Le Sénat
Motion concernant le génocide perpétré par la République populaire de Chine contre les Ouïgours et d’autres musulmans turciques--Ajournement du débat
3 juin 2021
Conformément au préavis donné le 15 mars 2021, propose :
Que,
a)de l’avis du Sénat, la République populaire de Chine s’est livrée à des actions correspondant à ce que prévoit la Résolution 260 de l’Assemblée générale des Nations unies, couramment appelée « convention sur le génocide », dont la mise en place de camps de détention et de mesures visant à prévenir les naissances à l’égard des Ouïgours et d’autres musulmans turciques;
b)étant donné que (i) dans la mesure du possible, le gouvernement a comme politique d’agir de concert avec ses alliés lorsqu’il s’agit de reconnaître un génocide, (ii) il existe un consensus aux États-Unis, où deux administrations consécutives sont d’avis que les Ouïgours et d’autres musulmans turciques font l’objet d’un génocide organisé par le gouvernement de la République populaire de Chine, le Sénat reconnaisse qu’un génocide est actuellement perpétré par la République populaire de Chine contre les Ouïgours et d’autres musulmans turciques, demande au Comité international olympique de déplacer les Jeux olympiques de 2022 si la République populaire de Chine continue ce génocide et demande au gouvernement d’adopter officiellement cette position;
Qu’un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’informer de ce qui précède.
— Honorables collègues, à maintes reprises, j’ai souligné dans cette enceinte l’indépendance du Sénat au Parlement. Nous devons fonctionner indépendamment de l’autre endroit. Je défendrai toujours avec vigueur ce principe qui est au cœur du système de Westminster, au cours des 150 dernières années, mais rien n’empêche que les deux Chambres ont souvent fait la preuve d’une volonté et d’une capacité de travailler ensemble pour le plus grand bien de tous.
Il y a des moments dans l’histoire où nous nous sommes exprimés d’une seule voix puissante, et nous nous trouvons devant un de ces moments. Nous avons l’occasion de nous unir, comme nous l’avons fait plus tôt pour la motion no 4. Nous pouvons faire front commun, défendre des principes et être du bon côté de l’histoire.
C’est quelque chose que nous avons vu à maintes reprises tout au long de l’histoire. Partout dans le monde, des gens détournent le regard — parfois par inadvertance, parfois délibérément. Ils détournent le regard des atrocités qui sont perpétrées contre des hommes et des femmes. Il n’est pas toujours facile de prendre la parole ou de dénoncer. Les raisons peuvent être nombreuses, mais prendre la parole et dénoncer est la chose à faire. En tant que sénateurs et parlementaires, mais surtout en tant que Canadiens, nous devons nous exprimer au nom de notre nation et de notre peuple. Nous devons représenter le tissu social de notre nation, nos valeurs, et nous devons le faire d’une seule et même voix parlementaire.
C’est pourquoi la présente motion est la même que celle qui a été récemment adoptée par la Chambre des communes. Si le Sénat l’adopte, on pourra réellement dire que le Parlement du Canada a déclaré que les minorités musulmanes dans la région du Xinjiang sont victimes de génocide. Je crois que la gravité de la situation épouvantable des musulmans ouïgours et d’autres peuples en Chine continentale est évidente lorsqu’on constate que des sénateurs de tous les caucus et groupes ont cherché à attirer l’attention là-dessus et ont été en outre disposés à mettre de côté la partisanerie pour présenter cette motion.
Je souhaite remercier mon collègue de caucus, le sénateur Ngo, qui a travaillé avec moi durant la dernière législature sur la motion réclamant l’imposition de sanctions Magnitski à des dirigeants chinois impliqués dans ce génocide. Je le remercie de son appui indéfectible des droits de la personne.
Je veux aussi remercier la sénatrice McPhedran d’avoir fait un travail de sensibilisation et d’avoir accepté d’appuyer cette motion. Je la remercie de défendre indéfectiblement les droits de la personne.
Je remercie ma bonne amie, la sénatrice Jaffer, qui a aussi appuyé sans réserve la motion, d’être toujours du bon côté de l’histoire.
Je remercie également le sénateur Munson, ainsi que la sénatrice Julie Miville-Dechêne, qui m’a apporté son appui sans équivoque.
Je tiens aussi à remercier tous les sénateurs, qui savent que, en tant que Canadiens, nous devons être du bon côté de ces questions. Le fait est que cette question transcende la politique et les programmes politiques.
Chers collègues, je suis d’accord avec ceux qui demandent de faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit d’utiliser le mot « génocide ». Ce n’est pas un mot à utiliser à la légère. Il comporte certaines ramifications juridiques pour la communauté internationale, alors nous devrions nous tourner, je crois, vers la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 pour nous guider lorsqu’il faut déterminer si certaines actions constituent un génocide.
Dans la présente convention, le génocide est défini comme suit :
[...] l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) Meurtre de membres du groupe;
b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.
La convention de 1948 porte sur des actes visant à détruire physiquement un groupe en particulier. Étant donné qu’elle a été conçue à la suite de l’Holocauste en Europe, les circonstances qui ont mené à l’adoption de ce texte sont sans équivoque. Il est tout aussi évident que le traitement réservé par le régime communiste chinois aux minorités musulmanes du Xinjiang est sans aucun doute un génocide.
Afin de bien comprendre la portée des événements, nous devons remonter aux origines, en mentionnant d’abord que la région que la Chine appelle le Xinjiang est en réalité le territoire du Turkestan oriental occupé par la Chine. Cette région compte principalement des Chinois appartenant à l’ethnie han, comme partout en Chine, mais on y trouve aussi la minorité musulmane ouïghoure.
Au fil des années, l’arrivée de musulmans ouïghours venus des régions occidentales pour s’établir dans les centres manufacturiers dynamiques du Sud a créé des tensions ethniques. Ces tensions, qui se sont aggravées avec les années, ont parfois mené à de violentes manifestations.
Selon des documents obtenus par le New York Post, c’est dans ces circonstances que le président Xi Jinping a décidé, en 2014, de déployer toute la puissance du régime autoritaire de la Chine contre les Ouïghours et les autres minorités musulmanes de la région.
Aujourd’hui, comme à cette époque, le président se justifie en disant qu’il est nécessaire de prendre ces mesures contre ceux qu’il qualifie de terroristes. À quoi cela ressemble-t-il, honorables sénateurs? Les autorités chinoises ont immédiatement commencé à regrouper les musulmans ouïghours, à les enlever dans les rues, à les arracher à leurs foyers en disant aux membres de leurs familles, y compris les jeunes enfants, que leurs proches seraient envoyés dans des écoles de formation et qu’ils pourraient ne plus jamais revenir.
Au départ, le gouvernement chinois a nié l’existence de ces camps d’internement, mais lorsqu’on lui a présenté des images satellite prouvant leur existence, il a dit qu’il s’agissait de « camps de rééducation ». Les fonctionnaires chinois tentent encore de faire croire que tout le monde a terminé sa formation et a été libéré. C’est cependant tout à fait faux selon les images satellite et les membres de la famille des personnes internées.
Que se passe-t-il réellement dans ces camps, honorables sénateurs? Les prisonniers subissent un endoctrinement psychologique, de la torture physique dont des simulations de noyade, des sévices sexuels, des avortements forcés et une stérilisation de masse. Il y aurait apparemment jusqu’à 300 camps d’internement. Ils ont une superficie moyenne de 300 acres et bon nombre d’entre eux ont pris de l’ampleur au cours de la dernière année, selon les indications. Jusqu’à 3 millions de personnes, soit 30 % de la population ouïghoure, seraient détenues dans ces camps de concentration.
Les Ouïghours qui ne sont pas internés sont aussi victimes d’oppression et de travail forcé. Selon un rapport de l’Australia Strategic Policy Institute, les gens qui font du travail forcé travaillent pour des entreprises appartenant à BMW, à Nike et à Huawei, pour ne nommer que ceux-là.
La menace d’être interné pour la moindre infraction aurait terrorisé toute la population et l’aurait réduite au silence. Comme le rapporte la BBC, la région est maintenant couverte par un réseau omniprésent de surveillance, y compris des barrages policiers et des caméras qui balayent tout, des plaques d’immatriculation aux visages des gens, y compris leurs expressions, et les discussions qu’ils ont entre eux. Certaines personnes affirment avoir trouvé des caméras chez eux. La technologie de reconnaissance faciale n’est pas la seule à être utilisée, d’autres données biométriques sont également utilisées, notamment l’ADN et la reconnaissance vocale. Les Ouïghours sont contraints de remettre des échantillons de ces informations aux autorités locales et d’installer des applications de localisation sur leurs appareils mobiles.
À ce niveau de surveillance orwellien s’ajouterait une campagne de stérilisations forcées, chers collègues. Selon des documents obtenus par le Sous-comité des droits internationaux de la personne de la Chambre des communes, cette région représente environ 80 % des implantations de stérilets en Chine. Le taux de natalité dans la région aurait diminué de presque 24 % dans la dernière année. Puis, il y a les politiques d’établissement qui visent à inciter un grand nombre de Hans à s’installer parmi la population locale d’Ouïghours.
Honorables sénateurs, cela relève indiscutablement du génocide selon la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide. Pourtant, le régime communiste de Chine s’attend non seulement à ce que nous croyions le contraire, mais il poursuit sa campagne de menaces et d’intimidation envers les pays occidentaux qui osent le questionner. Dans certains cas, des pays ont été complices des tentatives de Pékin visant à exterminer la population ouïghoure, en procédant à l’arrestation d’Ouïghours exilés pour les retourner en Chine.
Il ne fait aucun doute que le régime Xi cherche également à nous faire taire. Il lui est déjà arrivé de menacer de répercussions nos collègues du Parlement. Honorables sénateurs, nous ne devons toutefois pas le laisser nous décourager, puisqu’il n’a certainement pas réussi à décourager notre plus grand allié, les États-Unis d’Amérique.
Il y a quelques mois, le Sénat des États-Unis a présenté une résolution bipartisane visant à tenir la Chine responsable d’un génocide envers les personnes appartenant à l’ethnie ouïghoure, à l’ethnie kazakhe et à d’autres minorités musulmanes. Deux administrations successives, de même que l’ancien et le nouveau secrétaire d’État, ont reconnu que les actions du régime chinois constituaient un génocide. Tout cela se passe au vu et au su du monde entier. L’État autoritaire de Chine commet ces atrocités, ces crimes contre l’humanité, avec impunité. Il se montre arrogant dans l’affichage de son mépris flagrant de la vie humaine et des droits de la personne. Nous ne devons pas permettre que cela se poursuive de manière incontrôlée.
Nous disons toujours « plus jamais ». Nous l’avons fait après l’Holocauste. Puis, il y a eu le génocide au Rwanda, qui a profondément marqué notre ami et ancien collègue l’honorable Roméo Dallaire. Voici ce qu’a dit l’ancien sénateur Dallaire sur ce qui se passe en Chine :
Soit vous êtes une grande nation qui croit en ses valeurs et en ce que son drapeau représente, et ce pour quoi tant de gens sont morts [...] soit vous êtes cela, soit vous ne l’êtes pas.
Je suis tout à fait d’accord avec notre ancien collègue le sénateur Dallaire.
Nous ne pouvons pas prétendre être une nation qui défend les droits de la personne et la liberté de religion tout en restant silencieux lorsque nous voyons ce qui se passe en Chine. Nous ne pouvons pas dénoncer l’islamophobie dans notre pays, mais ne rien dire devant un génocide qui est perpétré contre des musulmans ailleurs dans le monde. Ce n’est pas la façon de faire au Canada. Notre nation n’a jamais reculé face à la tyrannie. Nous ne devrions pas commencer maintenant. Nos actions en tant que Canadiens et parlementaires doivent refléter nos valeurs et notre réputation de longue date de défenseurs des droits de la personne, de la liberté de religion, de la démocratie et de la primauté du droit. Nous devons nous exprimer d’une seule voix et dire non, nous ne permettrons pas qu’une telle chose se produise — plus jamais.
Honorables sénateurs, depuis trop longtemps, la Chine, le régime chinois, bafoue les libertés et la démocratie à Hong Kong avec les menaces qu’elle fait peser sur la population de Hong Kong. Nous avons vu comment ce pays se moque du droit international avec l’affaire des deux Michael et celle d’autres citoyens canadiens. Nous avons vu son penchant belliqueux avec les agressions qu’elle a menées contre ses pays voisins, comme Taïwan et l’Inde. Il faut dénoncer la Chine. Il faut lui demander des comptes. Nous ne devrions pas accepter qu’un partenaire commercial agisse d’une façon qui serait inacceptable au Canada.
J’espère que vous appuierez la motion à l’étude. Il a fallu bien trop de temps avant que soit présentée cette motion qui tombe sous le sens et qui reflète les valeurs du Canada et des Canadiens : défendre les hommes et les femmes qui sont écrasés par la tyrannie et par un régime autoritaire.
Je ne sais pas ce qui empêche cet appel à dénoncer la situation au nom des Canadiens, mais nous avons ce soir l’occasion de parler d’une seule voix, de soutenir la Chambre des communes et de soutenir les valeurs canadiennes et je vous exhorte à me redonner ma fierté de parlementaire, à défendre ces valeurs au bénéfice des minorités vulnérables qui sont écrasées par la tyrannie et par l’oppression autoritaire.
Merci, honorables sénateurs, merci beaucoup.
Honorables sénateurs, je vous parle ce soir depuis le territoire non cédé du peuple algonquin.
Ce débat intervient au cours d’une semaine où la découverte tragique de nouveaux charniers — contenant les restes de 215 enfants à Kamloops — vient aggraver la condamnation dont nous faisons l’objet pour le fonctionnement séculaire des pensionnats, la stérilisation forcée et ce que l’ancien juge en chef du Canada a qualifié de génocide culturel des peuples autochtones.
Cette horrible réalité de notre histoire contraste de façon plutôt cynique avec le ton moralisateur et arrogant de la motion dont nous sommes saisis ce soir.
Honorables sénateurs, je prends la parole pour m’opposer à la motion dont nous sommes saisis, et j’aimerais prendre quelques minutes pour vous expliquer mes motivations.
Ce faisant, je voudrais parler des questions suivantes : l’objectif de la motion et le contexte dans lequel on nous la présente. Que signifie un vote contre cette motion, et comment le Sénat devrait-il traiter les enjeux soulevés? En examinant l’objectif de cette motion, je me suis posé certaines questions pour déterminer s’il m’était possible de l’appuyer, étant donné l’importance des questions qu’elle aborde. Comme première question, je me suis demandé : cette motion aidera-t-elle les deux Michael?
Chers collègues, à la réflexion, j’en viens à la conclusion qu’elle ne les aidera pas, mais qu’elle compromettra plutôt le traitement réservé aux deux Michael. Dans sa chronique de ce matin du National Post, John Ivison explique qu’il a changé d’avis sur la façon dont le Canada devrait aborder la question des deux Michael, et qu’au bout du compte, une solution politique s’avérera nécessaire. Chers collègues, je dirais, puisque je crois qu’il a raison, que les motions comme celle dont nous sommes saisis ne nous aident pas à arriver à une solution politique. Je vous exhorte à tenir compte de la situation fragile et à ne pas compromettre les négociations concernant les deux Michael.
Comme deuxième question, je me suis demandé : cette motion exacerbera-t-elle la violence envers les Asiatiques au Canada ou l’atténuera-t-elle? À l’instar de nombreux sénateurs et de nombreux Canadiens, je me préoccupe de l’escalade de la violence envers les Asiatiques au Canada en général, et notamment de la violence envers les Chinois. Je crois qu’il nous revient, à nous qui formons la Chambre de second examen objectif, de chercher à apaiser la colère que plusieurs ressentent, qu’elle soit légitime ou non, et de ne pas adopter de motion qui exacerberait les attitudes que l’on retrouve dans notre société.
Cette motion nous aidera-t-elle à mieux comprendre les intérêts du Canada dans le cadre de ses relations avec la Chine? Non. C’est une motion qui relève de la colère. Elle vise à soulever la situation grave dans laquelle se trouvent nos compatriotes dans certaines régions de la Chine, mais, il faut le reconnaître, elle ne contribuera pas à améliorer notre dialogue avec la Chine au sujet de ces questions et du contexte général qui y est lié. Cette motion n’améliorera pas les droits de la personne en Chine, au contraire, elle mènera à une fermeture et à une réaction défavorable, et je ne crois pas que c’est de cette façon que nous arriverons à influencer la Chine concernant ces pratiques et d’autres enjeux qui nous préoccupent.
Cette motion améliorera-t-elle la capacité du gouvernement du Canada à intervenir auprès du gouvernement de la Chine au sujet d’enjeux bilatéraux et multilatéraux qui méritent une attention urgente? Je crois, chers collègues, que cette motion minera ce genre d’entreprises, alors que le monde doit discuter d’enjeux avec la Chine qui relèvent des relations multilatérales, mais aussi des relations bilatérales auxquelles le Canada est confronté.
La motion à l’étude demande que les Jeux olympiques qui doivent se tenir en Chine soient boycottés. D’après moi, ce sont les athlètes et le mouvement olympiques canadiens qui seront pénalisés par cette motion et par la demande qu’elle contient. Cela ne contribuera en rien à répondre aux préoccupations soulevées dans la motion et minera le mouvement olympique tout en faisant des athlètes canadiens des victimes.
Dans le cadre de la période des questions et du présent débat, certains ont mis en doute la motivation du gouvernement du Canada et sa capacité à « tenir tête à la Chine ». Le sénateur Housakos a parlé de la motion présentée à la Chambre des communes, et il a dit que le pouvoir exécutif canadien n’avait pas appuyé la motion. Certains ont avancé l’hypothèse que c’est par faiblesse ou par désir de la part du gouvernement canadien de ne pas critiquer trop sévèrement les autorités chinoises.
Honorables collègues, je crois que, si elle est adoptée, la motion à l’étude entraînera une détérioration considérable de nos relations avec ce pays, et que cela nuirait, non pas aux sénateurs, mais aux deux Michael et à notre capacité de trouver un terrain d’entente avec nos interlocuteurs chinois. Cela nous empêcherait de discuter avec eux d’enjeux liés aux droits de la personne.
Chers collègues, nous vivons un moment de l’Histoire ou de multiples périls nous guettent. La domination américaine de la période de l’après-guerre est remise en question non pas par le retour de la guerre froide, mais plutôt par l’émergence de la Chine, qui a presque atteint la parité. Cette remise en question de l’exceptionnalisme américain survient à un moment particulièrement difficile dans la vie démocratique de nos amis aux États-Unis. Je donne ce contexte parce que nous devons certainement nous concentrer sur la meilleure façon de guider la défense des intérêts du Canada dans le monde d’aujourd’hui et de demain. Il ne suffit pas de susciter la rage du public pour défendre nos intérêts. Nous vivons une période où nos relations avec la Chine sont tendues sur un large éventail de questions, et la motion dont nous sommes saisis ne nous apporte aucune solution pour réduire les tensions.
Que signifie un vote contre cette motion? Pour ma part, cela ne signifie certainement pas que les questions soulevées ne sont pas importantes et, franchement, qu’elles ne devraient pas être soulevées auprès de nos interlocuteurs en Chine. Je les ai moi-même soulevées et je continuerai à le faire. Je les ai même soulevées aujourd’hui auprès de représentants chinois dans le contexte des événements à Kamloops. Nous devons trouver des façons de nouer des dialogues respectueux qui démontrent notre engagement sur les questions soulevées par le sénateur Housakos, mais qui ne mettent pas en danger nos intérêts nationaux et le bien-être des Canadiens.
Je dirais que le Sénat du Canada devrait se pencher sur les questions soulevées dans la motion et sur le contexte plus général dont j’ai parlé au sujet de la relation entre le Canada et la Chine, et que nous devrions faire ce que nous faisons le mieux, c’est-à-dire mener un second examen objectif et faire des recommandations au gouvernement du Canada pour que l’on se penche sur la forme que notre relation avec une Chine en pleine évolution devrait prendre dans les mois et les années à venir. Cela pourrait s’avérer utile tant pour informer le public que pour amener le gouvernement à réfléchir à la façon de composer avec les circonstances en évolution que j’ai mentionnées.
Je suis particulièrement préoccupé par deux changements qui se produisent dans les relations bilatérales entre les grandes puissances mondiales actuelles : la Chine et les États-Unis. Je crains que des erreurs de calcul stratégiques soient commises de part et d’autre, et que des discours politiques enflammés empêchent toute possibilité de compromis et de coopération politiques dans les dossiers que nous devons faire avancer pour le bien de la planète et pour entretenir les relations nécessaires pour faire des progrès à l’égard de ces enjeux.
L’ancien président Obama a dit avec éloquence que « ce qui est troublant, c’est l’écart entre l’immensité des défis qui nous attendent et le manque d’ambition de nos politiques [...] ».
Honorables collègues, j’espère que ce que nous ferons de cette motion reflétera non pas le manque d’ambition de nos politiques, mais la volonté du Sénat de relever les défis immenses qui nous attendent. Merci.
Le sénateur Harder accepterait-il de répondre à une question?
Certainement.
Sénateur Harder, vous avez tout à fait raison de dire que nous devrions nous efforcer de relever les défis qui nous attendent. Nous devons faire face à un régime chinois qui ne respecte absolument aucune norme du travail comparativement au Canada. Le régime chinois n’a établi aucune norme pour la protection de l’environnement, comme il en existe au Canada. Le régime chinois ne respecte aucunement la propriété intellectuelle, alors que nous la respectons au Canada.
Nous nous trouvons fondamentalement — c’est un point que vous n’avez pas mentionné — devant un régime qui détient des millions de membres de la minorité musulmane dans des camps de concentration, où ils sont torturés. Deux Canadiens sont détenus illégalement depuis plus de 900 jours. Voilà le problème qu’il faut régler. Vous n’en avez pas vraiment parlé dans votre discours, sinon pour expliquer pourquoi le gouvernement du Canada maintient le dialogue.
Le gouvernement actuel dialogue avec le régime chinois, il continue de fermer les yeux sur les comportements odieux que j’ai mentionnés, et plus encore. Je pourrais en parler pendant des heures. Pourriez-vous nous donner l’exemple d’un résultat concret que le gouvernement du Canada a pu obtenir grâce à ce dialogue et à ce qu’il fait pour apaiser le régime chinois? La situation des deux Michael s’est-elle améliorée depuis deux ans? Les Ouïghours de Chine souffrent-ils moins? La Chine est-elle soudainement prête à adhérer à certains des principes et des valeurs chers aux Canadiens?
Cette institution qu’on appelle le Sénat n’est pas le porte-parole du pouvoir exécutif : nous parlons plutôt au nom des Canadiens et des valeurs canadiennes.
Pourriez-vous me donner des exemples concrets qui illustreraient comment le dialogue a fait avancer les choses afin que ce régime tyrannique commence à se comporter de la façon attendue de la part d’un allié et d’un partenaire commercial?
Je vous remercie de la question, sénateur Housakos. Ma réponse portera sur un contexte plus large parce que vous avez utilisé des termes comme « apaiser » et « régime tyrannique » ainsi que d’autres descriptions de la Chine qui, en toute honnêteté, me semblent complètement inappropriés pour obtenir un engagement plus grand.
Bien franchement, vous formulez des critiques qui ne sont pas propres à un pays. Il serait possible d’attirer l’attention sur un certain nombre de pays auxquels s’appliquent les préoccupations que vous avez soulevées au sujet des droits de la personne et des pratiques internationales.
Pour ma part, je ne vais pas, dans une tribune publique comme le Sénat du Canada, chercher à condamner un pays au même moment où je veux établir des liens avec lui. Je ne vois pas comment, chers collègues, nous ferons des progrès dans le dossier des changements climatiques en insultant ceux que nous voulons convaincre de prendre des mesures plus strictes. Je ne vois pas comment nous allons établir un régime commercial plus fort sans chercher des partenaires en faveur d’une réforme de l’OMC dans le bassin de pays que nous condamnons avec cette résolution et le ton de la question.
Je vais aussi parler des mesures qui sont prises par certains pays. Je sais que, dans les derniers jours de l’administration Trump, le secrétaire d’État d’alors a formulé des commentaires au nom de son gouvernement au sujet de ce qu’il décrivait comme un « génocide ». L’administration Biden révise avec raison cette déclaration parce qu’il n’a pas été établi que les 48 critères de la convention ont été remplis.
Ce que je veux faire valoir, sénateur, c’est que nous devrions descendre de nos grands chevaux et tenter de collaborer plus efficacement, et non de façon belliqueuse ou agressive, avec les pays avec lesquels il faut collaborer, et pas seulement la Chine. J’en resterai là pour ce soir. Merci.
Honorables sénateurs, j’interviens pour appuyer la motion du sénateur Housakos, qui vise à reconnaître le génocide perpétré par la République populaire de Chine contre les Ouïghours et d’autres musulmans d’origine turque. Je tiens à remercier le sénateur Housakos d’avoir présenté cette motion extrêmement importante au Sénat.
Chers collègues, les atrocités commises depuis maintenant des années sont tellement scandaleuses, tellement troublantes en raison de la dépravation morale dont elles témoignent et d’une telle portée qu’elles correspondent parfaitement à la définition de génocide.
Des experts ont très bien décrit le sort des Ouïghours et d’autres musulmans d’origine turque comme la détention la plus massive de membres d’une minorité ethnoreligieuse depuis l’Holocauste.
Le Newlines Institute for Strategy and Policy, groupe de réflexion non partisan, en collaboration avec le Centre Raoul-Wallenberg pour les droits de la personne — important groupe de défense des droits de la personne auquel contribuent plus de 30 experts mondiaux et d’éminents avocats spécialisés en la matière — a publié en mars dernier un rapport qui montre sans l’ombre d’un doute que la Chine viole la convention des Nations unies sur le génocide et qu’elle commet un génocide contre les Ouïghours.
En février dernier, en dépit de l’absence remarquée et très suspecte du premier ministre et des membres de son Cabinet, une motion adoptée à l’unanimité à l’autre endroit a reconnu que les actes haineux perpétrés par le Parti communiste chinois contre les Ouïghours et d’autres musulmans d’origine turque constituent un génocide, faisant du Canada le premier pays à prendre une telle mesure après les États-Unis.
Des images satellite, les témoignages des survivants et les documents du gouvernement chinois ayant fait l’objet d’une fuite brossent un portrait sombre et horrible d’un mal orchestré à grande échelle : un appareil orwellien de surveillance de masse par l’État surveille les moindres faits et gestes des Ouïghours; les dirigeants ouïghours qui parlent ouvertement sont tués; les mosquées et les sites sacrés sont démolis; les enfants sont séparés de leurs parents et transférés dans d’autres régions de la Chine; et les parents sont séparés les uns des autres, interpellés arbitrairement et détenus de force dans ce que le gouvernement chinois qualifie hypocritement de « centres de rééducation ». Cependant, les survivants affirment sans équivoque qu’il s’agit de « camps de concentration » ou de « goulags chinois ».
En 2019, une fuite de documents hautement classifiés du gouvernement chinois, connus sous le nom de China Cables, confirme la nature sinistre de ces camps et révèle les manuels sur les opérations d’internement de masse et d’arrestation par algorithme.
Bien que les chiffres varient, on estime qu’au moins 2 à 3 millions d’Ouïghours sont incarcérés. Les détenus sont victimes d’abus sexuels et de tortures systématiques, ils font l’objet d’un endoctrinement politique, d’une stérilisation forcée, d’une régulation des naissances obligatoire et d’une assimilation forcée, et ils doivent renoncer à leur foi.
Chers collègues, je félicite le premier ministre d’avoir énoncé une évidence lorsqu’il a déclaré, à juste titre, que le génocide est un acte « extrêmement lourd de sens ». Je pense que nous sommes tous d’accord avec le premier ministre pour dire qu’une si grave allégation ne peut être faite que sur la base de « faits et de preuves » et qu’elle doit être « clairement et correctement justifiée et démontrée ».
Or, le premier ministre et son Cabinet refusent de reconnaître que plusieurs organismes crédibles et grands spécialistes ont déjà entamé un tel processus. Grâce à l’examen rigoureux des abondantes preuves et des nombreux témoignages convaincants, ils ont été en mesure de conclure que les atrocités perpétrées au Xinjiang constituent réellement des « crimes contre l’humanité » et qu’elles équivalent irréfutablement à un génocide.
Chers collègues, les preuves sont accablantes, si accablantes qu’une foule d’acteurs étatiques et non étatiques partout dans le monde ont déclaré qu’un génocide était commis au Xinjiang. La liste est longue et elle comprend, en plus de la Chambre des communes, le Sous-comité des droits internationaux de la personne de la Chambre des communes, non pas une, mais deux administrations américaines consécutives, le Parlement néerlandais, le Parlement britannique, le Parlement lituanien, d’éminents groupes de réflexion, d’importants groupes de défense des droits de la personne, une coalition de plus de 30 experts mondiaux, d’éminents avocats spécialistes des questions internationales des droits de la personne, dont l’honorable Irwin Cotler, ancien ministre libéral de la Justice et procureur général; l’honorable Allan Rock, ancien ministre libéral de la Justice et ancien ambassadeur du Canada aux Nations unies; l’honorable Lloyd Axworthy, ancien ministre libéral des Affaires étrangères; ainsi que l’honorable Yves Fortier, avocat en droit international de renom, ancien ambassadeur du Canada aux Nations unies et ancien président du Conseil de sécurité des Nations Unies.
Honorables sénateurs, si cette liste n’est pas assez impressionnante pour vous, il y a aussi notre estimé et héroïque ancien collègue et lieutenant-général à la retraite, l’honorable Roméo Dallaire qui, comme vous le savez, a été le témoin direct du génocide rwandais au beau milieu d’une tragique indifférence de la communauté internationale. Lui aussi appelle cela un génocide et exhorte le gouvernement à agir.
Honorables sénateurs, je ne suis malheureusement pas surpris de la position mollassonne adoptée par le premier ministre et son cabinet, qui refusent d’appeler cela un génocide. Comme nous l’avons vu à maintes reprises, ils ont une politique claire d’apaisement vis-à-vis de la Chine et ils font preuve d’un mépris flagrant pour les avis d’experts, la sécurité nationale et les droits de la personne.
Comme la rédaction du Washington Post l’a déclaré dans un éditorial publié le 16 mai et intitulé « Selon un nouveau rapport, la répression des Ouïghours par la Chine n’est pas seulement culturelle, mais aussi physique ». Je cite l’article :
APRÈS l’Holocauste [...] On a promis « plus jamais ».
Soit que l’on croie à « plus jamais », soit que l’on contribue à « encore une fois ».
Voici un message au premier ministre et à son Cabinet. Je cite l’honorable Roméo Dallaire, qui a indiqué, à juste titre :
On est soit une grande nation qui croit en ses valeurs et en ce que représente son drapeau, et que tant de personnes ont défendu au prix de leur vie [...] On l’est ou on ne l’est pas.
En effet, le moment est venu pour le gouvernement Trudeau de faire ce qui s’impose : reconnaître que les actes odieux commis par le Parti communiste chinois contre les Ouïghours constituent un génocide; demander au Comité international olympique de déplacer les Jeux olympiques de 2022 si la République populaire de Chine continue ce génocide et imposer des sanctions au titre de la loi de Magnitsky à tous les fonctionnaires du gouvernement chinois qui sont responsables ou complices de la perpétration de violations flagrantes des droits de la personne.
Le Canada a toujours été une figure de proue dans la lutte pour la démocratie, la liberté, les droits de la personne et la primauté du droit — les valeurs mêmes qui constituent le fondement de notre grande nation.
Chers collègues, je suis profondément convaincu qu’à titre de Chambre de second examen objectif, nous avons l’obligation morale de confirmer cette position courageuse fondée sur des principes. Veillons à ce que le Sénat ne soit pas reconnu comme une institution qui plie devant la lâcheté, l’intérêt individuel et la toute-puissance de l’argent. Choisissons plutôt de nous ranger du bon côté de l’histoire et d’honorer réellement cette promesse cruciale : « plus jamais ».
Honorables collègues, ne restons pas silencieux. Utilisons notre voix pour dénoncer cette terrible tragédie du XXIe siècle, ce véritable génocide. Merci.
Je propose l’ajournement du débat à mon nom. J’ai été nommée, je crois. Sénatrice Ringuette, je crois que vous m’avez donné la parole.
L’honorable sénatrice Duncan, avec l’appui de l’honorable sénateur Woo, propose que le débat soit ajourné à la prochaine séance du Sénat. Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion et qui sont sur place veuillent bien dire oui.
Que les sénateurs qui sont contre la motion et qui sont sur place veuillent bien dire non.
À mon avis, les non l’emportent.
Je vois deux sénateurs se lever, pour demander la tenue d’un vote.
Nous votons maintenant? Il faut demander le consentement.
Les sénateurs sur place consentent-ils à la durée proposée de la sonnerie? Que ceux qui s’y opposent veuillent bien dire non. Le consentement est accordé pour la tenue du vote dès maintenant.
Honorables sénateurs, le vote porte sur la motion suivante : l’honorable sénatrice Duncan, avec l’appui de l’honorable sénateur Woo, propose que le débat soit ajourné jusqu’au prochain jour de séance.
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion et qui sont...
Pourriez-vous répéter sur quoi porte le vote, s’il vous plaît?
Sur l’ajournement du débat.
Oui.
Voulez-vous que je répète la motion d’ajournement?
Non. Ce n’est pas ce que j’avais compris, mais c’est correct, Votre Honneur.
Que tous ceux qui sont en faveur de la motion d’ajournement et qui sont présents dans la salle du Sénat veuillent bien se lever.