Projet de loi de Jane Goodall
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat
7 mars 2023
Honorables sénateurs, ce n’est jamais facile de prendre la parole à la fin d’une longue journée, mais c’est la dernière fois que je prends la parole aujourd’hui — je le promets — et je parlerai du projet de loi S-241, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (grands singes, éléphants et certains autres animaux), qui est peut-être mieux connue sous le nom de loi de Jane Goodall. Évidemment, il est difficile d’être critique ou de remettre en question un projet de loi associé à une icône adorée comme Jane Goodall, mais j’espère que nous ne laisserons pas les émotions nous guider au cours de l’étude de ce projet de loi.
Je veux d’abord qu’il soit clair que je ne soutiens pas les petits zoos non accrédités et que je ne suis pas pour qu’on permette à des particuliers de garder des animaux dans leur domicile dans des conditions inhumaines. Par contre, j’ai de sérieuses réserves quant à ce projet de loi et j’espère que le comité qui étudiera ce projet de loi se penchera adéquatement sur les inquiétudes que j’ai.
Ma première préoccupation concerne les modifications au Code criminel proposées dans le projet de loi. Je suis toujours inquiet lorsque l’on propose de modifier le Code criminel, en particulier lorsqu’il s’agit d’un projet de loi d’intérêt public, parce que même de petits changements peuvent avoir des répercussions, qu’elles soient substantielles ou non, sur d’autres parties du Code et sur des jugements futurs. Il est donc important que tout changement fasse l’objet d’une étude approfondie. Même si je sais que le projet de loi a été rédigé initialement par l’ancien sénateur Sinclair avant d’être présenté par le sénateur Klyne, il ne faut pas perdre de vue que les sénateurs ne jouissent pas du même soutien qu’un ministère fédéral lors de la rédaction d’un projet de loi. Nous ne disposons pas de l’expertise juridique du ministère de la Justice.
Plus précisément, je m’interroge sur l’impact futur d’une disposition telle que l’article 2 du projet de loi, qui crée un « défenseur des animaux », lequel interviendrait en cas d’infraction prévue au paragraphe 445.2(1) du Code criminel. Chers collègues, ayant constaté l’impact dévastateur des défenseurs du bien-être animal et des droits des animaux sur la chasse aux phoques de subsistance et commerciale dans le Nord et dans la région atlantique du Canada, cette disposition m’effraie.
Dans un article publié sur un blogue, le 15 janvier 2022, Shannon Nickerson, gestionnaire des communications et du développement pour Animal Justice, a indiqué comment les avocats d’Animal Justice Canada Kaitlyn Mitchell et Scott Tinney sont intervenus devant la Cour suprême dans le cadre de l’affaire Colombie-Britannique (Procureur général) c. Conseil des Canadiens avec déficiences. Selon cet article, lors de leur intervention, ces avocats ont fait valoir devant le plus haut tribunal du pays que :
[...] les animaux sont des membres très vulnérables de notre société, et les tribunaux devraient leur permettre de mieux faire valoir leurs droits publiquement et de défendre leur cause pour obtenir justice plus facilement.
Je n’invente rien. Cette cause a été rejetée, et la cour a rejeté l’appel, mais sans se prononcer sur l’argument voulant que les animaux soient comme des personnes handicapées vulnérables. Cependant, cela m’amène à me poser la question suivante. Est-ce que le fait de prévoir dans le Code criminel la création d’un poste de défenseur des animaux, comme le propose ce projet de loi, serait un pas vers la reconnaissance des droits des animaux au même titre que les droits des Canadiens vulnérables? Cette définition accorderait-elle de nouveaux droits aux animaux, de manière à ce qu’une personne puisse défendre la cause d’un animal? N’est-ce pas là une façon détournée de faire la même chose que les avocats d’Animal Justice ont tenté de faire lors de leur intervention devant la Cour suprême du Canada?
Il y a d’autres personnes qui plaident avec force pour que les animaux soient reconnus comme des personnes. Rebeka Breder, une avocate britanno-colombienne spécialisée dans les droits des animaux décrit son cabinet, Breder Law, comme agissant « uniquement pour l’avancement des droits et du bien-être des animaux domestiques et sauvages ». Depuis de nombreuses années, elle plaide pour que soit accordé le statut de personne aux animaux et surveille les affaires qui portent sur le sujet.
J’ai trouvé un article fascinant à ce sujet. Angela Fernandez, professeure à la Faculté de droit de l’Université de Toronto, a publié un article sur les fondements du droit animal, intitulé Animals as Property, Quasi-Property or Quasi-Person. Dans la première phrase, la professeure Fernandez déclare ceci :
Le statut de bien des animaux non humains, ainsi que le désir corrélatif de transformer ce statut en une forme de statut de personne, est un des piliers du droit animal depuis 25 ans.
Lorsque je lis cela et que je vois les mots « défenseur » et « défenseur des animaux », et surtout le mot « advocate » dans la version anglaise du projet de loi, je ne peux m’empêcher de m’inquiéter. Sur le plan juridique, le mot « advocate » fait référence à une personne qui travaille au nom d’une autre personne. Selon l’édition juridique de l’Encyclopedia Britannica, un « advocate » est une personne qui possède les qualifications professionnelles nécessaires pour plaider la cause d’une autre personne devant les tribunaux.
Sur quelle voie nous amène donc, en tant que société, le fait de reconnaître qu’un animal a droit à un avocat? Selon cette logique, je ne pense pas qu’il serait exagéré de prétendre qu’on en viendra à reconnaître les animaux comme des personnes ayant droit à un avocat, puis comme des personnes vulnérables moins en mesure de présenter leur cas, puis à prétendre que le fait de récolter de la viande constitue un meurtre.
Nous devrons aussi examiner comment, sur le plan juridique, ce projet de loi empiète sur la compétence des provinces. Le comité devra se pencher sur cette question. Nous devons reconnaître la compétence des gouvernements provinciaux et territoriaux en matière de lois et de règlements portant sur le bien-être des animaux.
Chers collègues, j’aimerais souligner qu’en tant qu’habitant d’une région où les chasseurs sont valorisés et admirés, ma collectivité est très offusquée que la chasse au phoque soit encore considérée de nos jours comme une pratique barbare et inutile. Depuis des années, les défenseurs des droits des animaux se braquent contre la chasse au phoque comme source de nourriture, de matériel de fabrication de vêtements et de contrôle des populations afin de préserver des espèces de poissons en péril. Bien que les mentalités évoluent à l’égard de la chasse de subsistance, des préjugés persistent en ce qui concerne les chasseurs non autochtones qui pratiquent cette activité depuis des générations pour se nourrir et gagner leur vie. Ces opinions reposent sur une approche extrémiste en matière de défense des droits des animaux. S’ils perçoivent une ouverture, quelle est la probabilité que les militants exercent des pressions pour accorder un statut juridique et moral aux animaux au même titre qu’un être humain?
J’aimerais vous faire part de l’opinion de l’Institut de la fourrure du Canada au sujet de ce projet de loi. L’automne dernier, l’Institut a déclaré ce qui suit :
Cette loi, motivée par des groupes prônant la consommation non durable et la défense des droits des animaux, nuira aux efforts de conservation de la faune fondés sur la science ainsi qu’à l’exploitation et au commerce durables de la peau et des produits du phoque au Canada. Cela aura un impact disproportionné sur les régions rurales, les régions éloignées, les collectivités autochtones et côtières ainsi que les économies et les modes de vie traditionnels.
J’espère que le comité recevra un mémoire de l’Institut de la fourrure du Canada, que je considère comme une organisation crédible. Il a été fondé en 1983 par les ministres canadiens de la Faune, dans le cadre d’une collaboration entre les chasseurs pour le compte du gouvernement et d’autres secteurs du commerce de la fourrure. C’est le principal expert du pays en matière de recherche sur les pièges sans cruauté et de conservation d’animaux à fourrure, en plus d’être l’organisme officiel d’essai des pièges pour le gouvernement du Canada et tous les gouvernements provinciaux et territoriaux.
Je tiens également à citer l’Elephant Managers Association, qui a fait part de son opposition au projet de loi S-241 en notant ce qui suit :
L’Elephant Managers Association estime que le projet de loi proposé aura une incidence négative sur les efforts des organisations de protection des animaux qui effectuent un important travail de conservation, comme l’African Lion Safari (ALS).
L’organisme souligne en outre qu’à son avis, la loi Jane Goodall empêchera effectivement des organismes comme l’African Lion Safari de poursuivre leur important travail. Les recherches menées avec des animaux soignés par l’homme et entraînés à coopérer volontairement aux procédures permettent d’obtenir des échantillons et des données dans un environnement contrôlé, ce qui ne serait pas aussi facilement possible dans la nature. Par conséquent, la population d’animaux dans les établissements zoologiques nord-américains joue un rôle essentiel dans la survie de leurs congénères sauvages.
De même, l’International Elephant Foundation, dans une lettre détaillée adressée aux sénateurs à l’automne dernier, a fait la déclaration définitive suivante :
Il existe un certain nombre d’idées fausses concernant les éléphants ambassadeurs en captivité. La première est que les éléphants ne peuvent pas s’épanouir hors de l’environnement de leur pays d’origine, notamment en raison du froid ou du manque d’espace. Rien n’est plus faux.
Étant donné ces arguments complexes, j’espère que le projet de loi fera l’objet d’un examen approfondi et que, compte tenu de ses dispositions en matière de droit pénal, il sera étudié par le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles.
Mon autre préoccupation est de nature moins existentielle. Je suis préoccupé par le fait que le projet de loi fait référence aux normes qu’un organisme doit respecter pour être désigné comme un organisme animalier admissible au titre du projet de loi. Les organismes qui cherchent à être désignés comme tels et ainsi ne pas être soumis à certaines interdictions prévues par le projet de loi doivent souscrire « aux normes professionnelles reconnues les plus élevées et aux pratiques exemplaires en soins animaliers ». Je peux accepter cela, mais j’aimerais examiner — et demander au comité d’examiner — s’il convient de faire fi des normes établies par l’organisme Aquariums et zoos accrédités du Canada, ou AZAC, comme le fait le projet de loi. On a beaucoup insisté sur le respect des normes américaines, tant dans les discours de mes collègues sur ce projet de loi que dans le renvoi exclusif fait à l’Association of Zoos and Aquariums.
Depuis sa création, en 1976, l’AZAC s’emploie à définir des normes d’accréditation qui sont aujourd’hui reconnues comme étant parmi les meilleures du monde. Au Canada, elles servent de plus en plus de référence en ce qui concerne la bientraitance et le bien-être des animaux. Aujourd’hui, des pouvoirs publics de tous ordres ont intégré ces normes à leurs cadres de réglementation, que ce soit en exigeant carrément une accréditation de l’AZAC pour l’obtention d’un permis ou encore en inscrivant des renvois à ces normes dans la réglementation. Pourquoi ce projet de loi ne prend-il pas en considération cet excellent travail réalisé au Canada?
Honorables sénateurs, je conviens qu’on ne devrait pas forcer les animaux à endurer des conditions cruelles, mais je crois que nous devons absolument nous pencher de près sur un certain nombre de questions et de problèmes très importants au comité. Merci.
Sénateur Patterson, Jane Goodall est une membre actuelle et fondatrice de l’organisme Nonhuman Rights Project, qui tente de faire conférer des droits juridiques aux animaux. Il s’agit d’une organisation américaine à but non lucratif qui cherche à modifier le statut juridique de certains animaux non humains et à faire reconnaître leurs droits à la liberté et à l’intégrité physiques en les faisant passer de la catégorie des biens à celle des personnes. Est-ce que vous êtes préoccupé par le fait que Jane Goodall est membre de cette organisation?
Oui.
Merci.