Délibérations du comité spécial
du Sénat
sur le projet de loi C-110
Fascicule 3 - Témoignages
Ottawa, le mercredi 24 janvier 1996
[Traduction]
Le comité sénatorial spécial sur le projet de loi C-110 se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour étudier le projet de loi C-110, Loi concernant les modifications constitutionnelles.
Le sénateur Noël A. Kinsella (président) occupe le fauteuil.
Le président: Honorables sénateurs, la séance est ouverte. Des discussions et des travaux importants figurent au programme d'aujourd'hui. Nous avons prévu entendre ce matin les déclarations d'un certain nombre de témoins. Au lieu de faire suivre chaque exposé d'une série de questions, nous entendrons toutes les déclarations les unes à la suite des autres et nous tiendrons, cet après-midi, une table ronde de discussions qui nous permettra d'échanger abondamment.
Notre premier invité de ce matin représente l'Assemblée des premières nations et n'a pas besoin de présentation. C'est le chef national de l'Assemblée des premières nations, M. Ovide Mercredi.
M. Ovide Mercredi, chef national, Assemblée des premières nations: Je vous remercie, monsieur le président. J'aimerais d'abord vous présenter le grand chef Blaine Favel, qui est à la tête des chefs de la province de la Saskatchewan. Nous accompagne également M. Armand McKenzie, qui est avocat auprès des Montagnais du Québec. Comme vous le savez, le chef Favel présentera lui aussi un exposé plus tard ce matin.
Honorables sénateurs, je vous remercie de nous avoir invités à venir témoigner aujourd'hui. Le projet de loi C-110 viole les principes légaux régissant les obligations constitutionnelles et légitimes du Canada concernant les droits ancestraux et issus de traités. Le processus utilisé pour faire adopter le projet de loi ne nous offre pas la possibilité de nous faire entendre, pas plus qu'il n'offre cette possibilité à l'ensemble des Canadiens. La teneur du projet de loi est contraignante et tellement imparfaite qu'on ne peut fixer d'échéance.
Le projet de loi C-110 n'est avantageux pour personne. Il ne peut servir qu'à exacerber la situation déjà difficile entourant la question de l'unité nationale. Les premières nations craignent surtout que le gouvernement fédéral, en restreignant lui-même son autorité, compromette sa capacité de remplir ses responsabilités à l'égard des premières nations.
Avec ces mesures, il sera pratiquement impossible de mener à terme le programme constitutionnel autochtone entrepris en 1982. Les questions concernant les autochtones du Canada sont constamment mises en veilleuse pendant que les dirigeants fédéraux cherchent à apaiser le Québec.
N'oubliez pas qu'il y a deux questions en suspens depuis le rapatriement de la Constitution. L'intégration pleine et entière du Québec dans la Confédération est un problème de longue date qui doit être réglé pour assurer la paix constitutionnelle dans notre pays. Il y a un autre problème, qui existe depuis beaucoup plus longtemps, et c'est celui de la place qu'il convient d'accorder aux premières nations dans notre pays. Les deux problèmes mettent en jeu les droits collectifs et la reconnaissance de la diversité et de la loi suprême du Canada.
Ce n'est pas seulement par des mesures gouvernementales que l'on peut reconnaître à sa juste valeur l'autodétermination et les responsabilités des premières nations. Le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale peut être exercé et respecté seulement s'il est explicitement reconnu dans la loi suprême du Canada, à savoir la Constitution. Le seul moyen de régler les problèmes de compétences de façon cohérente et rationnelle consiste à reconnaître clairement le pouvoir inhérent des gouvernements des premières nations.
Le gouvernement fédéral cherche actuellement à adopter des mesures qui accorderont à toutes les régions du Canada un droit de veto dans le cas des modifications futures qui pourront être proposées pour préciser le statut des droits inhérents dans le cadre constitutionnel canadien. Les gouvernements fédéral et provinciaux veulent que l'autorité des gouvernements autochtones soit établie clairement. Les premières nations veulent des dispositions assurant que tous les ordres de gouvernement respectent leur autorité. On reconnaît que ces dispositions sont nécessaires depuis le rapatriement de la Constitution, ce qui a été confirmé lors des dernières discussions constitutionnelles.
Nous craignons d'être exclus des futures discussions concernant nos droits constitutionnels, tout comme on nous a exclus de la rédaction du présent projet de loi qui a une incidence réelle sur notre avenir. Pourquoi les dirigeants politiques canadiens acceptent-ils si facilement la propagande de leur gouvernement quand nos dirigeants déclarent publiquement qu'ils sont opposés aux mesures gouvernementales? Nous avons besoin de discuter honnêtement de ces questions. Nous ne pensons pas que la tribune qui nous est offerte le permette.
Nous ne nous attendons à rien de constructif de votre part à notre égard. Nous savons que vous ne vous assurerez pas que le projet de loi protège les premières nations contre les effets négatifs des mesures que vous prenez. Nous savons que vous voulez adopter le projet de loi tel quel, sans disposition concernant nos intérêts constitutionnels et sans vision d'avenir.
Ces considérations constitutionnelles n'existent pas seulement depuis 1982. Leurs origines remontent aux relations de longue date entre la Couronne et les premières nations, les premiers habitants du pays. Ces relations ont été établies clairement et confirmées par les traités conclus entre la Couronne et les premières nations. Nous sommes les seuls peuples du pays à avoir conclu des traités avec la Couronne. Votre loi exige que ces traités soient respectés.
Cette relation de nation à nation est inscrite dans les premières dispositions constitutionnelles du Canada, y compris la Proclamation royale de 1763. Cette ancienne partie de la Constitution canadienne réaffirme la reconnaissance de la relation nation à nation des premières nations avec la Couronne. Elle garantit la protection par la Couronne de nos intérêts concernant les terres et les ressources et exige notre consentement dans les négociations sur le sujet.
Nous devons vous dire que vous jouez avec notre avenir et que c'est inacceptable pour nous. Les mesures de votre gouvernement ne respectent pas cette importante relation, sans laquelle votre confédération n'existerait pas. Ce projet de loi porte gravement atteinte à la relation des premières nations avec la Couronne. On ne nous a pas demandé notre avis et on ne nous a pas demandé non plus de participer à la rédaction des mesures actuellement prises.
La loi canadienne reconnaît que la Couronne a le devoir d'assurer la protection des droits ancestraux et issus de traités des premières nations. Le gouvernement libéral prétend accepter que le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale est un droit reconnu et confirmé par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Par conséquent, le gouvernement du Canada doit, à tout le moins, veiller à ne pas agir de façon à porter atteinte à ce droit.
Si le gouvernement actuel voulait vraiment reconnaître nos droits, il n'empêcherait pas la reconnaissance ultime des peuples autochtones en tant que partenaires à part entière. Au lieu de nous ouvrir les portes, le gouvernement semble les fermer à clé.
Le présent projet de loi limite clairement la possibilité d'apporter les amendements requis pour mener à terme le programme constitutionnel autochtone. C'est comme si les responsabilités que la Couronne a, selon la Constitution, de protéger nos droits étaient tout à coup sacrifiées pour obtenir l'appui des électeurs québécois. Ces mesures affaiblissent clairement l'autorité fédérale et constitutionnelle dont les premières nations ont besoin pour assurer leurs droits.
Nous ne sommes même pas convaincus que les mesures proposées sont avantageuses pour les Québécois ou les Canadiens. Quelle a été la contribution des citoyens au processus? Des mesures unilatérales n'aideront jamais à assurer l'unité du Canada. Des lois imparfaites comme celle-ci ne pourront jamais être corrigées. De mauvaises lois pourraient mener à une impasse politique ou, pire encore, au chaos politique.
Nous voulons savoir pour quelle raison le gouvernement fédéral accorde un droit de veto à cinq régions qu'il a choisies de façon arbitraire. Pourquoi changez-vous les règles régissant la révision de la Constitution avant de mener à terme le programme constitutionnel déjà entrepris avec nous? Les sénateurs seront-ils prêts à accepter les prétentions du gouvernement actuel selon lesquelles le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale est suffisamment reconnu et protégé?
Vous êtes prêts à prendre des mesures draconiennes sous prétexte de protéger le statut particulier du Québec au sein de la Confédération, mais vous laisseriez les premières nations, dont la relation particulière avec la Couronne est reconnue par vos lois, être protégées par des mesures gouvernementales.
Nous ne contestons pas les aspirations du Québec. Notre mandat consiste à protéger les intérêts de toutes les premières nations, y compris celles établies sur le territoire du Québec. La reconnaissance de l'autonomie et de l'autorité des gouvernements des premières nations doit accompagner toutes les mesures qui auront tôt ou tard une incidence sur nos droits et nos liens constitutionnels avec le Canada.
Compte tenu des tensions croissantes au sein de nos communautés, qui sont attribuables en grande partie aux mesures unilatérales de vos gouvernements, nous aurions pensé que vous auriez cru dans votre intérêt de nous inclure dans vos plans constitutionnels. C'est insensé de nous exclure à ce moment-ci parce que nous ne pouvons aller nulle part ailleurs. Nous sommes chez nous ici. Nos racines sont ici et pas ailleurs.
Honorables sénateurs, comment pouvez-vous sauver notre pays de l'autodestruction? Avez-vous déjà employé votre pouvoir pour préserver l'honneur de la Couronne à propos de ses relations, de son discours et de ses responsabilités à l'égard de mon peuple, les premières nations du Canada?
Honorables sénateurs, en tant que membres de la chambre de réflexion, quelles valeurs ou quels principes avez-vous adoptés par le passé pour veiller à ce que les lois de la Chambre des communes soient équitables, honnêtes, légitimes et justes envers les premières nations? Pouvons-nous nous attendre à ce que votre Chambre sauve l'honneur de la Couronne et veille à ce que nos droits ancestraux et issus de traités ne soient pas bafoués et violés par les ministres fédéraux dont la vision du Canada n'englobe pas les peuples autochtones?
Nous sommes déjà venus devant le Sénat pour demander votre intervention, obtenir votre appui afin de protéger nos droits et nos libertés. La dernière fois que le Sénat nous a déçus c'est quand il a refusé de défendre les droits ancestraux et issus de traités contre les efforts de l'honorable Allan Rock pour imposer des mesures de contrôle des armes à feu à tout le monde au Canada.
Quelles valeurs et quels principes le Sénat a-t-il employés alors pour répondre à notre demande d'aide? La Chambre des communes portait clairement atteinte à ses obligations constitutionnelles qui exigeaient qu'elle accorde la priorité aux droits constitutionnels plutôt qu'à la Loi sur le contrôle des armes à feu. Pourtant, le Sénat n'a rien fait pour défendre nos droits et n'a donc pas sauvé l'honneur de la Couronne. Devrions-nous nous attendre à autre chose dans le cas du projet de loi C-110? En fait, nous devrions nous attendre à autre chose, et c'est ce que nous faisons, mais je crois que la réponse sera la même.
En tant que partisans du fédéralisme, vous ferez ce que la Chambre des communes fait - c'est-à-dire que vous agirez comme si nous n'avions ni droits ni libertés déterminés en tant que peuples autochtones de ce pays. Vous gouvernez maintenant pour vous-mêmes, souvent au détriment des premières nations.
Même si ce projet de loi ne menaçait pas tant nos intérêts, il n'est vraiment pas avantageux pour les Canadiens. Le projet de loi C-110 ne vise pas l'unité du Canada; il est un cauchemar de dissensions politiques et régionales.
Monsieur le président, je veux conclure mes observations en rappelant aux sénateurs ici présents, à ceux qui ont travaillé à l'Accord du Lac Meech et aux autres qui ont pu participer aux discussions sur l'Accord de Charlottetown, que l'échec de l'Accord du Lac Meech s'explique par le fait qu'il était injuste pour les premières nations, que cet accord a été préparé sans que nous y ayons contribué de la façon voulue, sans égard à nos droits et que cette exclusion a contrarié notre peuple. Dès que nous avons eu les moyens légaux de le rejeter, nous l'avons fait sans regret.
L'Accord de Charlottetown visait à régler des questions importantes au Canada. Il nous incluait. Il a été finalement rejeté par la population canadienne, mais le processus était juste.
Ce qui manque maintenant sur le plan constitutionnel au Canada c'est un gouvernement qui veut assurer l'unité du pays. Le gouvernement qui siège au Parlement a peur du mot «Constitution», il essaie de régler les problèmes d'unité nationale en créant des emplois et en s'occupant de l'économie du pays.
Il demeure que les propositions du premier ministre vont paralyser toute réforme constitutionnelle future au Canada. Il demeure que ce qui divise le pays actuellement, c'est son incapacité de se renouveler, notamment sur le plan constitutionnel.
Aucun stimulant économique n'arrivera à créer l'unité au pays. On reconnaît à l'échelle mondiale que le Canada jouit du niveau de vie le plus élevé parmi les pays industrialisés. De nombreux politiciens, y compris le premier ministre, n'hésitent pas à s'en vanter auprès de la communauté internationale. Or, malgré ce niveau de vie élevé dont bénéficie la population du Québec et d'ailleurs, à l'exception du peuple que je représente, les problèmes d'unité persistent. Ce n'est donc pas l'amélioration de la situation économique qui permettra d'assurer l'unité du pays.
Votre seule possibilité, c'est de travailler avec chaque intérêt particulier au pays, d'adopter une approche globale et de ne fermer la porte à aucune option propre à favoriser le rapprochement des gens. Le premier ministre a fermé la porte constitutionnelle. Le Sénat devrait indiquer clairement dans ses délibérations que le Canada ne doit négliger aucune option dans le cadre de ses efforts destinés à maintenir l'unité nationale.
Pour notre peuple, Gustafsen, Ipperwash et avant cela Oka ont représenté une solution de rechange, solution dont nous ne voulons pas mais qu'il nous est impossible d'éviter si le pays continue à nous traiter comme si nous n'existions pas. Voilà quelle est notre relation actuelle avec le gouvernement libéral. Les premières nations ne figurent même pas sur la liste prioritaire des groupes conviés à discuter de l'unité.
Lors du débat référendaire, les dirigeants autochtones ont été profondément blessés par l'absence de toute mention des peuples autochtones dans les quatre grands discours prononcés par le premier ministre. Ils n'y ont pas été mentionnés une seule fois.
Quel est le message qu'il voulait transmettre? En tant que dirigeants autochtones, voici le message que nous avons entendu: «Vous êtes le cadet de nos soucis. Vos droits et vos intérêts au Québec ne nous intéressent pas. Nous sommes prêts à nous servir de vous comme monnaie d'échange du moment que le Québec continue à faire partie du Canada.» C'est ce que nous avons compris.
Le deuxième message que nous recevons est encore plus inquiétant. Le gouvernement libéral n'a pas voulu s'occuper des questions autochtones par crainte d'une réaction brutale au Québec. Comme je l'ai déclaré à la Chambre des communes, je pense qu'il s'est trompé sur la population du Québec. Les préjugés et le racisme ne sont pas plus répandus au Québec que dans le reste du Canada. En vous occupant des questions qui nous intéressent, vous ne perdrez pas le Québec. En fait, vous êtes plus susceptibles de vous rallier le Québec puisque son avenir est lié au nôtre. Il est impossible que les souverainistes s'emparent de la totalité de la province sans s'occuper des droits ancestraux et issus de traités des premières nations dans cette province. Nos destins sont liés.
Ce qui est absent du discours sur l'avenir du pays, c'est le rôle positif que nous pouvons y jouer. Lorsque j'ai essayé de forcer les portes du comité de l'unité, je me suis heurté à un mur de résistance. J'ai écrit à chaque membre du comité pour tåcher de convenir d'une occasion de m'entretenir avec eux. Dans chaque cas, ils m'ont renvoyé au ministre des Affaires indiennes.
Je tiens à dire au comité que le ministre des Affaires indiennes n'est pas le porte-parole des autochtones. C'est un préposé de l'État. Il représente le gouvernement fédéral, et non les autochtones. C'est pourquoi il nous blesse profondément d'entendre le comité de l'unité nous dire: «Allez voir Ron Irwin. Il fait partie de notre comité; il peut parler en votre nom.» Ce n'est pas ainsi que l'on doit aborder le changement constitutionnel, ni que l'on doit protéger nos intérêts. Ce processus ne nous satisfera pas.
Le président: Merci, chef Mercredi.
Nous entendrons maintenant les représentants du Congrès des peuples autochtones.
M. Dan Smith, président, United Native Nations: Merci, monsieur le président. Avant de commencer, j'aimerais me présenter. Mon nom autochtone est Haalikqlis. Je viens du territoire Kwakiutl, en Colombie-Britannique. Je suis président de United Native Nations, une organisation de la Colombie- Britannique qui représente les intérêts et les préoccupations des autochtones qui vivent en milieu urbain, dans les régions éloignées et isolées. À l'heure actuelle, notre organisation compte environ 28 000 membres. Notre affiliation avec les organisations nationales est axée sur la coopération et vise à resserrer et à renforcer ce réseau de coopération. Je tiens à vous remercier de nous avoir offert l'occasion de comparaître devant le comité spécial du Sénat chargé d'examiner le projet de loi C-110.
Nous aimerions commencer par présenter notre organisation et par vous indiquer qui nous représentons. Le Congrès des peuples autochtones était connu auparavant sous le nom de Conseil national des autochtones du Canada. Notre organisation fait partie de quatre organisations politiques nationales et a été l'un des principaux intervenants dans les processus constitutionnels qui ont précédé l'initiative actuelle en matière d'unité. Nous représentons les intérêts des autochtones qui vivent à l'extérieur des réserves.
Selon le dernier recensement canadien, à peine moins de 600 000 personnes d'origine autochtone vivent à l'extérieur des réserves. Par comparaison, on n'a recensé que 186 900 Indiens inscrits vivant dans des réserves. Bien qu'un recensement puisse sous-estimer la taille de la population autochtone, la tendance est claire: un nombre de plus en plus grand d'autochtones vivent à l'extérieur des réserves et leur pourcentage par rapport à l'ensemble de la population autochtone est à la hausse.
Lorsque vous tenez compte du taux élevé de natalité chez les autochtones et du fait que la population autochtone est beaucoup plus jeune que la population moyenne canadienne, il n'est pas étonnant que les autochtones en milieu urbain représentent le segment de la population canadienne dont la croissance est la plus rapide. Comme les Canadiens du «baby boom» approchent de l'åge de la retraite et comptent de plus en plus sur la sécurité de la vieillesse, ces jeunes autochtones sont essentiels à la viabilité future de ces programmes. Notre objectif consiste à nous assurer que ces jeunes acquièrent les aptitudes et les autres outils dont ils auront besoin pour contribuer à ces initiatives sociales et économiques, plutôt que d'être un fardeau pour le système.
Si nous débutons notre présentation en mettant l'accent sur les conditions démographiques et sociales de notre peuple, c'est que nous sommes persuadés qu'il faut consolider l'économie et y assurer une place aux autochtones. Les emplois et la croissance économique sont une priorité et ce sont les domaines où les Canadiens, y compris les autochtones, veulent que nous axions nos efforts.
Nous avons eu l'occasion d'examiner les présentations faites par le ministre de la Justice et les déclarations du premier ministre et du ministre des Affaires indiennes, où on laisse entendre que le projet de loi C-110 ne portera pas atteinte aux droits ancestraux et issus de traités, y compris le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Cela peut ou non être le cas. Quoi qu'il en soit, il sera sûrement plus difficile désormais de modifier la Constitution canadienne si le consentement régional devient une condition préalable à tout projet de modification constitutionnelle. À notre avis, il ne faudrait pas compliquer davantage le mode de révision en y ajoutant des procédures supplémentaires mais plutôt le simplifier.
Nous avons consacré la grande partie des 15 dernières années à tåcher de mieux définir et d'inscrire les droits ancestraux et issus de traités dans la Constitution à l'aide du mode général de révision, mais en vain.
Selon le mode général de révision, nous avons été incapables d'obtenir l'appui d'au moins sept provinces et 50 p. 100 de la population. Comme le Québec a refusé de participer dans le cadre du mode de révision actuel, cela a signifié en réalité que les modifications relatives aux autochtones ont nécessité l'appui de pratiquement toutes les autres régions du pays. Le projet de loi C-110 consolide davantage le pouvoir des régions et nous craignons qu'il accroisse le risque d'une impasse constitutionnelle permanente lorsqu'il s'agira de donner suite aux droits ancestraux et issus de traités.
Le gouvernement canadien laisse également entendre que le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale des autochtones est déjà prévu par la Constitution, ce qui sous-entend que le programme constitutionnel autochtone a été mené à bien.
Or ce n'est pas le cas. De nombreux points à l'ordre du jour constitutionnel des autochtones n'ont toujours pas été réglés lors des tentatives précédentes de modification de la Constitution. Il faut que ces questions fassent l'objet d'un débat constitutionnel.
La politique du gouvernement fédéral relative au droit inhérent à l'autonomie gouvernementale présente le même défaut que le projet de loi C-110, à savoir qu'elle peut être annulée par un autre gouvernement. C'est cette vulnérabilité qui a rendu ces démarches non constitutionnelles difficiles à accepter. En ce qui concerne l'autonomie gouvernementale, nous n'avons pas encore constaté de différences concrètes entre la nouvelle politique d'autonomie gouvernementale et celle instaurée avant l'annonce de la politique fédérale l'été dernier. Nous ne pouvons qu'espérer que le projet de loi C-110 connaîtra le même sort.
Parallèlement, nous sommes conscients que le premier ministre était tenu de remplir l'engagement qu'il avait pris envers le peuple québécois. Le ministre de la Justice, Allan Rock, a indiqué lundi que cette initiative était un moyen pratique et efficace de tenir parole de façon concrète dans un court laps de temps.
C'est peut-être le cas; mais il n'est pas évident que le gouvernement est en train de prévoir une nouvelle stratégie. Nous estimons qu'il faut élargir la portée de l'initiative de l'unité en donnant suite aux questions constitutionnelles qui intéressent les autochtones et en trouvant un moyen mutuellement acceptable de poursuivre le dialogue. Nous estimons que toute nouvelle stratégie doit prévoir notre participation et nous exhortons le comité à reconnaître l'importance de la pleine participation des autochtones à toute nouvelle initiative constitutionnelle.
J'aimerais également rappeler au comité que l'autorité traditionnelle des peuples autochtones dans l'ensemble du Canada existe toujours. Nous tåchons d'affermir cette autorité en sensibilisant le gouvernement non autochtone au fait que les premières nations ont conservé un système de gouvernement depuis l'arrivée des premiers Européens.
Le sénateur Eugene Forsey a indiqué que la relation de gouvernement à gouvernement entre le gouvernement du Canada et les gouvernements autochtones du Canada s'apparente à un mariage et que modifier cette relation supposerait un processus extrêmement complexe.
Monsieur le président, j'aimerais maintenant demander à M. Jim Sinclair de poursuivre.
M. Jim Sinclair, président, Congrès des peuples autochtones: Bonjour. Je participe à ces discussions constitutionnelles depuis un certain nombre d'années. Déjà à la conférence de Victoria, j'avais certaines idées concernant notre participation et notre place au sein de la Confédération, et nous travaillons à concrétiser ces objectifs depuis un certain nombre d'années. Vous vous souviendrez qu'en 1982, lorsque nous avons inscrit les Métis dans la Constitution, gråce à la reconnaissance des trois peuples, nous nous sommes heurtés à de nombreuses difficultés.
Même si nos droits ont été clairement enchåssés dans la Constitution, leur mise en oeuvre a été très ardue au cours des dernières années. Lors du dernier échec des discussions que nous avons eues - et je déteste parler d'«échec», car bien des gens ont mis tout leur coeur et toute leur énergie dans ces discussions et avaient sans doute de bonnes idées, nous ne sommes pas arrivés à nous entendre - la raison pour laquelle je n'ai pas pu appuyer chaque accord, l'Accord du lac Meech en particulier, et celui de Charlottetown, c'est qu'ils ne prévoyaient pas de territoire pour notre peuple. J'estime que l'une des choses que ce pays doit comprendre, c'est que pour nous, il est important de posséder un territoire. Nous ne pouvons demeurer isolés dans les réserves. Elles sont petites et ne répondent plus à nos besoins.
Nous vivons dans le deuxième pays le plus important au monde et nous avons une population d'environ 30 millions. Nous avons plus de ressources que tout autre pays au monde. Quatre-vingt-dix pour cent d'entre nous vivons à environ 100 milles de la frontière américaine. Compte tenu de ce facteur, je ne vois pas comment on peut justifier de ne pas accorder d'importance à la question d'un territoire pour notre peuple.
Chaque fois que nous revenons ici à cette table, nous parlons de nos droits et de la façon dont nous pouvons les mettre en oeuvre. Ce dont nous avons besoin, ce sont de possibilités. Comme le premier ministre Trudeau l'a dit il y a bien des années: «Ne parlez pas de vos droits; exercez-les.» Lorsque nous essayons d'exercer nos droits, le problème, c'est qu'au lieu de pouvoir tenir des discussions politiques qui permettraient de régler certains de ces problèmes, nous devons faire face à toute une série de lois et de poursuites judiciaires.
L'examen par la Cour suprême des questions et des droits autochtones coûte très cher au pays. Le pouvoir de veto présenté dans le cadre de cette nouvelle offre par l'intermédiaire du Parlement l'a sans doute été dans l'intention louable de préserver l'unité du pays. Cependant, chaque fois que nos droits sont inscrits et protégés, on adopte une autre loi qui nous laisse de côté. Nous sommes alors portés à nous demander où se trouve notre place. Nous n'arrivons jamais à savoir où nous en sommes. C'est un problème dans ce pays, et c'est un problème pour nous.
Je le répète, l'autonomie gouvernementale n'est pas un sujet qui nous réunit tous les 100 ans autour d'une table et sur lequel nous nous entendons pour retourner par la suite chacun chez nous. C'est un processus permanent dont l'évolution nécessite des changements quotidiens. C'est un concept nouveau pour nous et nous devrons y consacrer beaucoup de temps. Nous avons besoin d'aide.
J'ai participé à la dernière ronde du référendum québécois. Nous pouvions voir comme tout le monde à quel point la lutte était serrée. Si le Canada veut rester uni, il ne devrait pas ériger des murs comme les veto. Si nous voulons vraiment rester ensemble, alors, au lieu de donner à chacun des pouvoirs supplémentaires, nous devrions plutôt chercher des moyens de bien faire ressortir le coût qu'entraîne la séparation et les conséquences inévitables de ce geste.
Prenons par exemple la question du 50 p. 100 plus un. Je ne vois personne s'y arrêter. Pourquoi ne serait-ce pas 75 p. 100? Pourquoi ne pas compliquer la tåche de ceux qui veulent quitter ce pays? Donner un droit de veto à des gens c'est leur permettre de l'utiliser et de dire: «Si vous ne me donnez pas ceci ou cela, je partirai.» C'est faire fausse route. Je veux que les gens s'unissent et ne se servent pas de ce pouvoir pour s'éloigner. Toutes les fois que l'on recourt à cette mesure, cela nous retombe sur le nez et nous n'avons aucune chance de nous rattraper.
C'est la première ronde des pourparlers de 1997. Je ne crois pas que ce pays restera uni sans certaines concessions et modifications constitutionnelles. Vous n'y parviendrez pas par la simple adoption d'une loi au Parlement. Vous devez travailler très fort et faire à tout prix appel à la population.
Comme l'a dit le chef national, nous avons été déçus par le passé. Nos droits et notre cause n'ont pas vraiment beaucoup progressé.
Par exemple, à l'heure actuelle, beaucoup de nos jeunes gens, qui représentent plus de 50 p. 100 de notre population, sont sans travail. Dans nos collectivités, le chômage oscille entre 90 et 100 p. 100. Nous avons des problèmes de consommation excessive d'alcool et de drogues. Nos peuples s'inquiètent de l'épuisement futur des fonds de retraite par les baby boomers et de la façon dont nous paierons pour ces pensions. Notre peuple ne compte pas dans l'économie. Comment pouvez-vous compter sur un filet de sécurité sociale dans l'avenir si vous avez à l'heure actuelle des gens qui n'y contribuent pas ou qui saignent l'économie - non par leur propre faute mais par celle des règlements et des lois du gouvernement?
Beaucoup de temps et d'énergie ont été consacrés à construire des prisons et à mettre en place des systèmes de sécurité sociale qui insultent notre peuple et nous déresponsabilisent. Quand nous permettra-t-on de sortir de ces prisons et d'entrer dans le monde réel, où nous pouvons prendre des décisions et avoir notre propre influence dans la société? Vous devez prendre certaines décisions au cours des prochains mois, à savoir si vous continuez à nous incarcérer et à nous oublier ou si vous nous offrez l'égalité des chances dans ce pays. Cela revêt de l'importance pour nous.
Comme je l'ai dit, vous vous demandez qui paiera la facture dans les années à venir. Ce ne sera pas nous parce que nous n'avons pas d'emplois. Par ailleurs, ce ne sera pas nous si nous ne sortons pas des prisons, si nous ne nous libérons pas du système de sécurité sociale, si nous ne quittons pas les foyers d'accueil ou si nous n'intervenons pas dans l'économie réelle. Quelqu'un m'a dit: «Pourquoi devrions-nous vous donner de l'argent tous les ans?» Vous le faites pour bien paraître. Nous avons un ministre qui, tous les printemps, a de l'argent pour la sécurité sociale. Il le distribue pour aider les pauvres. Il offre quelques dollars pour la formation pour aider les pauvres. Cela se fait selon les bons caprices du gouvernement, qui obtient la gloire pour le peu qu'il distribue. Pourquoi ne jetez-vous pas un coup d'oeil au PNB.? Pourquoi ne jetez-vous pas un coup d'oeil aux ressources de ce pays? Considérez-les comme s'il s'agissait de notre part pour que nous puissions dépenser cet argent comme bon nous semble. Nous pouvons nous occuper de questions comme les pensions et la défense, là où nous payons notre juste part. Une partie de cet argent doit nous être remise en raison de nos ressources - c'est-à-dire, les ressources que nous possédons et que nous partageons avec le Canada - et non parce que nous sommes des prestataires d'aide sociale.
Dans le nord de la Saskatchewan, de l'Alberta et du Canada, d'énormes profits sont réalisés par de grandes entreprises qui prennent nos ressources. Ces profits reviennent également aux gouvernements provinciaux, qui les retournent ensuite sous forme de chèques de bien-être social aux personnes qui devraient travailler dans ces régions. J'estime que le Canada en est maintenant au point où il doit décider si nous continuons de peupler les prisons ou s'il nous libère et nous donne des pouvoirs.
Dans ce pays, lorsqu'on parle de liberté, on parle de gens. Il est difficile de trouver une cause. Les révolutions sont habituellement le produit des gens qui prêchent pour leur saint et font intervenir les pauvres. La question dont nous parlons met en cause une province très riche qui se bat avec le gouvernement fédéral, lequel possède la richesse, et d'autres parties du Canada. C'est une lutte de pouvoirs, non de peuples. Si ce pays veut rester uni, il doit y déployer toute l'énergie nécessaire pour y parvenir.
Je suis disposé à aider du mieux que je peux pour garder ce pays uni, même si nous en payons maintenant le prix. Lorsque le gouvernement fédéral accorde aux provinces un droit de veto ou acquiesce à leurs demandes pour satisfaire des objectifs économiques ou politiques, il supprime les programmes qui nous sont destinés au niveau fédéral, pour lesquels le gouvernement a une responsabilité fiduciaire, et en transfert l'administration aux provinces dont nous devenons ainsi le jouet. Cet argent nous appartient et il nous incombe de décider comment nous voulons le dépenser. Nous devons nous attaquer à ces problèmes.
Nombreux sont les témoins autour de cette table qui ont participé à quantité de réunions au fil des ans et ont entendu encore et encore la même histoire. À chaque conférence, on nous répond «non». J'ai tellement entendu de fois le mot «non» que je me demande si je pourrais assister à une autre conférence pour l'entendre de nouveau. Je veux entendre les gens dire: «Oui, nous pouvons faire cela. Oui, nous pouvons libérer les peuples autochtones de ce pays. Nous pouvons les libérer pour qu'ils travaillent, pour qu'ils s'instruisent et pour qu'ils prennent leur place dans la société.» Nous n'avons pas à vivre, comme nous l'avons fait pendant de nombreuses années, enchaînés. Nous avons besoin de gouvernements qui s'attaqueront non seulement à ces questions dont j'ai parlé, mais aussi à celles qui préoccupent tous les habitants de ce pays.
Permettez-moi de bien me faire comprendre à ce sujet: ou vous dépenserez davantage - plus que les contribuables sont en mesure de payer - pour cette mentalité et cette économie de bien-être social ou nous en sortirons et assumerons notre propre fardeau et nous aurons notre propre influence dans ce pays. Cela signifie pour nous la liberté. C'est une décision que vous devez prendre.
M. Smith: Monsieur le président, je me suis présenté sous mon surnom, Dan Smith. Comme les non autochtones ne parvenaient à prononcer Haalikqlis, ils m'ont donné cet autre nom.
Le président: Je tiens à remercier Haalikqlis et M. Sinclair. Nous n'allons pas les interroger, mais plutôt traiter de cette question dans le cadre de la table ronde que nous aurons avec tous les chefs cet après-midi.
Si les témoins de l'Inuit Tapirisat du Canada sont dans la pièce, nous pourrions peut-être les entendre maintenant.
Honorables sénateurs, je suis heureux de souhaiter la bienvenue à la présidente de l'Inuit Tapirisat du Canada, Rosemary Kuptana, qui est bien connue de beaucoup de monde dans cette pièce, de même qu'à Wendy Moss, que bien des parlementaires connaissent puisqu'elle travaillait il n'y a pas si longtemps à la Bibliothèque du Parlement.
Mme Rosemary Kuptana, présidente, Inuit Tapirisat du Canada: Merci. Comme notre exposé est assez long, je demanderai à Wendy Moss de m'aider à le lire aux fins du compte rendu.
L'Inuit Tapirisat du Canada s'oppose à l'adoption du projet de loi C-110. Ce n'est pas une mesure qui mène au renouvellement de la Constitution ou à l'unité nationale à long terme. Ce projet de loi ne peut rien accomplir, si ce n'est aggraver l'imbroglio constitutionnel que nous avons connu par le passé.
Avec le projet de loi C-110, la procédure de modification autrement neutre, qui requiert l'accord de sept provinces représentant 50 p. 100 de la population, mettra dorénavant l'accent sur le régionalisme et le provincialisme, au sens le plus péjoratif de ces termes. L'idée de créer une combinaison de veto provinciaux et régionaux en limitant, par la voie législative, les pouvoirs du Parlement en matière constitutionnelle constitue, à notre avis, une tentative inconstitutionnelle de modifier la procédure de modification prévue à la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette loi établit les modalités et formules de modification de la Constitution, précise le rôle du gouvernement fédéral et des provinces, ainsi que le nombre de provinces dont il faut l'accord pour modifier la Constitution.
Le projet de loi C-110 viole les dispositions de la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 de deux façons au moins. Premièrement, le C-110 lie le gouvernement fédéral en supprimant le pouvoir discrétionnaire dont jouit le Parlement fédéral aux termes de l'alinéa 38a) de la Loi constitutionnelle de 1982 par le biais d'une disposition trompeuse qui semble limiter seulement le pouvoir discrétionnaire des ministres. Or, ce projet de loi ne limite pas seulement le pouvoir discrétionnaire qu'ont les ministres de présenter des modifications constitutionnelles. Il limite aussi le pouvoir discrétionnaire qu'a le Parlement fédéral d'approuver les modifications proposées, étant donné que le Parlement ne pourra être saisi des propositions. Cet aspect du projet de loi C-110 va à l'encontre de l'esprit et de la lettre de l'alinéa 38a).
Deuxièmement, les modalités législatives exécutoires selon lesquelles le Parlement fédéral exercera son pouvoir aux termes de l'alinéa 38a) modifient dans les faits la formule prévue à l'alinéa 38b) pour le consentement des provinces. Il sera dorénavant impossible de réunir sept provinces quelconques pour fournir le consentement requis par l'article 38. Ces sept provinces doivent maintenant inclure le Québec, l'Ontario, la Colombie-Britannique et la juste combinaison de provinces provenant des régions définies. À notre avis, ce projet de loi s'attaque à l'essence même de la procédure de modification.
De plus, le projet de loi C-110 va nuire profondément aux droits et aux intérêts des peuples autochtones dans les territoires du Nord. Lors des pourparlers constitutionnels antérieurs, on s'était entendu pour dire que toute modification constitutionnelle garantissant le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale nécessiterait l'accord de sept provinces représentant 50 p. 100 de la population. Le projet relatif au droit de veto modifierait cette formule par le biais d'un mécanisme extra constitutionnel. Toute modification constitutionnelle liée aux questions autochtones deviendrait donc très difficile sinon impossible.
Nous notons que la procédure de modification actuelle est déjà considérée par bien des constitutionnalistes comme étant trop rigide. Le projet de loi ne fait qu'aggraver le problème qui a déjà fait obstacle à la réforme constitutionnelle demandée par le Québec, les peuples autochtones et les autres provinces et régions du pays.
L'ITC s'oppose aussi fermement à ce qu'on impose des veto régionaux ou provinciaux à la création de nouvelles provinces. Nous tenons à souligner au comité et aux Canadiens que les Inuit ont assisté avec tolérance à la création d'un État tout entier qui a mené à l'apparition de territoires et de provinces sur nos terres traditionnelles. Nous avons toujours fait l'impossible pour collaborer à l'unité nationale. Nous n'avons chassé personne de nos terres. Nous n'avons jamais fait preuve de xénophobie. Nous avons applaudi à l'adoption de la Charte des droits et libertés. Or, lorsque le territoire du Nunavut voudra devenir une province, notre rêve sera soumis aux caprices du régionalisme et du provincialisme, dans tous les sens du mot. À notre avis, ce n'est pas ainsi qu'on båtit un pays.
Comme l'a signalé hier le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, le projet de loi C-110 empêcherait le gouvernement fédéral de proposer des modifications constitutionnelles qui rendraient possible la création du Nunavut. De manière plus précise, il faudra manifestement modifier la Charte des droits et des libertés pour y inclure le territoire du Nunavut. Or, rien ne devrait empêcher le gouvernement de proposer une telle modification, compte tenu des obligations conventionnelles qu'il a contractées et de la loi qu'il a adoptée, loi qui prévoit la création du territoire du Nunavut d'ici 1999.
Le projet de loi C-110 doit être analysé à la lumière de la démarche récente du gouvernement fédéral en faveur de l'unité. Par conséquent, nous jugeons nécessaire de dire quelques mots au sujet de la stratégie d'unité nationale mise sur pied par le gouvernement.
D'abord, cette stratégie n'inspire aucune confiance, et j'espère que cette situation va changer. La performance du gouvernement fédéral lors du dernier référendum n'a pas impressionné. La confiance démesurée affichée par le gouvernement fédéral, qui prévoyait une victoire facile, et l'absence de tout plan d'action en cas d'un virage soudain en faveur de la souveraineté, ont constitué des échecs évidents.
Depuis le référendum, l'élaboration de propositions visant à promouvoir l'unité nationale s'est faite dans le secret. Le projet de loi C-110 et la résolution sur la société distincte ont été préparés avec l'aide d'un petit groupe de conseillers et de hauts fonctionnaires fédéraux avant d'être adoptés à toute vapeur par la Chambre des communes. Le gouvernement fédéral, qui au début était trop confiant de remporter le référendum, se trouve aujourd'hui paralysé par la crainte, ce qui l'incite à travailler en vase clos. On ne sait même pas si ce projet de loi, en supposant qu'il soit constitutionnel, saura satisfaire les attentes constitutionnelles du Québec. Avec tous ces veto, comment pourra-t-on, à l'avenir, modifier la Constitution?
Il semblerait qu'un des aspects clé de la nouvelle stratégie fédérale consiste à exclure les autochtones des discussions constitutionnelles qui auront lieu en 1997. Le gouvernement fédéral, dans sa plus récente panique au sujet de la place du Québec au sein du Canada, nous dit de nous enlever du chemin. Il soutient, avec cynisme, que la soi-disant reconnaissance du droit inhérent des peuples autochtones à l'autonomie gouvernementale est garantie par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Les Inuit ont toujours dit que la reconnaissance de ce droit fera des Inuit des partenaires de plein droit de la Confédération. La consécration de ce droit dans la Constitution justifie la participation des peuples autochtones aux conférences constitutionnelles.
Mme Wendy Moss, conseillère, Inuit Tapirisat du Canada: Le gouvernement fédéral n'a pas encore proposé de stratégie réaliste qui lui permettra de faire face à un nouveau référendum sur la souveraineté du Québec. L'idée de recourir au droit de révocation, qui est tombé en désuétude, est insensée et non fondée. Il ne faut plus s'attarder à se demander si le gouvernement provincial a, de l'avis du gouvernement fédéral, posé une question référendaire qui est peu claire. Le gouvernement fédéral doit communiquer de manière efficace avec les Québécois afin de leur offrir un choix qui est clair et leur faire comprendre qu'il a l'intention d'assurer le respect de la Constitution du Canada.
Durant le dernier référendum, la question posée était liée à un projet de loi déposé à l'Assemblée nationale du Québec, un projet de loi qui était manifestement inconstitutionnel. Le gouvernement fédéral aurait dû contester ce projet de loi. Il aurait dû intervenir dans l'affaire Bertrand, et il aurait dû intervenir dans l'affaire Singh c. V.G. Québec, une poursuite intentée par Stephen Scott devant la Cour supérieure du Québec, au nom de cinq citoyens québécois.
Pourquoi le gouvernement fédéral n'a-t-il pas contesté la validité du projet de loi 1, qui portait sur l'avenir du Québec et qui était manifestement inconstitutionnel?
Il est un autre point qu'il convient de souligner: les souverainistes ont l'intention de réaliser l'indépendance du Québec sans tenir compte des désirs démocratiques des Inuit et des Cris du Nord québécois et sans tenir compte de nos droits garantis par la Constitution. Le gouvernement fédéral doit s'attaquer à la question de l'intégrité territoriale et des droits de la personne. Le message que doit transmettre le gouvernement fédéral est clair et simple. Les souverainistes ne peuvent avoir le beurre et l'argent du beurre. Si des référendums démocratiques peuvent suffire à démembrer le Canada, alors des référendums démocratiques peuvent suffire à démembrer le Québec. De l'avis des Inuit, si les habitants du Nord québécois choisissent de demeurer au sein du Canada, il faut alors respecter le droit des peuples de ces territoires de rester au sein du Canada et maintenir le statu quo.
Les droits des peuples autochtones garantis par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et la Convention de la Baie James et du Nord québécois confirment le droit des Inuit de demeurer au sein du Canada et de conserver leurs territoires traditionnels. Le premier ministre, le Parlement et le gouvernement du Canada sont tenus de respecter et de protéger ces droits.
Le projet de loi C-110 contient une lacune majeure: il empêche le gouvernement fédéral d'entreprendre les réformes constitutionnelles jugées nécessaires pour préserver et promouvoir l'unité nationale du Canada. Le gouvernement central devrait posséder ce pouvoir. En proposant le contraire, comme le fait le projet de loi, il abandonnerait ses responsabilités. Le gouvernement fédéral devrait, à tout le moins, conserver les pouvoirs que lui confère la Constitution pour régler les questions concernant l'unité nationale, étant donné que cette crise risque de s'aggraver.
Mme Kuptana: Enfin, malgré la performance décevante du gouvernement fédéral, les Inuit croient que le Canada restera uni. Nous croyons que l'avenir du Nord québécois déterminera l'avenir du Canada. Les Cris et les Inuit ont fait part de leur intention de garder le Nord québécois à l'intérieur du Canada. Le gouvernement du Canada doit faire respecter et protéger la Constitution du Canada, de même que nos droits issus de traités qui sont garantis par celle-ci. Nous croyons que les autres Canadiens presseront le gouvernement du Canada d'assurer le respect de la Constitution et aussi de notre droit de rester au sein du Canada.
Le gouvernement ne doit pas avoir peur de tenir des débats ouverts sur ces questions. Les discussions secrètes sur l'unité nationale n'ont jamais servi les intérêts du Canada. Le gouvernement ne peut empêcher les peuples autochtones de participer, aux côtés des gouvernements provinciaux, aux discussions ou négociations formelles sur la Constitution, y compris à la conférence constitutionnelle de 1997.
Nous attendons avec impatience le rapport du comité du Cabinet chargé de l'unité nationale. Il y a plusieurs jours, le ministre Rock a déclaré au comité que le gouvernement adoptera une nouvelle approche et qu'il fera preuve de leadership. Nous nous demandons si, pour le gouvernement, cela veut dire exclure les autochtones de la conférence constitutionnelle de 1997. Nous nous demandons si la nouvelle stratégie tiendra compte des intérêts et des droits des peuples autochtones ou si le gouvernement continuera, par tous les moyens, de faire abstraction du fait que nos droits et intérêts occupent une place importante dans la stratégie d'unité nationale.
Outre ces comparutions devant des comités parlementaires, nous n'avons pas participé à l'élaboration du rapport ou des initiatives actuelles comme le projet de loi C-110 et la résolution sur la société distincte.
D'une façon ou d'une autre, nous ferons en sorte que la voix des Inuit soit entendue par les Canadiens et par la communauté internationale.
Monsieur le président, nous avons des recommandations précises à formuler au comité au sujet de la procédure de modification et de la stratégie d'unité nationale. D'abord, nous proposons que le comité recommande au gouvernement de repenser l'ensemble de sa proposition pour les raisons que nous avons énoncées concernant la constitutionnalité et la menace à l'unité nationale que cause cette formule de modification plus rigide.
Autrement, si le gouvernement décide d'aller de l'avant avec le projet de loi C-110, le comité doit alors recommander qu'on modifie le projet de loi C-110, afin d'exclure de la nouvelle procédure de modification la partie II de la Loi constitutionnelle de 1982, l'article 35 de la Charte des droits et libertés, l'article 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1867, et toute autre disposition constitutionnelle relative aux peuples ou aux droits des peuples autochtones. En outre, le comité doit recommander qu'on modifie le projet de loi afin d'exiger le consentement des autochtones pour toute modification à la partie II de la Loi constitutionnelle de 1982, à l'article 35 de la Charte des droits et libertés, à l'article 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1867 ou à toute autre disposition constitutionnelle relative aux peuples autochtones ou aux droits des peuples autochtones.
De façon plus précise, l'ITC recommande que l'article suivant soit ajouté au projet de loi C-110:
La présente loi ne déroge en rien aux droits, responsabilités, pouvoirs ou privilèges du gouvernement et du Parlement du Canada de proposer ou d'autoriser une modification dans le but de:
a) reconnaître, affirmer ou protéger les peuples autochtones et leurs droits ancestraux et issus de traités ou d'autres droits et libertés, ou
b) préserver et protéger l'unité nationale et l'intégrité territoriale du Canada.
C'est ainsi que se conclut notre mémoire écrit.
J'aimerais terminer en disant que notre exposé d'aujourd'hui montre bien que nous devons nécessairement participer à toute tribune constitutionnelle. Ce n'est pas dans les pratiques d'exclusion que l'on trouvera des solutions à nos problèmes très complexes d'unité nationale et il est donc inutile d'essayer d'écarter les peuples autochtones de la conférence constitution- nelle de 1997.
Si le gouvernement fédéral pense que l'ordre du jour de la conférence de 1997 sera trop chargé, il devrait en discuter avec les chefs autochtones, ainsi qu'avec les premiers ministres ou dirigeants des provinces et des territoires. Si tel était le cas, les Inuits pourraient être prêts à accepter de limiter l'ordre du jour à la procédure de modification. Nous pourrions également convenir de reporter l'étude d'autres questions au moment de négociations ultérieures si d'autres participants au processus de modification exprimaient leur accord à cet égard. Toutefois, si le gouvernement décide de débattre de questions qui visent notre droit inhérent à l'autonomie gouvernementale ou d'autres intérêts constitutionnels, comme la reconnaissance constitutionnelle du Québec comme société distincte, il faudrait bien évidemment qu'il les aborde dans le cadre de la conférence constitutionnelle.
Nous serons heureux de participer aux discussions prévues cet après-midi.
Le président: Merci, madame la présidente. Nous prenons note que votre déclaration sur la politique fédérale relative à l'autonomie gouvernementale autochtone est annexée à votre mémoire écrit, qui a été distribué mais non lu. Il s'agit d'une annexe de quatre pages.
Nous avons l'honneur de recevoir maintenant M. Gerald Morin, président du Métis National Council.
M. Gerald Morin, président, Métis National Council: Merci, monsieur le président et membres du comité. Je suis accompagné par mon collègue, M. Tony Belcourt, président de la Métis Nation of Ontario.
Nous vous remercions de donner au Métis National Council et à la Métis Nation l'occasion de présenter leurs points de vue à propos du projet de loi C-110 et de la question plus vaste du renouvellement constitutionnel au Canada.
Je suis particulièrement reconnaissant au comité sénatorial de qui nous a invités à faire un exposé, car le comité permanent de la Chambre des communes de la justice et des affaires juridiques avait invité d'autres groupes autochtones à comparaître au sujet du projet de loi C-110, décision fort louable; il n'avait toutefois pas invité la Métis Nation ni son organe représentatif, le Métis National Council.
Nous voulons aujourd'hui vous mettre en garde contre ce qui semble être une solution rapide à la crise du Québec, crise évitée de justesse lors du référendum d'octobre.
Même s'il a été rédigé avec les meilleures intentions, ainsi qu'en témoignent les réactions de toutes parts, le projet de loi C-110 ne représente pas, de toute évidence, une solution, étant donné qu'il a été rejeté catégoriquement par beaucoup de Canadiens, par le Québec, ainsi que par les peuples autochtones. Même si les raisons de ces intervenants sont variées, il faut quand même les prendre en compte.
Dans notre cas, en tant que peuple autochtone et nation métis, ce manque d'enthousiasme face au projet de loi C-110 s'explique par la réalité historique et contemporaine de notre peuple.
Historiquement, notre peuple a toujours été désavantagé au sein de la société canadienne, comme peuple autochtone et comme citoyens du Canada. À l'heure actuelle, notre situation reste inchangée.
Je ne me propose pas d'examiner ces questions en détail, puisqu'elles sont bien connues des Canadiens en général et de votre comité en particulier. Toutefois, nous devons montrer clairement la menace immédiate qui se profile à l'horizon constitutionnel et que représente le projet de loi C-110. Si ce projet de loi est adopté, notre peuple continuera de vivre dans l'incertitude à propos de ses droits ancestraux et de ses libertés. À cet égard, nous sommes toujours dans un vide constitutionnel en ce qui concerne le paragraphe 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1867; nous ne savons toujours pas quel palier de gouvernement, fédéral ou provincial, a la compétence et le mandat constitutionnels de traiter avec nous. Par ailleurs, notre droit fondamental de chasse et de pêche qui nous permet de subvenir aux besoins de nos enfants nous est toujours refusé. Enfin, nous sommes toujours tenus à l'égard des divers processus de revendications territoriales.
Le renouvellement constitutionnel, le renouvellement du Canada dans son ensemble, englobant tous les peuples et les intérêts du Canada, est ce qui représente notre seul espoir pour l'avenir. L'adoption de ce projet de loi sonnera le glas des droits de notre peuple, puisqu'il sera pratiquement impossible d'apporter toute autre modification constitutionnelle reconnaissant, élaborant et mettant en oeuvre nos droits. Ainsi que nous l'a démontré l'expérience des années 80, un processus constitutionnel autochtone indépendant ne peut réussir.
Par contre, le processus de Charlottetown de 1992 prouve qu'une approche canadienne concertée peut fonctionner. Ce n'est que par une restructuration fondamentale qui s'appuie sur le changement constitutionnel que l'on peut revivifier et renouveler le Canada, un Canada qui accommode les principaux intérêts et droits de tous ses citoyens, qui maintient l'unité du pays et qui donne aux peuples et aux nations autochtones la place qui leur revient.
Nous proposons donc que cet honorable comité s'emploie à convaincre ses collègues, le premier ministre et la Chambre des communes, du fait que le projet de loi C-110 n'est pas une solution, ni même un élément de solution. Il faut persuader le premier ministre et la Chambre des communes de privilégier une approche qui aille plus loin que celle de Charlottetown, afin de båtir un nouveau Canada.
À cet égard, nous proposons le plan suivant pour réorganiser le Canada comme il le faut, selon nous. J'ai également eu l'occasion de m'entretenir avec certains membres du gouvernement à propos de cette approche particulière que nous défendons devant vous aujourd'hui. Une telle approche nécessite la participation de tous au débat sur les questions à l'ordre du jour: droits des peuples autochtones, aspirations du Québec, et cetera. Les Canadiens doivent être en mesure de participer pleinement à la création d'un nouveau Canada, d'en tirer fierté et de s'en attribuer le mérite.
Une communication et un dialogue directs avec le gouvernement fédéral et toutes les régions du Canada, y compris le Québec, doivent permettre d'englober tous les Canadiens intéressés. La consultation devrait inclure les assemblées constituantes de chaque province et territoire définissant les idées et les options du renouvellement du Canada, sans pour autant faire des propositions de fond ou défendre de telles propositions. Alors que les peuples autochtones devaient participer à ces consultations générales, ils devraient également mener leurs propres consultations parallèles.
À la suite du processus de consultation, des négociations entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux et les représentants des peuples autochtones devraient immédiatement commencer. Ces négociations pourraient appeler la participation de représentants secondaires, comme des leaders d'opinion et des représentants de groupes d'intérêt, qui y participeraient à titre d'observateurs. Les négociations devraient également être télévisées afin que le public en soit informé.
Une fois qu'un accord négocié sera conclu, le gouvernement fédéral devrait tenir un référendum dans toutes les régions du Canada afin de sonder l'avis des Canadiens au sujet des modifications constitutionnelles proposées.
Rôle du premier ministre: le premier ministre doit mettre l'avenir du Canada au premier rang des priorités et des initiatives du gouvernement. Avec ses ministres et ses caucus, le premier ministre doit se rendre dans tout le pays pour parler directement aux Canadiens et les inciter à faire partie du processus. Ce processus doit toutefois englober les représentants de toutes les tendances politiques, ainsi que les représentants des peuples autochtones qui doivent être traités sur un pied d'égalité avec les leaders fédéraux et provinciaux.
Une approche dépassant l'accord de Charlottetown permettra des modifications constitutionnelles qui serviront de fondement au renouvellement et à la prospérité économique du Canada. Si un tel résultat est atteint, le Canada pourra légitimement occuper le premier rang des pays du monde en matière de qualité de vie. Il pourrait donner espoir aux démocraties aux prises à de nombreuses difficultés et servirait de modèle. En outre, en ce qui concerne notre peuple et les peuples autochtones du Canada en général, il serait un modèle et un chef de file dans le domaine des droits des peuples autochtones, droits qui font actuellement l'objet de discussions entre représentants des peuples autochtones et divers représentants de gouvernement au sein des Nations Unies et de l'Organisation des États américains.
Nous vous demandons d'accepter de suivre cette voie.
Le président: Honorables sénateurs, nous remercions M. Morin pour cet exposé et serons heureux de l'accueillir à notre table ronde prévue à 14 heures cet après-midi.
Honorables sénateurs, j'aimerais accueillir en votre nom plusieurs témoins distingués de la Federation of Saskatchewan Indian Nations. Je vais demander au chef Favel de présenter les membres de sa délégation.
M. Blaine C. Favel, chef, Federation of Saskatchewan Indian Nations: Je vous remercie de donner à notre fédération l'occasion de vous exposer en détail une perspective dont les autres organisations des premières nations ne vous ont probablement jamais fait part.
Avant de passer à notre exposé, j'aimerais présenter certains des chefs des premières nations de la Saskatchewan qui m'accompagnent. Le chef Lindsay Kay, de la première nation de Sakimay; notre avocate conseil et spécialiste constitutionnelle, Mme Mary Ellen Turpel-Lafond; le chef Terry Sanderson, de la nation Crie de James Smith; le chef Roy Bird, de la nation crie de Montreal Lake; le chef Richard Poorman, de la nation crie de Kawakatoose.
Nous voulons souligner ce matin la façon dont, selon nous, l'adoption du projet de loi C-110 concernant les modifications constitutionnelles, influera sur nos relations avec le gouvernement du Canada et sur notre avenir au Canada, en ce qui a trait notamment à la question des modifications constitutionnelles.
Ces chefs sont tous membres de la Federation of Saskatchewan Indian Nations. Cette organisation qui célébrera son 50e anniversaire en 1996, passe pour l'une des organisations indiennes les plus fortes, non seulement au Canada, mais aussi dans le monde entier. Nous dirigeons la seule université indienne de l'Amérique du Nord; nous avons un institut technologique; nous dirigeons notre propre institution financière; nous participons à l'exploitation de casinos, ainsi qu'à toute une série d'activités relatives aux droits inhérents à l'autonomie gouvernementale et à l'application de traités.
La Federation of Saskatchewan Indian Nations représente 74 premières nations et 10 conseils de tribu visés par les traités 4, 5, 6, 8 et 10.
Font partie également de notre délégation aujourd'hui deux de nos propres sénateurs, vos homologues du côté du gouvernement indien. Il s'agit du sénateur Hilliard Ermine et du sénateur Solomon Sanderson. La FSIN, dont la structure est très sophistiquée, s'emploie à la défense des droits. Notre propre Sénat est l'un de nos points forts. Nous avons amené nos sénateurs avec nous aujourd'hui pour vous montrer que le Sénat n'est pas simplement là pour approuver sans discussion, mais qu'il joue le rôle de chambre de réflexion et qu'il est chargé de recommander des changements et de solutions de rechange en cas de besoin.
Notre organisation s'emploie depuis longtemps à sauvegarder les relations que nous entretenons avec le gouvernement du Canada. Le fondement de nos relations et de notre coexistence se trouve dans les traités 4, 5, 6, 8 et 10, lesquels visent l'ensemble de la province de la Saskatchewan. Selon nos anciens et notre Sénat, les traités seront toujours le fondement de nos relations avec vous. Les traités indiquent comment vos ancêtres, dans l'Ouest canadien surtout, ont obtenu le droit de partager la terre avec nous, ainsi que le droit de vivre dans la coexistence pacifique avec nous.
Les traités s'appuient sur les concepts de mutualité et de consentement. Les traités n'ont pas été imposés unilatéralement par notre peuple ou par le vôtre. Ils représentent un processus de négociation et de consentement. Cependant, tout au long de notre histoire, les relations que nous avons entretenues avec votre gouvernement, avec le peuple du Canada, se sont amoindries par rapport à celles qui avaient été prévues à l'origine. Les éléments injurieux de la Loi sur les Indiens qui ont interdit à notre peuple d'affirmer ses différences culturelles, les pensionnats, le régime des permis et toutes les atrocités culturelles que nous avons dû subir, sont ce qui a amoindri et déprécié les relations prévues par les traités.
Les premières nations ont toujours respecté les traités. Malgré l'åpreté de nos relations et l'histoire négative que nous partageons avec vous, nous respectons nos traités. Nous voulons vivre dans un esprit de coexistence pacifique et de consentement.
Depuis bien des années - notamment depuis 1982 -, nous nous efforçons de suivre la voie de la réconciliation afin de revenir à des relations placées sous le signe de la coexistence pacifique et du consentement mutuel.
Il reste beaucoup à faire, dans le domaine constitutionnel, pour protéger la mise en oeuvre des traités et le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Selon nous, la politique d'exclusion reflétée dans le projet de loi C-110 sape fondamentalement les efforts que nous déployons en vue de sceller une réconciliation et d'obtenir justice.
Vous ne pouvez repenser le Canada en excluant les premières nations. Vous ne pouvez continuer de vous appuyer sur le passé pour vous approprier un droit divin de gouverner. Assis là, dans vos sièges, vous n'êtes pas supérieurs à nous. Ceux qui sont assis en face de vous ne sont pas des êtres inférieurs. Nous avons le droit d'exiger que l'on respecte les obligations prévues dans les traités; nous avons le droit de proposer des modifications constitutionnelles. Toutefois, le projet de loi C-110 place la barre si haut que la vieille procédure de modification ne s'appliquera plus, particulièrement lorsqu'il sera question de faire reconnaître nos droits dans la Constitution et de poursuivre nos efforts en vue d'avancer notre cause.
Depuis que l'article 35 fait partie de la Constitution, nous nous sommes éloignés de la politique d'exclusion et en sommes presque venus à établir une convention constitutionnelle. Notre expert juridique arguerait avec fermeté qu'une convention constitutionnelle d'inclusion des premières nations a été établie lorsque a été inscrit l'article 35.1 dans la Constitution. Dans nos rapports avec vous, nous nous fions à cette convention constitutionnelle pour obtenir qu'on affirme la mise en oeuvre des traités dans la Constitution et qu'on nous reconnaisse le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Nous misons sur cette convention constitutionnelle.
Ce n'est que récemment, soit durant les 15 dernières années, que vous avez dérogé à votre propre politique d'exclusion, menée depuis des centaines d'années. Pourtant, vous faites rapidement volte-face et revenez à vos bonnes vieilles habitudes d'exclusion en déposant le projet de loi C-110.
Pendant que vous reprenez le pli et que vous envisagez d'exclure les premières nations des pourparlers futurs, rappelez-vous aussi qu'en tant que sénateurs du Canada, vous avez une obligation fiduciaire à notre égard. La Cour suprême du Canada, dans plusieurs arrêts, y compris celui de l'affaire Sparrow, a indiqué que le gouvernement du Canada ne doit pas tenir les premières nations pour des adversaires, qu'il ne représente pas une population dont les intérêts sont opposés à ceux des premières nations, mais bien les premiers occupants et propriétaires des terres que nous avons convenu de partager avec vous. Vous avez une obligation fiduciaire à notre égard, particulièrement en ce qui concerne les traités. Vous avez l'obligation d'agir de bonne foi lorsqu'il s'agit de satisfaire aux aspirations des premières nations.
Si vous réunissez ces deux éléments - soit le fait qu'au cours des 15 dernières années, nous avons presque établi une convention constitutionnelle voulant que les premières nations soient invitées à la table des négociations et l'obligation solennelle que vous avez à notre égard -, vous ne faites pas partie du Sénat à titre individuel, mais bien en tant que membres d'une institution qui a des obligations fiduciaires à l'égard des premières nations.
Si vous vous tournez vers nos sénateurs pour obtenir conseil, nous vous pressons d'agir. Voici en fait ce que nous vous prions instamment de faire à l'égard du projet de loi C-110. Si vous prenez au sérieux les exposés précédents ou vos responsabilités en tant que Chambre de seconde réflexion, vous aurez vite fait de constater que les premières nations sont exclues du processus, qu'elles n'ont pas de voix au chapitre du projet de loi C-110 et que, si ce projet de loi est adopté, vous nous aurez tourné le dos et nous aurez exclus alors qu'il reste tant à faire pour mettre en oeuvre les traités et reconnaître le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.
La Federation of Saskatchewan Indian Nations a débattu du projet de loi C-110, lors de son assemblée législative qui a pris fin au début de janvier. Les chefs ont à l'unanimité rejeté le projet de loi. Je suis ici pour vous transmettre un message: nous sommes contre l'exclusion et nous croyons que nous devons continuer de mener une action concertée en vue de faire reconnaître l'histoire des premières nations et nos droits dans les domaines visés par les traités et inscrits dans la Constitution. Nous recommandons que vous vous opposiez à l'adoption de ce projet de loi.
Si votre Chambre ne s'oppose pas à l'adoption du projet de loi C-110 pour, à tout le moins, respecter ses obligations fiduciaires à l'égard de nos peuples et les conventions constitutionnelles qui ont été établies, nous recommandons que soient ajoutées au projet de loi des dispositions de non-dérogation. Ainsi, quand nous nous présenterons à la table des négociations en 1997, nos droits et l'exclusion ne seront pas remis en question.
La clause de non-dérogation que nous proposons se trouve dans la documentation que nous avons partagée avec vous. Elle dit:
La présente loi ne déroge en rien aux droits, responsabilités, pouvoirs ou privilèges du gouvernement et du Parlement du Canada de proposer ou d'autoriser une modification dans le but de:
a) reconnaître, affirmer ou protéger les peuples autochtones et leurs droits ancestraux et issus de traités ou d'autres droits et libertés, ou
b) préserver et protéger l'unité nationale et l'intégrité territoriale du Canada.
Nous recommandons de plus, comme troisième point, qu'en 1997, le Sénat envoie le message ferme qu'il faut, lorsque les négociations porteront sur la procédure de modification constitutionnelle, que les premières nations y participent pleinement et qu'il ne soit plus question de les exclure.
Vous devez tirer leçon de votre propre histoire qui montre qu'en nous excluant, vous avez causé de grands torts à nos peuples. L'inclusion et la participation des premières nations ne sont pas menaçantes. En fait, elles vous sont avantageuses.
De plus, nous recommandons que les propositions relatives à l'unité nationale que l'on est en train d'élaborer prévoient une forme quelconque de participation des premières nations, que nos peuples soient informés de leur teneur et qu'ils participent à leur rédaction.
En guise de conclusion, je vous remercie de m'avoir invité à témoigner devant votre comité. Je vous remercie également du bienveillant accueil que vous avez réservé à nos sénateurs. J'espère que leur présence vous aura inspiré le courage et la volonté politiques de donner suite à ces exposés, sans quoi votre approbation n'est que symbolique. À notre avis, elle représente plus que cela. Nos propres sénateurs nous ont dit que vous aviez un rôle ferme et important à jouer. Je vous remercie beaucoup.
Le président: Chef Favel, je vous remercie énormément. Nous espérons que vous prendrez part à la table ronde que nous avons organisée pour cet après-midi.
M. Favel: Monsieur le président, nous ne serons pas ici, cet après-midi, à 14 heures. Nos chefs ont d'autres engagements à tenir dans la ville. Si on l'y invite, notre conseillère juridique, Mme Mary Ellen Turpel-Lafond, y sera. Au cas où nous ne pourrions être présents cet après-midi, nous préférerions répondre dès maintenant à vos questions.
Le président: La présidence invite Mme Turpel-Lafond à participer à la table ronde. Étant donné son expertise en droit constitutionnel, elle nous sera d'une grande utilité.
J'ai décidé d'user des prérogatives de la présidence et de profiter de deux circonstances. Tout d'abord, nous avons pris un peu d'avance dans nos travaux - preuve que le comité est bien géré. Nous pourrions donc utiliser la demi-heure ainsi débloquée pour déroger un peu à notre plan et profiter de la présence des chefs pour amorcer un dialogue.
Le sénateur Andreychuk: Monsieur Favel, je vous remercie de votre exposé et de votre mémoire. Vous avez bien fait valoir vos points, non seulement ici, dans cette salle, mais souvent haut et fort en Saskatchewan. Il n'y a pas d'erreur possible quant à votre position.
J'aimerais vous poser des questions au sujet de deux points. Tout d'abord, le ministre de la Justice, qui était ici il y a deux jours, a indiqué que le gouvernement fédéral avait tenu compte des droits autochtones et que le projet de loi C-110 ne violait pas l'article 35 parce que les droits issus de traités n'étaient pas affectés par son adoption. Vous, par contre, avez soutenu le contraire.
Avez-vous eu, au cours des dernières années, du moins depuis l'entrée en vigueur de l'article 35, l'occasion d'évaluer, de concert avec le gouvernement fédéral, de quelle façon vos droits seront touchés? Il existe un processus de consultation que j'ai toujours tenu pour un vaste exercice d'interprétation de l'article 35. Le ministre Rock semble l'avoir mieux cibler afin de permettre au gouvernement fédéral de juger si vos droits sont touchés ou non.
Quand et comment en êtes-vous venu à la conclusion que l'article 35 est violé? De quelle manière estimez-vous que la Constitution vous protège ou qu'elle oblige le gouvernement fédéral à vous consulter?
Deuxième point, le projet de loi à l'étude confère des droits de veto à des régions. Par conséquent, nous parlons ici de provinces ou de groupes de provinces. Avez-vous pu étudier la position du gouvernement de la Saskatchewan? Avez-vous eu des pourparlers et des consultations avec ses fonctionnaires? Comment le droit de veto régional vous touchera-t-il, au niveau provincial?
M. Favel: En ce qui concerne la position énoncée par le ministre de la Justice Allan Rock, selon lequel rien dans le projet de loi n'influe sur l'article 35, malgré tout le respect que nous lui devons, nous ne sommes pas d'accord.
Rien n'est encore réglé quant à l'article 35 et à la reconnaissance explicite et entière du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale dans la Constitution et à la reconnaissance explicite du processus de mise en oeuvre des traités. Les travaux exigés par l'article 35 ne sont pas encore achevés. On a bien sûr cherché à amorcer le processus de mise en oeuvre durant les années 1980, lors des conférences constitutionnelles tenues à cet égard, mais rien n'a encore été fait.
Le projet de loi à l'étude influe sur l'article 35, en ce sens qu'il relève la norme à laquelle nous devons nous conformer pour faire reconnaître ses droits. Auparavant, la Constitution exigeait le consentement de sept provinces représentant 50 p. 100 de la population et le consentement des autochtones. Dorénavant, il faudra de plus obtenir le consentement des régions. C'est un retour, essentiellement, à l'Accord du lac Meech: il faudra obtenir le consentement de toutes les provinces pour modifier la Constitution et faire reconnaître les droits des Premières Nations.
Quant à votre question sur la façon de décider avec le gouvernement du Canada du processus à suivre pour définir les droits des autochtones, notre préférence va à un processus auquel nous participerions de manière constructive. Cependant, ce dialogue n'a pas encore eu lieu en ce qui concerne le projet de loi à l'étude. J'ai exposé notre position au ministre des Affaires indiennes, soit qu'à notre avis, le projet de loi à l'étude représente une violation grave de l'article 35. Il n'a pas donné suite à notre exposé.
De toute évidence, bien que les tribunaux aient précisé que le gouvernement du Canada a une obligation fiduciaire à l'égard des Premières Nations, celui-ci a, à de nombreuses reprises, dérogé à ses obligations. Quand il est question de revendications territoriales, par exemple, nous nous trouvons souvent à jouer le rôle d'adversaire du gouvernement du Canada.
Il est tout à fait injuste, à notre avis, que ce soit le gouvernement du Canada qui décide quand il y a conflit et quand il n'y en a pas. S'il est le seul à décider d'un conflit éventuel avec l'article 35, il n'y en aura jamais, parce que, à son avis, rien ne violera jamais l'article 35. Il est injuste qu'il ait ce pouvoir d'interprétation.
En ce qui concerne les droits de veto régionaux, le gouvernement de la Saskatchewan et les provinces des Prairies, le projet de loi à l'étude renforce la position de la Saskatchewan. Nous avons actuellement de nombreux échanges avec le gouvernement de la Saskatchewan. Bien que le gouvernement ait été, la plupart du temps, favorable aux droits inhérents à l'autonomie gouvernementale et qu'il ait été notre allié à la table des négociations constitutionnelles, que le premier ministre Romanow nous ait donné son appui sur de nombreux plans, le projet de loi à l'étude lui donne plus de pouvoirs et asservit davantage les Premières Nations quand vient le temps d'exercer le droit de veto constitutionnel.
Le sénateur Andreychuk: Des consultations ont-elles eu lieu avec le ministre Irwin avant la rédaction du projet de loi C-110, ou votre exposé au ministre en a-t-il suivi l'annonce?
M. Favel: J'ai parlé à M. Irwin après que l'annonce en a été faite.
Le sénateur Andreychuk: Quelle est la situation en ce qui concerne le gouvernement provincial?
M. Favel: Nous avons soulevé cette question avec le premier ministre provincial lorsque nous l'avons rencontré en décembre. À ce stade, il n'avait pas encore répondu officiellement au projet de loi C-110. Je le verrai demain à Regina et nous reviendrons probablement sur cette question.
Mme Mary Ellen Turpel-Lafond, conseillère juridique, Federation of Saskatchewan Indian Nations: En ce qui concerne la première question, qui a trait à l'article 35 et à ses répercussions, je crois comprendre, d'après la présentation du ministre Rock et les lettres que le premier ministre a adressées à certains chefs comme le chef Matthew Coon Come - et je suis sûre qu'il abordera cette question lorsqu'il comparaîtra plus tard ce matin - que le gouvernement a l'impression que l'article 35 reconnaît maintenant de façon explicite le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Il est important de confirmer ou de réitérer que cela est loin d'être évident. Nous aimerions que ce droit y soit prévu de façon explicite, et je serais tout à fait prête à comparaître devant la Cour suprême du Canada pour défendre ce point, mais je suis loin d'être persuadée que ce droit y est énoncé de façon suffisamment claire ou fait l'objet des mécanismes de protection voulus pour constituer un droit réel dans le contexte des pouvoirs fédéraux et provinciaux. En ce qui concerne la reconnaissance du gouvernement des premières nations comme troisième ordre de gouvernement, il est loin d'être aussi précis.
Quel en sont les répercussions sur l'article 35.1? Le projet de loi C-110 se trouve à présenter un nouveau mode de révision qui s'ajoute au mode de révision déjà prévu à l'article 42. Le nouveau mode de révision exige la quasi-unanimité parce qu'il accorde essentiellement à une région ou à une province un veto lui permettant d'empêcher toute modification susceptible de rendre plus explicite le droit autochtone à l'autonomie gouvernementale ou toute autre modification concernant les autochtones. Ce projet de loi aura des répercussions claires et directes.
Certains membres du comité ont laissé entendre que la portée de ce projet de loi est relativement limitée, qu'il comporte une date d'expiration et qu'il ne sera en vigueur que pendant peu de temps. En fait, le projet de loi ne comporte aucune date d'expiration. Une fois promulguée, ce type de loi a tendance à devenir plus permanent et est très difficile à annuler. Il ne sert à rien d'espérer que ce projet de loi pourra être abrogé plus tard et qu'on rouvre la porte. C'est un texte de loi définitif qui a des répercussions directes et immédiates sur l'article 35.1.
Le sénateur Murray: À votre avis, le processus que vient de déclencher M. Irwin risque-t-il de poser un problème d'ordre constitutionnel plutôt que politique en ce qui concerne la protection des droits prévus par les ententes d'autonomie gouvernementale en vertu de l'article 35? Est-ce que cela pose un problème constitutionnel?
Mme Turpel-Lafond: Oui. La difficulté, c'est que le processus déclenché par M. Irwin et dans le cadre duquel le gouvernement fédéral a tåché de définir le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale était une mesure essentiellement unilatérale. M. Irwin ne représente pas la Cour suprême du Canada. Le gouvernement n'est pas l'autorité suprême en matière de Constitution. Ils ont présenté leur interprétation de l'autonomie gouvernementale, en indiquant qu'elle pourrait déboucher sur des traités, ce qui préoccupe beaucoup la Federation of Saskatchewan Indian Nations puisque nous avons déjà des traités. Nous ne voulons pas forcément de nouveaux traités à caractère plus ou moins constitutionnel alors que nous tåchons de faire respecter nos traités actuels. Cette politique soulève des questions que nous n'avons jamais réussi à régler de façon raisonnable avec le gouvernement fédéral malgré cette nouvelle politique. Il ne fait aucun doute que la notion de traité pose problème.
L'autre argument que je voudrais présenter - et cela est évident d'après les négociations en cours sur l'autonomie gouvernementale et les revendications territoriales un peu partout au pays -, c'est que la plupart des gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral dans certains cas, comme au Yukon, considèrent que les ententes d'autonomie gouvernementale ne sont pas des traités.
Le sénateur Murray: Je crois que M. Irwin n'enchåsserait ces droits que si toutes les parties étaient d'accord.
Mme Turpel-Lafond: Il n'existe à l'heure actuelle aucune entente d'autonomie gouvernementale bénéficiant d'une protection constitutionnelle. L'entente d'autonomie gouvernementale du Yukon n'en bénéficie pas.
Le sénateur Murray: S'il fallait l'accord de toutes les parties pour inscrire ce droit dans la Constitution, il faudrait l'accord de toutes les parties pour le modifier. C'est là où se situerait cette protection. Ces ententes bénéficieraient alors d'une protection constitutionnelle.
Mme Turpel-Lafond: Le point que je veux faire ressortir, c'est que pour qu'une entente d'autonomie gouvernementale soit reconnue comme un droit issu de traités en vertu de l'article 35.1, il faut tout d'abord que les gouvernements fédéral, provinciaux ou territoriaux acceptent de le faire. Nous soutenons par ailleurs que ce droit devrait être prévu de façon plus explicite et automatique par la Constitution du Canada dans le cadre de l'article 35. Il ne faut pas que la décision de reconnaître le gouvernement autochtone comme un troisième palier de gouvernement soit discrétionnaire. Dans l'état actuel des choses, elle est entièrement discrétionnaire.
Le sénateur Andreychuk: J'aimerais poursuivre sur la question de l'obligation fiduciaire. Le ministre a une obligation fiduciaire, comme tous les parlementaires. En vertu de ce projet de loi, tout ministre se trouverait à transférer cette obligation au veto provincial. Selon vous, cela influe-t-il sur l'obligation fiduciaire envers les autochtones?
M. Favel: Dans le cas du transfert du pouvoir de veto aux régions, le gouvernement fédéral a abandonné sa responsabilité à l'égard des autochtones. Il lui sera très difficile d'aller de l'avant avec nous pour proposer des modifications constitutionnelles relativement à l'article 35 une fois qu'il aura transféré son pouvoir de veto aux régions. Nous considérons cela comme un problème.
Le deuxième problème que soulève ce transfert de pouvoir, c'est qu'étant donné que le processus de modification de l'article 35 n'est pas encore terminé et que le projet de loi C-110 place la barre tellement haute, et que le gouvernement fédéral a placé la barre tellement haute, cela ne pourra que nuire au gouvernement des premières nations.
Le sénateur Andreychuk: Une théorie veut que si le gouvernement transfère ce pouvoir, il pourrait se trouver à transférer aussi cette obligation fiduciaire. Les provinces ou les régions, selon le terme que vous préférez, auraient désormais à assumer cette obligation.
Mme Turpel-Lafond: C'est la première initiative qui pose problème. Lorsque le Parlement du Canada et le gouvernement du Canada - ce qui inclut le Sénat - et tout haut fonctionnaire de l'État assument cette obligation fiduciaire, la décision de s'en décharger ou de la transférer constitue une atteinte à la relation fiduciaire, puisque cette décision est prise sans tenir compte de l'intérêt véritable de l'autre partie.
Dans une relation fiduciaire, le fiduciaire doit agir au mieux des intérêts de ceux avec qui il entretient cette relation. Il s'agit ici des premières nations du pays. L'intérêt véritable des premières nations, c'est le règlement une fois pour toutes des questions constitutionnelles en suspens. Si vous transférez votre veto ou votre consentement à cinq régions ou provinces, cela devient pratiquement impossible.
Cette première initiative est la question clé dans cette relation fiduciaire. On ne peut pas transférer cette responsabilité en espérant que les régions assumeront alors en plus cette obligation fiduciaire. C'est une atteinte flagrante à la relation fiduciaire initiale définie par les tribunaux.
Le sénateur Marchand: Au début, lorsque j'ai entendu les allocutions prononcées à la Chambre des communes sur le projet de loi C-110, j'avais la rassurante impression que notre peuple était bien protégé des répercussions du projet de loi C-110. Or, au fur et à mesure des témoignages, nous constatons que ce n'est pas vraiment le cas. Je suis heureux que vous soyez ici aujourd'hui pour nous informer des répercussions que ce projet de loi aura sur votre groupe.
En ce qui concerne la disposition de non-dérogation, êtes-vous d'accord avec les autres organisations ou est-ce strictement le point de vue de la Saskatchewan?
M. Favel: La position que nous avons présentée à propos de la disposition de non-dérogation est celle de la Saskatchewan. Elle est partagée par d'autres organisations qui jugent nécessaire d'assurer une protection mieux définie. Les Inuit ont fait connaître leur position. Je ne voudrais pas couper l'herbe sous le pied du grand chef Coon Come, mais je crois qu'il présentera des arguments analogues.
Si nous avions eu plus de temps et si d'autres groupes autochtones avaient eu l'occasion de se faire entendre, nous nous serions rapidement entendus sur la formulation de la protection de nos droits. Cependant, comme nous avons eu peu de temps pour préparer notre présentation et comme d'autres groupes n'ont pas eu la possibilité de s'exprimer, il nous a été impossible d'obtenir l'appui de tous les intéressés.
Le sénateur Marchand: Vous comprendrez le contexte dans lequel ces engagements ont été pris par M. Chrétien vers la fin de la campagne référendaire. Je sais que notre peuple considère que nous n'avons nulle part où aller. Nous n'allons nulle part. Nous sommes ici depuis longtemps. Je sais également que le démantèlement possible du pays préoccupe notre peuple.
Pouvez-vous commenter le fait que M. Chrétien se trouvait dans une situation critique vers la fin de cette campagne référendaire et a dû agir. Aurait-il été préférable qu'il ne fasse rien ou cet effort était-il mieux que rien?
M. Favel: Mes commentaires concernant la stratégie nationale du premier ministre s'inscrivent dans la perspective de la protection des droits issus de traités des Premières Nations en Saskatchewan. C'est à cet aspect que j'aimerais limiter mes commentaires. Il ne faut toutefois pas oublier que le pays a réagi avec méfiance au projet de loi. On accorde des pouvoirs de veto aux provinces, et certaines n'en veulent pas. Certaines ne l'ont pas demandé.
Depuis longtemps, nous réclamons la reconnaissance du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale dans la Constitution et ce, depuis de nombreuses années. Au lieu de nous occuper de cette question, nous sommes en train de faire marche arrière et de perdre du terrain.
Le sénateur Marchand: Comme vous le savez, les changements constitutionnels ont été rares depuis la Confédération. En ce qui concerne notre propre histoire, jusqu'en 1982, les changements constitutionnels n'ont pas été très importants parce qu'ils n'étaient pas très fréquents.
Du côté législatif, l'un des événements les plus importants dans la vie de notre peuple, c'est d'avoir réussi à obtenir, en 1960, le droit de vote aux élections fédérales. Un grand nombre de vos remarques préliminaires ont porté sur la vie générale et quotidienne de notre peuple et non pas sur la Constitution.
En tant que peuple non soumis aux traités en Colombie-Britannique, nous sommes en train de négocier des revendications territoriales. Nous finirons probablement par avoir des traités. Est-ce que nous courons plus de risque en ce qui concerne nos droits fiduciaires que les peuples qui ont déjà des traités? Sommes-nous plus menacés que vous par le projet de loi C-110? Sommes-nous mieux protégés ou cela a-t-il de l'importance?
M. Favel: Je ne sais pas si cela a vraiment de l'importance. Il est difficile de quantifier les niveaux de difficulté et de danger. Je dirais simplement que les autochtones de la Colombie-Britannique et le peuple des premières nations soumis à des traités sont touchés par cette mesure.
En ce qui concerne les droits ancestraux, la reconnaissance des pouvoirs des autochtones et de ce qui constitue un droit ancestral, qu'il s'agisse du droit de pêche ou du droit à l'autonomie gouvernementale, n'est pas prévue de façon explicite par la Constitution. Dans cette optique, les droits de votre peuple en Colombie-Britannique sont gravement touchés, tout comme le sont les droits de notre peuple.
Depuis la signature de nos premiers traités, notre peuple s'est consacré à faire reconnaître l'esprit de ces traités et de ce partenariat. Il reste beaucoup à faire. Cependant, il ne fait aucun doute que le projet de loi C-110 empêchera la réalisation des aspirations des premières nations de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan, à savoir assurer la pleine mise en oeuvre de nos traités conformément à l'esprit dans lequel ils ont été établis.
Le sénateur Marchand: L'Accord de Charlottetown prévoyait des dispositions relatives à l'autonomie gouvernementale. Je sais que Mary-Ellen Turpel et certaines autres personnes ont été pour beaucoup là-dedans. Ovide Mercredi a sans aucun doute été notre maître d'oeuvre.
M. Irwin ne l'a peut-être pas indiqué en ces termes exacts, mais je crois qu'il a été motivé par cet échec et par l'engagement du Parti libéral et du gouvernement libéral envers le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. À votre avis, l'initiative qu'il est en train de prendre est-elle utile?
M. Favel: Notre objectif est de faire reconnaître dans la Constitution le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Si nos droits ne sont pas reconnus par la Constitution, nous serons sans cesse obligés de nous battre avec les gouvernements provinciaux et fédéral pour faire reconnaître nos droits fondamentaux.
L'exercice de notre droit de chasse, issu d'un traité, par exemple, sera constamment sapé par les gouvernements provinciaux, à moins qu'il soit clairement protégé par la Constitution en tant qu'obligation issue d'un traité. C'est notre objectif. C'est la question qui nous tient à coeur ce matin.
Le sénateur St. Germain: Je souhaite la bienvenue à M. Favel et à son groupe, ainsi qu'aux sénateurs de sa nation.
Je constate avec inquiétude qu'on met tous les sénateurs dans le même sac. Je ne partage pas nécessairement l'opinion de tous les autres sénateurs assis à cette table. Il devrait être évident, d'après nos audiences sur le projet de loi C-68, que certains d'entre nous avons nos propres opinions. Nous travaillons pour le bien de l'ensemble du Canada et de toute la population du Canada. Je peux comprendre la méfiance et le dégoût exprimés par le grand chef Mercredi.
Ma question est simple. Malheureusement, on nous met dans ce genre de situations apparemment intenables. Le sénateur Marchand vient de déclarer que «vous devez comprendre» les engagements pris par le premier ministre. Il a indiqué qu'il se trouvait dans une situation critique.
À mon avis, si nous nous trouvons dans ce genre de situation critique, c'est que nous n'anticipons pas les événements et que par le passé, nous nous sommes servis de l'argent du contribuable pour acheter le silence des gens plutôt que de nous occuper directement des préoccupations des autochtones, des Québécois ou des Canadiens partout au pays.
Le dilemme dans lequel je me trouve, c'est d'arriver à trouver une solution qui soit dans l'intérêt véritable du Canada. Un Canada désuni nous défavorise tous, les autochtones y compris. Je ne veux pas faire fausse route. On ne répare pas une injustice par une autre injustice. Si une injustice a été commise, je ne veux pas la ratifier ici.
Je suis affligé et insulté de constater que le gouvernement a distribué une brochure au Québec déclarant que cette mesure a maintenant force de loi avant même qu'elle ait été adoptée ici ou qu'elle ait reçu la sanction royale. Une mesure ne peut devenir loi dans ce pays qu'après avoir été adoptée par les deux Chambres du Parlement et avoir reçu la sanction royale.
Vous avez proposé une modification qui prévoit une disposition dérogatoire. Il a été proposé que nous ajoutions une disposition de temporarisation dans ce texte de loi afin qu'il expire au moment de la conférence constitutionnelle de 1997 ou avant. À votre avis, est-ce une option?
Dans sa présentation de ce matin, le groupe inuit y a fait allusion. L'abrogation de la loi est une notion essentiellement vouée à l'échec. Chaque fois qu'un texte de loi est adopté, notre liberté à tous s'effrite. L'abrogation est très rare dans ce pays.
Que pensez-vous d'une disposition de temporarisation qui prévoirait une date à laquelle prendraient fin les mesures prévues par ce projet de loi, si cela est nécessaire, comme ceux de l'autre côté le prétendent, pour que le gouvernement sauve la face suite aux promesses faites par le premier ministre?
M. Favel: Ce qui nous inquiète, c'est que l'on s'éloigne de la convention constitutionnelle qui a été établie. La convention constitutionnelle établie récemment consistait à inclure les premières nations et les autochtones. Que ce projet de loi renferme ou non une disposition de temporarisation ou d'expiration, nous n'en demeurerons pas moins exclus. Vous êtes tout simplement en train de dire que nous ne serons exclus que pendant quelque temps. Cela a-t-il du sens? Comment, venant de la Saskatchewan, puis-je accepter un tel raisonnement?
Je propose qu'on ajoute une disposition non dérogatoire au projet de loi. Les veto accordés aux provinces, qui leur donnent essentiellement le pouvoir de modifier à l'unanimité la Constitution, devraient être appliqués à toutes les autres questions, sauf celles qui touchent au droit inhérent à l'autonomie gouvernementale des premières nations et des peuples autochtones.
Voilà notre position. C'est un minimum. Nous préférerions bien sûr que le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale soit reconnu de manière explicite dans la Constitution. Mais ce n'est pas ce que nous proposons. Nous voudrions qu'une disposition non dérogatoire soit ajoutée au projet de loi. Si vous voulez y inclure une date d'expiration ou une disposition de temporisation, libre à vous de le faire.
Nous vous exhortons à agir, peu importe les solutions que vous envisagez. Nous avons comparu devant vous lorsque vous avez examiné le projet de loi sur le contrôle des armes à feu et nous avons entendu des choses fort intéressantes. Les sénateurs se sont rendus en Saskatchewan.
Le sénateur St. Germain: Ce dossier a fait monter ma pression. Nous avons voté contre.
Le sénateur Marchand: Dix-neuf membres de votre parti ont voté en faveur du contrôle des armes à feu.
Le sénateur Andreychuk: Mais pas tous les membres de votre parti.
Le sénateur St. Germain: Toute la communauté autochtone s'y est opposée. Le sénateur Marchand et vous êtes les seuls autochtones à avoir voté en faveur. Je trouve cela dommage.
Le sénateur Marchand: Je ne suis pas du même avis.
Le sénateur St. Germain: Pour revenir à ma question, monsieur Favel, si nous ne bloquons pas ce projet de loi, nous créerons un précédent en établissant des régions et en accordant à celles-ci un droit de veto. Ne croyez-vous pas que l'octroi d'un tel veto aura, à long terme, un impact négatif sur les négociations constitutionnelles touchant les questions autochtones? Ma province, la Colombie-Britannique, obtiendra un droit de veto. Ne croyez-vous pas que cela nuira aux négociations futures? Comment pouvons-nous éviter de nous retrouver dans une impasse avec tous ces veto? C'est la question que je vous pose. Si nous ajoutons une disposition non dérogatoire au projet de loi, rien n'indique que ces régions ne se verront pas accorder, au cours de discussions constitutionnelles futures, un droit de veto, ce qui risque de compliquer le processus lorsque nous voudrons apporter à la Constitution des modifications qui concernent votre peuple.
M. Favel: L'octroi d'un droit de veto a manifestement un impact sur la participation des premières nations à l'élaboration de propositions sur le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. En ce qui concerne les veto régionaux, une fois accordés, il sera difficile de les récupérer. C'est ce qui est inquiétant.
Pour ce qui est des décisions qui n'ont pas un impact sur les peuples autochtones, tout ce que nous voulons, c'est que nos droits soient protégés. Si le Sénat ne rejette pas ce projet de loi, nous aimerions que cette protection soit assurée au moyen d'une disposition non dérogatoire.
Le président: Honorables sénateurs, nous devons maintenant passer à notre prochain témoin. Les sénateurs MacEachen et Beaudoin sont les deux prochains intervenants sur ma liste.
Le sénateur MacEachen: Je crois que nous devrions passer aux témoins suivants.
Le président: Vous pourrez prendre la parole en premier.
Le sénateur Beaudoin: J'ai aussi quelques questions à poser; je tiens donc à m'assurer que les deux témoins seront ici cet après-midi.
Le président: Mme Turpel-Lafond sera ici.
Le sénateur Beaudoin: Et le chef?
Le président: Leur conseiller juridique sera ici.
M. Favel: J'essaierai par tous les moyens de changer mon horaire pour pouvoir être ici cet après-midi.
Mme Turpel-Lafond: Nous serons ici durant la première heure.
Le président: Le premier intervenant cet après-midi sera le sénateur MacEachen, suivi du sénateur Beaudoin.
Je tiens à vous remercier, chef, ainsi que vos collègues. Nous vous reverrons cet après-midi.
Honorables sénateurs, c'est avec plaisir que j'accueille notre prochain témoin, le Grand conseil des Cris du Québec, dirigé par le grand chef Matthew Coon Come. Je vous souhaite de nouveau la bienvenue, chef Coon Come.
M. Matthew Coon Come, grand chef, Grand conseil des Cris du Québec: (Le témoin parle dans sa langue maternelle)
Monsieur le président, je suis heureux d'avoir l'occasion de comparaître devant le comité. Je suis accompagné de M. Kenny Blacksmith, grand chef adjoint et vice-président de l'administration régionale crie, et de MM. Paul Joffe et Andrew Orkin, avocats de droit constitutionnel et conseillers.
Je tiens à vous remercier d'avoir invité le Grand conseil des Cris à comparaître devant le comité du Sénat chargé d'examiner le projet de loi C-110. Je crois comprendre que vous souhaitez que nos échanges sur cette mesure législative et les questions qui s'y rattachent soient positifs et éclairés. Les échanges sur le respect des droits ancestraux et issus de traités, la primauté du droit et la justice apportent toujours, selon moi, quelque chose de positif.
Le projet de loi dont vous êtes saisi est inadéquat et inacceptable du point de vue autochtone. Je compte vous parler non seulement du C-110, mais également du débat sur l'unité nationale puisque ce projet de loi en fait partie intégrante.
Concernant le référendum de 1995, malgré tout ce qui s'est produit, ce n'est pas notre peuple qui menace de se séparer. Notre peuple menace plutôt de rester. Par conséquent, il est ironique, dans le contexte de la séparation du Québec, que les Cris de la baie James comparaissent devant votre comité pour vous exhorter à reconnaître et à protéger nos droits.
Une semaine avant le référendum d'octobre 1995, les Cris de la baie James ont tenu leur propre référendum. Nos résultats ont été concluants. Mon peuple a parlé d'une seule voix. Nous avons refusé d'accepter que le gouvernement du Québec sépare notre peuple, de même que nos terres traditionnelles, du reste du Canada.
En 1975, les Cris et les Inuit du Québec ont signé avec le Canada et le Québec une entente sur le règlement de leurs revendications territoriales. Les droits conventionnels découlant de cette entente ont été inscrits dans la Loi constitutionnelle de 1982. Ces droits comprennent le droit de maintenir une relation permanente avec le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec, et le droit d'obtenir le consentement des Cris avant de modifier la nature de cette relation. Il s'agit pour nous de droits fondamentaux. Nous sommes un peuple, les Cris de la baie James. Nous avons le droit, en tant qu'être humains, de ne pas être transférés, sans arrêt, d'un État souverain auto-déclaré à l'autre.
En décembre dernier, nous avons retenu les services d'une importante maison de sondage canadienne pour mener une enquête sur plusieurs questions liées à la sécession. Notre sondage indique clairement que plus de huit Canadiens sur dix s'accordent pour dire que les peuples autochtones qui veulent demeurer au sein du Canada tout en conservant leurs terres ont le droit de le faire.
Fait étonnant, presque deux Québécois sur trois affirment que les peuples autochtones au Québec ont le droit de choisir de rester au sein du Canada, en conservant leurs terres. Les Québécois, semble-t-il, ne partagent pas l'avis de leurs dirigeants qui, eux, revendiquent des droits pour eux-mêmes tout en refusant à d'autres de faire de même.
D'après notre sondage, trois quarts des Canadiens appuieraient toute mesure prise par le gouvernement fédéral pour renforcer la Constitution et les lois du Canada afin de permettre aux Cris de la baie James de rester au sein du Canada, sur leurs terres traditionnelles, advenant la séparation du Québec. De manière générale, tous les groupes démographiques et régionaux à l'extérieur du Québec appuient une telle démarche.
Au Québec, ce scénario a un impact majeur sur les intentions du camp du OUI. Si le gouvernement fédéral prenait des mesures pour assurer le respect de la Constitution et de ses lois en vue de protéger notre droit de demeurer au sein du Canada, presque le quart des partisans du OUI voteraient maintenant NON ou passeraient dans le camp des indécis.
Notre sondage révèle que toute mesure concrète prise par le gouvernement fédéral dans le but d'assurer le respect des lois constitutionnelles du Canada et de faire en sorte que les Cris restent au sein du Canada en conservant leurs terres traditionnelles, profiterait considérablement au camp du NON. Ce même sondage révèle que la plupart des Canadiens, la majorité des Québécois, de même que la majorité des partisans du OUI au Québec, s'accordent pour dire que nous avons le droit de choisir de rester au Canada.
Toujours selon le sondage, la tenue d'un autre référendum dans un tel contexte susciterait beaucoup moins d'enthousiasme chez les Québécois, même chez les partisans du camp du OUI.
Nous avons conclu avec le Canada un traité qui existe toujours. Nous partons donc du principe que le gouvernement fédéral a le devoir d'affirmer qu'il protégera nos droits constitutionnels et juridiques.
Rien n'empêche le gouvernement du Canada, par exemple MM. Chrétien et Ross, de déclarer à la Chambre des communes la semaine prochaine, le mois prochain et pendant tous les mois à venir: «Nous sommes liés. Nous sommes tenus d'assurer le respect de la Constitution et des lois du Canada. Si le Québec choisit de se séparer, nous protégerons les droits constitutionnels et juridiques des Cris de demeurer au sein du Canada, avec leurs territoires et ressources».
Voilà ce qu'on entend par une mesure concrète: le gouvernement fédéral qui s'engage à assurer le respect de la Constitution, de la loi, de la relation établie par voie de traité entre les Cris et la Couronne. Cela ne veut pas dire que nous pensons que le camp du OUI sortira vainqueur du prochain référendum et que cette victoire sera suivie d'une déclaration unilatérale d'indépendance du Québec. Ce que nous disons, c'est que si nos droits sont confirmés dès maintenant, il n'y aura peut-être pas un autre référendum. Si un autre référendum était tenu lieu dans ce contexte, il pourrait être perdu.
Évidemment, la reconnaissance de nos droits sert les intérêts des Cris. Toutefois, il est clair que la reconnaissance formelle de nos droits ancestraux, issus de traités et autres, sert également l'intérêt national. Nous exhortons le gouvernement fédéral à reconnaître ces droits sans délai.
En ce qui concerne les initiatives qui ont été prises, y compris le projet de loi C-110, les Cris de la baie James n'ont jamais cherché à renier les aspirations des autres peuples du Canada. Toutefois, nous ne voulons pas que les réformes d'envergure touchant la fédération canadienne soient effectuées aux dépens des Cris et des autres peuples autochtones. Notre opposition se fonde sur trois principes: le respect, la justice et l'égalité des droits, des principes que vous continuez de défendre et de soutenir.
Nous voulons collaborer avec les gouvernements fédéral et provinciaux afin de satisfaire les priorités et les attentes de tous les peuples au Canada. Toutefois, cela ne veut pas dire que les propositions mises de l'avant de façon unilatérale par le gouvernement du Canada sont satisfaisantes, équitables et justes. Cela ne veut pas dire non plus que les initiatives proposées permettent automatiquement d'atteindre les objectifs déclarés ou communs.
Je tiens en outre à souligner que les autochtones n'ont pas participé à l'élaboration de la stratégie d'unité nationale du gouvernement fédéral. En excluant les autochtones d'un processus si important, le gouvernement du Canada viole une tradition bien établie qui date des réformes constitutionnelles du début des années 1980.
Même dans le cas de l'Accord du lac Meech, les gouvernements fédéral et provinciaux ont laissé entendre que si les peuples autochtones ont été exclus du processus, c'est parce que les questions ne les touchaient pas. Or, la situation est tout autre dans le cas du projet de loi C-110. Quoi qu'il en soit, une disposition non dérogatoire a été ajoutée à l'accord du lac Meech pour mettre l'accent sur ce point.
La démarche actuelle est contraire au principe du fédéralisme coopératif. Nous dénonçons l'approche unilatérale du gouvernement du Canada. Nous ne pouvons appuyer une mesure législative qui accorde à des gouvernements non autochtones le pouvoir de contrecarrer notre désir de voir nos droits fondamentaux consacrés par la Constitution. Des représentants fédéraux continuent de répéter qu'ils ne comprennent pas pourquoi les peuples autochtones s'opposent au projet de loi C-110 puisque, de l'avis du gouvernement, il ne déroge pas aux droits des peuples autochtones garantis par la Constitution du Canada.
Ces représentants fédéraux refusent d'admettre que ce projet de loi assujettit toute reconnaissance constitutionnelle des droits autochtones à une nouvelle série de veto. Ils refusent d'admettre que ce projet de loi empêche la Couronne fédérale de même proposer des modifications constitutionnelles qui visent à protéger les droits des Cris et des autres peuples autochtones eu égard au contexte sécessionniste. Ils refusent d'admettre que le fait d'accorder des veto additionnels aux provinces affaiblit le statut des peuples autochtones au sein de la fédération canadienne.
Le Grand conseil des Cris a plusieurs autres objections à formuler au sujet du projet de loi C-110. Le gouvernement fédéral n'a pas tenu compte des menaces assez sérieuses que pose le contexte sécessionniste au Québec.
Le futur premier ministre, Lucien Bouchard, s'est publiquement engagé à tenir un autre référendum au Québec pour que les Québécois puissent voter en faveur de la séparation. Il est donc tout à fait logique que toute initiative proposée par le gouvernement du Canada soit analysée à la lumière de ce contexte sécessionniste afin d'en évaluer les conséquences possibles.
Si un nouveau gouvernement péquiste au Québec décidait de tenir un autre référendum dans le but de se séparer illégalement du Canada, le gouvernement du Canada proposerait fort probablement des modifications constitutionnelles visant à sauvegarder les intérêts du Canada et des autochtones.
Par exemple, il serait peut-être nécessaire de protéger l'intégrité territoriale du pays ou du moins des régions du Québec où les peuples concernés ont choisi librement et démocratiquement de rester au sein du Canada. Cela pourrait se faire au moyen de propositions de modification qui seraient déposées en temps opportun - c'est-à-dire, avant la déclaration unilatérale d'indépendance -, et qui ne prendraient effet que si la sécession illégale et unilatérale du Québec était proclamée. À notre avis, le projet de loi C-110 pourrait obliger le gouvernement canadien à prendre de telles mesures pour protéger le pays.
Comme la sécession illégitime du Québec constitue toujours une menace, le projet de loi C-110 ne ferait, selon nous, qu'aggraver la situation au lieu de la régler. Cette mesure législative est irréfléchie et les Canadiens doivent en être informés.
Il est difficile de prédire quel genre de modifications constitutionnelles le gouvernement fédéral doit proposer compte tenu de la menace déstabilisante que pose la sécession du Québec. Toutefois, il convient de préciser que le projet de loi C-110 ne vise pas à empêcher le gouvernement fédéral d'instituer des réformes constitutionnelles opportunes dans ce contexte.
On me dit que le projet de loi C-110 est sans doute, en tout ou en partie, inconstitutionnel. La Loi constitutionnelle de 1982 autorise le gouvernement fédéral à déposer des réformes constitutionnelles dans l'intérêt du pays et de sa population. Les seules restrictions imposées sont celles qui s'appliquent, par exemple, au droit exclusif des assemblées législatives de modifier leur propre constitution.
Le projet de loi C-110 modifierait les procédures de modification prévues dans la Loi constitutionnelle de 1982, sans modifier la Constitution elle-même. L'article premier du projet de loi empêcherait les ministres du gouvernement canadien de proposer une modification constitutionnelle à l'égard de laquelle les diverses régions du Canada peuvent opposer leur veto en vertu du projet de loi, sauf si ces régions y ont préalablement consenti.
En outre, le fait d'accorder des veto additionnels aux diverses provinces ou régions crée de nouvelles restrictions lourdes de conséquences. Bien que les procédures de modification prévues à la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 puissent être modifiées, elles ne peuvent l'être qu'avec le consentement unanime du Parlement et des assemblées législatives provinciales. Ces modifications exigeraient également le consentement des autochtones si elles les visaient.
Nous craignons que le projet de loi C-110 n'amène le gouvernement fédéral à abandonner son obligation fiduciaire envers les peuples autochtones. La Cour suprême du Canada a confirmé l'obligation fiduciaire du gouvernement et du Parlement du Canada.
L'adoption du projet de loi C-110 limiterait le pouvoir qu'ont le gouvernement et le Parlement du Canada de remplir leurs obligations fiduciaires si ces derniers déposaient ou proposaient des modifications constitutionnelles en faveur des peuples autochtones. Ces restrictions pourraient être très dangereuses, surtout si un gouvernement séparatiste au Québec cherchait - comme c'est le cas -, à inclure de force les peuples autochtones et leurs territoires traditionnels dans un Québec souverain.
Les Canadiens doivent être informés de ce fait. Le projet de loi C-110 donne à l'actuel gouvernement séparatiste du Québec le pouvoir d'empêcher le gouvernement fédéral de prendre des mesures opportunes, par le truchement de la Constitution, en vue de protéger le droit des peuples autochtones, y compris des Cris, de demeurer au sein du Canada. Comme je l'ai déjà expliqué, cet élément est important, compte tenu de la situation actuelle.
Il serait illégal et injuste que le gouvernement du Canada tente d'abdiquer ses responsabilités fiduciaires et constitutionnelles à l'égard des peuples autochtones. Plus particulièrement, le gouvernement fédéral ne doit freiner d'aucune manière son pouvoir de déposer des modifications constitutionnelles en faveur des peuples autochtones en subordonnant de telles initiatives à des veto régionaux.
Les séparatistes au Québec ne cessent de répéter que les contraintes imposées par les formules de modification de la Loi constitutionnelle de 1982 empêchent les Québécois d'atteindre leurs objectifs constitutionnels au Canada. Autrement dit, ils prétendent que ces formules créent une sorte d'impasse constitutionnelle.
Les Cris et les autres peuples autochtones estiment, quant à eux, que les formules de modification actuelles de la Constitution du Canada rendent très difficiles toute réforme nécessaire.
Dans ce contexte, il est insensé d'imposer de nouvelles restrictions aux modifications constitutionnelles qui pourraient être proposées à l'avenir. Nous estimons que le projet de loi C-110 aurait un effet néfaste sur les peuples autochtones, déjà les plus vulnérables au Canada. Les veto régionaux, si on veut les accorder aux provinces, devraient être limités à certaines institutions nationales mentionnées à l'article 42 de la Loi constitutionnelle de 1982 - par exemple la Chambre des communes, le Sénat et la Cour suprême du Canada.
En outre, il faudrait tenir compte du point de vue des peuples autochtones dans les veto régionaux. Le principe du consentement des peuples autochtones aux modifications constitutionnelles qui pourraient être proposées et qui nous touchent continue d'être une dimension essentielle.
Compte tenu de ce qui précède, il est évident que le projet de loi C-110, dans sa forme actuelle, risque d'être préjudiciable à la protection et à l'élargissement des droits des peuples autochtones. Il me semble également que le projet de loi C-110, dans sa forme actuelle, ne sert pas non plus les intérêts des Canadiens en général.
De plus, le gouvernement séparatiste du Québec a déjà clairement indiqué que les propositions fédérales ne l'intéressent pas. Le gouvernement fédéral n'a donc aucune raison de faire adopter à toute vapeur un projet de loi aussi mal conçu et inopportun. D'autant plus que c'est l'ensemble du Canada qui risquerait de subir les contrecoups des dispositions du projet de loi C-110 si sécession il y avait.
Cependant, au cas où ce projet de loi C-110 serait adopté et entrerait en vigueur contre notre volonté, nous avons préparé un modeste amendement que nous vous soumettons. Notre amendement atténuerait le risque que le projet de loi serve à des fins que le gouvernement fédéral a clairement rejeté du revers de la main.
Si le Sénat décide d'approuver le projet de loi C-110, voici l'amendement que nous proposons:
2. La présente loi ne déroge en rien aux droits, responsabilités, pouvoirs ou privilèges du gouvernement et du Parlement de proposer ou d'autoriser une modification dans le but de
a) reconnaître, affirmer ou protéger les peuples autochtones et leurs droits ancestraux et issus de traités ou d'autres droits et libertés ou
b) préserver et protéger l'unité nationale et l'intégrité territoriale du Canada.
Comme vous le savez, l'article 2 que nous proposons a reçu un sérieux appui de la part des peuples autochtones qui ont déjà comparu devant le comité sénatorial. Dans notre exposé d'aujourd'hui, nous avons déjà fait part de nos préoccupations. Cependant, je m'attarderai sur certains des principaux objectifs et avantages que comporte l'amendement que nous proposons.
Cette disposition non dérogatoire vise à bien faire comprendre que les veto supplémentaires prévus aux termes du projet de loi C-110 n'entraveront d'aucune manière certaines questions ayant trait aux modifications constitutionnelles. Une telle précision permettrait aux résidants du Québec et d'autres régions du Canada de savoir à quoi s'en tenir pour ce qui est de l'intention et de la portée de la mesure législative. Au même titre, l'amendement garantirait que les assemblées législatives provinciales ne peuvent empêcher le gouvernement fédéral et le Parlement de proposer certaines modifications constitutionnelles à l'égard de certaines questions.
Il n'est pas toujours possible de prévoir précisément dans quelle situation le gouvernement fédéral ou le Parlement devra proposer des modifications constitutionnelles à point nommé. Néanmoins, il est primordial de s'assurer que le projet de loi C-110 ne dépasse pas par inadvertance les limites que prévoit le gouvernement fédéral.
L'alinéa a) de l'article 2 que nous proposons garantit que les veto prévus dans le projet de loi C-110 n'affecteront pas les peuples autochtones et leurs droits ancestraux issus de traités ou autres droits et libertés. Nous estimons qu'il serait déraisonnable que ce que nous appelons des propositions relatives à «l'unité» aient des répercussions néfastes sur les peuples autochtones et sur leurs droits alors que le gouvernement fédéral insiste pour dire que tel n'est absolument pas l'objectif ou l'effet. On ne perd donc rien en incluant une disposition non dérogatoire pour protéger le pouvoir conféré au gouvernement fédéral et du Parlement d'agir en ce qui a trait aux peuples autochtones.
De même, en ce qui concerne l'alinéa b) de l'amendement que nous proposons, il est clair que le gouvernement fédéral et le Parlement doivent être libres de déposer des modifications constitutionnelles en ce qui a trait à l'unité nationale et à l'intégrité territoriale du Canada.
Il vaut aussi la peine de souligner que l'expression «unité nationale et unité territoriale» se trouve dans la déclaration de 1970 des Nations Unies portant sur les relations amicales. L'utilité de cette initiative internationale ne devrait pas être négligemment amoindrie par une mesure législative nationale sur le droit de veto, surtout dans l'éventualité d'une sécession illégale et illégitime très réelle. Ainsi, tant des points de vue national qu'international, la notion que nous faisons ressortir dans la disposition non dérogatoire mérite un examen sérieux.
De l'avis des Cris, l'expression «intégrité territoriale du Canada» n'est pas synonyme d'intégrité du territoire du gouvernement canadien. Elle englobe plutôt l'intégrité de tous les territoires du Canada. Dans le contexte de la Constitution du Canada, cette notion inclurait par conséquent la protection de l'intégrité des territoires des peuples autochtones en cause.
En guise de conclusion, je récapitule brièvement ce que j'ai dit. Le Grand conseil des Cris ne s'oppose pas aux efforts déployés par le gouvernement fédéral pour faire place aux aspirations de certains Québécois. Cependant, comme nous l'avons dit plus tôt, nous ne pouvons permettre que cela se fasse de manière injuste et au détriment de nos droits et nous ne le permettrons pas.
En ce qui a trait au projet de loi C-110, il est clair que le gouvernement du Canada a fait des propositions håtives et mal conçues qui peuvent porter grave préjudice aux Cris et aux autres peuples autochtones. Simultanément, il est clair à nos yeux - et il faut que les Canadiens le sachent - que les initiatives du gouvernement semblent aller à l'encontre des intérêts des Canadiens et du pays dans son ensemble. Il en est ainsi surtout parce que le gouvernement n'a pas suffisamment tenu compte des éventuelles répercussions qu'aurait sa proposition dans l'éventualité, très réelle, d'une sécession du Québec.
Le premier ministre Chrétien a déclaré, à juste titre, après le référendum du Québec que tous les Canadiens et toutes les Canadiennes ont droit à la stabilité politique. Ce principe n'a pas encore été appliqué. En particulier, en persistant dans son refus d'affirmer l'intégrité territoriale du Canada et de prendre les mesures législatives voulues pour protéger les intérêts autochtones et canadiens, le gouvernement du Canada facilite, par inadvertance, la violation, par un Québec sécessionniste, des droits des Cris et l'éclatement du pays.
Cette mesure législative sur les droits de veto se voulait une promesse et une concession faites au Québec. On semble penser que le Québec est vulnérable au sein de la Confédération. Nous posons la question suivante: quels peuples dans ce pays sont vraiment vulnérables? Quels droits et quels intérêts nécessitent une plus grande protection, surtout en période de crise politique? Il est évident que l'approche adoptée dans cette initiative d'unité et dans ce projet de loi constitue une dénégation du statut actuel et du rôle historique des peuples autochtones dans le tissu constitutionnel de ce pays.
Par conséquent, nous vous exhortons à recommander que le gouvernement fédéral reconsidère le projet de loi C-110. À tout le moins, nous demandons que le Sénat accepte l'amendement que nous proposons et qu'il se serve de ses voix et de son influence pour qu'il en soit tenu compte dans la mesure législative qui sera adoptée. En outre, nous vous invitons à recommander que soit garantie la pleine participation des peuples autochtones en temps opportun si le gouvernement fédéral devait proposer d'autres réformes qu'il s'agisse d'unité nationale ou d'autres objectifs importants.
Sur ce, monsieur le président, je vous remercie.
Le président: Merci, chef Coon Come. Nous espérons que vous participerez à notre discussion en table ronde au cours de laquelle nous nous pencherons sur vos recommandations.
Honorables sénateurs, nous reprendrons la séance à 14 heures.
Le comité suspend ses travaux jusqu'à 14 heures.
Reprise des travaux, à 14 heures.
Le président: Honorables sénateurs, pour nous aider dans notre étude du projet de loi C-110, nous avons organisé une table ronde.
Je propose que les sénateurs signalent à la présidence ce qui les intéresse en posant une question. Nous ferons en sorte que tous aient la chance de participer au débat quand les questions seront soulevées. Je vous prie de faire preuve de concision dans vos questions et vos réponses afin de faciliter la tenue d'un bon dialogue.
Le sénateur Beaudoin: Ma première question concerne le mode de révision, et ma seconde, l'autonomie gouvernementale des autochtones, implicite ou explicite, à l'article 35.
Commençons par le projet de loi C-110. Si j'ai bien compris le témoignage ce matin, les peuples autochtones veulent être consultés sur le mode de révision. Ils veulent, à tout le moins, avoir des garanties. Ils ont maintenant le droit constitutionnel de participer au processus de modification de la Constitution. Je suppose que cela ne leur suffit pas et qu'ils voudraient avoir voix au chapitre, voire obtenir un droit de veto sur ces questions.
Supposons que nous nous occupons de la question du droit de veto des peuples autochtones. Le projet de loi C-110 ne s'applique pas strictement parce que, pour modifier le mode de révision, nous avons besoin du consentement d'Ottawa et des dix provinces. De toute évidence, le projet de loi ne vise pas à modifier le mode de révision prévu à l'article 41. C'est ma première question.
Mme Turpel-Lafond: Si je comprends bien votre question, vous voulez savoir si, dans notre mémoire, nous disons que le projet de loi C-110 influera ou non sur l'article 41.
Le sénateur Beaudoin: Oui. Le gouvernement a dit qu'il ne sera pas touché parce que toutes les parties ont un droit de veto. Si nous voulions modifier le mode de révision, toutes les provinces auraient un droit de veto auquel cas, le projet de loi C-110 ne s'appliquerait pas.
Mme Turpel-Lafond: Laissant de côté la protection des droits ancestraux et des droits issus des traités, et abordant la question d'un point de vue strictement constitutionnel, je dois dire qu'il n'est pas certain qu'il s'agisse là d'une tentative de règlement du problème à l'aide d'une loi fédérale alors que cela devrait être fait au moyen d'une modification constitutionnelle.
Si la réponse à la question est que l'unanimité est nécessaire pour modifier le mode de révision, il faudrait alors obtenir l'unanimité afin de pouvoir le faire. En reconnaissant ces cinq droits de veto provinciaux et régionaux, ce projet de loi fait de l'unanimité une condition essentielle.
En tant qu'avocate de droit constitutionnel, je dois dire que c'est couper les cheveux en quatre que d'affirmer qu'il ne s'agit pas là d'un nouveau mode de révision.
Le sénateur Beaudoin: Je suis tenté de me dire entièrement d'accord avec vous. Indirectement, ce projet de loi tente de modifier le mode de révision parce que nous avons ajouté un autre mode législatif à un mode déjà prévu dans la Constitution. Êtes-vous d'accord là-dessus?
Mme Turpel-Lafond: Oui, du point de vue du droit constitutionnel.
Du point de vue des premières nations, je suis d'avis que les modifications prévues à l'article 42 influeraient, par exemple, sur l'autonomie gouvernementale. Il est clair que le projet de loi C-110 et les exigences qu'il prévoit influent sur ces modifications. Autrement dit, il s'agit d'une toute nouvelle série d'exigences pour ces dispositions.
J'estimais, si c'était des modifications apportées aux institutions centrales où l'unanimité est requise, que cette disposition pourrait ne pas avoir un effet important. De toute évidence, ce projet de loi a un effet majeur parce qu'il relève le seuil. Qui plus est, il crée des attentes où, dorénavant, quand il sera question du mode de révision ou de modifications constitutionnelles, il faudra tenir compte du fait que tous ont un droit de veto.
Le sénateur Beaudoin: À titre d'information, si jamais nous voulons modifier le mode de révision - je pense que le Québec le voudrait et vous aussi, si je ne m'abuse-, nous avons besoin de l'unanimité. Le projet de loi C-110 n'y mettra pas fin du tout. Autrement dit, si nous voulons modifier le mode de révision, nous devrions y penser pendant un certain temps. Ce ne sera pas facile. Ce ne peut être fait avec un projet de loi de cette nature. Il faudra une modification constitutionnelle, et, pour cela, il faut l'unanimité.
Mon deuxième point, qui est capital pour les peuples autochtones, est le suivant: l'article 35 protège les droits ancestraux ou issus des traités. Je ne sais pas ce que la commission royale dira dans son rapport.
Estimez-vous que votre droit à l'autonomie gouvernementale est protégé implicitement par l'article 35? Préférez-vous qu'une modification expresse soit apportée à la Constitution pour ce qui est de l'autonomie gouvernementale des autochtones?
Mme Turpel-Lafond: Je vous répondrai en fonction de mon point de vue; nul doute que d'autres répondront de façon différente.
En ce qui concerne les droits visés au paragraphe 35(1), la commission royale a publié un document de discussion intitulé «Partenaires au sein de la Confédération» dans lequel elle dit qu'il est vraisemblable que ce droit soit protégé par le paragraphe 35(1). La commission ne dit pas «absolument», mais «vraisemblablement». C'est toutefois un document de discussion.
J'ai récemment rédigé, avec le professeur Peter Hogg, un article sur le droit inhérent à l'autodétermination, qui a paru dans une édition récente de la Canadian Bar Review. Le professeur Hogg est un professeur de droit constitutionnel à la Osgoode Hall Law School. Nous convenons tous les deux qu'il y a d'excellentes raisons de reconnaître, à l'article 35, le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Cette reconnaissance se fonde sur de bons arguments. Mais ce n'est pas d'une clarté absolue. Ce n'est pas clair à cent pour cent. Ce serait dans l'intérêt à long terme de tous que de veiller à ce que ce soit clairement défini. La simple reconnaissance du droit ne suffit pas. Comment sera-t-il appliqué?
Une des difficultés auxquelles nous nous heurtons est que le droit peut être reconnu, mais que les lois fédérales et provinciales pourraient tout simplement ne pas en tenir compte. La Constitution n'est pas assez claire sur les effets que l'autonomie gouvernementale aurait sur les pouvoirs fédéraux et provinciaux. Pour que les choses soient claires et éviter ainsi des litiges, notamment, il importe d'avoir un libellé explicite. Il y a des arguments en faveur de ce droit, des arguments juridiquement politiques fondés; cependant, ce n'est pas absolu.
Le problème, comme on en a fait l'expérience, est le suivant: si ce n'est pas clair, le gouvernement fédéral, par exemple, peut adopter unilatéralement une politique sur l'autonomie gouvernementale et dire ce qu'il faut entendre par là. Personne ne peut faire de l'arbitrage dans un tel cas parce qu'il s'agit simplement d'une politique. La chose est interprétée sans l'avis des peuples autochtones du Canada.
Le président: Monsieur Mercredi, avez-vous des observations à faire là-dessus?
M. Mercredi: Notre position, comme nous vous l'avons présentée pendant d'autres séances du comité, est que nous avons un droit antérieur qui n'a pas à être défini par quiconque. Nous voulons que ce droit soit explicitement protégé dans la Constitution afin que nul ne puisse le violer.
Nous sommes d'avis que ce droit est implicite dans le paragraphe 35(1), mais la population du Québec croit aussi qu'elle forme une société distincte. Elle veut obtenir une protection et des garanties; nous aussi. C'est pourquoi notre position consiste toujours à demander la reconnaissance du droit inhérent de notre peuple à se gouverner lui-même.
Vous avez un gouvernement libéral qui trompe les Canadiens en leur faisant croire, en énonçant une politique, qu'il s'occupe du droit inhérent de notre peuple à se gouverner lui-même. Le ministre Irwin fait croire aux Canadiens, quand il parle de cette question, que son gouvernement reconnaît le droit inhérent des peuples autochtones à se gouverner eux-mêmes et qu'il a une politique sur ce droit. En fait, il a adopté notre terminologie pour «municipaliser» le gouvernement autochtone, pour altérer nos principes de manière à ce que nos gouvernements soient intégrés à la structure gouvernementale fédérale. La politique d'Irwin n'est rien d'autre que le prolongement de la politique énoncée dans le livre blanc de 1969 du gouvernement libéral, soit se décharger de la question indienne en la transférant aux provinces.
La politique du ministre en matière de droit inhérent consiste à protéger des pouvoirs fédéraux et provinciaux, pas des pouvoirs autochtones. Le ministre a tenté de définir le droit inhérent en disant que ce droit se limitait à ce qui appartient à notre collectivité et à notre culture.
Il a ensuite dressé trois listes de pouvoirs. La première liste, selon lui, renferme les pouvoirs qui concernent notre culture, notre collectivité. Il y a deux listes distinctes de pouvoirs qui, selon lui, ne sont pas inhérents à notre culture et à notre collectivité. Devinez quels sont ces pouvoirs? Ce sont les pouvoirs en matière de commerce, d'économie, de fiscalité, de relations internationales. Ces importants pouvoirs ne sont pas considérés comme inhérents à notre société, à notre collectivité. Telle est la politique libérale en ce qui concerne le droit inhérent.
En vertu de la politique des libéraux, si nos lois viennent en conflit avec les lois provinciales ou fédérales, ces dernières auront préséance. Dans la mesure où elles ne sont pas conformes aux vôtres, nos lois ne s'appliqueront pas. Voilà le point de vue du gouvernement libéral sur le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.
Nous voulons encore plus qu'une orientation de politique quand il s'agit des peuples autochtones. La question de l'unité nationale ne peut être abordée sans que ne le soit en même temps celle des premières nations, de leurs préoccupations et de leurs droits.
M. Coon Come: J'ai des préoccupations à formuler relativement à l'article 35. Honorables sénateurs, le premier ministre et même le premier ministre du Québec ont dit que nos droits sont protégés parce qu'ils figurent dans la Constitution. Vous, sénateurs, ne serez pas ici éternellement. Vous prendrez votre retraite un jour, et je ne veux pas courir ce risque.
Je puis nommer tous les ministres qui nous ont dit, depuis que je représente le Grand conseil des Cris, qu'ils reconnaissaient que nos droits étaient enchåssés dans la Constitution, y compris notre droit à l'autonomie gouvernementale. Quand je vais en cour - et j'ai environ six ou sept causes devant les tribunaux actuellement -, le gouvernement fédéral produit des preuves disant que nos droits issus des traités sont dans la Constitution. C'est du droit contractuel.
La position qu'adoptent les politiques devant les tribunaux est différente. Pourquoi est-ce que je courrais le risque avec ce que vous me dites ici aujourd'hui? Pourquoi est-ce que je devrais vous croire sur parole? Je regrette, vous vous en irez. D'autres vous remplaceront. Pourquoi devrai-je courir ce risque? Si vous êtes d'accord avec moi, inscrivons cela dans une clause de non- dérogation pour que ce soit clair. Je ne veux pas courir ce risque. C'est pourquoi nous voulons une clause de non-dérogation affirmant et reconnaissant nos droits issus des traités.
Le sénateur Beaudoin: Je viens du Québec. De toute évidence, je veux que les droits soient constitutionnalisés pour que le Parlement ne puisse les modifier. Si le Parlement décide de les modifier, nous irons devant les tribunaux, qui détermineront que c'est inconstitutionnel - sauf si la modification est prévue par le mode de révision, à l'article 44.
L'autonomie gouvernementale est peut-être réalisable selon la formule 7-50. Cependant, une chose est sûre: si cela doit faire partie du mode de révision en tant que tel, il faut l'unanimité. C'est exactement ce à quoi nous sommes confrontés au Québec. Nous voulons garantir que nous sommes entièrement protégés. La seule manière d'y parvenir est de modifier la Constitution. Si nous modifions le mode de révision, il faut l'unanimité. On peut certes tenter de contourner cette disposition, mais c'est ce qu'elle prévoit.
Il en va exactement de même pour les peuples autochtones. Pour modifier le mode de révision, il faut l'unanimité. S'il s'agit d'autonomie gouvernementale, il se peut que la Constitution puisse être modifiée selon la formule 7-50; le projet de loi C-110 s'appliquera alors.
M. Coon Come: Le problème, c'est que toutes les fois que le gouvernement du Québec amorce ce genre de négociations, il soulève la question de l'intégrité territoriale du Québec. C'est toujours une étape et un prétexte. Il cherche à dénigrer le gouvernement fédéral afin d'atteindre son objectif de sécession.
Nous devons garantir qu'à un moment donné, dans l'avenir, les peuples autochtones ne seront pas privés de leur droit de déterminer leur avenir. Dans l'état actuel des choses, le gouvernement fédéral peut prendre des mesures pour envoyer un message. À l'heure actuelle, vous mettez un autre prétexte à la disposition du Québec. Le premier ministre l'a fait en premier avec sa motion sur la société distincte. Le projet de loi C-110 lui en fournit un autre.
Le Canada pourrait maintenant prendre des mesures pour maintenir la loi supérieure du pays. Le Québec ne dispose pas à l'heure actuelle de droit de veto pour empêcher le Canada de faire comme bon lui semble, comme protéger l'intégrité territoriale du Canada.
Le sénateur Beaudoin: C'est un autre problème.
Le sénateur St. Germain: Monsieur le président, j'ai une question à poser sur le grand manque de confiance du Grand Chef Mercredi. Ce matin, faisant allusion au Sénat, il a dit qu'on devrait s'en débarrasser. Il voudra peut-être expliciter sa pensée. Je n'ai peut-être pas entendu comme il faut.
M. Mercredi: Vous n'avez pas bien entendu.
Le sénateur St. Germain: Il a peut-être fait cette remarque parce qu'il est déçu. Je partage son sentiment de frustration. Vous avez dit ce matin que nous allions adopter ce projet de loi. Or, je dois vous dire que si jamais je vote pour, ce n'est assurément pas parce que je suis arrivé ici avec des idées préconçues.
Vous semblez nous mettre tous dans le même sac. J'ai souffert d'hypertension à l'issue du débat sur le projet de loi C-68, la loi sur le contrôle des armes à feu. Je ne partage pas votre avis là-dessus. Au moment où je vous parle, je ne veux pas que ce projet de loi soit adopté parce que je le trouve mauvais. Il est mal ficelé. Il tient de la réaction instinctive. Il altère l'åme du Canada. Tout ce que vous avez dit à notre sujet, je l'accepte. Après la dernière tentative - et j'ignore quelle sera l'issue de celle-ci -, je me sens tout aussi frustré que vous.
J'aimerais que vous me disiez si les gouvernements antérieurs ont été si peu enclins à procéder à des consultations. Sur ce, j'ouvre la porte toute grande. Si l'on doit nous claquer la porte au nez, mieux vaut sans doute que nous jouions cartes sur table.
En ce qui concerne le projet de loi C-68, vous êtes tous venus vous plaindre de ne pas avoir été consultés. Le gouvernement nous a dit qu'il avait envoyé des lettres à tout le monde. Or, vous dites que vous n'avez pas été consultés au sujet de quelque chose qui, à mon humble avis, modifiera de façon dramatique l'avenir de ce pays en ce qui concerne le dossier constitutionnel. Je ne suis pas un expert constitutionnel et je n'ai pas l'intention de le devenir.
On dirait que chez ces gens-là, l'un apporte de l'eau au moulin de l'autre. Quand je leur pose des questions - et je ne vais nommer personne - ils me répondent que si ce n'est pas constitutionnel les autochtones peuvent alors porter l'affaire devant les tribunaux. Voilà ce que j'entends quand je dis que, dans ce milieu, l'un apporte de l'eau au moulin de l'autre. Il y a les universitaires qui apportent de l'eau au moulin de leurs collègues qui travaillent à la cour, sans parler des juges. Cela ne semble pas être une garantie de logique.
Je veux interroger le chef Mercredi sur la consultation qui a eu lieu ou pas. J'aimerais vous apportiez des précisions à propos de ce dont je vous ai accusé, peut-être à tort. Si j'ai tort, alors je m'excuse. Quoi qu'il en soit, j'aimerais que vous vous prononciez sur le processus de consultation.
J'ai étudié un peu l'histoire de ma région natale, plus précisément celle de la colonie de la rivière Rouge. J'ai également étudié la vie de Cuthbert Grant. On n'avait pas consulté ces gens-là. L'histoire se répète, semble-t-il. J'aimerais connaître votre avis là-dessus.
M. Mercredi: Ce projet de loi n'a été précédé d'aucune consultation. J'ai eu un seul entretien avec le ministre des Affaires indiennes, entretien au cours duquel je lui ai demandé quelles étaient les intentions du gouvernement. Il m'a répondu qu'à son avis il ne se passerait rien parce que le premier ministre serait à l'extérieur du pays. Le lendemain j'ai appris qu'il avait créé le comité sur l'unité nationale. Je ne l'ai pas revu depuis.
J'ai écrit au président du comité sur l'unité nationale, M. Massé, pour lui demander d'inviter l'Assemblée des premières nations à le rencontrer. J'ai reçu une lettre de lui me suggérant de voir Ron Irwin. Je lui ai répondu que nous voulions rencontrer les membres du comité pour discuter de ces questions avec eux. J'ai insisté sur le fait que M. Irwin n'est pas le porte-parole des premières nations.
Après quoi, j'ai reçu une autre lettre dans laquelle il était dit que M. Irwin était membre du comité. J'ai alors écrit à tous les membres du comité. La plupart d'entre eux m'ont répondu. Leurs réponses se résument à ceci: «Allez voir Ron Irwin». On n'a procédé à aucune consultation avant la rédaction du projet de loi et son dépôt à la Chambre des communes.
Mme Kuptana: Je veux répondre à votre question et à celle qui a été soulevée plus tôt à propos de l'article 35 et ses implications.
Aux termes du paragraphe 35(1), les peuples autochtones ont le droit de participer aux conférences constitutionnelles où l'on étudie des propositions de modification de l'article 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1967 ou de la Partie II de la Loi constitutionnelle de 1982.
L'article 35 n'est pas le seul document où sont énoncés les droits des autochtones et les droits issus des traités. Comme le chef Mercredi l'a mentionné, le gouvernement fédéral doit s'acquitter d'une obligation fiduciaire envers les peuples autochtones. Par suite de cette obligation, le gouvernement fédéral doit agir de manière à protéger nos droits et nos intérêts. Il est clair que nos droits et nos intérêts sont touchés par la formule de modification et toute autre modification la concernant.
Nous, peuples autochtones, ne voulons pas attendre la tenue de la conférence de 1997 pour que l'on débatte de notre participation. Nous devrions y être en raison de l'obligation fiduciaire dont le gouvernement fédéral doit s'acquitter envers les peuples autochtones.
Depuis toujours le gouvernement fédéral adopte une politique d'exclusion à l'égard des autochtones. Chaque fois que j'ai porté ces questions à l'attention du premier ministre ou du ministre responsable de la reforme constitutionnelle ou de l'unité nationale, on s'est contenté de me renvoyer au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Dans une lettre qu'il m'a adressée, le premier ministre dit ceci: «Il n'est pas question que vos questions y soient débattues. Parlez-en au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.» Nous transmettrons aujourd'hui cette correspondance au comité.
Le point névralgique, c'est que les peuples autochtones ont fait la preuve qu'ils sont en mesure de défendre leurs intérêts dans le cadre des discussions constitutionnelles. Comment ce pays pourra-t-il encore progresser s'il exclut les peuples autochtones?
Le sénateur St. Germain: Je suis d'accord avec vous. La politique d'exclusion et le renvoi au MAINC ne peuvent servir qu'à la destruction de nos peuples autochtones.
J'ai fait la remarque que c'était comme si nous étions les enfants du silence quand nous abordons ce genre de choses. Je serai ici pendant 17 ans, chef Coon Come.
Il s'agit de savoir pourquoi vous ne nous demandez pas d'empêcher l'adoption de cette mesure législative plutôt que de la modifier. J'estime qu'en modifiant le projet de loi nous risquons de créer un précédent, des demandes de veto fuseraient de partout au détriment de tous les Canadiens. Je ne siège pas ici pour représenter le Québec ou la Colombie-Britannique, mais bien le Canada, c'est-à-dire tout le monde, et pour défendre les droits inhérents de chacun.
M. Sinclair: Le manque de consultation et de participation est probablement à l'origine du problème.
Je l'ai dit ce matin, je ne suis pas un expert constitutionnel, mais je participe à ces réunions depuis longtemps. En 1982, je considérais la Constitution comme un moyen de consolider nos droits, non pas comme un moyen d'en obtenir d'autres. C'était néanmoins une base solide sur laquelle on pouvait båtir.
Non content de nous exclure au fil des ans, entre autres, du processus devant mener à l'adoption de cette nouvelle modification, le gouvernement crée d'autres provinces et dresse d'autres obstacles, si bien que nous droits ne seront plus protégés. À quel moment vos lois ont-elles plus d'importance que les nôtres? Cette question peut se poser dans bien des cas, notamment en ce qui concerne nos droits de chasse et de cueillette. Les lois provinciales et fédérales supplantent bon nombre de nos droits. Nous perdons donc au change. Nous sommes nombreux à devoir défendre nos droits fondamentaux devant les tribunaux. La plupart des Canadiens n'ont pas à recourir aux tribunaux pour ce genre de choses. Il faut que nous participions pleinement au processus d'élaboration de ces modifications et aux discussions qui s'ensuivront. Sans quoi, nous serons laissés pour compte.
Comme je l'ai dit ce matin, à quoi bon nous concéder un veto si vous avez pris soin au préalable d'accorder cette faveur à tout le monde? Cela irait à l'encontre de ce que j'ai dit ce matin. Combien de veto accorderez-vous? Déciderez-vous d'une autre série de veto pour nous exclure de nouveau et poursuivre ce petit jeu d'ascension politique, ou bien pourrons-nous participer à des discussions de grande portée de façon que nos droits soient clairement inscrits dans la Constitution? Comment ces droits sont-ils respectés? Que fait-on à cet égard?
Il me semble - et le chef national a très bien exprimé ce point de vue - que l'on ne pratique pas l'autonomie gouvernementale ici. C'est la politique gouvernementale qui nous dirige, pas nous. C'est dans ce domaine que les choses doivent changer. Nous ne pouvons sortir gagnants de cette situation. Chaque fois que le gouvernement fédéral cède un pouvoir, ce sont aux provinces, pas à nous, qu'il est donné, et ce, sans consultation aucune. Quand viendra le moment où notre nation sera à ce point morcelée que nous ne pourrons même pas nous adresser de nouveau au gouvernement fédéral quand nous ferons face à un problème? Ce sont les provinces qui assument telle ou telle responsabilité à notre place, nous n'avons plus qu'à nous en remettre à chacune des provinces et, qui sait, un jour peut-être, à un pays séparé.
M. Mercredi: Je tiens à répondre à la question concernant les raisons pour lesquelles nous demandons des amendements. Telle n'est pas la position de l'APN. L'Assemblée des premières nations est plutôt d'avis que ce projet de loi est irrécupérable.
Quand on a essayé de vendre les mérites de l'Accord du lac Meech à la population canadienne, nos conseillers juridiques nous disaient que des dispositions non dérogatoires, ça ne suffisait pas. Une fois l'Accord du lac Meech devenu loi, il serait trop tard. Les mêmes arguments valent pour ce projet de loi. Une disposition non dérogatoire ne constitue pas une solution. Ce qui est en cause, ce n'est pas seulement les droits des autochtones et les droits issus de traités, car il s'agit essentiellement de réformer le Canada, de le changer. C'est là que les veto interviennent.
Le problème, c'est que cela fait 10 ans, et probablement davantage, que nous essayons de faire reconnaître le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Nous n'y sommes pas encore parvenus, il n'est question que de la formule du 7-50. Et voilà que vous introduisez une nouvelle formule qui vise à accorder des veto à cinq régions. Tel est le problème.
En quoi la non-dérogation nous sera-t-elle utile dans ce contexte? À quoi aboutiront ces dispositions de non-dérogation? Ce n'est pas seulement la formule de modification qui importe, mais également les orientations qui l'accompagnent.
En un mot, l'Assemblée des premières nations n'est pas favorable à la modification du projet de loi. Nous estimons que vous devriez le renvoyer et demander au premier ministre de procéder différemment. L'expérience du lac Meech aurait dû lui apprendre qu'il lui faut pratiquer l'inclusion. Le processus adopté pour l'Accord de Charlottetown était le bon. Le contenu a peut-être été rejeté, mais le processus était parfait. On devrait recommander quelque chose d'analogue au gouvernement du Canada. Il faut reprendre le collier.
Le fait est que personne au Québec n'est heureux de ce projet de loi. Pas même les fédéralistes québécois. Qu'y gagnerait l'unité nationale? Absolument rien.
Le sénateur Beaudoin: Attendez demain; Claude Ryan doit venir parler de cette mesure législative.
M. Mercredi: Nous avons des réserves sur la résolution concernant la société distincte qui a été adoptée. Mais cela déborde notre propos. Le premier ministre a, par l'intermédiaire de son Cabinet et du gouvernement, a pris la décision d'agir comme si le Québec était une société distincte. Où est la résolution qui dit au Cabinet et aux fonctionnaires d'agir comme si les droits des autochtones et les droits issus de traités étaient une réalité? Il n'y a aucune résolution qui nous concerne, et nous ne pouvons pas aborder la question ici parce qu'elle ne s'inscrit pas dans ce projet de loi. Il ne concerne que les veto.
La protection de l'intégrité territoriale du Canada, cela ne me regarde pas. Tel n'est pas mon rôle en tant que chef national ou dirigeant indien. Mon rôle, c'est de protéger l'intégrité territoriale des premières nations, leurs terres et leurs ressources. Toute réflexion sur l'adoption d'une clause de non-dérogation doit tenir compte de notre intégrité territoriale, non seulement celle du Canada ou des provinces, mais également des premières nations.
M. Morin: Je voudrais répondre à la première question qu'a posée le sénateur Beaudoin, à savoir si nous estimons que nos droits sont actuellement protégés aux termes de l'article 35 et si nous estimons qu'il y a tout lieu de leur conférer une plus grande protection encore dans la Constitution.
Je suis d'accord avec les autres personnes qui ont pris la parole. Tout d'abord, nous pensons que nos droits sont protégés aux termes de l'article 35. Tel est notre avis et telle est notre interprétation. Toutefois, ils sont nombreux dans la société canadienne les groupes d'intérêts qui proposent une interprétation différente, à savoir que les droits actuels ne sont aucunement protégés aux termes de l'article 35, à commencer par ceux des Métis. Notre légitimité en tant que peuple autochtone avec des droits légitimes est constamment mise en question. Nous menons toujours une bataille difficile pour que nos droits en tant qu'autochtones soient reconnus.
J'aimerais vous donner un exemple concret de ce dont je parle, car cela n'a rien de théorique. Je parle de vrais problèmes qui ont aujourd'hui une incidence sur la vie quotidienne de nos peuples et de nos collectivités, comme il en a été hier et comme il en sera demain.
La nation des Métis de l'Ontario a adopté une politique particulière il y a quelques années. Elle a décidé que ses membres avaient le droit inhérent de chasser, de pêcher, de prendre des animaux à fourrure au moyen de pièges et d'exploiter diverses ressources. Cette politique se voulait un moyen de garantir que la chasse pratiquée par les Métis se fasse de façon rationnelle, afin de protéger les espèces. Notre peuple a commencé à se livrer à la chasse, convaincu de son droit de chasse, de pêche et de piégeage.
Par la suite, la province de l'Ontario a porté des accusations contre certains de nos gens. Ces derniers sont présentement devant les tribunaux. Beaucoup parmi nous sommes pauvres. Nos ressources financières ne nous permettent guère d'aller devant les tribunaux. Les gouvernements le savent et ils profitent de notre pauvreté pour faire valoir leur point de vue devant les tribunaux. Avec l'aide de la nation des Métis de l'Ontario, nos gens ont créé un fonds de défense juridique pour pouvoir défendre leurs droits en tant que métis devant les tribunaux.
La communauté de Dryden, en Ontario, a créé une loterie pour soutenir le fonds de défense juridique. Hier, les services de police de cette localité ont porté des accusations de fraude contre la nation des Métis de l'Ontario et certains membres de cette communauté, affirmant que ces personnes n'avaient pas de permis pour créer ce type de loterie. Il s'agit d'une tombola dont le prix à gagner est une motoneige.
La nation des Métis de l'Ontario a publié aujourd'hui un communiqué dans lequel elle explique sa position. Elle demande au chef de police de la communauté de Dryden de procéder au tirage du billet gagnant de la motoneige, qui est présentement en possession des services de police. La nation des Métis avait prévu procéder au tirage le vendredi 26 janvier 1996, mais elle se voit présentement dans l'impossibilité de le faire parce que les billets, l'argent et la motoneige ont été confisqués par la police hier.
Il s'agit là d'un fait authentique. Nos gens en Ontario, qui sont pauvres, tentent de trouver un moyen de contribuer à un fonds de défense qui nous permettra de défendre nos droits en justice contre les gouvernements qui s'opposent à nous et prétendent que nous n'avons pas de droits. Voilà un exemple concret de la manière dont les gouvernements interprètent la Constitution et nient l'existence de nos droits. Lorsque nous tentons de nous donner les moyens de nous défendre en justice, le gouvernement nous accuse de fraude et confisque nos billets de loterie.
Il y a cependant des exceptions, puisqu'il y a quelques jours un tribunal provincial a statué qu'un individu qui se considérait comme un Indien non inscrit et évitait de chasser et pêcher avait en fait le droit de pratiquer ces activités dans la province de l'Ontario. Lundi, un juge a ordonné au ministère des Ressources naturelles d'étendre l'application de sa politique de mise en application provisoire aux Métis et aux Indiens non inscrits et de leur accorder le droit de pratiquer la chasse et la pêche à des fins de subsistance et dans un but commercial.
Je tenais à citer ce cas en exemple parce qu'il illustre bien la nécessité de faire reconnaître clairement ces droits dans la Constitution. C'est la seule façon pour les autochtones de faire des progrès.
Durant les années 80, il y a eu quatre conférences des premiers ministres. Les gouvernements ont pris un engagement dans la Loi constitutionnelle de 1982. Puis il y a eu l'accord constitutionnel de 1983. Je n'ai pas examiné la question moi-même. Je ne suis pas un constitutionnaliste, mais si jamais la question était soulevée devant les tribunaux, on pourrait faire valoir que tous les gouvernements canadiens sont légalement tenus de meneur à terme l'engagement qu'ils ont pris de reconnaître clairement nos droits dans la Constitution. Même si aucun argument juridique ne pouvait être invoqué, des fondements moraux commandent, si on envisage de reprendre le débat de la Constitution et de la formule de modification, de tenir compte en priorité des récents développements constitutionnels et des engagements pris dans la Constitution au cours des années 80. Un des aspects prioritaires de cet exercice concernerait les droits des autochtones.
Mme Kuptana: Je désire revenir à la question du sénateur St. Germain, qui demandait pourquoi nous ne nous opposons pas carrément à ce projet de loi.
Dans l'exposé que j'ai fait ce matin au nom des Inuit, j'ai proposé que le comité recommande au gouvernement fédéral de réexaminer le projet de loi du point de vue de sa constitutionnalité, de la menace qu'il représente pour l'unité nationale et des difficultés qu'il créerait en ce qui concerne le mode de révision. En cas d'échec, nous pourrons nous opposer à tout ce que nous voudrons, mais le gouvernement n'en ira pas moins de l'avant et fera tout ce qu'il voudra. Nous devrons en supporter les conséquences. Nous proposons ce matin des amendements précis qui visent à améliorer le plus possible un mauvais projet de loi et à le rendre tolérable pour les autochtones.
En ce qui concerne le point de vue des Inuit, nous avons recommandé que si le gouvernement fédéral dépose et adopte ce projet de loi, il évite de toucher aux dispositions constitutionnelles concernant les droits des autochtones et les peuples autochtones et qu'il adopte une disposition exigeant le consentement des autochtones.
J'espère que cela répond à votre question.
M. Coon Come: Vous savez que je viens de la province qu'on appelle le Québec. Je suis un Cri. Mon peuple possède son propre territoire. Quoi qu'il arrive, les Cris ne le quitteront pas. Nous continuerons de vivre sur nos terres et notre territoire. Au Québec, les séparatistes ont affirmé qu'ils prendraient notre territoire avec ou sans notre consentement et qu'ils assumeraient les responsabilités du gouvernement fédéral. Ils croient que l'indépendance du Québec s'accompagnera automatiquement du transfert de ce droit.
Les séparatistes affirment qu'ils ont le droit à l'autodétermination, mais ils nous refusent ce droit. Ils affirment qu'ils ont le droit de tenir leurs propres référendums mais que nous ne pouvons pas en faire autant.
Ils ont adopté un projet de loi qui commence par réduire les droits que la Constitution reconnaît à notre peuple, notamment les droits issus des traités. Mon peuple n'est cependant pas demeuré silencieux. Nous vivons avec cette menace de façon quotidienne. Nous avons fait nos propres recherches. Notre commission a consulté notre peuple dans le cadre d'une tournée de l'ensemble du territoire cri. Nous avons tenu notre propre référendum sur notre avenir. Nous avons le droit de décider à qui nous voulons nous associer. Nous avons tenu un référendum et nous nous sommes rendus en hélicoptères auprès de nos gens sur les territoires de chasse et de pêche car il était important de les consulter. Nous avons pris la menace au sérieux.
Après avoir déterminé nos droits, nous avons décidé de défendre notre position en demandant au gouvernement fédéral de dire s'il entendait exercer ses obligations constitutionnelles et ses responsabilités fiduciaires envers les autochtones. Nous avons voulu savoir si le gouvernement entendait appliquer une politique de deux poids deux mesures en reconnaissant au Québec le droit de tenir un référendum mais en niant ce même droit aux autochtones; en reconnaissant au Québec le droit à l'autodétermination mais en refusant ce droit aux peuples autochtones du Canada.
Nous sommes venus, tout en sachant qu'il existe un déséquilibre. Notre intention première était de nous opposer à l'adoption de ce projet de loi. Combien de projets de loi ont été adoptés après que les autochtones ont comparu pour exprimer leur point de vue à leur sujet tout en sachant très bien que les modifications qu'ils avaient proposées ne seraient pas retenues? Nous n'avons cependant pas renoncé et c'est pourquoi nous sommes ici.
Ces modifications et cette disposition de non-dérogation se rapportent à une loi fédérale. Elles ne sont pas des modifications constitutionnelles. Elles créent un déséquilibre en ce qui concerne les responsabilités du gouvernement fédéral et la Constitution. Je suis venu ici dans le but de soumettre des propositions et un amendement qui, selon moi, pourrait donner aux autochtones une certaine garantie que le gouvernement fédéral ne laissera pas cette menace se concrétiser au Québec et que le Canada n'aura pas les mains liées par le projet de loi C-110. Dans sa forme actuelle, ce projet de loi ne laissera aucune possibilité au gouvernement fédéral car le droit de veto accordé aux provinces permettra à ces dernières de décider. Les provinces auront des pouvoirs additionnels qu'elles pourraient utiliser pour limiter les pouvoirs des autochtones ou faire obstacle à leurs initiatives.
Le gouvernement fédéral cède de nouveaux pouvoirs aux provinces, comme si elles n'en avaient pas déjà suffisamment. Personne ne peut dire quelle portée auront ces pouvoirs ni comment ils seront exercés, mais il est certain que le droit de veto accroîtra les pouvoirs des provinces aux dépens des droits des autochtones.
Je connais la situation au Québec car je viens moi-même du nord du Québec. Je vis à côté de la circonscription de Lucien Bouchard et je suis également voisin d'une autre circonscription séparatiste. Ces gens sont obsédés. Le sénateur Beaudoin comprendra certainement. Le sénateur Watt vient lui aussi du Québec. Je ne tiens pas à ce que le gouvernement fédéral ait les mains liées. Je lui demande d'exercer ses responsabilités fiduciaires. Le gouvernement va-t-il appliquer les lois du pays et assurer la primauté du droit? Exercera-t-il les droits qu'il affirme posséder en vertu de la Constitution? Je ne veux pas que le gouvernement fédéral ait les mains liées, mais c'est ce qui se produira si le droit de veto est accordé aux provinces.
Le sénateur St. Germain: Merci. Tant que je ne serai pas dans vos mocassins, je ne pourrai jamais comprendre la nature de vos rapports avec le gouvernement.
Le sénateur Watt: Si j'ai bien compris, l'approche que vous avez adoptée au sujet de la clause de non-dérogation n'est pas votre premier choix, sachant que l'adoption du projet de loi aura des répercussions certaines sur les autochtones. Cette clause semble constituer un minimum pour vous, une façon d'atténuer la portée du projet de loi et de faire en sorte que le gouvernement canadien continue de jouer un rôle privilégié auprès des autochtones du Canada. Je crois que vous vous opposez à ce que le gouvernement fédéral accorde un droit de veto aux provinces. Je suis certainement d'accord avec vous.
Pendant de nombreuses années, en fait dès 1982, Jim Sinclair et moi nous sommes occupés de cette question. L'idée ne me plaît guère, mais malheureusement le Canada semble agir de manière à se retrouver les mains liées. Par ailleurs, les minces connaissances que j'ai de la Constitution et du droit me donnent à penser que le projet de loi aura pour effet de restreindre au lieu d'accroître les possibilités offertes par l'article 35.
Si je vous ai bien compris, vous préféreriez que ce projet de loi soit mis au rancart une fois pour toutes, mais que si de véritables modifications constitutionnelles doivent être apportées elles le soient par une modification constitutionnelle et non pas dans le cadre d'une simple loi. Vous ai-je bien compris? Est-ce bien ce que vous dites? Je n'étais pas ici ce matin lorsque vous avez fait votre exposé et je tente maintenant de vous rattraper. M. Ovide Mercredi pourrait peut-être me dire si j'ai compris correctement.
M. Mercredi: Je crois qu'en tant que sénateur libéral vous devriez vous opposer carrément à ce projet de loi. Vous devriez le renvoyer sans votre approbation. En tant que porte-parole de l'assemblée, je ne peux pas recommander d'apporter des amendements à un projet de loi qui m'apparaît irrécupérable. Il est tellement mauvais qu'il est inutile de tenter d'y apporter des améliorations. Je ne propose pas de clause de non-dérogation. Je ne propose rien de la sorte. Je vous demande, en tant que sénateur, de vous y opposer tout à fait.
Pourquoi? D'abord, en ce qui concerne les droits des premières nations du Québec, l'adoption du projet de loi rendrait à toutes fins utiles impossible la protection des droits des autochtones sur le territoire et les ressources. Tout le monde serait visé. Le droit à l'autonomie gouvernementale lui-même pourrait être contesté par l'Île-du-Prince-Édouard, qui ne compte pourtant que 400 000 habitants. Cette province négocie actuellement avec les premiers ministres des autres provinces un moyen d'exercer elle-même le droit de veto. Je ne dis pas quelle l'exercerait, mais elle en aurait la possibilité.
Si le premier ministre tenait à préserver l'unité nationale, il n'y est pas arrivé. En fait, si notre pays se trouve aujourd'hui en difficulté, c'est que la rigidité de notre fédéralisme fait en sorte qu'il est difficile de restructurer le système par des modifications constitutionnelles. C'est ce qui explique le gåchis actuel. L'assouplissement du régime ne réside pas dans un accroissement du droit de veto. Cette formule conduira plutôt le pays à sa perte. Même un non-autochtone, disons un sénateur d'une autre région par exemple, devrait y voir une raison suffisante de s'opposer tout à fait à ce projet de loi.
Il y a deux raisons de s'opposer au projet de loi, la seconde étant qu'il ne protège pas notre peuple. Vous le savez. Je ne crois pas que la solution se trouve dans une clause de non-dérogation. Que signifie «non-dérogation»? Les avocats parleront pour eux-mêmes mais non pour le peuple.
Selon nous, la non-dérogation signifie que les modifications apportées à la Constitution, quelles qu'elles soient, n'auront pas d'effet sur nos droits, mais tout ce que vous ferez aura des conséquences sur nos droits. C'est pourquoi M. Sinclair dit que la solution se trouve dans le dialogue. La solution se trouve dans l'inclusion, comme disait Mme Kuptana. Si vous vous contentez de mesures superficielles, vous donnerez simplement au gouvernement fédéral un prétexte pour ne rien faire dans l'avenir au sujet des droits issus des traités et des droits ancestraux. C'est le risque que comporte la non-dérogation. Le gouvernement aura ainsi une excuse pour nous dire plus tard qu'il ne porte pas atteinte à nos droits et qu'il a appliqué la disposition de non-dérogation. Le gouvernement aura une plate-forme constitutionnelle pour traiter les demandes du Québec mais il nous dira de ne pas nous en faire puisque nous avons la disposition de non-dérogation.
Ce sont là des considérations politiques et non pas juridiques. Elles sont réelles. Vous avez été un leader du peuple inuit et vous savez donc qu'il y a une grande différence dans la manière dont le gouvernement nous traite, selon qu'il s'agit de politique ou de droit. Même quand la loi est de notre côté, les politiques n'en tiennent pas compte.
Il ne suffit pas que nous soyons prudents. Nous devons aussi revendiquer nos droits. Nous devons signifier notre refus de ce projet de loi. Il vous incombe, ainsi qu'au sénateur Marchand qui est un citoyen des premières nations, de nous aider à empêcher ce projet de loi d'être adopté.
C'est la position de l'Assemblée des premières nations.
M. Sinclair: Le projet de loi C-110 renforce le pouvoir des régions et nous craignons qu'il ne contribue à perpétuer encore davantage l'impasse constitutionnelle lorsque viendra le temps de préciser les droits ancestraux et les droits issus des traités. Le gouvernement canadien a également suggéré que le droit inhérent des autochtones à l'autonomie gouvernementale est déjà reconnu dans la Constitution, ce qui donne à penser que le programme de revendications constitutionnelles des autochtones est achevé. J'ai de sérieuses réserves à ce sujet.
En outre, la politique du gouvernement concernant le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale comporte les même faiblesses que le projet de loi C-110, puisqu'elle peut être rejetée par le gouvernement en place. Je crains que des gouvernements ne tripotent nos droits par des modifications et ne fassent de la surenchère. Les choses sont encore pires quand nous ne sommes pas là pour nous défendre.
C'est à cela que nous faisions allusion dans le passé lorsque nous parlions d'égaliser les chances. Vous vous en souviendrez, lors de ces négociations constitutionnelles, on nous avait assuré que dorénavant nous serions inclus, qu'on nous consulterait avant de procéder à tout changement nous touchant.
Les choses n'ont pas été faciles pour nous. Je suis très fier des jeunes chefs que nous avons maintenant. Leurs méthodes, leur approche et leur façon de parler me remplissent de fierté. Je suis sûr qu'ils vous inspirent le même sentiment. Je suis convaincu que nous avons placé notre avenir entre de très bonnes mains. Le sénateur Marchand a fait beaucoup de travail au fil des ans et je suis fier de son travail à lui aussi.
Nous ne pouvons permettre que les choses changent sans notre participation. J'espère que vous, les sénateurs, vous allez porter le flambeau pour nous. Nous allons mettre toute notre énergie à faire avancer les droits de notre peuple.
Mme Turpel-Lafond: Comme il ressort clairement de l'exposé fait ce matin par la Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan ainsi que de la résolution adoptée par l'assemblée législative de cette même fédération, notre position sur le projet de loi C-110 est double. Nous avons par ailleurs des griefs de nature constitutionnelle que nous pourrions exposer ici même ou dans d'autres forums. Toutefois, notre position sur le projet de loi C-110 est très claire. Le fait qu'il n'y ait eu aucune consultation, aucune participation des chefs des premières nations ou des peuples autochtones suffit à lui seul à vous indiquer qu'il est insatisfaisant. Deuxièmement, à la suite du projet de loi C-110, le type de modifications que pourraient demander les autochtones en ce qui concerne leurs droits ancestraux et les droits issus de traités, qui sont actuellement régies par le mode de révision 7-50, devraient être approuvées à l'unanimité.
Notre deuxième position est que le projet de loi constitue un manquement à la responsabilité fiduciaire du gouvernement fédéral. Ce projet de loi a une incidence négative sur les droits ancestraux et sur les droits issus de traités ainsi que sur la réforme constitutionnelle restée inachevée. Notre position est que nous devrions nous y opposer pour cette seule raison.
Comme solution de rechange, nous proposons une clause de protection. C'est la même que celle qu'ont soumis les Inuit et les Cris du Québec. Cette clause vise à maintenir le mode de révision 7-50 en ce qui concerne les modifications touchant les droits ancestraux et les droits issus de traités, l'autonomie gouvernementale, et cetera. Elle n'a pas d'autre but. Elle maintient le mode 7-50, ce qui est ironique car nous n'aimons pas cette formule du fait que le consentement des autochtones n'est pas nécessaire. Nous savons que si le consentement des autochtones était nécessaire, il faudrait qu'il en soit décidé à l'unanimité si nous nous trouvions dans un contexte de modification constitutionnelle. Mais il ne s'agit pas de modifier la Constitution. Même si ce projet de loi porte sur le mode de révision, il n'en demeure pas moins que c'est une mesure législative fédérale.
Nous estimons que, contrairement à l'Accord du lac Meech dans le cadre duquel une disposition de non-dérogation n'aurait pas eu d'effet, ceci est une loi fédérale. Une disposition de non-dérogation réserverait le mode 7-50 aux questions touchant les autochtones. Elle n'empêcherait pas le gouvernement fédéral - et c'est de cela dont il s'agit dans le projet de loi C-110 - de proposer ou d'autoriser que soient modifiés les droits ancestraux et les droits issus de traités ou tout autre droit et liberté des autochtones; autrement dit, l'autonomie gouvernementale, et cetera. Nous réservons le mode de révision 7-50 à ce genre de modifications. Je suis d'accord avec le sénateur Beaudoin qui a dit «à condition que le mode de révision 7-50 s'applique à tous». Nous faisons en sorte qu'il continue à s'appliquer.
Nous appuyons et préférons la position avancée par le chef national, à savoir qu'il y a d'amples raisons pour rejeter le projet de loi dans son ensemble. Il ne sert les intérêts de personne, et certainement pas ceux des premières nations ou des autochtones.
Je veux toutefois qu'il soit clair que, à l'avenir, cette clause de protection protégerait ce genre de modifications. Le mode de révision devrait quand même être approuvé par 7 provinces et 50 p. 100 de la population, conformément à l'article 42, ce qu'en soi nous dénoncerions dans un autre forum, mais puisque c'est seulement une option que vous envisagez, nous nous en tiendrons là.
Nous devons faire un choix très difficile entre «rejeter ou accepter». Nous ne pouvons choisir «accepter». Nous vous encourageons à rejeter; pour notre part, nous ne pouvons certainement pas accepter le projet de loi sous sa forme actuelle pour toutes les raisons que nous avons données. Nous avons essayé de trouver un moyen de protéger le mode de révision 7-50. C'est l'essence de notre proposition. C'est sa fonction et elle peut remplir cette fonction.
Mme Kuptana: Sénateur Watt, nous qui sommes inuit, nous savons que le gouvernement risque de se sentir obligé d'aller de l'avant avec cette mesure législative malavisée. En tant qu'Inuit, nous proposons un compromis qui donnerait au moins une certaine latitude au gouvernement fédéral pour qu'il puisse se prononcer devant son propre Parlement, de sa propre initiative, sur des questions concernant l'intérêt supérieur de la nation ou sur des questions d'importance nationale. Il aurait ainsi les coudées franches pour faire face, au cas échéant, à une crise constitutionnelle.
Prenons un exemple: s'il y avait un autre référendum sur la souveraineté et que la réponse était oui, le projet de loi C-110 empêcherait le gouvernement fédéral de réagir de façon efficace. Si une situation de ce genre se présentait, le gouvernement fédéral devrait pouvoir présenter des modifications à son propre Parlement, faute de quoi, nous serions en difficulté.
[Français]
Le président: M. McKenzie avez-vous des commentaires à faire au sujet du débat qui a eu lieu jusqu'à maintenant.
M. Armand McKenzie, représentant, nation innue: Même si je suis avocat autochtone, je me sens quand même étranger dans cet univers constitutionnel. Tous les chefs autochtones ont dit qu'ils n'étaient pas des experts constitutionnels. Toutefois, je m'intéresse au domaine constitutionnel à titre d'avocat. Par contre, à titre de représentant de la nation innue du Québec, je me sens particulièrement concerné par ce projet de loi C-110 pour les raisons suivantes.
Nous sommes d'accord avec les propos qui ont été formulés par les autres leaders autochtones qui se sont présentés devant vous. Nous ne pouvons pas régler la question du droit inhérent à l'autodétermination, à l'autonomie gouvernementale, à travers des mesures ou des politiques fédérales comme celles qui sont véhiculées par le ministre Erwin.
Je crois que si l'on poursuit le travail, ou si l'on accepte ce projet de loi C-110, cela va compliquer encore plus le règlement des questions, des demandes ou des aspirations constitutionnelles des peuples autochtones du Québec.
Nous avons, à l'heure actuelle, en terme de politiques, des difficultés pour ce qui est de la reconnaissance du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale au Québec, ainsi qu'à Terre-Neuve et au Labrador. Ces deux gouvernements provinciaux, dans le cadre de nos négociations territoriales et gouvernementales, ne reconnaissent nullement le fait que la nation innue a un droit préexistant, en ce qui a trait à son droit de se gouverner comme peuple ou comme nation.
Nous faisons déjà face à des obstacles énormes. Si vous contribuez, en tant que sénateurs, à l'adoption de ce projet de loi, nous aurons à faire face à plus d'obstacles. Vous allez empêcher mon peuple de voir ses aspirations constitutionnelles réalisées.
Après analyse de ce projet de loi C-110, je suis d'accord avec M. Sinclair quand il mentionne que l'on donne de plus en plus de pouvoirs aux provinces, notamment, les questions des droits des peuples autochtones. Le fédéral se départit de ses obligations constitutionnelles face aux autochtones pour les transférer, par la suite, aux provinces.
Dans le cadre de nos négociations territoriales et gouvernementales avec le Québec, le Canada et Terre-Neuve, on s'aperçoit que les provinces ont de plus en plus de pouvoirs. Ils peuvent s'objecter à des mesures qui sont prises par le gouvernement fédéral, des mesures qui viseraient, par exemple, la reconnaissance de droits territoriaux ou de droits gouvernementaux aux peuples autochtones.
Ce que je constate avec le projet de loi C-110, et ce que nous constatons, nous les Innus ou les Montagnais du Québec, c'est que dans le fond tout le monde se sert à même nos ressources territoriales et à même nos pouvoirs.
En ce sens, je me sens comme un étranger dans mon propre pays parce que les peuples autochtones sont un élément fondamental de ce pays. Ils font partie de ce pays. On semble dire que l'on va régler la question des droits des peuples autochtones plus tard, ou par des clauses non dérogatoires.
Mais on n'aborde pas les vrais enjeux, soit la relation qu'il y a entre la société québécoise, les peuples autochtones et le reste du Canada. On ne discute pas des vrais enjeux. On ne fait que donner des solutions à la sauvette pour réaliser quelques engagements ou promesses référendaires. Ce n'est pas comme cela que nous allons réussir à trouver une paix constitutionnelle.
Les droits des peuples autochtones sont fondamentaux et importants dans la société canadienne. Si on les a inclus dans la loi suprême de ce pays, c'est parce qu'ils sont importants aux yeux de la société canadienne.
Monsieur le président, j'aimerais que vous traitiez de cette question avec respect et avec importance, comme cela doit se faire, en gardant à l'esprit que la Couronne a une obligation de fiduciaire et qu'elle doit veiller à respecter cette obligation de fiduciaire. Elle doit également veiller à respecter, à garantir et à maintenir les droits des peuples autochtone.
Le sénateur Beaudoin: Je comprends la préoccupation des amérindiens. Vous êtes du Québec et je vous connais. Je vous ai vu à l'Université d'Ottawa.
Je comprends que vous demandiez une protection. Je n'ai aucun problème sur ce plan. Mais vous ne vous opposez pas à ce que le Québec obtienne un veto sur les amendements qui le concernent.
M. McKenzie: Le premier ministre Bourassa, au lendemain de l'Accord du lac Meech, avait répondu ceci à un leader autochtone:
On ne répare pas une injustice par une autre.
Je vous retourne le même commentaire que M. Bourassa avait fait à cette époque. On ne répondra pas aux aspirations des Québécois sur le dos des aspirations des peuples autochtones. Je comprends les Québécois.
Le sénateur Beaudoin: On peut faire les deux.
M. McKenzie: Justement, c'est ce qu'il faut essayer de faire. Ce que les leaders vous proposent, c'est un dialogue. C'est un processus d'inclusion et non d'exclusion. Ce que vous faites, c'est que vous excluez les peuples autochtones, qui sont pourtant un élément fondamental de la société canadienne. On les exclut comme si de rien n'était, bon an mal an, et on règle les questions des pouvoirs et des compétences du Québec.
Le Québec a besoin de protection, je le comprends, au niveau de la langue, de la culture, de ses droits historiques, de ses privilèges et des privilèges de l'Assemblée nationale. Je comprends tout cela, je viens du Québec. Je parle la langue française, je les comprends.
Ils sont sept millions à vouloir demander cette protection. Nous avons davantage besoin de protection. Cela est d'autant plus vrai pour les autochtones parce que nous avons besoin de garanties pour la protection de nos langues, de notre culture, de nos traditions, de nos droits et de nos ressources. On semble faire fi de ces questions importantes.
Le gouvernement fédéral disait, au lendemain de son élection, vouloir considérer les questions des peuples autochtones. Mais il semble faire complètement fi, ou semble régler à la sauvette les questions des autochtones en émettant ici et là des politiques et des mesures du genre politiques fédérales sur le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Ils appellent cela droit inhérent. Mais ils définissent pour nous place ce qu'est le droit inhérent.
Comme le disait M. Mercredi, «it is subverting aboriginal rights». Donc, c'est de la municipalisation de nos droits. À titre de représentant de la nation innue du Québec, je pense que vous devez vous y opposer.
Je fais la même remarque à mon voisin de Kuujjuaq, puisque je viens de Schefferville, le sénateur Charlie Watt, ainsi qu'au sénateur Marchand. Ils doivent s'assurer que les droits des peuples autochtones soient garantis et ils doivent s'opposer à l'adoption de cette mesure.
[Traduction]
Le sénateur Carstairs: Il y a trois points sur lesquels j'aimerais avoir plus de renseignements. Le premier concerne la convention constitutionnelle dont ont parlé en détail non seulement la délégation de la Saskatchewan, mais aussi l'Inuit Tapirisat et, dans une certaine mesure, le chef Mercredi lorsqu'il a dit, à juste titre que, dans le cas de l'Accord de Charlottetown, le processus était satisfaisant parce qu'inclusif.
Pour nous, en tant que comité, le dilemme est intéressant car on supposerait que pour être inclusive, une telle convention devrait inclure toutes les provinces, les territoires et les autochtones. Cependant, à l'exception de la Colombie-Britannique, aucune province n'a exprimé le moindre intérêt à comparaître devant nous et aucune n'a exprimé par écrit son déplaisir à avoir été exclue du processus. Je présume que les provinces se disent que c'est un projet de loi de la Chambre des communes et du Sénat et que, par conséquent, ce n'est pas une modification constitutionnelle.
J'aimerais que vous me disiez à quel point vous pensez que la convention constitutionnelle adoptée à Charlottetown était inclusive.
M. Morin: Dans notre présentation de ce matin, nous déclarions clairement que le projet de loi est fondamentalement incorrect quant à son objet, qui est de modifier en douce la Constitution. On ne peut modifier en douce la Constitution; il faut le faire au moyen de procédures et de méthodes établies en invoquant la première loi du pays, la Constitution.
Non seulement la substance du projet de loi laisse à désirer, mais la façon de procéder dans ce dossier est aussi fondamentalement mauvaise. Le premier ministre et le gouvernement fédéral sont probablement bien intentionnés, je n'ai aucun doute à cet égard, mais la façon dont ils s'y prennent pour remédier à la crise d'unité au Canada est probablement malavisée.
Peu importe notre démarche de ce matin, nous croyons qu'au bout du compte, le projet de loi sera adopté par le gouvernement fédéral sans le moindre changement. Nous voulons néanmoins que tout le monde connaisse notre position à l'égard de cette mesure et de toute la question du renouveau constitutionnel au Canada. Nous espérons aussi attirer l'attention des Canadiens sur nos efforts et leur fournir notre point de vue sur le traitement que devraient recevoir les questions concernant le renouvellement du Canada.
Je suis d'accord avec la présentation qui vient du Québec. Nous devons prendre garde que ce que fait le gouvernement fédéral au moyen du projet de loi C-110 ne canalise pas notre perception de la façon dont les Canadiens devraient réagir à une crise - mais je vois des signes que cela se produit déjà. Dans une certaine mesure, le projet de loi s'est opposé à un dialogue ouvert, parce que nous sommes énervés et nous davantage préoccupés par les aspects techniques de la mesure, quitte à négliger les véritables problèmes de notre pays, notamment la question québécoise et le rôle des peuples autochtones.
Ce processus et ce genre de débat engendrent de la frustration. Nous voulions nous adresser à vous ce matin, non pas en votre qualité de sénateurs chargés d'étudier le projet de loi C-110, mais bien de parlementaires, et nous voulions aussi nous adresser aux médias. Il doit y avoir une restructuration et un renouvellement du Canada. Nous sommes devenus tellement craintifs de créer un problème politique au Québec ou ailleurs, de causer une crise quelque part au Canada, que nous avons sauté sur l'occasion, nous sommes arrêtés à un aspect et nous avons manqué de leadership en évitant les véritables problèmes qu'éprouve le Canada.
Le temps est venu de renouveler notre pays. Une vraie restructuration s'impose. Notre fédération et notre Constitution actuelles ne fonctionnent pas et ne répondent pas aux réalités de la vie moderne. Notre principale doctrine constitutionnelle date est la Loi constitutionnelle de 1867, adoptée il y a presque 130 ans, au moment où le Canada comprenait le Québec, l'Ontario et deux provinces maritimes. L'Ouest du Canada ne faisait même pas partie du Canada. À l'époque, il y avait environ 3 millions d'habitants au Canada, alors qu'aujourd'hui, il y en a une trentaine de millions. Notre pays s'étend d'un océan à l'autre. De nouvelles réalités apparaissent constamment et les tendances démographiques changent continuellement.
Je n'aime pas l'expression «unité nationale», parce qu'elle est négative et réactionnaire, et qu'on s'en sert pour réagir à ce qu'on perçoit comme une menace de sécession du Canada. Il faut abandonner de telles expressions et parler du renouvellement de notre pays. Nous devons centrer notre attention là-dessus et suivre une démarche proactive et positive.
Pour répondre directement à votre question, sénateur Carstairs, je dirai que nous devons faire «plus qu'à Charlottetown» et adopter un processus qui tienne compte de tous les intérêts, comme nous avions tenté de le faire dans l'Accord de Charlottetown. La sagesse d'une telle démarche apparaît clairement dans notre expérience de 1980, où nous avions tenté d'extraire la question autochtone du contexte constitutionnel et abouti à l'échec.
Aucune raison politique n'incite les politiciens au Canada à dire: «Nous devons revenir à la table des négociations constitutionnelles pour garantir l'équité et la justice envers les autochtones.» Soyons honnêtes: chaque fois que nous retournons à la table des négociations constitutionnelles, c'est à cause d'une crise au Québec et c'est ce qui se produira encore une fois, malheureusement. Nous devons dire: «Faisons le point sur toutes ces craintes et ces réactions concernant la situation du Québec, et montrons aux Québécois et à tous les Canadiens que nous formons une fédération flexible, que nous pouvons modifier avec le temps, afin de satisfaire tous les intérêts.»
Les Canadiens doivent aussi participer. Ils montrent bien qu'ils se sentent exclus du processus politique et de la vie politique. La question des autochtones doit faire l'objet de discussions, auxquelles les Canadiens doivent participer. Les questions québécoises doivent faire l'objet de discussions.
Notre société est de plus en plus multiculturelle. Quand on marche dans les rues de Vancouver, on se rend compte que, depuis une décennie, la ville appartient de plus en plus à une société multiculturelle. Cette nouvelle réalité n'est pas reflétée dans la première loi du Canada à l'heure actuelle. Il ne faut pas l'oublier.
Le gouvernement fédéral, le premier ministre et le Cabinet sont chargés, par les Canadiens au moyen d'un processus démocratique, d'assurer le leadership. C'est le rôle des leaders.
J'en arrive à un dernier point sur cette question. Selon la position que défend le gouvernement fédéral, il ne faut pas revenir sur la Constitution, il faut mettre la question en suspens pour s'occuper des emplois et de la prospérité économique. Cette position est mauvaise. En réalité, les choses ne fonctionnent pas comme cela. Si notre pays est menacé d'éclatement par suite de problèmes fondamentaux, notamment la situation du Québec et des peuples autochtones, comment pouvons-nous centrer l'attention sur la création d'emplois et la prospérité économique? Le renouveau politique et la prospérité économique vont de pair avec notre avenir en tant que pays, et nous devons nous attaquer à toute cette question du renouvellement de la fédération. Quand nous aurons fait cela et que nous aurons réglé ces problèmes politiques fondamentaux, nous pourrons entreprendre le véritable travail que suppose la création d'emplois et la prospérité économique.
En tant que parlementaires, vous devez savoir que nous attendons que vous manifestiez un esprit de leadership sur la question autochtone, que vous partagiez une même vision et que vous influenciez le premier ministre et le gouvernement fédéral pour qu'ils disent: «Soyons dynamiques et positifs; renouvelons la fédération de manière que la Constitution du Canada reflète les nouvelles réalités qui se manifestent au Canada.»
Mme Kuptana: Vous demandez à quel point l'Accord de Charlottetown était complet. Pourtant, quand on examine tout le processus suivi à Charlottetown, on constate qu'il a été efficace.
Le sénateur Carstairs: Ce n'était pas l'objet de ma question. J'ai demandé: «À quel point le processus était-il complet», autrement dit, tenait-il compte de toutes les questions?
Mme Kuptana: J'y arrive. Vous avez laissé la parole à mon collègue pendant près de 20 minutes.
Le processus suivi à Charlottetown favorisait la recherche d'un consensus. Un accord a été conclu sur des questions complexes d'ordre juridique et constitutionnel par les représentants de dix provinces et de deux territoires, des dirigeants autochtones et une multitude d'avocats. Le gouvernement avait fait des propositions des mois à l'avance, de sorte que nous avons pu en débattre entre nous. Par conséquent, le processus aboutissant à l'Accord de Charlottetown a été très complet, contrairement à ce qui ce passe actuellement au Canada. À cet égard, il suffit de penser au projet de loi sur le contrôle des armes à feu, ainsi qu'à celui que nous étudions actuellement. Où est-il question des peuples autochtones? Nulle part.
M. Coon Come: Ceux que je représente sont d'avis qu'il n'est plus question que les gouvernements ou les sociétés procèdent entre eux à la cession de terres qui nous appartiennent sans notre consentement. Il est arrivé à quatre reprises que certaines de nos terres fassent l'objet de cessions ou d'accords entre des gouvernements, dont nous avons été exclus. Nous sommes opposés à ce que cela se reproduise.
Ce n'est pas avant le début des années 1980 que les peuples autochtones ont participé directement à de telles discussions et, si elles l'ont fait, c'est uniquement parce que la loi exige que le premier ministre convoque des conférences de premiers ministres provinciaux. M. Sinclair a participé à ces discussions, comme la plupart d'entre nous. Depuis que nous y participons, il me semble qu'un précédent a été établi. Au cours du processus de l'Accord du lac Meech, la question de notre participation a été soulevée. Finalement, nous avons pris part au processus de Charlottetown. Nous avons ainsi pu discuter de la réalité que vivent les Canadiens.
Pour moi, il existe actuellement une relation spéciale. Quand la Chambre des communes et le Sénat ont approuvé la Convention de la Baie James et du Nord québécois, ils ont accepté qu'il y ait une relation spéciale avec les Cris et les Inuit, après la signature du traité. En même temps, on nous dit qu'il n'y a que deux peuples fondateurs au Canada. Après avoir traité avec les anglophones, il faut maintenant s'occuper des francophones, parce qu'ils veulent plus de pouvoir. La réalité, c'est que le Canada est une mosaïque culturelle. Il y a de nouveaux éléments.
Nous sommes d'avis que nous avons notre mot à dire sur des questions qui se posent au Canada. Je pense en particulier à ce qui se passe dans les collectivités du Nord, à ce qui se passe à la Baie James, avec les forestières qui exécutent des mégaprojets, en Alberta et en Saskatchewan. Je pense à la situation des Innu du Labrador.
Nous voulons participer pour garantir une certaine stabilité et pour faire en sorte que les peuples autochtones aient leur mot à dire sur ce qui se passe dans leur propre cour. Nous voulons une tribune où traiter les problèmes de la vie courante qui nous toucheront, parce que nous voulons continuer à créer de l'emploi, entre autres. Nous ne voulons plus arriver à la dernière minute en agitant nos drapeaux et en disant: «Avez-vous pensé à nous?» Nous voulons participer.
Nous avons fait l'objet d'un traitement ironique. Nous demandons une plus grande participation aux affaires du pays que nous habitons. Personne ne parle de faire la sécession ou de briser le pays. Nous voulons notre mot à dire sur notre rôle en tant que membre fondateur du Canada. Quel rôle pouvons-nous jouer? Nous ne voulons pas reprendre les bases jetées par nos ancêtres, autochtones ou non autochtones. L'époque, les circonstances et les besoins ne sont plus les mêmes. Dans les années 1990, nous pouvons élaborer une nouvelle démarche et dire: «C'est dans cette direction que nous allons dorénavant.»
S'il nous faut débattre des bases sur lesquelles le Canada a été båti, nous le ferons, mais nous le ferons ensemble, avec la participation des premiers habitants du pays. Nous refusons d'être convoqués pour fournir notre opinion sur des mesures législatives comme celle qui est actuellement à l'étude. Ce n'est pas assez. Nous voulons participer dès le départ.
Voilà notre réponse à votre question. Si les peuples autochtones participent, ils pourront collaborer à améliorer le pays. Les Canadiens devraient être en mesure de marcher la tête haute et de dire: «Nous avons traité nos autochtones équitablement. Nous traitons avec eux. Ils participent à nos institutions. Ils jouissent d'une forme d'autonomie gouvernementale. Ils tracent eux-mêmes leur avenir. Ils ont le droit de décider de ce qui se passe dans leur propre cour.»
Le sénateur Carstairs: Selon un argument que vous avez tous soulevé, les autochtones pourraient obtenir l'autonomie gouvernementale au moyen de la formule du 7-10-50, mais le projet de loi C-110 viendrait ajouter une autre série de difficultés. Je voudrais savoir quel est, selon vous, l'effet des paragraphes 38(2) et (3) de la Loi constitutionnelle de 1982. Aux termes de ces dispositions, une province peut choisir de ne pas être assujettie à une modification constitutionnelle qui est contraire à sa compétence législative ou à ses droits de propriété. En fait, est-ce que cela ne signifie pas que, pour accéder à l'autonomie gouvernementale d'un bout à l'autre du Canada, vous devez obtenir le consentement presque unanime, sinon absolument unanime?
Ma dernière question se rapporte d'une façon particulière à la proposition des Cris, qui est identique à celle qu'a présentée la Federation of Saskatchewan Indian Nations. Je voudrais que vous m'expliquiez certains termes.
L'alinéa 2a) proposé reconnaîtrait, affirmerait et protégerait les peuples autochtones, leurs droits et les droits issus de traités. Je n'y vois aucun inconvénient. Cependant, j'ignore ce que signifie l'expression «ou autres droits et libertés». Pouvez-vous me l'expliquer?
M. Smith: Monsieur le président, je me suis présenté ce matin en tant que Haalikqlis et je l'ai fait pour une raison. Quand on parle d'autonomie gouvernementale pour les descendants d'autochtones, on fait allusion à un pouvoir traditionnel transmis d'une génération à l'autre, pendant des siècles. Le seul problème que cela soulève, c'est que le gouvernement non autochtone actuel et ses prédécesseurs n'ont jamais reconnu ce pouvoir. Nos grandes maisons, nos longues maisons, nos fêtes, nos potlatch, nos cérémonies et notre façon de nous gouverner sont des choses que vous devez reconnaître. Un pouvoir traditionnel est un pouvoir qui remonte avant l'arrivée de Européens et qui existe toujours. Le chef national y a fait allusion plus tôt. Le concept d'autonomie gouvernementale n'a pas été élaboré en 1492, 1763, 1867 ou 1982. Ce n'est pas un nouveau concept. Tout descendant d'autochtone reconnaît le pouvoir traditionnel.
Dans le territoire de Kwakiutl, Haalikqlis signifie quelque chose pour notre nation. Il signifie que je suis le seul à porter ce nom et que j'ai une responsabilité à l'égard de mes chefs et de mes semblables dans le territoire. J'ai aussi une responsabilité à l'égard des autres premières nations qui occupent le territoire avoisinant celui des Kwakiutl. Cette responsabilité est reconnue dans la grande maison, ou la Chambre des communes, ou la Chambre du peuple.
La notion d'autonomie gouvernementale n'est pas nouvelle. Lorsque nous parlons ici d'autonomie gouvernementale, nous parlons de personnes d'ascendance autochtone qui sont citoyens de leur propre territoire. Elles ont un droit inné sur leur territoire comme toute personne née au Canada a un droit sur le Canada et sur tous les droits et avantages que cela confère.
Je ne sais pas si j'ai ajouté à la complexité de la discussion et du dialogue, mais je prends certes le temps de me demander qui parle au nom des gens. Qui écoute les personnes qui parlent au nom des gens de leurs collectivités?
M. Coon Come: En analysant la formulation de la clause relative à la modification de non-dérogation, nous voulons nous assurer, notamment - comme le sénateur Beaudoin le sait fort bien en sa qualité de constitutionnaliste - de pouvoir bénéficier d'autres droits et libertés que pourrait nous conférer une loi ou de droits qui n'ont pas encore été reconnus et qui pourraient l'être éventuellement dans le règlement de revendications territoriales, qu'il s'agisse de droits conférés par l'actuelle Charte des droits et libertés, à laquelle adhère une partie de notre peuple, ou d'autres libertés. Dans l'affaire Sparrow, il est clair pour moi que les droits ne sont pas déterminés une fois pour toutes. Les droits évoluent. Ils évoluent avec le temps, au fur et à mesure que les gouvernements veulent bien partager et trouver des moyens de coexister avec les peuples autochtones. Il y a place à amélioration et rien ne nous oblige à nous en tenir aux lois en place ni aux moyens établis de traiter les uns avec les autres. Nous pouvons progresser. C'est ce que nous entendons par d'autres lois et libertés.
Cette dernière question est complexe. Elle concerne les provinces qui se prévalent de leur droit de retrait dans des domaines où elles estiment qu'elles ont la pleine compétence constitutionnelle et que le gouvernement fédéral n'a rien à faire, tel celui des ressources naturelles.
Prenons un exemple. C'est beau de parler de considérations d'ordre technique, mais soyons réalistes. Donnons un exemple pratique que les gens de chez nous pourront saisir. Parlons en termes clairs que tous les autochtones pourront comprendre.
Comme vous le savez, je viens du Québec. On y coupe des arbres, à l'heure actuelle. On extrait des territoires cris des tonnes de minerai qui sont expédiées à l'extérieur de nos collectivités. On construit des lignes de transmission de l'énergie électrique. Des revenus sont générés et pourtant, le gouvernement fédéral dit qu'il ne peut pas respecter ses engagements découlant des traités parce qu'il n'a plus d'argent. Nous savons cela. Le gouvernement fédéral est endetté, et les provinces le sont aussi.
Qu'arrivera-t-il si le gouvernement fédéral ne peut pas assumer ses responsabilités conventionnelles? Je crois que mon peuple est disposé à envisager différentes démarches, à se montrer créatif et inventif et à trouver un moyen de compenser pour ces engagements que le fédéral ne peut pas tenir. Par exemple, pourquoi ne bénéficierions-nous pas de l'exploitation des ressources naturelles de notre territoire? La caisse du gouvernement fédéral est vide. Le gouvernement est endetté. Il ne peut pas tenir ses engagements. Et pourtant, les peuples autochtones crient au meurtre parce que le gouvernement ne respecte pas ses engagements et ne tient pas ses promesses et pour cause, puisqu'il n'a pas d'argent. Il faudrait pourvoir trouver des mécanismes qui nous permettraient de bénéficier, nous aussi, de l'exploitation des ressources naturelles de notre territoire, même si les provinces veulent avoir leur mot à dire. Je suis persuadé que nous pouvons trouver un moyen. Nous sommes raisonnables.
Mon peuple n'est pas entêté au point de croire que notre entente est sacrée et ne saurait être modifiée. Mon peuple croit qu'il faut évoluer. Notre accord est un document vivant qui devrait évoluer avec le temps. C'est le secret de la survie. Je ne suis pas armé d'un arc et de flèches, mais je porte complet et cravate. Telle est la réalité - nous avons survécu parce que nous nous sommes adaptés. Et pourtant, on nous dit d'attendre.
Nous allons nous occuper des Anglais du Canada, mais nous allons d'abord commencer par les Français. Faites-nous confiance. Nous allons nous occuper de vous.
Le sénateur Marshall: Nous avions, cependant, une politique infecte en matière d'immigration, n'est-ce pas?
M. Coon Come: Tout à fait. C'est peut-être là un ministère que nous allons créer.
Mme Kuptana: La question qu'a soulevée le sénateur Carstairs au sujet du droit de retrait des provinces s'est posée au cours des négociations sur l'Accord de Charlottetown. Un certain nombre de subtilités juridiques découlent de cette question du point de vue des Inuits. Comme il s'agit d'un problème plutôt juridique, je demanderais à notre conseillère juridique de répondre à la question du sénateur Carstairs.
Mme Moss: On peut faire valoir ici trois points. Premièrement, les dispositions relatives à l'option de retrait ne représentaient pas un obstacle à la conclusion d'un accord au cours des négociations sur l'Accord de Charlottetown. Par contre, le fait qu'on s'entendait pour dire qu'une modification concernant le droit inhérent exigerait l'accord de sept provinces représentant 50 p. 100 de la population constituait une partie importante de la dynamique des négociations. Une fois que les peuples autochtones auraient réussi à obtenir l'accord de sept provinces, la pression qui s'exercerait sur les trois autres serait très forte. Certes, les peuples autochtones ne voudraient pas perdre le peu de pouvoir de négociation dont ils disposent, et c'en est sans aucun doute là une partie importante.
Deuxièmement, même si une province essayait de se prévaloir de l'option de retrait, cela ne toucherait que les peuples autochtones de la province intéressée. Cela n'empêcherait pas l'adoption d'une modification dans le reste du pays. On peut supposer que si sept provinces sont d'accord pour adopter une modification relative au droit inhérent, elles feront tout leur possible pour la mettre en oeuvre dans leurs territoires respectifs.
Troisièmement, pour se prévaloir de l'option de retrait, une province devrait établir que la modification en question porte atteinte à ses pouvoirs législatifs ou à son droit de propriété. Je suis sûre qu'on pourrait se lancer ici dans un débat intéressant, car le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale est manifestement perçu et semble être accepté par le présent gouvernement comme reflétant un droit existant et des pouvoirs existants. En reconnaissant un droit inhérent et des pouvoirs législatifs inhérents, on n'enlève rien aux provinces; on ne fait que reconnaître quelque chose qui existe déjà.
Peut-être cela vous sera-t-il utile en rapport avec la question de l'option de retrait.
Le sénateur Beaudoin: Ce l'est en effet.
Le sénateur Murray: Il y a tellement de points sur lesquels on voudrait poser des questions. Comme je sais qu'un autre collègue au moins veut poser des questions, je vais m'efforcer de présenter les miennes dans un certain ordre. Permettez-moi de poser d'abord plusieurs questions assez précises, pour ensuite passer à deux ou trois questions d'ordre général.
Ce matin, l'association Inuit Tapirisat, notamment, a soulevé la question de la conférence de 1997, et il semble que le premier ministre Chrétien ait l'intention de convoquer une telle conférence, même si je ne suis pas sûr qu'il y soit tenu conformément à la Constitution. À l'article 49 de la Loi de 1982, il est prévu ceci:
Dans les quinze ans suivant l'entrée en vigueur de la présente partie, [...] convoque une conférence constitutionnelle [...] en vue du réexamen des dispositions de cette partie.
Je crois que les premiers ministres ont réexaminé les dispositions de cette partie en 1987, en 1990 et à nouveau en 1992, de telle sorte qu'on peut soutenir que le premier ministre pourrait ne pas convoquer la conférence en question. Les premiers ministres ont réexaminé en profondeur les dispositions de cette partie. De toute façon, la réalité politique est que le premier ministre a fait savoir qu'il convoquera une telle conférence.
L'association Inuit Tapirisat a dit convenir que cette conférence ne porte que sur la formule de modification. Elle a évidemment établi qu'elle souhaitait que les peuples autochtones soient invités à participer à cette conférence. Toutefois, elle a convenu d'en limiter l'ordre du jour à la formule de modification et de reporter la discussion d'autres questions à une autre série de négociations.
Les autres organisations autochtones sont-elles du même avis? Le chef Mercredi fait signe que non.
M. Mercredi: Si nous sommes ici, c'est pour essayer de vous convaincre qu'il reste des affaires constitutionnelles à régler pour les premières nations. Nous soutenons que le projet de loi à l'étude non seulement étouffera nos espérances, mais bloquera la voie aux affaires constitutionnelles que des gouvernements futurs voudraient régler ou conclure avec nous.
L'argumentation est la suivante: ne nous fermez pas la porte! En fait, nous voulons que vous l'ouvriez toute grande. Nous voulons qu'on se penche tout de suite sur nos préoccupations, en même temps que sur celles du Québec; pas après, mais en même temps. Ouvrez la porte toute grande; telle est notre position.
Nous voyons évidemment une fenêtre dans la conférence de 1997, que le gouvernement fédéral doit convoquer dans les quinze années, conformément à la Constitution. Il est de notre devoir en tant que dirigeants de nous assurer que nos préoccupations seront examinées. Toutefois, nous, des premières nations, ne voulons pas limiter l'ordre du jour de la conférence à la seule formule de modification. Ce n'est pas dans notre intérêt. La formule de modification ne règle rien aux questions constitutionnelles qui nous intéressent. Elle nous fournira peut-être l'occasion de parler de la notion de consentement et de notre rôle dans l'adoption à l'avenir de modifications constitutionnelles. Toutefois, elle ne règle absolument rien aux affaires qui sont en suspens. En conséquence, nous n'approuvons pas cette position.
Le sénateur Murray: Je vais revenir là-dessus en rapport avec quelque chose que vous avez dit ce matin, chef Mercredi.
Que pensent les autres dirigeants de la position prise par l'association Inuit Tapirisat?
M. Morin: Comme nous l'avons signalé ce matin, non seulement nous convenons que des affaires constitutionnelles en suspens doivent être réglées au plus tôt au moyen d'une réforme constitutionnelle, mais la loi prévoit qu'une conférence constitutionnelle sur la formule de modification soit convoquée d'ici avril de l'an prochain. C'est ce que prévoit la loi.
Toutefois, nous, de la communauté des Métis, croyons non seulement qu'il reste des affaires constitutionnelles à régler et partant, que la Constitution doit statuer sur les questions autochtones, mais que la réalité politique actuelle au Canada est telle qu'on est pratiquement forcé, au plan politique, de se concentrer sur la question du Québec, de se concentrer sur la question des peuples autochtones et sur bien d'autres questions pressantes qui doivent être réglées au plan constitutionnel. Par conséquent, à mon avis, c'est plus la politique que la loi qui va déterminer au bout du compte quand la ou les conférences auront lieu et quel en sera l'ordre du jour. Évidemment, la position du Ralliement national des Métis est qu'une conférence soit convoquée au plus tôt et que s'enclenche au plus tôt un processus de réforme auquel participeront les Canadiens, car tous, y compris les autochtones, ont des intérêts à défendre, et les représentants autochtones devraient être présents à la table pour négocier ces questions, comme nous l'avons fait jusqu'ici.
M. Coon Come: Pour le moment, les actes comptent plus que les paroles. Voici que le premier ministre veut régler le problème que constituerait la tenue possible d'un autre référendum au Québec. Par deux fois déjà, il a eu l'occasion de traiter avec les peuples autochtones et de les inviter à participer, à savoir lorsqu'il a présenté la motion à la Chambre et à l'occasion de son projet de loi sur le veto. Par deux fois, il a exclu les peuples autochtones. On nous invite à la dernière minute.
Au lieu de parler de l'ordre du jour de la conférence des premiers ministres en 1997, il faudrait savoir si les peuples autochtones seront invités à participer à cette conférence. Il est très clair pour moi que nous, les premières nations, voudrions certes y participer.
Quant aux points à l'ordre du jour, je crois que cela relève de la cuisine interne et, comme nous le savons tous, l'objet de cette conférence est certes de traiter de la formule de modification. Ce sera la première étape, si toutefois nous sommes invités à participer. Je peux certes, et le chef Mercredi le peut aussi, prendre une heure pour expliquer des questions que nous avons exposées au cours de la négociation de l'Accord de Charlottetown. Il y a certes des questions dont nous voudrions traiter.
M. Sinclair: Je suis d'accord avec le chef Coon Come. Nous ne sommes même pas sûrs de participer à la conférence.
L'autre question est l'existence même du Canada. Notre pays ne survivra pas sans une autre série de négociations constitutionnelles. Il ne faut pas le laisser mourir sans lutter pour sa survie. Pour lutter, toutefois, il faut être à la table.
Une autre chose est très claire: l'existence du Canada ne devrait pas dépendre de l'extinction de nos droits. C'est ce que je crains. La question du Québec me fait peur. Je vois cela venir avec les veto. La question du Québec va prendre une telle ampleur que nos droits seront réduits à néant pour satisfaire non seulement les Québécois, mais encore l'extrême droite, et cela m'inquiète. Il est temps que notre pays règle ces questions et cela ne pourra se faire que dans le cadre d'une conférence à laquelle tout le monde participera.
Mme Kuptana: Permettez moi d'expliquer plus en détail ce que je disais ce matin à la fin de mon exposé. Comme vous le savez, c'est un processus constitutionnel très long qui a conduit à l'Accord de Charlottetown et qui a porté sur toute une série de questions juridiques et constitutionnelles très complexes. Ce à quoi je voulais en venir ce matin c'est que, lorsque le gouvernement fédéral et les provinces se réuniront, en 1997, pour discuter du mode de révision, dans le cadre d'une conférence constitutionnelle, les autochtones devront être de la partie.
Après tout, que détermine le mode de révision? Il précise qui participe aux conférences constitutionnelles. Au lieu d'un seul processus qui traîne en longueur, comme dans le cas de l'Accord de Charlottetown, qu'est-ce qui empêche le gouvernement fédéral de tenir une série de conférences des premiers ministres portant sur des sujets tels que le mode de révision, la réforme du Sénat, la décentralisation ou l'autonomie gouvernementale des autochtones? Quoi qu'il en soit, les autochtones doivent être présents quand les dirigeants de ce pays décident de modifier le mode de révision.
Comme je le disais, qu'a-t-on à gagner en excluant les autochtones de la conférence constitutionnelle de 1997? Je n'en ai pas la moindre idée. Quelle est la partie de la Constitution canadienne qui ne s'applique pas aux autochtones, et par quelle partie de la Constitution ne sommes-nous pas directement touchés? Nous sommes touchés par le mode de révision. Est-ce que cela précise ce que je disais ce matin?
Le sénateur Murray: Je voulais demander aux autres chefs quelle est leur position à ce sujet. Ce matin, M. Sinclair nous a dit que le mode général de révision actuel devrait être simplifié, pour reprendre ses propres mots. Il parlait de l'incapacité dans laquelle nous nous sommes trouvés à trois reprises, en vertu de ce mode de révision, d'adopter une modification concernant l'autonomie gouvernementale des autochtones, spécialement en l'absence du Québec. Je ne suis pas certain de comprendre ce que vous entendez par «simplifier le mode général de révision».
M. Sinclair: Les discussions constitutionnelles qui ont eu lieu depuis 1982, époque à laquelle j'y participais, nous ont rendu les choses très difficiles du fait que le Québec n'a jamais voulu prendre de décision. Il lui est parfois arrivé de nous accorder son soutien moral, mais il n'a jamais voulu participer aux discussions, prétendant qu'il se trouvait exclu de la confédération. Notre propre position était que nous étions exclus de la confédération mais que nous voulions y être admis. Nous voulions être partenaires au sein de la confédération.
Je regarde à nouveau ce mode de révision - et je le répète, je ne parle pas en tant qu'expert et j'ai consulté des juristes à ce sujet - je ne vois pas où il mène ni ce qu'il veut dire. À chaque fois que l'on parle de mode de révision, une partie à un effet donné et une autre un effet différent. Je ne sais jamais quelle partie l'emporte sur nos droits. On commence à se demander si l'ensemble ne l'emporte pas sur nos droits.
Le projet de loi C-110 donne un droit de veto à d'autres. Qu'adviendra-t-il, par exemple, des revendications territoriales en Colombie-Britannique si le prochain premier ministre est celui qui a affirmé pendant la campagne électorale que s'il était élu, il annulerait le règlement des revendications des Nishga? Il peut exercer son droit de veto à l'égard de ce règlement et le Canada ne pourra rien y faire. Quelqu'un d'autre a dit que ce n'était pas vrai, que le Canada pouvait encore agir. Cela nous laisse dans un état d'incertitude et de confusion totale. Nous n'arriverons pas à comprendre tout cela tant qu'on aura pas simplifié les choses - non seulement le mode de révision, mais aussi un tas d'autres choses.
Le sénateur Murray: Cela m'amène à parler de ce que j'appelle le processus Irwin. Je n'avais pas l'intention de l'aborder, mais la question a été soulevée aujourd'hui.
Jusqu'à présent, mon attitude à l'égard de ce que M. Irwin tente de faire a été plutôt positive. À mes yeux, il a l'air d'un ministre qui, en l'absence d'une modification concernant l'autonomie gouvernementale, suit la seule voie qui, à toutes fins utiles, lui soit ouverte. Celle des négociations. Nous parlons de négocier des questions concernant l'autonomie gouvernementale, qui sont de nature à la fois législative et administrative, et qui englobent des sujets tels que le choix des dirigeants, l'appartenance au groupe, la mise en place de structures gouvernementales, la langue, la culture, la religion, l'éducation, le territoire, la gestion des ressources et de l'environnement sur les terres autochtones, et toute une gamme de pouvoirs dans des domaines tels que le maintien de l'ordre, l'administration de la justice, la santé et les services sociaux, la police, le logement, la fiscalité, les transports locaux, et la gestion des entreprises autochtones.
Le chef Mercredi a fait remarquer aujourd'hui que les gouvernements autochtones ne pourraient pas légiférer en matière de défense, de relations extérieures, et de gestion de l'économie nationale; les lois fédérales d'application dominante telles que le Code criminel continueraient à s'appliquer, tout comme la Charte.
Le gouvernement n'impose rien à personne. Pour négocier, il faut être deux, et parfois trois. J'ai même eu l'audace de dire que, à mon avis, l'idée d'inscrire de tels accords à l'article 35 de la Constitution serait un pas en avant. C'était simpliste, voire même naïf de ma part, de penser que, d'un point de vue politique, cela aiderait à démystifier l'autonomie gouvernementale, pour un grand nombre. Serait inscrit dans la Constitution ce sur quoi toutes les parties seraient d'accord, mais rien ne serait imposé. Le revers de la médaille, c'est que cela risque de diviser votre peuple et de mettre les båtons dans les roues des chefs nationaux. C'est cela le problème, n'est-ce pas?
M. Mercredi: La proposition que vous citez a été rejetée par les chefs de l'assemblée, en partie à cause de la façon dont elle a été élaborée. Comment a-t-elle été élaborée? En secret par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, sans la participation des chefs à l'échelle nationale.
Comment et quand en ai-je pris connaissance? Je déjeunais avec Ethel Blondin au restaurant parlementaire. Je parlais des initiatives pour les jeunes. Le ministre est entré dans le restaurant avec certains de ses électeurs qu'il avait invités à déjeuner. À la fin du repas, il m'a demandé de me joindre à sa table, ce que j'ai fait. Il a envoyé un de ses collaborateurs chercher un document de six pages qu'il voulait que je lise avant qu'il le soumette au Cabinet. Il voulait que je lui donne mon opinion. Je l'ai lu. Il s'agissait de la politique fédérale sur le droit inhérent. Je lui ai conseillé de rendre le document public avant de le soumettre au Cabinet. Je ne lui ai pas donné mon avis sur la teneur de ce dernier et il n'a pas suivi mon conseil.
Je crois que ce sont ses fonctionnaires qui ont élaboré cette politique avec la participation, je pense, de certains fonctionnaires du ministère des Pêches, de Santé Canada ou du ministère de l'Environnement. Je ne sais pas exactement qui ils sont, mais ce sont des bureaucrates qui ont rédigé cette proposition. En ce qui concerne la reconnaissance du droit inhérent, le Livre rouge parle de véritable partenariat entre nous et d'honnêteté dans nos relations. Cette approche est entièrement malhonnête. C'est l'une des raisons pour lesquelles elle a été rejetée.
Elle a aussi été rejetée parce qu'elle n'est pas fidèle à notre pensée. Elle reflète l'idée que se font les blancs du droit inhérent. C'est peut-être pour ça que vous avez pensé que certains de ses aspects étaient positifs. Vous avez tendance à voir le monde à travers vos propres yeux. Nous avons essayé de participer pleinement à la rédaction de la politique pour qu'elle reflète aussi le monde tel que nous le voyons à travers nos propres yeux.
Nous ne sommes pas tellement différents de bien des gens du Québec qui trouvent qu'on ne les comprend pas. Nous aussi nous pensons qu'on ne nous comprend pas.
Pour commencer, nous n'avons même pas les pouvoirs constitutionnels qu'ont les provinces pour imposer aux autres l'image que nous avons de nous-mêmes, comme peut le faire le Québec. Cela nous est impossible. Nous sommes plus sensibles et vulnérables aux décisions unilatérales que prennent les bureaucrates et les ministres. Notre peuple a versé des larmes devant toutes les sortes d'injustices qui ont été portées à l'attention du gouvernement de temps à autre. Vous en avez été saisi à l'époque où vous étiez ministre et vous l'êtes encore aujourd'hui en tant que sénateur.
Cette politique traduit l'opinion de ceux qui croient que les autochtones devraient s'intégrer au régime gouvernemental fédéral. Nous n'avons jamais consenti au régime fédéral. Cette opinion est aussi conforme à l'idée que les provinces doivent participer à toutes les négociations.
Le sénateur Murray: Oui, lorsque leurs intérêts sont en jeu.
M. Mercredi: Quand les intérêts des provinces ne sont-ils pas en jeu? N'est-ce pas là le grand débat qui ronge le Canada actuellement? Les provinces disent: «Nous l'avons. Reconnaissez ce que nous avons et nous en voulons plus. Que le gouvernement fédéral disparaisse».
Toute cette tendance à la décentralisation ne correspond pas d'ailleurs à l'idée que nous nous faisons de l'autonomie gouvernementale. Par ailleurs, selon l'idée du gouvernement, nos droits se limiteraient à ce qu'il est prêt à nous accorder. Ce processus ne nous intéresse pas.
Selon le processus prévu dans l'Accord de Charlottetown, notre ordre distinct de gouvernement aurait été reconnu et consacré dans la Constitution au même titre que tous les autres ordres de gouvernement, pas comme un ordre de gouvernement inférieur aux provinces et au gouvernement fédéral, mais bien comme un ordre distinct des autres.
Toujours selon l'Accord de Charlottetown, nous devions négocier nos droits de bonne foi, et nos droits à l'autonomie gouvernementale pouvaient être invoqués devant les tribunaux si nous n'étions pas parvenus à une entente au bout de la période de cinq ans prévue à cette fin. Ces droits auraient pu être reconnus légalement par les tribunaux. Il aurait incombé aux tribunaux de définir ces droits si leur application posait problème.
M. Irwin ne tient absolument pas compte de ce précédent et revient aux principes qui existaient avant l'Accord de Charlottetown. Il revient à la politique de l'autonomie gouvernementale à l'échelon local, que son ministère a préconisée pendant des années. Cette politique ne repose pas sur des fondements solides; voilà pourquoi elle a été rejetée. Elle peut sembler intéressante et positive, et la liste des droits qu'elle vise peut paraître longue. Toutefois, cette liste n'est pas si exhaustive, puisqu'elle exclut certaines choses qui étaient insérées dans l'Accord de Charlottetown.
M. Wells, le dernier des premiers ministres à avoir approuvé l'Accord de Charlottetown, a tenté de réduire la liste des pouvoirs à négocier. Selon la proposition qu'il nous a faite et que nous avons sommairement rejetée, nous devions soumettre une liste des fonctions que nous ne pourrions jamais assumer en tant que gouvernements autochtones et les gouvernements allaient reconnaître le reste de nos pouvoirs dans la Constitution. Lorsque nous avons refusé d'agir ainsi, il a lui-même produit une liste. Sa liste était si exhaustive que nous n'avions plus rien à faire.
Le premier ministre Wells et Ron Irwin ont la même attitude à l'égard de l'autonomie gouvernementale des autochtones. La politique d'Irwin consiste à affirmer que le gouvernement fédéral négociera certains pouvoirs, notamment ceux relatifs au logement, à l'éducation et à la santé. Ces pouvoirs font partie intégrante de notre culture, alors pourquoi devrions-nous les négocier? Il dresse ensuite une autre liste de pouvoirs que nous devons négocier avec les provinces et qui englobent l'exploitation forestière, l'exploitation minière, et cetera. Il fournit ensuite une autre liste de pouvoirs que nous ne pourrons jamais négocier, notamment le commerce.
Si nous acceptons la politique d'Irwin, notre peuple ne pourra jamais organiser ses propres missions commerciales à l'étranger pour promouvoir ses produits, comme la mission que vient de diriger le premier ministre du Canada. À mon avis, ce n'est pas correct. Vous ne pouvez pas dire à une autre société qu'elle n'a pas le droit de gérer sa propre économie, ses terres et ses ressources. C'est la mentalité que nous avons réussi à modifier pendant les négociations de l'Accord de Charlottetown. Bien des gens ici présents ont participé à ces négociations et savent qu'il nous a fallu beaucoup de temps pour arriver à un consensus.
Le sénateur Murray: L'Accord de Charlottetown a toutefois été rejeté.
M. Mercredi: Oui, c'est vrai, l'Accord de Charlottetown a été rejeté et les libéraux ont pris le pouvoir et nous ont ramenés à l'époque précédant les négociations de l'Accord de Charlottetown.
Le sénateur Murray: Nous pouvons tous expliquer à notre façon l'échec de l'Accord de Charlottetown et la plupart des explications fournies seraient valables. À mon avis, il y a deux questions qui ont mené à l'échec de l'Accord de Charlottetown. Il y a, premièrement, le droit inhérent. Malgré les descriptions qui ont été fournies, et que vous venez de mentionner et que j'appuie, le fait que l'échec le plus cinglant de cet accord ait été enregistré en Colombie-Britannique, là où vivent tant d'autochtones, n'est pas une coïncidence. Je ne dis pas que la grande majorité des autochtones ont voté contre l'accord, bien que certaines preuves portent à croire qu'un grand nombre d'entre eux se sont prononcés contre ce projet. Cependant, les habitants de la Colombie- Britannique l'ont rejeté.
Il y a, deuxièmement, la garantie perpétuelle offerte au Québec d'avoir 25 p. 100 des sièges à la Chambre des communes. Il était difficile de faire accepter ce compromis au sujet d'une institution qui est censée être fondée sur le principe de la représentation proportionnelle à la population.
Je présume que vous répondrez à la question suivante par l'affirmative, mais je vous la pose quand même: êtes-vous en principe contre la reconnaissance des accords d'autonomie gouvernementale à l'article 35 de la Constitution en attendant que le droit inhérent soit inscrit dans la Constitution?
M. Mercredi: En principe, si la vraie nature de ce droit était établie dans la politique, il devrait être possible de protéger ce droit au moyen d'accords visés à l'article 35 et de leur accorder la même protection que la Constitution confère aux traités.
Quant aux traités qui existent déjà, ceux qui ont été conclus avant et après la Confédération, comme le Traité 5 qui s'applique dans mon cas, nous pensons qu'ils confirmaient notre rang de nation, notre souveraineté et notre autonomie gouvernementale. La Couronne pense toutefois que nous avons renoncé à nos terres et à nos ressources en signant ces accords. Notre interprétation de ces traités est donc bien différente.
En principe, il devrait être possible de faire respecter notre droit à l'autonomie gouvernementale aux termes des traités existants, mais il n'y pas pour l'instant aucune disposition à cette fin.
La seule avenue qui nous est offerte est celle que je viens de vous décrire et nous l'avons rejetée. Nous ne pouvons pas simplement accepter une déclaration de principes faite par un bureaucrate, selon laquelle le gouvernement agira comme si notre droit existant était reconnu dans la Constitution. Cela ne nous suffit pas, tout comme le Québec ne saurait se satisfaire d'une manifestation d'émotions lui reconnaissant le statut de société distincte.
Le sénateur Murray: Je n'aime pas tellement ce projet de loi, pour les raisons que j'ai expliquées au cours du discours que j'ai prononcé au Sénat. Les projets de modification qui nous ont été présentés seront examinés attentivement. Toutes les options sont possibles. Personne n'a encore pris de décision au sujet de ce projet de loi.
Je voudrais prendre quelques instants pour revoir l'historique de ce projet de loi, que vous connaissez très bien, puisque vous participez à l'examen de toutes ces questions depuis fort longtemps. Ce projet de loi découle d'un engagement que le premier ministre a pris envers les Québécois, comme il se plaît à le dire, selon lequel le gouvernement n'apportera aucune modification à la Constitution qui toucherait le Québec sans le consentement du Québec. Le premier ministre a pris cet engagement pendant la campagne référendaire. Il l'a fait parce qu'il savait que le Québec n'avait pas donné son consentement politique à la Constitution de 1982, qu'il s'opposait à la formule de modification constitutionnelle et qu'il craignait que des modifications, contraires à ses intérêts, soient apportées sans son consentement.
Le premier ministre a donc pris cet engagement. Faisons abstraction de la façon dont le gouvernement respecte cet engagement en présentant le projet de loi C-110. Le premier ministre a promis aux Québécois que son gouvernement n'adopterait aucune modification constitutionnelle touchant leurs intérêts sans le consentement du Québec.
Comme vous connaissez bien l'histoire, récente et moins récente, de notre fédération et comme vous connaissez bien la situation actuelle, pensez-vous que le premier ministre du Canada a bien fait de prendre cet engagement? Vous comprenez la situation politique du pays aussi bien que n'importe qui.
M. Mercredi: C'est à tous les leaders de répondre à cette question.
Personnellement, je crois qu'il faudrait protéger les droits qui ont déjà été reconnus par le passé. Ainsi, le droit de veto que le Québec a perdu devrait être rétabli. La même chose devrait s'appliquer aux premières nations. Tous les droits que nous possédions et qui nous ont été retirés, au moyen de mesures législatives ou de décisions qu'a prises la Couronne, par l'entremise de ses représentants ou de bureaucrates, devraient être rétablis.
Je ne crois pas qu'on ait eu tort de tenter de régler cette question en disant au Québec: «Vous avez déjà eu ce droit constitutionnel. Il faisait partie de l'entente conclue en 1867. Il devrait être respecté et nous devrions commencer aujourd'hui à båtir une nouvelle relation». Il ne faut toutefois pas oublier que, dans notre cas, nous n'avons pas participé aux négociations de 1867. Personne ne nous a invités à la table de négociations. John A. Macdonald n'a même pas songé à nous - ou peut-être a-t-il songé à nous et c'est pourquoi il ne nous a pas invités. Il reste que nous n'avons pas participé au processus. Si nous l'avions fait, l'entente aurait de toute évidence prévu certaines choses pour nous. Et ces choses auraient, elles aussi, évolué au cours des 127 dernières années et se seraient transformées en quelque chose de nouveau.
La structure fédérale prévue au départ n'était qu'une coquille vide. Elle a évolué et est devenue ce qu'elle est aujourd'hui. Les provinces ont grandement profité de cette évolution, qu'on pense à la richesse qu'elles ont accumulée et à la qualité de vie dont jouissent leurs habitants. Nos gens ont souffert sous le régime de la Confédération. Le premier ministre doit en tenir compte lorsqu'il fait des promesses et des offres. Il doit reconnaître que, par le passé, nos gens ont beaucoup souffert sous le régime fédéral. Quand vient le temps de faire des offres, il doit se montrer très sensible à notre point de vue, ce qu'il n'a pas fait lorsqu'il a présenté ce projet de loi. En fait, il se sentait l'åme si généreuse - peut-être à cause de l'approche des Fêtes - qu'il a donné le droit de veto à trois régions qui ne l'avaient jamais réclamé. Allan Rock l'a ensuite accordé à une autre région, parce que certains habitants se plaignaient qu'ils ne l'avaient pas.
Nous n'avons pas votre pouvoir. Le gouvernement ne nous écouterait pas de toute façon, mais il doit vous écouter. Sinon, toute notre société démocratique, ses institutions et l'intégrité de ses institutions seraient remises en question.
Le Sénat a donc l'occasion de corriger la situation. Vous pouvez répondre aux attentes du Québec, mais vous devez aussi répondre aux attentes des premières nations. Les attentes des uns et des autres ne sont pas nécessairement contradictoires. Les négociations qui ont mené à l'Accord de Charlottetown prouvent qu'il nous est possible d'en venir à un consensus relativement à des questions sur lesquelles nous ne nous entendions vraiment pas auparavant. Toutefois, ce projet de loi prouve également que toute décision unilatérale que pourrait prendre le gouvernement ne ferait que diviser le pays.
Vous avez participé à la réforme constitutionnelle. Vous étiez l'un des artisans de l'Accord du lac Meech. Nous avons demandé d'y participer et cela nous a été refusé. Vous savez ce qui s'est produit. En fin de compte, l'accord a été rejeté, parce qu'il ne respectait pas les autochtones et leurs droits.
Aujourd'hui, le premier ministre vous soumet un projet de loi qui refait la même erreur. Nous devrions tirer la leçon de nos erreurs et dire au premier ministre: «Nous avons commis des erreurs dans nos relations avec les premières nations. Pourquoi faudrait-il les répéter?»
Le sénateur Murray: L'Accord du lac Meech et l'Accord de Charlottetown ont été rejetés. En fait, la survie de la fédération ne tient plus aujourd'hui qu'à un fil. C'est la place du Québec au sein de la fédération qui pose un danger imminent à la fédération. L'échec de tous ces autres accords ne nous a pas rapprochés d'un consensus sur une modification reconnaissant l'autonomie gouvernementale des autochtones. Au contraire.
Je voudrais donner aux autres chefs la chance de répondre à la question que je vous ai posée. J'ai déjà dit que j'aurais été disposé à appuyer une mesure législative qui n'aurait donné suite qu'à l'engagement que le premier ministre a pris envers les Québécois. Étant donné que le Québec a déjà le droit, aux termes de l'article 38, de décider de ne pas être assujetti aux modifications constitutionnelles, comme n'importe quelle autre province d'ailleurs, la formule 7-50 ne pourrait être utilisée pour retirer au Québec des sièges au Sénat ou à la Cour suprême, pas plus qu'elle pourrait être appliquée pour créer de nouvelles provinces.
J'aurais été prêt à accepter un projet de loi, une résolution ou même un énoncé de politique qui aurait donné suite à l'engagement que le premier ministre a pris envers le Québec sans toutefois rouvrir toutes ces formules régionales, ainsi de suite.
Je veux demander aux autres chefs s'ils croient que le premier ministre a bien fait de prendre cet engagement - abstraction faite du projet de loi C-110.
M. Sinclair: Je ne peux m'empêcher de revenir sur certaines observations préliminaires que vous avez faites, sénateur, avant de poser votre question. Vous avez mentionné les raisons de l'échec de l'Accord du lac Meech et de l'Accord de Charlottetown et précisé ce que nous avons perdu. Je crois sincèrement que nous n'avons rien perdu. Je me suis toujours battu pour nos terres et nos ressources. Je ne crois pas que l'existence de notre peuple sera reconnue tant que nous ne posséderons pas les terres qui nous reviennent de droit et que nous ne partagerons pas certaines des ressources de ces terres. Nous ne pouvons pas aller ailleurs. Nous ne faisons ni la révolution, ni la guerre, même si certains de nos gens meurent pour défendre nos terres.
Les habitants de ce pays doivent reconnaître que les terres et les ressources sont le moteur de n'importe quelle économie. Nous ne possédons rien d'autre aujourd'hui que les cimetières et les prisons. Les gens de la droite me disent que les prisons sont plus confortables dans le moment que certaines des écoles fréquentées par nos enfants. Je dois reconnaître qu'ils ont raison. Votre sentiment de culpabilité vous pousse à construire ce genre de prisons pour essayer de nous montrer que vous vous préoccupez vraiment de nous. Cependant, vous n'êtes pas prêts à dépenser cet argent au titre de l'éducation. Comme le chef l'a dit, vous dépensez cet argent pour prendre les moyens que vous jugez nécessaires pour nous contrôler. Vos échecs découlent du fait que vous n'avez pas reconnu que les terres et les ressources nous appartiennent.
Je suis prêt à féliciter toute personne qui fait un effort pour préserver l'unité de notre pays. Les intentions du premier ministre sont probablement bonnes. Cependant, vous ne pouvez pas donner quelque chose à un groupe au détriment d'un autre groupe. Si vous donnez le droit de veto à d'autres, cela leur donne plus de pouvoir. Le chef Coon Come a mentionné qu'il faudra que quelqu'un paie la note, et ce sera nous. Cela nous empêchera de conclure des accords.
Vous avez posé une question au sujet de la constitutionnalisation des accords concernant les revendications territoriales que nous faisons. Je crois qu'ils devraient être protégés par la Constitution. Je le crois fermement. On a mentionné le fait que certains des accords conclus sont moins avantageux que d'autres. Si nos gens sont heureux dans la région où ils vivent et qui fait l'objet de leurs revendications et si, à la suite d'un processus démocratique, ils ont déterminé que l'accord est juste et équitable, alors il devrait être constitutionnalisé.
Je ne crois pas que nous devrions empêcher qui que ce soit de faire des progrès. Cela semble être une partie du problème du gouvernement: il semble vouloir donner des petits morceaux ici et là.
On entend dire qu'une somme importante a été versée à une communauté tandis qu'une autre communauté crève de faim. Ce n'est pas ça, l'autonomie gouvernementale. C'est plutôt quelqu'un qui dit: «Je donnerai 25 millions de dollars à cette communauté et elle fera de belles choses avec cet argent.» Pendant ce temps, dans la communauté voisine, les gens ont faim. Ce n'est pas là la façon de s'y prendre.
Nous devons porter notre propre fardeau, faire notre part. Pour cela - je l'ai dit ce matin et je le dis encore - il faut regarder le PNB de notre pays et nous devons avoir la part qui nous revient en fonction de notre population. Nous verrons comment nous dépenserons cet argent. Je peux vous assurer qu'il y aura moins de prisons. Vous en verrez certainement moins que maintenant parce que nous ne pouvons pas gaspiller notre argent pour des prisons et des régimes d'aide sociale.
Cette montée de la droite m'ennuie. Dans le moment, tous les gouvernements sont de droite et plus personne n'est de gauche. L'extrême droite nous dit que nous sommes tous égaux et que personne ne devrait tout avoir. Après nous avoir pris toutes nos terres et toutes nos ressources à la pointe du fusil, vous dites que nous sommes tous égaux. C'est comme cela que vous vous êtes enrichis à nos dépens.
Nous demandons des règles du jeu justes et équitables. C'est tout ce que nous demandons. Pour en arriver à cette entente, il faut dialoguer. Les gens les plus militants aujourd'hui sont les jeunes qui n'ont pas d'emplois et à qui l'avenir n'a rien à offrir et les personnes plus ågées qui ont travaillé si fort pendant toute leur vie et qui se retrouvent avec rien d'autre qu'un chèque d'aide sociale. Ce sont eux qu'on trouve au premier rang dans les manifestations. Il n'y a pas de classe moyenne chez nous pour soutenir ces gens. Nous sommes pris dans un monde où nous n'avons aucun moyen de nous suffire à nous-mêmes.
M. Coon Come: Je veux faire une remarque au sujet de l'Accord de Charlottetown et de la raison de son échec. Je pense que les deux initiatives que nous examinons dans le moment sont étroitement liées. La clause sur la société distincte faisait partie de l'Accord de Charlottetown. Cet accord a échoué. Vous reprenez maintenant cette idée et essayez de nouveau de la faire passer en dépit du fait que l'Accord de Charlottetown a échoué. Vous essayez de faire passer la clause sur la société distincte, mais vous ne tenez pas compte des droits des autochtones.
En même temps, vous reprenez une autre idée, celle du droit de veto. Le droit de veto a été rejeté dans l'entente de Victoria en 1971, une autre initiative qui a échoué. Pourtant, vous reprenez cette idée et essayez de nouveau de la faire accepter. Ces deux idées ont été rejetées dans le passé. Le Québec a toujours réclamé un droit de veto. Cette idée a été rejetée en 1971, mais vous essayez encore de la faire passer, malgré cet échec.
Vous ne tenez pas compte des préoccupations des autochtones. Vous mettez de côté les droits des autochtones comme si nous n'avions aucune importance. «Faites-nous confiance; vous êtes protégés aux termes de l'article 35», nous dit-on. «Nous nous occuperons de vous plus tard.»
Je veux dire quelques mots aussi au sujet de l'engagement du premier ministre. Le premier ministre a presque perdu notre pays. Il est intervenu au dernier moment. Il était désespéré. Il n'avait pas de plan B. Au moment où il aurait pu perdre le pays, il a fait certaines promesses qu'il ne lui appartenait pas de faire, et ce, au détriment des autochtones. Il est prêt à céder des pouvoirs qu'il ne lui appartient pas de céder, seulement pour tenir la promesse qu'il a faite aux Québécois.
Le sénateur Murray: Parlez-vous de la formation de la main-d'oeuvre?
M. Coon Come: Je parle du droit de veto que vous donnez aux autres provinces en vertu du projet de loi C-110 et qui lie les mains du gouvernement fédéral.
En même temps, le premier ministre modifie l'équilibre des pouvoirs. Ce n'est pas à lui de prendre cette décision. Ce que nous proposons, une clause de non-dérogation, ne change rien à cet équilibre, mais vos propositions le modifient.
Le premier ministre a fait cette promesse en supposant que la primauté du droit serait respectée. Les séparatistes ne veulent pas respecter la primauté du droit. Ils ne la respecteront qu'une fois qu'ils se seront séparés du Canada. On a supposé que la primauté du droit serait respectée. Le Parlement du Canada respectera-t-il la primauté du droit? C'est à cette question qu'il faut répondre.
Le sénateur Murray: Ce n'est pas la question à laquelle je voulais une réponse, mais les témoins pourraient peut-être y réfléchir et répondre par un «oui» ou un «non».
Acceptez-vous l'interprétation de Gordon Robertson selon laquelle, aux termes de la Constitution sous sa forme actuelle, la sécession de toute province ne peut se faire qu'avec le consentement du Parlement et des dix provinces? Acceptez-vous cette interprétation?
Le chef Mercredi a mentionné qu'il fallait discuter des questions autochtones et du problème du Québec, comme il le dit, en tandem. Il a demandé, ici et devant le comité de la Chambre des communes, pourquoi nous changions les règles de modification de la Constitution avant d'avoir réglé les discussions constitutionnelles déjà entreprises avec les autochtones. Avez-vous l'intention de vous opposer à toute résolution ou modification constitutionnelle visant à ramener le Québec dans le giron constitutionnel tant qu'on n'aura pas répondu de façon satisfaisante aux aspirations constitutionnelles des peuples autochtones?
M. Mercredi: C'est l'argument qui a été invoqué au lac Meech et à Charlottetown. «Quel droit avez-vous, en tant que premières nations, de demander à participer à ces importantes négociations avec le Québec?» La dernière observation qu'a formulée le grand chef Matthew Coon Come fut pour dire qu'on ne peut améliorer une nation et réaliser l'unité d'un pays si, pour ce faire, on foule aux pieds les droits d'autres intéressés.
La démarche entreprise actuellement par le gouvernement du Canada pour garder le Québec se fait aux dépens des premières nations. C'est pourquoi vous voyez la réaction dont vous êtes maintenant témoins. Nous avons vraiment cru que nous avions arrêté certaines conventions, au cours des dernières années, sur les relations que nous entretenons. L'une de ces conventions veut que nous soyons considérés comme des partenaires de plein droit dans toute modification de la structure du Canada.
Ce que nous croyons, de notre côté, c'est que le Québec n'a pas à craindre notre présence, parce que nous nous intéressons d'abord aux droits de la personne et à nos droits particuliers. Sur le plan de la restructuration du Canada, notre participation consisterait en fait à tenter de concevoir une société meilleure pour tous les intéressés, mais surtout pour les autochtones, parce que notre mandat est de défendre leurs intérêts. Toutefois, nous ne pouvons défendre nos intérêts si nous sommes exclus du processus.
Nous avons toujours dit que nous devrions appliquer un processus qui assure la participation de tous. Vous ne pouvez pas traiter de l'unité nationale et de la place du Québec sans traiter des droits des premières nations dans la province de Québec. Voilà le message. On dit aussi que, si la sécession se produit, nous aurons un rôle à jouer dans les décisions qu'il faudra prendre.
Le sénateur Murray: Je ne parle pas de sécession, chef.
M. Mercredi: Je le sais, mais le gouvernement ne nous laisse pas d'autre choix que d'en parler. Comme nous ne sommes pas inclus dans le système et dans la discussion, nous craignons la sécession. On ne trouvera pas de solution au problème de l'unité en ne s'intéressant qu'aux préoccupations d'une province au détriment d'un peuple.
Regardez ce qui s'est produit l'été dernier. Croyez-vous que l'unité canadienne et l'intégration du Québec empêcheront certains de prendre les armes? Je ne le crois pas. Il faudrait que les politiciens blancs se rendent bientôt compte que l'on risque fort de ne plus pouvoir contenir cette immense colère ressentie contre la société en général. Ce n'est qu'alors qu'ils pourront commencer à régler les problèmes que nous disons devoir régler ensemble.
Laissez-moi vous dire une chose. À Gustafsen Lake, quand j'ai voulu prendre la parole pour recommander la non-violence, on m'a répondu: «Vous n'avez pas réussi. Vous n'êtes pas parvenu à obtenir le moindre changement pour les Indiens. Votre façon de faire ne fonctionne pas. C'est tout ce qu'il nous reste pour tenter encore d'obtenir des changements.» On m'a dit aussi: «Voulez-vous être un grand chef indien? Prenez une arme et battez-vous à nos côtés, parce que c'est notre dernier espoir.»
J'ai tenté de faire prendre conscience aux Indiens de Gustafsen Lake que nous n'avions pas épuisé tous les moyens, que nous devions préserver notre tradition de non-violence, en tant que peuple, que cette attitude était au nombre de nos traditions. Leur réponse a été: «Tous les chefs indiens sont des vendus, y compris vous.» Ils m'ont dit que je n'étais rien d'autre qu'un porteur d'eau pour l'homme blanc.
Pensez-y. Je ne sais pas à quel point cette attitude est généralisée, mais j'ai beaucoup voyagé au Canada. J'ai vu des soldats en tenue de combat dans presque toutes les collectivités. Ce que je vous dis, c'est que le danger est réel. Il se peut que vous réalisiez l'unification d'un pays avec le Québec bien à sa place, mais si vous ne répondez pas à nos besoins, vous n'aurez pas la paix. Ce ne sera pas de ma faute, car je n'y serai plus. J'aurai été remplacé. Quels que soient ceux qui remplaceront les gens comme moi, ils ne seront ni gentils ni polis. Ils ne croiront pas au processus constitutionnel. Ils croiront à l'affrontement direct et violent. C'est l'option que j'essaie d'éviter. C'est aussi ce que Matthew Coon Come ne veut pas voir au Québec.
Que nous donne le gouvernement du Canada? Il nous balaie du revers de la main comme si nous n'existions pas. C'est cela qui est en cause. Voilà ce que je suis venu vous dire.
Quels pouvoirs a le Sénat? Quels pouvoirs pouvez-vous utiliser pour empêcher la séparation du pays? Quels que soient vos pouvoirs, servez-vous en pour nous aider. C'est le moment ou jamais. Il est temps de dire à votre premier ministre que son attitude n'est pas la bonne et qu'il doit essayer autre chose, qu'il faut créer un pays où tous se sentent à l'aise, bien perçus et membres de plein droit de la société, avant qu'il soit trop tard.
Je ne sais ce qui nous attend l'été prochain. Ça me fait peur. J'ai deux raisons d'avoir peur. D'abord, quand j'étais à Gustafsen Lake, j'ai vu une province disposée à utiliser la force contre les Indiens et je n'ai pas aimé ça. J'ai vu un gouvernement fédéral refusant d'assumer la responsabilité de ce qui se passait à Gustafsen Lake et je n'ai pas aimé ça. Tous les efforts que j'ai faits pour résoudre pacifiquement le problème de Gustafsen Lake ont été considérés comme un échec par le gouvernement provincial. Comme j'ai échoué dans cette entreprise, on m'a dit de laisser la police s'en occuper.
Je ne veux pas non plus que la police tue les miens. Pourtant, un Indien est mort aux mains de la police en Ontario. Je ne veux pas que cela arrive l'été prochain, mais je n'ai pas les réponses non plus. Je ne peux convaincre quelqu'un de donner une autre chance au système s'il n'y croit plus. Je ne peux pas. J'ai toutefois peut-être des chances de dissuader les autres, la majorité, de prendre des moyens inacceptables. Nous pouvons peut-être les en dissuader en faisant ensemble quelque chose de constructif. Vous dire que ce que vous faites est mal ne serait productif ni pour moi-même ni pour Matthew Coon Come ou d'autres chefs indiens et autochtones. Dire cela ne pourrait que renforcer l'impression que les chefs indiens ont échoué dans leur entreprise et qu'ils ne peuvent convaincre les leurs de faire quelque chose de constructif. Cela ne fait qu'alimenter le désir de recourir à l'autre solution.
Sénateurs, je m'en remets à vous. Je n'ai pas vos pouvoirs, mais je peux vous dire ce que j'ai vu. Je peux vous dire ce que je crains et je peux vous demander de nous aider.
Le sénateur De Bané: Premièrement, j'aimerais dire au chef Coon Come que, quand il dit que le Québec a rejeté le droit de veto en 1971, son résumé des faits n'est pas exact. Si le Québec a alors rejeté le droit de veto, c'est que ce n'était pas suffisant. Le Québec voulait davantage. Il n'a pas rejeté l'accord parce qu'on négociait la possibilité d'offrir un droit de veto. Cela a été offert au Québec de façon permanente. L'accord de Victoria prévoyait que toute province représentant 25 p. 100 de la population du Canada aurait un droit de veto permanent.
Le sénateur Murray a donné son interprétation des faits qui ont mené à la défaite de l'Accord de Charlottetown. Mon interprétation, c'est qu'au Canada, si l'on veut obtenir des résultats, il faut autant que possible éviter de modifier la Constitution. C'est la première des choses. La deuxième, c'est qu'il faut s'en tenir à une modification à la fois quand il faut vraiment modifier la Constitution. Si l'on en fait trop, on n'arrivera à rien.
C'est ce que j'en conclus, en pensant à ce qui s'est produit depuis les débuts du Canada, au chapitre de la modification de la Constitution. Si vous vous limitez à un élément à la fois, vous réussirez peut-être.
Vous avez toutefois dit quelque chose de très triste, chef Mercredi. Vous avez dit que le gouvernement n'était pas tenu de vous écouter, qu'il devait nous écouter, nous les sénateurs, mais pas vous. Je suis convaincu que, si nous voulons vivre en paix et ensemble, le gouvernement ferait mieux d'écouter tous les habitants du Canada. Vous étiez les premiers habitants du pays et vous devez avoir la certitude que le gouvernement vous écoutera, et pas seulement par l'entremise des sénateurs.
Quant à l'enjeu principal, vous avez dit que vous n'avez rien contre le fait qu'on donne des droits au Québec, que cela ne vous dérange pas, mais qu'il ne faudrait pas que cela soit au détriment des droits des premières nations de notre pays.
Chef Mercredi, avec tout le respect que je vous dois, je crois que vous ne faites pas une interprétation correcte de ce projet de loi.
En conclusion, je veux vous citer l'interprétation que fait le ministre de la Justice de cette mesure législative et de ses conséquences pour les peuples autochtones:
Premièrement, sur le fait que ce projet de loi exprime mal leurs aspirations générales en matière de modifications constitutionnelles, j'insiste sur le fait que ce n'est pas le but de la mesure. Leurs aspirations seront traitées différemment. Le gouvernement considère, et c'est une politique fondamentale, que le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale est déjà un fait prévu dans la Constitution. Nous sommes maintenant en train de négocier l'application concrète de ce droit dans les localités autochtones de tout le pays.
Deuxièmement, si ce qu'ils craignent, c'est que le projet de loi exclue les peuples autochtones du processus de modification de la Constitution, j'insiste sur le fait que non seulement le projet de loi C-110 n'affaiblit pas les importantes mesures de protection de la perspective autochtone prévues dans la Constitution, aux articles 35 et 35.1, mais qu'il n'y touche même pas.
Le paragraphe 35(1) exige que les peuples autochtones du Canada soient consultés avant toute modification de l'article 91.24, de l'article 25 ou de la Partie II de la Loi constitutionnelle de 1982.
Le ministre ajoute ensuite ceci:
Puis-je souligner deux autres points que le comité voudra bien garder à l'esprit? Premièrement, le projet de loi C-110 garantit que les amendements qui réduiraient les droits des autochtones ne peuvent pas, en soi, être adoptés, sauf en vertu du consensus régional prévu dans le projet de loi C-110.
Il conclut:
C'est donc une protection supplémentaire.
Sa deuxième et dernière observation est la suivante:
... la nation cherche à mettre au point un mode de révision amélioré et plus durable dans les mois et les années à venir, et les peuples autochtones participeront au processus. Rien dans le projet de loi C-110 n'empêche le gouvernement fédéral ou tout autre gouvernement d'amorcer et de promouvoir la discussion avec les peuples autochtones et d'y prendre part.
Donc, pour ce qui est de l'enjeu principal, quand vous dites que vous n'avez rien contre le fait qu'on donne des droits au Québec à condition que cela ne nuise pas aux vôtres, je vous réponds que le gouvernement est convaincu que, même si ce projet de loi ne répond pas aux aspirations des peuples autochtones - puisqu'il n'a pas été conçu pour ce faire - il n'entrave ni ne restreint aucunement les droits des autochtones et n'empiète pas non plus sur leurs droits.
Je vous supplie d'accepter l'idée que nous essayons maintenant de régler une question et que nous espérons traiter exclusivement des questions qui vous intéressent à la prochaine étape, parce que, comme vous l'avez dit, c'est encore une tragédie de naître autochtone, aujourd'hui, en Amérique du Nord. Il faut régler ce problème.
De dire que nous devons régler cette question mais que nous devrions aussi en régler d'autres en même temps ne peut qu'amener une seule réponse, c'est que nous avons déjà essayé sans succès. Ce serait peut-être la solution idéale, mais pour le moment nous devons régler une question à la fois. On peut espérer que la prochaine étape portera exclusivement sur les questions d'intérêt pour les autochtones.
Mme Kuptana: Je crois comprendre que vous interprétez nos aspirations en tant qu'Inuit ou en tant que membres d'autres peuples autochtones de notre pays. Je veux faire savoir clairement au comité que l'unité nationale est aussi au nombre des aspirations des Inuit. L'autonomie gouvernementale des autochtones n'est pas notre seul élément de programme.
Nous avons dit haut et fort que les Inuit du nord du Québec veulent demeurer dans le Canada. C'est évident que ce projet de loi ne fait rien pour donner suite à ce désir.
Plus tôt aujourd'hui, j'ai dit que ce projet de loi affaiblirait la capacité du gouvernement fédéral de réagir efficacement à un OUI majoritaire. Le gouvernement fédéral devrait au moins être capable de présenter des amendements dans son propre Parlement, si l'occasion se présente, sans avoir à demander d'abord la permission d'un gouvernement séparatiste au Québec.
Avant de poursuivre, monsieur le président, je voudrais répondre à la question du sénateur Murray. Il a demandé si le premier ministre aurait dû offrir le veto au Québec pour faire suite à son engagement et si le veto devrait être limité aux questions touchant directement les intérêts du Québec en tant que province. Ce défi qui a été créé par la crise de l'unité nationale exige plus que des simples dispositions constitutionnelles répondant aux demandes des Québécois. Il y a une autre facette à cette situation complexe, un autre enjeu pour lequel, selon moi, le gouvernement fédéral doit préparer une nouvelle stratégie, un plan d'urgence pour lutter contre toute tentative de sécession, pour tuer dans l'oeuf toute tentative de déclaration unilatérale de l'indépendance.
Sur ce point, même si le gouvernement fédéral a l'impression d'avoir respecté son engagement envers le Québec, il pourrait arriver qu'un gouvernement séparatiste tienne une autre consultation populaire sur la souveraineté.
Il n'y a pas beaucoup de gens, à l'extérieur du gouvernement fédéral, qui croient que les Québécois seront satisfaits du projet de loi C-110 et des autres mesures prises en réponse à la situation québécoise, comme la motion sur la société distincte.
Le sénateur Murray: Non. Il faut trouver une solution constitutionnelle à ces questions.
Mme Kuptana: M. Tremblay vous a fait un exposé là-dessus. Je souligne que, nous, les Inuit, ne pensons pas qu'une mesure ayant pour effet de multiplier les droits de veto résoudra les préoccupations constitutionnelles du Québec, ni même d'un autre groupe, quel qu'il soit.
Le gouvernement de la Colombie-Britannique et celui des Territoires du Nord-Ouest ont fait savoir qu'ils pensaient exactement comme nous. Ce n'est pas ainsi que l'on construit un pays.
M. Mercredi: En ce moment, on ne négocie nulle part au Canada des ententes pratiques. Vous devriez demander au ministre de vous donner une liste des groupes qui négocient les ententes dont il vous a parlé. Si vous avez écouté ce que j'ai dit, vous savez que cette démarche a été rejetée. En fait, la politique menace le processus de démantèlement au Manitoba où on a dit aux chefs, lorsqu'ils ont signé l'entente, que les choses se poursuivraient comme avant. À leur insu, le gouvernement préparait son énoncé de politique sur les négociations concernant le démantèlement et l'Assemblée des chefs du Manitoba a rejeté cette politique.
Où M. Rock prend-il ses renseignements? Qui négocie sous le régime de la politique que nous avons rejetée? À ma connaissance, il n'y a personne. Demandez-lui de vous fournir une liste.
Il vous a aussi dit que le gouvernement inviterait les autochtones à la réunion sur le mode de modification de la Constitution en 1997. Cela ne règle pas la question du droit de veto. Nous nous attendons évidemment à être là en 1997 et nous serions très surpris si nous n'étions pas invités. Nous avons tous déclaré cela. Cependant, le seul fait que le ministre de la Justice nous dise que nous serons là en 1997 ne règle pas le problème créé par le projet de loi. Ce projet de loi sclérose le processus actuel de modification de la Constitution.
Je ne reprendrai pas ici tous nos arguments. Le ministre de la Justice fait preuve de beaucoup d'originalité, mais il est très mal informé. Si c'est là un des arguments qu'il a utilisés pour vous convaincre d'appuyer le projet de loi, il faut vous faire connaître la vérité. Demandez-lui la liste. Avant d'ajouter foi à ses paroles, exigez la liste, et s'il mentionne des chefs ou des collectivités, je vérifierai si ceux-ci croient qu'ils doivent figurer sur cette liste.
Le sénateur St. Germain: Ma question sera brève parce que Mme Kuptana y a déjà assez bien répondu. Si, pour tenir les promesses que le premier ministre a faites aux Québécois, le droit de veto devant répondre aux demandes traditionnelles du Québec avait été accordé par voie législative, mais au Québec seulement et pas aux autres provinces, j'ai cru comprendre que vous n'auriez pas eu d'objections. Avez-vous une position là-dessus, grand chef Mercredi?
Je ne voudrais pas vous mettre dans l'embarras. Nous parlons d'une situation où s'est mis le premier ministre en faisant une promesse désespérée, et dont il essaie maintenant de se sortir du mieux qu'il peut. Je m'inquiète pour l'unité du pays, pour le sort des Cris du nord du Québec et pour tout le monde. Nous recherchons une solution au problème, nous ne voulons pas jeter de l'huile sur le feu et donner de nouvelles munitions aux séparatistes. C'est la dernière chose que je voudrais. Je ne vous pose pas cette question pour vous tendre un piège, mais en toute bonne foi.
M. Coon Come: Peut-être devrions-nous laisser le premier ministre se débrouiller seul. C'est lui qui a pris un engagement. Nous pourrons ensuite prendre le temps de réfléchir. Nous sommes devant une réaction irréfléchie à la situation. Il est arrivé à la dernière minute en brandissant un drapeau et en réclamant des engagements irrationnels. Nous sommes mis devant le fait accompli et vous vous efforcez maintenant de défendre votre premier ministre.
Le sénateur St. Germain: Il n'est pas mon premier ministre, il est notre premier ministre à tous.
M. Coon Come: Si ce que prétend Allan Rock est vrai, à savoir que le projet de loi ne modifiera aucun droit autochtone actuellement garanti par l'article 35 de la Constitution et que le gouvernement n'a pas l'intention de nous nuire, que cela soit dit clairement. Pourquoi ne pas inclure cet engagement dans le projet de loi? Ce serait notre clause de protection. Éliminons toute ambiguïté pour que les choses soient bien claires. Si le projet de loi ne nous nuit en rien et si le gouvernement ne veut pas nous nuire, pourquoi ne pas le déclarer clairement dans le projet de loi?
En outre, le projet de loi facilitera la tåche aux sécessionnistes qui veulent briser le pays. Ce projet de loi empêche le gouvernement de présenter des modifications constitutionnelles qui protégeraient, par exemple, les droits des autochtones, notamment ceux des Cris, en cas de sécession du Québec. Le gouvernement fédéral est en train de se lier les mains.
En refusant toujours de confirmer l'intégrité territoriale du Québec ou d'adopter une mesure législative pour protéger les droits des autochtones, les droits des Cris ou les droits des premières nations, le gouvernement du Canada facilite le travail de sape des séparatistes. Il est en train de se lier les mains.
Nous sommes ici un groupe de représentants des premières nations qui mettons le gouvernement fédéral au défi de maintenir la plus haute loi du pays, nous osons même demander au gouvernement fédéral de déclarer qu'il conservera ses responsabilités de fiduciaire au cas où le Québec se séparerait du Canada. Nous demandons qu'il exerce ses responsabilités constitutionnelles de fiduciaire au cas où le Québec se séparerait, si, malheureusement, il choisissait cette voie. Envoyez un message clair.
En ce moment, vous laissez trop de latitude. Vous ne placez pas les choses dans la perspective des décisions possibles du Québec. Le gouvernement fédéral se lie lui-même les deux mains. Rien ne garantit que les autochtones qui exercent leur droit d'exprimer la volonté de demeurer au sein du Canada pourront le faire. Que fera le Canada? Le Canada peut agir maintenant, avant que le pays soit divisé. Que fera-t-il pour envoyer un message aux peuples autochtones du Québec? Compte tenu de ses liens spéciaux avec les peuples autochtones, des rapports établis par les traités entre le Canada et les autochtones du Québec, ce que fera le gouvernement sera un signal clair pour les autochtones et les Inuit de tout le Canada. En ce moment, ils constatent qu'ils sont exclus du projet de loi. Vous donnez de nouvelles munitions au Québec et il s'en servira contre vous parce que les Québécois forment maintenant le peuple du Québec. Vous leur avez donné un autre droit de veto. Ils s'en serviront encore. Ils rient sous cape. Vous le savez.
Le sénateur Watt: Chef Coon Come, nous ne sommes pas sûrs qu'ils le savent. Je crois que vous êtes ici pour tenter de leur faire savoir ce qui se passera. Je ne suis pas convaincu que le gouvernement et les politiciens le savent.
Le sénateur Marchand: Ce que dit le chef Coon Come est vrai. Lui et moi sommes du même territoire. Les Inuit et les Cris de ce territoire ont peur de ce qui se passera si le gouvernement du Canada donne un droit de veto au gouvernement provincial. Celui-ci pourra empêcher le gouvernement fédéral de modifier unilatéralement la Constitution, pour quelque raison que ce soit. Je crois que le but des exposés d'aujourd'hui était de minimiser les répercussions du projet de loi sur les peuples autochtones de tout le Canada. Notre gouvernement national est en train d'être réduit à l'impuissance. Cela ne fait aucun doute pour moi.
Lorsque le droit de veto aura été accordé au gouvernement provincial, le gouvernement du Canada devra obtenir son consentement s'il veut conclure des ententes avec des groupes particuliers, comme les Inuit ou les Cris, pour s'occuper une fois pour toute la loi d'extension de 1898-1912.
Deuxièmement, la loi globale adoptée pour mettre en oeuvre la Convention de la Baie James et du Nord québécois a eu pour effet de lier les mains des deux gouvernements autant qu'il était possible de le faire à l'époque. Lorsque nous avons négocié les revendications territoriales modernes, la Constitution n'était pas en cause. Le mieux que nous ayons pu faire a été de produire une loi globale pour enlever toute liberté au gouvernement provincial et au gouvernement fédéral.
D'une part, les séparatistes affirment que nos droits sont éteints. Cependant, s'ils ne respectent pas les obligations que leur impose la loi, nos droits sont-ils vraiment éteints? Non. Je crois que l'extinction s'appliquait seulement au territoire et non pas au bien-être de la population.
J'irai plus loin: une structure de gouvernement a été mise en place pour les Inuit et ceux qui sont visés par la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Le gouvernement du Québec parle d'un prolongement du gouvernement provincial, mais c'est plus que cela parce que certains éléments ethniques ont été inclus dans cette structure de gouvernement. Cette structure n'assume pas uniquement des responsabilités administratives, mais aussi une certaine compétence au-delà du 53e parallèle. C'est dans les quatre lois d'extension de 1912.
Il y a quelques jours, j'ai participé à une réunion tenue dans le Nord avec différents groupes d'intérêt mis sur pied en 1975. Toutes les personnes responsables de la mise en oeuvre les ententes ont peur de ce que les gouvernements provinciaux nous feront dans l'avenir si le gouvernement du Canada leur accorde un droit de veto.
Un autre sujet d'inquiétude provient du mode de modification de Constitution qui existait avant 1982. Selon ce processus, une ou deux provinces pouvaient conclure des ententes avec le gouvernement fédéral à la condition qu'elles n'aient aucune répercussion sur d'autres provinces. Qu'en est-il de ce mode de modification de la Constitution? Existe-t-il toujours?
Le sénateur Beaudoin: Si Ottawa se trouvait dans une situation très délicate, il ne pourrait rien faire. Avec le projet de loi C-110, il cède ses pouvoirs aux cinq régions. La seule chose que le Canada pourrait faire, c'est ne pas tenir compte du projet de loi C-110 et présenter une motion.
Si une contestation de cette décision se rendait à la Cour suprême, celle-ci dirait que la Constitution est la loi ultime et que la motion adoptée par le Parlement du Canada aux termes de la Constitution prime le projet de loi C-110, parce que celui-ci est une loi ordinaire qui contredit la Constitution. C'est très simple.
Le sénateur Watt: Voulez-vous dire, sénateur, que nous étudions le projet de loi pour le simple plaisir de l'étudier? Directement ou indirectement, le projet de loi aura des répercussions sur la Constitution.
Le sénateur Beaudoin: Je l'ai déclaré dès le début des audiences et tous les experts sont d'accord avec moi. Nommez-moi un seul expert qui pense le contraire. Aucun expert n'a dit que, si, dans un litige, il fallait trancher entre la Constitution du Canada et le projet de loi C-110, le projet de loi aurait la primauté. Il est évident qu'il ne l'a pas.
M. Coon Come: Sénateur Beaudoin, si le projet de loi C-110 reste sans effet et peut être abrogé, pourquoi le promulguer?
Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas mon projet de loi.
Le sénateur Watt: Le sénateur Beaudoin est en train de nous dire que, si ce projet de loi nous crée des problèmes, nous pouvons nous adresser aux tribunaux et il sera renversé.
Le sénateur Beaudoin: Le projet de loi C-110 peut servir un an, peut-être deux, mais je crois qu'il ne peut être que provisoire. Il ne peut durer que jusqu'à ce que nous ayons trouvé un nouveau mode de modification de la Constitution et que nous l'ayons intégré dans celle-ci.
Le sénateur Watt: Qu'arrivera-t-il aux peuples autochtones pendant le processus?
Le sénateur Beaudoin: Peut-être rien. Cela dépend du genre de modification qui sera proposé.
M. Coon Come: S'il est entendu que ces modifications ne nous seront pas préjudiciables et que rien ne nous arrivera, alors, donnez-nous une disposition de protection.
Le sénateur Beaudoin: Vous ne devez pas perdre de vue qu'il s'agit d'un droit de veto législatif. Le gouvernement du Canada veut l'assurance que, dans certains cas, le Québec, ou une autre province, sera protégé. Il ne saurait s'agir de rien de plus que cela. Si le projet de loi va plus loin, il est clair qu'il va à l'encontre de la Constitution.
Le sénateur Marchand: Honorables sénateurs, il est rare qu'on me laisse le dernier mot. Tout d'abord, je tiens à remercier tous les représentants des peuples autochtones. Je n'ai pas voulu poser beaucoup de questions, car il est parfois bon de se contenter d'écouter.
Le chef Mercredi et M. Sinclair nous ont expressément demandé, au sénateur Watt et à moi, de faire quelque chose. Sachez que nous vous écoutons et que nous nous battons en votre nom, même si nous ne gagnons pas tout le temps.
Je ne voulais pas parler de cela, mais lorsque le chef Mercredi a mentionné les événements du lac Gustafsen, ses émotions ont pris le dessus. J'ai compris ce qu'il voulait dire lorsqu'il a déclaré qu'il était rejeté par certains membres de notre propre peuple. Cela nous arrive parfois à nous, les parlementaires. Je l'ai vécu lorsque j'étais député.
Je vis cela depuis assez longtemps. On m'a traité de bien des noms. On vous a traité de porteur d'eau; on m'a traité de cireur de chaussures, d'assimilé et de vendu. Ces mots font mal et ils n'apportent rien. Cependant, ils viennent avec les fonctions. Si vous ne résistez pas à la pression, renoncez. Soyez assurés que nous vous avons très bien compris. Nous sommes ici pour livrer quelques combats en votre nom.
Le président: Honorables sénateurs, en votre nom, je remercie les témoins que nous avons entendus aujourd'hui.
La séance est levée.