travail à la demande ne suffisait pas à assurer leurs besoins avant la pandémie, même si elles ont été reconnues comme des travailleurs essentiels durant la pandémie; et, dans la plupart des régions, les personnes vivant de l’aide sociale ou de prestations d’invalidité, qui reçoivent des prestations de soutien correspondant seulement à une fraction de ce qu’il faudrait pour les sortir de la pauvreté.

Comme le budget d’hier l’a souligné, la COVID-19 a causé une « récession au féminin ». Les femmes — surtout les membres des communautés autochtones, noires ou racialisées; les jeunes femmes; les mères seules; celles qui sont handicapées; celles qui sont sans-abri ou logées de façon précaire — ont subi de façon disproportionnée les conséquences sanitaires et économiques de la pandémie. Elles sont aussi surreprésentées parmi ceux qui n’ont pas accès aux programmes comme la PCU. L’écrivain Damian Barr nous rappelle que la COVID-19 a amplifié l’inégalité systémique en disant :

Nous ne sommes pas tous dans le même bateau. Nous sommes tous dans la même tempête. Certains se prélassent dans un yacht de première classe, alors que d’autres naviguent à l’aide d’une seule rame.

L’énoncé économique de l’automne annonçait 407 milliards de dollars de dépenses fédérales d’urgence liées à la COVID-19. De cette somme, la seule aide qu’aurait pu recevoir une personne en âge de travailler, qui tire le diable par la queue et qui n’était pas admissible à la PCU ni à ces autres programmes, prenait la forme d’un paiement unique de moins de 400 $. Ce montant, fourni uniquement aux personnes inscrites au crédit pour la TPS — et plusieurs personnes dans le besoin ne le sont pas —, a été distribué en avril 2020. Certains Canadiens handicapés ont reçu un autre paiement unique de 600 $ cette année. Pour tous les autres, dans le meilleur des cas, ce fut plus d’une année consacrée à survivre à cette crise sanitaire et économique en l’absence de toute aide fédérale liée à la COVID-19.

Dans le projet de loi C-14, la seule mesure de soutien économique direct pour les particuliers est restreinte : il s’agit d’un complément temporaire à l’Allocation canadienne pour enfants, qui offre 100 $ supplémentaires par mois en 2021 pour les enfants de moins de 6 ans. Ce programme fonctionne comme une version limitée d’un revenu minimum garanti, et ses avantages économiques sont éprouvés. À la suite du récent rapport du Bureau du directeur parlementaire du budget, il est particulièrement surprenant que des mesures n’aient pas été mises en place pour soutenir ceux qui ont toujours besoin d’une aide de toute urgence afin que la relance soit effectivement pour tous, comme on le prétend.

On décrit l’Allocation canadienne pour enfants comme la bouée qui permet à environ 277 000 familles de rester au-dessus du seuil de la pauvreté. Surtout, à l’instar d’un revenu minimum garanti et contrairement aux programmes d’aide sociale existants, l’efficacité de cette mesure repose en partie sur le fait que ses prestations sont versées sans condition. Elles ne dépendent pas de la situation d’emploi des parents et elles soutiennent la capacité des familles à juger d’elles-mêmes la meilleure façon d’utiliser les montants d’argent pour répondre aux besoins de leurs enfants.

Une telle mesure de soutien vient en aide aux gens dans le besoin au lieu d’ériger des obstacles à l’admissibilité. Elle reconnaît que le fait qu’une personne ne puisse pas travailler ou trouver un emploi, ou encore que le poste qu’elle occupe ne lui permette pas de joindre les deux bouts, ne signifie pas que ses enfants et elle devraient rester le ventre vide ou se retrouver à la rue.

Les avantages de l’Allocation canadienne pour enfants vont au-delà des familles qui reçoivent des prestations. Chaque dollar que verse le programme mène à une injection de deux dollars dans l’économie canadienne lorsque les familles dépensent les sommes reçues dans leur collectivité pour acheter ce dont elles ont besoin. La contribution économique du programme représente 2 % du PIB du Canada. Sans remettre en question la décision prise dans le cadre du projet de loi C-14 d’investir dans l’Allocation canadienne pour enfants, je ne peux faire autrement que me demander pourquoi le gouvernement, connaissant les impacts positifs de ce genre de programmes pour garder les enfants et les aînés hors de la pauvreté d’une façon qui profite à l’économie, n’a toujours pas étendu ces programmes aux membres de la population active sous la forme d’un revenu minimum garanti.

Le budget présenté hier comporte un engagement historique concernant un programme national de garde d’enfants. Comme nous l’ont dit les mères de famille monoparentale du Québec qui vivent dans la pauvreté et peinent à obtenir l’éducation ou la formation qui leur permettraient d’améliorer leurs chances d’emploi, les places à 10 $ par jour en garderie sont difficiles d’accès sans aide financière supplémentaire et, pour beaucoup trop de parents, elles sont encore trop chères. Il suffit de regarder la situation au Manitoba pour comprendre qu’il faut en faire plus pour soutenir l’égalité des femmes. C’est dans cette province qu’on trouve les frais de garde d’enfants les moins chers au pays après le Québec, mais c’est aussi là où le taux de participation des femmes au marché du travail est l’un des plus bas.

Lorsque la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme a recommandé cette mesure il y a plus de 50 ans, elle a également proposé une sorte de revenu minimum garanti comme autre élément essentiel pour réparer les inégalités économiques dont les femmes sont victimes. Le revenu minimum garanti et l’augmentation de l’Allocation canadienne pour enfants sont des éléments clés pour offrir des services de garde efficaces pour tous, adaptés à la culture et aux besoins de ceux qui travaillent par quarts, des habitants des collectivités éloignées et d’autres personnes pour qui les services de garde normalisés ne fonctionnent pas.

Dans le rapport sur l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, enquête considérée comme une priorité dans le budget, le revenu minimal garanti était aussi demandé.

La conclusion du rapport du Bureau du directeur parlementaire du budget publié au début du mois, c’est que, si on mettait en œuvre un revenu minimum garanti dès maintenant, on pourrait réduire la pauvreté de moitié d’ici l’année prochaine. Cela permettrait au gouvernement de respecter son engagement actuel dans le cadre de la stratégie canadienne de réduction de la pauvreté et nous mettrait sur la voie de l’éradication de la pauvreté.

De plus, le Bureau du directeur parlementaire du budget présente une manière de faire se matérialiser le revenu minimum garanti avec un coût net nul, et c’est en remplaçant certains crédits d’impôt pour faible revenu en place et des programmes d’aide sociale provinciaux et territoriaux par des transferts en espèces sans condition, qui fourniraient un montant d’argent plus élevé et suffisant pour vivre aux personnes dont le revenu est inférieur à un certain seuil.

Le Bureau du directeur parlementaire du budget affirme aussi qu’un revenu minimum garanti n’aurait qu’un effet minime sur la participation au marché du travail. Cela correspondrait à une baisse de seulement 1,3 % des heures travaillées.

De nombreux experts ont fait remarquer, à juste titre, qu’il faudrait déterminer avec soin quels crédits d’impôt pourraient être remplacés par un revenu minimum garanti afin d’éviter toute conséquence économique néfaste pour les gens de la classe ouvrière ou de la classe moyenne inférieure qui sont proches du seuil de pauvreté.

D’autres nous ont rappelé que les prévisions du Bureau du directeur parlementaire du budget, aussi encourageantes soient-elles, n’ont pas pris en compte l’ensemble des avantages sociaux et économiques à long terme associés au revenu minimum garanti. Comme l’ont révélé des projets pilotes canadiens, un revenu minimum garanti entraînerait des avantages en aval tels qu’une meilleure santé pour les participants, une moins grande dépendance aux soins de santé d’urgence, et une plus faible utilisation des services de police et du système de justice pénale.

Il permettrait également aux gens de s’occuper de leurs enfants, des personnes âgées et des personnes handicapées, de s’absenter du travail pour faire des études ou suivre une formation professionnelle ou de lancer de nouvelles entreprises innovantes. Sur cinq ans, un revenu minimum garanti pourrait accroître le produit intérieur brut de 1,6 à 2,4 %, générer de 46 à 80 milliards de dollars supplémentaires de recettes pour l’État et créer de 298 000 à 450 000 emplois.

La détermination des Canadiens à éradiquer la pauvreté n’a fait que se raffermir depuis le début de la pandémie de COVID-19. La semaine dernière, les délégués au Congrès national du Parti libéral ont approuvé l’idée d’un revenu de base. Deux personnes sur trois au Canada estiment que l’instauration d’un revenu minimum garanti pour que chacun ait les moyens de combler ses besoins fondamentaux est la bonne chose à faire. Cette hausse de l’appui est en partie attribuable au succès des mesures d’urgence de soutien du revenu adoptées en réaction à la COVID-19, telles que la Prestation canadienne d’urgence.

Si quelqu’un nous avait décrit la Prestation canadienne d’urgence avant la pandémie — une mesure globale de soutien du revenu créée et mise en œuvre en quelques semaines seulement, puis rajustée en cours de route pour répondre aux besoins des Canadiens —, combien d’entre nous l’auraient rejetée sous prétexte qu’elle est impossible, qu’elle est irresponsable sur le plan financier, qu’elle est judicieuse en théorie, mais peu pratique ou qu’il faudrait l’étudier davantage? Des mesures telles que la Prestation canadienne d’urgence nous montrent ce qui est possible. Elles nous montrent que lorsqu’il existe une volonté réelle de remédier concrètement à la pauvreté, le Canada possède l’ingéniosité, les ressources et la capacité voulues pour y parvenir.

Il est temps de faire ce que les Canadiens nous demandent et de nous assurer que nul ne soit laissé pour compte et que chacun puisse traverser cette crise, puis jouir de la stabilité économique. Le gouvernement a fait quelques premiers pas pendant la pandémie, notamment par l’entremise de l’énoncé économique de l’automne, du projet de loi C-14 et du budget. La prochaine étape doit être le revenu minimum garanti.

Honorables collègues, le temps d’agir est maintenant. Prenons les mesures qui s’imposent pour y arriver. Meegwetch. Merci.

Son Honneur le Président [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)

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