La Loi sur les océans—La Loi fédérale sur les hydrocarbures
Projet de loi modificatif--Troisième lecture
2 mai 2019
Honorables sénateurs, je citais un extrait du témoignage présenté au comité le 5 février dernier par Carey Bonnell, vice-président, Engagement et développement durable, à Ocean Choice International. Il a conclu comme suit :
Il est essentiel de s’assurer que ces décisions sont prises compte tenu des points de vue scientifique et socioéconomique.
Le rapport du comité de l’autre endroit qui est responsable de ce dossier va dans le même sens. Il dit ceci :
Les réalités socioéconomiques des collectivités côtières qui s’appuient sur les océans devraient être prises en considération de manière transparente par le MPO, qui devrait en faire un élément central du processus décisionnel relatif aux ZPM.
Le comité ajoute ensuite :
Il s’agit d’un oubli majeur dans le cadre du processus décisionnel vu que le processus de création de ZPM peut causer des conflits importants et une perte de confiance si l’on ne tient pas compte des facteurs sociaux, économiques et culturels autochtones, et les ZPM qui sont créées ne sont pas aussi efficaces qu’elles pourraient l’être.
Ce que j’en retiens surtout, c’est qu’il faut agir avec transparence afin que les intervenants de l’industrie, les membres des collectivités et les participants autochtones se sentent écoutés.
Mme Burridge, de la Seafood Alliance, a aussi exprimé son mécontentement à l’égard du système de consultation actuel, en ces termes :
Nous avons été déçus par le niveau de consultation ou l’efficacité du processus de consultation jusqu’à présent, et nous sommes troublés par certaines des données scientifiques. Nous aimerions assurément qu’il y ait de meilleures analyses scientifiques, et l’analyse socioéconomique doit être réalisée de pair avec l’analyse scientifique.
Elle a ensuite ajouté :
L’objectif de la Loi sur les océans et, par conséquent, des ZPM, est non pas d’éliminer la pêche commerciale, mais de protéger ce qui doit l’être tout en permettant une utilisation durable.
Cette nécessité d’équilibrer les intérêts économiques et la protection de l’environnement a été un thème récurrent. En réponse à la sénatrice Petitclerc, qui lui a demandé ce qu’il pensait de l’approche de précaution du projet de loi, Paul Lansbergen, président du Conseil canadien des pêches, a dit :
La gestion des pêches incorpore une approche de précaution, et nous sommes donc habitués à cette approche. C’est ainsi que c’est mis en œuvre ou appliqué.
Lorsque le ministère désigne une zone d’intérêt et que le raisonnement scientifique est incomplet, nous devons débattre collectivement de la question de l’équilibre. Toutefois, cela ne va pas nécessairement dicter une certaine voie pour ce qui est de protéger les caractéristiques en question. Il y a tout de même lieu de se demander si une ZPM [...] serait l’outil le plus approprié ou s’il s’agit d’un outil de gestion des pêches. Je ne crois pas que ce soit un débat sur l’outil qui est nécessairement exclu par une approche scientifique préventive complète.
Le premier ministre du Nunavik, Joe Savikataaq, a fait écho à cette préoccupation concernant le manque de consultations et le rejet potentiel d’autres intérêts dans la région dans une lettre adressée au premier ministre et au président de l’Association inuite du Qikiqtani, P.J. Akeeagok, datée du 1er octobre 2018. Dans la lettre, le premier ministre Savikataaq est clair :
Le gouvernement du Nunavut préconise la prise de décisions éclairées et ne peut donc pas appuyer la création d’une nouvelle zone de protection, même de façon provisoire, sans qu’il y ait de consultation publique et d’évaluation des ressources minérales et énergétiques, et sans que nous soyons des participants à part entière dans ce processus.
Lorsqu’il a comparu devant le comité, le 26 février 2019, le premier ministre du territoire a de nouveau fait part de ses préoccupations aux membres du comité :
Je tiens à répéter que nous ne sommes pas opposés à la création d’aires protégées, mais que nous soutenons que nous devons jouer un rôle dans le processus décisionnel. Nous avons exprimé à des occasions précises nos préoccupations au sujet de l’incapacité générale du gouvernement du Canada à faire participer le gouvernement du Nunavut à son processus décisionnel concernant les zones de protection marines.
Si le projet de loi C-55 obtient la sanction royale, il viendra légitimer davantage la prise de décisions unilatérales par le gouvernement du Canada au nom du Nunavut, ce qui aura une incidence directe sur les perspectives économiques des générations futures de Nunavummiut.
Par conséquent, le gouvernement du Nunavut demande au gouvernement du Canada d’apporter un amendement au projet de loi qui exigerait le consentement des gouvernements limitrophes avant la désignation d’une zone de protection marine ou l’interdiction d’activités au sein d’une zone de protection marine proposée dans ces administrations. Cet engagement renforcerait et améliorerait l’occasion de collaboration et de discussion au moment de l’établissement de zones de protection marines dans les eaux territoriales du Nunavut ou à proximité du territoire.
Lors de son témoignage du 6 février 2019, Duane Smith, président et chef de la direction de la Société régionale inuvialuite, a aussi parlé de ses préoccupations à propos du pouvoir unilatéral qui est accordé au ministre pour désigner une zone de protection marine provisoire.
Il a dit ce qui suit :
Les Inuvialuit craignent que l’établissement de ZPM par décret ministériel en vertu de la Loi sur les océans et la restriction supplémentaire du développement par décret d’interdiction en vertu de la LFH réduisent le niveau de leur participation aux décisions déterminantes pour l’avenir de la région et exacerbent les problèmes de mise en œuvre que nous connaissons déjà.
D’ailleurs, la sénatrice Bovey, lors de son discours à l’étape de la troisième lecture, a souligné qu’un amendement avait été présenté à l’autre endroit pour préciser qu’un tel décret serait appliqué « d’une manière qui n’est pas incompatible avec un accord sur les revendications territoriales ».
Toutefois, M. Smith, dans une lettre envoyée à mon bureau le 19 mars 2019, a appuyé mon amendement en expliquant ce qui suit :
Étant donné que la Convention définitive des Inuvialuit n’a pas l’avantage d’inclure certaines des modalités principales que comptent les accords sur les revendications territoriales plus récents, et étant donné qu’un décret ministériel aux termes du paragraphe 35.1(2) du projet de loi pourrait entraîner de grandes répercussions sur notre région, nous sommes d’avis que cet amendement est nécessaire pour fournir des instructions claires aux personnes responsables de la mise en œuvre de la Loi sur les océans à long terme. Les dispositions de non-dérogation, même si elles sont essentielles, ne sont pas suffisantes dans ce cas-ci.
J’estime que mon amendement était nécessaire pour remédier à ces préoccupations. Je signale que, avec neuf voix pour, zéro voix contre et deux abstentions, le comité était pratiquement entièrement en accord avec moi.
La sénatrice Bovey a soulevé la question d’une lettre de l’Association inuite du Qikiqtani. Pour ceux qui n’ont pas lu la lettre, l’association craint l’incidence qu’aurait cet amendement sur ses négociations en cours entourant une éventuelle zone de protection marine dans le bassin de l’Extrême-Arctique au Nunavut, laquelle couvrirait une superficie énorme.
Je me suis entretenu directement avec le président de l’Association inuite du Qikiqtani, P.J. Akeeagok, et je lui ai expliqué que cet amendement, rédigé en collaboration avec le Conseil des ressources indiennes et le gouvernement du Nunavut, répond aux préoccupations de parties qui ne jouissent pas d’une protection en vertu de la disposition de non-dérogation actuelle. Le processus de l’Association inuite du Qikiqtani découle de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut et il est protégé en vertu de l’article 5 du projet de loi.
En outre, dans une lettre datée du 6 avril 2019 et déposée auprès de la greffière du comité, j’ai écrit ceci à l’Association inuite du Qikiqtani :
Je comprends qu’un protocole d’entente concernant l’éventuelle protection du bassin de l’Extrême-Arctique, ou Tuvaijuittuq, a été signé entre le gouvernement du Canada, l’Association inuite du Qikiqtani et le gouvernement du Nunavut et que ce protocole d’entente a été annoncé publiquement le 12 avril 2010. Cela dit, toutes les communications avec le gouvernement du Nunavut indiquent un appui soutenu de la part de celui-ci pour cet amendement [...].
Je pense aussi qu’il faut redresser les inégalités entre les différentes revendications territoriales des Inuits et que cela pourrait fort bien mener à la modification de ces revendications, comme le mentionne dans son courriel M. Williamson Bathory, de l’Association inuite du Qikiqtani. Je demeure déterminé à parler de ce problème et à réclamer une solution à chaque occasion. Cependant, cela ne donnera pas de certitudes immédiates au Conseil des ressources indiennes et ne répondra pas aux préoccupations du premier ministre concernant les compétences.
D’ailleurs, la lettre envoyée au ministre Wilkinson par les trois premiers ministres des territoires le 25 avril 2019 m’était également adressée. On peut y lire ceci :
Nous avons appris que, dans le cadre de l’étude du projet de loi C-55 par le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, de légers amendements ont été proposés à l’article 5 à la page 4 afin d’ajouter la ligne 35.11(1) concernant la participation du public et des instances.
Cet amendement répond aux préoccupations soulevées par les représentants des gouvernements territoriaux lors des audiences du comité et il favorise la participation accrue de nos gouvernements et celle des habitants et des organisations des territoires. Nous appuyons son adoption.
Ce sont les paroles des trois premiers ministres des territoires.
Enfin, j’aimerais répondre à une affirmation faite par la sénatrice Bovey dans un discours prononcé le 11 avril. Elle a affirmé ceci devant le Sénat :
Encore une fois, même si, pour une raison que j’ignore, le gouvernement omettait de coopérer ou de mener des consultations conformément aux exigences juridiques explicites de la Loi sur les océans elle-même, l’arrêté de protection provisoire devrait franchir l’étape de la publication dans la Gazette et suivre les autres processus requis conformément à la Loi sur les textes réglementaires, selon laquelle n’importe qui peut exprimer ses préoccupations et soumettre ses observations. Manifestement, ce n’est pas la norme que nous devrions juger adéquate lorsqu’il s’agit de consulter les collectivités et les peuples autochtones. Toutefois, j’essaie de vous montrer que tous les mécanismes dont parle l’amendement sont déjà en place. Je me dois de penser que la question est prioritaire non pas en raison du présent projet de loi, mais parce que les gouvernements manquent depuis des années à leur devoir de consultation auprès de la population. Je comprends cette préoccupation et le désir d’y remédier.
Honorables collègues, je m’inscris respectueusement en faux contre l’affirmation selon laquelle l’arrêté de protection provisoire devrait franchir l’étape de la publication dans la Gazette.
L’article 5 modifie la Loi sur les océans afin que le ministre soit autorisé, aux termes du paragraphe 35(2), à prendre un arrêté. Il s’agit-là d’un pouvoir unilatéral et discriminatoire qu’on accorde au ministre des Pêches et des Océans pour qu’il désigne une zone de protection marine provisoire. C’est uniquement après un délai maximum de cinq ans qu’il faut décider d’abroger l’arrêté ou de demander au gouverneur au conseil de rendre cette désignation permanente. C’est seulement alors qu’on entamera le processus de publication dans la Gazette, conformément au paragraphe 35.3(1).
L’amendement que je propose fera en sorte qu’avant d’établir, par arrêté ministériel, une zone de protection marine temporaire, le ministre devra en préciser la raison d’être sur le site web du ministère et veiller à ce qu’il y ait suffisamment de possibilités de consultations publiques, comme l’ont réclamé les représentants de l’industrie de la pêche, le gouvernement du Nunavut et le Conseil des ressources indiennes.
Par surcroît, cet amendement assure que le gouvernement sera ouvert et transparent au sujet de l’utilisation de la rétroaction du public dans le processus décisionnel. Il crée un mécanisme permettant au Conseil des ressources indiennes et à tout gouvernement, agence ou entité autochtone provincial ou territorial visé de demander la tenue de consultations officielles et la prise de mesures d’adaptation, au besoin. Cet amendement prévoit également des délais clairs afin que les consultations se tiennent dans les 30 jours de la réception d’une demande provenant d’une instance.
Honorables sénateurs, ce projet de loi, tel qu’amendé, offre un exemple parfait de la raison d’être du Sénat. Les sénateurs sont à l’écoute des préoccupations des régions et des minorités. J’ai collaboré avec des intervenants pour préparer cet amendement et j’ai des lettres d’appui des premiers ministres des trois territoires et du président d’une organisation inuite chargée de s’occuper de revendications territoriales. Après un second examen objectif, nous avons amélioré le projet de loi en assurant la tenue de consultations selon un processus axé sur la transparence et la reddition de comptes.
Je ne dispose pas de suffisamment de temps aujourd’hui pour présenter tous les témoignages convaincants que je souhaiterais, mais les sénateurs, de tous les partis et groupes représentés au Sénat, qui ont assisté aux témoignages et entendu les arguments que les témoins ont présentés au comité ont convenu avec moi que cet amendement s’imposait, et personne n’a voté contre.
Honorables sénateurs, voilà pourquoi je vous exhorte à voter en faveur de la version amendée de ce projet de loi.
Merci.
Vous avez été très éloquent, sénateur Patterson.
Je suis ravie de parler du projet de loi C-55, qui vise à accorder au ministre des Pêches le pouvoir de désigner des zones de protection marine provisoires. J’aimerais soulever quatre points : le contexte, le nombre d’instruments législatifs dont nous disposons déjà dans ce contexte, le principe de précaution, et, enfin, les délais serrés qui nous sont impartis.
Commençons par le contexte. Nous savons tous que le Canada s’est fixé comme objectif de mettre en place un régime de gestion des aires marines de calibre mondial. Des éléments d’un tel régime existent déjà dans certaines régions du Canada, mais ils manquent de cohérence. Ils ne sont certainement pas cohérents dans les océans du pays.
Ce régime de calibre mondial compte trois grandes catégories. Nous avons probablement recensé 26 sous-éléments. Un d’entre eux, c’est que les grands thèmes sont la gestion du trafic maritime, la capacité d’intervention en cas d’urgence et la protection écologique. Cet élément tomberait dans le dernier grand thème.
Idéalement, un régime de gestion des aires marines de calibre mondial donnerait naissance à une zone maritime particulièrement vulnérable. Le Canada ne dispose d’aucune zone maritime particulièrement vulnérable. Je crois que nous pouvons faire mieux.
Vous devriez être au courant de cinq mesures législatives que nous avons adoptées récemment ou dont nous sommes actuellement saisis.
Il y a le projet de loi C-86, qui a été adopté en décembre dernier. Il s’agit de la loi d’exécution du budget — un autre projet de loi omnibus — , qui a modifié la Loi sur la marine marchande du Canada ainsi que la Loi sur la responsabilité en matière maritime. Puis, bien sûr, il y a le projet de loi C-68, qui porte sur les pêches et qui est à l’étude au comité; le projet de loi C-48, qui vise à imposer un moratoire relatif aux pétroliers et qui est à l’étude au comité; le projet de loi C-69, qui porte sur l’évaluation d’impact et d’autres lois et qui est à l’étude au comité; et le projet de loi C-97, qui est l’actuel projet de loi d’exécution du budget et qui renvoie à des modifications en cours, notamment à la Loi sur le pilotage.
Voilà certains des autres projets de loi que nous allons examiner ou que nous examinons actuellement et qui doivent être mis en contexte.
Le projet de loi C-86, le projet de loi omnibus que nous avons adopté en décembre qui modifiait la Loi sur la marine marchande du Canada, prévoyait des pouvoirs qui pourraient servir à appliquer des règlements semblables à ceux du projet de loi C-48, mais beaucoup plus vastes. Nous devrions en être conscients dans notre étude d’autres projets de loi. Nous sommes très près d’avoir des lois et des projets de loi redondants. Prendre une décision dans un cas pourrait nous empêcher de prendre une décision dans un autre cas.
Toujours en ce qui concerne le projet de loi C-86, nous devons prendre en considération le fait qu’il ne tient pas compte de tous les intérêts et toutes les aspirations des communautés autochtones. À titre d’exemple, la compensation pour la pêche communautaire est interrompue en raison des activités maritimes.
Passons maintenant au principe de précaution. Comme la plupart d’entre vous le savent, j’ai été présidente du Macleod Institute for Environmental Analysis au campus de l’Université de Calgary. L’une de nos principales activités consistait notamment à effectuer des examens par les pairs, à produire des rapports et à mener des études. Nous avions l’habitude de former des équipes de scientifiques — des universitaires du milieu scientifique, des biologistes et autres — pour effectuer nos examens. Nous utilisions le principe de précaution.
L’une des choses que j’ai apprises en dirigeant une équipe de scientifiques universitaires, c’est que ces derniers ne pouvaient pas me dire avec exactitude ou certitude quelles seraient les répercussions. Ils ne pouvaient parler que de probabilité. Ils pouvaient me donner une probabilité. Ils pouvaient dire que le fou à tête verte pouvait être touché, ou que la probabilité que cela arrive était élevée ou faible, mais, dans la plupart des cas, ils ne pouvaient pas dire à 100 p. 100 que cela allait arriver.
Au début, cela m’a surprise, car j’ai grandi en pensant que les scientifiques avaient des réponses sans nuances, c’était soit oui, soit non. Toutefois, dans ce domaine, ce n’était pas le cas, et c’est à partir de là que le principe de précaution a été établi. En cas de forte probabilité, les scientifiques disaient qu’il fallait agir comme si cela allait se produire, et voilà d’où vient le principe de précaution.
Il existe une nouvelle définition, et elle a été intégrée au projet de loi C-55. Parler de l’incertitude scientifique n’est pas un obstacle à l’action. Soit, mais cette nouvelle définition crée une grande incertitude, ce que nous ne voulons pas encourager.
Voici une citation d’un article savant publié dans le McGill Law Journal, où les auteurs écrivent :
Le principe de précaution [...] est en soi devenu source de grande incertitude. Les débats se poursuivent sur sa place dans différents systèmes juridiques, sa signification dans des contextes généraux et des contextes particuliers et ses implications pour le commerce, l’activité industrielle, le commerce étranger, la santé, l’agriculture et — en exagérant un peu, mais à peine — presque toutes les sphères de l’activité humaine.
Donc, le principe de précaution, comme il est indiqué, invoque chez nous tous un appel à la prudence dans nos décisions. Il ne veut certainement pas dire qu’on peut prendre des décisions non fondées scientifiquement. Il faut être prudent, mais il faut avoir des bases scientifiques. C’est simplement qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une certitude absolue sur le plan scientifique.
Enfin, j’aimerais ajouter une chose à ce sujet. L’idée derrière cette préoccupation — et vous l’avez entendu de la bouche d’autres personnes — est que nous ne voulons pas encourager la prise de décisions arbitraires, unilatérales ou sans préavis dans ce domaine.
Nous avons entendu du sénateur Christmas hier et du sénateur Patterson hier et aujourd’hui des exemples de décisions dans ce domaine qui ont été prises sans préavis et de manière particulièrement brutale pour les communautés autochtones.
Un autre exemple, survenu la semaine dernière, le 25 avril, est la décision arbitraire et unilatérale du ministre des Pêches, qui a soudainement annoncé que, dans toutes les zones de protection marine, les activités pétrolières et gazières, d’exploitation minière, de déversement de déchets et de chalutage de fond seraient interdites. C’est une interdiction de portée générale.
Nous avons l’habitude d’adopter une approche prudente à l’égard des zones de protection marine, qui sont faites sur mesure pour chaque élément de l’écosystème qu’on cherche à protéger, et il y a des zones tampons dans les colonnes d’eau avoisinantes verticales et latérales, et ainsi de suite. Elles sont conçues pour assurer une protection maximale en plus de pouvoir accommoder les autres intérêts dans la région.
Qu’on ne s’y trompe pas, il s’agit de zones énormes. La dernière qu’on a annoncée a une superficie d’environ 12 000 kilomètres carrés. C’est plus grand que la ville d’Ottawa.
Soudainement, sans études ni consultations plus poussées, la ministre a pris la parole à une conférence internationale et a annoncé : « En passant, nous interdisons toute activité pétrolière et gazière, toute exploitation minière, le déversement de déchets et le chalutage des fonds marins. » C’est arbitraire en soi. C’est certainement unilatéral.
Mon quatrième point est ceci : Quelle est l’urgence? Pourquoi précipite-t-on ainsi les choses? J’ai eu connaissance de cela dans une lettre d’opinion rédigée par Hansjörg Wyss, publiée dans le Toronto Star, lundi dernier, le 22 avril. L’auteur est identifié comme un entrepreneur, un homme d’affaires et un philanthrope états-unien. Il a félicité le Canada pour son leadership dans le domaine des zones de protection marine. Il a dit que, depuis 2015, soit au cours des quatre dernières années, nous avons réussi à faire passer de 1 p. 100 à 8 p. 100 la proportion de nos océans qui sont protégés. Notre objectif pour l’année prochaine, convenue dans une déclaration internationale, est de passer à 10 p. 100. En quatre ans, nous avons augmenté les zones protégées de 800 p. 100, en tirant parti du pouvoir législatif qui permet déjà la création de zones de protection marine, malgré le fait que cela pourrait prendre jusqu’à neuf ans.
Puisque nous avons déjà accompli d’énormes progrès en quatre ans, pourquoi serait-il urgent d’agir? Serait-ce en prévision de la prochaine conférence internationale, qui aura lieu dans 18 mois? La cible sera réexaminée en 2020. L’homme d’affaires et philanthrope américain dont j’ai parlé indique, dans sa lettre d’opinion, que les scientifiques recommandent maintenant à la communauté internationale de protéger 30 p. 100 des terres et des eaux de la planète d’ici 2030; 30 p. 100! C’est donc dire que, si cette tendance se maintient, un tiers des terres et des eaux de la planète sera essentiellement placé à l’abri de toute activité humaine.
Prenez un instant pour y penser, chers sénateurs. Est-ce parce qu’il reste seulement un an que le gouvernement souhaite soudainement tirer parti du pouvoir d’accorder une désignation intérimaire, dans le but de créer des zones protégées — sans avoir établi, selon moi, les bases nécessaires —, et ainsi donner l’impression qu’il a atteint la cible? Il aurait probablement pu l’atteindre au cours des quatre dernière années.
Je conclus donc, chers sénateurs, que nous devons appliquer le principe de prudence à nos propres conclusions. La première fois que j’ai entendu parler de la création d’une zone de protection marine intérimaire, j’y ai vu une bonne idée, puisque je suis favorable aux zones protégées et que j’ai toujours eu à cœur la protection de l’environnement. Toutefois, plus j’examinais ce dossier, plus les questions suivantes me préoccupaient : le fait d’agir ainsi, sans contexte, risque-t-il d’encourager, ou du moins de favoriser, des activités arbitraires et unilatérales? Qu’est-ce qui justifie l’urgence?
Je vous remercie de votre attention.
Puis-je poser une question? Je sais que j’aurai bientôt la parole, mais j’aimerais poser une question.
Sénatrice McCoy, acceptez-vous de répondre à une question?
Oui.
Sénatrice McCoy, votre allocution a été des plus éclairantes.
J’aimerais revenir sur le principe de précaution. Pensez-vous qu’il pourrait servir de béquille et permettre l’approbation d’un décret dans le règlement après cinq ans? Voici ce qui m’inquiète : vont-ils véritablement concentrer leurs efforts pour terminer les travaux scientifiques? Cinq ans, c’est long. On ne dit pas qu’on peut le prévoir dans le règlement si les travaux scientifiques sont terminés à 50 p. 100 ou à 75 p. 100. Sera-t-il possible pour les scientifiques d’agir arbitrairement...
Sénateur McInnis, le temps de parole de la sénatrice McCoy est écoulé.
Cinq minutes.
Êtes-vous d’accord, honorables sénateurs?
Pour en venir au fait, je dirai que, certes, la science est importante. Va-t-elle être employée à mauvais escient par ceux à qui il tarde de faire en sorte que l’arrêté de protection provisoire devienne un décret visant la protection permanente et soit inclus dans le règlement?
Merci. Évidemment, il est difficile de prévoir ce qu’on fera de cette disposition, et je ne voudrais pas m’avancer sur les motivations de ceux qui prendront les décisions.
Ce qui me préoccupe, c’est en quelque sorte l’idée que l’on puisse faciliter le recours à un arrêté ministériel qui serait suivi d’un décret fondé sur des données scientifiques insuffisantes.
Vous vous concentrez sur la période de cinq ans et sur la possibilité qu’un arrêté provisoire soit suivi d’un décret établissant une zone de protection marine en bonne et due forme. Ce qui me préoccupe, c’est le risque que le premier arrêté ministériel provisoire ne se fonde sur aucune donnée scientifique probante.
Par exemple, quelqu’un pourrait tout simplement dire que tel endroit ferait une bonne zone de protection marine et devrait faire l’objet d’un arrêté ministériel. Voilà ce qui pose problème, à mon avis.
J’appuie l’application du principe de précaution que j’ai décrit et que des scientifiques de l’Université de Calgary m’ont expliqué. Selon ce principe, si des scientifiques considèrent qu’il y a un fort risque de nuire à une espèce ou à un milieu, alors il faut se comporter comme si ce risque allait se concrétiser. C’est faire preuve de précaution.
Cependant, il faudrait s’appuyer sur une étude scientifique exhaustive et recueillir des données, ce qui prend du temps, car on ne peut pas faire cela en seulement six ou neuf mois. Normalement, il faut étudier les répercussions sur les divers écosystèmes sur une période donnée, et c’est pour cette raison que cela prend du temps.
C’est l’approche adéquate et responsable à prendre, et je crains que l’on facilite la prise de décisions malavisées.
Merci beaucoup. Oui, j’ai l’impression qu’on inverse le fardeau de la preuve en prenant ces arrêtés provisoires. On désigne une zone de protection marine, puis il faut prouver que ce n’est pas justifié. Il s’agit d’une partie du problème. En tout cas, merci beaucoup.
Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de dire quelques mots au sujet du projet de loi C-55, Loi modifiant la Loi sur les océans et la Loi fédérale sur les hydrocarbures. De plus, je vais parler brièvement de l’amendement que j’ai proposé au comité, qui a été appuyé par la majorité de ses membres.
Tout d’abord, je tiens à remercier le sénateur Christmas de ses aimables remarques à mon égard relativement à certaines des observations que j’ai dû faire au comité. Il ne cherche pas les louanges, mais je dirai ceci : selon moi, le Sénat est devenu un meilleur endroit lorsque le sénateur Christmas y a été nommé.
Je connais depuis longtemps le sénateur Christmas et ses collègues de Membertou. Je peux vous dire que ses initiatives et celles d’autres personnes comme lui ont eu des retombées tout simplement extraordinaires pour l’économie de la partie industrielle de Cap-Breton et Membertou. C’est un modèle pour nous tous au Canada.
Je tiens à remercier la sénatrice Bovey, qui a été invitée à participer aux travaux du comité et qui a parrainé le projet de loi. Il est extrêmement difficile de critiquer la sénatrice Bovey. Elle est d’une gentillesse sans pareille. Elle a fait un travail formidable tout comme c’est le cas du sénateur Patterson, qui a été invité en tant que porte-parole.
Les zones de protection marine semblent être une excellente façon de préserver et de protéger les océans. C’est pourquoi, en 2010, le gouvernement fédéral a signé une entente avec les Nations Unies prévoyant de protéger 10 p. 100 des zones marines et côtières du Canada d’ici la fin de 2020.
Honorables sénateurs, si des gens peuvent affirmer qu’ils comprennent toute l’importance de prendre soin de l’océan, ce sont bien les habitants de la Nouvelle-Écosse. La province compte le plus grand centre de recherche océanique du Canada, l’Institut océanographique de Bedford. De plus, il y a 300 entreprises de technologies océaniques en Nouvelle-Écosse. Nous sommes des chefs de file de la protection des océans. Par exemple, en raison de la zone de pêche dans le banc de Georges, nous avons prolongé le moratoire relatif aux activités pétrolières et gazières. C’est pour cette raison que les Néo-Écossais méritent la chance de continuer d’optimiser, de manière responsable, les ressources au large des côtes de la province.
Permettez-moi de nommer quelques avantages que nous procure l’exploitation des ressources extracôtières. En 2017, nos exportations de fruits de mer ont atteint les 2 milliards de dollars. Au cours des 20 dernières années, les Néo-Écossais ont touché un revenu de 4 milliards de dollars grâce aux projets pétroliers et ont bénéficié de retombées additionnelles de 5 milliards sous forme d’achat de biens et services et d’engagements de travail.
De plus, selon les études géologiques effectuées, les régions extracôtières de la Nouvelle-Écosse renferment des ressources inexploitées estimées à 8 milliards de barils de pétrole et à 120 billions de pieds cubes de gaz naturel. La possibilité que plusieurs zones de protection marine soient créées au large de la Nouvelle-Écosse crée de l’anxiété parmi ceux dont le gagne-pain provient de l’océan de même que parmi les investisseurs potentiels.
Vous vous demandez peut-être d’où est venue l’idée de créer plusieurs zones de protection marine au large de la Nouvelle-Écosse. J’ai une carte qui montre environ 18 zones de protection marine éventuelles au large de la Nouvelle-Écosse. Cette carte est issue d’un rapport de 2011 du gouvernement du Canada. Il s’agit de zones d’importance écologique et biologique justifiant un degré supérieur de prévention des risques dans la gestion des activités. Permettez-moi de citer le document :
Ces zones serviront à guider les processus élargis de planification de la gestion des océans et seront prises en considération dans la conception des réseaux biorégionaux de zones de protection marine.
Honorables sénateurs, en mars 2012, la région des Maritimes du ministère des Pêches et des Océans a tenu un processus de consultation scientifique en vue de l’élaboration d’avis initiaux sur les objectifs, les données écologiques et les méthodes qui devraient servir à l’établissement d’un réseau de zones de protection marine. C’était il y a sept ou huit ans. Il était notamment question de créer la zone de protection marine proposée sur la côte Est de la Nouvelle-Écosse. C’est à ce moment que les pêcheurs, les habitants, les Premières Nations et le gouvernement de la Nouvelle-Écosse auraient dû être informés et consultés au sujet de ces zones de protection marines prévues au large des côtes de la province.
Imaginez la situation : ces zones de protection marine potentielles s’étendraient de la pointe de Yarmouth à la pointe nord du Cap‑Breton. Honorables sénateurs, à l’exception de la zone de protection marine proposée sur la côte Est, je ne crois pas qu’aucune de ces informations n’ait été publiée dans la Gazette du Canada, diffusée ou autrement communiquée aux Néo-Écossais. À mon avis, ils sont en droit d’être informés, et ce projet de loi ne corrige en rien la situation. Il n’y a ni transparence ni consultation. Il n’est pas étonnant que les gens soient inquiets.
Sénatrice Bovey, en tout respect, vous avez parlé de la zone de protection marine sur la côte Est qu’ont peut maintenant voir en ligne et qui a probablement été affichée en 2018. La réalité, c’est que le ministère des Pêches et des Océans aurait pu et dû informer les gens de ses intentions et obtenir leur participation dès 2011 ou même avant. Il semble que la carte dont il a été question a été produite à cette époque.
Lorsque les gouvernements adoptent des mesures qui ont un effet direct sur la vie des citoyens et le bien-être économique des petits villages côtiers, ces derniers doivent en être avertis de manière claire. Les résidants, y compris les pêcheurs, entendaient des rumeurs à propos d’une éventuelle zone de protection marine depuis des années et s’en inquiétaient.
Honorables sénateurs, il est important de communiquer dès le départ avec les citoyens, car on peut ainsi se rendre compte qu’une zone de protection marine n’est pas nécessaire. Le ministère des Pêches et des Océans, le ministère de l’Environnement et les pêcheurs ont tous dit dans leurs témoignages que les eaux de la côte Est de la province sont en parfait état et que la pêche y est très bien gérée depuis des centaines d’années. En quoi une zone de protection marine améliore-t-elle les choses?
Il va sans dire que cette proposition est vivement contestée. Cette vive opposition découle en partie du fait qu’on pense en général que le ministère des Pêches et des Océans avait décidé qu’il y aurait une zone de protection marine avant même d’annoncer en mars dernier qu’il amorcerait des consultations sur le sujet auprès des collectivités. Le ministre des Pêches et des Océans a indiqué que les personnes qui ont pêché dans ces eaux pendant les 12 mois précédant la création de la zone de protection marine pourraient continuer de le faire, mais le problème de ce mécanisme est qu’il permet aux gouvernements, actuel ou à venir, de modifier la loi pour transformer la zone en zone interdite à la pêche. Cette possibilité existera dès qu’une zone de protection marine aura été délimitée.
En outre, certaines espèces qui ne sont pas actuellement pêchées pourraient l’être à l’avenir. Le projet de loi empêcherait-il une telle expansion? Je crois que oui. Par ailleurs, la sénatrice Bovey attire l’attention, à juste titre, sur la Loi sur la gestion des finances publiques, qui donne le pouvoir légal de publier les détails de la zone de protection marine proposée. Cela se trouve dans la Gazette du Canada. Alors, quel mal y a-t-il à inclure aussi cette exigence dans la mesure législative à l’étude? Il n’y a aucun mal à cela. Cela assurerait la publication de ces détails. En fait, j’aurais aimé qu’on aille encore plus loin et qu’on exige l’envoi d’une publication générale pour informer tous les citoyens concernés de la désignation imminente d’une zone de protection marine et leur en expliquer les conséquences.
La plupart des habitants des régions rurales n’ont pas accès à Internet et n’ont aucune idée de ce qu’est la Gazette du Canada. Honorables sénateurs, vous devez absolument prendre toutes les précautions nécessaires pour que les personnes qui vivent de la pêche et qui assurent la survie de leur localité rurale grâce à elle soient informées rapidement de ce qui se passe, à toutes les étapes du processus.
L’amendement que je propose n’est pas redondant pour les gens qui sont surpris d’apprendre que leur mode de vie est menacé, un mode de vie que leurs ancêtres et eux-mêmes honorent depuis des siècles. Il consiste plutôt à leur donner l’assurance qu’ils seront informés de ce qui se passe, et ce, peu importe le moyen.
Merci beaucoup.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Le sénateur Housakos : Avec dissidence.
(La motion est adoptée et le projet de loi modifié, lu pour la troisième fois, est adopté, avec dissidence.)