Projet de loi sur la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public
Projet de loi modificatif--Troisième lecture
31 octobre 2024
Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture à propos du projet de loi C-20, Loi établissant la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public et modifiant certaines lois et textes réglementaires.
Avant de commencer, j’aimerais remercier la marraine du projet de loi, la sénatrice Omidvar. Sénatrice Omidvar, notre très compétente leader adjointe m’a remplacé pour vous rendre hommage, ce que je n’ai pas pu faire. Je tiens à vous rendre hommage pour le travail que vous avez accompli. Je crois que c’est votre dernier jour de séance, alors je vous souhaite bonne chance. Lorsque je vois des gens comme vous ou la sénatrice Cordy, qui a annoncé son départ, je sens que mon tour commence à approcher un peu, parce que ce sera bientôt mon tour. Je suis tout juste derrière vous.
Chers collègues, le projet de loi C-20 propose de créer un nouvel organisme indépendant pour traiter les plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada et l’Agence des services frontaliers du Canada. Ce nouvel organisme, aussi appelé « la Commission », remplacera l’ancien, qui ne s’occupait que des plaintes contre la GRC.
À l’heure actuelle, il n’existe aucun organisme indépendant pour traiter les plaintes du public concernant le comportement ou la conduite des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada. Les plaintes sont adressées à l’Agence des services frontaliers elle‑même, qui est chargée de les examiner à l’interne.
De toute évidence, ce processus soulève des préoccupations quant à l’apparence de conflit d’intérêts, car les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada enquêtent sur leurs collègues. Cette approche peut éroder la confiance du public envers les organismes fédéraux d’application de la loi. J’appuie cette mesure importante parce qu’il est indéniable que l’Agence des services frontaliers du Canada, qui joue un rôle essentiel dans la protection de nos frontières, doit rendre des comptes à un organisme indépendant lorsque ses agents commettent des fautes ou ne respectent pas les normes éthiques du Canada.
Il y a des situations complexes où les demandeurs d’asile et les réfugiés viennent au Canada pour fuir la guerre ou l’oppression et pour offrir une vie meilleure à leur famille. Ces situations sont souvent synonymes d’une grande souffrance humaine, alors il faut absolument que le Canada — un pays remarquable qui garantit la sécurité, l’égalité juridique et la liberté d’expression — soit à la hauteur de ses principes démocratiques.
Le premier contact avec les immigrants devrait se faire dans le respect et la dignité, ce qui veut dire que les agents des services frontaliers devraient faire l’objet d’enquêtes transparentes et indépendantes s’ils manquent de respect ou de professionnalisme.
Honorables sénateurs, je tiens à souligner que le projet de loi C-20 fait suite à une promesse faite en 2015 par Justin Trudeau et le Parti libéral.
L’autre jour, la sénatrice McCallum a rappelé à bon droit que son projet de loi était à l’étude depuis 15 mois et qu’il n’avait toujours pas franchi la ligne d’arrivée.
Cette promesse, Justin Trudeau l’a faite il y a neuf ans. Pendant neuf ans, les libéraux ont fait traîner cette mesure législative, même si l’opposition a toujours voté pour les versions précédentes. Le sénateur Gold et ses acolytes auront beau accuser les conservateurs d’être la cause de toute cette lenteur, je sais que nous avons toujours appuyé les versions précédentes.
Le projet de loi C-20 a été présenté le 19 mai 2022, soit il y a plus de deux ans, et il s’est écoulé 17 mois entre la fin de l’étude du comité et l’étape du rapport. C’est effectivement décevant de voir le gouvernement libéral traîner autant la patte, malgré la promesse qu’il a faite en 2015.
J’aimerais vous lire ce que Kate Webster, vice-présidente de l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, a dit à ce sujet devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants :
Selon les normes internationales, le Canada accuse un retard. Nous avons un énorme organisme d’application de la loi qui ne fait l’objet d’aucune surveillance. Nous sommes déphasés par rapport à nos partenaires ou nos concurrents internationaux, peu importe comment on souhaite les définir.
Il est honteux que nous n’ayons encore jamais donné suite à cette recommandation.
Il est également décevant de constater que l’inaction des libéraux a fait en sorte que des situations inacceptables perdurent depuis 2015. En 2019, le vérificateur général a publié un rapport intitulé Le respect en milieu de travail, dans lequel il note de graves problèmes de harcèlement, de discrimination et de violence dans les milieux de travail de l’Agence des services frontaliers du Canada et de Service correctionnel Canada. Les employés interrogés ont exprimé des préoccupations graves à l’égard de la culture organisationnelle et ont dit craindre des représailles s’ils portaient plainte. J’aimerais citer un passage du communiqué de presse publié par le Bureau du vérificateur général à ce sujet :
L’audit a fait ressortir que la gestion des plaintes par les deux organisations était parfois inadéquate. Dans certains cas, il y avait un manque de cohérence dans le traitement des dossiers. Dans d’autres, les employés n’avaient pas été informés de recours informels dont ils auraient pu se prévaloir et qui auraient pu permettre de régler plus vite les problèmes et rétablir les relations de travail.
De plus, l’audit a montré que l’ASFC et SCC ont rejeté environ le tiers des plaintes sans avoir fait d’évaluation initiale. Lorsque ces plaintes ont été transmises au Programme du travail, les organisations ont été sommées de faire enquête sur toutes. Dans 10 à 25 % des griefs de harcèlement et de discrimination, les organisations avaient pris leurs décisions sans effectuer d’analyse préalable. De telles situations sont peu susceptibles de nourrir la confiance des employés envers le processus.
Le nombre de ces incidents au sein de l’Agence des services frontaliers du Canada ne semble pas avoir diminué au cours des cinq dernières années, si l’on se fie au témoignage de M. Weber, président national du Syndicat des douanes et de l’immigration, devant le Sénat. Je le cite :
[...] l’Agence a la réputation auprès de ses employés de laisser passer des abus flagrants de la direction, et les employés de l’ASFC ont du mal à faire traiter par les voies existantes leurs plaintes concernant des gestionnaires. En fait, les gestionnaires de l’ASFC favorisent souvent l’ambiance même qui permet la multiplication de mauvais comportements. Grâce au fiasco d’ArriveCAN, l’irresponsabilité de la direction de l’Agence est désormais tristement célèbre, et il est évident que la structure de signalement et d’enquête interne de l’ASFC a grand besoin d’être révisée.
Il est préoccupant et inacceptable que les employés qui subissent de la violence, du harcèlement et de la discrimination au sein des organismes fédéraux craignent sérieusement de subir des représailles lorsqu’ils veulent déposer une plainte. Cela dissuade les victimes de s’élever contre ces comportements et alimente davantage le climat toxique au sein de l’Agence des services frontaliers du Canada. Le gouvernement Trudeau était parfaitement au courant de ces incidents et n’a rien fait pour accélérer l’adoption de ce projet de loi.
Il incombe au ministre de la Sécurité publique d’intervenir rapidement lorsqu’il s’agit d’assurer la sécurité et de protéger l’intégrité des organismes sous sa responsabilité.
Ce ne sont pas les seuls incidents qui ont eu des répercussions sur l’Agence des services frontaliers du Canada ces dernières années. Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a signalé à plusieurs reprises que l’Agence ne respectait pas la Loi sur la protection des renseignements personnels. Par exemple, en 2019, le commissaire a publié un rapport d’enquête faisant suite à la réception d’un nombre important de plaintes contre l’Agence des services frontaliers du Canada concernant l’examen d’appareils numériques à la frontière. Le rapport portait plus précisément sur six plaintes et concluait avec ce qui suit :
De façon plus générale, notre examen a mis au jour des manquements dans les pratiques de l’ASFC, ce qui révèle des problèmes chroniques touchant directement l’exigence de responsabilité de l’ASFC face au public — à la fois pour l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés et pour la conformité aux exigences de la Loi.
À cette fin, nous concluons que la Politique ne permet pas à elle seule de s’assurer efficacement que les examens et la fouille des appareils numériques respectent le droit à la vie privée. Les mécanismes de formation et de responsabilité en place pour s’assurer que les agents de l’ASFC se conforment aux exigences nécessaires établies par la Politique ne sont pas suffisants.
Nous considérons donc que toutes les six plaintes sont fondées.
Ces dernières années, les médias ont fait état de plusieurs incidents préoccupants au sujet de l’ASFC. Un agent aurait par exemple dérobé des milliers de dollars et des objets de luxe dans un coffre-fort de son employeur. Un autre s’est introduit illégalement dans le réseau informatique de l’agence afin d’effacer certains renseignements dans le dossier d’un tiers. Certains agents, et c’est sans doute le plus inquiétant de tout, entretiennent des liens avérés avec des narcotrafiquants et des membres des Hells Angels. C’est sans parler des cas de harcèlement sexuel, dont l’agression sexuelle d’une collègue qui n’était pas en devoir, les comportements humiliants — une personne aurait par exemple aspergé un collègue d’insecticide — et l’envoi de messages sexuellement explicites.
Dans un article paru en 2020, Radio-Canada rapportait qu’un agent a profité d’une intervention pour forcer les personnes en cause à lui caresser les parties génitales.
Les enquêtes pour mauvaise conduite sont en hausse à l’ASFC. En 2014, l’agence en a dénombré 146, dont 106 fondées. En 2023, il y en a eu 477, dont 341 étaient fondées.
Le Canada demeure le seul pays du Groupe des cinq à ne pas avoir d’organisme d’examen indépendant pour traiter les plaintes contre ses douaniers. Ce n’est pas moi qui le dis, mais Mary-Liz Power, l’ancienne porte-parole du ministre de la Sécurité publique du Canada, Bill Blair, en 2020. Voilà qui est particulièrement curieux venant des personnes qui sont justement chargées de corriger la situation. Si même le cabinet du ministre admet ce manquement, on peut seulement se demander pourquoi le gouvernement n’y a pas vu plus tôt.
Le leader du gouvernement fera valoir qu’il y a eu une pandémie, suivie d’élections fédérales. Mais pourquoi le gouvernement a-t-il attendu sept mois avant de passer à l’étape du rapport à la Chambre des communes?
À titre d’exemple, et à titre de comparaison, le projet de loi C-21 sur les armes à feu, un projet de loi très controversé qui est loin de faire consensus au pays, a été déposé le 30 mai 2022 — 11 jours après le projet de loi C-20 — et il a été adopté le 15 décembre 2023, soit un an et demi plus tard. Comment le gouvernement justifie-t-il les retards prolongés dans l’étude du projet de loi C-20 alors qu’il agit rapidement sur des projets de loi partisans et controversés? Entretemps, des incidents se sont produits au cours des dernières années, et le gouvernement Trudeau n’a aucune excuse pour ce retard.
Honorables sénateurs, j’aimerais maintenant vous faire part de mes sérieuses préoccupations quant à la façon dont le projet de loi C-20 a été rédigé. Dans son discours à l’étape de la troisième lecture, la marraine du projet de loi a elle-même admis qu’il est loin d’être parfait. Le projet de loi C-20 ne propose pas de modifications substantielles au processus actuel de traitement des plaintes et des enquêtes.
Cette approche est très proche de celle de l’actuelle commission indépendante chargée de traiter les plaintes contre la Gendarmerie royale du Canada. Pour déposer une plainte, les plaignants ont deux options. Ils peuvent présenter leur plainte directement à la GRC ou à l’Agence des services frontaliers du Canada, ou la soumettre à la commission, qui a le pouvoir d’enquêter en vertu de l’article 50 du projet de loi.
Toutefois, je tiens à clarifier un point essentiel du processus proposé par le projet de loi : le rôle de la commission consiste principalement à enquêter sur les plaintes déjà traitées par la GRC et l’Agence des services frontaliers du Canada. Le projet de loi impose également à ces dernières l’obligation de répondre aux rapports provisoires de la commission portant sur les plaintes dans un délai de six mois. En ce qui concerne les rapports sur des activités précises la GRC et l’Agence des services frontaliers du Canada disposeront de 60 jours pour formuler des observations avant que la commission ne publie un résumé du rapport. Enfin, le projet de loi prévoit que la GRC et l’Agence des services frontaliers du Canada soumettront au ministre de la Sécurité publique un rapport annuel sur la mise en œuvre des recommandations de la commission.
En outre, le projet de loi accorde à la nouvelle commission des pouvoirs supplémentaires, notamment la possibilité de recommander des processus et des mesures disciplinaires aux responsables de la GRC et de l’Agence des services frontaliers du Canada, ainsi que de mener des enquêtes, des révisions et des audiences conjointement avec des entités publiques d’autres gouvernements.
Cela m’amène à aborder une question importante soulevée par la Fédération de la police nationale au sujet du projet de loi. Cette dernière estime que le processus de plaintes n’est pas encore tout à fait transparent et indépendant, car de nombreuses plaintes déposées auprès de la commission sont redirigées vers la GRC, qui est responsable de ses enquêtes. Comme je l’ai expliqué plus tôt, le fait que des agents enquêtent sur d’autres agents peut être perçu par le public comme une entrave à l’impartialité du processus, même si, en réalité, les agents agissent avec honnêteté et professionnalisme. La perception prend souvent le dessus sur la réalité objective.
Le syndicat indique également les ressources que la GRC doit mobiliser pour traiter ces plaintes, des ressources qui pourraient autrement servir à lutter contre la criminalité ou à assurer la sécurité publique. J’aimerais citer un extrait de ce que Brian Sauvé, président du syndicat de la GRC, a dit à ce sujet :
En moyenne, 1 500 dossiers par année nécessitent une enquête de 40 heures chacun, ce qui représente environ 60 000 heures de travail dans des collectivités où nos membres pourraient exercer des fonctions policières de base. Cela équivaut à environ 30 agents de la GRC à temps plein.
Cela m’amène à un autre point qui, à mon avis, mérite une attention particulière. La Fédération de la police nationale a soulevé la question de la charge de travail supplémentaire que la nouvelle commission devra assumer pour traiter simultanément les plaintes contre la GRC et contre l’ASFC, ainsi que de l’augmentation des délais si des ressources adéquates ne sont pas fournies.
Encore une fois, ces préoccupations ont été exprimées par Mark Weber, président national du Syndicat des douanes et de l’immigration, qui a dit ceci devant un comité de la Chambre des communes :
En fait, en vertu de cette nouvelle loi, il est probable que les enquêtes pourraient prendre des années, ce qui n’est juste ni pour le plaignant ni pour la partie faisant l’objet de l’enquête.
L’Association du Barreau canadien fait la même observation en disant ceci dans son mémoire : « Il semble inévitable que l’augmentation de la charge de travail de ladite Commission soit accompagnée d’une augmentation des délais. »
Ces préoccupations doivent être prises au sérieux, chers collègues, car elles pourraient conduire à l’échec de cette nouvelle commission. On observe le manque de ressources au sein d’autres entités fédérales, comme le Commissariat à l’information. J’aimerais partager les propos qu’a tenus la commissaire Caroline Maynard concernant le budget principal de son bureau lors de son témoignage devant le Comité sénatorial des finances nationales le 17 septembre :
Malheureusement, ces progrès et la capacité du commissariat à remplir mon mandat législatif indépendant sont aujourd’hui hypothéqués. En effet, les ressources financières supplémentaires que j’ai reçues au cours du présent exercice afin de couvrir les augmentations salariales découlant de la signature des nouvelles conventions collectives ne sont pas suffisantes, ce qui entraîne un déficit structurel.
Pour une petite organisation comme la mienne, la pression subie est immense. Chaque membre de mon personnel joue un rôle essentiel. Le fait de perdre quelques employés peut avoir de profondes répercussions sur notre capacité à nous acquitter de notre mandat. En fin de compte, cette insuffisance budgétaire pourrait provoquer des retards encore plus longs pour les personnes qui cherchent à obtenir de l’information de la part des institutions fédérales.
Chers collègues, Harriet Solloway, commissaire à l’intégrité du secteur public du Canada, a également exprimé ses inquiétudes quant au manque de ressources de son agence, et j’aimerais vous faire part de ce qu’elle a dit le même jour :
Nos ressources actuelles ne suffisent pas pour traiter un arriéré de dossiers de plus en plus important. Au 31 août 2024, 140 dossiers sont en attente d’une analyse de recevabilité et 47 enquêtes n’ont pas encore été menées à bien. Les enquêtes risquent de ne pas être achevées en temps opportun sans l’ajout de ressources supplémentaires. Ce risque implique un affaiblissement en matière de disponibilité et de qualité des éléments de preuve et des témoignages. Si nous ne pouvons pas enquêter sur les actes répréhensibles d’une manière efficace et les mettre en lumière, cela atténuera la responsabilité et supprimera l’un des principaux freins et contrepoids qui contribuent à renforcer la confiance dans les institutions publiques. De plus, le fait de ne pas pouvoir enquêter sur les plaintes en matière de représailles en temps opportun pourrait mettre les fonctionnaires dans une position vulnérable, les placer dans un environnement de travail hostile et avoir une incidence sur leur emploi.
Elle a ajouté :
L’impact de cette crise financière ne peut pas être surestimé. Sans un financement supplémentaire, on risque vraiment de manquer aux obligations établies en vertu de la loi qui régit notre travail.
Chers collègues, le problème du projet de loi, c’est que le gouvernement n’a pas d’idée précise du nombre de plaintes qui seront traitées par cette nouvelle commission. Dans le cadre de son témoignage sur le projet de loi C-20, Mme Lahaie, qui est la présidente de l’actuelle Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada, a dit ce qui suit :
L’une des choses que nous ignorons avec ce projet de loi qui est devant vous, c’est le nombre de plaintes que nous recevrons à propos de l’ASFC. C’est une inconnue. Ils ont déjà un processus à l’interne, mais quand il y a une agence externe qui se penche sur ces plaintes, cela donne plus de confiance au grand public. Lorsqu’on ouvre les portes — car elles sont déjà ouvertes —, on change.
À la fin de son étude, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants a reconnu à l’unanimité que la question des ressources était cruciale. J’aimerais lire une observation figurant dans le rapport sur le projet de loi C-20 :
En ce qui concerne les préoccupations soulevées par les témoins au sujet des ressources, le comité est d’avis que le gouvernement du Canada doit fournir à la Commission proposée les ressources humaines et financières dont elle a besoin pour accomplir efficacement son mandat.
Honorables sénateurs, comme l’a mentionné l’Association du Barreau canadien, l’augmentation de la charge de travail entraînera des retards accrus dans le traitement des plaintes. Les plaintes en suspens peuvent avoir des répercussions sur la carrière des agents concernés. En effet, les agents faisant l’objet d’une enquête pourraient voir leur avancement professionnel être interrompu. Cette situation peut également avoir une incidence importante sur leur moral et leur bien-être, les laissant dans un état prolongé d’incertitude. Une possible solution consisterait à imposer des délais fixes pour le traitement des plaintes. Le Syndicat des douanes et de l’immigration a souligné dans son mémoire l’importance de fixer des délais clairs à chaque étape du processus. Cependant, l’étude du projet de loi à la Chambre des communes et au Sénat n’a pas apporté de réponse précise à ce sujet.
Je ne reviendrai pas sur les différents problèmes que pose le projet de loi, mais j’aimerais me concentrer sur deux amendements qui ont été apportés à la Chambre des communes et qui, à mon avis, aggraveront les problèmes que j’ai décrits. La députée bloquiste Kristina Michaud a proposé un amendement qui a été adopté avec l’appui des libéraux et des néo-démocrates, et qui permet à une « tierce partie » de porter plainte. Cet amendement permet aux groupes de défense ou aux organismes à but non lucratif de porter plainte au nom d’une personne, même sans son consentement, ce qui n’était pas autorisé avant l’amendement, puisqu’une tierce partie ne pouvait porter plainte qu’à condition d’obtenir une autorisation préalable. Ce changement pourrait entraîner un volume important de demandes et engorger le processus. Alfredo Bangloy, commissaire adjoint de la GRC, a fait la déclaration suivante pendant les délibérations du comité de la Chambre des communes sur cet amendement :
[U]ne vidéo YouTube et la possibilité de déposer une plainte portant sur des actions vues sur YouTube sans être impliqué dans l’incident ou sans avoir de liens avec les personnes qui y sont impliquées pourraient entraîner une augmentation des plaintes qui ne sont pas déposées par des personnes touchées. Cela pourrait provoquer une hausse des plaintes en général et des ressources à allouer au traitement de ces plaintes et aux enquêtes qui y sont rattachées.
Le syndicat de la GRC a exprimé la même préoccupation au comité sénatorial. Voici ce que M. Sauvé, de la GRC, a dit à ce sujet :
Les amendements actuels au paragraphe 33(1) et à l’article 35 autorisent des « tierces parties » à déposer des plaintes et à recevoir de l’aide. Cependant, le terme « tierce partie » n’est pas clairement défini. On ne sait pas trop qui peut être considéré comme « tierce partie », les circonstances dans lesquelles des « tierces parties » peuvent recevoir de l’aide ou ce que veut dire être « directement concernée » par une plainte. Cette ambiguïté pourrait conduire à une mauvaise utilisation des ressources, car la commission recevrait des plaintes futiles, et cela pèserait encore sur des ressources déjà limitées.
En vertu de l’article 38 du projet de loi, la commission a le droit de refuser une plainte si elle est déposée par une tierce partie qui n’est pas directement concernée par l’objet de la plainte. Cela n’est pas suffisant, et cet amendement crée une échappatoire dans le projet de loi. Premièrement, la commission devra mobiliser des ressources pour ouvrir toutes les plaintes qui lui sont transmises. Si un groupe de pression décide de déposer 1 000 plaintes jugées frivoles ou vexatoires, la commission devra entreprendre la tâche laborieuse d’ouvrir et d’examiner chacune d’elles. Deuxièmement, comme il n’y a pas de définition de « tierce partie », cela élargit considérablement le champ d’application du projet de loi.
Finalement, comme l’a mentionné M. Sauvé, nous ne savons pas exactement ce que signifie ne « pas [être] directement concernée par l’objet de la plainte ». Par conséquent, le projet de loi crée une ambiguïté qui risque d’entraîner un nombre élevé de plaintes et de longs délais de traitement, en plus de taxer les ressources de la commission. Comme si cela n’était pas suffisant, un amendement proposé par le député néo-démocrate Peter Julian a fait passer d’un an à deux ans le délai pour la présentation d’une plainte, ce qui fait qu’une personne ou un tiers pourrait soumettre une plainte jusqu’à deux ans après l’incident.
Cet amendement pourrait accroître la charge de travail des agents de la GRC ou de l’Agence des services frontaliers du Canada qui devraient faire enquête sur des incidents remontant jusqu’à deux ans en arrière. À l’heure actuelle, il est possible de déposer une plainte auprès de la GRC ou de l’Agence des services frontaliers jusqu’à un an après les faits. Ces organismes disposent d’un pouvoir discrétionnaire leur permettant d’examiner les plaintes au cas par cas, d’étudier la nature de la plainte et de faire enquête. Les syndicats de la GRC et de l’Agence des services frontaliers se sont fermement opposés à cet amendement au comité.
Voici ce que M. Weber a dit à ce sujet :
Nous avons également des préoccupations pressantes au sujet des délais, notamment en ce qui concerne le délai initial pour déposer une plainte. Selon la dernière version du projet de loi, les plaintes peuvent être déposées jusqu’à deux ans après l’incident présumé. Étant donné que les agents de [l’Agence des services frontaliers du Canada] interagissent souvent avec des centaines de voyageurs par jour — et que ces interactions peuvent être très brèves —, des délais trop longs désavantageraient énormément les agents faisant l’objet d’une plainte, car il est souvent pratiquement impossible de se souvenir d’une interaction de quelques secondes qui s’est produite plusieurs mois auparavant.
Voici ce que M. Sauvé a ajouté à ce sujet :
Étant donné les défis actuels de la commission en matière de ressources, cette prolongation risque de retarder des enquêtes et de compliquer la collecte de renseignements précis, la mémoire s’altérant. Le processus actuel permet déjà de prolonger le délai dans des cas exceptionnels.
Chers collègues, ces amendements pourraient avoir un impact négatif sur le projet de loi, qui soulève déjà des inquiétudes quant à la capacité de la commission à remplir efficacement son nouveau mandat.
Je conclurai mon intervention en vous faisant part de mes réflexions fondamentales sur la question qui nous occupe aujourd’hui. Il serait malhonnête d’affirmer que les organismes d’application de la loi ont besoin d’une surveillance rigoureuse sans considérer l’autre côté de la médaille. Les agents de la GRC et de l’Agence des services frontaliers du Canada sont des professionnels dévoués qui restent attachés à leurs missions malgré des situations de plus en plus complexes.
Au cours des neuf dernières années, le gouvernement libéral de Justin Trudeau a contribué, par les lois qu’il a adoptées, à faire augmenter considérablement la criminalité au Canada.
Pensons par exemple aux mesures introduites en 2019 par le projet de loi C-75, sur les remises en liberté sous cautionnement, ou en 2022 par le projet de loi C-5, qui faisait tomber les peines minimales obligatoires pour les crimes commis au moyen d’une arme à feu et élargissait les circonstances où un juge peut infliger une peine avec sursis.
Les statistiques sur la criminalité parlent d’elles-mêmes. J’aimerais citer un passage du rapport de Statistique Canada sur les crimes signalés à la police en 2022.
L’Indice de gravité des crimes (IGC avec violence) s’est accru de 5 %, après avoir augmenté de 6 % l’année précédente. Comparativement à 2021, la hausse de l’IGC avec violence en 2022 s’explique principalement par des taux plus élevés de vols qualifiés (+15 %), d’affaires d’extorsion (+39 %), d’homicides (+8 %) et d’agressions sexuelles de niveau 1 (+3 %).
Je signale par ailleurs que les vols d’automobiles ont augmenté de 34 % pendant les neuf années que Justin Trudeau a passé au pouvoir. À Toronto, ils ont augmenté de 300 % et de plus de 100 % à Montréal.
Qu’en est-il des frontières? Les flux d’immigration augmentent constamment depuis des années, ce qui peut seulement accroître la pression sur le personnel de l’Agence des services frontaliers du Canada qui doit faire un travail monumental pour gérer toutes ces arrivées.
Le gouvernement libéral a aussi pris des décisions douteuses dans le dossier de l’immigration. En 2016, il a par exemple décidé de permettre aux Mexicains d’entrer au Canada sans visa, ce qui a ouvert grand la porte aux groupes criminels organisés. Le Journal de Montréal rapportait en 2019 que 400 criminels sont entrés au Canada, que les saisies de drogue mexicaine ont fait un bond de 80 % et que le nombre de personnes interdites de territoire a augmenté de 500 %, tout ça seulement un an après cette décision.
Cette année, sous la pression, le gouvernement libéral a fini par changer son fusil d’épaule en obligeant de nouveau les Mexicains à obtenir un visa, à quelques exceptions près. Il serait donc injuste de ne pas reconnaître que le gouvernement Trudeau crée de nouvelles pressions sur les agents de la Gendarmerie royale du Canada et de l’Agence des services frontaliers du Canada, qui doivent en faire plus avec moins, tout en respectant des normes éthiques élevées.
Toutefois, chers collègues, voici la bonne nouvelle. Nous sommes à moins d’un an des élections, au cours desquelles un gouvernement conservateur plein de gros bon sens, sous la direction du très compétent Pierre Poilievre, sera élu. Grâce à ce gouvernement, le Canada redeviendra un pays qui fait l’envie de tous les citoyens respectueux des lois partout dans le monde, comme c’était le cas autrefois — je répète, chers collègues, autrefois —, plutôt que l’envie de tous les criminels de la planète.
En conclusion, chers collègues, je tiens à exprimer de nouveau ma gratitude aux agents de la GRC et de l’Agence des services frontaliers du Canada pour le travail remarquable qu’ils accomplissent chaque jour pour le Canada et notre sécurité. Merci.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté, avec dissidence.)