Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Peuples autochtones
Fascicule 2 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 10 décembre 1996
Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones s'est réuni ce jour à 10 h 03 pour étudier les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux peuples autochtones du Canada.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente: Je tiens à remercier les coprésidents de la Commission royale sur les peuples autochtones pour avoir répondu à l'appel du président en vue de présenter un exposé sur le rapport publié récemment devant le comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
Au cours des dernières années, notre comité a étudié non seulement les projets de loi, mais a essayé de jeter un éclairage nouveau sur certaines des questions auxquelles font face les peuples autochtones et le Canada dans son ensemble.
Nous aimerions vous voir partager avec nous les renseignements contenus dans le rapport de la commission royale qui, selon vous, nous seraient utiles. Y a-t-il certains domaines que le Sénat pourrait étudier efficacement au moyen d'audiences qui pourraient compléter la diffusion du rapport?
Le sénateur Marchand, qui préside notre comité, est malheureusement dans l'impossibilité d'être présent aujourd'hui.
L'honorable René Dussault est juge à la Cour d'appel du Québec. Il est diplômé en droit de l'Université Laval et détient un doctorat de la Faculté de sciences économiques et politiques de Londres. Il a été sous-ministre de la Justice du Québec de 1977 à 1980 et a occupé la chaire Laskin de droit public à la Faculté de droit d'Osgoode Hall, à Toronto, de 1983 à 1984. Il a enseigné à l'École nationale d'administration publique du Québec de 1981 à 1989 et a rédigé plusieurs ouvrages sur le droit administratif, notamment un Traité de droit administratif. En 1987, il a été élu membre de la Société royale du Canada et a reçu la médaille du Barreau du Québec, la plus haute distinction accordée par le Barreau en reconnaissance de contributions exceptionnelles faites par des juristes québécois à l'avancement du droit et de sa pratique.
Le coprésident Georges Erasmus a été chef national de l'Assemblée des premières nations de 1985 à 1991 et président de la nation dénée de 1976 à 1983. Il est devenu en 1983 président fondateur de la Denendeh Development Corporation. Il est administrateur d'un certain nombre d'organismes s'occupant de l'écologie et des droits de la personne, comme l'Energy Probe Research Foundation et le Fonds mondial pour la nature Canada. M. Erasmus est coauteur de l'ouvrage intitulé Drumbeat: Anger and Renewal in Indian Country. Il a été décoré de l'Ordre du Canada en 1987.
Messieurs, la parole est à vous.
M. René Dussault, coprésident, Commission royale sur les peuples autochtones: Nous avons pensé qu'il serait utile de vous présenter ce matin quelques diapositives qui illustrent les grandes lignes du rapport déposé à la Chambre des communes le 21 novembre. Nous passerons ensuite à une période de questions libres pour savoir ce qui devrait suivre et quel rôle le comité sénatorial permanent des peuples autochtones, ou le Sénat lui-même, pourrait jouer au cours des deux ou trois prochaines années. Sans plus de cérémonie, je suggère que nous passions aux diapositives.
La création de la Commission royale sur les peuples autochtones, à la fin du mois d'août 1991, avait l'appui unanime de tous les partis qui siégeaient alors à la Chambre des communes. Nous avons présenté au gouvernement quatre rapports spéciaux, deux ou trois commentaires sur les questions constitutionnelles, et nous avons achevé, il y a un mois, notre rapport final qui comprend cinq volumes.
M. Georges Erasmus, coprésident, Commission royale sur les peuples autochtones: La meilleure façon de résumer le mandat serait de chercher des moyens de rééquilibrer le pouvoir politique et les ressources économiques entre les peuples autochtones et le gouvernement canadien, d'une part, et de reconstruire les compétences et les capacités des Autochtones et au sein des nations autochtones d'autre part.
M. Dussault: Le problème remonte aux événements qui se sont déroulés au 19e siècle, quand les Autochtones ont été mis sous la tutelle de l'État. Dans les débuts du Canada, leurs institutions, leurs valeurs et leurs modes de vie étaient jugés au mieux inadéquats et généralement considérés comme un obstacle à la colonisation.
L'État s'est servi de ses pouvoirs pour renverser les institutions des peuples autochtones, éliminer leur culture et limiter sérieusement leur accès aux terres et aux ressources. Ils ont été colonisés de la même manière que les populations actuelles du tiers monde. Étant donné l'absence de reconnaissance des institutions autochtones par les gouvernements canadiens au cours des 150 dernières années, les institutions canadiennes n'ont guère de légitimité aux yeux des peuples autochtones. Les grandes lignes de notre rapport visent à restaurer cette légitimité par le biais d'un partenariat.
M. Erasmus: À l'époque de la Confédération, on croyait en général que les peuples autochtones disparaîtraient en tant que peuples distincts. Malgré les traités qui existaient alors et sans être consultés, ils ont été assujettis au pouvoir fédéral en vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
L'Acte des sauvages a alors été adopté, conférant au gouvernement fédéral des pouvoirs extraordinaires sur la vie des individus et des collectivités. On cherchait clairement à saper les sociétés autochtones et à assimiler les Autochtones au reste de la population canadienne. Leurs gouvernements traditionnels ont été disloqués, des générations d'enfants autochtones ont été forcées d'aller dans des pensionnats, de nombreuses collectivités autochtones ont été réinstallées, des territoires qui avaient été réservés dans les traités ont été pris, et un système d'aide sociale a remplacé tout effort qui aurait permis aux Autochtones d'accéder à l'autonomie sur le plan économique.
Les peuples autochtones, en particulier les Indiens, ont été rattachés à un ministère. Tous les pouvoirs efficaces résidaient dans des bureaucraties externes et des systèmes politiques où ils n'étaient pas représentés jusqu'à ce qu'ils aient le droit de vote, en 1960, et par la suite ils n'ont eu qu'une représentation symbolique.
M. Dussault: Le prix que les Autochtones paient à cause de la marginalisation économique et sociale ressort clairement dans les statistiques sur la pauvreté, le chômage, la dépendance, le niveau d'instruction, la santé et l'incarcération. On pourrait continuer ainsi. Le revenu gagné a diminué de 1 000 $ entre 1981 et 1991. Dans tous les secteurs de performance économique et sociale, les Autochtones sont défavorisés.
M. Erasmus: À l'heure actuelle, les dépenses des administrations fédérales, provinciales et municipales s'élèvent à 13 millions de dollars par an, soit 56 p. 100 de plus que pour un nombre équivalent d'autres Canadiens. Cela tient en partie au fait que la plupart des collectivités autochtones se trouvent dans des régions isolées. Toutefois, une part importante de ces coûts excédentaires, soit 2,5 milliards de dollars, est attribuable à l'utilisation excessive des services sociaux et médicaux et aux transferts financiers à cause de la pauvreté.
Les gouvernements ont également perdu une grande partie des recettes qu'ils auraient perçues si les Autochtones avaient eu un revenu d'un niveau semblable aux personnes qui vivent dans les collectivités voisines. Dans l'ensemble, l'économie canadienne a 7,5 milliards de dollars de moins qu'elle aurait si les Autochtones avaient bénéficié du même niveau de santé et de la même capacité de gain que les autres Canadiens dans des régions équivalentes.
M. Dussault: À elles seules, les pressions démographiques vont aggraver sérieusement cette situation. Il faut profiter du fait qu'il y a beaucoup de jeunes pour les aider à acquérir des attitudes et des compétences basées sur la confiance et l'autonomie. Mais le temps presse. Chaque année qui passe sans apporter de changements valables voit augmenter le nombre de jeunes qui se découragent et perdent tout intérêt.
M. Erasmus: Le renouveau ne se résume pas uniquement à la mise en place de meilleurs programmes. Un changement fondamental s'impose pour libérer les peuples autochtones de l'emprise des organismes extérieurs et de la dépendance qui découle de leur rattachement à un ministère.
Pour cela, il faut être disposé à céder le pouvoir réel sur de vastes secteurs de compétence et à redistribuer les ressources territoriales, financières et naturelles pour que les Autochtones puissent bâtir leur autonomie et financer leur propre gouvernement. Il faut, dans cette relation, que les collectivités autochtones puissent exercer une autorité et une responsabilité vis-à-vis des leurs et qu'il existe au Canada un partenariat basé sur une souveraineté partagée.
La solution c'est l'adoption d'une stratégie de renforcement mutuel à deux volets: d'une part, la restauration du pouvoir politique et de la responsabilité ainsi que la récupération des territoires et des ressources comme base de l'autonomie économique et, d'autre part, l'acquisition de compétences et le rétablissement d'institutions qui permettent aux collectivités de fonctionner efficacement. À notre avis, si l'on suit cette stratégie, on pourra observer des changements profonds et positifs d'ici 20 ans.
M. Dussault: L'autonomie gouvernementale est justifiée en raison des droits historiques, droits qui ont été implicitement reconnus dans les traités et qui, nous en sommes convaincus, sont des droits qui existent et qui sont reconnus et confirmés dans l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Toutefois, il est également vrai que, pour être efficaces, les institutions à vocation gouvernementale doivent être modelées d'après la culture et les valeurs des personnes à qui elles s'adressent. Les valeurs des sociétés autochtones sont, à maints égards, très différentes de celles du reste de la société.
Des études menées à l'Université Harvard ont montré qu'aux États-Unis les administrations tribales qui utilisaient des approches et des valeurs culturellement authentiques étaient considérées comme légitimes et que ces gouvernements produisaient des sociétés beaucoup plus stables, ce qui entraînait des progrès économiques et sociaux plus grands. Les gouvernements autochtones pourraient exercer une compétence exclusive dans leur territoire sur les questions qui influent directement sur l'identité et le bien-être des leurs, comme la santé, l'éducation, la gestion des terres et le développement économique.
Il y a eu des accords intérimaires avec le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux dans les secteurs qui influent sur les collectivités voisines, comme la réglementation de l'environnement ou certains aspects du droit pénal, et reconnaîtraient la compétence fédérale sur des questions d'intérêt général allant des politiques monétaires, commerciales et étrangères à la contrebande aux frontières.
Au fil des ans, ces gouvernements en viendraient à se financer de plus en plus à l'aide des impôts perçus dans leurs territoires et compléteraient ces fonds au moyen d'arrangements fiscaux semblables à ceux qui existent entre le gouvernement fédéral et les provinces. Les transferts financiers exigeraient, de la part des gouvernements autochtones, un effort d'imposition proportionnel à celui des autres gouvernements bénéficiaires.
M. Erasmus: Comme nous l'avons constaté, le concept de nation est profondément enraciné dans l'histoire des peuples autochtones. Depuis toujours, ils se perçoivent comme une nation. La nation est la vaste entité d'où ils tirent leur force. Cependant, il y a également des raisons pratiques et contemporaines très claires. L'autonomie gouvernementale ne fonctionnerait tout simplement pas si l'unité de fonction gouvernementale première était la réserve ou la collectivité, car il y aurait environ un millier de collectivités métis, inuit et autres dans les Premières nations.
Des relations efficaces avec les autres gouvernements ne seraient pas possibles. Les économies d'échelle qui sont nécessaires pour exercer de vastes mandats et parvenir à l'autonomie n'existeraient pas, dans la plupart des cas, et des unités politiques plus importantes seront plus susceptibles de conduire à un gouvernement transparent et juste.
Nous voyons apparaître entre 60 et 80 nations autochtones au fil des ans. Toutefois, rien ne dit que l'unité administrative ne pourrait pas être une fédération de nations, comme la Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan.
Le Canada n'aurait plus d'obligations envers chacun des Indiens inscrits, mais il en aurait plutôt envers les nations autochtones par l'entremise de traités entre gouvernements. Les gouvernements autochtones décideraient alors de la façon de gérer les droits découlant des traités. Il n'y aurait plus de différences entre les Indiens inscrits et les Indiens non inscrits. Tous seraient citoyens de leur nation autochtone et citoyens du Canada. Le gouvernement n'imposerait pas ce modèle mais l'offrirait aux intéressés et compterait sur l'exemple pour convaincre les autres de l'adopter à leur tour.
M. Dussault: Nous aimerions parler brièvement du processus de reconstruction des nations autochtones. Nous proposons que les peuples autochtones rebâtissent leurs relations politiques en rétablissant leurs nations historiques -- les Dénés, les Haida, les Micmac, les Algonquins, les Inuit, et cetera. Ils devront travailler fort pour créer des institutions et des processus qui leur donneront cette légitimité.
Lorsqu'ils seront prêts, nous pensons qu'ils devraient chercher à obtenir la reconnaissance du gouvernement fédéral et que ce dernier devrait exercer son autorité pour faire en sorte que les nations soient légitimes et que les institutions et les processus proposés soient justes. Une fois reconnue, la nation autochtone exercerait la compétence convenue sur son propre territoire, la Loi sur les Indiens cesserait de s'appliquer et de nouveaux arrangements financiers seraient pris.
Nous proposons qu'un forum intergouvernemental soit créé pour que soient conclus des accords de principe régissant les approches aux nouveaux accords négociés avec chaque nation autochtone par le biais d'un traité. À cette fin, nous demandons qu'une réunion des premiers ministres et des chefs autochtones soit convoquée le plus tôt possible pour créer un forum visant à établir un accord-cadre pancanadien en vue de négocier des éléments clés du programme de changement, en particulier les principes guidant la redistribution des terres et des ressources, la portée de la compétence du gouvernement autochtone, les principes guidant les arrangements financiers, les principes de cogestion des terres publiques et la nature des mesures d'aide temporaire, lorsque les négociations en vertu des traités sont en cours, pour s'assurer que les ressources ne s'épuisent pas. Ce forum aurait jusqu'à l'an 2000 pour terminer ses travaux.
M. Erasmus: Notre rapport explique les initiatives que l'on pourrait commencer à élaborer prochainement dans chacun des secteurs figurant sur la diapositive.
M. Dussault: Les nouveaux fonds pour les premières années de cette stratégie représenteraient de 0,5 à 1 p. 100 des dépenses annuelles au titre des programmes. Certains de ces fonds pourraient être puisés dans les fonds destinés aux priorités sociales nationales lorsque le gouvernement n'aura plus besoin d'emprunter de nouveaux fonds sur le marché pour financer ses dépenses. Dans les autres secteurs actuellement examinés, comme la pauvreté chez les enfants par exemple, les besoins des Autochtones sont extraordinairement élevés.
M. Erasmus: À long terme, les gouvernements des nations autochtones deviendront de plus en plus nombreux et leurs institutions seront de plus en plus efficaces. La redistribution des terres et des ressources par suite de la négociation de traités et d'un développement économique accru favorisera l'autonomie des particuliers et, grâce aux impôts, celle des gouvernements des nations. Nous proposons des mesures spéciales auxquelles participeront les employeurs du secteur public et du secteur privé, des projets de formation sur place subventionnée qui permettront de surmonter les obstacles aux emplois permanents.
Au cours des 20 prochaines années, il faudra trouver environ 300 000 nouveaux emplois aux Autochtones pour qu'ils en arrivent aux niveaux d'emploi actuels des autres Canadiens. Il faudra établir des programmes qui fourniront des suppléments de revenu aux personnes qui vivent dans des collectivités éloignées et qui consacrent beaucoup de temps aux activités traditionnelles de chasse et de récolte, s'inspirant du programme fructueux établi à l'intention des Cris de la Baie James.
Nous croyons qu'il est plus avantageux, sur les plans économique et social, d'aider les gens à demeurer dans la collectivité de leur choix et à conserver le style de vie qu'ils ont choisi que de les forcer à migrer en marge des villes. Il faudra fournir de bons logements, clarifier la propriété de ces logements et exiger des personnes qui en ont les moyens de contribuer au coût de leur propre logement.
M. Dussault: À partir de la cinquième année d'application de la stratégie, qui pourrait démarrer en 1998-1999, ou dès que possible évidemment, nous croyons qu'il sera nécessaire d'investir un montant supplémentaire de 1,5 à 2 milliards de dollars, incluant le coût de la mise en oeuvre des revendications territoriales. Étant donné l'accroissement des gains et la diminution des paiements d'appoint, nous devrions assister à une réduction de 30 p. 100 des dépenses au titre des programmes d'aide sociale, de surveillance et de soins de santé par rapport à ce que ces dépenses auraient été sans cette stratégie. À partir de la dixième année environ, cela aura pour effet de rétrécir considérablement l'écart économique et social et, de ce fait, de réduire les besoins financiers nets du gouvernement.
Pour marquer le point tournant de cette relation, le pays a besoin d'une action symbolique nationale. Quelque 230 ans après la première Proclamation royale qui a établi la relation entre la Couronne britannique et les peuples autochtones en 1763, une nouvelle proclamation devrait reconnaître le rôle des peuples autochtones dans la vie de notre pays, admettre les erreurs et les injustices graves qui ont été commises et définir les principes d'une nouvelle relation.
En vue de cette proclamation, le gouvernement du Canada, et le cas échéant les gouvernements provinciaux, s'engagerait à présenter une mesure législative complémentaire visant à conférer aux Autochtones le pouvoir et les outils nécessaires pour organiser leur propre avenir politique, économique et social. C'est crucial.
Un climat de confiance et de certitude est indispensable pour reconstruire ces liens. Une mesure législative est nécessaire pour remplacer la nature discrétionnaire du processus politique actuel. Ce cadre législatif devrait prendre la forme suivante: une loi sur la reconnaissance et le gouvernement des nations autochtones établirait un processus et des critères pour la reconnaissance de chaque nation autochtone; une loi sur la mise en oeuvre des traités autochtones permettrait à une nation reconnue, à l'issue de négociations avec d'autres gouvernements du Canada, de reconduire les traités existants ou de créer de nouveaux traités visant à établir sa pleine compétence en tant que membre d'un ordre de gouvernement autochtone et à établir ou à élargir ses ressources et son assise territoriale. Cette loi créerait plusieurs commissions de traités régionales chargées de faciliter et d'appuyer la négociation des traités.
Une loi sur le Tribunal des traités et des terres autochtones, qui établirait un tribunal indépendant, garantirait des négociations de traités justes et aurait la responsabilité de traiter les revendications spécifiques qui, jusqu'à maintenant, passaient par la Commission des revendications territoriales.
Un ministère des Relations avec les Autochtones et un ministère des Services aux Indiens et aux Inuit remplaceraient le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien: dans le premier cas, pour mettre en oeuvre les nouvelles relations avec les nations autochtones et, dans le second, pour gérer les services destinés aux groupes qui n'ont pas encore opté pour l'autonomie gouvernementale.
M. Erasmus: Nos principales recommandations visent à créer un cadre à l'intérieur duquel les Autochtones auront le pouvoir et les ressources nécessaires pour concevoir et appliquer leurs propres solutions. La fonction gouvernementale est axée sur la nation ou un groupe de nations. En vertu de la loi sur la reconnaissance, dès qu'une nation serait reconnue, elle cesserait d'être assujettie à Loi sur les Indiens et le pouvoir fédéral prévu au paragraphe 91(24) serait modifié pour tenir compte de la compétence de cette nation.
La nation établirait son propre régime d'impôt sur les revenus gagnés sur son territoire et les arrangements financiers conclus avec d'autres gouvernements seraient ajustés en fonction de ses efforts et de sa capacité d'imposition. Les obligations fédérales concernant les droits issus des traités ou les arrangements financiers s'appliqueraient au gouvernement de la nation. Ce serait le gouvernement autochtone qui déciderait de la façon de distribuer les ressources.
M. Dussault: Une fois la nation reconnue et son peuple prêt, il faudrait instaurer de nouveaux processus d'établissement des traités en vertu de la loi de mise en oeuvre des traités autochtones. Les gouvernements provinciaux participeraient pleinement à un processus visant à négocier les ressources et l'assise territoriale à long terme, la compétence et les arrangements financiers. Des commissions des traités, indépendantes du gouvernement et semblables à la Commission des traités de la Colombie-Britannique, superviseraient et faciliteraient le processus. Cependant, la négociation entre les parties au traité doit être politique. La commission ne peut intervenir que lorsque son aide est sollicitée, même si elle prévoit des recours précis en cas d'abus du processus des traités.
M. Erasmus: Il faut absolument accroître l'assise territoriale des Autochtones. À l'heure actuelle, sous le 60e parallèle, les Autochtones ne possèdent que le tiers des terres qu'ils étaient censés posséder au départ en vertu des traités. Les principes visant à déterminer la taille des territoires doivent être négociés mais, logiquement, ils devraient tenir compte de ce qui est nécessaire pour créer une autonomie et permettre aux personnes concernées de conserver leur style de vie. Par conséquent, l'assise territoriale des Inuit du Labrador sera très différente de celle des Salish, dans les basses terres continentales de la Colombie-Britannique. Les Autochtones devraient continuer d'avoir la pleine propriété d'une partie de leurs territoires traditionnels. Une autre partie devrait être assujettie à la compétence conjointe de la nation autochtone et de la province, et les avantages que ces territoires rapportent devraient être partagés. Il est vraisemblable que la plus grande partie des territoires appartiendra à l'État ou à des intérêts privés.
En général, les droits des tierces parties privées seraient protégés. Les titulaires de licences conserveraient leurs arrangements et feraient affaire, dans certaines régions, avec des locateurs autochtones.
M. Dussault: Un tribunal fédéral indépendant ou un tribunal créé par une loi fédérale serait habilité à donner suite à certaines revendications que les nations autochtones pourraient vouloir régler en dehors du processus plus vaste des traités, mais il jouerait également un rôle dans les négociations plus générales des traités, vérifiant si un financement juste a été accordé, rendant des décisions concernant les mesures d'aide temporaire lorsque les parties n'arrivent pas à s'entendre et dans les cas de manquement aux promesses faites dans les traités.
Un groupe permanent du Tribunal serait chargé de vérifier si un groupe sollicitant la reconnaissance du fédéral en tant que gouvernement d'une nation a satisfait aux critères énoncés dans la loi sur la reconnaissance et d'informer le gouvernement fédéral du résultat de ses vérifications.
M. Erasmus: L'autonomie sous-entend également l'accès aux compétences et aux capitaux nécessaires pour générer des revenus pour les sociétés et les particuliers. Des programmes favorisant l'autonomie devraient être établis et gérés par les organisations autochtones en collaboration avec d'autres gouvernements fournissant des ressources financières et des conseils. Il y a aussi un besoin criant d'investissements dans des entreprises autochtones indépendantes, sur le plan administratif, de tous les gouvernements afin de mobiliser des capitaux et des connaissances d'experts pour de grands projets stratégiques sur le plan économique. Cela devrait se faire par l'entremise d'une banque nationale de développement autochtone.
Nous devons mener une campagne importante pour convaincre les employeurs du secteur privé et du secteur public d'offrir du travail aux jeunes Autochtones instruits dans les régions du pays où les Autochtones forment une grande part de la population. Il faut créer quelque 300 000 emplois en 20 ans pour les Autochtones qui vivent dans ces régions. Il faut tâcher de toute urgence de surmonter la discrimination d'une part et l'aliénation de l'autre.
Les nations autochtones ont besoin d'un tout nouveau niveau d'accès aux ressources qui ont fait la richesse de notre pays, qu'il s'agisse de l'hydroélectricité, des forêts, des mines, à la fois sur leurs territoires élargis et sur les terres qui relèveront à la fois de leur compétence et de celle des provinces.
M. Dussault: Dans le contexte de la fédération canadienne, les gouvernements autochtones seraient souverains dans les territoires sur lesquels ils auront entière compétence. Ils formeraient un autre ordre de gouvernement dans leur territoire. Dans les villes, ils n'auraient pas de pouvoirs législatifs mais fonctionneraient en tant que communauté d'intérêts, offrant les services sociaux, de santé et d'éducation requis avec un mandat délégué de la province, du territoire ou d'une nation autochtone régionale.
Ils constitueraient une communauté politique et culturelle dont les membres s'identifieraient eux-mêmes comme membres de cette nation et seraient acceptés comme tels en vertu de mécanismes d'appel appropriés. Les critères fondés sur la quantité de sang ou sur la race ne seraient pas acceptables comme critères généraux d'adhésion. Les conflits seraient réglés au moyen d'ententes entre les gouvernements ou, en dernier recours, par voie juridique comme ailleurs.
M. Erasmus: Nous sommes convaincus qu'il en coûtera beaucoup plus cher de ne rien faire, en termes d'argent, que d'agir rapidement. Les données démographiques à elles seules le confirment. À notre avis, d'ici 20 ans, l'approche que nous préconisons rapportera aux gouvernements des gains financiers importants.
M. Dussault: Tous reconnaissent que la domination exercée par la Loi sur les Indiens a diminué la responsabilité et inhibé toute initiative. En faisant dépendre les Autochtones du gouvernement fédéral, on les affaiblit et on affaiblit leurs institutions. Il faut que les institutions ayant une fonction gouvernementale, les institutions d'enseignement, de santé, de politique sociale et de justice, soient structurées conformément à des valeurs culturelles qui sont souvent très différentes de celles de la majorité des Canadiens. C'est uniquement de cette façon qu'elles seront efficaces.
En faisant des nations et des traités une pierre angulaire de la relation, on assigne la responsabilité là où elle devrait être assignée et on met en place les éléments de certitude et de respect qui peuvent fondamentalement influer sur une relation. Cependant, cette relation doit reposer sur un fondement solide que l'on pourra obtenir en établissant un cadre législatif.
M. Erasmus: Il n'y aura pas de consensus immédiat. Les Autochtones prennent des décisions à l'issue d'un long processus de discussion et de débat, et nous estimons que cela prendra du temps. Néanmoins, nous sommes sûrs qu'avec le temps, bon nombre de personnes se montreront favorables à nos recommandations. Notre document respecte les traités ainsi que le rôle que les Autochtones veulent jouer pour eux-mêmes dans la vie de notre pays. Nous croyons que certains souhaiteront la formation rapide d'un gouvernement de la nation.
En fait, nous sommes convaincus que la voie que nous avons tracée permettra de voir clair à travers la confusion et la confrontation qui ont caractérisé la relation que nous avons depuis l'échec des conférences constitutionnelles au milieu des années 80. Il faut toutefois mentionner que beaucoup de collectivités et de personnes sont amères. Bon nombre ont déjà vu leurs espoirs s'effondrer. Cela crée un climat de cynisme et de désespoir et certains voudront attendre pour voir la tournure que prendront les choses.
D'autres dénigreront certains aspects de notre proposition, s'estimant encore lésés. D'autres encore voudront conserver tous les pouvoirs avec les structures actuelles de chefs et de conseils. Enfin, certains estiment qu'ils ne devraient jamais payer de taxes ni d'impôt à quelque gouvernement que ce soit, ou encore, en raison de la relation fiduciaire, que le gouvernement fédéral doit prendre soin d'eux jusqu'à la fin des temps.
Cependant, nous croyons que bon nombre de ces idées disparaîtront à mesure que la nouvelle structure de la relation commencera à être comprise. Nous travaillerons dans ce sens en abordant la question le plus souvent possible au cours des prochaines semaines et des prochains mois.
M. Dussault: C'est la première fois que ces questions font l'objet d'un examen si poussé. Nous savons que le défi que nous vous présentons est très grand et qu'il nécessitera une planification et des réflexions stratégiques à long terme ainsi que des efforts constants.
Des changements sociaux semblables se sont produits et se produisent encore dans divers endroits du monde et du Canada. Le Québec a connu une révolution qui ressemble, à certains points de vue, à ce que nous envisageons.
M. Erasmus: Ce n'est pas un défi trop grand pour le Canada. Nous vous demandons de vous donner du temps et de donner aux Canadiens le temps d'absorber ce que nous disons et d'en examiner les avantages. Nous estimons que de nouvelles idées peuvent aider à trouver de nouvelles solutions. Nous pensons que vous devriez encourager les discussions au lieu de les faire taire sous prétexte que le climat financier empêche toute nouvelle réflexion et toute nouvelle initiative.
Il suffit de regarder ce dont les Canadiens ont été capables dans le passé, lorsqu'ils ont été confrontés à d'importants défis économiques et sociaux, et de ne pas tarder à instaurer le climat de confiance et de certitude qui doit nécessairement servir de base à toute nouvelle relation. Merci.
La vice-présidente: Merci pour ce survol. Je pense que les membres du comité qui n'ont pas eu l'occasion de lire le résumé ou le rapport reprendront néanmoins les points que vous avez soulevés et pourront vous poser des questions.
Pourriez-vous faire circuler des copies de vos notes aux membres du comité?
M. Dussault: Bien sûr.
Le sénateur Beaudoin: Nous convenons tous que c'est un enjeu important. Ce n'est pas nouveau et nous devons faire aujourd'hui ce que nous n'avons pas fait en 1867. Nous devons rétablir certaines protections constitutionnelles. Les garanties constitutionnelles ne me posent aucun problème. Bien sûr, vous êtes d'avis que l'article 35 reconnaît implicitement l'autonomie gouvernementale des Autochtones, et c'est peut-être le cas.
Dans ses délibérations, la commission a reconnu le principe des droits de la personne. Qu'il soit reconnu dans l'article 35, c'est peut-être discutable, mais il devrait être reconnu. J'aimerais approfondir deux ou trois points, comme le concept de la double citoyenneté et le double emploi du Code criminel. J'admets qu'il ne doit y avoir qu'une seule Charte des droits.
Un troisième ordre de gouvernement est évidemment sans précédent dans l'histoire des fédérations. Cela ne signifie pas qu'il ne faudrait pas l'envisager. Nous devons être très ouverts à toutes les solutions possibles. Depuis des années, j'ai toujours affirmé que nous, Canadiens, avons besoin d'une imagination créatrice, même si nous en avons manifesté un peu en 1867. Il nous en faudra davantage à l'avenir.
Pourquoi préconisez-vous quelque chose en plus de l'habituelle protection constitutionnelle, et pourquoi êtes-vous en faveur d'un troisième ordre de gouvernement? À votre avis, est-ce la seule solution?
M. Dussault: Je dirais que oui à cause de la nécessité de reconnaître le droit inhérent. Dans notre rapport, il est écrit que nous croyons que l'autonomie gouvernementale est autochtone et que les droits issus des traités sont reconnus en vertu de l'article 35. Nous n'en connaissons évidemment pas la portée et nous ne le saurons pas tant que la Cour suprême du Canada ne nous aura pas aiguillés davantage.
Les tribunaux traitent la question cas par cas, et groupe par groupe, et les dernières données qui remontent à la fin de l'été -- tout au moins à la suite d'une interdiction des jeux de hasard en Ontario -- montrent qu'une solution possible ne sera pas obtenue devant les tribunaux. Il faudra négocier.
Si le droit est implicitement reconnu dans l'article 35, avec une certaine portée -- et nous pensons que certains domaines cruciaux pour les cultures distinctes et l'identité d'un groupe particulier seront vraisemblablement reconnus comme un droit autochtone en vertu de l'article 35 -- nous estimons qu'il s'agit d'une prémisse d'un troisième ordre de gouvernement et nous recommandons aux divers gouvernements du Canada de s'y préparer par la négociation.
Reconnaître un droit inhérent signifie, en fait, reconnaître un troisième ordre de gouvernement, un pouvoir qui n'est pas délégué par une loi fédérale ou provinciale.
Le sénateur Beaudoin: Par la Constitution elle-même.
M. Dussault: Par la Constitution elle-même. Nous avons décidé très tôt de ne pas lier notre rapport à un amendement constitutionnel. Cette décision a évidemment eu des conséquences. Les règles régissant une commission royale sont différentes de celles régissant un avocat qui plaide sa cause devant un juge. Nous avons dû remettre en question des idées ancrées de longue date dans les milieux juridiques. De toute évidence, nous avons dû fournir une dizaine ou une douzaine d'avis juridiques importants dans notre rapport. Nous espérons que la plupart d'entre eux seront confirmés par la Cour suprême du Canada.
Le sénateur Beaudoin: Vous dites que l'article 35 traite implicitement des droits inhérents à l'autonomie gouvernementale. En tout cas, cela ne figure pas dans l'article qui pourrait être modifié pour inclure cette clause. Ce n'est pas un problème important à mon avis.
Vous dites qu'un troisième ordre de gouvernement est inévitable, même si on n'en trouve aucun exemple dans une autre fédération au monde.
M. Dussault: Cela émane du droit à l'autodétermination qui est reconnu par les nouveaux principes et normes internationaux de la moralité publique. Nous affirmons que les personnes vivent dans des collectivités mais que tous les membres d'une nation devraient décider -- et nous avons élaboré péniblement un processus de transition dans notre structure gouvernementale -- s'ils veulent reconstruire, renouer leurs liens avec les Premières nations, dans le contexte actuel évidemment. Ce n'est pas demain la veille que nous aurons une nation cri d'un océan à l'autre. En raison de leur intérêt géographique particulier, il est probable que les Cris de la Baie James, au Québec, demanderont leur reconnaissance en tant que nation.
Il faudra décider de renouer ou non les liens avec les nations et, en cas d'accord, il faudra alors prendre des mesures en faveur de la reconnaissance, et ensuite il faudra suivre le processus d'établissement des traités.
Le troisième ordre de gouvernement concernera environ 50 ou 60 ou peut-être même 80 nations. Il n'y aura pas 700 ou 800 ententes d'autonomie gouvernementale, comme cela aurait été le cas en vertu de l'Accord de Charlottetown. Nous ne pensons pas qu'il soit pratique et faisable que des collectivités individuelles détiennent des pouvoirs quasi provinciaux ou des pouvoirs de certaines administrations fédérales.
Il est logique de regrouper l'autonomie gouvernementale autour de la nation et de la relier aux collectivités, à l'identité des gens, aux langues et à un projet de société. C'est indispensable.
Le sénateur Beaudoin: La création de ces nations ne vous pose aucun problème?
M. Dussault: Nous parlons de nations au sens sociologique et pas de nations définies comme un État dans l'État, même si certaines pourraient empiéter sur plusieurs provinces. Cela signifie qu'un plus grand nombre de provinces devront négocier avec le gouvernement fédéral et les nations comme les Micmac. Nous estimons toutefois que c'est réalisable.
Nous connaissons la direction et la destination, mais ce qui est probablement beaucoup plus important c'est de savoir où se situerait l'obligation du Canada envers la nation. Cette dernière aurait une compétence territoriale, la capacité de prélever des taxes et des impôts sur les résidants, à la fois les membres et les résidants non autochtones. Ces derniers devront être représentés. Il faudra leur accorder certains droits. Si nous élargissons les territoires des Autochtones, il est évident que de plus en plus de personnes non autochtones y vivront et qu'il faudra protéger leurs droits. Mais ce que nous envisageons, ce sont des nations disposant d'une assiette fiscale. Sans assiette fiscale, il ne reste plus qu'à tourner la page car rien de positif n'arrivera.
Les nations dotées d'une assiette fiscale auraient leurs propres sources de revenus qui viendraient compléter les paiements de transfert du gouvernement fédéral, dans la même veine que sa formule de péréquation avec les provinces. Cette idée nous semble beaucoup plus naturelle dans le cadre du Canada, plutôt que de continuer, au siècle prochain, à verser tous les montants aux collectivités par le biais de la Loi sur les Indiens et à définir une personne autochtone parce que des avantages individuels sont rattachés à la définition. Il est impossible d'avoir des programmes souples.
C'est l'orientation générale que nous proposons. Il est évident que cela nécessite une réflexion intense de la part des Autochtones et de l'ensemble des Canadiens. Nous estimons que cette proposition est plus saine et plus judicieuse que le maintien du statu quo qui est très frustrant et plutôt conflictuel parce que c'est un régime d'aide sociale. Le défi consiste à transformer ce régime d'aide sociale en un outil productif à cause de la pression démographique et pour le bienfait de l'humanité.
Dans 20 ans, nous ne pourrons plus nous permettre d'avoir 36 ou 37 p. 100 de ces jeunes de moins de 15 ans sur la liste des bénéficiaires de l'aide sociale comme leurs parents. Ils n'auront que 35 ans mais ils seront plus nombreux que la génération actuelle. Aujourd'hui, l'excédent des dépenses d'aide sociale s'élève à 800 millions de dollars. Il atteindra 1 milliard de dollars en 1999 et 1,2 milliard de dollars en 2001. Ce montant continuera d'augmenter si on ne fait rien. Nous avons détruit les économies.
Le sénateur Pearson: C'est un tremplin idéal pour ma question. Le sénateur Beaudoin parlait des enjeux constitutionnels et il vous a fort judicieusement interrogé sur le fondement législatif, puisque c'est le but de notre étude. Toutefois, je m'intéresse tout particulièrement aux jeunes.
Je ne pense pas que quiconque soit en désaccord avec votre analyse. Quel rôle envisagez-vous pour les jeunes dans ce processus?
M. Erasmus: Près de 60 p. 100 des Autochtones du Canada ont moins de 25 ans. La majorité sont très jeunes, si bien que les principaux chefs de file seront très jeunes. Lorsque j'étais président de la nation dénée, j'avais environ 25 ans. J'aurais pu en être président vers l'âge de 19 ans, si je l'avais souhaité à l'époque. Cela vaut également pour Charlie et Walter ou n'importe qui d'autre.
Les jeunes représentent la majorité des Autochtones. Le grand défi est le suivant: comment briser le moule? Au cours des 20 dernières années, il y a eu plusieurs tentatives pour changer la situation des Autochtones et j'imagine que certains progrès ont été accomplis.
Le fait est que la majorité des Autochtones n'ont pas le niveau de scolarité qui leur permettrait de trouver de bons emplois. Il y a 20 ans, environ 2 p. 100 des Autochtones avaient fait des études postsecondaires et ce chiffre se situe encore aujourd'hui entre 2 et 3 p. 100. Comme je l'ai déjà dit, près de 60 p. 100 des Autochtones ont moins de 25 ans. On ne fait pas assez de choses pour eux. Le côté positif, c'est que les Autochtones sont jeunes, parce qu'un changement peut s'opérer chez les jeunes. On peut faire de la planification, de la formation avec les jeunes et leur offrir une bonne éducation.
Lorsque je fréquentais l'école primaire, il était extrêmement difficile pour les Autochtones d'aller à l'école. On ne nous enseignait pratiquement rien de positif concernant notre culture. Nous devions rejeter tout ce que nous savions... tout depuis notre langue, notre vision du monde, jusqu'à certains petits détails comme la façon de diriger une réunion ou de socialiser. Les programmes officiels nous enseignaient que toutes nos connaissances étaient inutiles.
Au fil des ans, de plus en plus d'Autochtones ont pris en charge certaines de leurs écoles mais, dans chaque cas, elles demeurent sous la coupe des provinces, si bien qu'il faut continuer à enseigner le programme provincial. On peut compléter ou améliorer le programme, mais il n'y a pas de fonds disponibles.
Lorsque les Autochtones fréquentent une école dirigée par des Autochtones, leur taux de succès est généralement supérieur. Il y a énormément de travail à faire. Nous voulons mettre l'accent sur les jeunes qui sont majoritaires.
Nous voulons qu'ils participent à toutes les facettes de la vie, depuis les activités sociales, récréatives, familiales et communautaires jusqu'à la prise des décisions concernant les enjeux importants: par exemple, quel mode de vie devraient-ils mener dans les collectivités, faudrait-il les encourager à se regrouper de nouveau en nations et le gouvernement devrait-il fournir un soutien? Nous espérons que les jeunes reprendront le flambeau dans bien des cas. Nous avons constaté que les points de vue de nombreux jeunes Autochtones ne sont pas forcément ceux de leurs parents ou des générations qui les ont précédés. Ils veulent davantage de solutions panautochtones, même s'ils s'intéressent avant tout à leur propre nation et à leur nationalité autochtone.
Les enjeux panautochtones semblent bénéficier d'un vaste soutien. Il y a du pain sur la planche dans ce domaine. Je ne sais pas si on pourra tout réaliser d'un seul coup. Il faudra peut-être le faire petit à petit.
Les dépenses seront plus élevées parce que nous devons investir dans des éléments comme la formation, l'éducation, le développement économique, afin de pouvoir briser le moule et afin que, dans 20 ans, nous ne puissions plus dire que seulement 3 p. 100 des Autochtones ont suivi des études postsecondaires.
Le sénateur Pearson: Je comprends parfaitement tout cela. Ma question portait en réalité sur la formation, car la culture canadienne dans son ensemble me pose un problème, à savoir que nous n'offrons pas aux jeunes des possibilités convenables, non seulement d'exprimer leurs points de vue, mais également de se faire entendre. Comment envisagez-vous d'incorporer cela dans vos processus? Dans votre rapport, abordez-vous la question de l'habilitation des jeunes afin qu'ils se sentent en confiance pour prendre en mains leur avenir à l'âge de 11, 12 ou 13 ans. Cette sorte d'acceptation de la responsabilité donne aux jeunes l'impression d'avoir un but.
M. Erasmus: Oui, absolument. Nous en parlons de différentes façons. Nous abordons le genre d'études destinées aux jeunes qui se sentent plus habilités. Un système scolaire dans le cadre duquel les étudiants suivent un cours magistral dans une salle de classe, l'enseignant détenant tous les pouvoirs, ne crée pas une situation de pouvoir horizontal dans la structure de la classe. C'est quelque chose qui n'entre pas dans la culture autochtone. Ce genre de structure du pouvoir existe à peine dans n'importe quelle société autochtone à travers le monde.
Les sociétés autochtones essaient en général d'habiliter les jeunes le plus tôt possible à assumer des responsabilités, à accepter des choses. Plus vous acceptez de responsabilités, plus vous devenez indépendant. Vous acceptez la responsabilité pour votre collectivité et pour votre famille. Votre intégrité s'en trouve rehaussée et on vous accorde un plus grand respect. Votre fierté et votre estime de soi personnelles se développent donc.
On assiste à l'inverse de ce qui se passe dans une salle de classe. Dans cet environnement, vous avez l'impression que l'enseignant ne s'attend pas à ce que vous fassiez vos devoirs. J'ai trouvé cette expérience très aliénante. C'était comme de la schizophrénie. On joue un jeu en classe et dès que l'on en sort pour rentrer à la maison, on joue un jeu totalement différent. Vos parents n'exerçaient pas ce genre de pouvoir sur vous. Ils ne voulaient jamais avoir ce genre de pouvoir sur vous. Ils voulaient que vous soyez responsables. Cependant, en classe, vous pensiez que l'enseignant s'attendait à ce que vous soyez irresponsable.
Dans notre rapport, nous préconisons un système scolaire différent si l'on veut que nos jeunes soient différents, si l'on veut avoir à l'avenir une société dans laquelle les gens acceptent des responsabilités collectives et individuelles.
Toutes les sociétés autochtones ne sont pas identiques, même si elles présentent de grandes similitudes. Même si un Innu et un habitant des Prairies sont présents ici, aucun d'entre nous ne vient de la même nation. Je soupçonne que nous avons certaines similitudes, mais il y a de grandes différences entre nous. Les Autochtones doivent faire leur propre spectacle, gérer leurs propres affaires. Ce faisant, s'ils demeurent fidèles à leur propre culture comme avant, nous espérons cependant voir surgir toutes sortes d'installations scolaires dynamiques.
Nous avons pu prendre connaissance de différentes expériences éducatives tentées partout au pays. Nous avons entendu des histoires couronnées de succès, que ce soit dans les écoles secondaires du centre-ville de Winnipeg ou sur les réserves, là où les Autochtones ont pris en charge des écoles. Ils réalisent des choses merveilleuses.
Les jeunes nous ont également déclaré clairement qu'ils veulent participer au processus politique. Ils veulent être pris au sérieux. Ils veulent être consultés. Voici ce qui s'est de toute évidence passé. À mesure que le processus de négociation entourant les revendications territoriales et autres progressait, les adultes se sont consultés et comme ils avaient beaucoup de mal à embarquer les gens, les jeunes n'ont pas eu souvent la possibilité de s'impliquer.
Il n'est pas facile de consulter les jeunes. Nous avions de jeunes travailleurs sur le terrain et des jeunes au sein de notre personnel. Ce n'était pas toujours très facile de faire parler les jeunes. Ils se demandaient pourquoi nous voulions les consulter.
Nous avons essayé d'adopter la même approche avec les enfants de la rue dans les villes, mais c'était très difficile. Nous avons organisé deux ou trois séances de discussion au cours desquelles nous étions supposés nous asseoir et parler avec des enfants de la rue. Seulement quelques-uns sont venus. Nous avons fini par parler avec d'anciens enfants de la rue et avec ceux qui travaillaient avec nous. Ils faisaient en quelque sorte le lien pour combler le vide.
Le sénateur Tkachuk: J'aimerais obtenir quelques éclaircissements sur une déclaration contenue dans votre exposé. Au troisième paragraphe de la page 3, vous affirmez que même si un changement positif est intervenu, trop de gens considèrent encore les Autochtones comme une minorité malchanceuse qui n'a besoin que d'une meilleure éducation et de meilleurs outils pour prendre sa place auprès de la majorité, après avoir adopté les valeurs de cette dernière.
Je ne comprends pas bien ce que vous voulez dire par là, car il me semble qu'une meilleure éducation et de meilleurs outils n'ont vraiment pas grand chose à voir avec les valeurs de la majorité, que c'est un élément indispensable de toutes nos valeurs, que nous soyons Autochtones ou non. Pourriez-vous nous donner quelques explications à ce sujet?
M. Dussault: Nous prétendons que l'approche adoptée par les Canadiens depuis un siècle tendait à considérer les Autochtones comme une minorité pauvre ayant besoin de meilleurs outils, d'une meilleure éducation, et qu'ils s'intégreraient dans la majorité et s'assimileraient culturellement. Cela n'a pas fonctionné et nous affirmons que cela ne fonctionnera pas.
Cette remarque s'applique à tous les pays qui ont des populations autochtones. Il ne faut pas agir ainsi. Nous n'avons pas à demander aux Autochtones de commettre une sorte de suicide culturel pour emboîter le pas de la majorité.
Le sénateur Tkachuk: Je suis d'accord avec vous sur ce point. Toutefois, ma question portait sur l'avenir. Oublions le passé et parlons d'une meilleure éducation et de meilleurs outils afin que les jeunes puissent prendre leur place au sein de leurs propres collectivités.
M. Dussault: Je vais vous donner un exemple. Ce qui nous a frappés, c'est qu'il y a très peu de jeunes Autochtones qui se dirigent vers les centres des ressources naturelles, la foresterie, les mines, les techniques hydroélectriques, et cetera. Nous en avons rencontré plusieurs milliers dans les écoles de la 8e à la 12e années pour parler des obstacles psychologiques. Il n'y a pas de partenariat avec les industries axées sur les ressources. Travailler pour une société forestière est encore considéré comme travailler pour l'ennemi. La formation nécessaire pour occuper un poste dans la compagnie forestière est vue de la même façon. Lorsque vous revenez dans votre collectivité pour le week-end et que la compagnie effectue des coupes à blanc sur des terres ancestrales, vous n'êtes pas très populaire. Nous devons surmonter cet obstacle et l'une des façons de le faire consiste à établir des partenariats.
Nous devons briser ce cycle qui consiste à verser des redevances sur les ressources naturelles afin que les Autochtones entrevoient un intérêt économique dans la mise en valeur de leurs ressources et établissent en même temps un partenariat pour les exploiter, afin que les valeurs culturelles soient prises en compte.
Le sénateur Tkachuk: Je suis toujours perdu.
M. Erasmus: Je vais essayer de répondre à la question. Nous avons mis beaucoup de renseignements dans cet énoncé. L'un des mythes que nous essayons de détruire dans la société, c'est que les Autochtones ne constituent qu'une autre minorité et que leur problème provient tout simplement du fait qu'ils ne sont pas suffisamment instruits. La philosophie consiste à leur donner l'instruction qui convient pour qu'ils puissent s'intégrer dans la société en tant qu'individus.
Oui, il faut les instruire, mais pas de la même façon que dans le reste de la société. Nous avons besoin d'un système scolaire contrôlé par les Autochtones afin que leur culture, qui est nettement différente, se retrouve dans le processus scolaire. Après cela, les taux de succès seront plus élevés.
Les peuples autochtones sont les premiers peuples. Ce ne sont pas des minorités.
Il y a des contrats, des traités et des obligations. Certains ont une autonomie gouvernementale. Nous avons essayé d'incorporer beaucoup de choses dans ce rapport.
Le sénateur Tkachuk: C'est bien vrai, et de nombreux énoncés sont un peu lourds, si bien que je pense parfois que, lorsque nous abordons des sujets comme l'autonomie gouvernementale, par exemple, nous n'habitons pas sur la même planète.
Dans cette étude, vous parlez d'un gouvernement qui ne sera pas fondé sur la race, qui pourra changer de camp. Qui pourra changer de camp? Est-ce que j'aurai ma résidence sur une réserve et est-ce que je paierai des impôts au gouvernement autochtone? Pouvons-nous changer de camp?
M. Erasmus: À l'heure actuelle, à peu près la moitié de nos gens épousent des non-Autochtones. C'est ce qui se passe depuis un certain temps. Si nous revenons à l'époque de la Loi sur les Indiens, quand un homme épousait une non-Autochtone, elle devenait Autochtone. Quand une femme épousait un non-Autochtone, tout le monde perdait le statut d'Autochtone. Cette époque est révolue.
Le sénateur Beaudoin: Êtes-vous en train de dire que la situation était différente pour un homme qui épousait une non-Autochtone?
M. Erasmus: C'est ce qui se passait en vertu de l'ancienne Loi sur les Indiens.
Le sénateur Beaudoin: Je pensais que cela avait été modifié.
M. Erasmus: Oui, cela a été modifié. Nous jetons un regard en arrière. Nous proposons que les Autochtones se regroupent à nouveau au sein de leurs nations. Cela signifie que les nombreuses communautés dénées se regrouperont. Les Inuit le font déjà.
Si vous disposez d'une assise territoriale élargie, comme les Inuit dans le nord du Québec ou dans les Territoires du Nord-Ouest, alors il y aura des gens qui ne seront pas des Autochtones. Que ferez-vous de tous ces gens qui épousent des Autochtones?
Le sénateur Tkachuk: Pourquoi faire quelque chose? Ce n'est pas anormal.
M. Erasmus: Évidemment que ce n'est pas anormal. Personne ne dit que c'est anormal.
Le sénateur Tkachuk: Je le sais, alors pourquoi devrait-on faire quelque chose? C'est ce que je ne comprends pas.
M. Erasmus: Puis-je répondre à la question, s'il vous plaît?
Le sénateur Tkachuk: Je suis désolé.
Le sénateur Taylor: Il est d'accord avec vous, si vous lui donnez une chance.
M. Erasmus: Nous proposons que la compétence des nations autochtones soit clairement reconnue. Pour être brefs, disons que cela ressemble à une compétence provinciale sur un territoire élargi. Vous devez décider qui sont les citoyens de cette nation et nous vous suggérons une définition élargie. La descendance est un critère. Le mariage avec une personne autochtone en est également un et l'adoption en est de toute évidence un autre. On pourrait même prendre en considération le lieu de résidence.
Dans ce genre de contexte, nous ne pouvons tout simplement pas concevoir que l'on exige qu'un citoyen soit une personne ayant un quart ou une moitié de sang autochtone. Nous ne pouvons tout simplement pas le concevoir.
Nous pensons que cela serait injuste. Avec le temps, nous estimons que tous les conjoints, homme ou femme, seront reconnus, qu'ils devraient l'être, et que les droits humains normaux qui figurent dans la Charte s'appliqueront aux gouvernements des nations autochtones. Nous sommes d'avis que les nations qui essaieront d'aller à l'encontre de cela seront contestées et perdront.
Il n'y aura pas de fondement sur la race. Nous parlons de l'identité politique et culturelle. Comme la nation québécoise moderne, vous aurez la nation dénée moderne, la nation inuit moderne, et cetera. L'intermariage existe depuis longtemps. À l'heure actuelle, son taux est d'environ 50 p. 100 et cela continuera.
Il s'agit des idées, des concepts et de la culture. Le Québec l'affirme depuis longtemps. C'est la même chose chez les peuples autochtones. Les Dénés prétendent que si vous pouvez vivre sur les terres, comme les gens le faisaient dans le passé, et comprendre la faune, la façon de vivre avec l'environnement et tout le reste, si vous pouvez vivre en harmonie, vous êtes un Déné. Cela n'a rien à voir avec le sang. C'est de cela que nous parlons.
Même avec ce concept élargi de nation, vous trouverez probablement des gens qui viendront travailler sur le territoire. Ils travailleront pour la compagnie minière en exploitation sur vos terres ou pour le gouvernement parce qu'il engagera des gens de l'extérieur. Quels droits auront-ils?
Nous estimons qu'ils devraient avoir certains droits. La communauté sechelte a trouvé une façon de traiter avec les non-Autochtones, les non-membres. Les gouvernements des nations devront trouver des façons différentes pour s'assurer que, s'ils taxent les gens vivant sur leur territoire et si leurs lois sont applicables, il existe un moyen permettant à ces gens de participer au gouvernement de la nation.
Le sénateur Tkachuk: Ils pourront voter. Si je voyage dans n'importe quelle autre région du Canada, j'ai des droits qui sont reconnus par mon gouvernement. Si je pénètre sur un territoire de la nation dénée, aurais-je tous les droits rattachés à ma citoyenneté canadienne?
M. Erasmus: La charte s'appliquerait à la nation. Nous avons un certain nombre de modèles de gouvernement. Un modèle que les Inuit ont adopté, et ils semblent vouloir continuer à le faire, est un gouvernement public et transparent. Même dans ce cas de figure, les Inuit auront également certains droits ancestraux. Ils disposeront de certaines structures qui ont été créées pour protéger leur droit de chasse, leur droit de pêche, et cetera, et ils pourraient avoir des critères de résidence supérieurs à la normale.
Un autre modèle pourrait conférer des droits supplémentaires aux membres de la nation en tant que nation. Puisque nous parlons du Canada, les gens vivant sur votre territoire devraient avoir certains droits. Vous pourriez avoir une structure différente permettant aux non-membres de voter et de participer, ou même d'élire une instance qui collaborera avec le gouvernement de la nation.
Il existe de nombreuses façons de le faire. Le fait est que vous ne pouvez pas dire simplement à quelqu'un qu'il n'est pas membre et qu'il n'a aucun droit du tout alors qu'il vit dans la région depuis longtemps.
Le sénateur Watt: Vous dites que vous avez eu des discussions entre personnes, entre nations, mais pas entre États. Qu'est-ce que cela signifie? Vous avez également mentionné le fait que vous auriez la propriété exclusive des terres, mais il y a aussi la question de la compétence. Quelle est la relation entre les deux?
M. Erasmus: Il est évident que l'État, c'est le Canada. Nous croyons sincèrement que les peuples autochtones, en tant que nations, ou peuples selon le concept international, ont le droit à l'autodétermination. Cela nous conférerait tout un ensemble de droits. En outre, il y a l'article 35 de la Constitution canadienne qui reconnaît les droits ancestraux et les droits issus de traités.
Nous sommes profondément convaincus que la compétence initiale, la souveraineté initiale que les nations autochtones avaient ici, a été saisie par l'article 35. C'est la colonne des droits inhérents, mais il y a aussi la colonne de l'autodétermination.
Vous pouvez arriver à la table en tant que nation de peuples pour négocier librement les conditions avec le Canada, en termes de syndicat, si vous voulez, ainsi que le genre de structures gouvernementales que vous voulez avoir avec le Canada. Ce droit à l'autodétermination, même s'il s'applique aux Inuit, aux Cris, aux Dénés, aux Haida, ne signifie pas que vous avez le droit de démembrer l'État unique qui existe à l'heure actuelle, sauf dans des conditions très exceptionnelles.
Si nous sommes opprimés à un point tel que nous n'avons pas d'autre choix, et si nous avons fait toutes les tentatives possibles pour changer la situation et si l'État nous opprime encore davantage, ce ne sont pas là les conditions dans lesquelles les peuples autochtones pourraient vivre au Canada. Si l'État lui-même se démembre, alors il libère les peuples autochtones des conditions dans lesquelles ils sont liés au Canada. Dans ces cas, vous avez des choix.
Nous avons deux documents qui traitent des catégories de terres. L'un d'eux a été publié l'an dernier. C'est une suggestion de notre part, rien d'obligatoire du tout, mais nous avons des peuples autochtones qui se présentent à la table avec un grand territoire qu'ils utilisent traditionnellement. Nous estimons qu'il faudrait aborder la situation en découpant le territoire en trois zones. Dans la première zone, étant donné que la nation que vous êtes est clairement reconnue, votre champ de compétence serait presque exclusif. La compétence fédérale s'appliquerait évidemment dans une certaine mesure aussi mais, au moins dans cette zone, vous supplanteriez présumément la majorité de l'influence provinciale et vous auriez évidemment à le négocier. Nous avons un certain nombre de tables de négociation ici.
Pour faciliter la discussion, disons que la plupart des pouvoirs que les nations exerceraient seraient les mêmes que ceux exercés par les provinces. Par exemple, dans la vallée Nass en Colombie-Britannique, si les terres détenues par les Nisghas sont de catégorie 1, ils supplanteraient la province de la Colombie-Britannique. C'est ce que nous entendons par «catégorie 1».
Nous disons ensuite qu'il devrait y avoir une autre partie du territoire pour lequel il faudrait négocier avec la province et le gouvernement fédéral et s'entendre pour le gouverner ensemble. Comment est-ce possible? L'entente pourrait stipuler que les Autochtones, comme dans le cas des Nisghas, contrôlent toutes les activités de chasse, de pêche, de trappage, toutes les activités sur les terres ainsi que toutes les ressources renouvelables, et qu'ils pourraient contrôler le sous-sol et d'autres choses encore. Il pourrait y avoir un ensemble de structures conjointes avec un partage à 50 p. 100. Cela pourrait être négocié.
Ensuite, la troisième catégorie est la partie du territoire sur laquelle les lois provinciales s'appliqueraient principalement et c'est le même vieux principe. C'est là que la province exercerait un contrôle. Cependant, à titre de nations autochtones, par exemple les Nisghas, vous continueriez à exercer une certaine influence et à avoir certains droits sur la chasse, la pêche, le trappage et peut-être même les activités cérémonielles. On pourrait dire que personne ne peut pénétrer sur le territoire et faire quelque chose dans la vallée Nass sans la participation des Autochtones. C'était le concept dans le cas des Nisghas.
Le sénateur Watt: L'article 35 de la Constitution s'applique aux peuples autochtones. Découlant de l'article 35, il y a un certain nombre de critères qui reconnaissent ces trois catégories distinctes de terres: catégorie 1, catégorie 2 et catégorie 3. Êtes-vous en train de dire que les terres relèvent du domaine provincial?
M. Erasmus: Non, ce serait du domaine autochtone.
Le sénateur Watt: En vertu de l'article 35?
M. Erasmus: Ce serait le territoire autochtone, les terres autochtones. C'est là-dessus que les Autochtones exerceraient leur compétence.
Le sénateur Watt: Vous dites que les restrictions sur la propriété intégrale, applicables normalement aux terres acquises par suite d'une revendication, ne s'appliqueraient plus. Souvent, dans les négociations, les restrictions sur la propriété intégrale seraient si nombreuses que les droits seraient énormément réduits, si bien que la négociation économique serait impossible. C'est la situation à laquelle j'ai dû faire face pendant les règlements des revendications territoriales il y a 20 ans.
M. Erasmus: Nous avons étudié le processus des revendications et nous avons découvert certains problèmes graves avec la méthode des revendications globales. Il ne s'agit pas des mêmes catégories de terres que vous avez négociées il y a environ 20 ans. À cette époque il existait plus ou moins un grand gouvernement municipal dans le nord du Québec, mais vous releviez encore de la compétence de la province. Vous n'aviez pas vraiment la possibilité, par exemple, de mettre sur pied votre propre commission scolaire. Elle relève toujours du gouvernement du Québec. Le ministre de l'Éducation peut modifier les lois.
Dans le cadre de ce système, le ministre du Québec ne pourrait pas faire cela tandis que le ministre cri ou inuit pourrait le faire. Vous auriez votre propre gouvernement. Avec les terres de catégorie 1, il ne serait pas nécessaire d'avoir tous les anciens droits et restrictions car il s'agirait des terres provinciales des Inuit du nord du Québec et des terres provinciales des Cris du nord du Québec. Ce serait votre territoire. Vos lois s'appliqueraient. Vous pourriez adopter des lois régissant l'éducation, la santé et les services sociaux, ou tout autre domaine relevant de votre compétence. Ceci s'appliquerait à l'assise territoriale.
Vous auriez la possibilité de prendre des décisions économiques pour créer des entreprises, contrôler le développement, et cetera.
Le sénateur Watt: La plaque tournante de ce rapport repose-t-elle sur le désir d'établir l'autonomie gouvernementale?
M. Erasmus: C'est de cela dont nous parlons. C'est un document volumineux et nous n'avons pas encore atteint le volume trois.
Le sénateur Watt: Je me rends compte que la commission royale a abordé et aborde encore de nombreux domaines. Est-il nécessaire d'agir rapidement pour mettre en place un instrument qui serait nécessaire afin de pouvoir mettre en oeuvre ces mesures sous le couvert de l'article 35?
M. Erasmus: Oui, nous avons besoin des mesures législatives dont nous avons parlé, de la loi sur la reconnaissance, de la loi de mise en oeuvre des traités, afin de pouvoir entamer les discussions sur les traités, ainsi que d'un tribunal pour modifier le processus des revendications et pour appuyer le processus des traités. Je suis persuadé que vous savez combien les négociations peuvent durer longtemps. Certaines négociations ont pris beaucoup de temps.
Durant ces négociations, les autres éléments mentionnés dans notre rapport pourraient être mis en oeuvre. Je pense en particulier à nos jeunes et à la façon dont nous devons aborder toute la question de l'éducation et de la formation. Nous ne voulons pas perdre une autre génération.
Jusqu'à présent, à la conclusion des négociations, lorsque de nouvelles institutions sont mises sur pied, les emplois créés sont comblés par des non-membres. La formation pour tous les postes qui auraient dû être comblés par des Inuit aurait dû démarrer il y a 20 ans. Toutes les personnes présentes à la table le savaient, mais cela n'a fait aucune différence. Rien n'a été fait.
Nous voulons que ce processus soit implanté dans l'ensemble du pays afin que chacun puisse obtenir une assise territoriale plus vaste. Nous pourrions mettre en application les traités initiaux et négocier de nouveaux traités dans la région de l'Atlantique où l'on n'a jamais abordé les questions territoriales.
Toutefois, l'objectif vise à s'assurer que les jeunes ayant les qualifications ont suivi des études dans un milieu convenable sur le plan culturel.
Le sénateur Watt: L'article 35 a été interprété de plusieurs façons légèrement différentes dans le passé. Il couvre trois nations, à savoir les Indiens, les Inuit et les Métis. Il y a toujours eu deux écoles de pensée sur la façon de nous restructurer dans ce cadre, par exemple en établissant une assemblée ou un parlement dans le parlement. Vous pourriez l'appeler un «mini-parlement».
Êtes-vous en train de nous proposer d'emprunter prendre le chemin le moins coûteux et d'établir une assemblée plutôt que de mettre sur pied trois assemblées en vertu de l'article 35?
M. Erasmus: L'entente conclue à l'origine par les traités était la coexistence... laisser les nouveaux venus arriver avec leurs institutions et l'option de se gouverner, tout en nous gouvernant nous-mêmes.
Cette situation sera largement couverte par une assise territoriale élargie, en reconnaissant que les peuples autochtones sont des nations, en créant un autre ordre de gouvernement et en instaurant des arrangements financiers. Vous auriez de petits gouvernements de type provincial partout au pays.
Toutefois, quelle serait notre situation face au gouvernement canadien? À cause du petit nombre d'Autochtones, seuls quelque 11 députés autochtones ont en réalité réussi à se faire élire à la Chambre des communes. Nous pourrions seulement avoir un sénateur autochtone de plus. Nous estimons qu'une telle participation n'est pas suffisante.
Comment allons-nous changer cela? Nous pourrions suivre les recommandations du comité sur la participation parlementaire en nous assurant que tel nombre de députés autochtones seront élus pour l'ensemble du pays. Vous pourriez hausser le chiffre à une douzaine. À l'heure actuelle, le NPD compte neuf députés, et nous n'entendons pas beaucoup parler d'eux. S'il avait trois députés en plus, je ne pense pas que cela ferait beaucoup de différence. Ils n'ont pas beaucoup d'influence à Ottawa.
L'entente que nous avions conclue avec les nouveaux arrivés au Canada disait que nous allions gouverner ensemble. Comment allons-nous nous y prendre? L'augmentation du nombre de sièges au Parlement n'y parviendra pas, bien qu'il pourrait y avoir une meilleure participation. Ce ne sera jamais le genre de partenariat que le Québec rêve d'avoir avec le pays, et que les Autochtones rêvent d'avoir avec les non-Autochtones. Comment allons-nous le faire? Nous allons le faire en créant une autre chambre.
Le sénateur Watt: Une troisième.
M. Erasmus: Une troisième. Au strict minimum, les mesures législatives qui sont particulièrement importantes pour les Autochtones devraient être étudiées devant cette Chambre. Peut-être que cette troisième chambre devrait disposer d'un veto dans certains domaines, par exemple en ce qui concerne les amendements proposés à l'article 35.
Le sénateur Beaudoin: Le Sénat n'a pas ce droit à l'heure actuelle.
M. Erasmus: Nous envisageons cela comme un processus en deux étapes. Étant donné que nous devons agir rapidement, la première étape devrait peut-être consister à mettre sur pied un conseil consultatif chargé des mesures législatives. Toutefois, dès que la Constitution serait amendée, une troisième chambre devrait être créée.
On pourrait commencer par un parlement autochtone et finir par une assemblée des peuples autochtones où chaque nation serait représentée.
Le sénateur Taylor: J'ai travaillé pendant quelques années au Groenland. En avez-vous parlé avec eux? Ils ont bénéficié d'une autonomie gouvernementale.
M. Dussault: C'est l'un des deux pays que nous avons visités à l'extérieur du Canada. Nous sommes allés au Groenland en février 1993. Nous y avons rencontré des gens pour étudier le processus d'évolution par le biais de leur Home Rule Act. Comme vous le savez, toutes les terres sont collectives au Groenland, comme les terres de réserve au Canada. Toutefois, il existe des moyens d'hypothéquer ce qui se trouve sur la surface.
Au niveau du développement économique, nous étions très intéressés par ce qui se passe au Groenland. C'était la raison de notre déplacement. De fait, vous trouverez dans notre rapport plusieurs idées qui résultent de notre visite au Groenland, en particulier sur la façon de clarifier le régime foncier de surface afin de pouvoir hypothéquer votre maison, ou d'obtenir un prêt de la banque pour démarrer une petite entreprise, et cetera, par l'intermédiaire de baux emphytéotiques.
Le sénateur Taylor: L'ancienne Yougoslavie avait une troisième chambre, mais c'est une comparaison peu équitable. Avez-vous examiné leur système à trois chambres?
M. Dussault: Nous avons étudié la situation de la Yougoslavie en rapport avec certaines de nos études. Nous avons réalisé deux études sur ce que seraient les obligations fiduciaires du gouvernement fédéral si le Québec venait à exercer sa pleine souveraineté, sur la scène nationale et internationale. La dernière impliquerait une étude de la situation yougoslave. Toutefois, cela ne figure pas dans le rapport lui-même.
Le sénateur Johnson: Étant originaire du Manitoba, j'ai travaillé avec des jeunes, Autochtones et autres.
Les modèles de comportement sont évidemment importants pour tous les jeunes. Comme vous le savez, nous avons connu dernièrement certains problèmes très graves dans la ville de Winnipeg. Le nombre et les effectifs des bandes de jeunes ne cessent d'augmenter. Des gens travaillent avec eux pour essayer de les encourager à centrer leurs énergies sur d'autres activités au lieu de poursuivre les activités actuelles.
Un système scolaire autochtone distinct avec des enseignants, des chefs de file et des personnes-ressources autochtones pour les jeunes constitue-t-il la seule solution? Qu'est-ce que cela donnera en fin de compte au niveau de l'ensemble de la société canadienne?
Comme vous le savez, dans ma province, sur une population totale de 91 000 Autochtones, 45 000 vivent actuellement dans la ville de Winnipeg. D'ici cinq ans, je pense qu'un Manitobain sur cinq ou six aura des antécédents autochtones. C'est un facteur crucial que nous devons étudier et, comme vous êtes déjà au courant, les jeunes représentent le plus fort pourcentage des gens ayant des antécédents autochtones.
M. Dussault: À l'heure actuelle, 52 p. 100 des écoles situées sur les réserves, qui sont de compétence fédérale, sont administrées par des Autochtones, mais nous avons encore 70 p. 100 des Autochtones qui fréquentent des écoles provinciales. Il y a de bons exemples d'écoles administrées par des Autochtones à Winnipeg. La plupart présentent un taux de rétention scolaire plus élevé que les écoles provinciales. Par conséquent, nous devrions insister pour avoir davantage d'écoles autochtones dotées d'un programme convenable sur le plan culturel. Dans notre rapport, nous mettons énormément l'accent sur la nécessité pour les écoles ordinaires non seulement d'ajuster leurs valeurs et leurs programmes, mais également la façon dont elles accueillent les jeunes Autochtones. C'est un élément crucial car, comme l'a dit Georges Erasmus, lorsque vous fréquentez une école qui est totalement étrangère à votre culture, c'est très dommageable.
Le sénateur Johnson: Assistera-t-on à un mélange des deux cultures?
M. Dussault: Il le faut.
M. Erasmus: Dans tous les domaines, qu'il s'agisse de la justice ou de la santé ou d'autre chose.
Le sénateur Johnson: C'est ce que je supposais. Votre commission préconise essentiellement une séparation politique et économique dans une large mesure, y compris un parlement autochtone.
Ma question porte sur le règlement des revendications territoriales, afin que les Autochtones puissent commencer à s'occuper de leurs propres problèmes. Je suppose que l'assise territoriale est la clé de votre avenir et de votre succès. Est-ce que cela signifie que l'autonomie gouvernementale sur votre propre territoire ne passe ni après, ni avant le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux? Est-ce que je comprends bien en disant que, de votre point de vue, les collectivités autochtones ont des responsabilités centrales pour toutes les questions qui présentent un intérêt crucial pour la vie et le bien-être d'un peuple autochtone en particulier, pour sa culture et pour son identité, mais qui n'ont pas une incidence majeure sur les secteurs de compétence voisins et ne représentent pas une grande préoccupation fédérale et provinciale? Qu'arriverait-il en cas de conflit?
M. Dussault: Tout d'abord, le défi consiste à amener les peuples autochtones à devenir des partenaires au sein de la fédération. Idéalement, cela aurait dû être fait en 1867. Comment le faire dans le contexte actuel, c'est là le véritable problème. Ce que nous écrivons dans notre rapport, c'est qu'à notre avis l'autonomie gouvernementale pourrait concilier autant les groupes autochtones que les individus et les harmoniser de façon productive au sein du Canada dans le cadre des juridictions provinciales et fédérale.
Les secteurs de compétence centraux sont des secteurs qui se rapportent à des cultures particulières et distinctes et qui pénètrent très profondément dans l'identité des peuples autochtones. De notre point de vue, l'article 35 contient assurément un droit ancestral de fonction gouvernementale.
Dans les régions périphériques, vous devez signer des ententes avec les autres gouvernements. Il est évident que tout devra être négocié en suivant un processus relatif aux traités, dans le cadre duquel il faudra aborder les secteurs de compétence, l'assise territoriale et les ressources, ainsi que les ententes financières. Nous ne parlons pas de créer des enclaves à l'intérieur desquelles les autres citoyens ne peuvent pas participer. Bien au contraire. Nous parlons de compétence territoriale.
Il est évident que la création, en fin de compte, d'un troisième ordre de gouvernement représente tout un défi. Toutefois, nous pensons qu'on peut le relever. On pourrait le faire dans le cadre de la Charte canadienne des droits. On pourrait le faire en impliquant une réciprocité; dans le domaine de l'éducation, par exemple, dans le domaine de la justice, et cetera, afin d'engendrer la paix et l'harmonie mais aussi le respect pour la collectivité en même temps que pour les individus. Nous estimons que cela pourrait bien fonctionner. C'est notre idée et notre vision de l'avenir.
Le sénateur Johnson: Je crois que ce qui m'a frappé le plus, c'est de constater que tant de choses peuvent être négociées, sans semer la discorde. Même si je n'ai pas étudié le rapport en détail, ce fut ma première réaction.
Comment voyez-vous ce qui s'est passé au Manitoba en matière d'autonomie gouvernementale jusqu'à présent, parce que c'est une des premières provinces où le concept a été lancé? J'ai été mis au courant de certaines des discussions. Êtes-vous satisfait de ce qui s'est passé là-bas jusqu'à maintenant?
M. Dussault: On va dans la bonne direction, mais cela couvre uniquement le domaine ancestral. C'est une évolution du gouvernement fédéral. Elle n'inclut pas les provinces à l'heure actuelle. C'est en cours d'évolution.
Le sénateur Johnson: Est-ce en train d'évoluer comme une sorte de modèle?
M. Dussault: C'est certainement un pas dans la bonne direction.
Le sénateur Johnson: Pensez-vous qu'il s'agisse d'une formule qui pourrait être utilisée?
M. Dussault: Oui.
M. Erasmus: Elle pourrait prendre de l'expansion au fil des ans car, du côté autochtone, on avait déjà voulu aborder, à un moment ou à un autre, la plupart des sujets qui figurent dans notre rapport. Lorsque nous nous sommes adressés aux deux parties, nous avons constaté une différence au niveau de l'interprétation des règles mais, du côté des Autochtones, on est plus proche de l'ensemble des points figurant à l'ordre du jour.
Le sénateur Johnson: On pourrait les inclure.
Le sénateur Twinn: Vous avez parlé d'un chiffre de 13 milliards de dollars pour les Autochtones. Avez-vous une sorte de ventilation des dépenses?
M. Erasmus: Vous voulez dire entre les peuples autochtones?
Le sénateur Twinn: Comment est dépensé ce montant de 13 milliards de dollars?
M. Dussault: Il est consacré aux mesures socioéconomiques, au règlement des revendications territoriales et aux institutions qu'il faut créer, comme les tribunaux.
Le sénateur Twinn: Avez-vous une ventilation en pourcentage?
M. Dussault: Le dernier exercice pour lequel nous pourrions rapprocher les dépenses provinciales et fédérales remonte à 1992-1993. Il y a eu 6 milliards de dollars pour les dépenses fédérales et 5,6 milliards de dollars pour les dépenses provinciales. Cela comprend les programmes ciblés et aussi le niveau d'utilisation des programmes généraux par les Autochtones, qui est beaucoup plus élevé dans les secteurs de la santé et de la justice, des services, et cetera.
Le sénateur Twinn: Ce que je veux dire, c'est qu'un fort pourcentage est consacré à la bureaucratie et aux commissions royales, et cetera, et qu'un montant plus modeste revient aux 300 000 Indiens vivant sur les réserves.
Lorsque nous parlons d'un troisième ordre de gouvernement, je me préoccupe de la bureaucratie supplémentaire que nous créons. Je ne montre pas du doigt le ministère des Affaires indiennes.
M. Dussault: C'est largement, si je puis dire, une question de responsabilité. À l'heure actuelle, tous les fonds proviennent du gouvernement fédéral. Lorsque les Autochtones auront une assiette fiscale, la responsabilité incombera aux électeurs, aux membres des nations, aux résidents du territoire. À l'heure actuelle, la difficulté réside dans le fait qu'il n'y a pas de base économique sur la plupart des territoires autochtones.
Vous pouvez dépenser imprudemment un paiement de transfert, mais si vous faites une bévue qui vous oblige à augmenter les impôts, les gens le ressentent beaucoup plus et se sentent davantage concernés et impliqués.
M. Erasmus: Nous ne parlons pas de la bureaucratie à Ottawa. Nous parlons de la nécessité de reconnaître qu'il existe des nations autochtones qui devraient gouverner. Elles seraient responsables de leurs propres affaires et adopteraient leurs propres lois. Le gouvernement fédéral devrait proposer des mesures législatives reconnaissant l'autonomie gouvernementale aux nations autochtones. Il reconnaît que les peuples autochtones ont un droit inhérent. Dès qu'il reconnaîtra une nation autochtone, il pourra légiférer en la matière.
Vous pouvez créer la structure gouvernementale que vous voulez. Si vous ne souhaitez pas de bureaucratie, inutile d'en créer une. Le pouvoir qui règne actuellement à Ottawa dans un ministère fédéral, en raison de l'existence de la Loi sur les Indiens, habilite le gouvernement fédéral à s'ingérer dans chaque minute de notre vie, depuis notre naissance jusqu'à notre mort. Ce serait terminé. Ce que vous auriez, c'est une relation entre gouvernements et le gouvernement autochtone rédigerait ses lois et créerait les structures qui s'avèrent nécessaires.
Le sénateur Twinn: Vous aimerez le projet de loi S-12.
Le sénateur Watt: À ce stade-ci, nos fonctionnaires ont-ils envisagé et examiné les changements internes qu'il faudra apporter pour se préparer à mettre en oeuvre ces changements?
M. Dussault: Sous le titre «transition», il y a une section qui énonce les diverses mesures à prendre. Tout d'abord, les peuples doivent décider s'ils veulent se regrouper et agir en tant que nation. Cette décision doit venir des véritables membres dans toutes les collectivités. Ensuite, ils doivent rédiger la constitution, envisager le partage ou la division des pouvoirs entre la communauté et le centre. Ils doivent établir des codes d'adhésion pour les membres. Ce sujet a été élaboré péniblement dans le rapport de façon très détaillée. Tout ceci est très important et doit être fait d'une façon ordonnée et équitable pour toutes les personnes impliquées et concernées.
La vice-présidente: Notre rencontre tire à sa fin. Je tiens à remercier les deux coprésidents qui ont partagé leurs points de vue avec nous. Je tiens également à remercier l'ensemble des membres de la commission qui ont mis au défi tant les chefs autochtones que les autres d'envisager de nouvelles façons de vivre dans notre pays. J'espère que la Commission royale sur les peuples autochtones remettra à sa place légitime dans le programme politique la nécessité d'aborder cette question, tant au niveau fédéral que provincial.
En ce qui concerne ceux d'entre nous qui viennent de provinces où l'on est confronté tous les jours à ce problème, nous acceptons nos responsabilités dans ce domaine. Toutefois, à mesure que les données démographiques changeront ailleurs, surtout dans les grosses villes comme Toronto, je m'inquiète en sachant que ces questions seront rayées des programmes par les leaders politiques. J'espère que votre rapport remettra le problème à sa vraie place, à savoir parmi les enjeux clés auxquels le Canada est confronté. Je ne partirai pas avant d'avoir constaté un certain leadership débordant d'imagination. Je vous remercie tous les deux pour avoir démontré ce genre de leadership.
En dehors de l'étude de votre rapport, y a-t-il quelque chose d'autre que nous pourrions faire, en tant que sénateurs, pour faire avancer les réformes que vous avez mentionnées?
M. Erasmus: Il y a beaucoup à faire pour instaurer la confiance au sein de la communauté autochtone. Il y a énormément de méfiance et de cynisme. Bon nombre d'Autochtones attendent que le gouvernement agisse. Après toutes ces études et ces délibérations, on s'attendra un jour à voir le gouvernement passer aux actes. Puisque vous constituez l'une des deux Chambres à Ottawa, vous disposez virtuellement de 50 p. 100 du pouvoir de l'encourager à agir. Vous pouvez présenter des projets de loi. Si le gouvernement n'agit pas, vous le pouvez.
M. Dussault: Il ne faudrait pas sous-évaluer la question afin d'accorder à ce rapport l'examen attentif qu'il mérite. Si les gens concluent que l'orientation et le principe sur lesquels il est fondé sont sains, il faudra prendre des mesures pour conserver notre élan. De toute évidence, en raison de la complexité et de l'ampleur de l'enjeu, le danger consiste à essayer de se tirer d'affaire sans modifier sensiblement la relation. Elle doit être rééquilibrée car elle s'adresse aux individus et aux groupes. Les sénateurs pourraient faire beaucoup de choses pour promouvoir une meilleure compréhension des enjeux. C'est le premier obstacle à franchir.
Le suivant consistera à promouvoir certains des points que les gens estiment sensés et valables.
Merci de nous avoir donné cette occasion de témoigner devant votre comité ce matin.
M. Erasmus: Un commentaire très rapide. Le sénateur a dit que j'aimerais son projet de loi. Nous nous préoccupons des souhaits des bandes individuelles qui ne veulent pas suivre la voie d'une nation ou pour lesquelles cette question est en veilleuse; ce n'est pas leur priorité à l'heure actuelle. D'autres collectivités et bandes feront beaucoup de choses différentes. Les collectivités iront individuellement de l'avant pour mousser leurs propres priorités, qu'il s'agisse d'essayer d'obtenir l'autonomie gouvernementale individuelle pour leur bande, de réaliser des priorités économiques, des priorités sociales, ou de régler les abus sexuels, comme c'est le cas dans certaines collectivités du Nord du Manitoba. C'est évidemment ainsi que les choses se dérouleront.
Cette manière de faire ne nous pose aucun problème. Nous suggérons au gouvernement d'agir rapidement dans tous ces domaines, parce que les changements structurels nécessaires pour appliquer ces traités historiques, pour préparer le terrain en vue de leur application, pour s'occuper d'une assiette territoriale élargie et d'un troisième ordre de gouvernement, prendront beaucoup de temps.
La vice-présidente: Merci beaucoup.
La séance est levée.