Le Sénat
Motion concernant les pêcheurs et les communautés mi’kmaq--Suite du débat
1 décembre 2020
Honorables sénateurs. Je vais aborder la motion de mon collègue le sénateur Francis en parlant d’un pêcheur que j’ai connu et avec qui j’ai grandi.
Honorables sénateurs, la première fois que j’ai mis une ligne à l’eau, c’est un jeune Autochtone qui a mis le ver sur mon hameçon. Il avait huit ans et moi, quatre, et nous pêchions dans le secteur nord-ouest de la Miramichi, une rivière sur laquelle j’ai navigué dans les années qui suivirent, pêchant de bassin en bassin à bord d’un canot par les chaudes journées de juillet. Tout cela n’est plus possible, évidemment; la rivière s’est asséchée et le son des cannes à pêche sur les plats-bords des canots s’est arrêté.
J’ai dédié mon troisième roman à un jeune Autochtone avec qui j’ai chassé et pêché il y a longtemps. Au fil des ans, j’ai été le mentor de jeunes Autochtones, je les ai aidés à être admis à l’université ou à rédiger des dissertations. Mon père embauchait des hommes et des femmes autochtones et, au cours de sa vie, il a deux fois été fait chef honoraire d’une réserve.
Pourquoi est-ce que je raconte ces choses? Je n’aurais jamais cru qu’il serait nécessaire que je le fasse. Ce sont des faits qui auraient dû rester du domaine privé; ils font partie de mes expériences personnelles, pas de ma vie publique.
J’ai grandi à Burnt Church — en fait, j’ai passé tous mes étés là-bas de ma naissance jusqu’à ce que je déménage pour aller à l’université. J’ai pêché la truite dans la rivière Church et j’ai chassé la perdrix dans le secteur à l’automne. La nuit, j’écoutais le son des vagues sur la berge de la baie de Miramichi. Je passais mes journées sur le quai. Je connais depuis toujours les hommes qui y pêchent.
Je suis déjà parti en mer sur des homardiers et des harenguiers jusqu’à la dernière bouée à cloche marquant l’endroit où la baie devient la mer à l’approche de l’Île-du-Prince-Édouard. J’ai aussi déjà été coincé là — le moteur de mon bateau est mort un soir et je dérivais vers le large.
Un soir, un jeune homme que je connaissais pour avoir pêché du hareng avec lui a été pris dans une grave tempête. Son moteur mort, il a essayé de maintenir son bateau à flot. Il a essayé de protéger son équipage. Quand la situation est devenue désespérée, il a envoyé son dernier message à ses amis sur la terre ferme : « Je ne peux plus vous parler, les gars; mon bateau est en train de couler. »
Si vous ne pouvez pas voir au-delà de la première bouée, vous ne pouvez pas connaître la mer.
C’est à l’âge de 8 ans, à Burnt Church, que j’ai commencé à connaître les pêcheurs. J’ai vu des morceaux de harenguiers et des corps s’échouer sur le rivage sous le ciel gris, jusqu’à Oak Point.
C’était le lendemain du désastre d’Escuminac, où 35 hommes et garçons ont trouvé la mort. La tempête était arrivée du sud sans prévenir et des vagues de 40 à 50 pieds de haut avaient déferlé sur les plats-bords et mis hors service les moteurs de ces petits bateaux.
Un des garçons n’avait que 15 ans. Il était à bord d’un harenguier avec son frère de 11 ans, son oncle et son père. Son oncle a été tué par un morceau de métal qui s’était détaché. Alors que l’embarcation luttait contre les vagues, un autre harenguier — plus gros et à la proue plus large — s’est approché et ses occupants ont pu leur lancer une corde. Le garçon de 15 ans l’a fixée à son petit frère et a réussi à le faire passer sur l’autre embarcation. Le vent était tellement fort et les vagues si hautes que le Lorrie Jane a mis plus d’une demi-heure à revenir à eux. Lorsqu’on a pu renvoyer une autre corde au garçon, ce dernier a réussi à se rendre jusqu’à son père et à le fixer à la corde.
« Mais c’est moi le capitaine », de dire l’homme blessé. « Non papa », a répondu le garçon de 15 ans, « ce soir, c’est moi le capitaine ».
Ils ont réussi à transporter le père jusqu’au Lorrie Jane. ll a fallu 45 minutes — trois quarts d’heure — avant qu’elle revienne à l’embarcation du garçon. L’eau arrivait aux plats-bords de son bateau. Ce fut un honneur pour moi de lui remettre, à lui et à un autre homme, une médaille sénatoriale pour leurs actes héroïques de ce soir-là.
Je connais les hommes qui pêchent le homard, car, vous voyez, j’ai grandi avec eux. Mes frères aussi. À vrai dire, nous avons fréquenté le quai de Burnt Church toute notre vie. Mon plus jeune frère a perdu son meilleur ami, un jeune garçon issu des Premières Nations, dans un accident de voiture. Mon frère a également perdu ses jambes dans ce même accident, alors qu’il était censé intégrer la GRC deux semaines plus tard. Le drame s’est déroulé il y a 37 ans, mais il ne s’est jamais remis de cette perte.
Quand nous étions plus jeunes, nous avions l’habitude de jouer sur ce quai qui a suscité tant d’intérêt à l’échelle du pays il y a quelques années. Il n’y a jamais eu près de milliers de pièges sur ce quai, je vous le garantis, et si nous étions chanceux et arrivions au bon moment, nous recevions un dollar ou deux pour avoir traîné quelques pièges jusqu’aux bateaux.
Les pêcheurs étaient empreints d’une gentillesse quelque peu bourrue. Moi, un enfant maigre, je les appréciais tous.
J’aime et je respecte également le sénateur Francis et le sénateur Christmas, et je suis certain qu’ils le savent. Le sénateur Francis s’est joint à moi et à d’autres, dont le sénateur Mockler, pour essayer, avec le chef de la réserve, à Eel Ground, de trouver une solution par rapport à l’épuisement de notre saumon de l’Atlantique. Une fois de plus, nous avons dû faire face à l’incompréhension et à la sourde oreille du MPO, et à un ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne peu sympathique et ignorant.
L’idée de ce qu’est une pêche modérée devrait être établie. Et le ministre des Pêches a l’obligation de l’établir.
S’il vous est déjà arrivé d’être sur le quai à l’ouverture de la pêche, vous avez pu voir une cavalcade de bateaux s’élancer vers le large, vers l’endroit où chaque capitaine s’empresse d’aller placer ses casiers. Si quiconque, quel qu’il soit, commence à pêcher le homard un mois avant que vous placiez vos casiers, vous le vivez sûrement comme une trahison.
Aujourd’hui à Burnt Church, les pêcheurs autochtones pêchent dans la baie aux côtés des pêcheurs commerciaux. Les pêcheurs autochtones amarrent leur bateau au port de Burnt Church et les pêcheurs commerciaux, à Neguac. Ils sont toutefois amarrés côte à côte dans d’autres ports, ce qui montre que la collectivité peut composer avec la situation et qu’elle devrait le faire. Après tout, un capitaine amarre rarement son bateau près de celui d’un homme en qui il n’a pas confiance.
Les pêcheurs commerciaux doivent payer leur bateau. Ils doivent respecter des quotas concernant les casiers à homards. Ils ont des enfants, des personnes à charge, des hypothèques, et ils paient les études, le hockey et la nourriture. Ils ont une façon d’assurer leur subsistance, eux aussi, et, à certains égards, ils méritent aussi notre respect.
Je suis d’accord avec le sénateur Francis : il faut dénoncer résolument la violence. Je la dénonce sans réserve. Il serait toutefois trop facile d’affirmer que le ministère des Pêches et des Océans, la ministre et les tribunaux n’ont rien à se reprocher dans cette affaire. Ils se sont montrés, une fois de plus, incompétents.
Les grandes étendues de la pêche maritime intérieure sont organisées en zones. Les pêcheurs qui posent leurs casiers dans la baie Miramichi se trouvent dans une zone différente de celle du détroit de Northumberland; différentes zones existent dans la Baie-des-Chaleurs et dans le golfe du Saint-Laurent, et des zones de pêche hivernale existent dans la baie de Fundy. Les personnes qui ont un quota pour une zone donnée ne doivent pas poser leurs casiers dans une autre zone, et tous les pêcheurs ont un nombre fixe de casiers et un quota établi par le ministère des Pêches et des Océans, qui sont payés à la sueur de leur front.
Avec tout le respect que je vous dois, la question n’est pas de savoir qui pose des casiers, mais le moment où ils sont posés.
Je pense que tous les sénateurs ici présents conviendront que personne au monde n’a souffert autant de discrimination que les Premières Nations.
Enfin, je terminerai en disant que j’ai parfois été troublé par le nombre de fois où le mot « raciste » a été utilisé dans cette prestigieuse enceinte pour qualifier les nombreux autres Canadiens que nous avons également le devoir de représenter et de protéger. Je vous remercie.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui sur la motion no 40 portant sur les pêcheurs et les communautés mi’kmaq, qui a été présentée par le sénateur Francis, en son nom et au nom du sénateur Christmas. Cette motion a deux parties. La première partie invite le Sénat à confirmer et à honorer la décision rendue en 1999 par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Marshall et invite le gouvernement à en faire autant en respectant les droits des traités des Mi’kmaq à une pêche de subsistance convenable. La seconde partie vise notamment à ce que le Sénat condamne « les gestes violents et criminels qui entravent l’exercice des droits issus de traités ».
Les événements déplorables qui se sont produits récemment en Nouvelle-Écosse posent un grand risque pour les Mi’kmaq pour ce qui est de l’exercice de leurs droits constitutionnels. Ces événements sont, en fait, les plus récents d’une série d’événements du même type intervenus ailleurs au Canada. Qu’on se rappelle seulement les incidents des années 1980 dans les rivières à saumon de la Côte-Nord et de la Basse-Côte-Nord du Québec — auxquels j’ai été mêlée directement — et de ceux qui sont survenus en Gaspésie, de même que ceux de Burnt Church, au Nouveau-Brunswick, dont le sénateur Richards vient de nous parler de façon très éloquente, en 1999 et 2000.
Pour comprendre ces événements récents, il faut remonter plus loin que la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Marshall, il y a 21 ans. En effet, dans ce jugement, la Cour suprême du Canada n’a fait qu’interpréter le changement déterminant apporté à la Constitution canadienne en 1982, lors du rapatriement de la Constitution. C’est arrivé il y a 38 ans. Le contexte politique chargé lié à cette période de l’histoire du Canada comporte un volet dont on doit se souvenir.
Ce sont, en effet, des pressions politiques soutenues des représentants des Premières Nations, des Inuits et des Métis et les procédures judiciaires qu’ils ont intentées devant les tribunaux britanniques au cours des années et des mois qui ont précédé le rapatriement de la Constitution de 1981 qui ont provoqué un revirement politique au gouvernement fédéral, revirement qui a mené à l’inclusion d’articles portant sur les droits des peuples autochtones dans la Constitution canadienne.
Une adresse commune de la Chambre des communes et du Sénat, qui demandait au Parlement du Royaume-Uni d’adopter la Loi constitutionnelle de 1982, a été adoptée le 2 décembre 1981 à la Chambre des communes par un vote de 246 pour et de 24 contre. Elle a aussi été adoptée par le Sénat le 8 décembre 1981 au moyen d’un vote de 59 pour et de 23 contre. Cette adresse a donc été acheminée, et on se souviendra que, jusque-là, la Constitution canadienne ne pouvait pas être modifiée sans l’adoption d’une loi du Parlement du Royaume-Uni. C’est ce que le Royaume-Uni a fait en 1982 en votant la Loi de 1982 sur le Canada, qui contient en annexe la Loi constitutionnelle de 1982.
Cette loi prévoit à l’article 35 que « les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés ». Ce faisant, le Parlement fédéral a choisi de protéger ces deux catégories de droits collectifs d’une façon particulière. Cette protection met ainsi les peuples autochtones à l’abri, jusqu’à un certain point, des lois fédérales et provinciales. Le statut de leurs droits a alors changé radicalement au sein du système juridique canadien. Autrement dit, chers collègues, les sénateurs qui nous ont précédés dans cette Chambre ont voté en faveur de cette loi après que les députés de la Chambre des communes ont fait de même; nous ne devrions pas l’oublier. Ainsi, depuis 1982, les législateurs ne peuvent plus porter atteinte aux droits constitutionnels des peuples autochtones s’ils ne sont pas en mesure de justifier une telle atteinte.
La Loi constitutionnelle de 1982 établit aussi un processus de négociation constitutionnelle des premiers ministres et des représentants des trois catégories de peuples autochtones reconnus, c’est-à-dire les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Ces négociations constitutionnelles devaient servir à définir la nature de ces droits, leur portée et les titulaires des droits.
Une série de conférences constitutionnelles ont été tenues de 1983 à 1987, et ensuite en 1992, sans toutefois qu’on arrive à un consensus politique sur la définition, la portée et l’étendue de ces droits, sauf pour préciser en 1983 que des droits issus d’une entente de revendications territoriales sont considérés et protégés comme des droits issus de traités, et que les droits constitutionnels reconnus aux peuples autochtones le sont également aux hommes et aux femmes.
En l’absence de consensus politique sur la portée de ces droits, ce sont les tribunaux qui doivent les préciser au cas par cas. Huit ans après l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982, la Cour suprême du Canada s’est prononcée pour la première fois sur cette question dans l’affaire Sparrow. Selon la cour, la reconnaissance des droits constitutionnels dans l’article 35 « procure [...] un fondement constitutionnel solide à partir duquel des négociations ultérieures peuvent être entreprises [...] »
D’autre part, la cour précise que la reconnaissance et la confirmation des droits des peuples autochtones, et je cite :
[...] comporte[nt] cependant la responsabilité qu’a le gouvernement d’agir en qualité de fiduciaire à l’égard des peuples autochtones et implique[nt] ainsi une certaine restriction à l’exercice du pouvoir souverain.
Il est clair que, puisque la reconnaissance et la confirmation des droits des peuples autochtones sont établies dans la loi constitutionnelle, il revient au gouvernement d’en négocier les modalités d’exercice.
Or, la base de négociation que le gouvernement fédéral a établie jusqu’en 1982 était fondée sur la conception reconnue à l’époque selon laquelle le législateur fédéral avait le pouvoir d’éteindre unilatéralement les droits des Autochtones. C’est ce qui a changé du tout au tout à partir du moment où le Parlement fédéral a choisi au contraire de leur accorder le statut de droits constitutionnels, c’est-à-dire le statut le plus élevé dans la hiérarchie des normes juridiques. Le gouvernement ne peut donc plus s’attendre à appliquer les lois existantes si elles portent atteinte à ces droits désormais reconnus aux peuples autochtones. Le rapport de force a donc changé, puisque l’assise juridique des droits des Autochtones est beaucoup plus solide depuis 1982.
Comme l’a dit également la Cour suprême dans l’affaire Sparrow, les droits constitutionnels doivent s’incarner dans la réalité. Ils ne peuvent pas demeurer des concepts abstraits; ils doivent se traduire par des activités concrètes, et les lois doivent être modifiées en conséquence. Les attentes des peuples autochtones sont désormais à la hauteur de la protection de leurs droits que nous nous sommes engagés à respecter.
Pouvons-nous imaginer, chers collègues, des détenteurs de droits constitutionnels qui ne voudraient pas exercer leurs droits? Sommes-nous réellement surpris que les peuples autochtones insistent pour les exercer? Pouvons-nous imaginer qui que ce soit, une personne ou une corporation, qui se serait vu accorder des droits constitutionnels et aurait accepté de ne pas les exercer pendant 38 ans?
La stratégie politique gouvernementale qui prévaut depuis les années 1980 et qui consiste à laisser les tribunaux définir à la pièce ces droits constitutionnels doit être revue. Une telle stratégie est coûteuse, non seulement en termes économiques, mais aussi en termes sociaux. L’exercice de leurs droits par les peuples autochtones est en suspens depuis des décennies en l’absence d’ententes durables conclues avec eux. Ils sont ainsi privés d’une source de revenus individuels et collectifs importants.
Rappelons que le droit de faire commerce des produits de leurs activités de pêche était prévu dans un autre traité historique conclu en 1752 avec la Couronne britannique, et que ce droit a déjà été reconnu aux Mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse en 1985 dans une autre affaire, l’affaire Simon. Dans cette affaire, la cour avait ajouté ce qui suit :
[...] que les traités avec les Indiens et les lois relatives aux Indiens doivent être interprétés de façon libérale et que les ambiguïtés doivent être résolues en faveur des Indiens.
C’est ce principe d’interprétation qui a été repris dans le jugement Marshall dans les mêmes termes. La cour, dans l’arrêt Marshall, va même plus loin quand elle précise ceci :
Les droits issus de traités des peuples autochtones ne doivent pas être interprétés de façon statique ou rigide. Ils ne sont pas figés à la date de la signature. Les tribunaux doivent les interpréter de manière à permettre leur exercice dans le monde moderne. Il faut pour cela déterminer quelles sont les pratiques modernes qui sont raisonnablement accessoires à l’exercice du droit fondamental issu de traité dans son contexte moderne.
Par ailleurs, chaque nouveau jugement qui confirme leurs droits accentue l’impression dans la population que les tribunaux « donnent tout aux Autochtones », laissant le reste de la population sur la touche. Cela est particulièrement vrai dans le domaine des activités de chasse et de pêche. Or, les tribunaux ne « donnent » rien aux Autochtones; ils ne font qu’interpréter des droits reconnus et confirmés dans la loi la plus importante du pays.
Cela permet au gouvernement de s’extraire de la discussion sur ces droits en invoquant le fait qu’une affaire est devant le tribunal. Le gouvernement peut ensuite prétendre qu’il n’est pas responsable de la décision de la cour. C’est tout le contraire de l’effort pédagogique requis pour expliquer le fait que les modifications constitutionnelles adoptées par le législateur fédéral ont changé la donne complètement et que les lois doivent être ajustées selon des modalités à définir pour assurer que les Autochtones pourront exercer les droits qui leur ont été reconnus. L’atmosphère délétère qui en découle entraîne des désordres sociaux et des événements violents, comme on l’a vu dans certaines situations, y compris les événements qui se sont produits récemment en Nouvelle-Écosse.
Dans le deuxième jugement Marshall, rendu deux mois seulement après le premier, qui a été prononcé le 17 septembre 1999, une initiative d’ailleurs inédite qui visait à demander à la Cour suprême de préciser si son premier jugement était bien ce qu’elle entendait conclure, la cour rappelle ceci :
Ces rapports spéciaux de fiduciaire comportent le droit pour les bénéficiaires du traité d’être consultés à l’égard des restrictions de leurs droits [...]
Elle ajoute ce qui suit :
[...] les préoccupations et les propositions des communautés autochtones doivent être prises en compte et pourraient entraîner le recours à des techniques différentes de conservation et de gestion à l’égard de l’exercice du droit issu de traité.
Chers collègues, nous avons intérêt à nous rappeler que les législateurs sont les initiateurs de ces changements constitutionnels et que, à ce titre, nous, sénatrices et sénateurs, avons la responsabilité de demander des comptes au gouvernement, non seulement sur ce qu’il a fait, mais aussi sur ce qu’il n’a pas fait jusqu’ici pour mettre en œuvre cette loi, une loi constitutionnelle, de surcroît.
Nous avons la responsabilité de poser au gouvernement les questions suivantes. Comment s’est-il acquitté de son obligation de mettre en place des processus de négociation avec les représentants des Premières Nations concernées pour définir des modalités d’exercice de leurs droits de pêche depuis 1985? Comment les ministères concernés qui ont une responsabilité à l’égard des peuples autochtones et ceux qui ont une responsabilité particulière liée aux pêcheries se sont-ils acquittés de leur obligation de mettre en place des processus de négociation avec les représentants des Premières Nations mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse pour adopter un cadre d’exercice de leurs droits de pêche, plus particulièrement ceux définis dans les jugements Marshall? Quels moyens de communication les ministres concernés ont-ils établis pour faire en sorte que les populations des Premières Nations visées soient au courant de ces négociations et de leur évolution? Quels moyens ont-ils pris pour s’assurer parallèlement d’établir des communications avec les autres acteurs non autochtones dans ce secteur d’activité et pour garantir qu’ils comprennent les paramètres de ce genre de négociations? Enfin, quelles ont été les conséquences de ces négociations sur les négociations qui se tiennent actuellement pour régler la situation en Nouvelle-Écosse?
Chers collègues, c’est à nous de déterminer quel est le forum adéquat pour tenir une discussion sur ces questions.
Je vous remercie.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la motion du sénateur Francis, que j’appuie pleinement :
Que le Sénat confirme et honore la décision rendue en 1999 par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Marshall, et qu’il invite le gouvernement du Canada à en faire autant en respectant le droit des traités des Mi’kmaq à une pêche de subsistance convenable, comme le prévoient les traités de paix et d’amitié signés en 1760 et en 1761 et comme le garantit l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982;
Que le Sénat condamne les gestes violents et criminels qui entravent l’exercice des droits issus de traités et exige le respect ainsi que l’application dans l’immédiat des lois criminelles du Canada, ce qui comprend la protection des pêcheurs et communautés mi’kmaq.
Tout d’abord, je tiens à féliciter le sénateur Francis de son initiative et du travail qu’il a accompli avec le sénateur Christmas pour défendre la cause des pêcheurs autochtones, non seulement dans les provinces de l’Atlantique, mais partout au Canada.
Bien entendu, il s’est passé beaucoup de choses depuis que le sénateur Francis a présenté la motion. Aujourd’hui, la situation des pêches n’est plus du tout la même dans le Canada atlantique. Toutefois, il demeure qu’il faut vivre en paix les uns avec les autres, dans le respect — chose avec laquelle est d’accord la vaste majorité des Canadiens autochtones et non autochtones.
Les événements du mois d’octobre dernier sont inacceptables. Les gestes de ces quelques personnes sont aussi répugnants aux yeux de la grande majorité des Néo-Écossais qu’aux yeux des sénateurs de cette Chambre de second examen objectif. Il incombe aux forces de l’ordre d’assurer le maintien de la paix et la sécurité de tous les citoyens. Le recours à la violence et à l’intimidation devrait être condamné par tous.
Chers collègues, nous ne devons pas oublier la voie que nous avons récemment empruntée pour en arriver là où nous en sommes aujourd’hui. L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît les droits issus des traités des Premières Nations, des Inuits et des Métis, comme l’a expliqué la sénatrice Dupuis. Il est important de souligner que les droits des Autochtones ne faisaient pas partie des premières discussions sur le rapatriement de la Constitution. Les consultations auprès des Premières Nations n’avaient pas eu lieu au début de ces discussions. Il a fallu des manifestations pour convaincre les législateurs de la nécessité d’inclure les Premières Nations dans la Loi constitutionnelle de 1982 afin de protéger leurs droits issus des traités.
Je le signale parce que, depuis 1982, nous assistons à une succession de recours judiciaires, la plupart portant sur le droit de pêcher des Autochtones. C’est ainsi que plusieurs arrêts ayant fait école ont été rendus par la Cour suprême, notamment sur les droits constitutionnels des Autochtones et l’atteinte à ces mêmes droits, comme la sénatrice Dupuis vient d’en parler. Je pense entre autres à l’arrêt Sparrow, qui a été rendu en 1990 et qui fut la première cause jugée après le rapatriement de la Constitution, ou encore aux arrêts R. c. Van der Peet, en 1996, R. c. Gladstone, en 1996 et, bien entendu, R. c. Marshall, en 1999. Chaque fois, la Cour suprême s’est employée à interpréter l’article 35 de la Loi constitutionnelle. Elle a aussi interprété une série de traités, même si, dans ce cas, je crois que, faute de leadership de la part du fédéral, elle a embrouillé la situation plus qu’autre chose et créé un régime fondé sur les espèces, les traditions et la conservation, pour ne donner que quelques exemples.
L’arrêt R. c. Marshall et le jugement subséquent ont confirmé que les traités confèrent bel et bien aux Mi’kmaq le droit de pêcher si c’est pour en tirer une « subsistance convenable », sous réserve d’une surveillance de la part du ministère des Pêches et des Océans dans un but de conservation.
Honorables sénateurs, quand Donald Marshall a décidé de pêcher l’anguille, il ne voulait pas seulement assurer la subsistance de sa famille, mais de tout son peuple. Tout ce qui est arrivé depuis 1999 est inacceptable, et les gouvernements qui se sont succédé depuis ont complètement manqué de leadership, ce qui a contribué à l’érosion de la confiance entre les Autochtones, les pêcheurs commerciaux et le ministère.
Comme l’a dit la sénatrice Cordy dans son discours sur cette motion :
[...] il y a maintenant 21 ans que l’arrêt Marshall a affirmé la validité des droits issus de traités des Mi’kmaqs quant à la possibilité de pêcher pour s’assurer une subsistance raisonnable. Les uns après les autres, les gouvernements fédéraux ont tout fait pour ne pas régler directement ces questions, et il est maintenant temps que le gouvernement fédéral agisse en leader.
Je fais écho aux observations de la sénatrice Dupuis sur la responsabilité du gouvernement de négocier. À mon avis, des négociations constructives entre le gouvernement du Canada et les Premières Nations seraient de loin préférables à d’autres procédures judiciaires, qui, comme nous avons pu le constater, ne donnent pas de résultats satisfaisants sur le terrain. En fait, ce serait un aspect très important de la « réconciliACTION » sur le chemin vers une réconciliation s’appuyant sur des bases solides.
Comme l’a dit le sénateur Francis dans son discours :
Le gouvernement a promis d’établir une relation de nation à nation fondée sur la reconnaissance des droits des Autochtones, le respect, la coopération et le partenariat. Ces paroles sont vides si elles ne mènent pas à des gestes concrets et à des résultats.
Même si je suis loin d’être une experte des pêches au Canada, je constate des intérêts communs entre les pêcheurs autochtones et commerciaux. Les océans contiennent d’abondantes ressources que tous peuvent se partager. Une véritable conservation de ces ressources est également dans l’intérêt de tous. Pour assurer la santé future du secteur des pêches, toutes les parties doivent travailler ensemble.
Comme nous l’avons entendu, les Mi’kmaqs pêchent dans les eaux de l’océan Atlantique depuis des milliers d’années. Comme le sénateur Francis l’a expliqué, la philosophie adoptée :
[...] gouverne la durabilité de notre récolte. Cette philosophie se fonde sur le respect et la gratitude envers toutes les ressources naturelles fournies par le Créateur. Il s’agit d’un code de conduite qui enseigne aux Mi’kmaqs à prendre seulement ce dont ils ont besoin pour le bien-être de la personne et de la communauté. Nous ne cherchons pas à surexploiter ni à épuiser les ressources naturelles. Nous sommes les gardiens des connaissances traditionnelles et les défenseurs sacrés de la terre et des ressources.
Dans le cadre du projet de loi C-55, que j’ai parrainé lors de la dernière législature, des fonds ont été réservés pour permettre aux Autochtones de donner leur avis sur la gestion des zones de protection marine. Lorsqu’on a discuté du projet de loi avec des universitaires qui ont étudié l’Arctique, il est devenu très évident que le savoir traditionnel autochtone faisait partie intégrante de leurs projets de recherche sur l’Arctique. Le savoir et les traditions que les peuples autochtones ont développés sur de nombreuses années peuvent aussi être pris en considération dans la gestion des pêches. Les deux vont de pair.
Honorables sénateurs, nous avons vu les droits traditionnels des Premières Nations être reconnus à maintes reprises, que ce soit dans le cadre des traités d’amitié conclus dans les années 1760 ou lors des très nombreuses décisions judiciaires prononcées en leur faveur au cours des dernières décennies, y compris celle rendue dans l’affaire Marshall. Six ans se sont écoulés depuis la publication des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Il ne nous reste plus qu’à honorer nos engagements d’une manière respectueuse qui permet aux Autochtones d’exercer leurs droits issus de traités sans crainte de violence sur les océans.
Il est temps que nous procédions au partage des ressources dont nous jouissons au Canada afin que nous puissions tous prospérer. Rappelez-vous le mantra de ma famille, que je répète encore une fois : « Tout le monde va mieux quand tout le monde va mieux. » C’est certainement vrai en l’occurrence. Merci.