Le Sénat
Adoption de la motion modifiée concernant les pêcheurs et les communautés mi’kmaq
27 mai 2021
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de la motion no 40 dans sa forme modifiée, qui a été présentée par notre collègue le sénateur Francis. J’ai écouté attentivement les débats sur cette motion, et mes collègues se sont exprimés avec une passion évidente et beaucoup de conviction. Je crois qu’il est juste de dire que nous condamnons tous la violence faite à tous les Canadiens. Chose certaine, je condamne la violence subie par les pêcheurs autochtones, des actes que nous avons malheureusement vus dans les mois précédant la présentation de cette motion à l’automne dernier.
Je savais que j’allais appuyer la motion. Je voulais toutefois d’abord écouter les observations de ceux qui viennent des provinces de l’Atlantique afin de bien comprendre les positions des personnes dont la vie est plus directement touchée par ce conflit, la pêche au homard ou ces deux questions. En préparant mon discours, j’ai relu le libellé de la motion et j’ai remarqué en particulier le premier paragraphe, qui demande que le Sénat :
[...] confirme et honore la décision rendue en 1999 par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Marshall, et qu’il invite le gouvernement du Canada à en faire autant en respectant le droit des traités des Mi’kmaq à une pêche de subsistance convenable, comme le prévoient les traités de paix et d’amitié signés en 1760 et en 1761 et comme le garantit l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 [...]
Or, avant que le Sénat puisse confirmer et honorer l’arrêt Marshall, j’estime qu’il est important de comprendre ce qu’on nous demande d’appuyer. Il importe également de souligner que, malheureusement, l’histoire se répète une fois de plus. Premièrement, il existe deux arrêts Marshall. La décision initiale a été rendue le 17 septembre 1999. À la suite de la confusion et d’actes de violence, la Cour suprême du Canada a produit l’arrêt Marshall II, qui visait à clarifier le premier arrêt et à trancher explicitement les points contentieux, points qui, à ce jour, continuent de semer la confusion.
Comme l’ont souligné plusieurs sénateurs, l’arrêt Marshall autorise les pêcheurs autochtones à pêcher pour « les biens nécessaires » ou ce qu’on appelle une « subsistance convenable ». Toutefois, l’arrêt Marshall précise tout aussi clairement que ces droits issus de traités peuvent être assujettis à une réglementation. Il dit : « Ce qui est envisagé, ce n’est pas un droit de commercer de façon générale pour réaliser des gains financiers, mais plutôt un droit de commercer pour pouvoir se procurer des biens nécessaires. Le droit issu du traité est un droit réglementé qui peut, par règlement, être circonscrit à ses limites appropriées. Des limites de prises, dont il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’elles permettent aux familles mi’kmaq[s] de s’assurer une subsistance convenable selon les normes d’aujourd’hui, peuvent être établies par règlement et appliquées sans porter atteinte au droit issu du traité. Un tel règlement respecterait le droit issu du traité et ne constituerait pas une atteinte qui devrait être justifiée suivant la norme établie dans l’arrêt Badger. »
À la suite de l’arrêt Marshall, des interprétations divergentes ainsi qu’un manque de leadership et d’orientations de la part du ministère des Pêches et des Océans ont entraîné des affrontements violents entre les pêcheurs autochtones et non autochtones. Il y avait de la confusion entourant la signification de « subsistance convenable » et la possibilité que des règlements de conservation du ministère des Pêches et des Océans puissent limiter un droit issu d’un traité.
La West Nova Fishermen’s Coalition a demandé une nouvelle audience pour savoir si les droits de pêche des Mi’kmaqs étaient assujettis aux règlements de conservation ou à d’autres facteurs. Sa demande a été rejetée. Toutefois, le 17 novembre 1999, la Cour suprême du Canada a publié l’arrêt Marshall II, qui contenait les précisions recherchées :
Le ministère public a choisi, dans le cadre des poursuites visées en l’espèce, de ne pas tenter de justifier les restrictions — obligation de se procurer un permis et période de fermeture — imposées en matière de pêche à l’anguille, mais le fait de l’acquittement qui en a résulté ne saurait être généralisé en une conclusion que de telles restrictions ne peuvent être imposées dans le cadre de la réglementation par le gouvernement du « droit [limité] de pêcher » à des fins commerciales des Mi’kmaq[s]. En matière de justification, le contexte factuel revêt une grande importance, et la valeur de la justification peut varier selon la ressource, l’espèce, la communauté et l’époque.
Les gouvernements fédéral et provinciaux ont le pouvoir de réglementer, dans les limites de leurs champs respectifs de compétences législatives, l’exercice d’un droit issu du traité, lorsque de telles mesures sont justifiées pour des raisons de conservation ou pour d’autres motifs. L’arrêt Marshall fait état des principaux énoncés de la Cour sur les divers motifs justifiant la réglementation de l’exercice de droits issus de traités.
Honorables sénateurs, je tiens à souligner le passage suivant, que le sénateur Wells a cité en partie :
L’objectif prépondérant en matière de réglementation est la conservation de la ressource, et cette responsabilité incombe carrément au ministre responsable et non aux personnes autochtones et non autochtones qui exploitent la ressource.
Je sais que les Mi’kmaqs ont à cœur la conservation et la pêche durable, comme tous les pêcheurs qui pratiquent la pêche au homard.
L’arrêt se poursuit :
Le pouvoir de réglementation s’étend à d’autres objectifs d’intérêt public réels et impérieux, par exemple, la poursuite de l’équité sur les plans économique et régional ainsi que la reconnaissance du fait que, historiquement, des groupes non autochtones comptent sur les ressources halieutiques et participent à leur exploitation. Les peuples autochtones ont le droit d’être consultés à propos des restrictions à l’exercice des droits ancestraux ou issus de traités. En matière de réglementation, le ministre dispose de toute la panoplie des outils et techniques de gestion des ressources, pourvu qu’il puisse justifier leur utilisation pour limiter l’exercice d’un droit issu de traité pour des raisons de conservation ou pour d’autres motifs.
Face à ce jugement, que pouvons-nous constater? À mon avis, nous constatons un manque de leadership de la part du ministère concerné.
Il y a une chose que je souhaite souligner à propos des droits des Autochtones et des droits issus de traités : j’étais présent lors du rapatriement de la Constitution. J’ai participé à ces rencontres à titre de représentant du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. J’ai travaillé avec d’anciens collègues, dont les sénateurs à la retraite Serge Joyal et Charlie Watt, pour que les droits prévus à l’article 35 soient inclus dans la Constitution. J’étais présent quand les ministres des Affaires autochtones du Canada n’ont pas réussi, pendant leurs rencontres, à définir de quels droits il s’agissait, malgré de nombreuses tentatives échelonnées sur trois ans. Cette incapacité de définir les droits des peuples autochtones a été à l’origine de multiples contestations judiciaires depuis près de 40 ans, dont l’affaire Marshall.
Le Comité des pêches et des océans de l’autre endroit — dirigé par Wayne Easter, qui est toujours député — a mené une étude sur les répercussions de l’arrêt Marshall et publié un rapport en décembre 1999. Le comité y parle de l’applicabilité restreinte de cette décision et souligne que le ministre a la responsabilité de réglementer la pêche pour poursuivre d’autres objectifs essentiels qui sont étrangers à la conservation. Dans son résumé de l’affaire, le comité dit notamment ceci :
La Cour affirme que le jugement n’a pas conféré un droit à une pêche commerciale distincte. « Le droit issu de traité qui permettait aux Mi’kmaq de participer en 1760 à une pêche commerciale largement non réglementée a évolué pour devenir un droit issu de traité leur permettant de participer à la pêche commerciale largement réglementée des années 1990 ».
Le rapport montre de manière évidente que certains groupes autochtones envisageraient de négocier les termes de telles réglementations et des limites à leurs droits issus de traités, alors que d’autres, comme la nation Esgenoôpetitj, Burnt Church, rejettent cette possibilité.
Bernd Christmas faisait partie des témoins ouverts à de telles négociations. On le cite dans le rapport :
J’ai dit que nous négocierons les règles et les accepterons, si les négociations se font de bonne foi. Si cela vise les saisons, eh bien, c’est possible, mais je tiens à souligner de nouveau que nous accepterons des règles — et non pas le statu quo actuel — dans la mesure où le gouvernement du Canada mène les négociations de bonne foi.
Cela, en plus des témoignages entendus par le comité, a mené à des recommandations, dont 5 sur l’intégration des pêches autochtones dans les pêches existantes, 21 recommandations sur la conservation et la gestion des stocks, et 3 recommandations sur les autres problèmes, y compris une recommandation indiquant qu’« il faut clarifier et mieux définir le concept de subsistance convenable ». Le gouvernement a donné suite à certaines de ces recommandations, a racheté des permis commerciaux à mesure qu’ils sont devenus disponibles et a soutenu les nouveaux venus autochtones avec des bateaux et de l’équipement de pêche.
Dans son Plan de gestion intégrée des pêches pour 2019 concernant la pêche au homard dans l’Atlantique, le ministère des Pêches et des Océans a indiqué ce qui suit : « La pêche commerciale de cette ressource est une pêche concurrentielle à accès limité [...] Il n’y a pas d’accès récréatif. » Le ministère souligne toutefois qu’il « donne aux Autochtones un accès réglementé au homard. » Cependant, la ministre responsable ne prend aucune mesure pour que cela soit respecté, et l’automne dernier, alors que les tensions montaient, que la violence éclatait et que des entrepôts brûlaient, la ministre des Pêches et des Océans et l’ensemble du ministère ont réagi « avec lenteur et hésitation » et ils ont été « pris par surprise » alors que « le chaos et la confusion [régnaient]. » C’est exactement comme c’était décrit en 1999, dans le rapport Easter de l’autre endroit.
Le sénateur Richards connaît très bien cette histoire et, en parlant de la motion, il a succinctement qualifié le ministère d’« incompétent ».
Comment se fait-il, honorables sénateurs, que nous nous retrouvions ici aujourd’hui? Comment se fait-il que nous n’ayons pas négocié de bonne foi, comme l’a suggéré M. Bernd Christmas lorsqu’il a témoigné devant un comité parlementaire? Comment se fait-il que le ministère des Pêches et des Océans et sa ministre aient refusé de définir l’expression « subsistance raisonnable », 38 ans après les deux décisions Marshall? Nous avons besoin d’un leadership fort pour nous sortir de cette situation, et il semble que nous ne l’obtenions pas du gouvernement actuel.
Je soutiens cette motion, mais je tiens à préciser ce que cela signifie. Cela signifie que je condamne de tout cœur la violence à l’encontre des pêcheurs autochtones. Cela signifie également que j’appuie le jugement rendu dans l’affaire Marshall selon lequel les droits issus de traités existent bel et bien, mais qu’ils sont soumis à la réglementation du ministre au titre de la conservation et de toute autre limite raisonnable autorisée par la loi. En appuyant la motion dans sa forme amendée, je demande au gouvernement de faire enfin preuve de leadership pour résoudre cette crise, sous peine de voir l’histoire se répéter. Merci. Qujannamik.
Honorables sénateurs, je vois que le temps file et que nous approchons de l’heure convenue pour l’ajournement. Cependant, je sais qu’il y a un consensus parmi tous les groupes pour poursuivre au-delà de 20 h 30 afin de clore l’étude de la motion no 40.
Je demande le consentement du Sénat pour poursuivre jusqu’à ce que nous ayons terminé le débat sur la motion no 40.
Honorables sénateurs, nous sommes prêts à accorder le consentement pour l’intervention du sénateur Christmas, qui sera suivie du vote. Je crois que nous avons fait le tour de la question. Le sénateur Christmas a dit qu’il voulait prendre la parole. Nous sommes donc prêts à accorder notre consentement pour qu’il puisse faire son discours, lequel sera suivi du vote, et rien de plus.
Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Sénateur Patterson, merci beaucoup de vos observations. J’aimerais d’autant plus vous complimenter au sujet de vos observations que le problème n’est pas clair.
Je voulais vous demander si vous êtes d’accord avec moi à l’égard de ce problème et au sujet de la présence policière lors de ces incidents. Si la ministre des Pêches elle-même n’est pas claire quant aux règles à suivre, il me semble que c’est encore plus problématique pour les policiers qui interviennent sur les lieux et qui tentent de régler ces conflits.
Êtes-vous du même avis que moi, étant donné la complexité du problème?
Sénatrice Boniface, je crois que vous exprimez bien le dilemme qui complique le travail des policiers qui interviennent dans ces situations, c’est-à-dire l’ambiguïté dans l’interprétation de la loi. Vous l’avez très bien dit. Je suis totalement d’accord avec vous pour ce qui est de la prémisse de votre question. Merci.
Le temps est écoulé. Nous poursuivons maintenant le débat sur la motion modifiée.
Honorables sénateurs, je vous remercie de me permettre de prendre la parole ce soir. Je parlerai de la motion no 40, qui demande de faire respecter les droits issus de traités des Mi’kmaqs à une pêche de subsistance convenable, des droits qui ont été confirmés par la Cour suprême. Il me tarde depuis longtemps de participer à ce débat, et je suis reconnaissant de pouvoir le faire ce soir.
Continuer à pêcher. Continuer à pêcher. Je cite ce qu’a dit le chef Terry Paul de Membertou lors des réunions du comité sénatorial en 2019 sur les modifications à la Loi sur les pêches.
Je lui ai demandé ce que notre ami Junior Marshall aurait pu dire sur ce qu’il tentait de faire en établissant une pêche de subsistance convenable et quels conseils il aurait donnés à notre peuple, les Mi’kmaqs, après toutes ces années.
Il faut continuer à pêcher comme notre peuple le fait depuis près de 10 000 ans dans ce qui est connu aujourd’hui comme le Canada atlantique. Continuer à pêcher comme Junior Marshall le faisait lorsqu’il a été arrêté initialement en août 1993. Continuer de pêcher comme le prévoient les traités de paix et d’amitié signés en 1760 et en 1761 et comme le garantit l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Continuer de pêcher discrètement et avec détermination, dans le plus grand respect des systèmes juridiques, des mesures de conservation et des traditions des Mi’kmaqs. Continuer de pêcher. Comme l’a dit Herbert Hoover : « Il faut être calme et patient; on n’attrape pas de poisson quand on est en colère. »
Pourtant, 22 ans plus tard, la nation mi’kmaq se fait toujours dire d’attendre la mise en œuvre de l’arrêt Marshall.
Comme l’a laissé entendre le chef Paul en 2019 lors d’une audience du Comité permanent des pêches et des océans :
L’un de nos problèmes, c’est que nous sommes des gens très patients. Par conséquent, le gouvernement, par l’intermédiaire du ministère des Pêches et des Océans, a mis en place des mesures provisoires. C’est en vertu de telles mesures que nous pêchons depuis, puisque nous continuons de pêcher du poisson en vertu de la réglementation du MPO comme tout le monde. Les responsables ont mis en place une mesure provisoire parce qu’il n’y avait rien en place pour appliquer la décision de la Cour. La décision de la Cour n’était pas celle qui avait été prévue. Personne au gouvernement ne croyait que nous allions gagner cette affaire.
Honorables sénateurs, permettez-moi de décrire métaphoriquement la situation actuelle d’une manière qui, je l’espère, vous fera comprendre sa principale réalité.
Imaginez si, par gentillesse, vous invitiez la famille d’un étranger chez vous, sur votre propriété. Alors que sa famille s’agrandit, vous concluez une entente pour partager votre terrain et vos ressources avec ses membres. Vient un temps où ces derniers renient l’entente et s’emparent de votre propriété, vous forçant ainsi à vivre dans une cabane au fond de la cour. Ensuite, ils vous somment de suivre leurs règles et vous empêchent de profiter de ce qui était autrefois votre terre, qu’ils considèrent maintenant comme étant leur de même que les ressources associées. Vous en appelez donc aux tribunaux, qui confirment que l’entente initiale est toujours en vigueur et que vous avez donc le droit d’utiliser vos terres et vos ressources — pas pour devenir riches comme vos voisins, mais juste pour subvenir à vos besoins. La famille que vous aviez invitée chez vous fait fi de la décision exécutoire du tribunal et vous accuse de menacer la pérennité des ressources, et ce, même si vous ne représentez que 5 % de la population. Lorsque vient le temps de la pêche sur vos terres, les membres de la famille refusent de vous protéger contre les actes de violence et de destruction de biens perpétrés par leurs proches. Que faites-vous?
Cette question est éclipsée par la myriade d’autres dont il faut tenir compte au moment d’examiner les 260 ans d’histoire de la pêche de subsistance convenable.
Par exemple, où était le ministère des Pêches et des Océans lorsque les traités de 1760-1761 ont été signés? Avait-on même envisagé de réglementer la pêche de subsistance convenable? Où se trouvaient les navires du ministère sur les flots? Le ministère avait-il besoin de conserver des stocks de poissons et de préserver d’autres intérêts publics?
Bien sûr que non. Les Mi’kmaqs suivent un système d’autogestion de la ressource millénaire fondé sur l’application du principe traditionnel mi’kmaq appelé Netukulimk.
Selon la définition de l’Institut des ressources naturelles Unama’ki :
Le Netukulimk est l’utilisation de la richesse naturelle fournie par le Créateur pour l’autonomie et le bien-être de l’individu et de la communauté. Le Netukulimk consiste à atteindre des normes de nutrition et de bien-être économique adéquates dans la communauté sans pour autant compromettre l’intégrité, la diversité ou la productivité de l’environnement.
En tant que Mi’kmaqs, nous avons le droit inhérent d’avoir accès et d’utiliser nos ressources et la responsabilité de le faire de façon durable. La gestion des ressources préconisée par les Mi’kmaqs revêt un élément spirituel qui lie les humains, les plantes, les animaux et l’environnement.
Avançons maintenant à il y a 12 semaines, lorsque le ministère des Pêches et des Océans a lancé de façon unilatérale sa nouvelle voie. Elle n’a rien de nouveau. C’est toujours le même itinéraire assuré vers le colonialisme.
Dans son rapport définitif à la ministre des Pêches et des Océans, Allister Surette, représentant spécial fédéral, affirme que, selon l’enquête qu’il a menée :
[...] la source du conflit dans le secteur de la pêche est le refus du ministère des Pêches et des Océans de reconnaître les droits et l’autodétermination des Autochtones, et de partager avec les collectivités autochtones la compétence du ministère des Pêches et des Océans en matière de pêche.
Une autre conclusion à laquelle on arrive rapidement à la lecture du rapport de M. Surette, c’est que l’objectif de cette nouvelle voie semble être de servir les intérêts de l’industrie commerciale.
M. Surette souligne ceci :
L’industrie commerciale a généralement estimé que la déclaration de la ministre était un pas dans la bonne direction, en particulier son engagement à faire respecter une saison de pêche commune pour tous, mais elle a encore des réserves sur un certain nombre d’enjeux qui pourraient affecter son industrie.
Il a ajouté ceci : « [...] les collectivités autochtones estiment que cette approche est inacceptable. »
Qui pourrait nous reprocher de penser cela? On dirait que la nouvelle approche stratégique a été conçue expressément dans l’intérêt des pêcheurs commerciaux, et que les conséquences pour les Autochtones ont été reléguées à l’arrière-plan.
Les questions sont nombreuses. Premièrement, qui la ministre Jordan a-t-elle consulté? Ce ne sont certainement pas les Mi’kmaqs, comme l’indique le communiqué du 4 mars dans lequel l’Assemblée des chefs mi’kmaqs de la Nouvelle-Écosse a déclaré ceci :
Le Canada affirme être prêt à entamer des discussions « de nation à nation », mais le ministère des Pêches et des Océans continue d’exercer sa domination sur notre nation en faisant des annonces, en prenant des décisions et en ne laissant aucune possibilité de discussion ou de consultation. Il manque ainsi à ses engagements concernant la relation de nation à nation, l’affirmation des droits et la réconciliation, et il fait complètement abstraction de notre gouvernance et de notre leadership.
Cependant, on semble avoir amplement consulté l’industrie. Quelques mois seulement avant la publication de la déclaration sur la nouvelle voie, le ministère des Pêches et des Océans et la Fédération des pêcheurs indépendants du Canada ont pris part à une série d’ateliers sur la réconciliation avec les peuples autochtones dans le domaine de la pêche.
Dans son rapport final, M. Surette s’est empressé de faire cette observation :
[...] les Autochtones estiment que le gouvernement du Canada continue d’adopter une approche coloniale dans ce domaine, en ne tenant pas compte de la gouvernance et du leadership des collectivités autochtones dans le cadre de l’engagement de « nation à nation », et qu’il continue donc d’imposer et de dicter ses règles sur les pêches, ce qui ne relève pas de sa compétence et de son mandat.
Comme autre réalité extrêmement troublante, on retrouve le rythme très lent avec lequel des mesures ont été prises pour freiner la violence grandissante entre les communautés. Il a fallu attendre un mois avant que la GRC augmente ses effectifs à Saulnierville, en Nouvelle-Écosse.
Un reportage de la CBC indiquait plus tôt cette semaine qu’un agent haut gradé de la GRC a demandé de l’aide pour payer le coût des services de police supplémentaires découlant du différend sur les pêches de l’automne dernier survenu dans le Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse, mais que la ministre de la Justice de la province avait résisté pendant deux semaines, et qu’elle n’y avait consenti qu’après que deux viviers contenant des homards pêchés par les Mi’kmaqs aient été vandalisés et qu’un soit plus tard incendié.
Ce reportage indiquait aussi que le chef de la nation de Sipekne’katik, Mike Sack, a déclaré que sa communauté avait tenté de collaborer avec la GRC, mais que l’aide était insuffisante pour assurer la sécurité des gens. On le cite ainsi :
Je me souviens du jour où nous étions coincés au vivier à homards. Pendant tout ce temps, on nous disait que d’autres agents de la GRC allaient arriver, mais ce n’était que des mensonges. Aucun autre agent de la GRC ne s’en venait. Tant de choses auraient pu être évitées.
Notre peuple a été laissé à lui-même. Que la province ait été au courant et qu’elle n’ait pas agi, cela ne passe pas très bien.
Le chef Sack a conclu en disant :
Cela a rendu notre expérience encore plus pénible. La GRC n’était pas là pour nous. Il y avait des agents sur place qui étaient formidables, mais, dans l’ensemble, elle a vraiment laissé tomber notre peuple.
J’ai parlé au ministre de la Sécurité publique Bill Blair, le 17 octobre, après des semaines d’affrontements, pour lui faire part de ma vive inquiétude au sujet des actes de violence. Il venait tout juste de recevoir une demande du gouvernement provincial de la Nouvelle-Écosse pour déployer des agents supplémentaires. Pourquoi la province a-t-elle attendu si longtemps?
Heureusement, malgré des provocations répétées, les Mi’kmaq n’ont pas réagi à la violence. Vous vous demandez peut-être pourquoi. C’est simple : ils respectaient le pacte établi et ils honoraient le traité de paix et d’amitié, qui est au cœur même de cet enjeu.
En parlant de la rapidité des interventions visant à désamorcer la crise croissante, le sénateur Francis, le député Jaime Battiste et moi avons cherché, en tant que parlementaires mi’kmaq canadiens, à communiquer respectivement avec les ministres fédéraux des Relations Couronne-Autochtones, des Affaires du Nord, des Services aux Autochtones et de Pêches et Océans Canada. Nous l’avons fait dans le seul but de suggérer des solutions pratiques, pragmatiques et novatrices pour atténuer le flou entourant la notion de subsistance convenable depuis la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Marshall il y a de cela des années. Nous avons proposé l’établissement d’un modèle de gestion des pêches qui permettrait que, à l’avenir, la pêche soit gérée notamment par l’entremise d’une autorité des pêches des Premières Nations de l’Atlantique.
Nous avons également fait valoir que, dans les situations où l’intervention du gouvernement pourrait être nécessaire en raison d’un refus de tenir compte du droit de pêcher pour en tirer une subsistance convenable ou de le respecter, le gouvernement devrait peut-être envisager la possibilité d’instaurer un quota pour le homard ou un système de total autorisé des captures. Non seulement cela assurerait la durabilité de la ressource, mais cela permettrait également de tenir compte de la primauté du droit au Canada et des valeurs mi’kmaqs du Netukulimk et de les honorer.
Malheureusement, comme tant d’éléments dans ce dossier, les solutions que nous avons suggérées ne semblent pas avoir été prises en considération, si tant est qu’on en ait pris connaissance. Heureusement, le problème a, à tout le moins, été examiné de plus près par les parlementaires de l’autre endroit. En effet, le Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes a fait une étude sur le droit de pêche visant à assurer une subsistance convenable et a publié son rapport il y a quelques semaines. En gros, j’estime que le rapport est un pas dans la bonne direction.
J’ai été heureux de constater les points positifs du rapport. Thierry Rodon, professeur agrégé et titulaire de la Chaire de recherche sur le développement durable du Nord à l’Université Laval, est d’avis que, dans sa politique de 1995 concernant la mise en œuvre du droit inhérent des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale et la négociation de cette autonomie, le gouvernement du Canada a reconnu le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale comme un droit ancestral existant en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il a déclaré :
La cogestion des ressources naturelles permet de reconnaître une double autorité : celle du gouvernement fédéral sur les pêches commerciales et celle des communautés autochtones sur la gestion de leurs ressources.
Le comité a également donné des exemples de plans mi’kmaqs de gestion de la récolte ayant pour objectif d’assurer la conservation des ressources halieutiques et comprenant entre autres des règles en matière de conservation, de sécurité et de reddition de comptes. En particulier, le chef Darcy Gray a décrit le plan de gestion de la pêche au homard du gouvernement mi’kmaq de Listugu de la façon suivante :
Nous comprenons la nécessité de bien réglementer la pêche. Nous comprenons que les droits sont assortis de responsabilités. Après plusieurs années de consultations communautaires, nous avons adopté notre propre loi et notre propre plan de gestion des pêches, qui régissent la pêche du homard, et qui permettent à notre peuple de vendre le homard, tout en veillant à ce que les efforts de pêche demeurent durables. Depuis deux ans, nous régissons nous-mêmes la pêche automnale. Les stocks de homard dans notre région demeurent sains. Nous n’avons pas connu de violence comme celle que vit la Nouvelle-Écosse. À notre avis, notre façon de gérer la pêche du homard est une réussite en matière d’autodétermination. Nous avons tenté de travailler avec le ministère des Pêches et des Océans. Au bout du compte, toutefois, nous nous sommes rendus là malgré le ministère.
J’ai également été très encouragé de voir le gouvernement du Canada songer à de nouveaux modèles de gouvernance respectant les traités et le droit canadien et visant le partage de l’autorité et du pouvoir de prendre des décisions avec les nations mi’kmaq et malécite.
Alors, nous attendons maintenant la réponse du gouvernement au rapport du comité de la Chambre des communes. Cependant, ce ne sera pas la seule réponse que le gouvernement du Canada devra fournir.
Comme si la situation n’était pas déjà assez désolante et complexe, le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale cherche maintenant à obtenir des réponses du Canada concernant le racisme et la violence subis par les pêcheurs de homard mi’kmaqs alors que, l’automne dernier, en Nouvelle-Écosse, ils exerçaient leur droit garanti par un traité de pêcher pour s’assurer une subsistance convenable. Le monde entier attend de voir nos réponses. C’est l’avenir de l’industrie canadienne de la pêche au homard qui est en jeu.
Comme nous l’a déjà rappelé Robert F. Kenney, « l’avenir ne nous est pas donné en cadeau; nous devons le bâtir. »
Alors, si nous voulons bel et bien que notre avenir soit fait de paix, de développement durable et de justice, dans le respect du droit à une subsistance convenable, nous qui siégeons dans cette auguste enceinte devons agir, tout comme le Canada doit agir et répondre aux questions du Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale.
Permettez-moi, en terminant, de citer un extrait du rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, qui nous rappelait ceci, il y a 25 ans :
Le Canada est le terrain d’essai d’une noble idée - l’idée selon laquelle des peuples différents peuvent partager des terres, des ressources, des pouvoirs et des rêves tout en respectant leurs différences.
Le droit de pêcher pour s’assurer une subsistance convenable fait partie de cette noble idée, et nous devons tous collaborer, chers collègues, pour que notre travail dans ce dossier nous conduise à une solution pacifique et donne de bons résultats à court et à long terme.
Je veux remercier personnellement les nombreux sénateurs ayant participé au débat sur la motion jusqu’à présent et leur exprimer ma reconnaissance. Je tiens tout particulièrement à remercier le sénateur Wells d’avoir proposé son amendement à la motion, et je prie maintenant humblement les sénateurs d’adopter à l’unanimité la motion dont nous sommes saisis. Wela’lioq. Merci.
Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion modifiée est adoptée.)