Projet de loi sur la diffusion continue en ligne
Projet de loi modificatif--Motion tendant à autoriser le Comité des transports et des communications à étudier la teneur du projet de loi--Suite du débat
19 mai 2022
Honorables sénateurs, je dois avouer que j’étais perplexe et que je me suis demandé si j’allais prendre la parole aujourd’hui, après avoir constaté l’objectif tout à fait dilatoire de ce débat. Cependant, je crois qu’il est important d’expliquer aux Canadiens pourquoi une étude préalable de ce projet de loi est pertinente dans le présent contexte.
Mon intervention portera sur le principe de cette étude préalable et sur son importance pour nos travaux relatifs à ce projet de loi.
Certaines des objections soulevées hier lors du débat m’ont particulièrement interloquée. Alors que le Sénat se targue, avec raison, de consacrer plus de temps que la Chambre des communes à l’examen des projets de loi, alors que nous nous enorgueillissons aussi, avec raison, d’offrir un plus grand nombre d’heures et un plus grand nombre d’occasions aux Canadiens de porter leur voix, de témoigner au sein de leurs comités et de partager leur expertise avec nous, dans notre second examen attentif, voilà maintenant que nous passons des heures à débattre de la pertinence de faire une étude préalable sur un projet de loi complexe, un projet de loi qui a fait, a fortiori, l’objet de désinformation.
Si, historiquement, les études préalables qui ont été effectuées par les comités du Sénat ont été principalement réservées aux projets de loi omnibus, dont les projets de loi liés aux budgets, 42 % de ces études préalables ont porté sur des questions non budgétaires au cours des 30 dernières années.
Je reviendrai rapidement sur les études préalables, mais permettez-moi cependant de vous faire part de mon étonnement devant certaines questions qui ont été posées hier au représentant du gouvernement au Sénat, le sénateur Gold, et qui portaient sur le dépôt au Sénat de projets de loi du gouvernement, les projets de loi « S », dont le projet de loi S-8 que nous venons tout juste d’étudier.
Voici la question que mon estimé collègue le sénateur Carignan a posée hier — je le dis en français et je le cite :
[...] le travail du Sénat et des sénateurs n’est pas de faire un second examen objectif de mesures présentées par des fonctionnaires, mais bien d’étudier les projets de loi adoptés à la Chambre des communes [...]
Cela veut-il dire que le Sénat ne devrait dorénavant plus étudier directement les projets de loi du gouvernement, comme il l’a fait à différentes reprises? Oui, je suis interloquée, honorables sénateurs.
Lors de la deuxième session de la 41e législature, le leader du gouvernement conservateur au Sénat, le sénateur Carignan — et il en atteste —, avait lui-même déposé six de ces projets de loi gouvernementaux, dont j’ai la liste. Allait-il alors à l’encontre du rôle du Sénat? Poser la question, c’est y répondre.
Je reviens donc aux études préalables. J’ai également remarqué qu’au cours de la deuxième session de la 41e législature — session qui a duré moins de 20 mois —, 10 études préalables ont été effectuées par le Sénat, dont 4 seulement portaient sur des projets de loi budgétaires. Il faut donc en conclure que la majorité de ces études préalables, soit 6 sur 10, portaient sur des projets de loi non budgétaires. J’en ai aussi la liste. Ce qui est bon pour un gouvernement n’est-il pas également bon pour un autre?
Honorables sénateurs, bien que l’histoire de notre institution doive nous inspirer, elle ne doit pas nous limiter. Le Sénat est maître de son destin. Je pense que le recours à des études préalables, permettant de mieux soutenir l’examen de projets de loi gouvernementaux complexes et de mieux organiser nos propres travaux parlementaires durant des périodes stratégiques, comme avant un ajournement pour l’été, est une utilisation judicieuse de notre temps et de nos ressources.
Je sais que certains craignent que le projet de loi C-11 soit amendé avant d’être présenté au Sénat, ce qui, de l’avis de certains collègues, ferait de ces études préalables une perte de temps pour le Sénat et ses comités. Cependant, je n’arrive pas à la même conclusion.
Je crois, au contraire, que le Comité sénatorial permanent des transports et des communications pourrait s’assurer de convoquer des témoins clés qui viendraient lui faire part de leur expertise sur le fond et les principes sous-jacents de ce projet de loi, lesquels ne seront pas modifiés par de futurs amendements.
Ces études préalables pourraient mettre en lumière les principales propositions de politiques et les enjeux associés à ces projets de loi complexes, qu’il soit question de celui-ci ou du projet de loi C-13. Cela nous permettrait d’être prêts à agir efficacement en temps opportun.
Il convient également de noter qu’une étude préalable n’exclut pas une étude. Il incombera aux membres du comité de faire ces recommandations ou observations au Sénat à la fin de leurs travaux et à la suite des modifications apportées au projet de loi. De plus, le fait qu’un ou deux comités effectuent une étude préalable n’empêche pas les nombreux autres comités du Sénat d’effectuer des études de fond et des enquêtes.
Les études préalables permettent de mieux organiser notre travail en temps utile. De plus, elles sont efficaces pour éviter le recours à l’attribution de temps et, si nous sommes bien organisés, rien ne justifie qu’un gouvernement recoure à un tel outil. Néanmoins, si le gouvernement recourait à l’attribution de temps en dépit de nos efforts, nous devrions alors agir en conséquence.
Certains d’entre nous soutiendront également que les études préalables ne sont pas nécessaires, car nous ne sommes ni à la veille d’une élection ni à la fin d’une session parlementaire. Cependant, ces arguments ne nous empêchent pas d’être proactifs.
Le projet de loi C-11 est une priorité du gouvernement. Il figurait dans le programme électoral du gouvernement, comme nous le savons, et se trouve à l’autre endroit depuis la dernière législature.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-11 a été présenté à la Chambre il y a quatre mois. Dans sa forme précédente, le projet de loi C-11, qui était alors le projet de loi C-10, avait même franchi l’étape de la troisième lecture à la Chambre des communes et nous avait été transmis à la toute fin de la deuxième session de la quarante-troisième législature. Nous nous acquittons donc de notre rôle en étant adéquatement préparés lorsque le projet de loi C-11 arrivera dans cette enceinte. Je crois que la façon la plus efficace de le faire est de réaliser une étude préalable en comité.
Il y a un autre argument très simple en faveur de ces études préalables. Nous avons actuellement le temps et les ressources nécessaires pour leur réalisation. Peu de projets de loi du gouvernement figurent dans notre programme législatif, et les deux comités visés par ces motions — la présente motion et celle concernant le projet de loi C-13 — n’ont aucune affaire gouvernementale à leur ordre du jour. Alors, pourquoi retarder ce travail?
À mon avis, il n’y a aucune raison de le faire, et les Canadiens auraient raison de nous reprocher un grave manquement à nos responsabilités si nous n’étudions pas au préalable les projets de loi C-11 et C-13.
Chers collègues, nous devons mettre de l’ordre dans notre façon de fonctionner et agir de façon responsable. Nous dépensons du temps et de l’énergie dans un débat qui serait beaucoup plus pertinent s’il portait sur le fond de ce projet de loi. Ne perdons pas notre temps à nous quereller, utilisons-le plutôt à bon escient. Merci, meegwetch.
La sénatrice Saint-Germain accepterait-elle de répondre à une question?
Certainement, monsieur l’ex‑leader du gouvernement au Sénat.
Comme vous avez fait un historique des projets de loi du gouvernement qui ont été déposés au Sénat, avez-vous réalisé également que, au cours de la présente session, le Sénat traite plus de projets de loi à l’étape du premier examen qu’à l’étape du deuxième examen? Nous avons actuellement plus de projets de loi à étudier au moyen d’une étude préalable que dans le cadre d’un second examen objectif. Avez-vous fait le calcul?
Merci de la question, sénateur Carignan.
Je pense qu’un examen de notre part sous forme d’étude préalable est fait aussi avec sérieux. Il faut reconnaître que, depuis plus de deux ans, nous sommes en période pandémique, ce qui a dû influencer les décisions, la législation du gouvernement, les travaux de la Chambre des communes et les travaux de notre propre Chambre. Je considère que cette période pandémique est exceptionnelle et qu’il est difficile de faire des comparaisons avec le fonctionnement normal et habituel des deux Chambres du Parlement au cours des dernières décennies.
Ne craignez-vous pas que l’exception devienne la règle?
Non.
Sénatrice Saint-Germain, hier, notre collègue le sénateur Carignan a laissé entendre que la tâche du Sénat n’est pas d’exercer un second examen objectif sur des mesures présentées par des employés de la fonction publique, mais d’examiner les projets de loi adoptés à la Chambre des communes. Je me demande si vous êtes au courant que, le 1er avril 2014, le sénateur Carignan, qui était alors leader du gouvernement — en collaboration avec notre collègue la sénatrice Martin, qui était alors leader adjointe —, a présenté une motion du gouvernement pour demander une étude préalable de l’ancien projet de loi C-23, connu sous le nom de la Loi sur l’intégrité des élections, et qu’il avait ensuite, le même jour, donné préavis d’une attribution de temps pour restreindre le débat sur la nécessité d’une étude préalable.
À cette même date, lors de la période des questions, on avait demandé au sénateur Carignan de se prononcer sur l’étude préalable du projet de loi C-23, et il avait répondu ceci :
Comme je le dis souvent, étudier davantage ne veut pas dire étudier moins, et avoir la chance d’étudier de façon parallèle, en même temps que la Chambre des communes, ne nous empêchera pas de procéder à une deuxième réflexion par la suite, lorsque le projet de loi sera adopté à la Chambre des communes et transmis au Sénat. Donc, il vaut mieux 100 fois se remettre sur le métier, comme on dirait. Si on a la chance d’étudier deux fois le projet de loi, c’est encore mieux.
Par conséquent, sénatrice Saint-Germain, considérez-vous également que les études préalables du Sénat donnent la possibilité au Sénat de bien exécuter leur devoir de second examen objectif et de débattre de manière à compléter le travail des élus à la Chambre des communes?
Merci de votre question, sénateur Gold. Je viens de consulter ma liste des études préalables, notamment celles qui avaient été présentées par le gouvernement à l’époque, et je vois le projet de loi C-23. Mon document est en français, alors je vais vous lire cet extrait en français :
Il s’agit de la Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d’autres lois et modifiant certaines lois en conséquence, un projet de loi non budgétaire. Je vois que ce projet de loi a été déposé par le député Pierre Poilievre et qu’il a fait l’objet d’une étude préalable par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles le 8 avril 2014 et adopté à la Chambre des communes le 13 mai 2014.
Cela me donne l’occasion, encore une fois, de faire cette observation : pourquoi est-ce une bonne chose lors d’une législature précise, pour un gouvernement précis, mais une mauvaise chose pour un autre gouvernement? Je pense que nous devons nous poser cette question et je répète que les études préalables sont pertinentes dans le cas de projets de loi complexes, alors je ne blâme pas du tout le gouvernement conservateur précédent. Cependant, ce que je déplore, c’est le manque de cohérence dont on fait preuve lorsqu’il s’agit d’évaluer la pertinence de mener une étude préalable et même de présenter un projet de loi d’initiative ministérielle au Sénat, alors que ce serait tellement pertinent. Ce ne l’est pas toujours. Il ne faut pas nécessairement que les études préalables deviennent la norme. J’en conviens, et je suis d’accord avec le sénateur Carignan à cet égard. Néanmoins, de toute évidence, dans le contexte actuel, j’estime qu’il ne fait aucun doute que le projet de loi C-11 et même le projet de loi C-13 méritent de faire l’objet d’une étude préalable.
Sénatrice Saint-Germain, je siégeais au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles lorsqu’il a fait une étude préalable au sujet de la Loi sur l’intégrité des élections. Je me demande si vous saviez que, lorsque nous avons mené cette étude préalable, le projet de loi était considérablement plus avancé à la Chambre des communes que ne l’est le projet de loi dont nous parlons maintenant, et que grâce à l’étude préalable du Sénat et au consensus établi au sein du comité, nous avons pu apporter des changements de fond au projet de loi et les suggérer au gouvernement, lequel a suivi nos conseils et modifié le projet de loi en conséquence. Le gouvernement a pu intégrer ces changements pendant le processus de la Chambre des communes, avant de renvoyer le projet de loi au Sénat.
Il s’agit d’un déroulement idéal pour une étude préalable. Il est idéal que les travaux soient déjà relativement avancés à la Chambre des communes, qu’il y ait une étude préalable au Sénat pendant laquelle nous faisons un travail précis et assurons un second examen objectif comme il se doit, puis que le gouvernement suive nos conseils, contrairement à ce qui s’est passé dans certains dossiers au cours des cinq dernières années, alors que le gouvernement Trudeau n’a pas suivi des conseils de fond que nous lui avons fourni après l’étude préalable de certains projets de loi.
Sénatrice Batters, je sais que la Loi sur l’intégrité des élections est l’un des 10 projets de loi qui ont fait l’objet d’études préalables en moins de 20 mois lorsque des gouvernements conservateurs étaient au pouvoir; je vois aussi le lien qui existe entre le projet de loi dont nous discutons et la Loi sur l’intégrité des élections. Je note avec intérêt que le second examen objectif des parlementaires non élus a été utile à la Chambre des élus. Il s’agit d’une exception intéressante puisque, pour les projets de loi de ce genre, je dirais que l’expertise et le contexte précis des députés jouent un rôle clé. Je crois donc que le gouvernement conservateur a pris une très bonne décision. Je vous félicite, vous et les autres sénateurs qui siégeaient avec vous au Comité des affaires juridiques, car vous avez fait un excellent travail, de toute évidence. Je suis heureuse que l’actuel gouvernement libéral l’ait lui-même reconnu. Merci de votre travail.
Sénatrice Saint-Germain, accepteriez-vous de répondre à une question?
Oui, sénateur.
Merci beaucoup pour ces informations très utiles. Je comprends de vos échanges précédents, y compris celui avec la sénatrice Batters, que, dans certains cas, une étude préalable a donné des résultats fort intéressants lors de l’étude subséquente du projet de loi, et cela, de deux façons.
Dans certains cas, le message envoyé par l’étude préalable a entraîné des amendements au projet de loi à la Chambre des communes. Un cas qui me vient à l’idée est l’exemple donné par la sénatrice Batters.
Dans le cas de l’aide médicale à mourir, il n’y a pas très longtemps de cela — il y a un an et demi ou deux ans —, le comité du Sénat a réalisé une étude préalable du projet de loi C-7 qui ne portait pas sur le contenu des détails techniques des articles, mais sur les grands principes et les orientations de l’élargissement de la loi.
À la suite de cette étude préalable, le comité a déposé un imposant rapport au Sénat qui, par la suite, a étudié le projet de loi à fond, fort des enseignements tirés de l’étude préalable menée par le comité. Le Sénat a ensuite proposé pas moins de cinq ou six amendements, dont plusieurs ont été adoptés par la Chambre des communes.
Une étude préalable ne signifie pas qu’il n’y aura pas d’étude approfondie par la suite. Je comprends que, pour le gouvernement, une étude préalable est peut-être un moyen de faire en sorte d’accélérer l’étude subséquente, mais il n’y a pas d’incompatibilité entre une étude préalable et une étude substantielle menée par la suite qui est enrichie de la première.
Je comprends également, de ce que disait la sénatrice Batters, que l’étude préalable permet même parfois d’enrichir le débat à la Chambre des communes; l’étude préalable peut donc avoir des conséquences positives.
Est-ce bien là ce que je comprends des échanges entre la sénatrice Batters et vous?
Merci, sénateur Dalphond, d’avoir fourni la réponse dans votre question. J’ajouterai, comme je l’ai indiqué dans mon discours, qu’une étude préalable en aucun cas ne prévient ni ne sert à remplacer une étude lorsque c’est nécessaire.
Souvent, l’étude préalable porte justement sur les questions de fond et des projets de loi complexes; vous avez donné l’exemple très important de l’aide médicale à mourir. Les Canadiens et les Canadiennes avaient des points de vue qui étaient tous justifiés sur une question morale, souvent l’objet de désinformation, qui méritait un éclairage qui allait au-delà des sentiers partisans.
La réponse est oui; une étude préalable permet des discussions approfondies sur des questions de principe et de fond, et permet d’enrichir ultérieurement une étude.
Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet de la motion dont nous sommes saisis, qui autoriserait le Comité sénatorial permanent des transports et des communications à effectuer une étude préalable du projet de loi C-11. Mes commentaires aujourd’hui seront brefs.
Le projet de loi C-11, parfois appelé loi sur la diffusion continue en ligne, est un projet de loi substantiel qui remplacera essentiellement le cadre réglementaire dont nous disposons actuellement pour la radiodiffusion et l’appliquera à la diffusion en ligne. De nombreux intervenants et intérêts sont concernés, notamment les producteurs et créateurs culturels, les diffuseurs traditionnels de la télévision et de la radio, les diffuseurs en ligne, les plateformes de médias sociaux et bien d’autres.
Beaucoup d’entre nous se souviendront du prédécesseur de ce projet de loi, le projet de loi C-10. Ce projet de loi a été renvoyé au Comité du patrimoine canadien de la Chambre des communes pour étude préalable le 1er février et pour étude régulière le 19 février de l’année dernière. Ce comité a tenu 30 réunions avant de renvoyer le projet de loi à la Chambre pour une troisième lecture à la mi-juin.
Au cours de ces quatre mois, ce comité a entendu de nombreux témoins et proposé de nombreux amendements. Le processus a donné lieu à un important débat sur les enjeux, mais il a été conflictuel, désordonné et excessivement politique. En effet, des modifications importantes au projet de loi ont été introduites tard dans le processus, lors de l’examen article par article. Malheureusement, il était trop tard pour appeler des témoins représentant les intérêts qui seraient touchés de façon importante par ces modifications.
Ensuite, ce projet de loi nous a été renvoyé, il a franchi l’étape de la deuxième lecture et a été renvoyé au Comité sénatorial permanent des transports et des communications, le 29 juin dernier. Au comité, mes collègues du Groupe des sénateurs indépendants et moi étions prêts à mener l’étude en comité pendant l’été, puisqu’on nous disait qu’il était urgent d’adopter le projet de loi, mais cette offre n’a pas été retenue. Par conséquent, le Sénat n’a fait aucun travail en comité sur ce projet de loi, qui est mort au Feuilleton lors du déclenchement des élections. Son successeur, le projet de loi C-11, a maintenant franchi l’étape de la deuxième lecture, et il vient d’être renvoyé au comité de l’autre endroit. Ce comité a tenu deux réunions cette semaine, mais il n’a toujours pas commencé à étudier le projet de loi C-11.
Nous sommes saisis d’une motion pour demander au comité sénatorial de faire une étude préalable de ce projet de loi. J’ai de sérieuses réserves à cet égard. Je suis d’avis qu’une étude préalable ne peut se substituer à une étude en bonne et due forme d’un projet de loi au Sénat. Dans les dernières semaines, des comités sénatoriaux ont fait une étude préalable de plusieurs projets de loi, dont les projets de loi S-6 et C-19.
J’ai pris part à certaines de ces délibérations, et j’aimerais faire quelques observations sur ce processus. Premièrement, les participants ont fait de l’excellent travail, y compris les présidents des comités. Les témoins ont présenté des arguments convaincants au sujet des projets de loi à l’étude, le personnel a travaillé fort, et les sénateurs ont posé des questions pertinentes.
Cependant, à mon avis, le processus s’est révélé insatisfaisant. Habituellement, les témoins du gouvernement présentent le projet de loi et répondent à des questions, puis d’autres témoins critiquent le projet de loi ou propose des modifications. Dans certains cas, leurs suggestions de changements ne peuvent pas être évaluées adéquatement. Nous nous posons les questions suivantes. S’agit-il de changements pratiques? Respectent-ils les objectifs du projet de loi? Sont-ils réalisables? S’agit-il de bonnes idées? De telles questions sont soulevées après les témoignages, mais elles demeurent souvent sans réponse dans le cadre de ce processus. C’est ce que j’ai observé. Souvent, des contraintes de temps s’appliquent, et c’est l’une des raisons pour lesquelles certaines de ces questions ne sont pas abordées. Dans d’autres cas, les modifications qui sont proposées par les témoins et qui semblent souhaitables ne peuvent pas devenir des amendements au projet de loi parce que ce n’est pas possible dans le cadre d’une étude préalable.
En ce qui concerne le projet de loi C-11, je crains que nous soyons condamnés à suivre ce processus inadéquat avec ses lacunes et que nous ne menions pas l’étude nécessaire pour cette mesure législative. Nous n’avons aucune garantie qu’une étude en bonne et due forme du comité suivra l’étude préalable. Avec le projet de loi C-11, le processus idéal, selon moi, serait de nous appuyer sur tous les renseignements accumulés par le comité de la Chambre des communes, ses travaux et son rapport.
Écoutons ses témoins, examinons les questions soulevées dans le cadre de son travail et étudions les arguments avancés, et ensuite nous verrons. Bien sûr, il se peut aussi que des amendements découlent du processus du côté de la Chambre, des amendements auxquels nous n’aurions pas accès lors d’une étude préalable et, donc, que nous ne pourrions pas étudier. Nous ne les recevrions pas à temps et, donc, nous ne pourrions pas nous pencher sur eux. Les sénateurs se rappelleront le projet de loi C-10, qui a subi des changements considérables très tard dans le processus de l’autre endroit.
Honorables sénateurs, au cours de la pandémie des dernières années, le nombre des séances du Sénat a été considérablement réduit, notre capacité d’examiner les projets de loi a été réduite pour ne permettre qu’un minimum d’examen d’un grand nombre de projets de loi, et nos travaux en comité ont été entravés. Je suis impatiente de revenir à un meilleur processus, plus minutieux, à l’avenir.
Au bout du compte, honorables collègues, en ce qui a trait au projet de loi C-11, je cherche à m’assurer qu’un processus normal d’étude en comité aura lieu. Même si nous procédons à une étude préalable, nous devons nous engager à ce que ce soit le cas. Si les comités sont effectivement maîtres de leur destin comme nous l’avons appris hier, je demanderais à nos collègues du comité de s’engager au cours des prochains jours à mener un examen approfondi du projet de loi.
Ce n’est pas tout. On doit aussi nous rassurer que le comité aura le temps nécessaire pour faire son travail. Quand j’entends parler de l’urgence d’adopter un projet de loi, je ne peux m’empêcher de me demander si nous aurons vraiment le temps de l’examiner. Si on ne cesse pas de nous répéter qu’il est urgent de l’adopter, cela nous amène certes à nous demander si nous aurons le temps voulu.
Honorables sénateurs, nous devons bien faire les choses. Merci beaucoup.
La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?
Oui.
Merci.
Je souhaite rappeler aux sénateurs que la sénatrice Saint-Germain et moi avons clairement indiqué dans nos discours que l’étude préalable n’empêche pas la tenue de toutes les étapes de l’étude, qui sont à la discrétion du Sénat.
Néanmoins, sénatrice, j’aimerais faire remarquer qu’au cours des débats du Sénat sur le projet de loi C-10, le texte proposé a été vivement critiqué et, si je puis me permettre, il a fait l’objet d’énormément de mésinformation. Par ailleurs, je ne comprends pas pourquoi il serait inacceptable de procéder à une étude préalable sur le projet de loi C-11, alors que celui-ci vise en fait à répondre aux critiques sur la version précédente, le projet de loi C-10. La principale objection qui nous a été présentée — notamment dans votre intervention, pour laquelle je vous remercie —, c’est le manque de temps pour faire notre travail convenablement.
La motion présentée nous offre justement du temps, sans contraintes liées aux échéances et à la procédure.
Par conséquent, que l’on reçoive le projet de loi dès le premier jour de l’étude préalable ou deux semaines plus tard, nous aurons dans tous les cas pris de l’avance. Cette motion ne nous empêche pas de faire notre travail, y compris pour ce qui est des étapes suivant la réception du projet de loi. Je me demande alors si quelque chose m’a échappé.
Merci, sénateur Gold. À mon avis, cette façon de faire est moins valable. À la lumière de ce que j’ai observé, ce processus donne l’impression de ne pas être rigoureux; il semble tronqué. De plus, il ne permet pas de présenter des amendements.
Bref, d’après ce que j’ai vu, j’estime qu’il laisse à désirer.
Je sais que vous avez donné certaines assurances en ce qui concerne les délais, mais du même coup, sénateur, vous avez parlé hier de nécessité impérative et des pressions exercées par divers groupes. Je comprends qu’il y a des pressions. Je vis à Toronto, et la communauté culturelle torontoise appuie vigoureusement cette mesure. Elle souhaite son adoption.
Toutefois, quand le mois de juin arrive — et il est à nos portes — nous ressentons toujours une certaine pression pour adopter des projets de loi. Je crains que cette étude préalable n’arrive à la fin juin et que les priorités ne soient alors bousculées. Ensuite, nous subirions des pressions pour adopter le projet de loi.
Dans le présent cas, je crains que nous nous engagions dans un processus qui ne nous permette pas d’examiner cette mesure comme j’estime qu’elle devrait l’être, particulièrement compte tenu des incertitudes à l’autre endroit et des répercussions qu’elles auront, ainsi que des types d’amendements et de modifications que les députés pourraient proposer. La dernière fois qu’une telle situation s’est produite, ce fut plutôt un gâchis. Vous vous rappelez peut-être ce qui s’est passé l’an dernier au comité de l’autre endroit et les innombrables amendements qui ont été présentés. Le Président de l’autre endroit les a rejetés et les députés ont dû se remettre au travail. Ce fut un véritable gâchis.
Voilà ma position. Cette étude préalable arrive à l’approche de la fin juin. Or, nous savons comment les choses se passent en juin. Vous avez vous-même affirmé qu’il est urgent d’adopter ce projet de loi, notamment à cause des diverses parties concernées. Compte tenu de tout cela, j’ai certaines réserves à l’égard de ce processus.
Voilà ce que j’avais à dire. Merci.
J’aurais une question complémentaire.
Tous les sénateurs le savent, par définition, les études préalables ne sont pas l’endroit où proposer des amendements. C’est intrinsèque à ces études. Or, sénatrice, comme il n’y a pas d’échéance pour la production d’un rapport, que le processus n’est pas tronqué et que l’étude préalable peut se poursuivre même après que le projet de loi nous ait été renvoyé — peut importe quand ce sera le cas —, ne pourrait-on pas affirmer, si on fait fi des soupçons et du calendrier, que, en tant que représentant du gouvernement, j’ai pris la parole et affirmé à de nombreuses reprises que je comprenais et que je respectais l’importance pour le Sénat de pouvoir faire son travail correctement?
La motion vise à accroître le temps que nous avons pour étudier les changements que le projet de loi C-11 apporte au projet de loi C-10, de façon à ce que, lorsque nous recevrons le projet de loi, le comité soit encore mieux préparé pour mener son étude. Encore une fois, c’est le Sénat qui déterminera par quelles étapes passera le projet de loi. Le comité décidera de la durée nécessaire de son étude et ainsi de suite.
Reconnaissez-vous, hormis d’éventuels soupçons, que cette mesure constitue en fait une approche raisonnable permettant au Sénat d’étudier une question de politique publique importante?
Sénateur Gold, j’apprécie beaucoup vos observations. Je vous remercie d’avoir insisté sur la question du temps. C’est très important pour notre réflexion.
Pour revenir à l’observation que vous avez faite hier et que j’ai reprise dans mes propos d’aujourd’hui, à savoir que les comités sénatoriaux sont maîtres de leur destin, j’ai l’intention, au cours de la semaine prochaine, de communiquer avec mes collègues qui siègent à ce comité pour faire un sondage, en quelque sorte, de leurs opinions quant à l’importance d’avoir ce que je qualifierais de véritable processus d’examen par le biais de l’étude. Voilà ce que j’ai l’intention de faire. Ensuite, j’espère que nous pourrons avoir la certitude d’obtenir ce que nous souhaitons, à savoir un examen approfondi. Je vous remercie pour vos observations. Elles sont très appréciées.
Sénatrice Dasko, deux autres sénateurs souhaitent vous poser des questions et votre temps est écoulé. Demandez-vous cinq minutes supplémentaires pour y répondre?
Oui.
La permission est-elle accordée?
Je vais m’inspirer de la façon de poser des questions du sénateur Dalphond et, manifestement, du sénateur Gold, en émettant une affirmation plutôt qu’une question. Je procéderai donc ainsi, sénatrice Dasko. Merci beaucoup pour votre discours.
Si nous adoptons cette motion, en toute logique, cela n’aura pas lieu avant le mardi 31 mai. De plus, le Comité des transports et des communications ne pourra manifestement pas se réunir, ne serait-ce que pour organiser ses travaux, avant le 1er juin, conformément à son créneau habituel. Cela nous laisse exactement quatre réunions, si nous nous rendons jusqu’à la toute fin de juin.
Je crois que vous avez dit qu’à l’autre endroit, il y a eu 30 réunions de comité pour cette mouture du projet de loi C-10. Le leader du gouvernement nous demande de procéder à une étude préalable et d’essayer d’accélérer les choses. Il dit qu’il n’y a pas de date limite pour le dépôt du rapport. Il ne devrait manifestement pas y en avoir, car nous n’aurons pas le temps de procéder à une étude préalable, à une étude régulière ou à quoi que ce soit sans que nous puissions faire preuve de la diligence raisonnable que mérite de toute évidence ce projet de loi. Nous n’avons aucune idée du moment où il nous sera renvoyé.
Je propose donc — je fais cela à la façon de votre collègue, sénatrice Gagné. Je l’encourage seulement à être d’accord avec moi. Convenez-vous, sénatrice Dasko, qu’il n’y a tout simplement pas assez de temps pour faire honneur ou rendre justice à ce projet de loi?
Oui, je pense que si nous regardons tous le calendrier, nous arriverons à cette conclusion. Je remercie le sénateur Gold de ses commentaires.
Pour ce qui est de l’absence de limite de temps, il est évident que cela nous conduirait à une autre saison, par exemple l’été. Je doute toutefois que nous siégions à ce moment-là, donc probablement en septembre. Cela semble logique, oui. Cela semble être un calendrier logique pour l’examen de ce projet de loi.
Je suis à peu près sûre que nous avons besoin de beaucoup plus de réunions que le nombre que vous venez de mentionner, soit quatre réunions. Je suis certaine que notre comité a besoin de plus de temps que cela pour examiner ce projet de loi. Merci.
Honorables sénateurs, j’aimerais remercier la sénatrice Dasko de ses observations. Je pose la question, car j’aimerais que quelqu’un me fournisse une réponse.
Le projet de loi C-11 porte sur des enjeux importants. Aucun gouvernement ne s’est penché sur ces enjeux depuis plus de 25 ans. Pourquoi sont-ils soudainement considérés comme relevant de l’intérêt public? Quelle est la raison qui justifie que le gouvernement ne nous ait pas présenté ce projet de loi au cours des sept dernières années? La dernière fois dont nous en avons entendu parler, avant aujourd’hui, était vers la fin de mai ou au début juin de l’année dernière. Nous avions en quelque sorte été contraints d’agir le plus rapidement possible.
Je conviens qu’il s’agit d’un dossier important. Nous sommes tous d’accord que ce projet de loi mérite un examen approfondi et des débats rigoureux. Quel serait l’intérêt pour le public de procéder de manière urgente, en franchissant toutes les étapes en seulement deux ou trois semaines, contre vents et marées?
Je vous remercie, sénateur. Je ne suis pas la bonne personne pour répondre à votre question sur l’échéance appropriée du projet de loi. Je pense que vous devriez diriger votre question au représentant du gouvernement. Vous obtiendrez peut-être des renseignements plus pertinents.
Sénateur, je vous avise que je vais communiquer avec vous pour discuter de cette question dans les prochains jours. Alors, je vous remercie, et vous allez recevoir mon appel. Merci.
Ma prise de position montrera que dans le même comité, deux sénatrices du Groupe des sénateurs indépendants ont des positions différentes. Non, je n’ai pas été « whipée », comme vous le dites, sénateur Plett. Je prends la parole pour me prononcer en faveur de la motion no 42 et appuyer la tenue d’une étude préalable du projet de loi C-11 par le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, dont je suis la vice-présidente.
La Loi sur la diffusion continue en ligne est cruciale pour l’avenir de la radiodiffusion dans un monde où de plus en plus de produits culturels se déplacent dans l’espace numérique, où les habitudes d’écoute et de visionnement changent à la vitesse grand V. Pour les Québécois et les francophones du pays, l’enjeu de ce projet de loi est notamment lié à l’espace que pourront occuper la musique et le cinéma francophones dans la diffusion en ligne. Il faut savoir que la musique francophone au Québec est encore protégée par des quotas d’environ 30 %, applicables aux radios, mais qu’en raison de la migration vers Spotify, YouTube et d’autres plateformes, la musique francophone ne constitue plus que 8 % des œuvres écoutées.
C’est donc un projet de loi capital, mais aussi complexe, car il engage beaucoup de parties prenantes.
Revenons maintenant à la motion à l’étude, qui porte sur l’étude préalable du projet de loi.
Depuis mon arrivée au Sénat, la plainte que j’entends le plus souvent, c’est que nous ne disposons pas d’assez de temps pour étudier les projets de loi en profondeur. Je l’ai moi-même constaté, bien sûr, et c’est une situation qui m’exaspère. Le calendrier, les embouteillages de fin de session, les tactiques parlementaires, bref plusieurs facteurs viennent réduire le temps dont nous disposons pour étudier attentivement les mesures législatives.
Dans sa question, le sénateur Plett a dit que nous n’aurions que cinq séances réparties sur quatre semaines pour faire cette éventuelle étude préalable. Dans les faits, toutefois, si nous avions adopté la motion quand elle a été présentée mardi, nous aurions eu une semaine et demie de plus. Autrement dit, le temps que nous prenons pour débattre de la motion nous fait encore perdre du temps, ce qui me contrarie encore une fois.
C’est précisément à cause de ce contexte qu’une étude préalable du projet de loi C-11 serait particulièrement utile, selon moi.
Deux raisons m’amènent à le croire. Premièrement, une étude préalable nous donnerait plus de temps pour entendre des témoins importants, des experts aux points de vue différents, des groupes touchés par la mesure, et ainsi de suite; bref, pour comprendre les fondements de ce projet de loi crucial.
J’aimerais citer notre honorable collègue le sénateur Patterson qui, en février 2019, a appuyé en ces termes la tenue de l’étude préalable du projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones :
[...] je prends brièvement la parole aujourd’hui en faveur de la motion demandant une étude préalable du projet de loi C-91 [...] Ce projet de loi est d’une importance vitale. Compte tenu de la quantité croissante de mesures législatives dont nous sommes saisis, nous avons besoin de temps pour faire notre travail. Une étude préalable offre un moyen responsable de tirer parti du temps dont dispose le Comité des peuples autochtones en ce moment.
Je suis tout à fait d’accord.
Je sais que certains de mes collègues s’inquiètent de perdre leur temps à étudier un projet de loi qui pourrait être modifié en profondeur par la Chambre des communes. Je comprends ces préoccupations et je les partage en partie pour les aspects plus techniques de la loi.
Mais sur les questions de fond — sur les grandes orientations et les fondements politiques du projet de loi — les questions et les positions sont bien connues, et elles ne changeront pas.
À mon avis, le Comité des transports et des communications pourrait bénéficier d’une étude préalable pour connaître d’autres modèles de promotion culturelle dans le monde et pour entendre et comprendre les visions politiques et idéologiques qui s’affronteront inévitablement au sujet du projet de loi C-11.
Je sais que les membres du comité, moi y compris, bénéficieraient aussi d’assister à des présentations informatives sur les aspects technologiques des plateformes contemporaines; dans certains cas, des présentations très simples et intuitives. Ce genre de présentation me paraît d’autant plus pertinent dans le cadre d’une étude préalable et, si je peux faire une blague, d’autant plus pertinent pour notre groupe d’âge.
La deuxième raison pour laquelle une étude préalable me semble utile, c’est qu’elle ne devrait avoir aucune incidence sur la durée de l’étude officielle du projet de loi C-11 lorsqu’il sera adopté à l’autre endroit. Nous maintenons le contrôle de notre programme futur. Même si le gouvernement veut que nous adoptions son projet de loi rapidement, et c’est évident, ce sera à nous, le moment venu, de résister aux pressions si nous avons l’impression que nous n’avons pas le temps de bien faire notre travail. Il n’y a aucune élection ni prorogation en vue. Le projet de loi C-11 ne mourra pas au Feuilleton s’il est encore à l’étude après juin. En fait, une étude préalable nous donnera plus de temps pour étudier le projet de loi et comprendre son contexte, pas moins.
Je suis convaincue que nous disposons de tous les outils nécessaires pour résister à la pression d’adopter à la hâte ce projet de loi une fois l’étude préalable terminée. Je sais que, pour certains d’entre nous, les études préalables devraient seulement être acceptées dans de très rares circonstances, car le Sénat est un corps législatif, et non consultatif. Suivant cette logique, il devrait donc intervenir après la Chambre des communes, et non de façon simultanée.
En tout respect, j’estime que ce principe n’est pas convaincant dans le cas actuel. Une étude préalable du projet de loi C-11 nous permettrait tout simplement d’accomplir notre travail législatif avec plus d’expertise et une meilleure compréhension des questions et des technologies complexes qui sous-tendent le projet de loi. Rien ne nous empêche maintenant, ou plus tard, de prendre tout le temps nécessaire et d’user des pleins pouvoirs du Sénat pour débattre du projet de loi et l’améliorer à notre guise.
Traditionnellement, les études préalables étaient rares, mais les habitudes peuvent changer avec le temps. En ce moment même, le Sénat se penche sur le projet de loi C-5, une mesure législative importante à l’étude à l’autre endroit. J’appuie cette initiative, et je peux certainement confirmer que cela n’a pas diminué la qualité de notre travail. Bon nombre d’amendements sont à l’étude, comme nous l’avons constaté ce matin.
Quoi qu’il en soit, je ne crois pas que nous devrions nous en tenir rigoureusement aux traditions. Ce serait particulièrement risqué pour le Sénat, une institution que certains jugent dépassée. Pour toutes ces raisons, je crois que nous devrions faire preuve de souplesse et voir l’étude préalable comme une occasion de consacrer plus de temps et d’expertise à nos obligations législatives. J’estime que c’est ce que l’étude préalable du projet de loi C-11 nous permettrait de faire.
Merci.
La sénatrice Miville-Dechêne accepterait-elle de répondre à une question?
Bien sûr.
Lorsqu’il s’agit d’études préalables, la tradition au Sénat a toujours été de procéder à une telle étude quand un projet de loi fait l’objet d’un consensus public ou qu’il existe un consensus à l’autre endroit voulant que le projet de loi en question doive être adopté rapidement pour protéger l’intérêt public.
À ce stade-ci, il s’avère que ce projet de loi est controversé et sans consensus. Il n’existe pas de consensus chez les intervenants. Ce projet de loi ne répond pas à une urgence, de toute évidence, étant donné que les gouvernements successifs n’ont pas encore réglé la question après plus de deux décennies. Par-dessus tout, ne convenez-vous pas, madame la sénatrice, que nous jouons un rôle de second examen objectif, qui ne consiste pas à nous engager dans ce qui deviendra invariablement un débat très acrimonieux sur cette question à l’autre endroit? Comme nous le savons, le comité de l’autre endroit n’a même pas encore commencé à débattre de la question.
Ne serait-il pas prudent de laisser la pression politique s’exercer à l’autre endroit pendant que nous procédons à notre second examen objectif? Rien dans votre discours n’indique qu’il y ait urgence d’y parvenir d’ici deux semaines, d’ici un mois ni même d’ici l’automne, d’ailleurs. Beaucoup de personnes m’ont dit que ce projet de loi exigeait un examen très attentif. N’en convenez-vous pas, madame la sénatrice?
Non, je ne suis pas d’accord. Vous semblez croire que le processus actuel, qui fait en sorte qu’un projet de loi passe du temps à la Chambre des communes avant d’arriver au Sénat, est un processus qui n’a aucune faille et qui fonctionne très bien.
Cependant, l’an dernier, l’étude du projet de loi C-10 a bien montré les failles de ce système traditionnel que nous suivons. Pendant quatre mois, on a littéralement fait de l’obstruction environ la moitié du temps, soit pendant deux mois environ. Je faisais partie de ces gens qui attendaient et qui croyaient que le Sénat entreprendrait une étude préalable qui nous aurait aidés à mieux comprendre les enjeux liés au projet de loi, mais cela n’a pas été le cas.
Le système que nous avons n’est donc pas parfait. Il est possible de prendre une autre voie, comme dans le cas du projet de loi S-5. Je ne crois pas que ce projet de loi fait parfaitement consensus. Dans ce cas-ci, on a commencé l’étude au Sénat. Contrairement à vous, je trouve cela très intéressant de commencer à travailler sur des projets de loi, car cela nous permet d’avoir une vision des opinions qui s’affrontent dès le début d’un processus.
Je comprends bien que le fait d’entreprendre une étude préalable en même temps qu’une étude menée à la Chambre des communes, ce n’est pas tout à fait jouer notre rôle de second examen objectif. Toutefois, je ne vois pas en quoi cela amoindrit notre rôle et nous empêche de bien faire notre travail. Au contraire, je crois que passer du temps à faire une étude préalable, puis à étudier un sujet permet de mieux le comprendre. C’est une logique implacable.
Est-ce que la sénatrice Miville-Dechêne accepterait de répondre à une question?
Bien sûr, sénatrice Dupuis.
Je me demandais si une étude préalable ne serait pas une bonne occasion pour le comité de mener une opération que je qualifierais de « pédagogique ». C’est un projet de loi assez complexe, qui contient des éléments techniques et technologiques que la population en général ne déchiffre pas nécessairement facilement. Même pour nous, sénateurs, il peut être difficile à suivre. Ne serait-ce pas une bonne occasion de mener cette opération pédagogique? Est-ce qu’une étude préalable ne serait pas également une occasion de demander que le gouvernement rende des comptes sur les choix qu’il a faits dans ce projet de loi?
Bien sûr. On pourrait inviter des spécialistes de la technologie qui nous expliqueraient toute la question des algorithmes, qui nous diraient comment privilégier certaines options et quelles sont les façons de faire ou de ne pas faire. Dans ce cas-ci, le gouvernement a dit qu’il ne recourrait pas aux algorithmes. Pourquoi? Existe-t-il d’autres façons d’exercer une influence sur la présence de contenus, pour que les utilisateurs puissent voir du contenu canadien? Ce sont des questions très complexes que mon fils comprend beaucoup mieux que moi, car il est un grand amateur de Spotify; ce n’est pas mon cas.
Nous pourrions tout à fait jouer un rôle pédagogique et ces experts seraient à la disposition du Sénat. Nos audiences sont publiques. C’est très important, à une ère où la culture est virtuelle et où tout le travail relatif à la protection de la culture entre dans le monde virtuel, que l’on comprenne ce que l’on fait.
Je pense que vous avez raison de dire que le grand public — et moi la première — ne maîtrise pas toutes ces notions. Serait-il mal de faire cet examen préalable? Absolument pas. Plus on sait de choses, meilleurs on est et meilleures sont nos décisions.
Est-ce que la sénatrice accepterait de répondre à une question?
Bien sûr, sénateur Cormier.
Ma question sera brève. Êtes-vous d’accord pour dire que, s’il ne semble pas y avoir de consensus au Parlement en ce qui concerne ce projet de loi, un consensus assez important règne dans le secteur culturel canadien, comme nous l’avons entendu lors du sommet de la culture? En effet, les artistes ont réclamé que ce projet de loi soit étudié le plus rapidement possible, puisqu’il aura un impact sur la qualité de vie des artistes et sur leur capacité à faire découvrir leurs œuvres.
Certainement, et je les ai entendus également. Je n’ai pas assisté au même sommet que vous, mais bien sûr, quand on sait à quel point la musique et d’autres produits culturels sont centraux dans la culture francophone minoritaire, on ne peut qu’être conscient de l’importance de la question.
Votre temps de parole est écoulé, madame la sénatrice. Le sénateur Housakos aimerait vous poser une question. Souhaitez-vous demander cinq minutes de plus?
Oui. Puis-je avoir cinq minutes de plus, avec le consentement de la Chambre?
Avons-nous le consentement? Vous pouvez poursuivre.
En effet, le milieu culturel veut voir un dénouement rapide. Soyons francs, il y a eu des erreurs de la part du gouvernement.
Après l’élection de 2015, le gouvernement avait beaucoup de difficulté à admettre et à comprendre qu’il fallait intervenir dans ce domaine, et il disait qu’il allait conclure des ententes et régler la question à l’amiable. Or, le gouvernement Trudeau a effectivement pris du retard dans ce domaine, et cela lui appartient.
Cependant, à partir du moment où le projet de loi C-10 a été déposé, il y a eu des débats, mais aussi des tactiques dilatoires; beaucoup de temps s’est écoulé. Évidemment, plus le temps passe, plus les habitudes d’écoute se cristallisent et plus les jeunes se demandent pourquoi ils devraient écouter de la musique francophone, car ils considèrent que Spotify est un bon outil. Comme je le répète souvent, l’utilisateur n’est pas libre. Ce que l’on présente à cet utilisateur francophone, ce sont des contenus anglophones. Donc, c’est forcément un cercle vicieux et on finit par écouter de la musique anglophone, parce que c’est avec cette musique qu’on nous nourrit; c’est la même chose avec YouTube.
Sénatrice Miville-Dechêne, êtes-vous d’accord avec moi pour dire que si l’adoption de ce projet de loi est retardée, cela n’a rien à voir avec le processus parlementaire, mais plutôt avec le fait qu’il ne s’agit pas d’une priorité pour ce gouvernement?
J’ai une autre question : si je suis votre raisonnement sur une potentielle étude préalable sur le projet de loi C-11, est-ce qu’on peut utiliser ce même raisonnement pour faire un examen préalable de tous les projets de loi du gouvernement qui émanent de l’autre endroit? Sinon, quelle est la différence, et qu’est-ce qui fait que le projet de loi C-11 est si urgent comparativement aux autres projets de loi, au point de devoir en faire une étude préalable tout de suite, trois à quatre semaines avant la fin de la session parlementaire?
D’abord, votre connexion Internet n’est pas très bonne, donc j’ai manqué plusieurs éléments de ce que vous avez dit. Cela dit, il n’y a pas de vérité absolue quant au moment où nous avons besoin de faire une étude ou une étude préalable. Vous n’arrêtez pas de dire que nous sommes à quatre semaines de la fin.
J’avoue trouver cela absolument incroyable qu’au Sénat, on commence dès le mois de mai à dire que nous n’avons plus le temps de faire des choses. Je vous avoue que cela ne correspond pas à mon ancienne vie de journaliste, où l’on prend tout le temps qui est à notre disposition pour arriver à faire quelque chose. Je sais que la politique est différente, j’en suis consciente, mais pour moi, c’est assez préoccupant d’entendre dire : « Eh bien non, il ne nous reste plus de temps. » On va discuter du fait qu’il ne nous reste plus de temps sans faire ce qu’il faut faire. C’est paradoxal.
Je ne dis pas qu’il faut faire une étude préalable sur tout. Nous ne sommes pas, comme l’a dit la sénatrice Saint-Germain, tout à fait revenus à la normale. Nous n’avons pas assez de temps en comité. D’ailleurs, j’imagine que cela a un impact sur le rythme de nos travaux. Je suis convaincue qu’il faut probablement faire des études préalables pour des projets de loi plus importants, plus complexes et, dans ce cas-ci, controversés. Il est évident qu’il y aura encore de la controverse.
Je suis assez convaincue de la chose, mais je comprends, sénateur Housakos, que vous n’êtes pas du même avis que moi. Nous allons pouvoir en débattre à notre comité et tenter de recevoir de bons témoins pour répondre à nos questions.
Sénatrice, accepteriez-vous de répondre à une question?
Oui.
Dans votre autre vie, avez-vous déjà vécu des problèmes de traduction, qui ont fait en sorte que vous pouviez vous réunir seulement une fois par semaine au lieu de deux, ce qui coupait en deux votre capacité de faire votre travail?
Justement, c’est pour cela que je vous dis que, dans ce cas-ci, si nous voulons faire faire une étude préalable, plutôt que d’en discuter, il serait urgent de la faire. En continuant d’en discuter et en votant la semaine prochaine, on élimine 10 jours de travail potentiel.
Non, je n’ai pas connu le même problème, et je n’aurais probablement pas dû comparer le travail journalistique au travail politique. Le problème, par contre, c’est cette idée de prendre tout le temps disponible pour faire quelque chose, plutôt que de simplement parler des délais et dire que nous n’avons pas assez de temps.