Projet de loi sur le Mois national de l'immigration
Deuxième lecture--Ajournement du débat
24 septembre 2024
Propose que le projet de loi S-286, Loi instituant le Mois national de l’immigration, soit lu pour la deuxième fois.
— Chers collègues, je prends parole à partir du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe. Cette reconnaissance territoriale est très importante dans le cadre de ce projet de loi. En effet, il est capital de rappeler, encore et toujours, la présence des peuples autochtones sur le territoire actuel du Canada, et ce, depuis des temps immémoriaux.
En juin dernier, j’ai eu l’honneur de déposer mon premier projet de loi, le projet de loi S-286, Loi instituant le Mois national de l’immigration. C’est donc avec une émotion certaine que je m’exprime devant vous aujourd’hui au sujet de cette initiative. Elle se réfère à mon propre parcours de vie, à celui de plusieurs d’entre vous ici dans cette illustre enceinte et à celui de millions d’autres, des millions de compatriotes venus de partout, de toutes les régions du monde, pour enrichir notre pays de leur expérience et de leur contribution à notre histoire.
Permettez-moi de commencer par une anecdote, une petite scène de vie dont j’ai été témoin lors d’une soirée de gala à Montréal. En fait, elle est même à l’origine du projet de loi dont je vais vous parler aujourd’hui.
Mon mari et moi avions engagé une discussion avec une invitée durant le cocktail de réseautage qui précédait un gala de collecte de fonds. Apparemment surprise d’entendre mon mari parler un excellent français, la dame à qui l’on s’adressait lui a demandé d’où nous venions. Malicieux, mon mari a feint de ne pas comprendre le sens de sa question et lui a répondu, avec un brin d’humour, qu’il venait de Laval.
Devant le regard perplexe de la dame, qui ne semblait pas comprendre et qui n’était pas satisfaite de sa réponse, il a finalement révélé qu’il était d’origine camerounaise et il a posé la même question en retour. Très confuse, la dame lui a demandé ce qu’il voulait dire.
Mon mari lui a gentiment rappelé qu’à sa connaissance, à l’exception des peuples autochtones, tous les autres Canadiens sont venus d’ailleurs. Il lui a suggéré de s’informer auprès de ses parents et grands-parents pour connaître la provenance de leurs ancêtres, de ses ancêtres. Cette scène de vie et cette interrogation sont très fréquentes et fort révélatrices. Elles m’ont incitée à formuler le rappel de notre histoire commune comme « venus d’ailleurs » et à le faire au moyen d’un projet de loi.
Tenant en trois articles, le texte de ce projet de loi est fort simple. Son objectif l’est tout autant. Il s’agit de célébrer annuellement, par un mois qui lui est consacré, le rôle essentiel de l’immigration dans la construction de notre pays.
Le Canada a été façonné par ses immigrants et immigrantes. Ils et elles ont bâti le pays que nous chérissons aujourd’hui. Elles et ils ont bâti notre pays, qui suscite l’admiration dans le monde. Quel que soit le domaine retenu, force est de constater le rôle déterminant des immigrants dans les réalisations qui font notre fierté.
Je donnerai ici cinq exemples de ces immigrants et fiers Canadiens qui ont contribué à écrire l’histoire récente de notre pays et dont nous sommes très fiers.
Jean Augustine, originaire de la Grenade, a été la première femme noire élue au Parlement canadien. Elle a été la première femme noire canadienne à occuper le poste de ministre fédérale de la Couronne. Elle a joué un rôle crucial dans la reconnaissance officielle du Mois de l’histoire des Noirs au Canada.
Dany Laferrière, écrivain et académicien né en Haïti, a enrichi la littérature québécoise et canadienne avec ses œuvres. Il est membre de l’Académie française, ce qui contribue au rayonnement culturel du Canada.
Abdoulaye Baniré Diallo, né au Sénégal, est un professeur de bio-informatique et d’intelligence artificielle de renom à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il a été lauréat du Next Einstein Forum en 2018. M. Diallo est aussi impliqué dans le développement de la politique nationale de recherche et d’innovation.
De son côté, Gerhard Herzberg a été, selon le Conseil national de recherches du Canada, « l’un des plus grands esprits scientifiques du Canada ». Né en Allemagne, il a fui avec sa femme les persécutions de l’Allemagne nazie et est arrivé au Canada en 1935. En 1971, il a reçu le prix Nobel de chimie pour sa contribution à la connaissance de la structure électronique et de la géométrie des molécules.
D’origine grecque, Mike Lazaridis a quitté la Türkiye pour le Canada. Il a marqué le secteur des communications grâce à sa célèbre invention, le BlackBerry, ce téléphone portable qui a connu une renommée mondiale dans les années 2000.
Chers collègues, ces contributions doivent être pleinement reconnues et célébrées, et justice doit être rendue à ceux et celles qui les ont réalisées. C’est là une manière directe et efficace de favoriser l’intégration et la rétention des nouvelles générations d’immigrants.
Avant d’aborder en détail les motifs qui m’ont amenée à proposer que le Canada se dote d’un Mois national de l’immigration, j’aimerais tout d’abord faire une mise au point.
En effet, il ne vous aura pas échappé que notre politique migratoire fait l’objet de nombreux débats qui résonnent quasi quotidiennement dans l’actualité. Certains de ces débats sont utiles, voire nécessaires. D’autres se rapprochent dangereusement de théories de rejet et d’exclusion qui n’ont pas leur place dans notre pays. En tant que fière Québécoise et Canadienne issue de l’immigration, je ne vous cacherai pas que je me sens interpellée et que je suis très inquiète des discours extrémistes xénophobes actuels qui tendent vers un rejet total de toute forme d’immigration. Les partisans de cette ligne dure insinuent dangereusement que les immigrants sont en grande partie responsables des problèmes économiques et sociaux de notre pays.
Je tiens à rappeler que notre pays a été bâti par des vagues successives d’immigrants. Aujourd’hui encore, l’immigration est essentielle pour répondre aux défis démographiques et économiques auxquels nous faisons face. Le vieillissement de la population canadienne et les besoins croissants en main-d’œuvre qualifiée rendent l’immigration plus nécessaire que jamais.
Cependant, l’intégration de ces nouveaux arrivants doit être une priorité absolue. Cela exige des efforts tant de la part des nouveaux arrivants que de la société d’accueil. Il faut aider ces nouveaux arrivants à s’adapter à leur nouvel environnement et leur apprendre la langue et les coutumes locales, tout en leur permettant de conserver leur identité. Ce processus prend du temps, mais il est réalisable et bénéfique pour tous.
Il est aussi impératif, chers collègues, de mettre tout le monde en garde contre les politiques xénophobes qui cherchent à diviser. Le Canada doit rester un exemple de tolérance et d’inclusion.
En accueillant les immigrants et en facilitant leur intégration, nous renforçons notre société et assurons un avenir prospère pour tous. Toutefois, nous devons aussi investir pour mieux accueillir, retenir et assurer la prospérité économique de nos nouveaux arrivants. De même, nous devons investir dans la sécurisation de nos frontières et punir sévèrement ceux qui sont impliqués dans le trafic d’immigrants.
Chers collègues, l’immigration n’est pas notre problème, comme certains le répètent tristement. Au contraire, elle est notre histoire ancienne et récente, notre levier pour l’avenir.
Mon projet de loi ne vise pas à appeler à accueillir plus ou moins d’immigrants au Canada ou à prendre parti pour tel ou tel élément de la politique migratoire. Il se situe à un tout autre niveau et se place dans la ligne du temps.
Ce projet se réfère aux générations successives d’immigrants dans notre pays, ceux qui ont contribué à son essor dans les domaines évoqués précédemment. Ces générations ont développé le Canada comme société multiculturelle à l’image du monde.
L’objectif principal de ce projet de loi est donc de rappeler à tous les Canadiens que nous sommes presque tous venus d’ailleurs, à différentes époques.
Sans être une historienne, je vais me permettre ici de vous présenter les différentes vagues migratoires dans notre pays. Tout d’abord, il est indispensable de reconnaître que le Canada n’était pas vierge et inhabité lorsque les Européens y sont venus pour la première fois, voilà plus de cinq siècles. On a utilisé, à tort, le mot « découverte » pour qualifier cette arrivée.
En effet, en parlant de découverte, il y a une nuance à apporter. Selon une étude parue en 2021 dans la revue scientifique Nature, il a été prouvé que les Vikings étaient présents à Terre-Neuve dès 1021. Il s’est avéré aussi que les peuples autochtones, qu’on estimait alors entre 350 000 et 500 000 personnes — quoique certaines estimations parlent même de 2 millions —, ont eu des contacts avec les Vikings à cette époque.
Selon l’Encyclopédie canadienne, un courant majoritaire estime que les premières vagues d’immigration en provenance du nord-est de l’Asie sont arrivées ici entre 30 000 et 13 500 ans avant notre ère.
Dès 1604, les explorateurs français Pierre Dugua de Mons et Samuel de Champlain fondent les premiers établissements européens. En 1608, Champlain fonde la ville de Québec. Par la suite, les colons français peuplent progressivement ce qui est alors appelé la « Nouvelle-France ».
Selon l’Encyclopédie canadienne, de 1535 à 1763, on estime à environ 10 000, y compris 2 000 femmes, le nombre de Français qui se sont établis en Nouvelle-France.
En 1763, lorsque la Grande-Bretagne prend le contrôle de la région, la population a atteint 70 000 personnes. Elle sera complétée par l’arrivée d’un grand nombre d’Américains loyaux à la Couronne britannique.
Au XIXe siècle, une immigration nombreuse, particulièrement européenne, arrive au Canada. Elle est composée majoritairement d’Irlandais, dont l’arrivée est considérée comme étant la première grande vague d’immigration, après celles des Français et des Américains.
À la création de la Confédération en 1867, la population du Canada compte un total de 3,6 millions de personnes, dont 1 million sont les descendants des immigrants français et 2,1 millions sont les descendants des immigrants américains, soit les loyalistes, britanniques et irlandais.
Le besoin d’occuper les terres, notamment celles de l’Ouest, et la relative faiblesse numérique de sa population conduisent le Canada à considérer l’immigration comme un moteur essentiel de développement du pays.
Cependant, il s’agira d’une immigration très sélective dont les Asiatiques et les Noirs seront exclus. Il faudra attendre après la Seconde Guerre mondiale pour que les lois discriminatoires et restrictives soient progressivement remplacées par des lois d’application générale.
Cette grande migration crée de fortes tensions avec les peuples autochtones, dont les Métis et les Premières Nations, qui feront l’objet de déplacements forcés de leurs terres. Cette crise culmine en 1885 avec la rébellion du Nord-Ouest.
À cette période, selon le guide Découvrir le Canada, on estime qu’un million de Britanniques et un million d’Américains immigrent au Canada.
Par la suite, une immigration de plus en plus diversifiée fait son apparition pour faire face aux défis d’aménagement du pays. Présents dans divers secteurs stratégiques comme les industries, les mines ou la construction, ces immigrants sont les architectes de ce nouveau pays qu’est le Canada.
Tout au long du XXe siècle, l’immigration au Canada poursuit sur sa lancée, notamment à l’Ouest. Ces immigrants contribueront à faire des Prairies la puissante région agricole qu’elle est toujours aujourd’hui.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le pays devient attrayant pour les Européens du Sud, qui traversent des moments de grandes difficultés. Ils vont notamment construire le cœur de nos principales villes.
Le Canada devient progressivement une terre d’accueil. Il met fin à ses lois et règlements discriminatoires et reçoit successivement des demandeurs d’asile fuyant les États parias et les déplacés de guerre. Un grand nombre provient de l’Europe de l’Est et de l’Asie du Sud-Est. Ce soudain afflux pousse le Canada à innover en matière de politique de l’immigration.
C’est ainsi que sera mis en place le premier Programme de parrainage privé de réfugiés, grâce auquel plus de 50 % des réfugiés vietnamiens, cambodgiens et laotiens sont accueillis au Canada.
Ce faisant, dès le début des années 1960, selon le guide Découvrir le Canada, on estime que le tiers des Canadiens ont une origine autre que britannique ou française.
Les vagues migratoires successives des XIXe et XXe siècles ont progressivement contribué à la montée d’une société multiculturelle dans notre pays, qui compte la proportion la plus élevée d’immigrants parmi les pays du G7.
En effet, selon Statistique Canada, en 2021, plus de 8,3 millions de personnes, soit près du quart de la population, étaient ou avaient déjà été des immigrants reçus ou des résidents permanents au Canada. On parle ici de 23 % de la population du pays.
L’organisme souligne qu’il s’agit, et je cite : « […] de la plus forte proportion depuis la création de la Confédération, dépassant le sommet précédent atteint en 1921 (22,3 %) […] ».
Plus encore, étant donné que la population canadienne vieillit peu à peu et que son taux de natalité reste inférieur au taux de renouvellement de la population, l’immigration constitue dorénavant le principal moteur démographique du pays.
En 2041, selon les projections de Statistique Canada, les immigrants pourraient ainsi représenter de 29,1 % à 34,0 % de la population du Canada.
Chers collègues, à travers cette brève rétrospective de l’histoire de la population canadienne, j’ai voulu vous démontrer une seule chose : à diverses époques, nous sommes tous et toutes venus d’ailleurs, à l’exception des peuples autochtones. Il y a mille ans, cinq siècles, quatre générations, trois décennies, un mois ou une semaine, nous sommes tous venus d’ailleurs.
Toutefois, nous ne devons jamais oublier que ce processus de peuplement du pays et d’occupation du territoire a, bien souvent, conduit à une dépossession des cultures, des langues, des traditions et des terres des peuples autochtones.
Ainsi, notre pays est le fruit des espoirs et des rêves de millions d’immigrants venus des quatre coins du monde pour construire une vie meilleure. Malheureusement, pour les peuples autochtones, il s’est agi d’une entreprise d’effacement tragique de leurs droits et de leurs biens matériels et immatériels.
Ces deux réalités sont les deux faces d’une même pièce. Elles constituent notre histoire. Elles nous créent une exigence de justice, de réparation, de compensations, et aussi un devoir de mémoire qu’il nous faut partager avec les générations futures.
Une autre raison a motivé la présentation de ce projet de loi. Il s’agit de la multiplication des motions et des lois concernant la célébration du patrimoine de telle ou telle communauté vivant au Canada. Indéniablement, le but poursuivi par ces diverses initiatives est légitime et procède d’ailleurs du même constat que le mien : la nécessité de mettre en valeur les contributions inestimables des immigrants à notre pays.
Je vois le Mois national de l’immigration comme une prise de conscience utile, en ce temps où certains n’hésitent pas à tenir les immigrants responsables de certaines situations sociales complexes et difficiles. Il pourrait agir comme une vitrine, une occasion pour tous nos groupes d’origine immigrante de faire valoir leurs contributions et de faire rayonner leurs communautés.
En rassemblant les nouvelles célébrations, ce mois national, loin de les diluer, agirait comme une tribune. De même, il offrirait un espace commun pour souligner la richesse des apports de tous les immigrants, quelles que soient la taille et l’importance de leur communauté.
Chers collègues, j’ai pu mesurer à quel point l’instauration du Mois national de l’immigration recevait l’appui de très nombreux groupes auxquels j’ai eu la chance de présenter le projet de loi. En effet, le 15 mai dernier, mon équipe et moi avons organisé une table de concertation afin de recueillir l’avis des organisations représentant les intérêts des immigrants.
Nous avons ainsi contacté et réuni une trentaine d’organisations et les avons invitées à donner leur avis sur l’initiative que je porte. Au cours de cette séance très fructueuse, nous avons reçu les commentaires de parties prenantes qui viennent de l’ensemble du pays et représentent les plus importantes communautés immigrantes. Le message que nous avons reçu est sans appel : toutes ces parties prenantes ont confirmé leur soutien à un projet de loi instituant le Mois national de l’immigration.
Bien sûr, cette consultation n’avait pas l’ambition d’être exhaustive, mais elle avait le mérite de réaliser un sérieux coup de sonde sur la réception que réserveraient les organisations concernées au projet de loi que nous étudions.
Nous avons aussi poursuivi nos consultations au cours de l’été, cette fois par téléphone. J’ai aussi interrogé mes interlocuteurs sur le mois qui devrait être choisi pour concrétiser cette initiative. Un certain consensus s’est dégagé sur le mois de novembre. En effet, le choix de ce mois s’avère pertinent à plusieurs égards.
Tout d’abord, on tient déjà au mois de novembre la Semaine nationale de l’immigration francophone, qui, selon le site Web des organisateurs :
[...] rassemble des milliers de francophones des quatre coins du pays, pour célébrer la richesse de la diversité culturelle et l’apport des immigrants et immigrantes dans les collectivités francophones et acadiennes.
Ensuite, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui établit les notions et principes fondamentaux en matière d’immigration et de protection des réfugiés, a reçu la sanction royale le 1er novembre 2001. Je tiens à rappeler le caractère central de cette loi qui encadre la politique migratoire moderne du Canada.
En faisant un survol historique des étapes charnières de cette loi, j’aimerais vous montrer en quoi elle est si importante. La politique migratoire que nous connaissons aujourd’hui, qui est fondée sur des principes objectifs et universels, n’a pas toujours figuré dans les normes canadiennes.
Durant une longue période de notre histoire, la politique migratoire canadienne s’est concentrée sur une immigration blanche, de préférence en provenance de l’Empire britannique, de l’Europe centrale et des États-Unis. Toutefois, en réponse à la demande criante de main-d’œuvre, le gouvernement a établi une liste de « colons idéaux par ordre décroissant de préférence ». Je cite textuellement l’Encyclopédie canadienne :
Les agriculteurs britanniques et américains sont suivis des Français, des Belges, des Hollandais, des Scandinaves, des Suisses, des Finlandais, des Russes, des Austro-Hongrois, des Allemands, des Ukrainiens et des Polonais. Tout près du bas de la liste viennent ensuite ceux qui, dans l’esprit du public et du gouvernement, sont moins assimilables et moins désirables, c’est-à-dire les Italiens, les Slaves du Sud, les Grecs et les Syriens. En dernier se trouvent les Juifs, les Asiatiques, les Roms et les Noirs.
Comme vous pouvez le constater, chers collègues, c’est peu dire que les critères d’immigration de l’époque étaient discriminatoires. De plus, les candidats à l’immigration non blancs se sont même vu refuser l’entrée au pays pour des motifs racistes.
Par exemple, en 1911, le Canada a interdit presque totalement l’immigration des Noirs. Ils n’étaient d’ailleurs pas les seuls concernés, car déjà en 1885, les immigrants chinois avaient été sommés de payer une taxe spéciale. Pire encore, on leur a quasiment refusé l’entrée sur le territoire canadien en 1923. L’immigration en provenance du Japon et de l’Inde a été, elle aussi, fortement restreinte à cette époque.
En 1919, par l’intermédiaire d’une loi sur l’immigration révisée, le gouvernement a interdit l’accès au territoire canadien à certains groupes comme les communistes, les mennonites et les doukhobors. De surcroît, on a réservé le même sort aux gens originaires de pays ayant combattu le Canada pendant la Première Guerre mondiale.
Les motifs religieux ont été également utilisés dans le but d’exclure des groupes d’individus spécifiques. Ainsi, en 1939, les réfugiés juifs fuyant l’Allemagne nazie à bord du paquebot MS Saint Louis se sont vu refuser l’entrée au Canada.
L’interdiction formelle de l’immigration chinoise a été levée en 1947. D’ailleurs, le 22 juin 2006, le premier ministre Stephen Harper a présenté officiellement ses excuses pour la taxe d’entrée imposée de 1885 à 1923 et la politique d’exclusion en vigueur de 1923 à 1947.
La politique migratoire canadienne s’est modernisée en 1967, avec l’adoption d’un système de pointage permettant de classer les immigrants en fonction de leur admissibilité. La couleur de peau ou la nationalité n’ont plus été utilisées comme critères de sélection des immigrants. On privilégiait désormais les aptitudes linguistiques, comme la maîtrise de la langue anglaise ou de la langue française, le niveau de scolarité, les compétences professionnelles et les liens familiaux, ce qui a pavé la voie au système d’immigration que nous connaissons aujourd’hui.
Toutefois, bien que le Canada soit signataire de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés des Nations unies et de son protocole de 1967, il n’y aura pas de programme encadrant les demandes de statut de réfugiés au Canada. Chaque demande est toujours étudiée au cas par cas.
La Loi sur l’immigration de 1976 représente une modification radicale en la matière. Elle énonce pour la première fois des objectifs clairement définis pour la politique migratoire canadienne et des priorités, comme le regroupement familial, la diversité et la non-discrimination. Elle protège désormais les réfugiés comme un groupe distinct d’immigrants dans le droit canadien et contraint le gouvernement à respecter ses obligations en vertu des accords internationaux.
En 1979, le fameux programme de parrainage privé est lancé. Unique en son genre, il a permis, en une quarantaine d’années d’existence, d’accueillir plus de 327 000 réfugiés au Canada. Bien que perfectible, il demeure aujourd’hui l’une des grandes réussites de la politique migratoire canadienne.
En 1980, on crée cinq catégories pour immigrer au Canada : les indépendants, c’est-à-dire les personnes présentant leur propre demande; les immigrants humanitaires, c’est-à-dire les réfugiés et les personnes persécutées ou déplacées; les immigrants familiaux, c’est-à-dire ceux qui ont de la famille immédiate vivant déjà au Canada; les parents aidés, c’est-à-dire les parents éloignés parrainés par un membre de la famille au Canada; enfin, les immigrants économiques, c’est-à-dire les personnes ayant des compétences professionnelles très recherchées ou celles qui sont prêtes à ouvrir une entreprise ou à investir de manière importante dans l’économie canadienne.
Finalement, le 1er novembre 2001, la Loi sur l’immigration de 1976 est remplacée par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La nouvelle loi maintient une part substantielle des principes et des politiques de la précédente, notamment les différentes catégories d’immigrants. En outre, elle étend la catégorie « famille » pour inclure les couples homosexuels et les unions de fait. Cette loi est la pierre angulaire de la politique migratoire canadienne actuelle.
La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui a été adoptée le 1er novembre 2001, représente un argument supplémentaire en faveur d’un Mois national de l’immigration qui pourrait avoir lieu chaque année au mois de novembre. J’ajouterais aussi que ce mois est propice à l’organisation d’activités parlementaires, car il correspond le plus souvent à des périodes où la Chambre des communes et le Sénat siègent. De plus, en dehors du jour du Souvenir, le calendrier événementiel du Parlement est relativement peu chargé, ce qui permet de tenir d’autres célébrations nationales.
Ce Mois national de l’immigration serait sans aucun doute l’occasion de mettre de l’avant les contributions de nos communautés immigrantes. Le milieu fédéral a un rôle important à jouer dans ces célébrations : on peut d’abord penser à Patrimoine canadien, puis à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et enfin, bien entendu, à notre Parlement. Nous devons aussi donner une place et une visibilité à nos communautés immigrantes. Leur implication dans les communautés mérite d’être davantage connue et reconnue.
Chers collègues, je souhaiterais vous dire un mot sur mon propre parcours d’immigrante, si le temps me le permet. Je suis née à Bafia, dans un petit village sans eau ni électricité, au Cameroun. J’étais la 18e d’une fratrie de 19 enfants, dont 6 filles. Je suis la seule de ces filles qui a eu la chance de fréquenter l’école. Je suis également la seule qui a immigré au Canada, en 1986, grâce à mon mari, un boursier de la défunte Agence canadienne de développement international (ACDI).
Mon mari devait retourner au Cameroun après avoir obtenu son doctorat en communication pour enseigner à l’École supérieure internationale de journalisme de Yaoundé, mais après sa soutenance de thèse, nous avons choisi de rester au Canada afin de donner de meilleures conditions de vie à nos quatre enfants, dont trois sont nés ici. Aujourd’hui, à travers les différentes initiatives entrepreneuriales de ma famille, je peux fièrement affirmer que nous contribuons tous à la prospérité de notre pays.
Par mon récit, vous avez pu constater que le Canada est fondamentalement une terre d’immigration. Cette immigration a façonné le pays que nous connaissons aujourd’hui. Cette réalité a d’ailleurs été saluée de manière non partisane au cours des dernières décennies par de nombreux premiers ministres aux couleurs politiques différentes. Ainsi, le très honorable Stephen Harper affirmait, dans un article du Globe and Mail publié en 2012, et je cite :
Le gouvernement est persuadé que le Canada a besoin de l’immigration, que l’immigration est avantageuse pour le pays et que ces besoins et ces avantages n’en deviendront que plus grands dans le futur si nous faisons bien les choses.
Honorables collègues, la reconnaissance d’un mois consacré à l’immigration enverrait un puissant message à tous les Canadiens et à la communauté internationale.
Ce projet de loi nous permettra de rendre hommage aux bâtisseurs de notre pays, de célébrer notre héritage commun et de continuer à démontrer notre engagement à l’égard de ces valeurs que sont l’inclusion, la diversité et le respect mutuel. Les immigrants sont le passé, le présent et l’avenir du Canada.
C’est pourquoi je vous exhorte, honorables sénateurs, à voter sans délai en faveur du projet de loi C-286, qui vise à instituer le mois de novembre comme Mois national de l’immigration au Canada.
Pour ce faire, je crois sincèrement que vos contributions à ce débat seraient très précieuses, notamment en répondant aux questions suivantes : quelle est votre histoire personnelle d’immigration, c’est-à-dire vos origines? De quelle manière votre communauté a-t-elle participé à l’édification du Canada que nous connaissons aujourd’hui? Que faire pour améliorer notre vivre-ensemble et changer certains regards sur l’immigration?
Je vous remercie de votre attention.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui afin d’appuyer le projet de loi S-286, Loi instituant le Mois national de l’immigration. Étant moi-même issue de l’immigration, vous comprendrez que ce sujet me touche profondément. Je remercie la sénatrice Gerba d’avoir présenté ce projet de loi qui nous aide à nous souvenir de notre histoire et de nos origines et à envisager l’avenir avec espoir.
Au Canada, les vagues migratoires ont commencé en 1021 à l’endroit que nous appelons maintenant Terre-Neuve-et-Labrador, comme l’a si bien décrit la sénatrice Gerba dans son historique de l’immigration. Plus près de nous, la vague migratoire des Haïtiens s’est déroulée au cours des années 1960 et 1970. Fuyant les crises politiques et économiques en Haïti sous la dictature de Duvalier, ces hommes et ces femmes sont venus chercher un avenir meilleur. Ils ont apporté avec eux une richesse culturelle et des compétences uniques dont le Canada francophone avait besoin à ce moment-là.
Bon nombre de leurs réalisations sont documentées dans un ouvrage publié en 2007 qui s’intitule Ces Québécois venus d’Haïti. Parmi les réalisations notables présentées dans ce livre, nous retrouvons notamment, dans le secteur de la santé, la Dre Yvette Bonny, qui a réalisé en 1980 la première greffe de moelle osseuse chez un enfant et a été une pionnière dans toutes les questions liées à la maladie falciforme au Québec.
Dans le secteur de l’éducation, il y a le professeur Patrick Paultre, qui a établi au Canada le plus grand programme de recherche sur le comportement des éléments structuraux en béton haute performance sous charge sismique.
Dans le domaine sportif, Bruny Surin a participé à de nombreuses compétitions internationales prestigieuses, dont les Jeux olympiques de Séoul en 1988, et il a remporté la médaille d’or du 400 mètres en 1996. Il a également été chef de mission de l’équipe canadienne aux Jeux olympiques de 2024 à Paris.
Dans le secteur de l’ingénierie, Maxime Dehoux a reçu le prix du mérite de l’Association des ingénieurs-conseils du Canada et de la revue Canadian Consulting Engineer pour sa contribution à la construction de l’Observatoire astronomique Canada-France-Hawaï. Cette liste, bien que non exhaustive, illustre à quel point leur contribution exceptionnelle continue d’enrichir notre tissu socioculturel.
Ce livre évoque également mon propre parcours. Étant arrivée au Canada le 26 novembre 1976, comme de nombreux professionnels immigrants, j’ai dû faire face à la non-reconnaissance de mon diplôme de médecine. Une fois que j’ai franchi cet obstacle et après avoir obtenu ma licence du Conseil médical du Canada en 1981, j’ai pu innover dans les activités de formation continue en développant un programme axé sur les soins médicaux à domicile. Ceci a conduit à la rédaction d’un livre sur le même sujet, à la création d’une maison de soins palliatifs pour la communauté lavalloise et à mon engagement dans des activités associatives médicales. Aujourd’hui, pour moins d’un an encore, je poursuis mon engagement à servir en votre compagnie, au Sénat du Canada.
Pourquoi est-il nécessaire de consacrer un mois à l’immigration?
C’est la question clé à laquelle nous allons répondre. Avant de vous l’expliquer, permettez-moi de faire un bref rappel de certains termes clés du lexique de l’immigration. Il y a les termes suivants : migration, immigration, émigration, réfugiés et travailleurs temporaires. Ce sont des termes souvent mal compris et mal interprétés. Selon Statistique Canada, la migration désigne ce qui suit, et je cite : « Déplacement des individus d’une population, accompagné d’un changement de résidence habituelle. »
Cette migration peut être intraprovinciale, interprovinciale ou internationale. L’immigration désigne l’entrée de personnes provenant d’un autre pays. Toute personne immigrante a d’abord émigré de quelque part, émigré d’un autre pays. Cela va de soi.
L’autre terme qui mérite une attention particulière est celui de réfugié. Au sens du droit international, la Convention de Genève de 1951 définit le terme « réfugié » comme une personne qui laisse son pays par crainte fondée d’être persécutée. Cette personne cherche refuge dans un autre pays. Elle ne bénéficie pas de la protection de son pays d’origine.
Donc, lorsqu’une personne entame une procédure de demande d’asile, elle ne peut pas être qualifiée de « migrant illégal »; c’est un terme qui a été souvent utilisé à tort dans les grands débats sur les migrants qui empruntaient le chemin Roxham. Je crois que vous en avez souvent entendu parler. Le terme approprié est « migrants en situation irrégulière », ou « migrants irréguliers ».
Enfin, il y a également les travailleurs temporaires, recrutés par des entreprises pour pallier la pénurie de main-d’œuvre dans divers secteurs au Canada.
Lors des séances publiques du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, sciences et technologie, qui étudiait la question de la main-d’œuvre temporaire et migrante au Canada, plusieurs employeurs ont parlé de la nécessité de recourir à ces travailleurs. Par exemple, dans son mémoire, la Nova Scotia Seafood Alliance a expliqué que, sans les travailleurs temporaires, le principal défi serait de trouver suffisamment de personnes des régions environnantes prêtes à occuper des emplois saisonniers. D’autres entreprises ont validé ces propos.
Pour clore cette partie lexicale de mon discours, gardez bien à l’esprit ces définitions, car elles nous aident à comprendre les enjeux entourant ce projet de loi.
Réfléchissons à présent sur l’importance des immigrants dans notre pays. Sont-ils véritablement indispensables pour le Canada?
Le 31 juillet 2024, un article du magazine L’actualité intitulé « Population mondiale en déclin » examinait la diminution du taux de natalité à l’échelle mondiale. L’article précisait que, pour assurer le renouvellement de la population, le seuil nécessaire était de 2,1 enfants par femme. À l’heure actuelle, 54 % des pays occidentaux, dont le Canada, présentent un taux de fécondité inférieur à ce seuil. Selon les dernières données de Statistique Canada pour 2022, le taux de fécondité au Canada est de 1,33 enfant par femme.
Cette diminution du taux de natalité affecte directement le renouvellement de la population active, c’est-à-dire le nombre d’individus en emploi. La solidité de l’économie canadienne repose en partie sur la taille de cette population active, dont les contributions fiscales sont essentielles pour financer nos services publics. Par ailleurs, l’évolution de cette population active sera de plus en plus influencée par le vieillissement. Imaginez-vous que, d’ici 2030, les personnes âgées de 65 ans et plus représenteront 23 % de la population canadienne, donc environ le quart, soit plus de 9,5 millions d’individus!
Face à cet état de fait, l’immigration n’est pas seulement une solution, mais une nécessité vitale pour la pérennité de notre économie. Cependant, il faut reconnaître que l’immigration ne doit pas être perçue uniquement comme un moyen de combler des pénuries de main-d’œuvre. C’est aussi un levier stratégique qui apporte innovation, dynamisme entrepreneurial et diversité culturelle, qui sont des éléments essentiels à notre prospérité. Sans l’immigration, notre économie risquerait de stagner, et notre compétitivité sur la scène internationale pourrait en souffrir.
Ce mouvement migratoire n’est pas une particularité canadienne, mais un phénomène mondial. De nombreux pays font face à des réalités démographiques similaires et accueillent de nouvelles populations pour soutenir leur économie.
Honorables sénateurs, pour répondre à la question centrale d’un mois consacré à l’immigration, on pourrait affirmer que ce mois serait l’occasion pour chacun de nous de partager sa petite histoire, ses défis et ses triomphes personnels ou collectifs. À travers des activités d’information, les générations futures ne pourront qu’en bénéficier. C’est la même chose pour la transmission de nos richesses culturelles, comme la littérature, la musique et même la gastronomie. Pour ma part, j’aimerais partager avec vous la « soupe Joumou », un plat emblématique inscrit sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Ne vous inquiétez pas, la gastronomie haïtienne ne contient ni viande de chat ni viande de chien.
Pourquoi novembre? Le choix du mois de novembre pour établir cette reconnaissance n’est pas anodin. Comme l’a souligné la sénatrice Gerba, il coïncide avec plusieurs événements importants liés à l’immigration, notamment la Semaine de l’immigration francophone et la date à laquelle la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés a reçu la sanction royale. Pour aller de l’avant tous ensemble, il est essentiel de valoriser les récits personnels et de célébrer la richesse que chacun apporte à notre communauté.
Je conclurai avec la petite histoire du parcours migratoire des familles Riley et Marc Arthur de l’Alberta, tirée de la Revue parlementaire canadienne. J’ai trouvé que c’était une bonne façon d’illustrer le fondement de ce projet de loi, qui montre que nous sommes tous des immigrants soit de première, deuxième ou troisième génération. J’espère donc obtenir votre appui à tous pour renvoyer le projet de loi S-286 à l’étude en comité.
Je vous remercie.
Avez-vous une question, sénatrice Simons?
Oui. Est-ce que je peux vous poser une question, madame la sénatrice?
Oui, avec plaisir.
Sénatrice Mégie, vous avez fait une espèce de blague au sujet du mensonge horrible de Donald Trump au sujet des gens et des chiens qui habitent à Springfield, en Ohio. Pour moi, c’est quelque chose de tellement horrible, car cela commence à ressembler à une campagne raciste contre les gens qui viennent d’Haïti en particulier. Personnellement, j’ai toujours peur que les choses qui se produisent aux États-Unis arrivent au Canada.
Pourriez-vous me dire sérieusement ce qu’une femme formidable qui vient d’Haïti comme vous ressent lorsqu’elle entend les mensonges de M. Trump et de M. Vance et lorsqu’elle voit les violences que subissent les gens qui habitent à Springfield?
Qu’est-ce que cela vous fait?
Merci de votre question et de votre empathie. Vous savez qu’en règle générale, c’est difficile quand les mensonges sont aussi gros. Quelqu’un nous avait justement écrit un mot à cette occasion. Cette personne, qui prétendait que c’étaient les paroles de Hitler, nous avait dit que, quand on veut faire absorber un mensonge à quelqu’un, on prend le plus gros mensonge et il devient pour tout le monde une réalité. Je pense que c’est peut‑être dans cette optique qu’il l’a fait.
Vous savez que quand on est vraiment blessé par ce genre de chose, on ne peut pas le défaire. Que voulez-vous? On se sert de l’humour pour essayer de se convaincre d’aller de l’avant. Cela ne veut pas dire qu’on n’a pas été blessé, mais la seule façon de s’en sortir est de se servir de l’humour.
Est-ce que cela répond à votre question?
Oui, merci.
Honorables sénateurs, je prends la parole assez spontanément pour parler du projet de loi de la sénatrice Gerba, qui propose de créer un mois national de l’immigration. J’appuie ce projet de loi, et je tiens à intervenir brièvement avant qu’il ne me reste plus de temps.
Comme vous le savez sans doute, ce sujet m’est très cher. Je suis arrivée au Canada en 1981. J’ai détenu la nationalité de trois pays au cours de ma vie : je suis née en Inde, ce qui veut dire que j’en étais citoyenne par la naissance; j’ai épousé un Iranien avec qui je suis allée vivre en Iran, ce qui veut dire que j’ai aussi eu la citoyenneté iranienne. Vient ensuite la citoyenneté canadienne, qui ne m’a été accordée ni par ma naissance ni par mon mariage, mais pour laquelle j’ai dû me battre. C’est sans doute ce qui la rend encore plus précieuse à mes yeux.
Depuis que je suis ici, j’ai pu constater à quel point les immigrants ont façonné, et façonnent encore, le Canada et nourrissent notre identité. Les sénatrices Mégie et Gerba ont toutes deux évoqué leur apport à la société canadienne, que ce soit dans le domaine des sports, de la santé, de la musique, de la littérature ou de la politique, et même ici au Sénat. Je ne crois pas avoir besoin de préciser que nous avons besoin d’un mois... en fait, permettez-moi de revenir quelques instants à l’histoire de l’immigration.
En 1906, le Canada est un tout petit pays. Des pans entiers de son territoire ne sont pas peuplés. Sir Clifford Sifton, le ministre de l’Immigration à cette époque, se rend personnellement — imaginez cela — en Europe de l’Est, accroche sa banderole et dit : « Nous voulons que vous veniez au Canada et que vous nous aidiez à coloniser l’Ouest ». Il avait délibérément choisi l’Europe de l’Est pour son expertise en matière d’agriculture en climat froid.
Les Polonais, les Italiens, les Ukrainiens et les Allemands sont venus. Je lève mon chapeau à la communauté ukrainienne, en particulier, car elle a réussi au fil des années à nous aider à intégrer le multiculturalisme dans notre identité.
Plus tard, en 1975 — je sais que je fais un saut dans le temps — cette vague d’immigrants a été suivie par la première vague d’ismaéliens expulsés de l’Ouganda. À la vue de son siège, j’imagine la sénatrice Jaffer nous en parler. Ces immigrants ont été suivis — le sénateur Harder en a souvent parlé — par les vagues de réfugiés du Vietnam et de l’Indochine, une région où le Canada a connu un moment de gloire. D’ailleurs, celui-ci nous a donné l’élan vers le parrainage privé, ce qui a amené notre pays à accueillir les Coréens, les Croates, les Serbes, les Pakistanais, les Indiens et, plus récemment, les Philippins.
L’été dernier, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie s’est rendu au Nouveau-Brunswick où nous avons découvert une petite collectivité qui avait perdu sa population. Personne n’allait à l’église et les écoles s’étaient vidées. Puis, les travailleurs philippins ont commencé à arriver. Ils sont arrivés et ils avaient des emplois temporaires. L’employeur était un employeur avisé et il a parrainé une famille, qui a parrainé d’autres familles. Aujourd’hui, l’église a une congrégation et les écoles sont fréquentées par des enfants. Cette petite collectivité a été revitalisée.
Il y a, bien sûr, un côté sombre et je ne veux pas le nier. Nous devons nous regarder dans le miroir et nous voir tels que nous sommes : la décision de priver les Canadiens d’origine japonaise de leurs droits pendant la Seconde Guerre mondiale, la discrimination contre les Canadiens d’origine chinoise, et le sénateur Woo et le sénateur Oh ont présenté une merveilleuse exposition à ce sujet.
Cette année, j’ai visité le Musée canadien de l’immigration du Quai 21 et, quelle surprise, il y avait une exposition — conçue, je crois, par la sénatrice Bernard — sur l’histoire de l’esclavage des Noirs au Canada.
Un mois n’est peut-être pas suffisant, sénatrice Gerba, pour mettre tout en lumière — le meilleur comme le pire —, mais un mois est une bonne durée, surtout vu le discours d’aujourd’hui, où les choses commencent à changer pour la première fois.
Les gens ne voient plus les immigrants d’un bon œil. Il s’agit peut-être des horribles discours provenant du sud de la frontière. J’espère qu’ils ne se répandront pas ici, car je ne pense pas qu’il s’agit d’une question de guerre culturelle au Canada; il s’agit toujours d’une question d’abordabilité et de qualité de vie. Toutefois, les choses changent. Dans trois ans, j’espère que nous aurons une conversation différente. Cependant, quand le projet de loi sera adopté, je sais que les immigrants souligneront ce mois, sénatrice Gerba, en exprimant leur reconnaissance envers la liberté, la sécurité, la prospérité et les débouchés dont ils ont bénéficié. Je sais que c’est ce que je ferai.
Merci, chers collègues.
Sénatrice Omidvar, je vous remercie de votre discours. Vous avez parlé de Clifford Sifton, ancien ministre de l’Immigration. Comme je suis moi-même d’origine ukrainienne, je connais très bien le travail important qu’il a accompli pour promouvoir l’immigration des Ukrainiens et d’autres Européens de l’Est.
Dans votre discours, vous avez notamment indiqué qu’il s’était rendu en Europe de l’Est. Je n’avais jamais entendu cette histoire, et, en faisant une rapide recherche sur Google, je n’ai rien trouvé à ce sujet. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Compte tenu de l’époque où les événements se sont produits, soit à la fin des années 1800 ou au début des années 1900, j’aimerais en savoir davantage à ce sujet. Je n’avais jamais entendu cette variante au sujet de l’expérience professionnelle de Clifford Sifton auparavant.
Merci, sénatrice Batters.
Ce récit se trouve dans un livre d’histoire. J’oublie qui en est l’auteur. C’est une grosse brique sur l’évolution de l’immigration au Canada. C’est resté gravé dans ma mémoire, car cela rappelait fortement l’époque où il n’y a ni courriel, ni lettre, ni stratégie de recrutement. J’ai entendu dire que des fonctionnaires canadiens se promenaient dans ces régions avec un bardeau attaché au dos de leur chariot sur lequel on pouvait lire : « Bienvenue au Canada; nous avons besoin de vous. »
Je peux trouver la référence pour vous.
Je vous remercie. Oui, j’étais au courant des agents de recrutement, que le Canada en avait envoyé en Europe de l’Est, mais le ministre lui-même à l’époque... Je sais que lorsque mes grands-parents sont venus d’Ukraine à cette époque, ils sont arrivés par d’énormes bateaux, alors j’aimerais simplement en savoir plus à ce sujet.
Si vous pouviez nous fournir cette information, ce serait merveilleux. Je vous remercie.
Je vous remercie, sénatrice Omidvar, de votre histoire et des questions que vous avez soulevées. J’ai une question, et elle concerne votre déclaration selon laquelle des pans entiers du Canada n’étaient pas peuplés, alors que je crois qu’ils l’étaient par des Autochtones. Le territoire semblait peut-être non peuplé, mais pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?
Merci, sénatrice Boyer. Je comprends maintenant pourquoi c’est notre personnel qui rédige nos discours, à juste titre d’ailleurs. Je n’aurais pas dû dire cela. Ces terres étaient peuplées, bien entendu. Elles étaient peuplées par les peuples autochtones.
Je devrais saisir cette occasion pour répéter, comme je l’ai déjà dit, que les liens entre les communautés autochtones et les communautés d’immigrants sont très fragiles. Leur existence n’est peut-être pas ce qu’elle devrait être, et ce sont les deux seules populations du Canada qui augmentent. La population autochtone augmente et des immigrants arrivent au pays. Nous devons trouver un moyen d’en discuter. Je vous remercie de votre question.