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Le Sénat

Motion concernant les minimums applicables aux projets de loi du gouvernement--Ajournement du débat

8 février 2022


L’honorable Scott Tannas [ + ]

Conformément au préavis donné le 14 décembre 2021, propose :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle :

1.sauf disposition contraire du présent ordre, la motion d’adoption à l’étape de la troisième lecture d’un projet de loi du gouvernement ne soit pas mise aux voix à moins que les ordres pour la reprise du débat aux étapes des deuxième et troisième lectures aient été appelés au moins trois fois au total, exclusion faite des séances au cours desquelles ont été proposées les motions d’adoption à ces étapes;

2.après la première lecture d’un projet de loi du gouvernement, et avant que soit proposée la motion fixant la date de la deuxième lecture, le leader du gouvernement au Sénat ou le leader adjoint du gouvernement au Sénat puisse proposer, sans préavis, que le projet de loi soit réputé une affaire urgente et que les dispositions du paragraphe 1 du présent ordre ne s’appliquent pas aux délibérations le concernant;

3.les dispositions ci-après s’appliquent à une motion proposée conformément au paragraphe 2 du présent ordre :

a)le débat doit uniquement porter sur la question de savoir si le projet de loi devrait être considéré comme une question urgente ou non;

b)le débat ne peut être ajourné;

c)le débat dure un maximum de 20 minutes;

d)le temps de parole de chaque sénateur est limité à 5 minutes;

e)les sénateurs ne peuvent prendre la parole qu’une seule fois;

f)le débat ne peut être interrompu pour quelque raison que ce soit, sauf pour la lecture d’un message de la Couronne ou le déroulement d’un événement annoncé dans un tel message;

g)si nécessaire, le débat peut continuer au-delà de l’heure fixée pour la clôture de la séance jusqu’à ce qu’il soit terminé et que soient terminés également les travaux qui en découlent;

h)le temps consacré au débat et à tout vote n’est pas compris dans la durée des affaires courantes;

i)sont irrecevables les amendements et autres motions, sauf la motion visant à donner la parole à tel sénateur;

j)la motion est mise aux voix à la fin du débat ou à l’expiration du temps alloué pour celui-ci;

k)si le vote par appel nominal est demandé, il ne peut être reporté et la sonnerie ne se fait entendre que pendant 15 minutes.

 — Honorables sénateurs, vous vous rappellerez mon discours et la discussion qui avait suivi dans les derniers jours de séances en décembre dernier. Nous avions alors renoncé, à regret, à nos droits et obligations visant l’examen en profondeur de mesures législatives qui, dans certains cas, n’avaient été renvoyées au Sénat que quelques heures avant l’ajournement prévu pour la période des Fêtes.

En fait, nous avons adopté un certain nombre de projets de loi en décembre d’une façon qui nous obligeait à renoncer à nos règles, en tout ou en partie, sur les processus de longue date qui encadrent le second examen objectif.

Certains projets de loi étaient urgents. Ils portaient sur des mesures économiques urgentes. Les Canadiens en avaient besoin. Ces mesures étaient prises en réponse à la crise de la COVID-19. Bien franchement, d’autres projets de loi étaient urgents du point de vue politique. Pour ceux-là, les raisons justifiant une adoption aussi rapide, sans tenir compte de notre Règlement, étaient beaucoup moins claires. Nous avons adopté tous les projets de loi.

Cette dernière journée, beaucoup d’entre nous ont exprimé des regrets et de la frustration parce que nous étions obligés, poussés et encouragés à compromettre notre devoir de second examen objectif. Dans le cadre de ces discussions, il y a eu un consensus selon lequel il fallait examiner la question et prendre des mesures pour éviter de vivre la même situation.

À mon avis, pour trouver une solution à un problème, il faut d’abord chercher à bien le comprendre. Je vais donc prendre un instant pour réfléchir à ce qu’est le problème. Je pense qu’il y a deux aspects sur lesquels nous devrions nous concentrer.

D’abord, la Chambre des communes ne semble pas accepter que le Sénat doive disposer d’assez de temps pour remplir son devoir constitutionnel de procéder à un second examen objectif des projets de loi. Je crois que ses façons de procéder le démontrent clairement, surtout quand on pense à décembre et juin derniers. Je dirais que ces situations étaient exceptionnelles, mais je suis sénateur depuis neuf ans, et il semble que cela se soit produit à répétition, mais jamais autant qu’en décembre dernier. À mon avis, voilà le premier problème.

Le deuxième problème, selon moi, c’est qu’au fil des ans et des gouvernements successifs d’allégeances différentes, le Sénat a permis au gouvernement de s’attendre à ce qu’il renonce à appliquer le Règlement ou qu’il raccourcisse ses processus à la faveur de projets de loi reçus durant les derniers jours d’une session. Nos propres actions ont démontré que nous étions disposés à mettre une croix sur notre travail durant les derniers jours d’une session.

Ces deux problèmes ayant été énoncés, quelles solutions pourrions-nous envisager? Nous avons déjà discuté de cette question. Le Règlement est clair, mais nous avons choisi de ne pas l’appliquer. La toute première solution à ces problèmes consisterait donc à modifier notre comportement. Nous devons cesser d’accorder toutes sortes de permissions, surtout à l’égard des projets de loi. Cette première étape me semble plutôt simple.

Pour simplifier encore plus les choses, je suis heureux d’annoncer que, après avoir discuté de la situation, les membres du Groupe des sénateurs canadiens ne consentiront plus à faciliter l’adoption de mesures législatives, notamment en renonçant à appliquer le Règlement. Nous ne le ferons plus. Nous pouvons nous fier au Règlement du Sénat. Nous pouvons envisager d’y apporter des changements. Nous pouvons entendre des explications pour justifier de tels changements. Cependant, nous rejetterons désormais toutes les demandes de consentement unanime. J’espère que tous les autres sénateurs suivront notre exemple.

Je crois que nous devons aussi porter un regard plus critique sur les urgences. J’ai déjà dit qu’une mauvaise planification ne constituait pas une urgence pour moi. Une mauvaise planification ne représente pas une urgence; l’opportunisme politique non plus, d’ailleurs. Même si nous désirons qu’une mesure législative soit adoptée, même si nous l’appuyons de tout notre cœur, nous devrions quand même faire le travail que nous sommes censés faire. En affaires, même si une entente est vraiment bonne ou importante, il faut faire preuve de diligence raisonnable. C’est aussi ce que nous devons faire.

Voici quelques idées sur les changements de comportements à envisager et sur les questions que nous devons nous poser si nous souhaitons résoudre ce problème. Je pense que nous devons mieux communiquer, et de façon plus sincère. Je suis d’avis que les comités devraient entamer leur travail avant que ne soient présentés les projets de loi, pour mieux appréhender le sujet et exposer leur plan de travail possiblement en amont. Il faut examiner ce point, voir s’il est possible de communiquer avec le leader du gouvernement et les sénateurs pour savoir de combien de temps ils auront besoin si on leur confie la tâche d’étudier le projet de loi.

Je pense que nous pouvons mieux communiquer pour sensibiliser les députés et la population à ce en quoi consiste notre travail lorsque nous étudions un projet de loi. Nous pourrions aussi leur expliquer pourquoi cela prend tant de temps. Je crois que nous pouvons aussi montrer que, dans la plupart des cas, nous traitons plus rapidement les projets de loi que la Chambre des communes, même lorsque nous respectons les règles et la discipline du Sénat. Le but étant d’expliquer clairement notre travail, de comparer le temps de traitement avec l’autre endroit, et de s’assurer que tout le monde comprend la valeur de notre travail. Il me semble qu’il nous reste beaucoup à faire dans ce domaine.

La troisième chose que nous devons faire, c’est modifier nos règles pour permettre l’accélération du processus dans certaines situations urgentes. La COVID-19 en est un parfait exemple. Les règles devraient dicter clairement la marche à suivre dans de tels cas. J’estime que cela améliorerait la transparence, laisserait place au débat et prouverait hors de tout doute, de façon publique, que nous avons expressément examiné la situation et que nous avons décidé, de manière réfléchie, de renoncer à nos droits et de ne pas nous acquitter de notre devoir d’exercer un second examen objectif.

Voilà le but de la motion no 30. Elle propose d’ajouter dans notre Règlement une procédure pour gérer de manière transparente et ordonnée les véritables situations urgentes. Cette procédure consisterait en un bref débat, déclenché par le leader du gouvernement, suivi d’une mise aux voix par appel nominal. Nous pourrions ainsi déterminer publiquement et de manière réfléchie si une mesure donnée représente une urgence qui justifie la suspension de nos droits et obligations prévus par la Constitution. Prises ensemble, ces trois choses — un changement de comportement, l’amélioration de la communication et la modification de nos règles — nous permettront peut-être d’éliminer les périodes de pointe à l’approche de Noël et à la fin juin.

Je sais que d’autres sénateurs ont d’autres idées sur la manière de régler cette question; certains diront peut-être qu’il n’y a rien que l’on puisse faire. Cependant, nous sommes impatients d’entamer le débat et les discussions sur cette motion. Nous n’avons aucun orgueil d’auteur. Nous faisons preuve d’une ouverture totale aux amendements, aux ajouts et aux suppressions — tout ce que les sénateurs voudront. J’ai entrepris, au nom d’un certain nombre de personnes qui me l’ont demandé, de présenter une mesure et, après y avoir réfléchi, je pense que la motion no 30 est utile. C’est l’une des choses qu’il faut faire et je serai heureux de poursuivre la discussion. Merci, honorables sénateurs.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition)

J’aimerais savoir si le sénateur Tannas accepterait de répondre à une question.

Le sénateur Tannas [ + ]

Oui.

À moins qu’il y ait d’autres questions, je proposerai l’ajournement du débat après celle-ci.

Son Honneur le Président [ + ]

Sénateur Plett, il est presque 18 heures. Le Règlement exige que je quitte le fauteuil, à moins que nous acceptions de ne pas tenir compte de l’heure. Quelqu’un souhaite-t-il que nous suspendions la séance? Si vous voulez suspendre la séance, veuillez dire « suspendre ».

Très bien. Je ne tiendrai donc pas compte de l’heure et nous allons poursuivre.

Sénateur Plett, quelqu’un souhaite participer au débat avant l’adoption de la motion d’ajournement.

Certainement, Votre Honneur, merci.

Sénateur Tannas, peut-être que je ne comprends pas bien, mais le deuxième paragraphe de votre motion se lit comme suit :

[...] après la première lecture d’un projet de loi du gouvernement, et avant que soit proposée la motion fixant la date de la deuxième lecture, le leader du gouvernement au Sénat ou le leader adjoint du gouvernement au Sénat puisse proposer, sans préavis, que le projet de loi soit réputé une affaire urgente et que les dispositions du paragraphe 1 du présent ordre ne s’appliquent pas aux délibérations le concernant [...]

Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire qu’il ne nous revient pas de travailler en urgence en réponse à la mauvaise gestion du gouvernement. Cependant, ce paragraphe ne permettrait-il pas au leader du gouvernement de décider que la mauvaise gestion — constante et quotidienne — du gouvernement amène une affaire à devenir urgente?

Avant même que le projet de loi C-10 soit présenté à la Chambre des communes, on nous a dit qu’il s’agissait d’une question urgente. Pourtant, la Chambre des communes n’en est même pas encore saisie. Cela n’anéantit-il pas votre motion au complet?

Le sénateur Tannas [ + ]

C’est une bonne question. Franchement, la motion vise la tenue d’un débat contrairement à la façon dont nous procédons actuellement. Le gouvernement adresse des exhortations aux leaders ou mène des tractations lors de leurs réunions, il exerce des pressions sur les caucus ou les groupes pour qu’ils restent silencieux et ne s’opposent pas à ses mesures, et il exerce des pressions sur chacun des sénateurs individuellement pour qu’il ne donne pas son consentement ou pour qu’il le donne, ce qui est une façon de semer la discorde parmi nous.

De la façon proposée, le leader du gouvernement devrait prendre la parole pour faire valoir pourquoi il s’agit d’une question urgente. Nous pourrions, au cours d’un débat et par le biais de questions, lui demander pourquoi il s’agit d’une urgence. Ensuite, nous pourrions décider collectivement à l’aide d’un vote par appel nominal s’il s’agit ou non d’une urgence. Cette façon de faire n’empêche pas les mesures mal planifiées de devenir nos urgences, mais elles le deviendront de manière délibérée et transparente et par le biais d’un vote.

J’accepte qu’il s’agisse de votre intention, sénateur Tannas. Bien sûr, comme je l’ai dit, lorsque le débat au Sénat s’épuisera, je proposerai l’ajournement parce que je veux étudier la motion. Selon mon interprétation, je ne pense pas que ce que vous venez de dire se produirait.

Je ne suis pas un avocat d’élite, mais je pense que cela signifie que le sénateur Gold peut décider qu’il s’agit d’une question urgente et nous dire : « Je me fiche de ce que dit le paragraphe 1. Je dis qu’il s’agit d’une question urgente. » À mon avis, on dirait que le gouvernement incompétent actuel est toujours autorisé à faire ce que j’ai dit. Je ne parle pas du leader du gouvernement, mais du gouvernement incompétent qui est en place et que le sénateur Gold doit malheureusement représenter.

Il conviendrait peut-être de trouver un moyen de changer cela. Je n’en suis pas sûr, mais nous voudrons certainement nous pencher sur la question pendant un certain temps et prendre une décision. Si vous voulez répondre à ce que j’ai dit, n’hésitez pas. C’était un commentaire plus qu’une question, mais je vous en prie.

Le sénateur Tannas [ + ]

Comme je l’ai dit, nous essayons de trouver toutes les règles possibles pour reconnaître légitimement les urgences réelles, en débattre, décider qu’il s’agit d’une urgence et proposer une mesure législative au lieu de prendre une décision à la suite de négociations parallèles et de pressions qui seront certainement toujours exercées par le gouvernement, comme téléphoner aux gens et leur dire qu’il faut que cela se fasse, entre autres. Selon eux, c’est vital. C’est toujours vital et c’est toujours une urgence.

Nous devons cesser de mener ces discussions dans les couloirs et les tenir dans le Sénat et permettre aux sénateurs de décider s’ils veulent renoncer à leurs droits et leurs obligations constitutionnels lors de l’examen d’un projet de loi et de quelle manière. Nous sommes ouverts à tout amendement qui, selon vous, permettra de résoudre le problème. Merci.

L’honorable Denise Batters [ + ]

Sénateur Tannas, je viens de regarder tout cela rapidement. Si j’ai bien compris, pour les projets de loi que le gouvernement pourrait considérer urgents, votre troisième paragraphe indique qu’il faut déterminer s’il s’agit effectivement d’une urgence et si oui, qu’il peut y avoir débat, mais que ce débat ne durerait pas plus de 20 minutes, les discours étant de 5 minutes, ce qui veut dire qu’un maximum de quatre sénateurs pourraient parler pendant cinq minutes. C’est bien exact? Je ne suis pas certaine qu’il serait alors possible d’arriver au cœur du problème. Je peux comprendre qu’on souhaite éviter que le débat traîne en longueur, mais la durée proposée m’apparaît extrêmement courte, surtout pour un endroit comme le Sénat.

Le sénateur Tannas [ + ]

Je suis d’accord. Nous avons proposé les durées les plus courtes possible, en gardant à l’esprit qu’elles seraient réexaminées de près. Il pourrait être logique d’avoir un débat d’une heure, ou un débat de cinq heures. Nous sommes ouverts aux idées, mais nous avons choisi une durée de 20 minutes parce que, s’il s’agit réellement d’une urgence, cela devrait nous sauter aux yeux. Peut-être que ce ne sera pas le cas. Nous aurons peut-être besoin de plus de temps, à l’occasion, pour creuser la question. Peut-être faudrait-il augmenter le temps prévu.

L’honorable Yuen Pau Woo [ + ]

Sénateur Tannas, accepteriez-vous de répondre à une question? Je vous remercie de soulever cette question importante et de nous faire réfléchir à l’importance de nos responsabilités constitutionnelles.

Premièrement, si certains sénateurs, y compris des membres de votre caucus et d’autres sénateurs dans cette enceinte, ont décidé de ne plus accorder le genre de consentement que vous décrivez — comme nous nous sommes permis de le faire avant la pause des Fêtes —, qu’elle est l’utilité de cette motion? Si des sénateurs n’accordent pas leur consentement, nous ne serons jamais dans une situation où l’étude d’un projet de loi est précipitée.

Deuxièmement, tandis que j’ai la parole, si nous avons encore la possibilité de ne pas accorder notre consentement à toutes les étapes du débat, et de proposer l’ajournement du débat, alors nous pouvons exercer nos droits et nous ne serons pas dans une situation où l’étude d’un projet de loi est précipitée.

Si nous pouvons faire appliquer les règles normales, alors le gouvernement peut faire valoir l’urgence d’adopter un projet de loi à l’étape de la deuxième lecture, ce qui est bien plus substantiel que la brève intervention pendant un débat de 20 minutes, comme vous l’avez proposé. Je me demande si le Règlement actuel nous donne déjà la possibilité d’éviter le genre de problèmes que vous nous avez signalés, à juste titre.

Le sénateur Tannas [ + ]

Pour bon nombre d’entre nous, le problème est que le Règlement actuel ne prévoit pas vraiment de délai plus court. Nous disposons de « dans deux jours ». Toutes les mesures qui retardent le renvoi à un comité et qui étirent les procédures à la Chambre prennent au minimum un certain nombre de jours.

Nous ne sommes peut-être pas disposés à donner le consentement parce que, pour bon nombre d’entre nous, le consentement est difficile; c’est un fusil sur la tempe. Prenons le cas d’un sénateur dont le groupe a négocié le consentement ou qui subit de la pression de la part du groupe pour qu’il accorde son consentement — qu’il ne dise rien, autrement dit. Les négociations ont eu lieu ailleurs, à huis clos. Cela paraît étrange pour les membres du public de voir tous les sénateurs assis en silence pendant qu’un projet de loi passe par les différentes étapes du processus.

Si nous pensons que faire adopter un projet de loi simplement en donnant notre consentement fait partie du problème, alors nous devons disposer d’une mesure au moins pour remplacer cette façon de faire : une mesure transparente qui puisse être débattue et mise aux voix dans un délai raisonnable pour nous mettre sur une voie différente, mais de façon publique.

L’honorable Diane Bellemare [ + ]

Est-ce que le sénateur Tannas accepterait de répondre à une question?

Le sénateur Tannas [ + ]

Oui.

La sénatrice Bellemare [ + ]

Sénateur Tannas, vous proposez de recourir à une motion dont le but serait d’éviter que nous nous retrouvions, comme cela s’est produit par le passé, avec des mesures qui nous empêcheraient de faire l’étude du projet de loi.

Si un comité de gestion était chargé de régulariser notre approche face à un projet de loi du gouvernement, comme on l’a déjà fait pour d’autres projets de loi, ne pensez-vous pas qu’il nous donnerait plus de poids, par rapport à la Chambre des communes, et que cela nous permettrait de prévenir de telles urgences? Est-ce qu’un tel comité, qui serait plutôt permanent, ne nous permettrait pas également de faire face à ces urgences? Avez-vous pensé à cette possibilité?

Le sénateur Tannas [ + ]

Lorsque nous avons eu recours à des motions d’organisation des travaux, l’échéancier n’était pas problématique. Nous n’avons habituellement pas été coincés par l’approche de la fin juin ou de la pause de Noël lorsque nous avons employé de telles mesures.

Nous y avons eu recours pour examiner des questions vastes, complexes et extrêmement importantes. Je pense que le recours à des ententes concernant l’organisation des travaux devrait se limiter à de telles circonstances, autrement dit, seulement dans les cas où les sénateurs s’entendent pour dire que le débat porte sur une question vaste, complexe et importante, peu importe le résultat escompté. Je crois que les ententes concernant l’organisation des travaux ou le recours à un comité d’organisation des travaux ne devraient s’appliquer qu’à ce type de situation.

Instinctivement, je me méfie de l’idée qu’un comité d’organisation pourrait déterminer le déroulement de nos travaux dans cette enceinte. Il y aurait un grand risque d’abus de pouvoir, surtout dans un contexte de majorité. Je ne veux pas insinuer que cette problématique existe à l’heure actuelle, mais dans l’histoire du Sénat, cela se produira. Je ne suis pas chaud à l’idée que l’étude de chaque projet de loi soit automatiquement organisée par un comité. Je crois comprendre que d’autres sénateurs sont favorables à cette proposition, mais cette dernière pourra faire l’objet d’un débat à une date ultérieure.

Ce qui m’intéresse, c’est de trouver une solution au problème récurrent des projets de loi que la Chambre des communes largue au Sénat juste avant de partir en vacances. Cette situation empêche les sénateurs de préparer des amendements ou des améliorations par manque de temps, ce qui nous force à pratiquement approuver aveuglément des mesures législatives. Voilà le problème que je soulève aujourd’hui et qui survient très souvent à l’approche de Noël et du mois de juin. Merci.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) [ + ]

Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Tannas [ + ]

Certainement.

Le sénateur Gold [ + ]

Je vous remercie d’avoir exposé votre point de vue à ce sujet. J’en aurai sûrement plus à dire moi-même lorsque je participerai au débat.

Je dois concéder ou admettre que je crois fermement à la souplesse dont le Sénat, notre Règlement et nos pratiques ont toujours su faire preuve.

Comme beaucoup d’entre vous le savent — je me tourne vers notre honorable collègue le sénateur Plett —, ce ne sont pas les moyens qui manquent pour ralentir le déroulement des travaux, qu’il s’agisse d’un projet de loi du gouvernement ou d’une autre nature, si les sénateurs croient qu’il n’est pas dans l’intérêt public de l’adopter. Voilà qui m’amène à ma question.

Permettez-moi de noter qu’en ce qui concerne les projets de loi d’initiative parlementaire et les projets de loi d’intérêt public adoptés au Sénat en juin dernier, le Sénat n’a pas respecté, et de loin, les délais décrits dans votre motion. En voici la liste : le projet de loi C-220, Loi modifiant le Code canadien du travail (congé de décès); le projet de loi C-228, Loi établissant un cadre fédéral visant à réduire la récidive; le projet de loi C-237, Loi prévoyant l’élaboration d’un cadre national sur le diabète; le projet de loi S-211, Loi instituant la Journée internationale de la langue maternelle; le projet de loi S-230, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (attribution de la citoyenneté à certains Canadiens); le projet de loi C-210, Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (donneurs d’organes et de tissus); et le projet de loi C-208, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (transfert d’une petite entreprise ou d’une société agricole ou de pêche familiale).

Sénateur Tannas, l’examen de ces projets de loi a-t-il été accéléré par manque d’outils procéduraux pouvant nous permettre de retarder les choses et de nous acquitter de notre obligation ou simplement parce que l’ensemble des sénateurs ont décidé que les projets de loi en question relevaient de l’intérêt public?

Le sénateur Tannas [ + ]

Je crois que certains sénateurs ont décidé qu’ils relevaient de l’intérêt public, mais, en toute franchise, sénateur Gold, dans certains cas, des marchés politiques ont été conclus à la Chambre des communes ou ici même au Sénat, afin que des projets de loi soient adoptés ou qu’on leur accorde une certaine importance ou non. Une série de marchés politiques a donc permis l’adoption des projets de loi.

On peut prétendre qu’il s’agissait de projets de loi valables. Ceux d’entre nous qui les ont appuyés en furent bien heureux, mais, en fin de compte, pour certains de ces projets de loi, nous ne nous sommes peut-être pas rendus service et nous n’avons peut-être pas bien rempli notre devoir.

Comme je l’ai dit, il s’agit de projets de loi du gouvernement. Vous-même voudriez disposer d’un tel outil dans le Règlement, plutôt que d’un outil improvisé au fur et à mesure qui comprendrait des permissions et des motions prénégociées en dehors du Sénat. Voilà ce que je souhaite examiner pour nous permettre de poursuivre notre travail d’examen des projets de loi de manière attentive et en temps opportun.

L’honorable Raymonde Saint-Germain [ + ]

Sénateur Tannas, accepteriez-vous de répondre à une autre question?

Le sénateur Tannas [ + ]

Oui.

La sénatrice Saint-Germain [ + ]

Dans cette intéressante conversation que vous nous amenez à tenir, vous semblez considérer que les règles du Sénat et les pratiques ne nous ont pas permis, jusqu’à maintenant, de faire la part des choses entre un projet de loi urgent et un projet de loi non urgent ni de porter un second examen attentif sur certains projets de loi d’une manière notable et sérieuse.

Considérez-vous que les études préalables que nous pouvons autoriser en vertu des règles constituent également un moyen de devancer, dans certains cas, notre examen des projets de loi? Considérez-vous que cela pourrait être bénéfique dans certaines situations — pas toutes, mais certaines situations — qui pourraient être urgentes et qui pourraient nous éviter d’estampiller un projet de loi? Croyez-vous que les études préalables sont un outil et une pratique que nous devrions favoriser autant que possible?

Le sénateur Tannas [ + ]

Oui, je crois aux études préalables, et nous avons procédé à de telles études pour un certain nombre de projets de loi. Je dirais qu’une partie de la frustration de certains d’entre nous à l’approche de Noël concernait un projet de loi pour lequel il y avait eu une étude préalable et auquel on avait ajouté, littéralement quelques heures avant qu’il arrive au Sénat, une toute nouvelle disposition qui n’avait jamais été étudiée. Ainsi, parfois, même avec la meilleure des intentions, la politique à la Chambre se fait sentir dans cette enceinte.

Je pense que plus nous aurons accès à des outils dans le Règlement, comme l’étude préalable — pour laquelle un processus d’approbation existe —, mieux ce sera. La méthode proposée nous permettra d’ajouter de nouveaux outils dans le Règlement et d’éviter de toujours choisir par défaut de négocier et de chercher à obtenir le consentement ou à employer d’autres moyens qui ne sont pas transparents ni nécessairement réfléchis — du moins, du point de vue du public.

L’honorable Jane Cordy [ + ]

Merci, sénateur Tannas. Il s’agit d’une question extrêmement importante. Je crois que nous avons été interviewés par le même quotidien la semaine dernière et nous avons tous les deux exprimé notre frustration concernant la manière de résoudre le problème. J’ai eu une conversation assez longue avec le journaliste. On lance une idée et on nous répond: « Eh bien, qu’en est-il de cela? » et « Que dire de ceci? ».

La sénatrice Carstairs, à l’époque où elle était leader, arrivait très bien à faire comprendre que si un projet de loi n’arrivait pas avant une date précise en juin ou en décembre — car ces mois semblent être les plus névralgiques —, le Sénat ne les étudierait pas. Le problème, c’est que cela fonctionne si le gouvernement est majoritaire à la Chambre. Cela ne fonctionne pas nécessairement avec un gouvernement minoritaire, parce qu’il est alors très facile de retarder l’adoption des projets de loi à l’autre endroit de manière à ce que l’échéance fixée ne soit pas respectée.

Je me réjouis que vous souleviez le sujet, car je crois qu’il faut en discuter en profondeur.

J’ai une question un peu ridicule, parce que l’on retarde sciemment les choses de toute façon, mais comment faut-il procéder pour éviter que l’on se serve du Règlement tant pour accélérer l’adoption d’un projet de loi que pour la retarder? Comment devrions-nous collaborer pour en arriver à un processus équitable pour toutes les parties? Il y a peut-être 5 ou 10 facettes à une question, mais, pour dire les choses simplement, comment faire pour que toutes les parties se fassent entendre dans un délai raisonnable — de manière à ce que les choses ne traînent pas et que, si l’on dépasse l’échéance du 5 décembre, le projet de loi ne soit pas étudié — tout en assurant, d’autre part, que l’on ne précipite pas les choses, sans rien court-circuiter et sans empêcher la tenue d’un sain débat sur un projet de loi, une mesure législative? Vous parlez beaucoup d’outils. Comment utiliser nos outils efficacement afin d’assurer la tenue d’un débat légitime?

Le sénateur Tannas [ + ]

Vous avez plusieurs arguments intéressants. Pour commencer, concernant les comportements, il vaut mieux communiquer avec l’autre endroit. Si nous savons de combien de temps aura besoin le comité et que nous avons une assez bonne idée de la teneur du projet de loi et des moyens à mettre en œuvre pour qu’il soit débattu en profondeur, nous pourrions parler à la Chambre et lui dire : « Si vous voulez que nous ayons terminé l’étude de ce projet de loi avant que le Sénat s’ajourne, nous avons besoin de tant de temps ». Nous pourrions aussi dire : « Ainsi, voyez-vous, nos collègues de l’autre endroit, quelle que soit l’opposition, savent facilement jusqu’à quel point ils peuvent repousser le travail ».

Il faut toutefois être cohérents, car ils ont décidé ensemble de nous confier le travail le dernier jour. S’ils ont décidé ensemble de le faire au dernier moment, ils pourraient probablement décider de le faire deux semaines avant que nous ajournions le Sénat, s’ils connaissent bel et bien la date de notre dernière séance.

Je suis persuadé qu’il est possible de faire évoluer les choses sur le plan du comportement et des attentes de l’autre endroit, car eux aussi doivent nous aider à régler cette question. Nous en revenons à la même question. Apprécient-ils notre travail à sa juste valeur et savent-ils réellement de combien de temps nous avons besoin?

Je pense que nous devrions régler cette question de notre côté et les laisser régler les choses de leur côté. J’ose espérer qu’en communiquant mieux, nous pourrons au moins nous engager sur cette voie.

L’honorable Frances Lankin [ + ]

Sénateur Tannas, c’est une discussion très importante pour nous tous au Sénat. Elle est aussi importante pour les Canadiens — même si je ne pense pas qu’ils soient le moindrement intéressés par ces questions de procédures internes — afin de garantir que les sénateurs peuvent vraiment assumer leur responsabilité d’examiner les projets de loi, ce qu’on appelle souvent le « second examen objectif », et qu’ils sont capables, dans le cadre de l’ensemble des processus et des règles, de bien faire leur travail.

Beaucoup de sénateurs ont parlé du fait qu’il existe des règles qui pourraient être utilisées. Vous avez dit que le Groupe des sénateurs canadiens ne donnerait pas son consentement pour accélérer l’étude des projets de loi du gouvernement. C’est un message très ferme. Je remercie votre groupe d’avoir discuté de ce sujet et de l’avoir soumis au reste des sénateurs et à ceux qui pensent que nous ne faisons qu’utiliser les règles existantes ou quelque chose du genre.

Il y a d’énormes pressions lorsqu’une mesure législative est qualifiée d’urgente par le gouvernement et que les travaux de la Chambre des communes sont ajournés. Nous savons que si nous apportons des modifications, la mesure doit être renvoyée à une Chambre vide. En juin et en décembre, de tels changements retardent la progression du projet de loi de plusieurs mois, et non seulement d’une ou deux semaines. Il est important d’être bien conscient des répercussions.

Je comprends pourquoi le bureau du représentant du gouvernement au Sénat a présenté cette motion. J’attends avec impatience le discours du sénateur Gold à ce sujet, bien que je pense en avoir eu un aperçu. C’était plus qu’une question. Je comprends le désir de pouvoir faire appel à un groupe de leaders pour régler les problèmes.

Toutefois, comme l’a signalé le sénateur Tannas, cela pose parfois problème parce que ce qui constitue une urgence est obscur pour beaucoup d’entre nous. Nous recevons parfois une mesure législative à la dernière minute. Nous n’avons pas tous la même volonté — du moins, c’est que j’ai observé au cours des années que j’ai passées ici — de résister à ces pressions, à part dans des circonstances extraordinaires.

Ce débat est fort important. Sénateur Tannas, j’appuie votre motion. Je tiens sincèrement à discuter avec d’autres sénateurs des améliorations qui pourraient être apportées ou des embûches dont nous ne sommes pas conscients. Il nous faudra donc débattre et, un jour, examiner en groupes cette question pour déterminer à qui adresser certaines des critiques formulées et les convictions auxquelles nous devons demeurer fidèles.

Je tiens à dire, tout particulièrement, que selon moi, ce genre de règle est un outil important pour informer la Chambre des communes de notre travail et des nos attentes par rapport aux échéanciers. Il ne suffit pas de dire simplement : « Nous ajournons habituellement une semaine ou une semaine et demie après la Chambre des communes, alors nous avons le temps. » Tout dépend du nombre de projets de loi qui nous sont renvoyés, mais il y a également cette pression implicite parce que la Chambre des communes risque de ne pas pouvoir recevoir nos amendements si elle ne siège plus.

Je crois qu’il est important d’énoncer clairement la procédure à suivre dans notre Règlement, de prévoir un mécanisme qui nous permettrait, collectivement, de déterminer, par une majorité des voix au Sénat, si un projet de loi est véritablement urgent et qui nous permettrait, le cas échéant, d’en accélérer l’étude. Je crois qu’il est important de restreindre la durée du débat visant à déterminer s’il s’agit ou non d’une mesure urgente. Personnellement, je ne tiens pas mordicus à ce que cette durée soit de 20 minutes. Vous non plus. Nous déterminerons cela plus tard.

Nous avons beaucoup de choses à discuter à ce sujet. Vu l’heure qu’il est, Votre Honneur, je propose l’ajournement du débat pour le reste de mon temps de parole. Merci beaucoup.

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