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Le fiasco des avions de combat représentatif d’un système d’approvisionnement bureaucratisé : sénatrice Eaton

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Le Canada a cofondé en 1997 le Programme d’avions de combat interarmées, un consortium avec Lockheed Martin que les ÉtatsUnis dirigent pour mettre au point l’avion de combat F35. L’Australie y a adhéré cinq ans plus tard. 

Le 10 décembre 2018, deux F35 ont atterri à la base Williamstown de l’Aviation royale de l’Australie. Ils s’ajoutent aux huit autres reçus par la même armée à leur centre d’entraînement pour F35 en Arizona. L’Australie recevra 72 F-35 au total à mesure qu’elle retirera de la circulation ses F18 vieux de 35 ans d’ici la fin de 2023. 

Or, qu’en est-il du Canada qui a cofondé le Programme d’avions de combat interarmées? Le gouvernement fédéral a conclu dernièrement un marché avec l’Australie, dont il rachète 25 F18 bien usés, 18 pour le vol et sept pour les pièces de rechange. 

Alors que nous prenons possession de la ferraille de l’Australie, le Canada est au tout début d’un processus d’au moins cinq ans pour trouver le remplaçant du F18, qui aura alors plus d’une cinquantaine d’années avant d’être retiré dans les années 2030. 

Nous allons dépenser des milliards de dollars pour prolonger la durée de vie d’un avion, qui, de l’avis du vérificateur général, « sera désavantagé par rapport à plusieurs adversaires potentiels […] Les alliés du Canada devraient réduire ou éliminer les menaces qui pèsent sur le CF18 avant que celui-ci puisse fonctionner dans certains environnements, ce qui limiterait la contribution du pays dans le cadre des opérations du NORAD et de l’OTAN ». 

Le fiasco du remplacement des chasseurs constitue le plus bel exemple d’un système d’approvisionnement frappé de lourdeur, de bureaucratie et d’ingérence politique. 

Les pilotes canadiens seraient en train de se former pour les aéronefs de prochaine génération si ce n’était de la promesse mal avisée de mettre fin à l’achat de F35 faite par Justin Trudeau, alors chef du troisième parti avant les élections fédérales de 2015. Au contraire, l’Aviation royale du Canada est prise avec des chasseurs vieillissants aux capacités limitées, et les pilotes quittent l’ARC à un rythme alarmant. 

Des retards de même nature affligent le projet de 60 milliards de dollars pour remplacer les navires de guerre du Canada. Ils ont causé de fâcheuses conséquences : il y aura un intervalle au chantier naval Irving, à Halifax, entre le moment où les navires de patrouille extracôtiers de l’Arctique seront terminés et le début du projet concernant les navires de combat de surface. La situation se répète avec la construction des navires non destinés au combat dans le chantier naval Seaspan, à Vancouver. 

Ces intervalles entraînent des coûts supérieurs et une incapacité à retenir les travailleurs qualifiés. 

À mon avis, le gouvernement au pouvoir est responsable d’une partie des problèmes, surtout la mauvaise gestion des projets et la politisation du remplacement des avions de combat. Il n’en demeure pas moins que l’approvisionnement militaire a hanté des gouvernements successifs, tant libéraux que conservateurs. 

C’est pourquoi j’ai demandé au Comité sénatorial des finances nationales, auquel je siège, de se pencher sur l’approvisionnement militaire. L’étude a commencé avant Noël et prendra fin cette année. 

L’ingérence politique, aussi bien pour un avantage partisan que pour le protectionnisme régional (j’imagine que nous en entendrons parler davantage durant le procès de Mark Norman) serait en partie à blâmer. 

Le processus d’approvisionnement devrait satisfaire deux objectifs : livrer le bon équipement en temps et lieu et avec efficience aux Forces armées canadiennes ainsi que fournir des avantages industriels et technologies pour l’économie. 

J’appuie les deux objectifs. Il y a de bonnes raisons de bâtir une capacité militaro-industrielle propice au développement régional et de faire des économies pour mieux entretenir et mettre à niveau l’équipement. Il serait par contre naïf de croire que ces deux objectifs n’entrent pas parfois en conflit. 

Selon moi, la paralysie de l’approvisionnement militaire au Canada est surtout causée par sa lourdeur et sa bureaucratisation. Le processus revêt la plus grande importance, et ses résultats sont secondaires. 

Il y a une hiérarchie de comités, en fonction de la taille du projet, auxquels siègent Services publics et Approvisionnement Canada, Défense nationale et Innovation, Sciences et Développement économique Canada. 

Le processus décisionnel consensuel selon lequel les comités fonctionnent est censé éviter une grosse erreur. Il s’agit sans aucun doute d’une qualité attrayante pour une bureaucratie allergique aux risques, mais ce fonctionnement n’est pas favorable à la prise de mesures rapides. 

Autrement dit, ce n’est la faute de personne. 

Les conséquences sont claires quand on compare les objectifs que le gouvernement fédéral a énoncés dans sa politique de défense en juin 2017 « Protection, Sécurité, Engagement » avec les résultats obtenus. 

Au dernier exercice, on projetait selon la politique des dépenses en capital de 6,1 milliards de dollars, mais seulement 3,7 milliards ont été versés. À l’exercice courant, 6,55 milliards sont prévus pour la politique « Protection, Sécurité, Engagement », mais les affectations totalisent 4 milliards à ce jour. 

Vu ce triste bilan, il semble de plus en plus fantaisiste que les dépenses militaires prévues pour la politique « Protection, Sécurité, Engagement » connaissent une hausse de 70 % ces dix prochaines années. 

Les Canadiens peuvent s’attendre à de piètres résultats et à un gaspillage des fonds publics à moins que les ministres se mettent à prêter davantage attention à la gestion des grands projets ou jusqu’à ce que le processus soit repensé. 

 

L'honorable Nicole Eaton est une ancienne sénatrice. Pour plus d'information, veuillez vous référer aux Archives de la Bibliothèque du Parlement.

Cet article a été publié le 21 janvier 2019 dans le journal The Hill Times (en anglais seulement).

Le Canada a cofondé en 1997 le Programme d’avions de combat interarmées, un consortium avec Lockheed Martin que les ÉtatsUnis dirigent pour mettre au point l’avion de combat F35. L’Australie y a adhéré cinq ans plus tard. 

Le 10 décembre 2018, deux F35 ont atterri à la base Williamstown de l’Aviation royale de l’Australie. Ils s’ajoutent aux huit autres reçus par la même armée à leur centre d’entraînement pour F35 en Arizona. L’Australie recevra 72 F-35 au total à mesure qu’elle retirera de la circulation ses F18 vieux de 35 ans d’ici la fin de 2023. 

Or, qu’en est-il du Canada qui a cofondé le Programme d’avions de combat interarmées? Le gouvernement fédéral a conclu dernièrement un marché avec l’Australie, dont il rachète 25 F18 bien usés, 18 pour le vol et sept pour les pièces de rechange. 

Alors que nous prenons possession de la ferraille de l’Australie, le Canada est au tout début d’un processus d’au moins cinq ans pour trouver le remplaçant du F18, qui aura alors plus d’une cinquantaine d’années avant d’être retiré dans les années 2030. 

Nous allons dépenser des milliards de dollars pour prolonger la durée de vie d’un avion, qui, de l’avis du vérificateur général, « sera désavantagé par rapport à plusieurs adversaires potentiels […] Les alliés du Canada devraient réduire ou éliminer les menaces qui pèsent sur le CF18 avant que celui-ci puisse fonctionner dans certains environnements, ce qui limiterait la contribution du pays dans le cadre des opérations du NORAD et de l’OTAN ». 

Le fiasco du remplacement des chasseurs constitue le plus bel exemple d’un système d’approvisionnement frappé de lourdeur, de bureaucratie et d’ingérence politique. 

Les pilotes canadiens seraient en train de se former pour les aéronefs de prochaine génération si ce n’était de la promesse mal avisée de mettre fin à l’achat de F35 faite par Justin Trudeau, alors chef du troisième parti avant les élections fédérales de 2015. Au contraire, l’Aviation royale du Canada est prise avec des chasseurs vieillissants aux capacités limitées, et les pilotes quittent l’ARC à un rythme alarmant. 

Des retards de même nature affligent le projet de 60 milliards de dollars pour remplacer les navires de guerre du Canada. Ils ont causé de fâcheuses conséquences : il y aura un intervalle au chantier naval Irving, à Halifax, entre le moment où les navires de patrouille extracôtiers de l’Arctique seront terminés et le début du projet concernant les navires de combat de surface. La situation se répète avec la construction des navires non destinés au combat dans le chantier naval Seaspan, à Vancouver. 

Ces intervalles entraînent des coûts supérieurs et une incapacité à retenir les travailleurs qualifiés. 

À mon avis, le gouvernement au pouvoir est responsable d’une partie des problèmes, surtout la mauvaise gestion des projets et la politisation du remplacement des avions de combat. Il n’en demeure pas moins que l’approvisionnement militaire a hanté des gouvernements successifs, tant libéraux que conservateurs. 

C’est pourquoi j’ai demandé au Comité sénatorial des finances nationales, auquel je siège, de se pencher sur l’approvisionnement militaire. L’étude a commencé avant Noël et prendra fin cette année. 

L’ingérence politique, aussi bien pour un avantage partisan que pour le protectionnisme régional (j’imagine que nous en entendrons parler davantage durant le procès de Mark Norman) serait en partie à blâmer. 

Le processus d’approvisionnement devrait satisfaire deux objectifs : livrer le bon équipement en temps et lieu et avec efficience aux Forces armées canadiennes ainsi que fournir des avantages industriels et technologies pour l’économie. 

J’appuie les deux objectifs. Il y a de bonnes raisons de bâtir une capacité militaro-industrielle propice au développement régional et de faire des économies pour mieux entretenir et mettre à niveau l’équipement. Il serait par contre naïf de croire que ces deux objectifs n’entrent pas parfois en conflit. 

Selon moi, la paralysie de l’approvisionnement militaire au Canada est surtout causée par sa lourdeur et sa bureaucratisation. Le processus revêt la plus grande importance, et ses résultats sont secondaires. 

Il y a une hiérarchie de comités, en fonction de la taille du projet, auxquels siègent Services publics et Approvisionnement Canada, Défense nationale et Innovation, Sciences et Développement économique Canada. 

Le processus décisionnel consensuel selon lequel les comités fonctionnent est censé éviter une grosse erreur. Il s’agit sans aucun doute d’une qualité attrayante pour une bureaucratie allergique aux risques, mais ce fonctionnement n’est pas favorable à la prise de mesures rapides. 

Autrement dit, ce n’est la faute de personne. 

Les conséquences sont claires quand on compare les objectifs que le gouvernement fédéral a énoncés dans sa politique de défense en juin 2017 « Protection, Sécurité, Engagement » avec les résultats obtenus. 

Au dernier exercice, on projetait selon la politique des dépenses en capital de 6,1 milliards de dollars, mais seulement 3,7 milliards ont été versés. À l’exercice courant, 6,55 milliards sont prévus pour la politique « Protection, Sécurité, Engagement », mais les affectations totalisent 4 milliards à ce jour. 

Vu ce triste bilan, il semble de plus en plus fantaisiste que les dépenses militaires prévues pour la politique « Protection, Sécurité, Engagement » connaissent une hausse de 70 % ces dix prochaines années. 

Les Canadiens peuvent s’attendre à de piètres résultats et à un gaspillage des fonds publics à moins que les ministres se mettent à prêter davantage attention à la gestion des grands projets ou jusqu’à ce que le processus soit repensé. 

 

L'honorable Nicole Eaton est une ancienne sénatrice. Pour plus d'information, veuillez vous référer aux Archives de la Bibliothèque du Parlement.

Cet article a été publié le 21 janvier 2019 dans le journal The Hill Times (en anglais seulement).

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