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Projet de loi no 1 d'exécution du budget de 2021

Troisième lecture

29 juin 2021


L’honorable Colin Deacon [ - ]

Honorables sénateurs, j’espère que vous avez bien mangé. Un bref récapitulatif : avant la pause, j’ai souligné l’importance du volet concernant l’apprentissage des jeunes enfants du plan d’apprentissage et de garde des jeunes enfants présenté dans le budget et de l’initiative visant à accélérer la numérisation de nos petites et moyennes entreprises. Je vais maintenant parler de la Loi sur les activités associées aux paiements de détail qui est proposée, et de la façon dont les changements dans la réglementation contribueront à réduire les coûts pour les petites entreprises et les consommateurs et à diminuer la fraude par carte de crédit.

L’immobilisme de la réglementation a empêché les Canadiens d’avoir accès à des services de paiement concurrentiels à l’échelle mondiale.

Je vous donne un exemple. Une néobanque basée en Inde a développé un système de paiement innovant sur des téléphones intelligents. Ce système ne coûte presque rien aux commerçants et les aide à faire de la publicité et à fidéliser leurs clients, mais il a aussi permis de diviser par plus de 20 le taux de fraudes par rapport aux taux de fraude par carte de crédit au Canada. Ce qui est remarquable, c’est que ce système de paiement mondial ait été mis au point à Toronto, mais qu’il n’ait pas été disponible au Canada en raison de l’immobilisme de notre réglementation dans le secteur bancaire.

La Loi sur les activités associées aux paiements de détail permettra enfin aux Canadiens d’accéder à ces services synonymes d’améliorations de la productivité. Malheureusement, on ne sait toujours rien sur l’énorme potentiel économique et social qui sera libéré par le système bancaire ouvert, ou ce qu’on appelle maintenant les services financiers axés sur le consommateur.

La loi d’exécution du budget comprend un grand nombre de mesures progressives visant à lutter contre le blanchiment d’argent. Cependant, le Canada n’a pas de bon programme législatif pour s’attaquer à ce problème omniprésent qui représente des billions de dollars chaque année. Comme je l’ai mentionné et comme le sénateur Downe l’a fait remarquer la semaine dernière, il y a toutefois eu un point positif avec la création du registre fédéral de la propriété effective. Cela dit, les modifications apportées à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes dans la section 6 de la partie 4 du projet de loi C-30 sont progressives et, comme l’a souligné le Comité des banques, insuffisantes. Nous avons déterminé que le gouvernement doit envisager des mesures supplémentaires pour améliorer l’application du régime canadien de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

D’après les estimations des Nations unies, il faut savoir que les méchants gagnent 99,8 % du temps. Au mieux, l’argent provenant d’activités criminelles n’est intercepté que dans 1,1 % des cas, et ce, malgré le fait que — j’en suis sûr — toutes les personnes impliquées ont déployé des efforts inouïs. Malheureusement, ce que nous faisons, ce que le monde fait et la façon dont nous le faisons ne fonctionnent pas. Nous devons changer de stratégie.

Examinons un moment le marché des technologies de réglementation qui devrait croître de 21 % par année jusqu’en 2026. Ce marché offre au Canada une occasion incroyable de se démarquer en habilitant un nouveau secteur d’activités dont la mission consiste à aider les gouvernements et les institutions financières à intercepter les transactions financières liées au crime organisé ou à des activités terroristes. Ce nouveau secteur correspond parfaitement à l’image de marque du Canada et nous avons déjà des chefs de file des technologies de réglementation sur la scène mondiale. Je songe notamment aux sociétés Verafin, à Terre–Neuve, et Trulioo, en Colombie–Britannique. Or, comme je l’ai mentionné hier soir dans mon intervention sur le projet de loi C-10, en dépit de ce potentiel, le Canada s’en tient à une approche coercitive en matière de réglementation.

S’agissant des marchés émergents et de l’exploitation des marchés numériques, la ministre du Gouvernement numérique a souligné que le Canada doit mettre en œuvre un plan pancanadien en matière d’identité numérique. Toutefois, ni le budget ni le projet de loi C-30 ne prévoient un financement ou des changements législatifs pour un tel plan.

L’identité numérique permet une authentification fiable des pièces d’identité et des titres de compétence lorsque les applications Internet et mobiles exigent de tels documents. Pensons par exemple aux transactions bancaires, aux services gouvernementaux, aux soins de santé et aux dossiers médicaux. Un cadre d’identité numérique robuste met à l’abri des cyberattaques et des vols de renseignements personnels ou d’identité, et il a été prouvé qu’il comporte des avantages considérables sur les plans économique et social, notamment parce qu’il coûte peu et qu’il favorise l’inclusion financière, sociale et politique. Toutefois, il est inquiétant de constater que faute de leadership coordonné, on commence à voir une fragmentation des efforts dans le domaine de l’identité numérique, ce qui risque de déboucher sur un ensemble disparate de lois, éventualité qui limiterait sérieusement les avantages de ces technologies.

Une mesure législative doit être mise en place pour créer un cadre d’identité numérique fiable et encourager son utilisation au sein de tous les ordres de gouvernement, du secteur privé et du secteur à but non lucratif, un peu comme ce qui a été fait en Australie. Celle-ci peut prendre appui sur les normes nationales existantes, comme celles publiées par le Conseil stratégique des dirigeants principaux de l’information, et conférer les pouvoirs requis pour intégrer ces dernières dans la réglementation.

Au bout du compte, tout cela est lié au fait que le Canada ne s’est pas encore doté d’assises réglementaires adéquates pour devenir plus concurrentiel. Cela limitera notre prospérité future. Bien que le Bureau de la concurrence Canada ait reçu une aide financière additionnelle de 96 millions de dollars sur cinq ans, ce financement n’a pas été assorti de nouveaux pouvoirs. Nous sommes très loin de mettre à profit les avantages que pourrait nous procurer le Bureau de la concurrence Canada s’il détenait tous les pouvoirs nécessaires pour optimiser la concurrence comme moyen de stimuler l’innovation dans toutes nos sphères économiques.

La concurrence est probablement plus importante que jamais. Elle stimule l’innovation qui permet d’accroître la productivité, ce qui améliore notre compétitivité à l’échelle mondiale et, au bout du compte, notre prospérité au cours des prochaines décennies. D’autres pays ont inscrit des évaluations officielles obligatoires de la concurrence dans leur examen des nouvelles mesures législatives. L’Australie possède un accord sur les principes de la concurrence; la France, le Code de commerce; la Corée du Sud, une loi sur la réglementation des monopoles et le commerce équitable; et le Japon, des lignes directrices sur l’évaluation stratégique de la réglementation. Nous devons donner à notre Bureau de la concurrence les moyens d’exiger l’examen des programmes, des politiques, des règlements et des lois afin de déterminer s’ils limitent la concurrence au Canada. Ce type de pouvoir permettra de débloquer la stagnation réglementaire qui limite l’innovation, la productivité, la croissance et, au bout du compte, notre prospérité.

Que ce soit bien clair, je ne propose pas une déréglementation. Je propose une réglementation souple, capable de s’adapter à l’évolution de la technologie, des modèles d’affaires, ainsi que des besoins et des attentes des consommateurs. Le Canada a besoin de davantage d’innovation, et ce à tous les niveaux. Les entrepreneurs aiment résoudre des problèmes. Plus le problème est important, plus ils s’enthousiasment. Malheureusement, Innovation Canada est toujours considéré comme étant chargé de l’innovation au Canada. Changeons cette perception et priorisons une approche pangouvernementale, en particulier tandis que nous nous efforçons de sortir de la récession causée par la COVID.

Le projet de loi C-30 contient une foule de bonnes idées et est tourné vers l’avenir, mais il reste encore beaucoup à faire pour créer des occasions à partir de la multitude de défis actuels et émergents auxquels le Canada est confronté. Merci, chers collègues.

L’honorable Elizabeth Marshall [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-30, la Loi d’exécution du budget, et du budget de 2021, qui a été déposé au Parlement le 19 avril.

Le budget de 2021 énonce les priorités et les plans de dépenses du gouvernement pour l’exercice en cours et les quatre prochains. Plus précisément, le gouvernement propose des dépenses supplémentaires de 101 milliards de dollars au cours des trois prochaines années, y compris 49 milliards de dollars pour cette année.

Dans l’Énoncé économique de l’automne 2020, ces dépenses supplémentaires de 101 milliards de dollars étaient décrites comme un plan de stimulation visant à accélérer la reprise économique et à créer des emplois. En fait, l’énoncé économique de l’automne et le budget de 2021 contiennent tous les deux l’engagement de créer 1 million d’emplois.

Les dépenses supplémentaires de 49 milliards de dollars prévues pour cette année permettront notamment de verser 14 milliards de dollars dans des programmes de soutien aux travailleurs touchés par la pandémie; 12 milliards de dollars pour soutenir les entreprises et les emplois, essentiellement par l’entremise de la Subvention salariale d’urgence du Canada et de la Subvention d’urgence du Canada pour le oyer, et 3 milliards de dollars pour mettre en place un système pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants.

Les 20 milliards de dollars restants sont alloués à environ 240 initiatives budgétaires, dont les coûts varient et peuvent s’élever jusqu’à 1,7 milllion de dollars.

Ces dépenses supplémentaires ou de relance ont été critiquées par plusieurs organisations et personnes réputées, qui s’interrogent sur la nécessité et le moment des investissements et se demandent si ces 100 milliards de dollars supplémentaires sont vraiment nécessaires.

Dans son rapport de 2021 sur les consultations au titre de l’article IV, le Fonds monétaire international dit que l’engagement du gouvernement fédéral à dépenser jusqu’à 4 % du PIB du Canada au cours des trois prochaines années pour soutenir la relance requiert plus de justifications.

Notre propre Bureau du directeur parlementaire du budget critique les dépenses supplémentaires de 100 milliards de dollars, remettant en question leur opportunité et l’évaluation de leur impact. Le gouvernement a promis de créer un million d’emplois, mais le directeur parlementaire du budget estime que ces mesures ne créeront que 89 000 emplois.

Honorables sénateurs, les déficits budgétaires et la dette croissante sont devenus un problème financier de taille pour le gouvernement. La dernière année a été éprouvante; les déficits se sont creusés, et la dette a augmenté.

Le projet de loi C-14, adopté en mai, a fait passer le plafond de la dette de 1,1 billion de dollars à 1,8 billion de dollars.

À la fin de mars 2020, il y a seulement 15 mois, la dette du gouvernement s’élevait à 1 billion de dollars. On prévoit maintenant qu’elle atteindra 1,8 billion de dollars d’ici la fin de mars 2024. Il s’agit d’une augmentation considérable : on parle de 651 milliards de dollars de plus ou d’une augmentation de 60 % sur une période de quatre ans.

Cette année, le gouvernement estime que ses revenus, principalement composés de recettes fiscales, couvriront environ 71 % de ses dépenses. Le manque à gagner, c’est-à-dire les 29 % restants, qui représentent 154 milliards de dollars, sera emprunté.

Honorables sénateurs, deux thèmes sont ressortis au Comité des finances et ont été revisités à quelques reprises au cours de notre étude du budget : les préoccupations concernant la dette et le déficit, ou plus précisément comment nous rembourserons la dette et diminuerons les déficits, ainsi que le risque d’une hausse des taux d’intérêt.

Un représentant de l’Institut C.D. Howe est venu témoigner au Comité sénatorial des finances et il a donné son avis au sujet du budget de 2021. Ses commentaires au sujet du caractère « plutôt optimiste » des scénarios budgétaires présentés par le gouvernement et du fait que le moindre changement de la croissance économique et des taux d’intérêt pourrait avoir un effet spectaculaire sur la progression du fardeau de la dette étaient particulièrement inquiétants.

Le budget repose sur des prévisions qui estiment que les taux d’intérêt demeureront bas et qu’il y aura une croissance économique. Il suffit de comparer l’énoncé économique de l’automne présenté en novembre au budget présenté en avril pour comprendre l’impact de l’augmentation du taux d’intérêt sur le déficit projeté par le gouvernement. Dans les quatre mois qui se sont écoulés entre la présentation de l’énoncé économique et celle du budget, le paiement des intérêts de la dette publique a augmenté de 1,8 milliard de dollars, passant de 20,3 milliards de dollars à 22,1 milliards de dollars.

Même le budget produit par le gouvernement montre l’impact qu’aura une augmentation de 100 points de base des taux d’intérêt sur le déficit. Dans la première année, une telle augmentation ferait croître le déficit de 1 milliard de dollars, et à la cinquième année, de 5 milliards de dollars.

Honorables sénateurs, l’OCDE a récemment publié ses perspectives économiques. Si l’organisation s’est dite favorable aux mesures d’aide financière mises en place par le gouvernement pour soutenir les entreprises et les ménages, son rapport précise également ceci :

[...] lorsque l’économie repartira sur de bons rails, il y aura lieu d’envisager une stratégie budgétaire à moyen terme pour réduire la dette publique.

L’OCDE ajoute :

Étant donné que selon les prévisions, la dette publique ne devrait être allégée que modestement durant les quatre années de 2022-23 à 2025-26, une stratégie budgétaire à moyen terme devrait viser à restaurer une certaine marge de manœuvre après que la pandémie aura cédé du terrain.

Honorables sénateurs, les temps sont incertains. La dette du gouvernement n’a jamais été aussi élevée et elle continue de croître. Des déficits sont prévus pour encore bien des années, lesquels devront être financés par un endettement supplémentaire. Une dette supérieure limitera la marge de manœuvre financière pour absorber le prochain choc financier, et ce sont les futures générations qui en hériteront.

Depuis 15 mois, le bilan de la Banque du Canada s’est élargi considérablement, c’est-à-dire de centaines de milliards de dollars, principalement en raison de son achat d’obligations du gouvernement du Canada. En effet, la Banque du Canada a rajusté ses achats hebdomadaires d’obligations du gouvernement du Canada en fonction d’une cible de 3 milliards de dollars par semaine. Au cours de la prochaine année, cela totalisera 156 milliards de dollars, soit le montant exact que le gouvernement dit devoir emprunter cette année.

Le taux d’inflation était de 3,4 % en avril et de 3,6 % en mai, ce qui est nettement supérieur à la cible de 2 % que vise la Banque du Canada.

On prévoit une hausse des taux d’intérêt, ce qui augmentera le coût du service de la dette publique, de la dette des entreprises et de la dette des particuliers, y compris la dette hypothécaire.

Ces faibles taux d’intérêt rendent les nouvelles dépenses « abordables » pour le gouvernement tant et aussi longtemps qu’ils demeurent faibles, mais c’est très risqué. Si les taux d’intérêt augmentent, le coût du service de la dette augmentera, ce qui limitera les dépenses pour les autres programmes du gouvernement.

L’endettement des ménages canadiens est également préoccupant. Selon l’OCDE, l’endettement des ménages canadiens s’élève à 176 %, ce qui est le taux le plus élevé parmi les pays du G7. Nous sommes les citoyens les plus endettés du G7.

Le gouverneur de la Banque du Canada, la présidente de la Société canadienne d’hypothèques et de logement, le Fonds monétaire international et l’OCDE ont tous indiqué que l’endettement des ménages représente un risque pour l’économie canadienne. Lorsque la présidente de la SCHL a témoigné devant le Comité des finances, elle a déclaré que les propriétaires s’endettaient de façon excessive et que, même s’il ne s’agit peut-être pas actuellement d’un problème, l’endettement excessif crée une fragilité économique.

Si l’économie subit un autre choc financier ou si les taux d’intérêt augmentent, les propriétaires de maison pourraient être confrontés aux mêmes défis que le gouvernement.

Un plan d’apprentissage et de garde des jeunes enfants est l’une des principales initiatives du budget de 2021. Le gouvernement propose de nouveaux investissements de 30 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années pour mettre en œuvre un système pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants en collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux. Sur les 30 milliards de dollars qui devraient être dépensés au cours des cinq prochaines années, 3 milliards ont été versés cette année et 5 milliards le seront l’an prochain.

L’objectif est de partager les coûts du programme à parts égales avec les provinces et les territoires. Les fonctionnaires nous ont dit que les discussions avec ces derniers ont déjà commencé. Un financement de 916 millions de dollars a été prévu dans le Budget supplémentaire des dépenses (A), et les fonds leur seront transférés dès que des accords bilatéraux auront été conclus.

Les objectifs du programme sont ambitieux et ils comprennent une réduction de 50 % des frais moyens des services réglementés d’éducation préscolaire et de garde d’enfants dans toutes les provinces, à l’exception du Québec, d’ici 2022 — c’est-à-dire dans les 18 prochains mois.

Lors de l’étude de cette partie du projet de loi C-30, le Comité des affaires sociales a suggéré que le gouvernement étudie la possibilité d’améliorer les enquêtes nationales existantes afin de recueillir les informations nécessaires pour évaluer le succès du nouveau système et pour éclairer les décisions politiques futures. Ces renseignements sont nécessaires pour que les 30 milliards de dollars atteignent les objectifs fixés.

Lorsque les fonctionnaires ont témoigné devant le Comité des finances au début du mois, ils ont fourni très peu d’information sur le programme. Étant donné qu’un objectif majeur doit être atteint au cours des 18 prochains mois — à savoir réduire de moitié le coût moyen des services réglementés d’éducation préscolaire et de garderie dans toutes les provinces à l’extérieur du Québec —, je m’attends à ce que le ministère fasse rapport de ses progrès par rapport à cet objectif. Les fonctionnaires auront du mal à atteindre cet objectif. Prévoyant investir 8 milliards de dollars dans ce programme au cours des 18 prochains mois, nous saurons bientôt si cet argent permettra d’atteindre l’objectif de réduire de moitié le coût moyen de ces services d’ici la fin de l’année prochaine.

À l’heure actuelle, les programmes de la Subvention salariale d’urgence du Canada et de la Subvention d’urgence du Canada pour le loyer ainsi que les mesures de soutien en cas de confinement arriveront à échéance ce mois-ci. Le projet de loi C-9, qui a reçu la sanction royale en novembre 2020, a prolongé le programme de subvention salariale jusqu’à la fin de ce mois-ci. Le projet de loi propose de prolonger de nouveau le programme de subvention salariale jusqu’au 25 septembre et de l’éliminer progressivement du 4 juillet au 25 septembre en diminuant le taux de la subvention pour chacune des trois périodes de quatre semaines.

Le gouvernement a prévu 10 milliards de dollars dans son budget pour prolonger le programme de subvention salariale jusqu’au 25 septembre. Jusqu’à maintenant, ce programme et la formule utilisée pour calculer le montant de la subvention à laquelle une entreprise a droit sont inclus dans la loi. Chaque prolongation du programme et chaque changement à la formule a été présenté au Parlement pour débat et approbation. J’ai parlé de ce programme à plusieurs reprises au Sénat.

Le projet de loi C-30 propose d’accorder au ministre le pouvoir de prolonger par règlement le programme de subvention salariale et sa formule de calcul jusqu’au 30 novembre. Il n’y aura pas de possibilité de débat parlementaire. La prolongation du pouvoir de dépenser est déjà prévue aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Comme aucune somme n’est prévue dans le budget si le programme est prolongé du 25 septembre au 30 novembre, cela augmentera le déficit et les sommes que le gouvernement devra emprunter.

Le projet de loi propose aussi de prolonger jusqu’au 25 septembre la Subvention d’urgence pour le loyer du Canada et la mesure de soutien en cas de confinement. Comme c’est le cas pour le programme de subvention salariale, les sommes versées au titre de ces deux mesures seront graduellement réduites.

Le gouvernement a prévu 1,9 milliard de dollars dans le budget de 2021 pour la prolongation de la subvention pour le loyer et de la mesure de soutien en cas de confinement. Le projet de loi propose aussi de prolonger jusqu’au 30 novembre, par voie de règlement, la subvention pour le loyer et la formule qui s’y rattache. Dans ce cas également, le Parlement n’en débattra pas, car le pouvoir de dépenser a déjà été accordé, et aucune somme n’est prévue dans le budget si le programme est prolongé du 25 septembre au 30 novembre.

En résumé, le gouvernement n’a pas à obtenir l’approbation du Parlement pour la prolongation des programmes, pas plus que pour d’autres changements à ces programmes ou aux montants des subventions. Le gouvernement n’a même pas besoin d’obtenir l’approbation du Parlement pour dépenser.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-30 propose d’apporter plusieurs modifications à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Cette section du projet de loi C-30 a été soumise au Comité des banques pour examen.

En outre, le gouvernement propose de consacrer 2 millions de dollars à la mise en place, d’ici 2025, d’un registre de la propriété des entreprises accessible au public.

Les lois du Canada sur le blanchiment d’argent sont parmi les plus faibles de toutes les démocraties libérales. Lors de son témoignage devant notre comité, James Cohen de Transparency International Canada, nous a dit que le Canada est reconnu comme étant un abri sûr pour les fonds illicites, en raison de la faiblesse de ses lois contre la corruption et de son laxisme dans leur application. Transparency International Canada est le chapitre canadien de l’organisme Transparency International, le chef de file mondial en matière de lutte contre la corruption.

Le Comité des banques s’est penché sur cette section du budget, comme on peut le constater dans cet extrait du rapport du comité :

Le comité est de nouveau déçu par les efforts déployés par le gouvernement fédéral pour lutter contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme, la corruption, l’évasion fiscale, l’évitement fiscal et d’autres activités criminelles connexes. Le comité estime que les modestes changements proposés [...] sont insuffisants et que le gouvernement devrait peut-être envisager d’autres mesures pour améliorer l’application du régime canadien de lutte contre le blanchiment d’argent et le régime de financement du terrorisme.

Le comité constate que le budget fédéral de 2021 propose de consacrer 2,1 millions de dollars sur deux ans à la mise sur pied d’un registre accessible au public de la propriété effective. Ce registre est un élément essentiel d’un système robuste pour contrer des infractions criminelles comme celles mentionnées ci-dessus. La mise en œuvre n’aura toutefois pas lieu avant 2025. Le financement proposé expirerait en 2023 et aucun financement n’est proposé pour la période de deux ans précédant la date de mise en œuvre. Par conséquent, le comité estime que le financement proposé pourrait ne pas suffire et se demande si le système de transparence de la propriété effective sera achevé d’ici 2025 [...]

Le comité croit que le Canada sera encore plus à la traîne de ses pairs si la mise en œuvre tarde jusqu’en 2025.

Honorables sénateurs, la Colombie-Britannique enquête activement sur le blanchiment d’argent. La Commission Cullen a été instaurée en 2019 pour enquêter sur l’ampleur et les répercussions du blanchiment d’argent dans la province ces 15 dernières années. La Commission Cullen a publié son rapport provisoire en novembre.

Revenons en arrière pour donner un peu de contexte concernant l’engagement du gouvernement à lutter contre le blanchiment d’argent ces dernières années.

Dans le budget de 2017, le gouvernement fédéral s’est engagé à mettre en œuvre des normes rigoureuses en matière de transparence pour les sociétés et la propriété effective afin de fournir des moyens de protection contre le blanchiment d’argent. L’année suivante, dans le budget de 2018, il s’est engagé à apporter des modifications aux lois sur les sociétés afin d’obliger ces dernières à améliorer la disponibilité des renseignements sur la propriété effective. Puis, dans le budget de 2019, le gouvernement a créé l’Équipe d’action, de coordination et d’exécution de la loi pour la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité...

Son Honneur le Président [ - ]

Sénatrice Marshall, je m’excuse de vous interrompre, mais votre temps de parole est écoulé.

La sénatrice Marshall [ - ]

Merci beaucoup, Votre Honneur. Je vais garder mes notes pour ma prochaine intervention.

L’honorable Rosemary Moodie [ - ]

Honorables sénateurs, j’interviens au sujet du projet de loi C-30, la Loi d’exécution du budget de 2021.

Chers collègues, il convient de souligner l’importance de ce budget. Les 15 derniers mois ont été marqués par la pandémie de COVID-19 et les ravages qu’elle a causés. Pendant cette période, nous avons, en tant que pays, discuté et débattu de ce dont notre société aura besoin au sortir de la pandémie. Nous avons aussi redéfini ce qui est essentiel, ce qui constitue une société bienveillante et comment nous devons nous occuper les uns des autres, et nous nous sommes engagés à agir différemment, en tant que pays, après la tragédie que nous avons connue.

De nombreux responsables de politiques sont plus que jamais prêts à entreprendre les changements radicaux et ambitieux qui ont déjà trop tardé dans beaucoup de domaines, comme les soins de longue durée, l’assurance-médicaments, le logement et la réforme du régime d’assurance-emploi. Nous savons que le statu quo ne fonctionne pas et qu’il faut tracer une nouvelle voie et créer un Canada qui servira les intérêts de tous les Canadiens.

Aujourd’hui, je parlerai de l’un de ces enjeux, un enjeu qui nécessitera des gestes concrets de la part du gouvernement pour que les améliorations nécessaires puissent avoir lieu. Je parlerai de la garde des enfants.

Je ne répéterai pas les jalons historiques que la sénatrice Dasko a déjà si bien décrits. Ils représentent des décennies de petits investissements consacrés à un système qui ne procure pas aux enfants et à leur famille les services dont ils ont besoin.

Une étude de l’UNICEF a comparé le rendement de 41 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE, en matière de garde d’enfants. Les résultats du Canada sont plutôt décevants : 22e au classement général, au 16e rang pour l’accès et 21e rang pour l’abordabilité des services de garde. Si on réfléchit davantage à la disponibilité et à l’accès, on constate que le taux d’inscription global pour les enfants de 2 à 4 ans n’était que de 53 % avant la pandémie. Nous nous situons au milieu du classement en ce qui concerne l’accessibilité financière, la garde de deux enfants coûtant un peu moins de 20 % du revenu d’une famille. Le rapport souligne également que le coût élevé de la garde d’enfants exacerbe les inégalités et dissuade les femmes de reprendre le travail.

Puis est arrivée la pandémie, qui a fortement réduit la participation des femmes au marché du travail, le fardeau des soins aux enfants leur incombant. Selon un rapport de la Banque Royale du Canada datant de 2020, les femmes ont été beaucoup plus susceptibles de quitter le marché du travail. L’emploi chez les femmes ayant des enfants en bas âge ou d’âge scolaire a chuté de 7 % au cours des premiers mois de la pandémie, comparativement à 4 % chez les pères. Regagner le terrain perdu ne sera pas facile pour de nombreuses femmes, chers collègues.

Ces questions ont suscité de nouveau des appels en faveur des services de garde d’enfants en tant que politique de soins et en tant que politique économique importante qui aura un impact considérable sur la prospérité de tous, en favorisant la participation des femmes au marché du travail. Le budget de 2021 a fait de la garde d’enfants une priorité politique, ce qui nous permet de passer de mesures inefficaces et progressives à des actions énergiques et substantielles.

L’investissement de 3 milliards de dollars que le gouvernement compte faire pour l’exercice en cours et qui, comme nous l’avons entendu, sera bonifié correspond, au dollar près, à ce qui a été demandé par ceux qui militent en faveur d’une telle politique. Nous savons que la prochaine étape consistera à négocier avec les provinces, mais comment devrait-on mener de véritables négociations, et quels sont les résultats escomptés?

J’aimerais vous faire part d’une vision stratégique tirée d’un article que j’ai coécrit avec Margaret McCain, 27e lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick et auteure du rapport Early Years Study sur les services de garde et l’éducation préscolaire. Je présenterai aussi des témoignages reçus par le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie lors de son étude de la section 34 de la partie 4 du projet de loi C-30.

Premièrement, pour ce qui est de la vision, les services de garde devraient être offerts à titre facultatif à partir de l’âge de 2 ans. Ainsi, on se trouverait à bonifier les services d’éducation en reconnaissant adéquatement les services d’éducation préscolaire. Les services de garde devraient être offerts et accessibles tant aux parents qui travaillent qu’à ceux qui ne travaillent pas. C’est un service qui contribuera de façon considérable au développement de l’enfant et qui l’aidera à accroître son potentiel.

Le Comité des affaires sociales a écouté le témoignage de Craig Alexander, économiste en chef et conseiller de la haute direction chez Deloitte Canada. Il a suggéré que, dans une province comme la Colombie-Britannique, où plus de 1,6 milliard de dollars est consacré annuellement à l’éducation spéciale, l’éducation préscolaire jouerait un rôle clé pour préparer les enfants à l’école, pour favoriser un meilleur développement cognitif et pour procurer d’importantes économies à long terme pour l’éducation spéciale. En outre, il a affirmé qu’il était plus simple et moins coûteux de corriger les problèmes de développement plus tôt au cours de la vie d’un enfant.

Le droit aux programmes de garde d’enfants permettra aussi éventuellement de produire de la main-d’œuvre plus résiliente et mieux qualifiée. Les programmes de garde d’enfant doivent être universels, c’est-à-dire qu’ils doivent être accessibles à tous, en particulier aux enfants handicapés et à ceux qui sont issus de groupes marginalisés. Morna Ballantyne, directrice générale de l’organisation Child Care Now, a affirmé au Comité des affaires sociales que le fait de rendre universels les programmes de garde d’enfants constituait une stratégie clé pour favoriser l’inclusion sociale et renforcer la mosaïque culturelle canadienne. À mon avis, l’universalité implique également l’abandon des modèles traditionnels en vue de la prestation des soins à un vaste éventail d’enfants. Par exemple, il y a de nouveaux modèles qui offrent des services de garde d’enfants à des personnes travaillant par quart, et non selon l’horaire normal de neuf à cinq.

Les services de garde devraient être de grande qualité, qu’il s’agisse des garderies, de la formation de leur personnel ou des ressources à leur disposition. Dans le témoignage qu’elle a livré au comité, la ministre Qualtrough a reconnu la nécessité de normaliser et de rationaliser la formation offerte aux éducateurs canadiens. Comme l’a affirmé Mme Ballantyne, la normalisation doit être conjuguée à de sérieux efforts pour garder le personnel qualifié en lui offrant des salaires concurrentiels.

Le sujet de la formation a aussi été abordé dans le rapport du comité, qui a loué la décision de mettre l’accent sur la normalisation de la formation et de l’éducation offertes aux travailleurs. Au-delà de la formation, tous les enfants devraient être gardés dans un établissement de qualité pouvant collaborer directement avec le gouvernement fédéral, qui investirait des capitaux dans les infrastructures des services de garde.

Les services de garde devraient être financés par l’État afin que les exploitants de garderie n’aient pas à dépendre des parents pour payer leurs frais d’exploitation. Cela aurait pour effet de réduire le coût pour les parents, tout en garantissant que les enfants continuent à être gardés si l’un de leurs parents perd son emploi. Mme Ballantyne a fait remarquer au comité que le financement direct des services de garde au Québec a non seulement réduit les coûts, mais amélioré la qualité des services offerts.

Enfin, les services de garde devraient être gérés publiquement. Dans les dernières décennies, nous avons vu que les pressions du marché ne permettent pas d’offrir des services de garde accessibles et abordables. De tels services doivent être gérés publiquement pour garantir la répartition des ressources, la reddition de comptes et la transparence.

Ce dernier point soulève la question suivante : quel est le rôle du gouvernement fédéral? À mon avis, en faisant des services de garde un élément central du budget et une priorité en matière de politiques, le gouvernement a déjà fait preuve de leadership. Bien sûr, les services de garde sont et seront gérés par les centres locaux et administrés par les provinces, mais le gouvernement fédéral a un rôle à jouer.

Le Cadre multilatéral d’apprentissage et de garde des jeunes enfants de 2017, qui contient un grand nombre des principes dont j’ai parlé, démontre que le gouvernement fédéral peut jouer un rôle en établissant un cadre de référence sur l’étendue et les principes des services de garde dans les provinces.

Dans son témoignage, M. Alexander a affirmé que le gouvernement du Canada pourrait fournir des données et des analyses qui serviraient à établir le rendement de divers systèmes, ce qui pousserait les provinces à adopter les modèles ayant les meilleurs résultats.

Les données pourraient aussi nous permettre de suivre l’accessibilité et de relever les déserts en matière de services de garde pour assurer un accès équitable aux services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants pour les communautés qui en ont le plus besoin.

Dans son rapport, le comité a indiqué la nécessité de disposer de données fiables et a proposé d’améliorer l’Enquête canadienne sur la santé des enfants et des jeunes pour récolter ces données. En outre, je voudrais aussi suggérer au gouvernement fédéral d’autres moyens, comme des subventions pour mener des projets pilotes et des tests sur les modèles de prestation, afin d’améliorer les résultats envisagés.

Nous avons entendu Ken Boessenkool, professeur praticien de la Fondation J.W. McConnell à l’École de politiques publiques Max Bell de l’Université McGill, qui a proposé au gouvernement fédéral de réformer la déduction pour frais de garde d’enfants afin qu’elle soit plus substantielle pour les familles à revenu faible ou moyen, et de la convertir en allocation mensuelle.

Je suis d’accord avec cette proposition, car c’est une étape qui relève entièrement du fédéral. Ainsi, le gouvernement peut prendre une mesure immédiate et substantielle à court terme. Certains pourraient penser que des éléments de son témoignage s’opposent aux réformes généralisées envisagées par le gouvernement fédéral, mais je suis heureuse de connaître son point de vue et je crois qu’il est important d’utiliser tous les outils dont nous disposons.

Chers collègues, toute tentative pour mettre sur pied un programme universel pour l’apprentissage et la garde des jeunes enfants doit s’accompagner de négociations entre le gouvernement fédéral et les provinces. Il y a des signes positifs de progrès et des accords passés qui peuvent servir de base aux discussions. Néanmoins, plus de deux mois après la présentation du budget, on ne sait toujours pas où en sont les négociations, et je trouve cela préoccupant. J’espère que nous aurons bientôt des nouvelles.

En conclusion, chers collègues, je dirai que, bien que ce budget ne soit pas parfait, il montre que pour trouver des solutions judicieuses, il faut les bonnes personnes. Après de nombreuses décennies d’activisme, c’est la première femme ministre des Finances du Canada qui a pris l’engagement de mettre en place un système universel de garde d’enfants. Ce sont des femmes universitaires et des leaders d’opinion comme Armine Yalnizyan et Kate Bezanson qui ont sonné l’alarme sur l’effet démesuré de la pandémie sur la participation des femmes à l’économie et qui ont contribué à modifier profondément le débat politique. Ce sont des voix importantes qui ont influé sur la prise de décisions et les changements.

Je reconnais aussi qu’il reste beaucoup de travail à faire. Le Canada doit consolider ses politiques en matière de congé parental afin que les parents puissent s’occuper de leurs enfants au cours des premiers mois cruciaux de leur vie.

Nous devons également améliorer l’abordabilité et l’accès dans d’autres domaines, notamment le logement et la nourriture, afin de remédier à l’insécurité alimentaire. C’est important, car faire du Canada le meilleur pays où élever une famille et être un enfant est la clé pour attirer et conserver une main-d’œuvre de qualité, pour produire les innovateurs et les leaders de demain ainsi que pour favoriser, à long terme, notre prospérité, notre richesse et notre leadership moral sur la scène internationale.

Je crois que l’on comprend mieux maintenant que prendre soin les uns des autres est non seulement la bonne chose à faire, c’est également une politique économique judicieuse. J’espère que cette leçon ne s’estompera pas à la suite de cette pandémie.

Par conséquent, je vous invite à appuyer le projet de loi, comme j’ai l’intention de le faire. Merci, meegwetch.

L’honorable Marilou McPhedran [ - ]

Honorables sénateurs, en tant que sénatrice du Manitoba, je reconnais que je vis sur le territoire du Traité no 1, le territoire des peuples anishnabeg, des Cris, des Oji-Cris, des Dakotas, des Dénés et de la patrie de la nation métisse.

Je tiens également à souligner que le Parlement du Canada est situé sur le territoire non cédé et non restitué du peuple algonquin anishinabe, et que de nombreuses personnes d’un peu partout sur l’île de la Tortue se joignent à nous aujourd’hui, qu’elles soient situées sur des terres cédées ou non cédées.

En tant que sénatrice indépendante du Manitoba, territoire du Traité no 1 et terre natale de la nation métisse, je félicite la sénatrice Lucie Moncion des compétences et de la grâce qu’elle a démontrées en tant que marraine de cet important projet de loi au Sénat.

Chers collègues, le projet de loi C-30 présente diverses facettes. Certaines sont très avant-gardistes et inspirantes et d’autres, un peu moins.

Un pan stimulant de l’histoire féministe a été écrit lorsque la première ministre des Finances de l’histoire du Canada, la vice-première ministre Chrystia Freeland, a présenté son premier budget en avril, pendant la deuxième année de la récession causée par la COVID-19, la pire et la plus rapide contraction de l’économie depuis la Grande Dépression.

Nous savons que la pandémie a touché de façon disproportionnée les travailleurs à faible revenu, les jeunes, les femmes et les Canadiens racisés, dont plusieurs sont des travailleurs essentiels qui doivent continuent de travailler en première ligne malgré les risques.

Pour que la relance puisse réellement être féministe, le projet de loi doit comprendre un plan pour générer des emplois pour ces travailleurs, qui sont en majorité des femmes. Ce plan doit aider les parents, en particulier les mères, à atteindre leur plein potentiel économique pendant que leurs enfants sont en sécurité et il doit investir dans la viabilité de la démocratie canadienne en prévoyant une aide substantielle pour que les prochaines générations de jeunes apprenants soient bien préparées à devenir des leaders, qui auront à subir les conséquences découlant de ce que font ou de ce qu’omettent de faire les leaders actuels.

J’entends appuyer le projet de loi à l’étude, mais, dans mon discours, je parlerai surtout d’intersectionnalité, des femmes et des jeunes dans le contexte du plan de relance féministe qui, nous a-t-on dit, est au cœur du projet de loi C-30, mais qui peut être difficile à trouver.

Les entrepreneures au Canada contribuent énormément à la viabilité économique du pays et, dans la récession en cours, certaines ont prospéré, mais de nombreuses entreprises, en particulier de petites entreprises, n’ont pas réussi à survivre.

C’est un bon signe que les 22 millions de dollars prévus dans le budget pour les femmes entrepreneures servent, entre autres, à financer un programme de microcrédit qui découle de la consultation auprès des femmes entrepreneures. Quarante et un pour cent des prêts accordés dans le cadre des programmes fédéraux ont été octroyés à des femmes, mais on cherche maintenant à accorder 50 % des prêts aux femmes autochtones.

Le budget peut être considéré comme un document féministe à certains égards.

Grâce au projet de loi, l’Allocation canadienne pour enfants apportera d’énormes améliorations au Canada. Cependant, l’une des répercussions les plus destructrices de la pandémie de COVID-19 dans l’ensemble du pays a été l’augmentation du nombre de cas signalés de violence familiale et de violence faite aux enfants. Les services sociaux canadiens reçoivent presque deux fois plus d’appels liés à la violence familiale qu’avant la pandémie. Selon Statistique Canada, une femme sur dix a déclaré ressentir « beaucoup ou énormément d’inquiétude » quant à la possibilité de violence familiale pendant la pandémie de COVID-19. Bien que le projet de loi n’en donne pas les détails, nous pouvons raisonnablement prévoir que le plan d’action national visant à réduire la violence familiale comprendra le financement des refuges pour femmes, des services de santé, des lignes d’écoute téléphonique et d’autres services sociaux.

Puisque le budget porte principalement sur la relance après la pandémie de COVID-19, il est dommage qu’il ne contienne aucune mesure précisément conçue pour faciliter la reprise économique des femmes qui ont été exposées à un grave danger pendant des mois. Le projet de loi C-30 ne prévoit pas l’adoption d’un tout premier plan d’action national contre la violence fondée sur le sexe, mais nous savons que plus de 600 millions de dollars seront investis sur cinq ans, dès cette année.

Nous avons grandement besoin d’aider à rebâtir, à réparer et à financer 35 000 unités de logement abordable pour les Canadiens vulnérables en investissant 2,5 milliards de dollars et en réaffectant 1,3 milliard de dollars tirés de fonds existants.

Les paragraphes 24(22) et 24(23) du projet de loi présentent le Programme d’embauche pour la relance économique du Canada, qui vise à faciliter la réembauche des employés qui ont été mis à pied en raison de la pandémie tout comme l’embauche de nouveaux employés. Cependant, il n’y a aucune disposition prévue pour inciter les employeurs à embaucher des membres des groupes de la communauté LGBTQ2+ et les femmes. Ce sont pourtant les groupes qui ont été les plus durement touchés par la pandémie, et une telle disposition permettrait d’inclure un volet féministe au projet de loi.

Ces deux exemples mettent en évidence la possibilité d’obtenir des résultats différents grâce à l’adoption d’une perspective féministe au moment de mettre en œuvre la mesure législative.

La relance après la pandémie est un élément essentiel du projet de loi. Cependant, si l’on ne tient pas compte des répercussions de la pandémie sur les femmes et leurs multiples facteurs identitaires, le projet de loi C-30 ne réalisera pas son plein potentiel.

La perspective sexospécifique entourant les services de garde et l’éducation préscolaire comporte deux volets. Non seulement le fardeau de la garde des enfants incombe souvent aux mères, mais le secteur des garderies et de l’éducation préscolaire est dominé par les femmes, qui représentent environ 96 % de la main-d’œuvre. Cependant, on estime que 95,5 % de ces femmes gagnent moins que le salaire minimum provincial.

L’écart salarial est souvent interprété à tort comme une comparaison entre les salaires. Toutefois, il est réellement mis en évidence quand la main-d’œuvre est principalement composée de femmes : le travail est sous-évalué, et les femmes sont sous-payées et surmenées.

De plus, comme le Canada ne dispose pas actuellement d’un programme universel de garderies, les frais de garde peuvent s’élever à 2 000 $ par mois au pays. Selon le dernier recensement disponible, plus de 80 % des familles monoparentales sont des mères seules. Le manque criant d’uniformité dans les coûts paralyse les femmes, qui doivent s’occuper seules de leurs enfants, ce qui rend essentielles les dispositions du projet de loi C-30.

Je constate également qu’il y a des écarts entre ce qui a été promis dans le budget d’avril dernier et ce qui est prévu dans le projet de loi C-30. Dans les discours d’avril dernier, le gouvernement fédéral s’est engagé à réduire de 50 % les frais moyens des services réglementés d’apprentissage et de garde des jeunes enfants partout à l’extérieur du Québec, ce qui représente jusqu’à 30 milliards de dollars sur les cinq prochaines années, et 8,3 milliards par la suite pour l’apprentissage et la garde des jeunes enfants et pour l’apprentissage et la garde des jeunes enfants autochtones. Le gouvernement s’est également engagé à investir au moins 9,2 milliards de dollars par année dans la garde des enfants, y compris l’apprentissage et la garde des jeunes enfants autochtones, à compter de 2025 avec l’objectif éventuel de partager à parts égales les coûts de la garde d’enfants avec les gouvernements des provinces et des territoires.

Comme l’a dit l’honorable Maryam Monsef, la très compétente ministre des Femmes et de l’Égalité des genres et du Développement économique rural :

Dans cinq ans, toutes les familles canadiennes pourront choisir un service de garde à 10 $ par jour. En Alberta, cela fera passer le coût moyen de la garde d’enfants d’à peu près 1 100 $ à 200 $ par mois. Grâce à l’approche fondée sur les distinctions adoptée pour les familles autochtones et à des investissements distincts pour les enfants ayant une incapacité, le nouveau système offrira à nos enfants des services de qualité, et aux parents, la tranquillité d’esprit et davantage de choix. Il stimulera la plus forte croissance économique qu’on ait connue depuis l’adoption de l’ALENA.

Il ressort de l’étude du projet de loi C-30 que le paragraphe 288(1) autorise le versement de sommes aux provinces dans le cadre d’accords bilatéraux sur les services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, mais seulement jusqu’à la fin de l’exercice financier en cours plutôt que pendant la période de cinq ans annoncée dans le budget de 2021. De plus, le projet de loi ne semble prévoir aucune somme pour les services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants autochtones, malgré l’engagement contenu dans le budget de 2021.

Pendant une séance de comité tenue le mois dernier, les sénateurs ont examiné la section 34 du projet de loi, qui porte sur les services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, et ils ont soulevé des préoccupations judicieuses. En résumé, Morna Ballantyne, directrice générale d’Un enfant une place, a présenté une analyse éclairée et souligné que les sommes promises dans le budget de 2021 à l’égard des services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants — c’est-à-dire un financement de cinq ans qui serait suivi d’au moins 9,2 milliards de dollars par année ensuite — suffiront à convaincre toutes les provinces et les territoires de collaborer avec le gouvernement fédéral, mais que si le gouvernement fédéral n’utilise pas son pouvoir de dépenser pour transformer les services de garde d’enfants, il aura gaspillé cet argent et cette occasion.

Bref, le fait que certains éléments ne figurent pas dans le projet de loi C-30 devrait grandement nous préoccuper.

Quatre éléments sont essentiels à l’établissement d’un système national de services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants : premièrement, les garderies accréditées doivent être financées par l’État; deuxièmement, le gouvernement devrait être responsable d’élargir l’offre de services; troisièmement, il faut mettre en œuvre une stratégie pour aborder les questions de recrutement, de maintien en poste et de qualité des programmes; et quatrièmement, l’expansion du système doit se limiter aux secteurs public et à but non lucratif.

J’ajouterais un cinquième élément crucial : l’application de la perspective intersectionnelle à chaque aspect du déploiement du projet de loi et aux promesses supplémentaires du budget de 2021 qui ne sont pas abordées dans le projet de loi. Prenons l’âge, par exemple. Soixante-et-onze pour cent des familles de moins de 25 ans sont des ménages monoparentaux. Parmi ceux-ci, plus de 80 % de ces parents seuls sont des femmes. On améliorera l’efficacité de la mise en œuvre si on analyse plus en profondeur chaque aspect des dispositions relatives à la garde d’enfants.

Bref, le projet de loi C-30 est un pas crucial et majeur dans la bonne direction, soit celle de placer les services de garde d’enfants financés par l’État au cœur d’une relance égalitaire, productive et féministe qui rebâtit en mieux et plus équitablement.

Toutefois, le projet de loi ne contient pas suffisamment de garanties pour assurer que les éléments clés des services d’éducation préscolaire et de garde d’enfants et ces services pour les enfants autochtones seront mis en œuvre comme promis.

Chers collègues, ces faits conduisent à un appel à la vigilance des parlementaires bien après l’adoption du projet de loi.

Voici quelques points essentiels à retenir. Le budget fédéral de 2021 représente une étape importante vers la réalisation d’un système de garde d’enfants au Canada à la fois équitable, abordable et universel. Le projet de loi C-30 reflète en partie cet engagement, mais il ne représente que l’engagement pour le prochain exercice financier. Il faut veiller à ce que le gouvernement mette en œuvre les mesures prévues dans le projet de loi. Les dispositions de la section 34 concernant l’éducation préscolaire et la garde d’enfants sont absolument essentielles à une relance féministe dans la mesure où elles visent à résoudre un problème qui touche de façon démesurée les femmes, quelle que soit leur situation. Cependant, comme l’éducation préscolaire et la garde d’enfants touchent à la fois le marché du travail et les parents qui ont besoin de services de garde, il est absolument essentiel de pouvoir étudier la question selon une optique sexospécifique.

Afin d’assurer une relance féministe, il faut veiller à ce que les efforts et l’affectation des ressources tiennent compte des divers effets que chaque mesure peut avoir en fonction de divers facteurs intersectionnels comme l’âge, la race, la classe, l’ethnicité, l’orientation sexuelle et l’expression sexuelle. Il est difficile de voir en quoi ce projet de loi permettrait de mettre en œuvre l’approche intersectionnelle nécessaire pour renforcer les politiques et les programmes.

Pour le temps qu’il me reste, j’aimerais que nous nous penchions sur les mesures promises dans ce projet de loi pour aider les jeunes au Canada tout en étant conscients que, tout bien intentionnés qu’ils soient, les gouvernements de toutes allégeances politiques ont souvent été portés à en faire moins que ce qu’ils avaient promis. Par exemple, en ce qui concerne l’aide de 9 milliards de dollars déjà promise aux étudiants, la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants nous a prévenus que, en mars 2021, 3 milliards de dollars n’avaient toujours pas été attribués ou dépensés.

Des difficultés se profilent à l’horizon, chers collègues. En mai, le taux de chômage chez les jeunes était de 18 %, soit son taux le plus élevé depuis la première vague de COVID. C’est presque 10 % au-dessus de la moyenne nationale. Les jeunes travaillent beaucoup dans les industries qui ont été le plus durement touchées par la COVID-19, notamment le tourisme, la vente au détail et d’autres emplois de débutants. Dans bien des cas, ces emplois ne reviendront pas de sitôt, et peut-être même jamais. L’été dernier, une aide financière gouvernementale essentielle pour les jeunes bénévoles a échoué de façon embarrassante, mais, au moins, certains jeunes touchés par la pandémie ont été admissibles au fonds canadien d’aide aux étudiants. Le chômage chez les jeunes est semblable cette année, mais aucun fonds d’aide aux étudiants n’est offert cet été. Certes, n’appliquer aucun intérêt aux prêts étudiants pendant deux ans est une bonne chose, mais en l’absence d’aide aux étudiants, les demandes de prêt risquent d’augmenter. Certes, il est bon de savoir que le seuil du Programme d’aide au remboursement des prêts étudiants passera de 25 000 $ à 40 000 $, mais, honorables sénateurs, les prêts demeurent. C’est une dette qu’il faut assumer.

Imaginez les retombées que ce projet de loi aurait pu avoir si le gouvernement avait fait des investissements audacieux et novateurs dans les jeunes Canadiens ou encore s’il n’avait que présenté un projet pilote sur un revenu minimum garanti pour les jeunes. L’accès à l’enseignement postsecondaire est toujours plombé par la discrimination systémique, et un programme de prêts plus généreux ne réglera pas ce problème. Bref, la situation des jeunes avant la COVID-19 était inquiétante. Or, le projet de loi semble viser le retour à la normale au lieu de chercher à bâtir une société meilleure et plus juste. L’endettement chez les jeunes, l’écart de la richesse entre les générations et la sécurité d’emploi étaient des problèmes bien avant la pandémie. Traiter ces enjeux comme s’ils étaient nouveaux, au lieu de reconnaître que c’est le quotidien pour les jeunes de tout le Canada, est une erreur. La plupart des dispositions positives axées sur les jeunes dans le budget sont présentées comme une aide temporaire, et non comme des changements permanents au système. Les mesures temporaires comme le gel des intérêts sur les prêts, la baisse du seuil de remboursement et l’augmentation des bourses sont toutes de bonnes initiatives, mais elles devraient s’étendre bien après la fin de la pandémie.

Je félicite la ministre Freeland d’avoir présenté le projet de loi C-30. C’est un grand pas dans la bonne direction pour répondre au besoin d’accroître la résilience dans notre pays. Ce n’est toutefois que le début. Nous devons être prêts à en faire beaucoup plus à long terme parce qu’un Canada plus fort, fondé sur l’inclusion et l’égalité des chances, est possible. C’est même la meilleure façon de sortir de cette crise.

Merci, meegwetch.

L’honorable Éric Forest [ - ]

Honorables sénateurs, permettez-moi d’abord de remercier la marraine du projet de loi, la sénatrice Moncion, ainsi que les membres du Comité des affaires sociales et du Comité des finances nationales pour leur travail diligent sur le projet de loi C-30.

Je suis heureux d’intervenir à l’étape de la troisième lecture du projet de loi de mise en œuvre du budget. Je prendrai quelques minutes pour parler des travaux du Comité des finances, qui a fait une étude préalable du projet de loi C-30. Le comité a tenu sept réunions et a entendu des témoins du milieu des affaires, du monde municipal et des milieux culturels, en plus de recevoir les représentants des principaux ministères concernés. Il n’a toutefois pas annexé d’observations à son rapport. On peut dire que le budget a été, en général, bien accueilli. Les représentants du milieu des affaires se sont dits soulagés du prolongement des mesures d’aide pour les salaires et les loyers. J’aimerais cependant prendre quelques minutes pour souligner deux problèmes importants en ce qui concerne le projet de loi C-30.

Je déplore tout d’abord l’entêtement du gouvernement à ne pas resserrer les critères pour l’allocation de la Subvention salariale d’urgence du Canada afin d’éviter que des entreprises qui bénéficient de ces fonds en profitent pour bonifier les dividendes recueillis par les actionnaires et les bonis versés aux cadres. Le comité a dénoncé cette situation par le passé, mais le gouvernement refuse toujours d’agir.

Les Canadiens et les Canadiennes ont été particulièrement mécontents de constater qu’Air Canada avait proposé de verser près de 20 millions de dollars en primes de motivation et en options d’achat d’actions à certains dirigeants, même si l’entreprise a reçu des fonds de 656 millions de dollars en vertu de la Subvention salariale d’urgence du Canada. Rappelons qu’Air Canada a également reçu près de 5,9 milliards de dollars par l’intermédiaire du Crédit d’urgence pour les grands employeurs. En vertu de ce programme, Air Canada s’est engagée à limiter la rémunération et les bénéfices versés aux membres de la haute direction. Devant le mécontentement de la population, plusieurs hauts dirigeants d’Air Canada ont renoncé à percevoir ces primes.

J’ai trouvé plutôt pathétique que le gouvernement soit forcé de demander la collaboration d’Air Canada après coup, plutôt que d’assumer ses responsabilités avant tout. À mon avis, toute aide fournie aux entreprises devrait être conditionnelle à des limites strictes quant aux bénéfices versés aux cadres et aux actionnaires. Il s’agit tout de même de fonds publics. Le gouvernement était en mesure d’agir, mais il a choisi de ne pas le faire.

Il y a un autre élément qui me semble problématique, soit celui de l’assurance-emploi. Le Comité des affaires sociales s’est penché sur cette question, et j’aimerais faire écho aux témoignages que nous avons entendus au Comité des finances en ce qui concerne le découpage des régions économiques qui sert à calculer les bénéfices de l’assurance-emploi.

Comme vous le savez, le découpage de ces régions crée toujours des tensions et des injustices, notamment pour les travailleurs des industries saisonnières. Les travailleurs ne comprennent pas que deux personnes qui œuvrent dans le même secteur d’activité ont besoin d’un nombre total d’heures différent pour se qualifier à l’assurance-emploi ou qu’ils n’ont pas droit au même nombre de semaines de prestations. Le gouvernement s’est engagé à revoir cette question au moment de la révision du régime d’assurance-emploi.

La ministre des Finances a promis que cette révision devrait permettre, à terme, aux travailleurs autonomes d’être enfin couverts par le régime d’assurance-emploi. Cette consultation est une bonne nouvelle en soi. Je déplore toutefois le fait que le gouvernement prenne deux ans à faire cette révision du régime d’assurance-emploi, même si le problème et les solutions sont bien connus.

Depuis la réforme Axworthy du système d’assurance-emploi en 1993, diverses études, consultations et projets pilotes ont été mis sur pied pour tenter d’atténuer les irritants du régime d’assurance-emploi. La pandémie a permis de mettre en lumière les lacunes de ce régime. L’impossibilité pour des centaines de milliers de travailleurs de se qualifier à l’assurance-emploi, alors même qu’ils venaient d’être mis à pied par des employeurs contraints au confinement, a montré le caractère inadéquat du régime d’assurance-emploi. À mon avis, nous avons moins besoin d’une autre consultation sur l’assurance-emploi que d’une volonté politique ferme de s’attaquer aux problèmes qui affectent le régime d’assurance-emploi.

Je demande donc au gouvernement d’abréger cette consultation. Deux ans, c’est beaucoup trop long, à mon avis, d’autant plus qu’on n’a donné aucune raison valable pour justifier ce délai. De plus, si le gouvernement tient à ce délai de deux ans, j’espère au moins que l’on pourra discuter de toutes les mesures et que l’on prendra au moins la peine d’étudier deux enjeux plus structurants. Le premier enjeu qui me semble incontournable dans notre réflexion collective est celui de la possibilité d’établir un revenu de base garanti pour les Canadiens et les Canadiennes. Le deuxième enjeu a trait à la nécessité de mettre sur pied une caisse d’assurance-emploi autonome séparée du Trésor public et gérée par les travailleurs et les employeurs, comme c’est le cas pour la caisse de la CNESST, par exemple.

Pour conclure, je crois que le budget de 2021 et le projet de loi C-30 contiennent plusieurs éléments qui permettront au Canada de sortir de la pandémie de COVID-19 dans une bonne position. Maintenant que l’urgence qui prévalait au début de la crise est passée, j’aurais espéré que le gouvernement resserre les critères d’admissibilité à ses programmes d’aide pour les entreprises afin d’éviter les abus. J’aimerais que l’on accélère la réforme de l’assurance-emploi, pour en faire une véritable assurance et un outil efficace de solidarité sociale et de développement de la main-d’œuvre.

En terminant, je profite de l’occasion pour remercier tous ceux et celles qui nous ont appuyés avec dévouement et professionnalisme tout au long de cette session si particulière dans un contexte de crise en raison de la pandémie.

Je vous souhaite, à toutes et à tous, un été réconfortant avec vos familles. Soyez prudents. Merci, meegwetch.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition)

Honorables sénateurs, j’interviens aussi aujourd’hui pour parler du projet de loi C-30. Je ne vais pas me montrer aussi élogieux que d’autres ont pu l’être et cela vous étonnera peut-être. Permettez-moi de souligner, cependant, certaines des chimères qu’alimente le projet de loi C-30. Je ne vais pas m’extasier, comme d’autres l’ont si souvent fait, à commencer par la ministre des Finances et de nombreux sénateurs, sur ce projet de loi et dire que tout ira bien si nous l’adoptons.

Ce projet de loi, chers collègues, un projet de loi omnibus, comprend 366 pages, est divisé en quatre parties et contient 363 dispositions. Il modifie 40 lois du Parlement et en édicte une nouvelle.

La partie 1 du projet de loi introduit 30 mesures relatives à l’impôt sur le revenu. La partie 2 met en œuvre neuf mesures relatives à la TPS. La partie 3 met en œuvre des mesures relatives à la taxe d’accise. La partie 4 se compose de 37 divisions couvrant un large éventail d’initiatives. Qu’on ne dise jamais qu’il y a une taxe que les libéraux n’aiment pas.

Comme ce projet de loi ne met en œuvre que certains des programmes annoncés dans le budget de 2021, vous pouvez être certains qu’à un moment donné, on nous demandera d’examiner la deuxième loi d’exécution du budget de 2021.

Parmi les mesures de dépense contenues dans ce projet de loi, il y a notamment :

le programme d’embauche pour la relance économique du Canada, qui prévoit 595 millions de dollars pour réembaucher des travailleurs mis à pied ou en embaucher de nouveaux;

un système pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, qui coûtera 30 milliards de dollars sur cinq ans.

Le projet de loi prolonge jusqu’au 25 septembre la Subvention salariale d’urgence du Canada, la Subvention d’urgence du Canada pour le loyer et la mesure de soutien en cas de confinement.

Il prolonge la Prestation canadienne de relance économique et la Prestation canadienne de la relance économique pour proches aidants.

Il bonifie la Sécurité de la vieillesse pour les aînés de 75 ans et plus.

Il élargit l’Allocation canadienne pour les travailleurs par un investissement de 8,9 milliards de dollars sur six ans pour offrir un soutien accru aux travailleurs à faible revenu.

Il fait passer la période des prestations de maladie de l’assurance-emploi de 15 à 26 semaines.

Il établit le salaire horaire minimum fédéral à 15 $.

Il prolonge la dispense d’intérêts sur les prêts étudiants et prêts aux apprentis fédéraux jusqu’en mars 2023.

Que peut-on reprocher à ce budget?

Il améliore le Programme de financement des petites entreprises du Canada en apportant des modifications à la Loi sur le financement des petites entreprises du Canada, y compris un élargissement de l’admissibilité et une augmentation des limites de prêt.

Il offre un financement complémentaire de 5 milliards de dollars aux provinces et aux territoires — plus précisément, 4 milliards de dollars dans le cadre du Transfert canadien en matière de santé pour aider les provinces et les territoires à faire face aux pressions immédiates qui s’exercent sur le système de soins de santé, et 1 milliard de dollars pour soutenir des campagnes de vaccination dans l’ensemble du pays.

Il prévoit 2,2 milliards de dollars pour répondre aux priorités à court terme des municipalités et des communautés des Premières Nations en matière d’infrastructures.

Il prévoit 4 milliards de dollars pour aider les petites et moyennes entreprises à acheter et à adopter de nouvelles technologies pour accroître la productivité et la compétitivité.

Je vous le dis, les cadeaux pleuvent. Toutefois, ils ne représentent qu’une partie des 497,6 milliards de dollars de dépenses prévues par le gouvernement dans ce budget et ils ne comprennent qu’une partie des 101,4 milliards de dollars octroyés pour le déploiement de nouveaux programmes sur les trois prochaines années.

Chers collègues, le Parti conservateur a été et continue d’être très favorable à l’aide financière pour les Canadiens, dont la santé ou les finances ont été affectées par la pandémie. Nous avons accéléré l’adoption de chaque projet de loi rédigé dans l’intention d’aider ceux qui en avaient besoin pour traverser cette crise sans précédent. Toutefois, après avoir attendu ce budget pendant deux ans, nous sommes très troublés par certains points.

Premièrement, ce projet de loi — et le budget dans son ensemble — est bardé de mesures maladroites, mal avisées et extrêmement grossières. À une époque où chaque dollar devrait être employé à bon escient, le gouvernement jette négligemment l’argent par les fenêtres. C’est devenu une habitude.

Prenons l’Allocation canadienne pour enfants, par exemple. Il y a un peu plus d’un mois, le Sénat a donné le feu vert à la dépense de 2,4 milliards de dollars en prestations de l’Allocation canadienne pour enfants. Or, de ces 2,4 milliards de dollars, on estime que 300 millions de dollars seront versés à des ménages gagnant — écoutez bien ceci — 100 000 $ ou plus par année, et que plus de 50 millions de dollars seront versés à des familles au revenu combiné de plus de 150 000 $. Au lieu de cibler les personnes qui ont le plus besoin de cet argent, le gouvernement a choisi d’optimiser les retombées politiques de cette dépense.

C’est la deuxième fois que le gouvernement se sert du programme de l’Allocation canadienne pour enfants pour offrir une aide en lien avec la pandémie de COVID-19. La première fois, c’était en mai 2020, où il a versé un paiement supplémentaire de 300 $ aux bénéficiaires de ce programme. Combien d’entre vous ont reçu ce paiement?

Dans son rapport sur l’Allocation canadienne pour enfants, la vérificatrice générale du Canada signale :

[...] la formule utilisée pour le calcul du versement additionnel avait permis d’inclure près de 265 000 familles à revenu supérieur qui n’avaient pas le droit antérieurement de bénéficier du programme. Les versements à ces familles ont totalisé près de 88 millions de dollars.

Le rapport de la vérificatrice générale se poursuit en ces termes :

[...] avant la modification de la formule, une famille avec un enfant de moins de 6 ans pouvait recevoir des prestations si son revenu familial net ne dépassait pas 195 460 $. La formule modifiée a fait passer le revenu maximal à 307 960 $ pour le versement unique de mai 2020 [...]

Chers collègues, au début de la pandémie, on pouvait soutenir légitimement que les instruments peu précis étaient inévitables dans notre empressement pour assurer la subsistance des Canadiens durant cette période de grande incertitude. Cependant, une année plus tard, les Canadiens sont en droit de s’attendre du gouvernement qu’il fasse des dépenses un peu plus ciblées. Or, il fait encore une fois preuve d’insouciance par son manque de précision dans le projet de loi à l’étude.

La section 32 de la partie 4 du projet de loi prévoit une augmentation de 10 % de la Sécurité de la vieillesse pour les aînés de 75 ans et plus, ainsi qu’un paiement ponctuel de 500 $. L’augmentation de 10 % coûtera 3 milliards de dollars par année et ceux qui la recevront seront certainement bien contents. Cependant, si l’objectif est d’aider les aînés qui en ont le plus besoin, pourquoi ne pas augmenter le Supplément de revenu garanti, qui cible précisément les aînés à faible revenu, plutôt que la Sécurité de la vieillesse, qui est une prestation universelle versée à tous les aînés, peu importe leurs revenus?

Cette question a été soulevée par de nombreux sénateurs, au Comité des affaires sociales, qui ont essayé, sans succès, d’obtenir des réponses d’une fonctionnaire. Cela vous rappelle-t-il quelque chose? La sénatrice Frum a été la première à tenter d’obtenir une réponse. Elle a demandé :

Madame Underwood, pouvez-vous nous aider à comprendre pourquoi le gouvernement a décidé d’augmenter les prestations de la SV des Canadiens de plus de 75 ans au lieu d’augmenter le Supplément de revenu garanti, qui aide les aînés les plus vulnérables? Il est difficile de comprendre la raison d’être d’une prestation universelle comparativement à une prestation ciblée. Je comprends le raisonnement politique, surtout au sujet du paiement unique de 500 $ en août, mais quelle en est la justification stratégique?

Vous croyez que des élections pourraient être déclenchées en août?

Voici ce que Mme Underwood a répondu :

Comme vous le savez, la pension de la Sécurité de la vieillesse est une prestation universelle pour tous les aînés et, en l’occurrence, pour tous les aînés de plus de 75 ans. La raison d’être stratégique était d’améliorer cette prestation universelle et d’aider les aînés comme groupe de contributeurs importants de notre société.

Comme il s’agissait manifestement d’une tentative visant à éviter de répondre à la question, la sénatrice Frum est revenue à la charge et a obtenu une réponse évasive semblable. La sénatrice Bovey a alors tenté sa chance, puis ce fut au tour de la sénatrice Forest-Niesing, du sénateur Black, du sénateur Manning, du sénateur Kutcher, de la sénatrice Dasko et de la sénatrice Omidvar. Malgré les vaillants efforts des membres du comité, aucune réponse convenable n’a été fournie parce que, en toute honnêteté, cette politique est indéfendable. C’est un autre exemple d’instrument mal conçu, mal pensé et extrêmement imprécis créé à des fins politiques plutôt que pour le bien public.

Cette tendance du gouvernement nous est désormais très familière. Prenons par exemple le plan visant à mettre en œuvre un salaire minimum fédéral uniforme partout au pays. La section 23 de la partie 4 du projet de loi C-30 établit un salaire horaire minimum fédéral de 15 $ partout au Canada. À première vue, cela semble être une bonne idée, mais pour ceux qui ne le savent pas, il existe déjà un salaire horaire minimum fédéral. Il s’agit du « taux général minimum pour adulte établi dans chacune des provinces et chacun des territoires. »

L’avantage de cette dernière approche, qui existe déjà, c’est qu’elle tient compte des écarts régionaux dans le coût de la vie. Le salaire minimum varie selon la province ou le territoire parce que le coût de la vie n’est pas partout le même. Il y aura maintenant un salaire uniforme partout au pays pour les personnes qui travaillent dans un secteur sous réglementation fédérale, et ce salaire sera généralement différent du salaire minimum provincial.

Par exemple, en Alberta, comme le salaire minimum est déjà de 15 $ l’heure, rien ne changera dans cette province. Au Manitoba, par contre, le salaire minimum s’élève à 11,90 $ l’heure, tandis qu’au Nunavut, il est de 16 $ l’heure, et à l’Île-du-Prince-Édouard, de 13 $ l’heure. Pourquoi instaurer un salaire fédéral minimum qui n’aura pas rapport avec les salaires provinciaux ou territoriaux? Cela n’a aucun sens. Il s’agit là d’une mesure grossière conçue pour faire croire que le gouvernement fédéral vient en aide aux gens, alors qu’en réalité elle ne fait qu’aggraver les choses.

On prévoit que cette politique coûtera 44,1 millions de dollars, mais ce n’est pas le gouvernement fédéral qui paiera la note. Ce sont plutôt les propriétaires d’entreprises. Donc, juste comme nous sortons de la pire crise de santé publique en 100 ans, pendant laquelle les entreprises ont peiné à joindre les deux bouts et ont accumulé des centaines de milliers de dollars de dettes simplement pour garder la tête hors de l’eau, voilà que le gouvernement décide d’augmenter leurs coûts d’exploitation. C’est une mesure absurde qui ne tient absolument pas compte des provinces, qui est une insulte aux entreprises et qui ne pourrait pas arriver à un pire moment.

La promesse du gouvernement de fournir 100 milliards de dollars pour stimuler l’économie et aider le Canada à se remettre des répercussions de la pandémie est un autre exemple de cette tendance. Dans l’Énoncé économique de l’automne, le gouvernement écrivait ceci :

Afin d’assurer une relance robuste et résiliente, le gouvernement définit actuellement les détails d’un plan visant à aider le Canada [à] rebâtir en mieux, en se préparant à investir jusqu’à 100 milliards de dollars au cours des trois prochains exercices […]

Le problème est que, selon le directeur parlementaire du budget, ces prétendues mesures pour stimuler l’économie arrivent trop tard. Dans son rapport de décembre intitulé Énoncé économique de l’automne 2020 : Enjeux pour les parlementaires, le directeur parlementaire du budget nous prévient que « […] l’ampleur et le moment des mesures de stimulation budgétaire planifiées pourraient être mal ajustés ». Les mesures seront trop généreuses et arriveront trop tard.

En mai, le directeur parlementaire du budget a réitéré son avertissement dans un autre rapport, intitulé Budget 2021 : Enjeux pour les parlementaires, où il écrit ceci : « […] nous maintenons que les mesures de stimulation du budget de 2021 pourraient être mal calibrées […] ».

Le directeur parlementaire du budget nous explique le problème comme suit :

D’après les prévisions prébudgétaires du DPB concernant les indicateurs relatifs aux garde-fous budgétaires, presque toutes les pertes sur le marché du travail dues à la pandémie auront été comblées d’ici la fin de l’exercice 2021-2022, première année des mesures de stimulation du budget de 2021.

Donc, essentiellement, même si le terrain perdu pendant la pandémie aura déjà été regagné, les soi-disant mesures de relance du gouvernement se poursuivront pendant encore deux ans. Pire encore, comme les dépenses dites de relance arriveront trop tard, le directeur parlementaire du budget souligne qu’elles auront un effet inflationniste en augmentant la demande des consommateurs par rapport à l’offre potentielle de l’économie.

Le directeur parlementaire du budget prévoit que cette dépense mal calibrée de 100 milliards de dollars d’argent emprunté fera augmenter l’inflation de 0,1 % en 2021, de 0,3 % en 2022 et de 0,1 % en 2023, ce qui entraînera une augmentation de 50 points de base du taux directeur de la Banque du Canada afin de contenir l’inflation, ce qui aura ensuite pour effet « [...] d’augmenter directement les frais de la dette publique, car la dette existante est refinancée et les besoins d’emprunt futurs sont financés à des taux plus élevés [...] ».

Donc, le gouvernement prévoit emprunter 100 milliards de dollars pour stimuler une économie qui n’aura pas besoin d’être stimulée. Le gouvernement va plutôt la surstimuler, ce qui fera grimper les taux d’intérêt d’un demi-point de pourcentage, augmenter les coûts pour tous les Canadiens et grimper les frais de la dette publique du même coup. Bienvenue à l’économie selon Trudeau.

Chers collègues, comme je l’ai dit, le projet de loi et le budget dans son ensemble sont bourrés de mesures bancales et mal conçues ainsi que d’instruments extrêmement grossiers. À un moment où chaque dollar devrait être dépensé judicieusement et optimisé, le gouvernement se montre très négligent avec l’argent des contribuables.

Notre deuxième préoccupation concernant le projet de loi et le budget est qu’ils ne contiennent pas de plan pour assurer la prospérité à long terme des Canadiens.

La première chose qui l’indique, c’est que le gouvernement n’a aucun plan pour mettre fin aux déficits. L’année dernière, le déficit était de 354,2 milliards de dollars. Cette année, il sera de 154,7 milliards de dollars. La plupart d’entre nous peuvent accepter que ces déficits soient principalement dus aux répercussions de la pandémie mondiale.

Cependant, au cours des quatre années suivantes, le gouvernement prévoit un déficit supplémentaire de 177 milliards de dollars, et tout indique qu’il ne semble pas avoir l’intention d’équilibrer le budget, car on nous a dit : « Nous croyons qu’il s’équilibrera de lui-même. » Tout cela est basé sur les prévisions économiques les plus optimistes.

La sénatrice Marshall l’a expliqué de manière éloquente lorsqu’elle a dit ce qui suit à la ministre des Finances lors de sa comparution devant le Comité des finances nationales :

Votre budget est fondé sur des hypothèses : vous supposez une forte croissance économique et de faibles taux d’intérêt, mais le moindre changement sur le plan de la croissance économique ou des taux d’intérêt pourrait considérablement changer vos projections budgétaires et vos projections quant au fardeau de la dette. Le résultat serait pire encore que votre pire scénario dans le budget. Peut-être qu’on ne connaîtra pas la croissance économique escomptée, et peut-être que les taux d’intérêt vont grimper. D’ailleurs, si vous regardez votre énoncé économique de l’automne et le budget de 2021, vous verrez que les projections relatives aux frais de service de la dette ont augmenté dans les quatre mois seulement qui se sont écoulés entre les deux documents.

La sénatrice Marshall a ajouté ceci :

Vos projections pour les cinq prochaines années continuent de montrer des déficits et encore plus de dettes, et ce, même si vous comptez sur une économie prospère. Le fardeau de la dette au cours des trois prochaines années, jusqu’en 2024, va s’alourdir de 50 % pour atteindre presque 2 billions de dollars...

Il y a quelques années, chers collègues, nous n’avions aucune idée de ce que représentaient 2 billions de dollars.

[...] et rien ne montre que notre génération va rembourser ne serait-ce qu’une partie de la dette. Plutôt, votre plan est de refiler la facture à nos enfants, à nos petits-enfants et à nos arrière-petits-enfants.

Tout comme nous ne savions pas ce qu’étaient 2 billions de dollars, nous ne savons pas combien de générations d’arrière-arrière-petits-enfants seront touchées.

Chers collègues, le représentant de l’Institut C.D. Howe a soulevé des préoccupations semblables lorsqu’il a comparu devant le Comité des finances nationales. Voici un extrait de son témoignage :

L’Institut C.D. Howe a cependant élaboré ses propres modèles préliminaires, lesquels montrent qu’il suffit de changer minimalement les suppositions relatives à la croissance économique et aux taux d’intérêt pour changer considérablement le trajet du fardeau de la dette et l’entraîner vers le pire scénario. Si l’on utilise des suppositions crédibles relativement au potentiel de croissance économique et si l’on présume, de façon très raisonnable, que le taux d’intérêt sur la dette finira avec le temps par rattraper la croissance économique, alors on peut facilement voir que le fardeau de la dette va augmenter au fil du temps au lieu de diminuer, ce qui va à l’encontre de la cible budgétaire dans le budget. Tous ces scénarios tiennent pour acquis que les politiques de dépenses demeureront inchangées au fil des années, ce qui est évidemment extrêmement peu probable, compte tenu des provinces qui demandent une augmentation des transferts fédéraux en santé.

En résumé, nos modèles internes montrent que le fardeau de la dette fédérale pourrait fort bien atteindre à nouveau le sommet du milieu des années 1990, lors de la crise financière, si l’on se fie aux autres suppositions — qui sont peut-être aussi plus raisonnables — sur la trajectoire future de la croissance et des taux d’intérêt. Le ratio combiné des dettes fédérale et provinciales pouvait dépasser 100 % du PBI d’ici 2040 et atteindre 150 % d’ici 2055.

On se croirait au Venezuela.

Honorables collègues, le gouvernement n’a pas de plan pour cesser de faire des déficits, il a basé ses projections économiques sur les prévisions les plus optimistes, et il n’a pas l’intention de réduire la dette nationale. En faisant fi de toutes les cibles budgétaires qu’il avait établies, le gouvernement libéral a fait augmenter le ratio de la dette par rapport au PIB, qui est passé de 31,2 % à 51,2 %, et il n’a aucun plan pour ramener ce taux au niveau que nous connaissions avant les circonstances exceptionnelles auxquelles nous avons dû faire face à cause de la pandémie.

Dans son rapport intitulé Budget 2021 : Enjeux pour les parlementaires, le directeur parlementaire du budget a dit ceci :

À moyen terme, le gouvernement prévoit que le ratio de la dette fédérale au PIB baissera légèrement de son sommet de 51,2 % pour atteindre 49,2 % et restera largement supérieur à son niveau d’avant la pandémie, qui était de 31,2 %. Les projections à long terme présentées dans le budget montrent que le ratio de la dette fédérale restera au-dessus de son niveau d’avant la pandémie jusqu’en 2055.

Chers collègues, 2055, c’est dans 34 ans. Le plus jeune de mes petits-fils, qui a aujourd’hui 5 ans, aura 39 ans. En 2055, tous les sénateurs en cette enceinte auront pris leur retraite, et la plupart d’entre nous auront quitté ce monde. Certains prennent leur retraite plus d’un quart de siècle avant cette échéance. Je vous salue, sénateur Munson.

Justin Trudeau lui-même aura 83 ans, et ses enfants auront atteint la quarantaine. Pourtant, selon les prévisions présentées par le gouvernement, le bilan financier du Canada ne sera toujours pas remis. Ce ne sera pas en raison de la pandémie, mais tout simplement parce que le gouvernement n’a aucun plan pour y arriver.

Vous vous souviendrez peut-être qu’en juin de l’année dernière, le directeur parlementaire du budget a lancé un avertissement aux parlementaires en ces mots :

Dans le contexte de la viabilité budgétaire, il est essentiel de faire la distinction entre les mesures budgétaires temporaires et permanentes [...]

Après l’expiration des mesures budgétaires et la reprise de l’économie, le ratio de la dette fédérale au PIB devrait se stabiliser, puis commencer à diminuer selon les modalités de la politique budgétaire d’avant la crise. Toutefois, si certaines des mesures sont prolongées ou deviennent permanentes, le ratio de la dette fédérale pourrait continuer d’augmenter.

Le directeur parlementaire du budget a répété sa mise en garde dans le rapport intitulé Perspectives économiques et financières — Septembre 2020. Il y dit ceci :

Si ces engagements [de dépenses temporaires liées à la pandémie] se traduisent par de nouveaux programmes financés par le déficit, il y a un risque que la trajectoire viable de la dette au PIB à moyen terme soit inversée.

Huit mois plus tard, après avoir examiné les documents budgétaires du gouvernement, le directeur parlementaire du budget a signalé aux parlementaires que les avertissements n’avaient pas été pris en compte et que, selon les prévisions les plus récentes, le ratio de la dette fédérale allait effectivement rester au-dessus de son niveau d’avant la pandémie jusqu’en 2055. Voici ce qu’il a déclaré :

Cela indique que le gouvernement a décidé de stabiliser le ratio de la dette fédérale à un niveau plus élevé, ce qui pourrait épuiser la marge de manœuvre financière à moyen et à long terme.

De plus, lors de la séance d’information téléphonique organisée par le directeur parlementaire du budget au sujet de son analyse budgétaire, ce dernier a exprimé de sérieuses préoccupations quant au fait que le gouvernement naviguait dans des eaux dangereuses en établissant de nouveaux programmes permanents qui seraient financés par des emprunts qui allaient alourdir le déficit.

Chers collègues, si j’avais une sonnette d’alarme, je la ferais sonner très fort en ce moment. L’incapacité du gouvernement à présenter un plan pour redresser le bilan du pays nous place dans une situation très dangereuse. Si le Canada a pu réagir rapidement et adéquatement au problème que posait la pandémie, c’est uniquement grâce à la marge de manœuvre en matière de finances que s’étaient gardée les anciens premiers ministres Paul Martin et Stephen Harper grâce à leur gestion prudente.

Contrairement à la mythologie populaire, après la mise en œuvre imprudente de déficits structurels par le premier ministre Trudeau, dans les années 1970, le budget ne s’est pas équilibré tout seul. Il ne le fait jamais. Même un plombier sait cela.

Au contraire, notre situation financière n’a cessé de se dégrader au cours des 20 années suivantes, au point que le Fonds monétaire international a frappé à notre porte et menacé d’intervenir dans nos affaires financières au milieu des années 1990. On a finalement retrouvé l’équilibre financier et cet équilibre s’est maintenu grâce à des décisions très difficiles, une détermination sans failles et une discipline stricte.

C’est en partie grâce à cette discipline financière que, lorsque le Canada a été frappé par la crise financière de 2008, nos finances étaient suffisamment solides et stables pour survivre à la tempête qui a suivi. Nous nous en sommes sortis beaucoup plus rapidement que les États-Unis ou l’Europe, et notre récession a été moins grave que celle du début des années 1980 ou du début des années 1990.

Bien que le second Trudeau ait commencé à compromettre notre situation financière dès son arrivée au pouvoir en 2015, lorsque la pandémie mondiale est survenue en 2019, nous étions encore capables, fiscalement parlant, d’agir rapidement et de manière décisive en cas d’urgence nationale et, en cela, il a eu de la chance.

Chers collègues, cette capacité est maintenant presque disparue, et le gouvernement n’a prévu aucun plan pour la rétablir. Il nous est impossible de savoir quand la prochaine pandémie surviendra, mais il y en aura une autre. La question n’est pas de savoir s’il y en aura une autre, mais de savoir quand surviendra la prochaine. Parallèlement, nous ne savons pas quand le prochain effondrement boursier surviendra, mais il y en aura un autre. Ce n’est qu’une question de temps.

Tous les gouvernements ont le devoir de se préparer à de telles éventualités. Pourtant, le gouvernement du Canada n’a préparé aucun plan à cet effet. La ministre des Finances Chrystia Freeland a au contraire déclaré qu’à son avis, la crise de la COVID-19 a ouvert des possibilités sur le plan politique permettant au gouvernement de lancer de nouvelles initiatives permanentes qui ajouteront des milliards de dollars en dépenses à nos résultats financiers.

Or, le premier ministre pense comme elle, car il a déclaré que la pandémie nous a donné la chance de prendre un nouveau départ en accélérant nos efforts d’avant la crise pour remanier nos systèmes économiques.

Je ne sais pas ce que cela signifie.

Le premier ministre semble complètement ignorer les récents avis du directeur parlementaire du budget. D’autre part, il ne tient pas compte de la situation extrêmement difficile dans laquelle nous nous retrouverons lors de la prochaine pandémie ou du prochain effondrement boursier, car nous n’y sommes pas du tout préparés.

Il faut tenir compte du plus récent rapport sur la viabilité financière que le directeur parlementaire du budget a publié en février 2020.

Ces rapports ont d’abord été publiés en 2010, alors que le directeur parlementaire du budget a sonné l’alarme en déclarant : « la structure financière actuelle du gouvernement n’est pas durable à long terme. »

Combien de mises en garde faut-il?

L’année suivante, le directeur parlementaire du budget a ajouté que non seulement la structure financière du gouvernement n’était pas durable, mais qu’il en allait de même pour celle des gouvernements provinciaux et territoriaux. En l’absence de changement, le Canada s’exposait à des difficultés.

Chers collègues, nous sommes déjà bien engagés dans cette voie, pour des raisons bien connues et sous-estimées. Le Rapport sur la viabilité financière de 2010 indique ceci :

[...] au Canada, comme dans d’autres pays industrialisés, la transition démographique majeure en cours sollicitera les finances des gouvernements. Pendant ce temps, le vieillissement démographique fera en sorte qu’une proportion croissante des Canadiens sortira de l’âge d’activité maximale pour entamer les années de retraite. Avec le vieillissement de la population, les pressions sur les dépenses dans des domaines comme les soins de santé et les prestations aux personnes âgées devraient s’intensifier. Parallèlement, une croissance plus lente de la population active devrait freiner la croissance économique, ce qui fera ralentir la progression des revenus de l’État.

Autrement dit, chers collègues, le Canada fonce au ralenti vers une tempête démographique.

Le gouvernement Harper a pris cette mise en garde au sérieux. Deux ans plus tard, en 2012, le directeur parlementaire du budget rapportait qu’en raison des changements apportés par le gouvernement conservateur, la structure financière du gouvernement était maintenant durable, même si celle des provinces et des territoires ne l’était pas encore.

Ce rapport annuel n’a pas beaucoup évolué au cours des années qui ont suivi.

Dans le dernier rapport sur la viabilité financière du directeur parlementaire du budget, qui a été publié un mois avant le début de la pandémie, on peut lire :

Du point de vue du secteur gouvernemental global (soit le gouvernement fédéral, les administrations infranationales et les régimes de retraite généraux combinés), la politique budgétaire actuelle du Canada est viable à long terme. Par rapport à la taille de l’économie canadienne, la dette gouvernementale totale nette devrait, à long terme, demeurer en deçà de son niveau actuel.

Plus loin, on peut lire un avertissement :

Cela cache cependant le fait que les politiques budgétaires ne sont pas viables au niveau infranational — quoique dans une modeste mesure. Selon la politique actuelle, le gouvernement fédéral devrait parvenir à solder sa dette nette pour se retrouver en situation d’actif net. Conjuguée aux régimes de retraite généraux, cette accumulation de l’actif net compense largement l’augmentation projetée de la dette nette des administrations infranationales.

Autrement dit, chers collègues, la viabilité financière de la nation dépend de la capacité du gouvernement fédéral à éliminer à terme sa dette nette et à passer à une position d’actif net. Ainsi, il pourrait faire en sorte que le Canada dispose des ressources budgétaires pour « compense[r] largement l’augmentation projetée de la dette nette des administrations infranationales ».

Peut-être peut-on appeler cela une bouée de sauvetage budgétaire.

Le seul problème, chers collègues, c’est que le gouvernement vient de décider de lancer cette bouée par dessus bord. Plutôt que de déposer un budget qui redresserait le bilan financier du Canada et qui assurerait sa viabilité financière, le premier ministre a fait disparaître tous les ancrages des objectifs financiers et il a laissé notre navire partir à la dérive. Si nous ne redressons pas le cap, nous irons dans la mauvaise direction et ce sont nos enfants et nos petits-enfants qui arriveront à une destination qu’ils auraient préféré éviter.

Je n’exagère pas, chers collègues. Lorsque Paul Martin, alors ministre des Finances, a présenté le budget qu’on a qualifié de transformateur pour le Canada en 1995, le ratio dette-PIB du pays était de 66,8 % et le paiement des intérêts accaparait 35,2 ¢ de chaque dollar des recettes fiscales. M. Martin avait réussi à équilibrer le budget en trois ans, mais il y est arrivé en grande partie en refilant la facture aux provinces.

Aujourd’hui, les provinces n’ont pas la capacité fiscale d’absorber de nouveaux coûts. Elles présentaient déjà des budgets déficitaires avant la COVID et la pandémie les a acculées au pied du mur. Elles devront faire face à des défis sans précédent liés à l’explosion des coûts en santé, au vieillissement de la population et au ralentissement de la croissance de la population active.

Pourtant, sachant tout cela, non seulement le gouvernement fédéral n’a pas mis d’ordre dans ses affaires, mais il a en plus décidé de lancer unilatéralement une initiative nationale sur la garde d’enfants, qui imposera de nouvelles dépenses de plusieurs milliards de dollars aux gouvernements provinciaux.

Au lieu de faire partie de la solution, le gouvernement est devenu le problème.

Chers collègues, le caucus conservateur au Sénat ne peut pas appuyer le présent budget ou projet de loi. Il ne le fera pas. Le gouvernement a montré encore une fois qu’il n’a pas de stratégie, qu’il est dépourvu de sagesse et qu’il n’est pas du tout conscient de ce que l’avenir nous réserve. Il jette l’argent par les fenêtres, sans aucun plan pour rétablir l’équilibre budgétaire, réduire notre dette nationale et assurer la prospérité à long terme des Canadiens. Il insiste pour faire l’autruche et prétendre que tout va bien quand ce n’est pas le cas. Cela devrait nous alarmer tous, chers collègues.

Au cours de l’année prochaine, les Canadiens devront faire un choix. Ils iront aux urnes pour décider s’ils veulent que les libéraux demeurent à la barre d’un bateau qui coule ou s’ils souhaitent qu’un gouvernement conservateur protège notre économie et nous prépare à un avenir incertain. Chers collègues, j’espère sincèrement que tous les sénateurs se rendront compte, contrairement aux députés, que ce budget n’est pas dans l’intérêt du Canada. Nous prétendons que le Sénat n’est pas partisan. Prouvons-le en votant contre ce budget. Merci.

Son Honneur le Président [ - ]

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur le Président [ - ]

L’honorable sénatrice Moncion, avec l’appui de l’honorable sénatrice Gagné, propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois. Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non. La motion est adoptée.

Le sénateur Patterson [ - ]

Avec dissidence.

Son Honneur le Président [ - ]

Avec dissidence.

Votre Honneur, nous avons dit non.

Son Honneur le Président [ - ]

Je suis désolé, un instant. Il n’y a pas besoin de paniquer. Cela signifie simplement que je ne vous ai pas entendu, sénateur Plett.

Son Honneur le Président [ - ]

Les greffiers ont-ils entendu un non?

Je parle aux greffiers. Avez-vous entendu un non qui m’a échappé?

Son Honneur le Président [ - ]

Merci. Ayant entendu un non, que les sénateurs qui sont en faveur de la motion et qui sont sur place veuillent bien dire oui.

Son Honneur le Président [ - ]

Que les sénateurs présents au Sénat qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Son Honneur le Président [ - ]

À mon avis, les oui l’emportent.

Je vois deux sénateurs se lever.

Son Honneur le Président [ - ]

Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Son Honneur le Président [ - ]

Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Le sénateur Mercer [ - ]

Dire qu’ils veulent diriger le gouvernement. Franchement.

Son Honneur le Président [ - ]

À l’ordre, s’il vous plaît.

Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie? Je m’adresse à l’agente de liaison du gouvernement au Sénat et à la whip de l’opposition.

Quinze minutes.

Son Honneur le Président [ - ]

Quinze minutes.

Le sénateur Harder [ - ]

Était-ce la voix de la whip?

Son Honneur le Président [ - ]

Le vote aura lieu à 20 h 58. Convoquez les sénateurs.

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