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La Loi sur les pêches

Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Débat

4 juin 2019


L’honorable Dan Christmas [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-68, Loi modifiant la Loi sur les pêches et d’autres lois en conséquence.

J’ai pris la parole au Sénat il y a plus de sept mois pour encourager tous les sénateurs à se joindre au dialogue que le pays doit tenir pour que son secteur des pêches soit aussi dynamique et durable que possible, grâce à l’étude des dispositions proposées dans le projet de loi C-68.

Pendant cette période, chers collègues, le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, dont j’ai le privilège de faire partie, a entrepris des délibérations rigoureuses sur ce projet de loi. Le comité a reçu 37 mémoires, a organisé 8 rencontres avec des témoins, ainsi que 2 rencontres pour faire l’étude article par article du projet de loi. Durant tout ce processus, il a pris connaissance des opinions et des témoignages de 55 intervenants représentant 29 organismes qui défendent les intérêts des peuples autochtones, de l’industrie, du gouvernement et du milieu de la protection de l’environnement. Certains ont témoigné à titre individuel.

Au total, 50 amendements ont été proposés, et 35 ont été adoptés. Lorsque j’ai parlé de ce projet de loi pour la première fois, il y a déjà plusieurs mois, un sénateur m’a demandé si j’étais ouvert à l’idée d’accepter des amendements en comité. En me fondant sur ma propre opinion et sur les garanties que j’avais réussi à obtenir de la part du ministre Wilkinson, j’ai répondu que nous allions effectivement faire preuve d’ouverture.

À mon avis, un certain nombre d’amendements adoptés prouvent que de tels engagements ont permis d’améliorer le projet de loi. Puisqu’on parle du ministre Wilkinson, je tiens à le féliciter pour la façon dont il s’est occupé de ce projet de loi, et pour son ouverture d’esprit par rapport aux moyens que nous avons pris pour améliorer ses dispositions.

Honorables collègues, le ministre s’est adressé au comité au début du mois d’avril, et j’ai hâte de partager ses réflexions avec vous. Avant de le faire, je dois avouer que le fait de parrainer ce projet de loi m’a rappelé une vérité importante. Comme Benjamin Franklin l’a dit un jour : « Quand le puits est à sec, nous comprenons la valeur de l’eau. »

Gardez cela à l’esprit en écoutant des réflexions du ministre Wilkinson, qui a déclaré :

Comme la population du Canada continue de croître, tout comme son économie, nous avons le devoir de protéger et de conserver les pêches maritimes, l’eau douce et l’habitat du poisson pour les générations futures. Ce projet de loi favorise l’adoption de pratiques exemplaires pour atténuer et gérer les répercussions négatives, ce qui est fondamental pour une croissance économique durable.

Chers collègues, c’est avec une grande humilité et beaucoup de sérieux que je prône ce projet de loi en m’inspirant de l’enseignement mi’kmaq sur la façon dont nous sommes tous liés à la création d’une façon que beaucoup d’entre nous ne comprennent peut-être pas encore pleinement. Reconnaissons que la Loi sur les pêches a été la première loi environnementale du Canada. Montrons que ses dispositions actuelles — qui, espérons-le, seront améliorées par l’adoption de ce projet de loi — reflètent notre vif désir d’agir en fidèles intendants de la mer pour protéger les créatures qui y vivent et assumer pleinement nos responsabilités.

Je soulève la question, car je crains souvent que nous devenions quelque peu absorbés par l’économie de la société au détriment de sa santé générale et de sa viabilité. C’est comme si nous avions choisi délibérément de privilégier le commerce au lieu de l’intendance de l’environnement, de favoriser le secteur de l’énergie au lieu de la durabilité de l’environnement.

Honorables collègues, je tiens à vous rappeler que mon rôle au Sénat est d’être une voix indépendante pour la Nouvelle-Écosse et, en particulier, la nation mi’kmaq. Je n’ai aucune affiliation politique, mais je suis d’accord avec le ministre Wilkinson lorsqu’il soutient qu’il est de notre responsabilité collective de gérer les pêches du Canada et l’habitat dont elles dépendent avec soin et de manière pratique, raisonnable et durable.

Comme le ministre l’a affirmé et comme bon nombre des témoins l’ont dit, les mesures contenues dans le projet de loi C-68 rétablissent la protection du poisson et de son habitat tout en mettant en place des mécanismes modernes pour favoriser une croissance économique durable, la création d’emplois et l’exploitation des ressources.

Bref, les mesures contenues dans le projet de loi C-68 portent non seulement sur la protection, mais aussi sur la prospérité d’une industrie et le mode de vie des Canadiens qui vivent de la mer.

Le rétablissement des stocks de poissons et les plans connexes sont essentiels à la prospérité de l’industrie et à la protection du poisson et de son habitat. Je sais qu’on continue de s’interroger sur la nécessité d’avoir des normes plus strictes pour protéger le poisson. Certains ont demandé pourquoi le projet de loi restaure des mesures interdisant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson, alors que, comme ils le prétendent, il n’existe encore aucune donnée probante concernant l’épuisement des stocks.

Honorables collègues, il y a quelques semaines à peine, les Nations Unies ont publié un rapport sur l’état de la nature et de la biodiversité. Ce rapport qui donne à réfléchir affirme qu’un million d’espèces sont menacées d’extinction, et ce, malgré le fait qu’il existe des solutions. Des pressions humaines telles que la déforestation, la surpêche et l’exploitation des ressources menacent la nature et entraînent un appauvrissement irréparable de la biodiversité. Le rapport, auquel 145 spécialistes de 50 pays ont contribué, indique qu’une espèce sur quatre est menacée d’extinction et que la pollution marine a décuplé depuis 1980.

Si le rapport nous apprend quelque chose, c’est que nous devons agir maintenant pour protéger et conserver le poisson et son habitat. Nous ne pouvons pas continuer d’attendre l’épuisement des stocks pour agir. Nous savons que l’abondance des stocks contribue à l’équilibre des écosystèmes où se trouvent les poissons, mais aussi qu’elle soutient les communautés qui en dépendent pour leur subsistance. Au comité, nous avons entendu les témoignages d’un groupe constitué de 20 organisations non gouvernementales qui ont collaboré et qui appuient les dispositions du projet de loi C-68 concernant le rétablissement des stocks.

Voici ce qu’a fait valoir le groupe :

Le Canada possède le plus long littoral au monde, trois bassins océaniques et un piètre bilan en matière de reconstitution des stocks décimés. L’adoption du projet de loi C-68 et l’élaboration de règlements rigoureux pour le rétablissement des stocks donnent l’occasion d’assurer un avenir pour les pêches, au Canada, qui tient compte des leçons tirées afin de veiller à la santé des populations de poisson et à la pérennité de la pêche durable.

Je me sens interpellée par la dernière phrase, qui traite de pérennité de la pêche durable. Dans la région de l’Atlantique, nous savons que les pêches font vivre les habitants des Maritimes depuis des générations. Comme le sénateur Stewart Olsen l’a laissé entendre la semaine dernière en cette assemblée, les habitants des Maritimes sont clairs. Ils croient fermement que le projet de loi C-68 protégera le principe fondamental qui a toujours défini nos pêches : le principe de séparation des flottilles et des pêcheurs propriétaires-exploitants.

Chelsey Ellis est une jeune pêcheuse de troisième génération originaire d’un petit village de pêcheurs à l’Île-du-Prince-Édouard. Elle a passé sa jeunesse sur l’eau, à pêcher le homard et les pétoncles pour sa famille. Elle a travaillé sept ans dans des localités côtières en Colombie-Britannique, où elle était coordonnatrice de la traçabilité des produits de la mer, biologiste des pêches, coordonnatrice des programmes de surveillance électronique et matelot de pont sur bateau de pêche commerciale.

Elle a travaillé dans 11 pêches différentes sur deux côtes du Canada et est membre du B.C. Young Fishermen’s Network. Elle a présenté au comité son point de vue unique sur la préservation et la promotion de l’indépendance des titulaires de permis et des pêches côtières commerciales. Elle a dit :

La pêche commerciale est l’épine dorsale de ma collectivité à l’Île-du-Prince-Édouard. Les dispositions en place sur la côte Est contribuent à protéger les propriétaires-exploitants indépendants et à promouvoir leurs intérêts. Cette pêche constitue un moyen de subsistance significatif et important pour les gens sur place [...] Les connaissances requises pour être pêcheur commercial sont extrêmement pointues et uniques. Pour tirer le maximum de cette ressource formidable, nous devons attirer ceux qui ont les compétences et la passion nécessaires pour créer un environnement de travail sûr, positif et fructueux.

Mme Ellis a également indiqué qu’il est crucial de promouvoir l’indépendance des propriétaires-exploitants dans toutes les activités de pêche commerciale. Elle se réjouit à la perspective des retombées sociales, économiques et culturelles dont bénéficieront les pêcheurs, les collectivités côtières et les générations à venir de Canadiens qui sont appelés à maximiser le potentiel de cette industrie. Comme elle l’a éloquemment déclaré :

Pour beaucoup de personnes qui œuvrent au sein de l’industrie, la pêche commerciale, ce n’est pas un simple emploi, c’est un mode de vie et, dans beaucoup de cas, c’est une tradition familiale bien établie. C’est aussi une plateforme où se mettre au défi et tester et dépasser ses limites personnelles perçues. C’est un mode de vie qui crée un réel lien entre les gens et leur environnement; ça fait partie de leur identité personnelle.

Honorables sénateurs, je me penche maintenant sur les dispositions du projet de loi C-68 qui présentent peut-être davantage d’intérêt à mes yeux, soit celles qui concernent les peuples autochtones. Comme je l’ai souligné à l’étape de la deuxième lecture, le ministre doit tenir compte des effets préjudiciables que les décisions peuvent avoir sur les droits des peuples autochtones du Canada et il doit constituer un groupe consultatif représentant de multiples intérêts pour appuyer l’atteinte des objectifs de la loi, notamment la représentation des Autochtones. Le projet de loi prévoit également que le ministre pourra conclure des accords avec les corps dirigeants autochtones en vue de la réalisation de l’objet de la Loi sur les pêches, avantage réservé jusqu’ici aux provinces et territoires. Le ministre doit tenir compte des connaissances traditionnelles des peuples autochtones du Canada, dans la prise de certaines décisions, particulièrement celles qui concernent le poisson et son habitat. Enfin, lorsque des connaissances autochtones sont communiquées dans le contexte des décisions prises en vertu de la loi, ces renseignements doivent rester confidentiels et ne doivent pas être transmis a public ou aux médias.

J’accueille favorablement les dispositions du projet de loi qui visent à renforcer les droits des Autochtones dans la Loi sur les pêches. À titre de Mi’kmaq membre de la communauté de Membertou et d’ami personnel de Donald Marshall Jr., je vous assure que la reconnaissance et le respect des droits de pêche des Mi’kmaqs, ou leur absence, me pose un dilemme. Pour expliquer ma position, je cite les propos qu’a tenus le chef Terry Paul lors de sa comparution devant le comité :

Actuellement, dans le projet de loi, la notion de pêche autochtone se limite seulement aux personnes qui pêchent à des fins alimentaires, sociales, cérémoniales et de subsistance. Par cette définition [...] le projet de loi C-68 continue de porter atteinte à notre droit, protégé par la Constitution de pêcher et de vendre du poisson pour subvenir à nos besoins. Nous attendons depuis près de 20 ans, depuis la décision rendue dans l’affaire Marshall, en septembre 1999, la mise en œuvre de notre droit de pêcher pour gagner notre vie convenablement.

L’article 9 définit ainsi la pêche autochtone comme :

« [...] la pêche pratiquée par une organisation autochtone ou ses membres à des fins de consommation personnelle, à des fins sociales ou cérémoniales ou à des fins prévues dans un accord sur des revendications territoriales conclu avec l’organisation autochtone. »

Cette définition de pêche « autochtone » ne reconnaît pas et ne protège pas toutes les pêches uniques aux Autochtones. Cela mine grandement l’objectif de réconciliation du projet de loi C-68.

Le chef Terry a ajouté ce qui suit :

Pour les Micmacs en particulier, cela signifie que la Loi sur les pêches nous interdira toujours d’exercer notre droit, confirmé par la Cour suprême, de pêcher pour gagner convenablement notre vie.

Une pêche pour subsistance convenable n’est ni une pêche de subsistance ni une pêche commerciale. Le droit des Micmacs de pêcher pour gagner leur vie repose sur une série de traités conclus de 1760 à 1761 et confirmés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Donald Marshall de 1999.

Notre droit de pêcher pour avoir un moyen de subsistance convenable est un droit issu d’un traité protégé par la Constitution, reconnu et confirmé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle.

Non seulement le projet de loi C-68 ne tient pas compte de cela, mais il pose aussi aux nôtres et à la Couronne de sérieux obstacles [...]

Le déni continu de notre droit de participer à une pêche pour subsistance convenable a eu des conséquences majeures pour notre peuple. Nombreux sont ceux qui, dans nos collectivités, continuent d’échanger ou de vendre ce qu’ils récoltent par la chasse, la pêche et la cueillette pour subvenir aux besoins de leur propre famille. Cette pêche n’est pas une question de richesse. Cela ne l’a jamais été. Il a toujours été question de survie.

Je me suis donc rendu compte que le problème du respect de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Marshall était peut-être plus grand que sa place ou sa mention dans la Loi sur les pêches. Il reste cependant qu’il est de mon devoir, compte tenu de mes relations avec la nation mi’kmaq, de tenter par tous les moyens à ma disposition de trouver des solutions.

À cette fin, le comité a adopté mes amendements, renforçant la disposition de non-dérogation du projet de loi et améliorant son libellé relativement au respect des droits garantis, reconnus et confirmés par l’article 35 de la Constitution.

La question du droit des Mi’kmaq de pêcher pour avoir un moyen de subsistance convenable reste primordiale à mes yeux. Je profite d’ailleurs de l’occasion pour le mentionner au gouvernement.

Bien que je sois satisfait des améliorations apportées aux dispositions du projet de loi, il reste encore beaucoup de travail à faire. Après avoir entendu le témoignage du chef Paul, le comité a indiqué que les Mi’kmaq ont fait preuve d’énormément de patience tout au long du processus.

Je félicite également le chef Paul de sa patience et je lui promets, ainsi qu’à la nation mi’kmaq, que je suis toujours résolu à faire avancer le dossier par tous les moyens possibles, tout en gardant à l’esprit l’avertissement de Donald Marshall Jr. de continuer à pêcher.

Comme vous pouvez le constater, certaines dispositions et composantes du projet de loi C-68 peuvent susciter des interventions passionnées, et je remercie mes honorables collègues d’avoir écouté la mienne.

S’il fallait que j’indique une autre préoccupation des intervenants, de l’industrie et des environnementalistes, ce serait celle du débit et de l’habitat du poisson. En bref, des étendues d’eau que nous avions qualifiées de flaques d’eau dans les pâturages étaient soudainement considérées comme un habitat du poisson et assujetties à la surveillance et à la vérification de la conformité par des fonctionnaires du ministère des Pêches et des Océans.

La Canadian Cattlemen’s Association, la voix nationale de 60 000 fermes d’élevage de bovins et parcs d’engraissement, a exprimé ses préoccupations à ce sujet :

La Loi sur les pêches proposée augmente de beaucoup une portée déjà trop large. Il n’y aurait que très peu de plans d’eau qui ne seraient pas des habitats du poisson ou assimilés à de tels habitats. C’est donc dire que les interdictions s’appliqueraient presque partout et à presque toutes les activités.

La CCA et les éleveurs ne sont pas contre la protection des plans d’eau. Ce n’est pas là la question. L’eau est essentielle à l’élevage du bétail, à l’exploitation des fermes et des ranchs. Qui plus est, tout le monde reconnaît l’importance d’avoir de l’eau de bonne qualité en quantité suffisante, que ce soit pour l’humain, le bétail ou le poisson. Il est question ici de la gestion de l’eau et des débits d’eau. Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-68 sépare essentiellement les débits d’eau du poisson et de son habitat. On risque ainsi qu’un nombre beaucoup plus grand d’activités liées à l’élevage de bétail constitue une violation de la Loi sur les pêches même si leur incidence sur les populations de poissons est mince. Le risque est encore plus grand du fait que les pêches englobent la pêche commerciale, récréative et autochtone.

La Canadian Cattlemen’s Association n’est pas la seule instance de cet avis. L’Association canadienne des propriétaires forestiers, l’Association canadienne des producteurs pétroliers, le Forum for Leadership on Water, l’Association nucléaire canadienne, l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs, l’Association canadienne de l’électricité, la Canadian Canola Growers Association et la Fédération canadienne de l’agriculture, pour ne nommer que celles-là, ont un avis semblable.

Heureusement, cette question a été réglée au moyen d’amendements du gouvernement.

De même, comme le sénateur Harder l’a souligné la semaine dernière, en raison des préoccupations légitimes de l’industrie, le gouvernement a proposé des amendements visant le système d’autorisation pour les grands projets. En effet, le gouvernement a proposé que la Loi sur les pêches contienne des exceptions pour les ouvrages et les activités ne causant pas la mort du poisson.

Ces amendements confèrent au ministre le pouvoir de prendre les décisions définitives quant aux éléments d’un projet désigné qui nécessiteront un permis, et ils précisent que seuls les éléments qui peuvent entraîner la mort du poisson ou la détérioration, la destruction ou la perturbation de son habitat en nécessiteront un.

Comme c’était le cas avec l’habitat du poisson et le débit d’eau, je peux vous dire que les intervenants et l’industrie ont demandé avec autant d’insistance que l’on apporte ces amendements. Il faut féliciter le gouvernement d’avoir pris des mesures proactives à cet égard.

Enfin, il n’arrive pas souvent qu’un projet de loi d’intérêt public du Sénat soit intégré dans un projet de loi d’initiative ministérielle, mais c’est exactement ce que l’on a accompli en transférant des dispositions importantes des projets de loi S-203 et S-238 dans le texte du projet de loi C-68. Ces projets de loi ont passé des années au Sénat, et, en raison d’un échéancier législatif serré, leur inclusion dans le projet de loi C-68 garantit que l’interdiction de la mise en captivité des baleines et de l’enlèvement des nageoires de requin soit adoptée et devienne loi. Je sais que l’inclusion de ces projets de loi dans le projet de loi C-68 jouit de l’appui de l’ancien sénateur Moore et des sénateurs Sinclair et MacDonald. Sénateurs, vous avez fait un travail formidable sur ces mesures législatives. J’applaudis l’ardeur avec laquelle vous avez travaillé à ces dossiers et je vous félicite pour votre persévérance à vouloir les voir se concrétiser.

En conclusion, honorables collègues, il y a beaucoup de gens à remercier et dont le travail mérite d’être souligné. Premièrement, j’aimerais remercier les membres du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans pour la profondeur et la rigueur de leur étude du projet de loi C-68, pour leur classe et pour leur esprit collégial. Ils font de notre travail au comité un tel plaisir. Je remercie également notre président, le sénateur Manning, pour le rôle spécial qu’il joue pour maintenir notre comité à flot et en eaux calmes, comme il dit.

J’ai aussi une mention spéciale pour le ministre Wilkinson et ses fonctionnaires. J’ai vraiment apprécié leur collaboration, leur ouverture et leur détermination à trouver des façons d’avancer quand nous étions dans l’impasse.

Honorables sénateurs, je termine aujourd’hui de la même manière que je l’ai fait pendant des mois à l’étape de la deuxième lecture, quand j’invoquais les paroles de JFK lorsqu’il nous rappelait que « nous sommes intimement liés à l’océan ». J’ajouterais que nous ne sommes pas les seuls à être liés à l’océan; nos enfants et leurs enfants aussi le sont.

Il y a un siècle, Theodore Roosevelt nous rappelait ceci :

[...] gaspiller ou détruire nos ressources naturelles, dépecer et épuiser le sol [et les eaux] au lieu de [les utiliser] pour accroître [leur] utilité, cela détruira la richesse de nos enfants, alors que nous devons contribuer à la développer.

Honorables sénateurs, je vous remercie tous de participer au débat sur le projet de loi. C’est une mesure législative qui assure un équilibre entre la protection des ressources et l’accroissement de la prospérité. C’est un projet de loi qui se veut un outil pour faire avancer le processus de réconciliation avec les Autochtones. C’est un projet de loi qui vise à assurer la vitalité du secteur des pêches et la santé des océans. Mes enfants, mes petits-enfants et les générations à venir pourront ainsi en profiter.

Le projet de loi C-68 mérite d’être adopté. Mettons les voiles en adoptant cette mesure législative sans délai. Wela’lioq. Merci.

L’honorable David M. Wells [ + ]

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour prendre part au débat à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-68, Loi modifiant la Loi sur les pêches et d’autres lois en conséquence. Ce projet de loi est lourd de conséquences pour ma province, Terre-Neuve-et-Labrador, et les autres provinces et territoires du pays.

Tout d’abord, je tiens à souligner l’excellent travail accompli par le président du comité, le sénateur Manning, et les membres du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, dans l’étude du projet de loi.

Chers collègues, le projet de loi C-68 est un projet de loi omnibus, car il n’est rien de moins qu’une refonte de la Loi sur les pêches, laquelle est demeurée intouchée depuis 1867. Les modifications que propose le projet de loi C-68 à la Loi sur les pêches sont multidimensionnelles et complexes. Le projet de loi apporte des modifications substantielles à diverses composantes de la loi, comme la politique sur le propriétaire-exploitant, la Politique sur la préservation de l’indépendance de la flottille de pêche côtière dans l’Atlantique canadien, ou PIPFCAC, la protection de l’habitat du poisson et la mort du poisson.

J’ai entendu au cours de réunions d’intéressés — à l’instar de nombreux membres du comité, j’en suis certain — que le projet de loi de loi aurait dû être divisé en deux ou trois mesures distinctes. On aurait dû au moins traiter séparément, d’une part, la politique du propriétaire-exploitant et la PIPFCAC, qui ont rapport à la pêche, et, d’autre part, les questions bien distinctes relatives à la protection de l’habitat du poisson.

Même si ce projet de loi est un autre de ces projets de loi omnibus que le parti au pouvoir avait juré de ne jamais présenter, il propose des changements positifs. D’après moi, chers collègues, le plus positif de ces changements est l’introduction du concept de réserve d’habitats, à l’article 42. Même s’il y a plusieurs aspects de ce projet de loi dont j’aimerais parler, je m’attarderai aujourd’hui sur les dispositions concernant la réserve d’habitats.

La réserve d’habitats est une méthode de conservation environnementale axée sur les marchés qui a été adoptée avec succès par d’autres pays afin d’offrir plus de certitudes à l’industrie tout en améliorant les résultats sur le plan environnemental.

Même si l’introduction de ce concept est une mesure positive, le gouvernement aurait pu ajouter au projet de loi d’autres mesures bénéfiques pour l’environnement et pour l’économie.

C’est pour cette raison, chers collègues, que le comité a adopté les trois amendements visant à renforcer, à développer et à préciser les dispositions déjà prévues dans le projet de loi à l’égard des réserves d’habitats. Je remercie mes collègues du comité d’avoir appuyé ces amendements.

Si le projet de loi est adopté, comme le comité le recommande, le Canada pourra faire un pas de géant en matière de protection des habitats des poissons, au lieu de se contenter d’un simple pas en avant.

Le projet de loi définit la réserve d’habitats de la façon suivante :

Zone d’habitats créée, restaurée ou améliorée grâce à la réalisation d’un ou de plusieurs projets de conservation dans une zone de service et à l’égard de laquelle des crédits d’habitat sont certifiés par le ministre […]

Il n’y a pas d’erreur possible, chers collègues : les réserves d’habitats visent à assurer le maintien et la préservation de l’environnement, pour aujourd’hui et demain. Avant que des amendements y soient apportés au comité, le projet de loi définissait le crédit d’habitat comme suit :

Unité de mesure faisant l’objet d’une entente entre un promoteur et le ministre en vertu de l’article 42.02 et quantifiant les avantages d’un projet de conservation.

En langage plus clair, honorables collègues, la version antérieure du projet de loi prévoyait que les promoteurs, et seuls les promoteurs, pouvaient compenser les effets néfastes, sur le poisson ou son habitat, d’un projet de conservation réalisé par eux.

Les réserves d’habitats seraient, essentiellement, de nature similaire. Seuls les promoteurs pourraient intervenir, et d’importants tiers, comme des groupes voués à la conservation et des groupes autochtones, en seraient exclus. Si des travaux d’exploitation minière avaient des effets nuisibles sur l’habitat de poissons, par exemple, une société minière pourrait compenser ces effets à l’aide d’un projet de conservation pouvant consister à transférer les poissons touchés dans d’autres étangs ou lacs.

Il y a d’autres exemples, notamment l’aménagement d’une échelle à saumon, la préservation d’un milieu humide ou toute autre mesure qui favorise la création, la restauration ou l’amélioration d’un habitat du poisson. Veiller à ce que les promoteurs de projets compensent les effets néfastes sur l’habitat du poisson est nécessaire pour assurer la préservation de l’environnement. En étudiant cette mesure législative, nous devons nous poser la question suivante : avons-nous créé un système qui permet d’atteindre les meilleurs résultats écologiques et économiques possible?

Chers collègues, avec la version antérieure du projet de loi, la réponse était non. Il n’y a pas une seule raison valable de permettre uniquement aux promoteurs de projets d’établir des réserves d’habitats. En limitant la création de réserves d’habitat aux promoteurs, nous excluons la participation éventuelle de groupes autochtones ou voués à la conservation, comme Canards Illimités, ainsi que de défenseurs de milieux humides et de municipalités, entre autres. Ces intervenants veulent tous jouer un rôle de premier plan dans la restauration et l’amélioration des habitats, et à juste titre. C’est pour cette raison que l’amendement que j’ai présenté au comité, qui vise à élargir l’établissement des réserves d’habitats à des tiers, a reçu l’appui de tous les partis à la Chambre en plus de jouir de l’appui d’un vaste éventail d’intervenants.

La Fédération canadienne de la faune et l’Association canadienne des traversiers ont toutes deux témoigné en faveur de cet amendement au comité et le défendent vigoureusement à l’arrière-scène.

Serge Buy, PDG de l’Association canadienne des traversiers, a dit ceci au sujet de l’établissement de réserves d’habitats par des tiers :

L’Association canadienne des traversiers estime que cela constituerait un moyen raisonnable pour les promoteurs de projet de se conformer aux dispositions législatives. Cet amendement apporte de la clarté et de la certitude aux promoteurs de projet, comme les exploitants de traversiers, et garantit que, si une compensation est requise, des personnes ayant une connaissance directe de la situation, comme des groupes voués à la conservation et des groupes autochtones, et cetera, se chargeront de la conservation et de la restauration.

Chers collègues, en plus des témoignages livrés au comité, nous savons que d’autres ONG écologistes et d’autres groupes de l’industrie, comme l’Ontario Waterpower Association, par exemple, ainsi que plusieurs Premières Nations, municipalités, organismes de conservation et agences gouvernementales provinciales veulent que la création de réserves d’habitats soit étendue à des tiers dans la loi.

Pourquoi pas? Cet amendement créerait toute une nouvelle économie reposant sur les réserves d’habitats qui favoriserait la création d’emplois, l’innovation, ainsi que l’augmentation et l’amélioration des mesures de protection de l’environnement.

Ce ne sont pas tous les promoteurs qui ont les ressources et les connaissances requises pour construire un ouvrage de compensation physique. D’ailleurs, les zones d’une région où un projet est en cours n’ont pas toutes un défenseur. L’amendement adopté par le comité permettrait aux promoteurs d’acheter des crédits plutôt que d’avoir à concevoir et bâtir un ouvrage de compensation physique.

La compensation serait toujours requise, mais le projet pourrait désormais être réalisé par un groupe spécialisé en conservation. Dans ce cas, le promoteur paierait essentiellement la construction d’un ouvrage de compensation physique amélioré. Il s’agit d’une victoire pour l’industrie et pour l’environnement. Les entreprises n’ont pas à se détourner des aspects fondamentaux de leurs activités. Elles n’ont qu’à acheter le crédit pour une réserve d’habitats établie par un groupe tiers.

Ce nouveau marché de crédits encourage les tierces parties à participer aux réserves d’habitats, ce qui permet une meilleure protection de la biodiversité.

Honorables collègues, voilà l’un des trois amendements au système de réserve d’habitats que le comité a acceptés.

Le deuxième amendement dans ce dossier concerne les paiements tenant lieu de compensation. Cet amendement, qui a été proposé à l’origine par les sénateurs Christmas et Griffin — et je les en remercie — permettrait au ministère des Pêches et des Océans de percevoir un paiement tenant lieu de compensation au lieu d’établir une réserve d’habitats compensatoire.

L’introduction de cet outil avait pour objectif, comme l’ont dit la Fédération canadienne de la faune et d’autres intervenants, d’offrir une marge de manœuvre dans les endroits où un projet de compensation approprié n’est pas disponible ou rentable. Au lieu d’acheter des crédits, un promoteur pourrait verser de l’argent dans un fonds pour la protection de l’habitat — je pense au Fonds pour dommages à l’environnement, par exemple — afin de compenser toutes les répercussions que son projet pourrait avoir.

Selon cet amendement, les fonds devraient être dépensés le plus près possible de l’endroit, ou à tout le moins dans la province, où se trouve l’ouvrage, l’entreprise ou l’exercice de l’activité.

L’ajout de ces paramètres au régime était nécessaire pour garantir un traitement égal pour l’ensemble des provinces et des territoires et, espérons-le, pour tous les bassins hydrographiques, à la condition que le ministère des Pêches et des Océans effectue une bonne gestion.

L’amendement ne définit pas comment le gouvernement devrait recueillir et dépenser l’argent. Il établit tout simplement une structure où des fonds du secteur privé peuvent être utilisés pour appuyer des projets de restauration au Canada. La détermination et l’approbation des fonds sont laissées à la discrétion du ministre.

Selon les intervenants que nous avons entendus au comité, le recours à des paiements tenant lieu de compensation n’entraînerait pas de coûts importants ni de fardeau administratif supplémentaire associés au programme de l’habitat du poisson du ministère. En fait, l’amendement offrirait rapidité, souplesse et certitude réglementaires aux promoteurs de projets. Voici quelques-uns des autres avantages : une augmentation des ressources disponibles pour le rétablissement des habitats aquatiques, un accroissement du soutien à des projets de rétablissement efficaces, stratégiques et d’envergure et une réduction de la perte nette d’habitats du poisson.

Voilà, chers collègues, en résumé, en quoi consiste l’amendement numéro deux. Le troisième amendement repose sur le même principe que le deuxième, mais est complètement distinct des deux autres. Selon le projet de loi C-68, dans ses libellés actuel et précédent, les crédits d’habitat certifiés doivent être utilisés dans une zone de service, qu’il définit comme suit :

Zone géographique englobant une réserve d’habitats et un ou plusieurs projets de conservation, à l’intérieur de laquelle un promoteur exploite un ouvrage ou une entreprise ou exerce une activité.

Le caractère général de cette définition est préoccupant.

Pendant l’étude du projet de loi C-68, j’ai travaillé avec un certain nombre de personnes et de groupes dans le but d’améliorer la structure des réserves d’habitats prévue dans la version de départ du projet de loi.

Un biologiste principal m’a indiqué que la taille éventuelle d’une zone de service était un point préoccupant, car la définition ne renferme aucune précision à ce sujet.

Chers collègues, selon la version actuelle — ou la version antérieure puisque l’amendement a été adopté par le comité —, le pays en entier pourrait être considéré zone de service.

Cet amendement a pour but de veiller à ce que les avantages d’une réserve d’habitats compensatoire restent locaux relativement à l’ouvrage, à l’entreprise ou à l’activité. « Local » veut dire « le plus près possible » ou « dans la même province ».

L’idée générale est la suivante : il est préférable d’être le plus près possible du secteur touché. Les effets d’un projet minier mené près de St. John’s ne seraient pas compensés par un projet de restauration de l’habitat réalisé dans le Nord de l’Ontario ou sur l’île de Vancouver, en Colombie-Britannique.

L’amendement maintient la marge de manœuvre dont doit disposer le ministre, tout en protégeant les populations de poissons et les milieux écologiques locaux, ainsi qu’en offrant une certitude à l’industrie quant aux critères liés à l’utilisation des crédits.

En tant que principe directeur, les avantages liés aux réserves d’habitats devraient rester autant que possible à l’échelle locale. Si ce n’est pas possible, les avantages devraient au moins demeurer dans la province où les travaux ont été effectués. Les projets menés dans l’océan — au cas où cette question vous préoccupe, chers collègues — seraient visés par la partie de l’amendement qui dit « le plus près possible ». Par ailleurs, le ministre disposerait toujours de la marge de manœuvre nécessaire pour déterminer ce que signifie l’expression « le plus près possible ».

Honorables sénateurs, ces trois amendements sont maintenant inclus dans le projet de loi C-68. Il s’agit de bons amendements, qui sont constructifs. Ils aideront les Premières Nations, les groupes écologiques et l’industrie, et ils contribueront certainement à protéger l’environnement.

Les deux premiers amendements sont éminemment raisonnables, car ils seraient mis en œuvre par le ministère des Pêches et des Océans. Les dispositions relatives à la création de réserves d’habitats par des tiers et au système de paiements de compensation n’entreront en vigueur que par proclamation du Cabinet, et non au moyen de la sanction royale. Ce délai donnera au ministère des Pêches et des Océans et aux organismes fédéraux pertinents le temps de faire les choses convenablement.

Que ce soit ici ou au comité, chers collègues, nous préparons le terrain pour que le ministère des Pêches et des Océans puisse mener de vastes consultations et prendre le meilleur règlement qui soit.

Je sais que le ministère appréhende la somme de travail à abattre pour établir le système prévu dans le projet de loi C-68. Même si j’admets qu’il s’agit d’une démarche plutôt complexe, nous ne pouvons pas nous contenter de demi-solutions qui empêcheraient les Autochtones, les environnementalistes ou les autres groupes de faire leur travail et de protéger l’environnement. C’est d’autant plus vrai que le ministère aura amplement le temps de mener des consultations et d’élaborer le futur système.

Il n’y a rien de nouveau là-dedans. D’autres pays, dont les États-Unis, ont déjà des réserves d’habitat mises en place par des tiers. Ces réserves donnent de très bons résultats. Les paiements tenant lieu de compensation sont eux aussi utilisés ailleurs dans le monde. Il s’agit de pratiques bien établies.

Si nous avalisons ces amendements, chers collègues, nous permettrons au secteur privé de vraiment faire tout ce qui est en son pouvoir pour atteindre nos objectifs écologiques collectifs.

Je tiens à profiter de l’occasion pour remercier tout particulièrement les sénateurs Christmas et Griffin de nous avoir aidés à rédiger les deux premiers amendements. Je remercie également le président du comité, le sénateur Manning, ainsi que tous les sénateurs qui en font partie d’avoir su organiser les amendements. Grâce à eux, les réunions du comité ont pu se dérouler sans anicroche. Je remercie enfin mes collègues qui ont appuyé ces amendements, car je suis intimement convaincu qu’ils seront bénéfiques, économiquement et écologiquement parlant. Je vous remercie.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-68, Loi modifiant la Loi sur les pêches et d’autres lois en conséquence. Je remercie toutes les personnes qui ont témoigné devant le comité sur le projet de loi ainsi que toutes celles qui ont envoyé des mémoires. La liste des témoins était longue. Elle comptait notamment des associations de pêcheurs, diverses organisations et communautés autochtones et des représentants nationaux de grandes industries comme celles de l’exploitation minière, de l’hydroélectricité, de l’électricité et des éleveurs de bétail.

Le vaste éventail de témoins est un indicateur de la grande portée des modifications proposées à la Loi sur les pêches dans le projet de loi C-68. Il est possible de donner un résumé du projet de loi en le divisant en deux catégories : les amendements concernant les pêches et les amendements concernant l’industrie. D’une part, la plupart des associations de pêcheurs nous ont indiqué qu’elles appuyaient le projet de loi pour leur secteur, un travail qui a commencé sous la direction de Gail Shea et du gouvernement conservateur. D’autre part, beaucoup de préoccupations et d’incertitudes ont été soulevées au sujet des modifications apportées aux diverses industries.

Comme vous pouvez l’imaginer, honorables sénateurs, la tâche du comité s’annonçait difficile, surtout si l’on tient compte des délais serrés dont nous disposions. Le comité devait étudier environ 60 articles sur 66 pages en seulement 16 heures et demie de réunions. La tâche était grande et le comité s’en est bien tiré. Peut-être qu’avec un peu plus de temps, nous aurions pu approfondir des questions subsistantes afin de donner à certains les assurances qu’ils cherchaient ou proposer des amendements afin de bonifier le projet de loi.

Nous en sommes donc aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture. Je vais commencer par les éléments du projet de loi qui concernent les pêches. Dès le début, beaucoup de pêcheurs et divers organismes se sont exprimés sur le projet de loi C-68. Celui-ci propose des modifications qui viennent renforcer une politique très appréciée, la Politique sur la préservation de l’indépendance de la flottille de pêche côtière dans l’Atlantique canadien, ou PIFPCAC. Cette politique dite de séparation des flottilles a été adoptée en 2007 pour faire en sorte que les pêcheurs commerciaux côtiers demeurent indépendants et que les privilèges découlant des permis de pêche profitent aux pêcheurs et aux collectivités côtières de l’Atlantique.

La politique de séparation des flottilles maintient une séparation entre le secteur de la pêche proprement dite et celui de la transformation en empêchant les entreprises de transformation de faire l’acquisition de permis de pêche de bateaux côtiers. La politique du propriétaire-exploitant oblige les titulaires de permis pour bateaux côtiers à se trouver à bord du bateau durant les activités de pêche.

Ce genre de politiques n’ont pas été adoptées à l’égard des pêches canadiennes du Pacifique. En Colombie-Britannique, les politiques à l’égard des propriétaires-exploitants et de la séparation des flottilles n’ont pas été mises en place, et la dimension socioéconomique des pêches a été gravement négligée. On a observé une hausse constante du nombre de permis et de contingents passés entre les mains d’autres intervenants que les pêcheurs actifs et les collectivités côtières. Selon Rick Williams, du Conseil canadien des pêcheurs professionnels :

Dans le marché spéculatif très ouvert en Colombie-Britannique, le prix des permis et des quotas devient inabordable pour les gens qui tirent leur subsistance de la pêche. Pour continuer à pêcher, de nombreux propriétaires-exploitants doivent payer de 70 à 80 p. 100 de la valeur de leurs prises pour louer des quotas à des investisseurs-propriétaires sur la terre ferme. [...] Il est particulièrement important d’assurer une application plus cohérente et plus efficace des politiques sur les propriétaires-exploitants et sur la séparation des flottilles de la région du Pacifique, afin de maintenir la propriété et le contrôle des droits d’accès par les entreprises indépendantes de pêche dans les collectivités adjacentes.

Comme M. Williams l’a très bien expliqué, la situation sur la côte Ouest est très différente par rapport à la côte Est parce qu’aucune mesure comme la politique PIFPCAC ne permet de veiller à ce que les pêches demeurent profitables pour les collectivités côtières. Pour certains, dont le ministre, il est trop tard pour préserver l’indépendance des pêcheurs de la côte Ouest :

Nous reconnaissons qu’il y a des difficultés. Toutefois, je crois que même les gens de la Fédération des pêcheurs indépendants du Canada reconnaîtraient qu’il est peu probable que vous puissiez reconstituer entièrement les œufs après avoir fait l’omelette, mais il y a probablement des choses que nous pouvons envisager pour aider à réfléchir davantage à la position dans laquelle les pêcheurs se trouvent sur la côte Ouest.

D’autres intervenants, eux, ne baissent pas les bras. C’est le cas de Chelsey Ellis, qui détient une vaste expérience des pêcheries sur les deux côtes. Elle a affirmé ce qui suit devant le comité :

Les pêcheries sur la côte Ouest ont été jugées trop complexes pour qu’il soit possible de renverser la vapeur ou encore on a dit qu’elles étaient confrontées à des défis uniques comparativement à ce qui se passe sur la côte Est. L’honorable ministre des Pêches a même utilisé l’analogie d’une omelette, dont on ne peut pas reconstituer entièrement les œufs après les avoir mélangés. J’espère que l’idée que quelque chose est complexe ou difficile n’est pas ce qui empêche le gouvernement d’apporter des changements positifs qui seraient bénéfiques pour les Canadiens des générations à venir. Ce n’est assurément pas une situation qui s’est produite du jour au lendemain, et on ne peut pas non plus s’attendre à tout régler en claquant des doigts.

En outre, sur la côte atlantique, le défi semble consister à renforcer la politique parce que, au fil des années, on l’a contournée. On a pu le faire à cause de la légalisation des accords de contrôle qui a été rendue possible parce que les transactions financières ont été exemptées de la définition du contrôle. Selon Gerard Chidley, qui a comparu devant notre comité le 9 avril :

En vertu du programme PIFPCAC, les titulaires de permis indépendants étaient assurés d’avoir accès en premier à toute nouvelle occasion de permis, mais ce n’est pas ce qui s’est produit. Dans la plupart des cas, la personne ou l’entreprise qui assure le contrôle a les ressources […] pour être informée en premier des nouvelles pêches ou des pêches émergentes.

Les politiques fédérales devraient favoriser la durabilité à long terme de notre industrie de la pêche. Malheureusement, il reste des politiques désuètes qui devraient être éliminées dans la nouvelle Loi sur les pêches.

Par conséquent, même si la plupart des pêcheurs sont en faveur d’une solide politique PIFPCAC pour veiller à ce que les pêches demeurent profitables pour les collectivités côtières, ils réclament une certaine marge de manœuvre afin de pouvoir apporter les modifications nécessaires à la politique en temps voulu.

On n’a qu’à penser à ce qui s’est passé récemment au Nouveau-Brunswick. Au cours des dernières années, six détenteurs de permis de pêche au crabe des neiges ont quitté la région. Chaque permis équivaut à 16 emplois. Par conséquent, les collectivités côtières ont perdu 96 emplois.

Récemment, un permis de pêche au crabe des neiges a été transféré à l’extérieur de la péninsule acadienne, à un pêcheur de l’Île-du-Prince-Édouard. Je ne dis pas cela pour créer des tensions entre les régions; l’inverse serait tout aussi injuste. En l’occurrence, le pêcheur, un résidant du Nouveau-Brunswick depuis au moins six mois et possédant le nombre d’années d’expérience requis, a tout fait conformément à la politique Préserver l’indépendance de la flottille de pêche côtière dans l’Atlantique canadien, ou PIFPCAC.

Une fois les exigences satisfaites, dont la période minimale de résidence, la personne en question a obtenu le permis puis a déménagé à l’Île-du-Prince-Édouard. Selon les rumeurs, certains se servent d’une adresse à titre de façade pour satisfaire l’exigence de résidence, puis repartent dans leur province avec le permis.

La dernière chose que nous voulons, c’est que les collectivités côtières se tiraillent. La politique PIFPCAC vise à renforcer les activités socioéconomiques des collectivités côtières, et non à améliorer la situation d’une collectivité au détriment d’une autre. La politique est également contournée par des personnes au sein des provinces atlantiques. Il est donc crucial que le ministère des Pêches et des Océans remédie aux échappatoires, renforce la politique et instaure des amendes et des sanctions pour les particuliers et les entreprises qui tentent de la contourner.

Je l’ai dit à maintes reprises lors de mon discours à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-55 et je le répète encore aujourd’hui : la pêche est cruciale pour toutes les collectivités côtières qui en dépendent. Cette question dépasse de loin les pêcheurs. La pêche crée des emplois dans le secteur de la transformation, elle stimule l’économie locale au chapitre du bois d’œuvre, du gaz, des épiceries, de l’achat de produits locaux, et cetera. Espérons que le fait d’inscrire la politique de la Préservation de l’indépendance de la flottille de pêche côtière dans l’Atlantique canadien dans la loi renforcera l’indépendance des pêches et des collectivités côtières après l’excellent travail qui a été entamé en 2012 sous le gouvernement précédent.

En revanche, il y a une portion du projet de loi destinée à l’industrie, qui ajoutera différents règlements qui encadreront ses activités quotidiennes. Il est important de souligner que les diverses industries que le comité a entendues souhaitent toutes protéger l’environnement et le poisson. Aucune d’entre elles ne souhaite nuire au poisson, et elles veulent collaborer avec le gouvernement pour poursuivre leurs activités tout en ayant une incidence minimale sur le poisson et son habitat.

S’il y a un mot pour décrire le volet du projet de loi relatif aux règlements, ce serait « incertitude ». Lors des réunions du comité, il était évident que de l’incertitude entourait les projets désignés. La façon dont les règlements fonctionneront et seront appliqués génère beaucoup d’incertitude pour les représentants de l’industrie. La présidente de la Saskatchewan Mining Association nous a déclaré ceci :

Avant de décrire certains des motifs qui sous-tendent ces modifications, j’aimerais souligner l’engagement continu de nos membres à l’égard de la protection du poisson et de son habitat. Nos préoccupations au sujet de la loi proposée ont trait à la façon dont certaines des modifications mettraient de côté des décennies de jurisprudence et de pratiques opérationnelles. À notre avis, la loi proposée entraînerait de nombreuses contestations judiciaires et des années, voire des décennies, d’incertitude pour le ministère des Pêches et des Océans, le MPO, les exploitants industriels et agricoles ainsi que les municipalités rurales et urbaines, et minerait davantage les investissements au Canada.

Honorables sénateurs, vous le savez peut-être, le comité a fait rapport du projet de loi avec de nombreux amendements. J’ai moi-même proposé deux de ces amendements que les membres du Comité des pêches ont acceptés.

D’abord, la définition d’habitat nécessitait un amendement afin que ce qui constitue un habitat soit plus clair et plus précis. De nombreux témoins nous ont dit que d’inclure dans la définition d’habitat la phrase « [l]es eaux où vit le poisson » fera en sorte que la loi cible des lieux qui ne sont pas essentiels aux processus du cycle de vie des pêches.

Dans le mémoire qu’elle a présenté au comité, Cameco explique la situation :

Ainsi, seront considérées comme des habitats les zones ne contenant de l’eau que pendant une courte période de temps.

À titre d’exemple, tout ouvrage ou entreprise exploité, ou toute activité exercée dans une zone ne contenant de l’eau que pendant quelques jours toutes les quelques années pourrait être visé par les exigences de la Loi. Le poisson peut certes fréquenter une telle zone pendant une courte période de temps une fois tous les cinq ans, mais cet habitat n’est pas essentiel aux processus liés au cycle de vie.

En inscrivant dans la définition « toute aire dont dépend, directement ou indirectement, sa survie, notamment les frayères, les aires d’alevinage, de croissance ou d’alimentation et les routes migratoires », nous maintenons l’importante protection des aires essentielles à la survie tout en réalisant un équilibre qui permettra de ne pas perturber ou compliquer outre mesure le travail des différents secteurs, comme l’exploitation minière. Cela permettrait aussi au ministère de mieux comprendre l’application des dispositions sur les habitats et aux principaux intéressés de les respecter.

Mon deuxième amendement qui a été adopté par le comité et appuyé par les fonctionnaires du ministère des Pêches et des Océans concernait le retrait de la modification concernant les exigences en amont et en aval.

La version du paragraphe 34.3(2) publiée dans la version du projet de loi C-68 à l’étape de la première lecture donne au ministre suffisamment de pouvoir pour prendre des arrêtés pour assurer le libre passage du poisson ou la protection du poisson et de son habitat en cas d’obstruction, y compris en ce qui a trait au débit de l’eau.

Ce qui inquiétait tout particulièrement dans la version de l’alinéa 34.3(2)g) tel qu’amendé par la Chambre des communes est le pouvoir octroyé au ministre d’obliger le propriétaire d’un obstacle à maintenir les propriétés de l’eau en amont de l’obstacle. Or, dans bien des cas, le propriétaire d’un obstacle n’est pas en mesure de le faire. C’est pour cette raison que des parties prenantes telles que l’Association canadienne de l’électricité ont recommandé le retrait de l’article.

Je conclurai donc mes observations par les articles du projet de loi que j’ai essayé en vain d’amender. Au comité, on nous a dit que le libellé actuel de l’article 2 « Objet de la loi 2.1 » devrait être légèrement modifié. Dans son libellé actuel, l’énoncé de l’objet porte sur deux articles différents, le premier étant la gestion des pêches en tant que ressource, le second étant la conservation et la protection des poissons.

Le libellé actuel crée une opposition entre l’objectif de la loi et l’autorisation raisonnable accordée par le ministère des Pêches et des Océans de mener des activités susceptibles de tuer le poisson ou de lui nuire, ou de nuire à son habitat, ce qui peut entraîner d’inutiles contestations judiciaires.

Permettez-moi, honorables sénateurs, de citer Terry Toner, de l’Association canadienne de l’électricité :

[…] l’énoncé de l’objet devrait mettre l’accent sur la gestion et la surveillance des pêches. Actuellement, la protection et la conservation du poisson et de son habitat forment un objet distinct et indépendant, alors que cela devrait être accessoire à la gestion et à la surveillance judicieuses et responsables des pêches. Pour régler ce problème, nous recommandons de regrouper les deux parties pour rendre plus clair l’objectif de la loi.

Cela étant dit, afin d’éclaircir le projet de loi et d’éviter des contestations judiciaires, comme l’ont expliqué certains témoins, j’ai un amendement à proposer.

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