La Loi sur les juges
Projet de loi modificatif--Troisième lecture
1 juin 2023
Propose que le projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges, tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.
— Chers collègues, à titre de parrain, j’ai aujourd’hui le privilège d’amorcer le débat à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges.
Je rappelle qu’on y propose une modernisation du processus applicable à l’égard des plaintes reçues contre les juges de nomination fédérale.
Comme je l’ai mentionné dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, la Loi sur les juges prévoit depuis 1971 que le Conseil canadien de la magistrature a le mandat de recevoir les plaintes contre les juges nommés par le gouvernement fédéral et de les traiter adéquatement.
Au passage, je rappelle qu’il y a au Canada près de 1 200 juges de nomination fédérale et plus de 1 000 juges nommés par les provinces, sans oublier les juges de paix et les juges administratifs, tant fédéraux que provinciaux. Ces milliers de personnes représentent le visage humain de la justice que rencontrent quotidiennement des dizaines de milliers de justiciables à travers le pays.
Contrairement aux États-Unis, tous les juges de nomination fédérale, y compris ceux qui siègent à la Cour suprême du Canada, peuvent faire l’objet d’une plainte et sont assujettis à la juridiction exclusive du conseil en matière de conduite. Quant aux juges provinciaux et administratifs, ils sont assujettis, en matière de conduite et de plaintes, à divers organismes provinciaux.
Le projet de loi C-9 a pour objectif de mettre en place un nouveau processus disciplinaire applicable uniquement aux 1 200 juges fédéraux.
Mon discours aura cinq parties : le principe constitutionnel de l’indépendance judiciaire et ce que cela implique; la nature particulière du projet de loi C-9 et notre rôle; le processus disciplinaire actuel et ses limites; les principaux éléments du processus proposé et leurs objectifs; en dernier lieu, les amendements proposés par le comité et leur impact sur les éléments et objectifs du projet de loi C-9.
L’indépendance judiciaire est cruciale dans une démocratie solide. Au Canada, l’indépendance des juges nommés à l’échelon fédéral est un principe clairement inscrit à la première phrase du préambule, et à la partie VII de la Loi constitutionnelle de 1867. Ce principe est dérivé de la longue et parfois sinueuse évolution de la tradition au Royaume-Uni. L’indépendance est bénéfique non seulement pour les juges, mais aussi pour les gens qui doivent être jugés, c’est-à-dire les citoyens.
L’indépendance permet au juge d’agir comme un arbitre impartial qui applique les lois sans être influencé par le gouvernement en place, y compris le ministre de la Justice, ni par les institutions religieuses, les entreprises, les syndicats, les lobbyistes, les médias et les autres influenceurs.
Le droit d’être jugé par un juge indépendant est également inscrit dans la Charte canadienne des droits et libertés, qui, à l’alinéa 11d), confère ce droit à tout inculpé qui comparaît devant un juge, qu’il s’agisse d’un juge d’une cour fédérale ou d’un juge d’une cour provinciale.
Par ailleurs, dans nombre d’instruments internationaux et d’arrêts de la Cour suprême du Canada, il est bien établi que l’indépendance des juges doit reposer sur trois éléments essentiels, soit la sécurité de mandat, la sécurité financière et l’indépendance administrative.
J’aimerais expliquer en quoi consiste chacun de ces éléments essentiels dans l’ordre inverse. L’indépendance administrative exige que le système judiciaire soit conçu de manière à ce que ce soit le juge lui-même qui rende la décision dans une affaire et qui gère les procédures judiciaires, et à ce qu’il reçoive suffisamment de ressources pour s’acquitter de ses fonctions.
Par ailleurs, le tribunal auquel un juge appartient doit jouir de la même indépendance par rapport au pouvoir exécutif, au pouvoir législatif, au public ou à toute autre source d’influence. C’est ce qu’on appelle l’indépendance institutionnelle. Ce principe s’applique à l’attribution des causes aux juges, à l’accès aux palais de justice et à la gestion des dossiers.
Cette indépendance institutionnelle s’applique au Conseil canadien de la magistrature dans l’exercice de ses fonctions, notamment pour le traitement des plaintes et la formation des juges fédéraux.
La sécurité financière signifie que les juges fédéraux ont le droit d’être rémunérés par le Trésor fédéral. L’article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit expressément que les traitements, les indemnités et les pensions des juges des cours supérieures sont fixés et assurés par le Parlement du Canada.
La sécurité financière signifie que les juges fédéraux ont droit à une rémunération fixée par le Parlement tant qu’ils sont juges.
Pour cette raison, si un juge fait l’objet d’une plainte, il n’a pas à payer l’avocat engagé pour l’assister dans le processus de révision de sa conduite, y compris pour toute procédure devant la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale ou la Cour suprême du Canada.
En outre, de nombreux juges et juristes sont d’avis qu’une suspension sans traitement n’est pas possible puisque la seule façon constitutionnelle de mettre fin au paiement de la rémunération garantie est de démettre le juge de ses fonctions.
Il est vrai que, dans certaines provinces, une sanction intermédiaire possible est la suspension sans solde. Par exemple, la loi ontarienne régissant les juges de nomination provinciale prévoit la possibilité d’une suspension sans solde d’au plus 30 jours. La constitutionnalité d’une telle sanction n’a jamais été contestée en Ontario, où elle est rarement imposée. En fait, on y a eu recours moins dans moins de cinq cas. Toutefois, je peux vous assurer que l’inclusion d’une telle disposition dans la loi fédérale sur les juges donnera lieu à une contestation de la constitutionnalité.
J’ajouterais que depuis le jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Valente, il est bien établi que les juges des cours provinciales ne jouissent pas des mêmes garanties constitutionnelles en matière de salaire et de pension que les juges des cours supérieures. Par conséquent, nous devons éviter de comparer ce qui est prévu pour les juges de nomination provinciale à ce qui est prévu pour les juges de nomination fédérale.
De plus, la Cour suprême a décidé que la rémunération prescrite par la loi doit être adéquate, conformément à ce que détermine une commission indépendante et non le ministre de la Justice, le gouvernement ou le Parlement.
La Cour suprême a également conclu que ni le gouvernement ni le Parlement ne peuvent se servir de leur contrôle du Trésor public pour réduire arbitrairement cette rémunération. En fait, toute réduction de rémunération envisagée doit s’appliquer à l’ensemble de la magistrature, et non à un seul juge, et doit être approuvée par la commission indépendante avant d’entrer en vigueur.
Le troisième élément est l’inamovibilité. Cela signifie qu’un juge ne peut être révoqué qu’en cas d’inconduite grave, comme le prévoit l’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867.
La Cour suprême du Canada, guidée par des principes internationaux, a conclu que la détermination d’une inconduite grave doit être le résultat d’un processus contrôlé par les juges et non par l’exécutif. Cela est nécessaire pour éviter toute forme d’ingérence politique ou de pression publique, et pour éviter toute atteinte à l’indépendance judiciaire.
Pour cette raison, la détermination de l’inconduite et de la sanction appropriée doit être faite par un système composé uniquement de juges ou, du moins, d’une majorité de juges.
Dans les cas où ce processus aboutit à la conclusion que la révocation est la sanction appropriée, la décision du Conseil canadien de la magistrature n’est pas considérée comme suffisante.
En effet, l’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit que les juges nommés par le gouvernement fédéral ne peuvent être révoqués que par le gouverneur général sur une adresse commune de la Chambre des communes et du Sénat. Il est clair que les auteurs de la Constitution voulaient que les juges nommés par le gouvernement fédéral jouissent de la plus grande inamovibilité possible au Canada.
Je passe maintenant au second point : la nature particulière du projet de loi C-9 et le rôle du Sénat à l’égard de cette mesure législative. Il faut se rappeler que le processus d’examen de la conduite des juges ne peut faire l’objet d’une modification constitutionnelle et que toute modification doit respecter les trois principes fondamentaux de l’indépendance judiciaire dont je viens de parler. Comme le processus d’examen de la conduite des juges relève du pouvoir judiciaire et non du pouvoir exécutif ou du Parlement, toute proposition législative visant à modifier le système actuel doit, en pratique, faire suite à une demande du pouvoir judiciaire.
Voilà ce qui différencie le projet de loi C-9 d’autres mesures législatives d’initiative ministérielle. Généralement, lorsque le gouvernement présente un projet de loi c’est pour mettre en place une nouvelle politique qu’il considère dans l’intérêt des Canadiens. En pratique, le gouvernement peut élaborer le projet de loi à sa guise, à condition de respecter la Charte canadienne des droits et libertés et la division des pouvoirs prévue dans la Constitution.
Le ministre, le représentant du Conseil canadien de la magistrature et d’autres témoins ont indiqué au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles que le projet de loi C-9 fait suite à de vastes consultations entreprises par le Conseil canadien de la magistrature, que présidait alors la juge en chef Beverley McLaughlin. Il n’est donc pas étonnant que le projet de loi C-9 jouisse de l’appui du Conseil canadien de la magistrature, notamment de l’ensemble des juges en chef et des juges en chef adjoints nommés par le gouvernement fédéral. Le Conseil canadien de la magistrature est l’entité au cœur même du processus d’examen de la conduite des juges.
Le projet de loi C-9 bénéficie également de l’appui de l’Association canadienne des juges des cours supérieures, qui représente la presque totalité des 1 200 juges des cours supérieures visés par ce processus. J’ai eu le plaisir de présider cette association pendant de nombreuses années.
Dans ce contexte, il est compréhensible que les membres du comité aient pu se poser des questions et rechercher des précisions. C’est pourquoi j’ai contacté le représentant du Conseil canadien de la magistrature pour demander s’ils accepteraient de revenir devant le comité plutôt que le ministre. Ils ont accepté de venir et de répondre aux questions des membres du comité.
Face à un tel projet de loi, en tant que législateurs, nous sommes appelés à veiller à ce que le cadre législatif qui permet à la magistrature des cours supérieures du Canada de surveiller la conduite de ses membres soit à la hauteur de la tâche et respectueux des principes constitutionnels que je viens d’expliquer, dont l’indépendance judiciaire, un élément fondamental au maintien de la confiance des Canadiens dans notre système de justice. Il faut notamment résister à toute tentative de miner l’indépendance judiciaire, qu’elle vienne du gouvernement ou de groupes de pression.
Comme le disait souvent le sénateur Joyal, ancien président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, et bien d’autres sénateurs qui siègent encore ici aujourd’hui, nous sommes les gardiens de la Constitution et de ses institutions, et nous devons rester vigilants. Sur ce point, permettez-moi de citer la Société des plaideurs, que l’on appelle en anglais The Advocates’ Society, qui a dit ce qui suit dans une publication récente :
Comme les autres fondements de la démocratie, l’indépendance judiciaire est vulnérable aux menaces. La société en général et le milieu juridique doivent se prémunir contre toute atteinte à ce principe, aussi minime soit-elle.
À ce titre, je suis particulièrement fier du travail qu’a accompli le Sénat à l’égard du projet de loi Ambrose, il y a déjà plus de quatre ans. En effet, dans une première version adoptée par l’autre endroit, bien que l’objectif poursuivi ait été très louable, le projet de loi omettait de respecter l’indépendance judiciaire, en tentant de dicter le contenu de la formation à donner aux juges, de contrôler les assignations des juges par les juges en chef en matière de dossiers d’infractions sexuelles, d’exiger la communication de diverses informations relatives au traitement des dossiers dans les palais de justice et d’imposer d’autres mesures qui montraient une méconnaissance ou une mécompréhension de l’indépendance judiciaire.
C’est grâce au Sénat et à la quinzaine d’amendements qu’il a proposés que le gouvernement a repris ensuite le projet de loi Ambrose et en a fait un projet de loi du gouvernement en y incorporant tous les changements qui avaient été proposés par le Sénat. Aujourd’hui, cette loi est en vigueur, et ce, dans le plus grand respect de l’indépendance judiciaire.
De même, lorsque le gouvernement a proposé une loi qui aurait traité les juges comme les députés et les sénateurs en matière de communication publique des dépenses individuelles, c’est le Sénat qui a fait reculer le gouvernement en proposant des amendements qui permettaient d’assurer une transparence en matière d’utilisation des fonds publics tout en respectant l’autonomie administrative des juges et des tribunaux. Notre message a été accepté par le gouvernement et appuyé par l’autre endroit.
J’en arrive à mon troisième point, le processus disciplinaire et ses limites.
L’indépendance judiciaire ne veut pas dire que les juges ne sont pas responsables de leurs décisions et de leur conduite dans les palais de justice ou ailleurs. Leurs décisions peuvent donc être révisées en appel et leurs écarts de conduite peuvent donner lieu à une plainte, puis à une enquête du Conseil canadien de la magistrature.
Le régime actuel, qui est modifié de temps à autre, est essentiellement régi par les règles adoptées par le Conseil de la magistrature. Ces règles prévoient une analyse préalable de la plainte par le directeur général. C’est à cette étape que la grande majorité des plaintes sont rejetées parce qu’elles dépassent le mandat du Conseil. De nombreuses plaintes concernent, par exemple, un juge provincial, un procureur de la Couronne, un policier, un auxiliaire de justice, et cetera. Une bonne partie des plaintes portent sur l’interprétation de la loi ou des faits par le juge, ce qui relève des tribunaux d’appel.
Si la plainte cadre avec le mandat du conseil, elle est alors soumise à un premier examen par un membre du conseil. Ce juge en chef peut alors rejeter la plainte ou, si elle est suffisamment grave pour justifier la révocation d’un juge, la renvoyer au comité chargé de l’étudier en profondeur. Si l’inconduite est de moindre gravité, une mesure corrective peut être négociée avec le juge.
Si le comité d’examen conclut que la gravité de l’inconduite est suffisante pour justifier une révocation, une enquête publique sera menée par un comité de trois ou cinq personnes, dont la plupart seront des juges et un ou deux seront des juristes nommés par le ministre de la Justice. Le rapport de ce comité devra être présenté au conseil aux fins de décision par au moins 17 juges en chef ou simples juges.
Dans le système actuel, beaucoup de ces décisions peuvent être contestées devant la Cour fédérale au moyen d’une demande de contrôle judiciaire. Le juge en cause peut interjeter appel de plein droit du jugement de la Cour fédérale devant la Cour d’appel fédérale et ensuite, sur autorisation, devant la Cour suprême du Canada.
Le processus, lorsqu’il est poursuivi jusqu’au bout, peut durer de nombreuses années et s’avérer extrêmement coûteux. Par exemple, une affaire a duré plus de sept ans et a coûté plus de 5,5 millions de dollars aux contribuables en frais juridiques.
Le juge en chef du Canada et de nombreux autres juges en chef se disent préoccupés par la tendance à entreprendre des procédures plus longues et plus coûteuses. Ils craignent que le public ne perde confiance dans la procédure et ils se soucient de l’utilisation des fonds publics.
Je passe maintenant à mon quatrième point, le projet de loi C-9 et les principales caractéristiques du nouveau processus relatif à la conduite qui est proposé, sous la forme adoptée à l’unanimité par l’autre endroit.
L’objectif du projet de loi est de mettre en place une nouvelle procédure qui comprend des représentants du public et des juges autres que des juges en chef — que je pourrais appeler des juges non en autorité — aux étapes critiques, réduit le nombre d’étapes possibles et assure un meilleur contrôle des coûts de défense du juge visé, le tout dans le but de réduire les délais et les coûts et de maintenir, au bout du compte, la confiance du public envers la magistrature et son système de discipline.
Plus spécifiquement, le projet de loi propose les principales mesures suivantes : la création d’agents de contrôle pour effectuer l’examen préalable des plaintes, qui seront, dans les faits, des avocats engagés à cette fin et donc spécialisés, plutôt que le directeur général du conseil; l’ajout d’un représentant du public au comité d’audience qui entend la preuve et décide de la destitution ou non du juge, l’étape la plus importante du processus pouvant mener à une destitution, alors que jusqu’à maintenant on n’y trouvait que des juges et des juristes; l’ajout de juges non en autorité à toutes les étapes; la possibilité d’ordonner au juge des mesures correctives intermédiaires lorsque la méconduite ne justifie pas un renvoi, alors qu’elle repose actuellement sur une entente avec le juge; le caractère définitif de la décision du comité d’audience, qui devient le rapport final du conseil, sans la nécessité d’obtenir une décision par au moins 17 juges en chef membres du conseil — donc l’abolition d’une étape assez lourde; plus de transparence dans le processus, notamment au moyen d’un rapport annuel et de la communication d’informations aux plaignants à toutes les étapes; des règles strictes applicables aux honoraires des avocats des juges faisant l’objet de plaintes ou agissant en poursuite; le remplacement de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale par un comité d’appel composé de cinq juges — donc, une autre étape de moins dans le processus, ce qui signifie une seule étape plutôt que deux; enfin, le maintien de la possibilité d’un dernier appel sur permission à la Cour suprême du Canada.
En résumé, le projet de loi propose d’assurer une plus grande participation de non-juristes et de juges non en autorité et donne la possibilité d’imposer des sanctions intermédiaires avec ou sans l’accord du juge concerné, le tout dans des délais moindres et à des coûts plus contrôlés.
Je passe au cinquième et avant-dernier point de mon discours, soit les six amendements proposés dans le rapport du comité et leurs conséquences sur les objectifs du projet de loi.
Comme vous l’avez peut-être remarqué hier, le rapport du comité n’a pas fait l’objet d’un long débat, puis il a été adopté avec dissidence. Je vais expliquer, dans quelques minutes, pourquoi je ne peux me rallier à ces amendements, à l’exception de deux d’entre eux.
D’abord, je tiens à souligner le travail et le grand intérêt des sept membres du comité qui ont assisté aux neuf heures de réunions que le comité a consacrées aux témoignages et des deux autres sénateurs qui ont participé à la plupart de ces réunions. À mes neuf collègues, je dis merci.
Ensuite, je crois utile de préciser que, au moment de l’étude article par article, qui a duré pratiquement cinq heures, pour le premier vote, la composition du comité est passée à 13 membres, dont 4 nouvelles figures. Si l’on peut se réjouir de ce regain d’intérêt pour les travaux du comité, il reste que nous nous retrouvons maintenant avec des amendements qui ont été adoptés sans hésitation avec l’appui de nos nouvelles recrues, dont l’objectif, pour certains, semblait de renvoyer le projet de loi à l’autre endroit.
Les deux amendements que j’appuie sont les suivants : l’un vise à préciser qu’un agent de contrôle ne peut rejeter une plainte lorsqu’elle contient une allégation d’inconduite sexuelle.
Le projet de loi prévoit déjà qu’une plainte contenant une allégation de harcèlement sexuel ne peut être rejetée par un agent de contrôle. À l’origine, notre collègue la sénatrice Clement proposait de remplacer les mots « harcèlement sexuel » par les mots « inconduite sexuelle ». Il est ressorti des discussions au sein du comité que l’on proposait de substituer à un terme bien défini en droit un autre concept plutôt vague.
Dans ce contexte, la sénatrice a accepté de modifier sa proposition pour en faire un cas additionnel d’exclusion de possibilité de rejet. À mon avis, cela respecte l’objectif de la disposition et me semble tout à fait acceptable.
L’autre amendement consiste à supprimer les mots « dans la mesure du possible » à l’égard de l’obligation du conseil de préparer une liste de non-juristes et une liste de juges puînés qui reflètent la diversité canadienne. Il faut comprendre ici que les non-juristes doivent répondre à un appel de candidatures, satisfaire aux critères énoncés et être prêtes à servir plutôt bénévolement le comité d’examen et le comité d’audience publique, qui sont les deux instances qui évaluent le comportement des juges faisant l’objet de plaintes et qui peuvent leur imposer soit une sanction intermédiaire, soit la destitution. Quant aux juges non en autorité, ils sont proposés par l’Association canadienne des juges des cours supérieures, que j’ai eu l’honneur de présider quelques années, et non sélectionnés librement par le conseil, au sein de toute la magistrature fédérale.
Les rédacteurs du projet de loi ont donc cru bon d’ajouter les mots « dans la mesure du possible », car les bassins limités d’où sont tirées les listes pourraient empêcher le conseil d’y faire refléter adéquatement la diversité canadienne. Toutefois, puisqu’en droit nul n’est jamais tenu à l’impossible et que, d’autre part, la sénatrice Clement a su me convaincre que le message politique est beaucoup plus fort si l’on supprime ces mots, cet amendement me semble tout à fait acceptable et conforme aux objectifs du projet de loi en matière de diversité.
Je partage également la philosophie de la sénatrice Pate dans son amendement en ce qui concerne la collecte de données et je suis d’accord avec l’objectif qu’elle poursuit. Toutefois, je crains que la formulation ne soit trop prescriptive. Comme je l’ai mentionné précédemment, le conseil jouit d’un degré élevé d’indépendance administrative. Dans le respect total de cette indépendance, je préfère m’appuyer sur les engagements pris par le conseil devant le comité en ce qui concerne l’amélioration de la collecte et de la divulgation des données, y compris des données désagrégées. Je ne vois pas l’intérêt de codifier ces obligations de manière aussi rigide dans la législation, même si je conviens que le résultat est d’une importance vitale.
Malheureusement, certains des autres amendements présentés au comité semblent soulever des questions similaires en raison de leur nature trop normative concernant l’indépendance judiciaire, y compris en ce qui concerne la gestion des agents de contrôle.
Ces personnes sont des employés du conseil mandatés pour exécuter une tâche purement administrative et ne sont pas autorisées à se prononcer sur le bien-fondé de ce qui apparaît de prime abord comme une plainte concernant la conduite d’un juge.
En ce qui concerne la divulgation de détails relatifs au traitement précoce des plaintes par les agents de contrôle et le comité d’examen ou l’un de ses membres, le processus doit tenir compte de la possibilité qu’un préjudice injuste soit porté à la réputation d’un juge à un stade aussi précoce de la procédure et de la manière dont cela peut affecter sa capacité à exercer ses fonctions, ainsi que la réputation générale de la magistrature.
De plus, j’attire votre attention sur le point no 17 des Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature des Nations unies, qui se lit comme suit :
17. Toute accusation ou plainte portée contre un juge dans l’exercice de ses fonctions judiciaires et professionnelles doit être entendue rapidement et équitablement selon la procédure appropriée. Le juge a le droit de répondre, sa cause doit être entendue équitablement. La phase initiale de l’affaire doit rester confidentielle, à moins que le juge ne demande qu’il en soit autrement.
Passons maintenant aux deux amendements restants.
Tout d’abord, le comité a cherché à inclure une personne non-juriste dans le comité d’appel. Dans le cadre de la nouvelle procédure, le comité d’appel serait chargé d’exercer des fonctions qui incombent normalement à un tribunal d’appel intermédiaire comme la Cour d’appel de l’Ontario ou la Cour d’appel fédérale. Le projet de loi confère à ce comité d’appel les pouvoirs d’une cour d’appel. Autrement dit, le rôle du comité d’appel serait de s’assurer que le comité d’audience a bien appliqué la loi et de corriger au besoin toute erreur pouvant faire l’objet d’un examen. C’est pourquoi il devait être composé de cinq juges en exercice, soit trois juges en chef, et deux juges.
Aux termes de l’amendement, ce seraient plutôt deux juges en chef, un juge, un avocat et un non-juriste. Légalement, un non-juriste est une personne qui n’a aucune formation en droit. En tout respect, cela serait contraire à ce que le projet de loi vise à accomplir à cette étape-ci, soit de s’assurer que la composition et les pouvoirs du comité d’appel sont comparables à ceux d’une cour d’appel en vue d’une efficience similaire. Je ne peux donc pas appuyer l’amendement.
Je rappelle que le projet de loi prévoit l’inclusion de non-juristes dans les deux principales étapes d’enquête — le comité d’examen et le comité d’audience plénier — lors desquelles on cherche à savoir : Le juge a-t-il commis une inconduite? Le cas échéant, quelles sanctions seraient justifiées? Ce n’est pas la même chose au moment du processus d’appel, qui doit remplacer la Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale.
Le dernier amendement, également proposé par la sénatrice Batters, a pour objectif d’ajouter un droit d’appel à la Cour d’appel fédérale concernant toutes les décisions du comité d’appel. Il faut savoir que les décisions de ce comité pourront être interlocutoires ou finales.
Il est intéressant de souligner qu’un amendement semblable a été proposé au comité de l’autre endroit et que la présidence a jugé qu’il dépassait la portée du projet de loi — décision qui a été contestée par les députés conservateurs, mais qui a été validée par la majorité des membres du comité.
Surtout, nous devons réaliser que l’ajout d’un appel devant la Cour d’appel fédérale au processus simplifié prévu signifie que la durée des procédures judiciaires devant la Cour d’appel fédérale ajoutera au moins un an ou un an et demi aux procédures pour chaque appel interjeté devant cette cour. Cela se produirait chaque fois qu’une décision du comité d’appel est portée en appel. Comme je l’ai dit, il est possible de faire appel de plus d’une décision du comité d’appel dans un même dossier.
Pendant ces années, les honoraires de l’avocat du juge seront entièrement payés par les contribuables, le salaire du juge continuera d’être versé et de nombreux juges de la Cour d’appel fédérale devront participer au processus. Je soutiens qu’il ne s’agit pas d’un bon usage de l’argent des contribuables, compte tenu du fait que le comité d’appel accomplit le travail d’une cour d’appel composée de cinq juges.
L’objectif du projet de loi C-9 est de réduire les délais et les coûts inacceptables tout en respectant l’indépendance judiciaire et en assurant un processus équitable pour le juge qui fait l’objet de la plainte. L’amendement va à l’encontre de cet objectif.
La révocation d’un juge est une affaire grave et l’inamovibilité d’un juge est quelque chose qui requiert d’importantes mesures de protection. Toutefois, les protections prévues dans ce projet de loi tel qu’il nous a été présenté à l’origine sont suffisantes. Elles sont justes et équilibrées, et elles garantissent au juge — après un contrôle et un examen interne — l’équivalent d’un procès juste et transparent, suivi d’un appel de plein droit et de la possibilité de demander l’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada.
Autrement dit, on a garanti aux juges accusés d’inconduite grave l’accès au même processus équitable que tous les autres Canadiens, et même plus, et tout cela gratuitement. Ajouter au processus un autre tribunal et un autre comité de juges était totalement injustifié et fait preuve d’un grave manque de confiance dans les capacités de la Cour suprême du Canada, la plus haute instance de notre pays et un pilier fondamental de notre société démocratique.
Au comité, on a appris que la Cour suprême n’accède pas à beaucoup de demandes d’appel, et qu’elle rejette en fait entre 95 % et 99 % d’entre elles. Lorsqu’on examine les documents sur le site Web de la Cour suprême, on constate qu’il y a de temps à autre des décisions disciplinaires ou liées au salaire des juges. Lorsque la Cour suprême estime devoir se prononcer au sujet des juges, elle le fait.
Pour ces raisons, je crois que l’autre endroit doit rejeter les deux derniers amendements. Il devrait procéder au second examen objectif qui, peut-être, n’a pas eu lieu.
Merci, chers collègues, de votre attention. Maintenant, je vous demande respectueusement de renvoyer le projet de loi à l’autre endroit pour un examen plus approfondi, en gardant à l’esprit qu’il nous reste très peu de temps avant la pause estivale pour adopter un message de l’autre endroit et rendre ensuite notre décision. Merci, meegwetch.
Est-ce que le sénateur accepterait de répondre à une question?
Je m’attendais à avoir une question de votre part et une autre de la sénatrice Batters.
Merci. Je ne suis pas sûr de ce que le sénateur Dalphond a dit, mais je suppose que je peux lui poser une question.
Sénateur Dalphond, hier, lorsque nous avons voté sur une motion à l’étape du rapport, vous, en tant que parrain du projet de loi, de même que le gouvernement, étiez vraiment contre la motion. Vous avez dit « avec dissidence ». Or cela veut dire que vous n’êtes pas d’accord. Pouvons-nous nous attendre à ce que vous votiez de nouveau contre le projet de loi, ou à ce que vous l’appuyiez avec dissidence tout à l’heure?
Vous n’avez peut-être pas obtenu tout ce que vous vouliez, mais vous avez quand même eu le projet de loi que vous vouliez. Je trouve étrange que le parrain et même le gouvernement appuient avec dissidence leur propre projet de loi. Pourriez-vous nous en expliquer la raison?
Comme je l’ai dit, je vais certainement demander le vote ce soir. Je vais rester coi, et le projet de loi sera adopté avec dissidence.
Avez-vous une autre question, sénateur Plett?
Eh bien, je trouve très étrange que le parrain ou le gouvernement veuille qu’on tienne un vote et que son projet de loi soit adopté avec dissidence. Je ne vais pas poser de question à ce sujet, mais je trouve simplement extrêmement étrange que le gouvernement s’oppose à son propre projet de loi.
Ce n’est pas une question. C’est une observation. Je n’y répondrai pas, mais j’ajouterai une autre observation.
Il ne s’agit pas d’un projet de loi du gouvernement ordinaire. Il s’agit d’un projet de loi proposé par la magistrature pour mettre en place un nouveau processus. Il a été présenté après plus de quatre ans de consultations en bonne et due forme auprès de parties prenantes, de juges et de juges en chef à l’échelle du pays. Le ministère de la Justice a ensuite été invité à rédiger un projet de loi reflétant le consensus.
Plus tôt dans mon discours — et je pense que vous n’avez pas entendu cette partie, peut-être parce que vous étiez engagé dans une autre conversation —, j’ai expliqué l’origine du projet de loi, la façon dont nous en avons été saisis et le rôle que nous avons à jouer en ce qui a trait à ce projet de loi si spécial.
Votre Honneur, je ne veux pas m’éterniser sur le sujet, mais je tiens à rectifier les faits. Il s’agit bel et bien d’un projet de loi du gouvernement. C’est un projet de loi qui a été présenté par le gouvernement et vous, sénateur Dalphond, êtes le parrain d’un projet de loi qui a été renvoyé ici par le gouvernement. Ne brouillons donc pas les pistes. Vous n’aimez pas le rapport à son sujet, tout comme le leader du gouvernement d’ailleurs, mais il s’agit effectivement d’un projet de loi du gouvernement. Je tiens à le préciser, Votre Honneur.
Êtes-vous en train de poser une question, sénateur Plett?
Non.
Donc vous interveniez dans le cadre du débat.
Si je puis, j’aurais une autre observation à formuler. Le sénateur n’a pas posé de question, mais il a...
J’intervenais dans le cadre du débat, Votre Honneur.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges.
Il s’agit de la troisième tentative du gouvernement libéral de faire adopter ce projet de loi visant à moderniser le processus disciplinaire pour les juges nommés par le gouvernement fédéral, le processus actuel ayant été instauré en 1971, c’est-à-dire il y a 52 ans.
Bien que les gouvernements provinciaux nomment les juges des instances inférieures, le gouvernement fédéral est responsable de nommer de nombreux autres juges, notamment ceux de la Cour fédérale, de la Cour d’appel fédérale, des cours d’appel provinciales, de la Cour suprême du Canada et d’un nombre important de tribunaux de première instance, tels que les juges de la Cour supérieure de justice de l’Ontario ou, dans ma province, la Saskatchewan, ceux de la Cour du Banc du Roi.
Comme je l’ai mentionné, le projet de loi C-9 s’appliquera à tous les juges nommés par le gouvernement fédéral. Les gouvernements provinciaux possèdent leur propre régime de déontologie pour les juges qu’ils nomment.
La première tentative du gouvernement Trudeau en vue de moderniser le processus disciplinaire de la magistrature fédérale était le projet de loi S-5, présenté au Sénat en mai 2021. Ce projet de loi est mort au Feuilleton avant les élections de 2021, puis a été présenté de nouveau en décembre de la même année en tant que projet de loi S-3. Le projet de loi S-3 a été retiré à peine quelques semaines plus tard, puis présenté de nouveau à la Chambre des communes en tant que projet de loi C-9. Le projet de loi C-9, tel qu’il a été présenté au Sénat, est presque identique au projet de loi S-3.
Le projet de loi C-9 a été adopté à l’unanimité à la Chambre des communes, car il était largement considéré comme non controversé. Lorsque le projet de loi a été présenté au Sénat, j’ai prononcé un discours en deuxième lecture dans lequel j’ai soulevé certaines questions que je souhaitais, en tant que porte-parole de l’opposition pour ce projet de loi, étudier au Comité sénatorial des affaires juridiques.
Lorsque nous avons examiné le projet de loi C-9 au Comité des affaires juridiques, il est devenu de plus en plus évident que ce projet de loi nécessiterait un travail important. Alors que le Comité de la justice de la Chambre des communes l’avait étudié pendant trois réunions et avait tenu une séance d’étude article par article, le Comité sénatorial des affaires juridiques a consacré sept réunions complètes à l’audition de témoins et a ensuite tenu trois séances d’étude article par article.
Je voudrais juste prendre un moment pour remercier tous les témoins qui ont comparu devant le Comité des affaires juridiques afin que nous puissions mener cette étude approfondie, ainsi que mes collègues du comité pour leur travail acharné et leur débat animé sur cette question.
Après 50 ans sans mise à jour législative, et à la troisième tentative parlementaire d’adopter un projet de loi, il était logique que notre comité sénatorial procède de manière délibérée et réfléchie pour rendre ce projet de loi le meilleur possible.
Les consultations du gouvernement pour le projet de loi étaient un peu obsolètes. La majorité d’entre elles s’étaient déroulées sept ans auparavant, en 2016. Or, même à cette époque, les consultations publiques du gouvernement étaient dérisoires. Il s’agissait en fait d’un sondage en ligne qui n’avait récolté que 74 réponses des Canadiens, en plus d’un examen des lettres pertinentes acheminées à la section de la correspondance du ministère. Qui plus est, un grand nombre des gouvernements provinciaux que le gouvernement Trudeau avait consultés au départ avaient été remplacés par des élus n’ayant plus les mêmes allégeances qu’en 2016.
L’un des principaux objectifs de ce projet de loi est de préserver la confiance du public envers le système de justice. C’était la première préoccupation de tous les membres du Comité sénatorial des affaires juridiques tout au long des délibérations au sujet du projet de loi. Le comité a accompli un travail remarquable et exhaustif, et il a entendu le témoignage d’intervenants très crédibles, comme l’Association du Barreau canadien, la Société des plaideurs et l’Association canadienne pour l’éthique juridique. Plusieurs membres du comité ont proposé des amendements à la lumière des judicieux conseils de ces témoins.
Quand il est devenu évident que le projet de loi C-9 comportait de sérieuses lacunes, les sénateurs indépendants ont soulevé la possibilité que le ministre de la Justice apporte ses propres amendements pour corriger le tir. Par la suite, on nous a dit que le gouvernement — sans doute au courant des préoccupations des membres du comité à l’étape où en étaient les choses — n’avait pas l’intention de proposer quelque amendement que ce soit.
Le Comité sénatorial des affaires juridiques a ensuite adopté une motion demandant au ministre de la Justice, M. Lametti, de revenir témoigner et de répondre aux questions en suspens du comité. Le ministre de la Justice a refusé, alors que cela aurait été l’occasion d’expliquer la position du gouvernement et le projet de loi qu’il a tenté de faire adopter sous diverses formes au cours des dernières années. Sans autre intervention de sa part, le comité a ensuite procédé à l’adoption de six amendements pleins de bon sens — dont certains importants — pour tenter d’améliorer le projet de loi.
Nous avons réalisé une longue étude sur cette question au comité, et nous avons proposé des amendements réfléchis et raisonnés, fondés sur les témoignages de témoins importants. Le gouvernement ne devrait pas rejeter le résultat du second examen objectif de notre comité. J’espère qu’il acceptera ces amendements comme une amélioration supplémentaire d’un système de conduite judiciaire qui n’a pas été révisé de manière substantielle depuis 50 ans.
À titre d’information, il serait utile que les sénateurs examinent de plus près les amendements adoptés par le comité. Trois d’entre eux ont été proposés par la sénatrice Clement. Son premier amendement consiste à corriger une formulation mal rédigée dans la partie sur la diversité concernant la sélection des juges et des non-juristes pour former les comités d’audience dans le cadre du nouveau processus de discipline des juges. Le projet de loi C-9 contenait un article énonçant que, « [d]ans la mesure du possible », ces personnes devraient refléter la diversité du Canada. L’amendement de la sénatrice Clement consiste à supprimer ce libellé condescendant et imprécis du projet de loi.
Un autre des amendements de la sénatrice Clement a inséré les mots « inconduite sexuelle et harcèlement sexuel » là où, auparavant, le projet de loi C-9 parlait seulement de « harcèlement sexuel ». Bien sûr, l’objectif en est de viser un plus grand nombre de comportements que ce qu’entend la définition plus étroite du terme « harcèlement sexuel ».
Le troisième amendement de la sénatrice Clement a fait un ajout pour rendre le processus d’examen de la conduite des juges plus transparent, surtout dans le cas des plaintes rejetées. Cet amendement stipule qu’il faut fournir une justification aux plaignants qui se trouvent dans cette situation. Cette obligation de rendre des comptes est importante pour accroître la confiance du public dans l’équité du système.
La sénatrice Pate a proposé un amendement par l’entremise de la sénatrice Simons qui améliorerait la collection des données sur les plaintes portées contre des juges dans le cadre de ce nouveau processus d’examen de la conduite des juges.
Comme l’a dit la sénatrice Pate :
L’importance des données désagrégées est cruciale pour comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans le système de justice pénale. À l’heure actuelle, nous disposons de très peu de données sur les personnes qui déposent des plaintes et qui sont les plus insatisfaites du système judiciaire, à part des données empiriques.
En offrant cette option, nous sommes mieux à même de comprendre quelles personnes sont les plus insatisfaites, lesquelles ont les moyens de déposer des plaintes contre des juges et lesquelles sont touchées de manière disproportionnée, de sorte que nous puissions créer une meilleure formation pour les juges et les avocats et mettre en place un système de justice équitable.
J’ai également proposé trois amendements au projet de loi C-9. Deux d’entre eux ont été adoptés en comité et le troisième a été rejeté de justesse par un seul vote. Le premier de mes amendements qui a été adopté incorpore des « non-juristes », c’est-à-dire des Canadiens qui ne sont ni avocats ni juges, à presque toutes les étapes du processus de discipline judiciaire. Cette mesure correspond à l’objectif législatif visant à rehausser la confiance du public dans le système de justice et à améliorer la reddition de comptes.
Notre comité a entendu des preuves substantielles à l’appui de cette idée. Le professeur Richard Devlin, de l’Association canadienne pour l’éthique juridique, a reconnu la nécessité d’une représentation accrue des non-juristes, affirmant que les valeurs d’impartialité, d’indépendance et de représentation sont compromises en l’absence d’une représentation suffisante des non-juristes.
Il s’est aussi dit inquiet que l’article 115 proposé laisse entendre que les audiences du comité restreint pourraient ne pas être publiques. Le professeur Devlin a dit qu’un juge pourrait choisir d’éviter toute participation de non-juristes à cette étape du processus et profiter d’une audience privée.
La registraire du Conseil de la magistrature de l’Ontario, Alison Warner, nous a parlé de l’avantage d’inclure des non-juristes dans le régime disciplinaire provincial. Elle a dit que les non-juristes apportent « une perspective inestimable dans le processus de délibérations ».
La représentante du Conseil canadien de la magistrature n’était pas du même avis. Elle a dit ce qui suit :
Je ne pense pas qu’il est nécessaire d’inclure des non-juristes à chaque étape du processus, car on ne voit pas cela dans d’autres tribunaux administratifs, que ce soit à l’étape du contrôle ou à d’autres étapes.
En réponse, j’ai souligné que le processus fédéral se rapproche davantage des systèmes provinciaux semblables, y compris celui du Conseil de la magistrature de l’Ontario, que des différents tribunaux administratifs. Étant donné la mesure dans laquelle les juges entendent des cas très importants qui touchent le public, sans oublier les ramifications de ces affaires, il est important que les Canadiens sentent qu’ils sont représentés et qu’ils peuvent faire confiance à ces processus. Ce sont là d’importantes raisons d’inclure des non-juristes à toutes les étapes.
Certains pourraient se demander si les non-juristes ont la formation juridique nécessaire pour siéger à une quasi commission d’appel. Premièrement, les non-juristes auxquels ferait appel le conseil seraient des personnes qualifiées, qui recevraient la formation nécessaire pour s’acquitter de leurs tâches.
Deuxièmement, contrairement à ce que croient certains — et, chers collègues, je dis cela en tant qu’avocate — les avocats ne savent pas tout, et les non-juristes peuvent apporter une perspective précieuse et pleine de bon sens aux questions disciplinaires.
Troisièmement, si vous n’êtes pas à l’aise avec le fait qu’un non-juriste s’occupe de questions juridiques, je dirais que la composition du comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles serait très différente si seuls les avocats et les juges étaient autorisés à en être membres.
Les personnes qui ne sont ni avocats ni juges ont un point de vue différent sur les questions juridiques, et, lorsque les questions de discipline judiciaire peuvent avoir un impact sur la confiance du public dans ce système, il est important que des profanes soient impliqués dans le processus.
La sénatrice Clement a cité un exemple de sa propre expérience au comité. Elle a déclaré :
Permettez-moi de prendre un exemple en droit administratif. Lorsque je suis convoquée devant le Tribunal d’appel de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail et qu’il y a un comité composé de trois personnes, le président de ce comité est un avocat, puis il y a un représentant de l’employeur et un représentant de l’employé ou du syndicat. Selon mon expérience, ces intervenants font office de juges des faits, mais ils rendent aussi des décisions en matière de droit. Ce tribunal a une excellente réputation […]
Les non-juristes qui participent à ces comités ont été dûment formés. Ils sont encadrés et soutenus. À mon avis, ils rendent des décisions d’une grande qualité.
De plus, après l’adoption de l’amendement que j’ai proposé plus tard au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, le projet de loi C-9 prévoit maintenant la possibilité d’interjeter appel devant la Cour d’appel fédérale. Ce tribunal pourrait donc se charger d’examiner les points de droit plus subtils, au besoin. Au bout du compte, mon amendement demandant l’inclusion de non-juristes à toutes les étapes du système disciplinaire de la magistrature a facilement été adopté au comité avec huit voies pour, quatre voies contre et une abstention.
Plusieurs experts venus témoigner au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles demandaient l’inclusion de la Cour d’appel fédérale, notamment l’Association du Barreau canadien, la Société des plaideurs et Caroline Dick, professeure de sciences politiques. L’Association canadienne des juges des cours supérieures — qui, comme l’a souligné aujourd’hui le sénateur Dalphond, compte 1 200 membres — a également envoyé une lettre aux membres du comité pour souligner que, après la fin de la période de consultation du gouvernement, elle n’appuyait pas la position du Conseil canadien de la magistrature en ce qui a trait aux examens externes. L’association affirme être :
[...] en faveur d’un appel de plein droit devant un tribunal à l’issue du processus sur l’examen de la conduite.
Il convient de souligner que l’Association du Barreau canadien, la plus grande association juridique du Canada, qui représente 37 000 avocats, figurait parmi les témoins favorables à l’inclusion de la Cour d’appel fédérale. Bien que cela fasse 10 ans que je siège au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, je ne me souviens pas d’une autre occasion où le président de l’Association du Barreau canadien a comparu devant le comité. L’Association du Barreau canadien propose parfois des amendements, mais il est rare qu’elle propose des modifications importantes aux projets de loi émanant du gouvernement. Cependant, lors de sa comparution devant le comité sur le projet de loi C-9, le président de l’Association du Barreau canadien, Steeves Bujold, a présenté deux raisons importantes pour justifier l’inclusion de la Cour d’appel fédérale dans la liste des tribunaux devant lesquels il serait possible d’interjeter appel avant de recourir à la Cour suprême du Canada.
Premièrement, eu égard à la justice naturelle, il garantirait une surveillance externe du processus. Deuxièmement, la magistrature est tellement importante pour la démocratie canadienne que la population doit pouvoir voir que la discipline judiciaire est exercée de façon ouverte et responsable et qu’elle comporte des voies d’appel et de recours claires. Un autre avantage du droit d’appel est que la Cour d’appel fédérale fournira probablement des motifs détaillés qui permettront au juge accusé d’inconduite et à la population de savoir pourquoi un tribunal indépendant a conclu comme il l’a fait. Cela rehausse la crédibilité du Conseil canadien de la magistrature grâce à l’examen transparent de ses procédures et de son processus décisionnel.
M. Bujold a également déclaré ce qui suit :
En conclusion, la magistrature est un pilier de notre démocratie et elle doit rendre des comptes à la population et être acceptée par elle. Grâce à un processus de discipline judiciaire clair et ouvert, où les mesures prises par le Conseil canadien de la magistrature peuvent être contestées devant une cour d’appel, et grâce au déroulement des procédures d’examen en audience publique, la population continuera d’avoir confiance dans l’intégrité du système disciplinaire judiciaire. On aura le sentiment que justice aura été rendue.
Encore aujourd’hui, avec l’ajout de la Cour d’appel fédérale, le projet de loi C-9 amendé constitue une rationalisation majeure du processus. Le processus actuel peut comprendre une étape qui consiste à interjeter appel d’une décision du comité devant la Cour fédérale, puis la Cour d’appel fédérale et enfin la Cour suprême du Canada, avec autorisation ou permission. Le projet de loi amendé éliminera quand même une instance complète, ce qui permettra d’économiser du temps et de l’argent, mais il conservera les principes d’équité, de transparence et de reddition de comptes.
Il est important de souligner qu’avec le projet de loi, le gouvernement Trudeau a délibérément choisi d’accroître la capacité d’interjeter appel avec autorisation plutôt que de plein droit devant la Cour suprême du Canada. À l’heure actuelle, la Cour suprême du Canada n’approuve que 7 ou 8 % des demandes d’autorisation d’interjeter appel qu’elle examine. En outre, elle doit estimer qu’une affaire satisfait à ce qu’elle considère comme étant le critère de l’intérêt national. Il n’y a certainement aucune raison de croire qu’une question concernant le processus disciplinaire de la magistrature répondrait à ce critère.
Même Patrick Xavier, haut fonctionnaire au ministère de la Justice, a admis quatre fois pendant son témoignage que le ministère ne sait pas si la Cour suprême du Canada accéderait à ce genre d’appel en matière de procédures disciplinaires. Comme M. Xavier l’a déclaré : « Nous ne savons pas encore ce que le tribunal fera. C’est une question ouverte. »
Une couche de complexité s’ajoute lorsque le juge qui face à une enquête pour inconduite est un juge de la Cour suprême du Canada. Voici ce que Steeves Bujold, président de l’Association du Barreau canadien, a déclaré à ce sujet :
Il reste que si la plainte, si le juge visé par l’enquête est un juge de la Cour suprême, il s’agit d’une question de droit complexe. Est-ce que le reste de la cour peut siéger pour juger un appel d’un collègue, et est-ce qu’on peut rassembler un nombre suffisant de juges pour avoir un quorum qui n’ont pas déjà une connaissance des faits? C’est une question assez complexe, qui se poserait peut-être moins à la Cour d’appel fédérale, puisque le nombre de juges est suffisamment important pour que l’on puisse constituer un banc de trois juges.
La Société des plaideurs a aussi proposé de réintégrer la Cour d’appel fédérale dans le processus disciplinaire de la magistrature. Sheree Conlon, membre exécutive de la Société des plaideurs, a déclaré ceci :
La Société des plaideurs est préoccupée par le fait que le projet de loi C-9 crée un régime législatif dans lequel le Conseil canadien de la magistrature est l’enquêteur, le décideur et l’autorité d’appel en ce qui concerne les allégations d’inconduite judiciaire. En fin de compte, le contrôle judiciaire externe des décisions et des actions du CCM est pratiquement éliminé.
Le processus proposé est préoccupant, car il est essentiel que les tribunaux contrôlent les mesures administratives afin de garantir leur légalité et leur équité. L’absence de contrôle du processus du CCM par les tribunaux porte atteinte à l’inamovibilité des magistrats, laquelle est une composante essentielle de l’indépendance judiciaire. [...]
Nous devons insister sur le fait que, selon nous, l’amendement que nous proposons ne reproduira pas les retards et les coûts que nous observons dans le processus actuel et que le gouvernement tente à juste titre de corriger. La proposition garantit que seule la décision finale du CCM pourra faire l’objet d’un appel directement auprès de la Cour d’appel fédérale. Cela éliminera un niveau de révision judiciaire — par la Cour fédérale — [...]
Me Conlon a poursuivi comme suit :
Nous pensons que cette petite modification que nous proposons d’apporter au projet de loi C-9 établit un juste équilibre entre l’efficacité, la confiance du public dans la responsabilisation judiciaire et l’équité pour toutes les parties, tout en maintenant l’indépendance judiciaire.
Dans la foulée de ces recommandations clés et des témoignages judicieux à propos de cette question, je suis fière que le Comité sénatorial des affaires juridiques ait adopté l’amendement que j’ai proposé, à savoir de rétablir la Cour d’appel fédérale comme dernier niveau d’appel avant de solliciter l’autorisation de la Cour suprême du Canada.
Le fait de réintégrer la Cour d’appel fédérale dans le processus disciplinaire pourrait amener un autre avantage. Compter sur une cour plutôt qu’un groupe d’experts comme avant-dernier niveau d’appel procure la possibilité d’établir des précédents, ce qui a une grande valeur. Recourir à un tribunal — non pas à un groupe d’experts, mais à un véritable tribunal — offre l’avantage de pouvoir examiner des questions complexes en matière de droit qui pourraient être soulevées dans le cadre de la procédure.
Par ailleurs, mon amendement visant à réintégrer la Cour d’appel fédérale dans le processus comme dernière instance avant de demander l’autorisation ou la permission d’interjeter appel auprès de la Cour suprême, a été adopté par le Comité sénatorial des affaires juridiques à l’issue d’un vote où sept membres étaient en faveur et six membres contre.
Le troisième amendement que j’ai proposé au projet de loi C-9 était d’ajouter la suspension avec solde et la suspension sans solde à la liste des sanctions possibles dans le processus disciplinaire. Malheureusement, cet amendement très raisonnable a été rejeté par le comité, mais par une seule voix : cinq membres étaient pour, six membres étaient contre.
Je vais présenter une version légèrement révisée de cet amendement à la fin de mon discours.
Tout d’abord, je pense qu’il serait utile pour les sénateurs de comprendre certains des témoignages que le comité a entendus sur les raisons pour lesquelles les sanctions devraient être disponibles dans le cadre de la procédure relative à l’inconduite judiciaire.
Les dispositions du projet de loi C-9 permettent au comité d’examen de recommander la révocation d’un juge, ce qui est une sanction très sévère, ou de choisir parmi une liste de mesures moins sévères, comme donner un avertissement, prononcer une réprimande ou exprimer des préoccupations, que ce soit publiquement ou confidentiellement; ordonner au juge de s’excuser publiquement ou confidentiellement; et ordonner d’autres mesures spécifiques, notamment suivre une thérapie ou participer à de la formation.
Il y a un écart important entre certaines de ces conséquences moindres et la révocation d’un juge. Permettre la suspension d’un juge, avec ou sans traitement, comme mesure corrective possible constituerait une option raisonnable pour traiter les fautes graves par nature, mais qui n’atteignent pas le seuil élevé de la révocation. En outre, si la seule sanction possible pour une faute grave est la révocation, un juge peut être enclin à continuer à se battre contre la sanction aux frais du contribuable. Une sanction de niveau intermédiaire pourrait être plus appropriée pour tous : le juge accusé, le plaignant et le public en général.
Quand le ministre de la Justice, M. Lametti, a comparu devant notre Comité des affaires juridiques, je lui ai demandé pourquoi l’option d’une suspension, avec ou sans solde, n’était pas incluse dans le projet de loi C-9. Il semble qu’il n’était pas prêt à répondre à la question, ce que j’ai trouvé surprenant, étant donné que j’avais soulevé la question lors de mon discours à l’étape de la deuxième lecture quelques semaines plus tôt. Sans faire de commentaire, le ministre Lametti a transmis la question aux gens de son ministère pour qu’ils y répondent.
Son adjoint, Patrick Xavier, a répondu à ma question en disant ceci :
Les exigences sont très élevées en ce qui concerne la conduite des juges. La Cour suprême a été très claire à ce sujet; on attend vraiment des juges qu’ils se comportent de manière exemplaire, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la salle d’audience. Si vous parlez de quelque chose de si grave qu’une réduction de salaire est justifiée, c’est probablement parce que la révocation est justifiée.
Le ministre Lametti était assis à côté de M. Xavier, et il ne l’a pas contredit. Je ne peux donc que supposer qu’il souscrivait à son raisonnement. Même si M. Xavier connaît très bien ce projet de loi et la Loi sur les juges, sa réponse ne me semblait pas très convaincante.
Par conséquent, lors des réunions suivantes du comité, j’ai continué de demander à d’autres témoins s’ils croyaient que des suspensions, avec ou sans solde, devraient être incluses comme solutions possibles. La plupart d’entre eux ont convenu qu’elles pouvaient et devaient l’être.
J’ai noté que la suspension était l’une des sanctions proposées au niveau provincial. J’ai demandé à nos analystes de la Bibliothèque du Parlement de mener quelques recherches sur ce que les provinces canadiennes font au sujet des juges nommés par les gouvernements provinciaux. En ce qui concerne les juges nommés par le gouvernement fédéral, n’oubliez pas qu’ils sont également nommés par la Cour du Banc du Roi, qui est responsable des nominations fédérales des juges des tribunaux inférieurs.
En fait, toutes les provinces autorisent la suspension d’une façon ou d’une autre. En Colombie-Britannique, on peut suspendre un juge, avec ou sans solde, pour une période maximale de six mois. En Alberta, l’intimé peut être suspendu avec solde pour une période indéterminée ou suspendu sans solde pour une période pouvant aller jusqu’à 90 jours. En Saskatchewan, on peut suspendre le juge, avec ou sans solde, pour une période déterminée ou jusqu’à ce qu’on réponde à certaines exigences, y compris l’exigence que le juge reçoive un traitement médical ou des services de consultation. Au Manitoba, on peut suspendre un juge avec solde pour une période indéterminée ou sans solde pour une période pouvant aller jusqu’à 30 jours. En Ontario, on peut suspendre un juge avec solde pour une période indéterminée ou sans solde, mais avec des avantages sociaux, pour une période pouvant aller jusqu’à 30 jours. Au Québec, on peut imposer une condition si une recommandation est faite en ce sens.
Au Québec, le conseil suspend le juge pour une période de 30 jours.
Le Nouveau-Brunswick prévoit la suspension de ses fonctions, sans traitement, du juge dont la conduite est en cause pour une période maximale de 90 jours, ou sa suspension de ses fonctions avec traitement pour la période que le conseil de la magistrature juge appropriée, avec ou sans conditions. La Nouvelle-Écosse peut obliger le juge à prendre un congé avec traitement. L’Île-du-Prince-Édouard autorise l’émission d’une ordonnance recommandant que le lieutenant-gouverneur en conseil ordonne la suspension de la nomination du juge pour une période précisée ou jusqu’à l’occurrence d’un événement futur précisé. Terre-Neuve prévoit la suspension du juge pour une période jugée appropriée jusqu’à ce que les conditions imposées soient satisfaites ou jusqu’à nouvel ordre du tribunal d’arbitrage.
Notre comité a entendu le témoignage d’Alison Warner, registraire du Conseil de la magistrature de l’Ontario. Comme je l’ai mentionné, le régime de déontologie de la magistrature en Ontario limite à 30 jours les suspensions sans traitement. Mme Warner a dit être au courant de deux cas, survenus en 2017, où un comité d’audience a suspendu un juge sans solde pendant 30 jours. Elle nous a dit :
Dans les deux cas, les comités d’audi[ence] étaient confrontés à une faute grave, mais par contre, les juges faisaient preuve de remords, de lucidité et reconnaissaient les faits. Ils avaient déposé de nombreuses lettres de soutien, émanant non seulement de juges, mais aussi d’avocats et de membres du public. Ils avaient suivi des [cours de rééducation professionnelle] et des formations en éthique.
Elle a également dit que les comités d’audience :
[...] ont estimé qu’à la lumière de ces facteurs atténuants, comme je le disais, il ne serait pas justifié de recommander la révocation. Ils ont donc combiné la suspension sans salaire avec quelques sanctions moins sévères, comme une réprimande et des excuses dans un cas. Ils ont estimé que cela constituerait une punition sévère pour leur conduite, mais que cela tiendrait compte, comme je l’ai dit, des circonstances atténuantes.
Au cours de la première journée de l’étude article par article du projet de loi, le Comité des affaires juridiques a apporté quelques amendements de fond au projet de loi, notamment l’amendement que j’ai proposé concernant la liste de non-juristes. Le deuxième jour, j’ai proposé un amendement en vue d’inclure la suspension avec traitement et la suspension sans traitement pour une période maximale de 30 jours dans la liste des sanctions possibles.
Soudainement, nous avons entendu des arguments complètement différents des fonctionnaires du ministère de la Justice. Ils s’opposaient à l’idée qu’ils m’avaient suggérée lorsque le ministre a comparu. À la onzième heure, voici la raison que m’ont donnée les fonctionnaires : toute modification du salaire ou des avantages sociaux des juges — par exemple, une suspension sans traitement — doit être examinée par la Commission d’examen de la rémunération des juges. Les fonctionnaires estimaient que le processus prendrait environ un an.
Avant cela, le comité n’avait entendu aucun témoignage au sujet de cette obligation d’obtenir l’approbation de la Commission d’examen de la rémunération des juges. Aucun témoin ayant comparu dans les sept séances précédentes n’avait signalé la possibilité de cet obstacle à l’inclusion d’une suspension dans la liste des sanctions possibles — ni le ministre de la Justice, ni le président de l’Association du Barreau canadien, ni ces mêmes fonctionnaires du ministère de la Justice. Surtout, nous n’avons rien entendu à ce sujet, ni de la part du commissaire à la magistrature fédérale, ni de la part du Conseil canadien de la magistrature.
Le sénateur Dalphond, parrain du projet de loi au Sénat, s’est plaint de l’incidence prétendument dévastatrice qu’aurait mon amendement sur l’indépendance financière des juges, même si mon amendement limitait la suspension sans traitement à 30 jours. Il a dit : « Pourquoi pas 90 jours? Pourquoi pas un an? Comment le juge arrive-t-il à vivre? »
Étant donné que, selon l’estimation du Guichet-Emplois du gouvernement fédéral, le salaire annuel médian d’un juge canadien est de 355 536,60 $, je présume que c’est probablement faisable.
Chers collègues, j’avais proposé, à titre de compromis raisonnable, une suspension sans traitement d’un maximum de 30 jours, étant donné que la limite varie beaucoup dans les régimes provinciaux de déontologie de la magistrature. Il s’agit d’une période suffisamment longue pour être non négligeable, mais suffisamment courte pour ne pas menacer sérieusement le gagne-pain du juge ou porter atteinte à son droit constitutionnel à l’indépendance financière et judiciaire.
Le commissaire à la magistrature fédérale, Marc Giroux, a laissé entendre au comité que la jurisprudence en matière d’indépendance de la magistrature pourrait avoir une incidence sur tout amendement visant à prévoir une suspension, mais je lui ai rappelé que nous n’avions entendu aucun argument à cet effet de la part des fonctionnaires du ministère de la Justice ni de la part du Conseil de la magistrature de l’Ontario, si bien que j’avais présumé que cela n’était pas le cas.
Par ailleurs, les fonctionnaires du ministère de la Justice ont confirmé que, à ce qu’ils sachent, aucun juge au Canada n’a déjà contesté en justice la pénalité de suspension de ses fonctions de juge sans traitement.
Pensons-y un instant. Certains régimes disciplinaires provinciaux de la magistrature prévoient cette sanction depuis des décennies. Le régime de l’Ontario, qui est en place depuis 30 ans, en est un exemple. Vu leur expertise juridique, les juges sont peut-être les personnes les plus susceptibles de procéder à une contestation judiciaire, et pourtant, aucun juge n’a contesté une telle suspension depuis des décennies. On peut raisonnablement s’attendre à ce que les juges menacés d’être suspendus sans traitement intentent des poursuites au sujet de cette sanction s’ils pensent avoir une chance qu’on leur donne raison. Cela me fait dire que cet argument ne tient pas vraiment la route.
En effet, M. Xavier a confirmé que le droit à l’indépendance financière d’un juge n’exclut pas la sanction de suspension sans traitement. Il a déclaré :
Pour être parfaitement clair, l’élément de sécurité financière nécessaire à l’indépendance judiciaire n’interdit pas nécessairement la suspension sans traitement. Ce qu’il interdit, c’est la promulgation de tout changement à la rémunération et aux avantages des juges qui n’a pas d’abord fait l’objet d’un processus relatif à la rémunération des juges.
Quant à la question de la suspension avec traitement, M. Xavier a dit : « Une suspension avec traitement pourrait être imposée si le comité d’examen décide que c’est une bonne chose [...] »
D’autres témoins nous ont dit que les juges nommés par le gouvernement fédéral étaient déjà suspendus avec traitement dans certains cas, et j’ai fait remarquer que le processus n’était tout simplement pas transparent. Le commissaire à la magistrature fédérale, Marc A. Giroux, a affirmé :
Concrètement, la suspension avec rémunération est déjà utilisée. Un juge en chef dont un subalterne fait l’objet d’une plainte considérée comme sérieuse peut prendre des mesures pour ne pas lui assigner de dossiers jusqu’à ce que la plainte soit réglée par le conseil ou jusqu’à ce qu’il obtienne de plus amples renseignements.
De toute évidence, ce n’est actuellement pas le conseil qui prend la décision. C’est certainement à la discrétion du juge en chef, et nous pouvons indiquer que c’est fait. On procède régulièrement ainsi pour les cas sérieux.
Jacqueline Corado, du Conseil canadien de la magistrature, a aussi confirmé que c’est le cas. Dans le cadre du processus actuel, le grand public ne saurait jamais qu’un juge a été suspendu ni pourquoi il l’a été. On pourrait croire tout simplement que le juge est parti en vacances, en congé de maladie ou qu’il est absent pour une autre raison. On ne saurait jamais qu’un juge doit se présenter à une audience disciplinaire ou qu’il y a une allégation d’écart de conduite qui a amené le juge en chef à appliquer ce genre de sanction contre lui. Selon les circonstances, cela pourrait miner la confiance du public dans le système puisqu’une justice invisible est une justice refusée. C’est injuste en effet que l’on puisse imposer une suspension comme conséquence si cela se fait dans les coulisses, mais que l’on ne puisse pas l’imposer de façon ouverte et transparente.
La transparence et la responsabilité de la magistrature doivent être primordiales pour que les Canadiens aient confiance dans le système judiciaire. En même temps, nous devons aussi respecter l’obligation constitutionnelle de protéger l’impartialité et l’indépendance du pouvoir judiciaire. Si nous procédons avec prudence, il est possible de faire les deux en même temps. En incluant les sanctions de suspension avec ou sans solde pour inconduite d’un magistrat, nous améliorons l’efficacité du système de discipline de la magistrature remanié dans le projet de loi C-9. Cela nous garantit que les juges coupables d’inconduite grave recevront une sanction appropriée. Cela empêchera les juges de faire traîner les litiges pendant des années et des années et de faire payer aux contribuables des centaines de milliers de dollars chaque fois qu’un juge veut échapper à une révocation permanente.
Voilà pourquoi je propose à nouveau aujourd’hui un amendement au projet de loi C-9 qui ajoutera la sanction de suspension avec ou sans traitement pour une période maximale de 30 jours à la liste des conséquences possibles en cas d’inconduite judiciaire. Bien qu’il soit très semblable à l’amendement sur la suspension que j’ai proposé au comité, cette version à l’étape de la troisième lecture comportera un ajout important. Pour répondre aux préoccupations concernant les répercussions sur la rémunération des juges, mon amendement retarde d’un an l’entrée en vigueur de la disposition relative à la suspension sans traitement. Cela donnera suffisamment de temps pour répondre à toute exigence selon laquelle la mesure doit d’abord être examinée par la Commission d’examen de la rémunération des juges. Compte tenu des témoignages que le comité a entendus, ce délai devrait être plus que suffisant pour évaluer les conséquences du changement. N’oublions pas que les cours d’appel accordent régulièrement au gouvernement un délai d’un an pour modifier une loi complexe. Je vous demande donc d’appuyer cet amendement sensé.