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Andrew Scheer fait fausse route en proposant le retour de la partisanerie au Sénat : Sénateur Greene

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Le 28 juin, en réponse à des questions de la journaliste de la CBC Rosemary Barton à propos de ce qu’il ferait du Sénat s’il était premier ministre, le chef conservateur, Andrew Scheer, a dit qu’il nommerait au Sénat des gens qui partagent son objectif d’abaisser les impôts et de faire croître le secteur privé. « On parle de sénateurs conservateurs qui mettraient en œuvre la vision conservatrice du Canada », a-t-il ajouté.

M. Scheer semble vouloir ramener le Canada en arrière, au temps des nominations partisanes au Sénat. En tant que membre du Parti conservateur qui siège maintenant comme sénateur indépendant (parce que j’étais trop indépendant pour le caucus conservateur du Sénat), je peux dire qu’il serait malheureux pour la démocratie canadienne qu’on revienne aux nominations partisanes au Sénat.

Le Sénat canadien est une institution unique qui se compare difficilement aux autres chambres hautes dans le monde. Quand on étudie la Constitution de 1867 et le Renvoi relatif à la réforme du Sénat (2014) de la Cour suprême du Canada, il est évident que l’objectif premier du Sénat est d’offrir un « second examen objectif » des projets de loi, servant ainsi en quelque sorte de contrepoids sur la façon dont les lois sont établies à la Chambre des communes, où la partisanerie est une caractéristique nécessaire.

Je sais par expérience que la capacité des sénateurs d’offrir un second regard objectif s’érode lorsque la partisanerie s’en mêle. Les sénateurs partisans sont portés à adopter une position par rapport à un projet de loi, sans même tenir compte des mérites de celui-ci. Trop souvent, leur objectif est de servir les intérêts politiques des collègues de leur parti à la Chambre. Autrement dit, ils votent parfois comme un simple député le ferait à la Chambre des communes.

Quand le Sénat n’est que l’ombre de lui-même et qu’il ne fait pas preuve d’initiative, les Canadiens remettent en question son utilité, et avec raison. Si le Sénat ne fait qu’imiter la partisanerie de la Chambre des communes, et que ceux du côté du gouvernement votent « oui », tandis que les autres votent « non », quelle est l’utilité de cela? En fait, c’est cette version émasculée du Sénat qui a donné l’idée du Sénat Triple E à Preston Manning, que l’ex-premier ministre Stephen Harper a tenté d’instaurer avec sa réforme. Malheureusement, la Cour suprême a mis fin à ces plans.

Maintenant, à la suite du processus de nomination indépendant plutôt efficace mis en place par les libéraux, le gouvernement Trudeau façonne un Sénat sans fibre partisane. Bien que la plupart des personnes nommées semblent partager l’idéologie du gouvernement dans une certaine mesure, l’important, c’est que les nouveaux sénateurs ne sont pas membres d’un parti politique et, par conséquent, ne reçoivent d’ordre d’aucun parti national. L’intégrité politique du Sénat est maintenue et possiblement accrue avec chaque nouvelle nomination indépendante.

Cet aspect est important à bien des égards. D’abord, l’intégrité politique se traduit en stabilité. Le retour à un Sénat pleinement partisan ne ferait probablement que raviver les chicanes intergouvernementales concernant la modification de la Constitution, puis diminuerait encore plus l’appui du public à cette institution qui est presque certainement là pour toujours.

Deuxièmement, compte tenu de la vitesse à laquelle on crée des lois empreintes de partisanerie à la Chambre des communes (projets de loi sur lesquels les députés ont peu d’influence), le Sénat agit comme un important mécanisme de contrôle de la qualité en veillant à ce que les Canadiens bénéficient des meilleures lois possible. Le gouverneur général peut ainsi, avec confiance, donner la sanction royale aux projets de loi pour qu’ils deviennent des lois, sachant qu’une chambre non partisane les a examinés et approuvés.

Troisièmement, un premier ministre ayant une majorité à la Chambre, en plus d’une majorité de sénateurs partisans à la Chambre haute, jouit d’un pouvoir quasi sans borne pour cinq ans. Par contre, un Sénat indépendant peut servir de frein dans ces circonstances. Si un chef comme Donald Trump, par exemple, devenait premier ministre dans un système comme le nôtre, j’imagine que la majorité des Canadiens voudrait une institution non partisane qui servirait de contrepoids pour les pouvoirs législatifs (et, par le même fait, exécutifs), si le besoin s’en faisait sentir.

Bien entendu, certains s’opposent à ce que le Sénat exerce ses pouvoirs de restriction. Ils craignent que le Sénat – particulièrement un Sénat indépendant – devienne un éléphant déchaîné, qui piétinerait la volonté politique de la population. Ces craintes sont, à mon avis, exagérées. Il est vrai que nous n’avons pas une grande expérience d’un Sénat indépendant, et que nous tentons toujours de comprendre comme le faire fonctionner, mais je crois que les sénateurs sont conscients des limites de leur mandat et qu’ils sont enclins à créer des règles pour structurer les débats, ou à améliorer celles en place.

Le temps nous dira si M. Scheer pourra retransformer le Sénat en institution partisane, donc un Sénat tout à fait à l’opposé du Sénat indépendant que le premier ministre tente actuellement de bâtir. Il serait malheureux qu’il le fasse. La démocratie canadienne a besoin d’une chambre haute qui fonctionne bien, libre de toute contrainte partisane. Le Sénat ne peut être une copie de la Chambre des communes. Son rôle législatif doit être distinct et utile. Toutefois, du fait qu’il n’est pas élu, le Sénat doit aussi agir avec retenue.

Le sénateur Stephen Greene représente la Nouvelle-Écosse.

Cet article a été publié le 27 juillet 2017 dans le journal The National Post (en anglais seulement).

Le 28 juin, en réponse à des questions de la journaliste de la CBC Rosemary Barton à propos de ce qu’il ferait du Sénat s’il était premier ministre, le chef conservateur, Andrew Scheer, a dit qu’il nommerait au Sénat des gens qui partagent son objectif d’abaisser les impôts et de faire croître le secteur privé. « On parle de sénateurs conservateurs qui mettraient en œuvre la vision conservatrice du Canada », a-t-il ajouté.

M. Scheer semble vouloir ramener le Canada en arrière, au temps des nominations partisanes au Sénat. En tant que membre du Parti conservateur qui siège maintenant comme sénateur indépendant (parce que j’étais trop indépendant pour le caucus conservateur du Sénat), je peux dire qu’il serait malheureux pour la démocratie canadienne qu’on revienne aux nominations partisanes au Sénat.

Le Sénat canadien est une institution unique qui se compare difficilement aux autres chambres hautes dans le monde. Quand on étudie la Constitution de 1867 et le Renvoi relatif à la réforme du Sénat (2014) de la Cour suprême du Canada, il est évident que l’objectif premier du Sénat est d’offrir un « second examen objectif » des projets de loi, servant ainsi en quelque sorte de contrepoids sur la façon dont les lois sont établies à la Chambre des communes, où la partisanerie est une caractéristique nécessaire.

Je sais par expérience que la capacité des sénateurs d’offrir un second regard objectif s’érode lorsque la partisanerie s’en mêle. Les sénateurs partisans sont portés à adopter une position par rapport à un projet de loi, sans même tenir compte des mérites de celui-ci. Trop souvent, leur objectif est de servir les intérêts politiques des collègues de leur parti à la Chambre. Autrement dit, ils votent parfois comme un simple député le ferait à la Chambre des communes.

Quand le Sénat n’est que l’ombre de lui-même et qu’il ne fait pas preuve d’initiative, les Canadiens remettent en question son utilité, et avec raison. Si le Sénat ne fait qu’imiter la partisanerie de la Chambre des communes, et que ceux du côté du gouvernement votent « oui », tandis que les autres votent « non », quelle est l’utilité de cela? En fait, c’est cette version émasculée du Sénat qui a donné l’idée du Sénat Triple E à Preston Manning, que l’ex-premier ministre Stephen Harper a tenté d’instaurer avec sa réforme. Malheureusement, la Cour suprême a mis fin à ces plans.

Maintenant, à la suite du processus de nomination indépendant plutôt efficace mis en place par les libéraux, le gouvernement Trudeau façonne un Sénat sans fibre partisane. Bien que la plupart des personnes nommées semblent partager l’idéologie du gouvernement dans une certaine mesure, l’important, c’est que les nouveaux sénateurs ne sont pas membres d’un parti politique et, par conséquent, ne reçoivent d’ordre d’aucun parti national. L’intégrité politique du Sénat est maintenue et possiblement accrue avec chaque nouvelle nomination indépendante.

Cet aspect est important à bien des égards. D’abord, l’intégrité politique se traduit en stabilité. Le retour à un Sénat pleinement partisan ne ferait probablement que raviver les chicanes intergouvernementales concernant la modification de la Constitution, puis diminuerait encore plus l’appui du public à cette institution qui est presque certainement là pour toujours.

Deuxièmement, compte tenu de la vitesse à laquelle on crée des lois empreintes de partisanerie à la Chambre des communes (projets de loi sur lesquels les députés ont peu d’influence), le Sénat agit comme un important mécanisme de contrôle de la qualité en veillant à ce que les Canadiens bénéficient des meilleures lois possible. Le gouverneur général peut ainsi, avec confiance, donner la sanction royale aux projets de loi pour qu’ils deviennent des lois, sachant qu’une chambre non partisane les a examinés et approuvés.

Troisièmement, un premier ministre ayant une majorité à la Chambre, en plus d’une majorité de sénateurs partisans à la Chambre haute, jouit d’un pouvoir quasi sans borne pour cinq ans. Par contre, un Sénat indépendant peut servir de frein dans ces circonstances. Si un chef comme Donald Trump, par exemple, devenait premier ministre dans un système comme le nôtre, j’imagine que la majorité des Canadiens voudrait une institution non partisane qui servirait de contrepoids pour les pouvoirs législatifs (et, par le même fait, exécutifs), si le besoin s’en faisait sentir.

Bien entendu, certains s’opposent à ce que le Sénat exerce ses pouvoirs de restriction. Ils craignent que le Sénat – particulièrement un Sénat indépendant – devienne un éléphant déchaîné, qui piétinerait la volonté politique de la population. Ces craintes sont, à mon avis, exagérées. Il est vrai que nous n’avons pas une grande expérience d’un Sénat indépendant, et que nous tentons toujours de comprendre comme le faire fonctionner, mais je crois que les sénateurs sont conscients des limites de leur mandat et qu’ils sont enclins à créer des règles pour structurer les débats, ou à améliorer celles en place.

Le temps nous dira si M. Scheer pourra retransformer le Sénat en institution partisane, donc un Sénat tout à fait à l’opposé du Sénat indépendant que le premier ministre tente actuellement de bâtir. Il serait malheureux qu’il le fasse. La démocratie canadienne a besoin d’une chambre haute qui fonctionne bien, libre de toute contrainte partisane. Le Sénat ne peut être une copie de la Chambre des communes. Son rôle législatif doit être distinct et utile. Toutefois, du fait qu’il n’est pas élu, le Sénat doit aussi agir avec retenue.

Le sénateur Stephen Greene représente la Nouvelle-Écosse.

Cet article a été publié le 27 juillet 2017 dans le journal The National Post (en anglais seulement).

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