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Le nouveau Sénat : Sénateur Tkachuk

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Selon l’opinion courante, le « nouveau » processus « révolutionnaire » de nomination des sénateurs fera en sorte que le Sénat pourra enfin fonctionner « comme prévu à l’origine ».

Or, ce processus de nomination n’a rien de nouveau. Par exemple, en 2012, le premier ministre Harper a créé un comité consultatif sur les nominations vice‑royales. 

Ce n’est pas non plus un processus révolutionnaire. En fait, il s’agit tout simplement d’une façon officielle de faire les choses, alors qu’avant, nous avions procédé de façon informelle. Les premiers ministres ont toujours consulté d’autres personnes pour déterminer qui devait être nommé au Sénat. Le premier ministre en poste décide qui fait partie de son comité consultatif indépendant (donc, qui il consulte) et il prend la décision finale sur qui sera recommandé pour une nomination au Sénat. 

Ce qu’on nous dit, c’est qu’en nommant uniquement des sénateurs indépendants, les libéraux éliminent la partisanerie au Sénat. Cependant, comme M. Gary O’Brien, un ancien greffier et sous‑greffier du Sénat, l’a souligné lorsqu’il a comparu devant le Comité sur la modernisation du Sénat : « Honnêtement, pendant mes 37 années d’expérience, les sénateurs votaient librement. Je ne me souviens que de très rares cas où les gens avaient un fusil à la tempe. »

Des pressions seront toujours exercées sur les sénateurs pour qu’ils votent d’une certaine façon, que ce soit par leurs collègues au sein du caucus, par les médias, par les lobbyistes ou par les électeurs. Il peut même arriver qu’un ministre appelle des sénateurs ou leur rende visite à leur bureau ou à la Chambre avant un vote important, comme ce fut le cas ce printemps. Il y aura toujours des pressions. Toutefois, le fait est que les sénateurs n’ont pas à céder sous la pression parce qu’ils sont nommés; c’est de là que vient leur indépendance.

Aujourd’hui, dans le contexte du Sénat, les gens utilisent le mot « indépendance » d’une manière inappropriée. En effet, on nous répète que pour être en mesure de faire preuve d’indépendance, les sénateurs doivent s’affranchir d’un parti. Toutefois, ce n’est pas ce que les fondateurs de notre pays avaient en tête.

La définition du mot « indépendance » sur laquelle se sont fondés John A. Macdonald et les pères fondateurs ne signifiait pas que les sénateurs devaient renoncer à être membres d’un parti, mais plutôt qu’ils tiraient leur indépendance de leur nomination. Les sénateurs étaient indépendants parce qu’ils étaient nommés à ce poste et pouvaient l’occuper jusqu’à leur décès. Personne ne pouvait les congédier.

Quel était le but? Comme Gary O’Brien l’a mentionné dans son témoignage : « Il ne faut pas oublier que le bicaméralisme n’a jamais été proposé comme la théorie du meilleur système gouvernemental. […]  L’objectif initial était plutôt d’essayer de prévenir les pires types de gouvernements. »

Le pire type de gouvernement était la tyrannie. Les pères fondateurs ont donc voulu nous protéger contre la tyrannie d’un monarque unique ou de la majorité. C’est pour cette raison que le Sénat a été établi, pour servir de contrepoids. Et c’est la nomination à vie et irrévocable des sénateurs qui leur permet de s’acquitter de ce rôle. L’objectif était de protéger les droits des minorités. 

Quelles étaient ces minorités? Elles ne sont pas celles que vous croyez. Comme l’a souligné l’historienne Janet Ajzenstat, lorsque John A. Macdonald a mentionné qu’il fallait protéger les minorités grâce au système bicaméral, il parlait des minorités politiques, c’est‑à‑dire l’opposition politique au Sénat, à la Chambre des communes et dans la population en général. Thomas Ryan, qui était membre du Conseil législatif de la province du Canada, division de Victoria, et l’un des premiers sénateurs nommés en 1867, est celui qui s’est le mieux exprimé à ce sujet : « Si les électeurs représentés dans les deux chambres sont sensiblement les mêmes, il n’y a plus de contrepoids, ou du moins il n’est plus efficace, parce que ce sont les mêmes sentiments et les mêmes tendances qui seront représentés dans une chambre autant que dans l’autre », a‑t‑il affirmé.

En février dernier, dans la publication Options politiques, Andrew Griffith a souligné (en anglais seulement) que parmi les sénateurs non affiliés nommés par le premier ministre Trudeau, il y a plus de militants que par le passé et de gens de gauche. Puisque je travaille avec eux depuis presque deux ans, je peux affirmer qu’ils sont presque tous des gens de gauche.

Sous le prétexte, selon moi, d’une erreur d’interprétation délibérée du mot « indépendance », le gouvernement Trudeau nomme des sénateurs qui ne sont peut-être pas membres de son parti. Cela dit, la plupart d’entre eux, si ce n’est la totalité, sont, comme M. Ryan l’a expliqué, des mêmes sentiments et des mêmes tendances que la majorité libérale à la Chambre.

À mon avis, ce processus de nomination est un subterfuge, qui ne peut être dissocié des efforts déployés à la Chambre par M. Trudeau, à deux reprises, afin de modifier le Règlement et d’éliminer certains outils procéduraux à la disposition de l’opposition, et de ceux, similaires, déployés par le sénateur Harder – de son propre aveu – pour éliminer l’opposition au Sénat, l’opposition Conservatrice, précisons‑le. C’est exactement pour contrer ce genre de situation que le Sénat a été créé. Il agit en quelque sorte comme une police d’assurance. 

Ce nouveau processus de nomination des sénateurs, et le nouveau Sénat, sont motivés par des considérations partisanes. Ils sont le fruit de la réflexion du Parti libéral et faisaient partie de leurs engagements électoraux en 2015. Je me suis opposé au programme électoral des libéraux en 2015 et je m’y oppose toujours aujourd’hui. Je sais qu’il est plus en vogue, pour les gens de pensées « politiquement correctes », y compris de nombreux médias nationaux, de croire qu’une nouvelle vague inévitable d’« indépendance » souffle sur le Sénat. Qu’ils ne se fassent pas trop d’illusions.


Avis aux lecteurs : L’honorable David Tkachuk a pris sa retraite du Sénat du Canada en février 2020. Apprenez-en davantage sur son travail au Parlement.

                 

Selon l’opinion courante, le « nouveau » processus « révolutionnaire » de nomination des sénateurs fera en sorte que le Sénat pourra enfin fonctionner « comme prévu à l’origine ».

Or, ce processus de nomination n’a rien de nouveau. Par exemple, en 2012, le premier ministre Harper a créé un comité consultatif sur les nominations vice‑royales. 

Ce n’est pas non plus un processus révolutionnaire. En fait, il s’agit tout simplement d’une façon officielle de faire les choses, alors qu’avant, nous avions procédé de façon informelle. Les premiers ministres ont toujours consulté d’autres personnes pour déterminer qui devait être nommé au Sénat. Le premier ministre en poste décide qui fait partie de son comité consultatif indépendant (donc, qui il consulte) et il prend la décision finale sur qui sera recommandé pour une nomination au Sénat. 

Ce qu’on nous dit, c’est qu’en nommant uniquement des sénateurs indépendants, les libéraux éliminent la partisanerie au Sénat. Cependant, comme M. Gary O’Brien, un ancien greffier et sous‑greffier du Sénat, l’a souligné lorsqu’il a comparu devant le Comité sur la modernisation du Sénat : « Honnêtement, pendant mes 37 années d’expérience, les sénateurs votaient librement. Je ne me souviens que de très rares cas où les gens avaient un fusil à la tempe. »

Des pressions seront toujours exercées sur les sénateurs pour qu’ils votent d’une certaine façon, que ce soit par leurs collègues au sein du caucus, par les médias, par les lobbyistes ou par les électeurs. Il peut même arriver qu’un ministre appelle des sénateurs ou leur rende visite à leur bureau ou à la Chambre avant un vote important, comme ce fut le cas ce printemps. Il y aura toujours des pressions. Toutefois, le fait est que les sénateurs n’ont pas à céder sous la pression parce qu’ils sont nommés; c’est de là que vient leur indépendance.

Aujourd’hui, dans le contexte du Sénat, les gens utilisent le mot « indépendance » d’une manière inappropriée. En effet, on nous répète que pour être en mesure de faire preuve d’indépendance, les sénateurs doivent s’affranchir d’un parti. Toutefois, ce n’est pas ce que les fondateurs de notre pays avaient en tête.

La définition du mot « indépendance » sur laquelle se sont fondés John A. Macdonald et les pères fondateurs ne signifiait pas que les sénateurs devaient renoncer à être membres d’un parti, mais plutôt qu’ils tiraient leur indépendance de leur nomination. Les sénateurs étaient indépendants parce qu’ils étaient nommés à ce poste et pouvaient l’occuper jusqu’à leur décès. Personne ne pouvait les congédier.

Quel était le but? Comme Gary O’Brien l’a mentionné dans son témoignage : « Il ne faut pas oublier que le bicaméralisme n’a jamais été proposé comme la théorie du meilleur système gouvernemental. […]  L’objectif initial était plutôt d’essayer de prévenir les pires types de gouvernements. »

Le pire type de gouvernement était la tyrannie. Les pères fondateurs ont donc voulu nous protéger contre la tyrannie d’un monarque unique ou de la majorité. C’est pour cette raison que le Sénat a été établi, pour servir de contrepoids. Et c’est la nomination à vie et irrévocable des sénateurs qui leur permet de s’acquitter de ce rôle. L’objectif était de protéger les droits des minorités. 

Quelles étaient ces minorités? Elles ne sont pas celles que vous croyez. Comme l’a souligné l’historienne Janet Ajzenstat, lorsque John A. Macdonald a mentionné qu’il fallait protéger les minorités grâce au système bicaméral, il parlait des minorités politiques, c’est‑à‑dire l’opposition politique au Sénat, à la Chambre des communes et dans la population en général. Thomas Ryan, qui était membre du Conseil législatif de la province du Canada, division de Victoria, et l’un des premiers sénateurs nommés en 1867, est celui qui s’est le mieux exprimé à ce sujet : « Si les électeurs représentés dans les deux chambres sont sensiblement les mêmes, il n’y a plus de contrepoids, ou du moins il n’est plus efficace, parce que ce sont les mêmes sentiments et les mêmes tendances qui seront représentés dans une chambre autant que dans l’autre », a‑t‑il affirmé.

En février dernier, dans la publication Options politiques, Andrew Griffith a souligné (en anglais seulement) que parmi les sénateurs non affiliés nommés par le premier ministre Trudeau, il y a plus de militants que par le passé et de gens de gauche. Puisque je travaille avec eux depuis presque deux ans, je peux affirmer qu’ils sont presque tous des gens de gauche.

Sous le prétexte, selon moi, d’une erreur d’interprétation délibérée du mot « indépendance », le gouvernement Trudeau nomme des sénateurs qui ne sont peut-être pas membres de son parti. Cela dit, la plupart d’entre eux, si ce n’est la totalité, sont, comme M. Ryan l’a expliqué, des mêmes sentiments et des mêmes tendances que la majorité libérale à la Chambre.

À mon avis, ce processus de nomination est un subterfuge, qui ne peut être dissocié des efforts déployés à la Chambre par M. Trudeau, à deux reprises, afin de modifier le Règlement et d’éliminer certains outils procéduraux à la disposition de l’opposition, et de ceux, similaires, déployés par le sénateur Harder – de son propre aveu – pour éliminer l’opposition au Sénat, l’opposition Conservatrice, précisons‑le. C’est exactement pour contrer ce genre de situation que le Sénat a été créé. Il agit en quelque sorte comme une police d’assurance. 

Ce nouveau processus de nomination des sénateurs, et le nouveau Sénat, sont motivés par des considérations partisanes. Ils sont le fruit de la réflexion du Parti libéral et faisaient partie de leurs engagements électoraux en 2015. Je me suis opposé au programme électoral des libéraux en 2015 et je m’y oppose toujours aujourd’hui. Je sais qu’il est plus en vogue, pour les gens de pensées « politiquement correctes », y compris de nombreux médias nationaux, de croire qu’une nouvelle vague inévitable d’« indépendance » souffle sur le Sénat. Qu’ils ne se fassent pas trop d’illusions.


Avis aux lecteurs : L’honorable David Tkachuk a pris sa retraite du Sénat du Canada en février 2020. Apprenez-en davantage sur son travail au Parlement.

                 

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