Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 11 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 4 mars 1997
Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 16 h 30, dans le but d'examiner le projet de loi C-60, Loi portant création de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence.
Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui les représentants de la Fédération canadienne de l'agriculture. Vous avez la parole.
M. Jack Wilkinson, président, Fédération canadienne de l'agriculture: Monsieur le président, je tiens à vous remercier de nous avoir invités à comparaître devant vous aujourd'hui. Comme vous le savez tous, le régime de recouvrement des coûts, de manière générale, et l'agence d'inspection des aliments, de manière plus précise, sont des sujets qui intéressent au plus haut point le milieu agricole. Nous aimerions, aujourd'hui, aborder avec vous certaines questions et vous formuler deux recommandations.
Nous avions déjà proposé, une première fois, que le comité consultatif rende des comptes au ministre. Nous sommes heureux de voir que notre suggestion a été retenue.
La Fédération est d'accord, depuis le début, avec l'idée de rationaliser le système afin de le rendre plus efficace. J'espère que, dans la foulée, des mesures seront également prises pour améliorer la qualité du système dans certaines provinces. À notre avis, cette démarche constitue un pas dans la bonne direction, étant donné qu'elle permettra d'éliminer les chevauchements et les dédoublements, et de réaliser des économies. Voilà pour les compliments.
Nous avons encore deux ou trois réserves à formuler au sujet du projet de loi. Il y a d'abord la question de la responsabilité. Le fait de créer une agence indépendante nous inquiète dans une certaine mesure. Nous sommes passés d'un organisme qui oeuvre au sein d'un ministère et qui relève directement du ministre, à un organisme qui est indépendant du gouvernement. Dans le premier cas, le ministre rend des comptes à la Chambre et s'occupe de répondre aux questions et aux préoccupations des associations comme la nôtre. Or, la responsabilité de l'agence indépendante est bien différente dans un régime de recouvrement des coûts. C'est un facteur qui nous préoccupe. Nous sommes donc heureux de voir que le comité consultatif relèvera du ministre, qui se chargera d'aplanir toutes les difficultés que pourrait poser la définition du rôle de l'agence.
L'autre point que nous trouvons inquiétant, ce sont les détails qui accompagnent le budget. Le barème des droits doit être déposé dans un mois. Nous pensions que le budget de l'agence serait rendu public et que nous aurions en main tous les renseignements concernant le fonctionnement du système. Or, tout ce que nous avons, c'est le budget du ministère lui-même qui prévoit un manque à gagner de 9,3 millions de dollars. On peut supposer que ce montant restera le même au cours de la première année d'existence de l'agence.
On a laissé entendre qu'il n'y aura pas de nouveaux droits pour le recouvrement des coûts pendant la première année, soit du 1er avril 1997 au 31 mars 1998. Nous savons qu'une nouvelle batterie de droits sera imposée le 1er avril 1997. Tout cela suscite, au mieux, un certain scepticisme et de la méfiance, vu que le budget même du ministère de l'Agriculture prévoit un manque à gagner la première année.
La composition et les responsabilités du comité consultatif nous inquiètent également. Nous aurions voulu que le comité soit constitué plus tôt de manière à pouvoir faire des recommandations au sujet de l'agence, répondre aux questions relatives au budget et aux autres points que j'ai soulevés. On propose de créer un comité consultatif formé de 12 membres. Il y aura sûrement un grand nombre de fonctionnaires provinciaux qui voudront en faire partie. Or, nous estimons essentiel que le comité soit composé en majorité d'agriculteurs. Ces derniers devraient être choisis à partir d'une liste que les divers groupes de producteurs spécialisés et les associations agricoles fourniraient au ministre.
Le comité consultatif, pour être efficace, doit avoir des liens avec les associations agricoles qui connaissent bien les problèmes et les préoccupations du milieu. Les groupes de producteurs spécialisés qui vont participer aux négociations avec le nouveau comité et les associations agricoles, comme la nôtre, qui entretiennent des liens étroits avec les intervenants à tous les niveaux, y compris les producteurs, devraient pouvoir dresser une courte liste de candidats dont peut servir le ministre. Il est essentiel que le comité consultatif, au cours de cette période de transition, soit composé de représentants du milieu agricole.
À la page 3 de son mémoire, la FCA prie le comité de ne pas approuver l'entrée en vigueur de la loi tant qu'un plan d'activités et un budget n'auront pas été dressés et que la Chambre des communes ne les aura pas approuvés. Il faut prendre en compte les résultats des consultations avec l'industrie, dans le plan d'activité et dans le budget de l'Agence.
Le financement de l'agence constitue, depuis le début, un sujet de controverse. Comme je l'ai déjà indiqué, le barème des droits sera bientôt déposé, tandis que le budget, lui, se fait toujours attendre. Les groupes ne savent toujours pas à combien s'élèveront les droits.
La Fédération craint qu'on ne veuille suivre l'exemple de l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire. Il restait encore des questions à régler au dernier stade des négociations avec cette agence, bien qu'on semble maintenant voir la lumière au bout du tunnel.
Comme le budget de l'agence prévoit un manque à gagner de 9,3 millions de dollars, nous ne voulons pas que sa création donne lieu à de nouvelles initiatives de recouvrement des coûts. Il faudrait que l'on calcule la facture totale du recouvrement des coûts que paie le secteur agricole et qu'on en évalue les conséquences pour les producteurs et l'industrie de la transformation.
Manifestement, nous continuons d'avoir des réserves, tout comme nous en avions lorsque nous avons comparu devant le comité permanent de l'autre endroit. À ce moment-là, de nombreux participants avaient fait part de leurs préoccupations au comité. Il y avait parmi eux des représentants du conseil des viandes, des transformateurs de volailles et des groupes de producteurs spécialisés. En fait, nous risquons, dans certains secteurs, de perdre l'avantage concurrentiel que nous détenons en raison du régime de recouvrement des coûts. Ces questions ne peuvent être réglées isolément. Elles ont un effet cumulatif, bien que les consultations entourant cette agence aient été plus fructueuses que d'autres. Nous en sommes conscients. Toutefois, il subsiste des problèmes qui pourraient être réglés par les deux recommandations que nous formulons. De plus, des recommandations avisées venant du Sénat faciliteraient la transition et permettraient aux agriculteurs de participer de façon active au processus décisionnel.
Le ministre de l'Agriculture, dans le discours qu'il a prononcé mercredi soir dernier lors de notre assemblée annuelle, a indiqué clairement que cette transition aura des impacts cumulatifs de manière générale, et que certains secteurs seront plus durement touchés que d'autres par le recouvrement des coûts. Il a laissé entendre que des changements pourraient être apportés, ce qui, pour nous, constitue un facteur positif. Les problèmes que soulève cette question peuvent et doivent être réglés. Il ne faut pas aller de l'avant à plein régime avec ce projet et faire semblant que tout va pour le mieux. L'industrie de la transformation des aliments est, dans une large mesure, soumise à la concurrence. Nous voulons que nos transformateurs et producteurs soient en mesure de rivaliser avec les autres. D'où les suggestions que nous avons faites.
Mme Sally Rutherford, directrice générale, Fédération canadienne de l'agriculture: Nous avons de la difficulté à composer avec certains aspects du projet de loi.
Cette mesure législative tient lieu de loi habilitante. Les préoccupations qui ont été soulevées n'ont, pour la plupart, rien à voir avec les dispositions précises du projet de loi parce que celui-ci sert de cadre. Ce qui nous inquiète avant tout, c'est ce qui risque de se produire à l'intérieur de ce cadre. Le fait est que nous ne participerons pas vraiment aux décisions qui seront prises à l'intérieur de ce cadre.
Nous pourrons compter sur le comité consultatif. Nous espérons qu'il sera efficace. Toutefois, nous ne connaissons ni les objectifs du comité ni son mandat, puisqu'ils ne sont pas définis dans le projet de loi. Compte tenu de la nature du projet de loi, c'est probablement avec intention que ces renseignements ont été omis. Or, nous sommes en train de mettre sur pied une agence qui va régir l'industrie alimentaire du Canada et nous ne savons rien à son sujet. Je présume que les fonctionnaires ici présents le savent, mais les autres groupes intéressés n'ont aucune idée des politiques qui vont découler de ce processus.
C'est une question plus vaste, mais qui rejoint directement les préoccupations soulevées par M. Wilkinson, à savoir que nous ne savons rien du budget et nous ne savons pas comment le manque à gagner sera comblé. Il n'y a pas de lien direct avec le ministre, comme c'était le cas dans le passé quand, par exemple, l'inspection relevait de la Direction générale de la production et de l'inspection des aliments.
Ces questions ne sont pas rattachées aux points précis qu'a soulevés M. Wilkinson, mais constituent néanmoins une source d'inquiétude. Elles suscitent de plus en plus d'intérêt, vu que les agences de ce genre ne cessent de croître. Notre expérience, jusqu'ici, a été plutôt négative. Nous espérons obtenir de meilleurs résultats avec cette agence-ci. Toutefois, il est important de reconnaître que nous nous aventurons en terrain inconnu, que la prudence s'impose, et que tous les intervenants doivent participer au processus.
Le sénateur Rossiter: Vous avez dit tous les deux que l'expérience récente avec l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire n'a fait que renforcer vos craintes pour ce qui est de la question de la responsabilité. Pouvez-vous nous donner plus de précisions?
M. Wilkinson: Ce qui nous inquiète, ce sont les détails, par exemple, le nombre de personnes qui seront affectées à chaque secteur. Le budget, jusqu'à tout récemment, n'était jamais fixe. Ce n'est pas à partir d'un processus de consultation comme celui-là qu'on devrait définir un nouveau partenariat. Quand on remplace un système par le régime de recouvrement des coûts, il faut redéfinir le partenariat. Les agriculteurs ne sont pas les seuls à le penser. En fait, nous estimons que le processus devrait être plus ouvert. Nous avons toujours voulu maintenir un haut niveau d'activité, tout en favorisant un dialogue plus ouvert.
Dans le cas de l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, nous ne sommes pas d'accord avec le rôle qu'elle remplit dans bon nombre de secteurs d'activité. Nous pensions être invités à participer à des études, selon les ententes que nous avions conclues dans le passé. Or, elle interprétait les choses d'une façon, et nous, de l'autre. Il était donc très difficile d'amener le directeur de l'agence à changer d'orientation. Ce n'est pas le genre de partenariat qui devrait exister.
Nous attendons toujours que les intervenants se réunissent pour faire recommandations. Le comité consultatif n'existe pas. Les droits fixés ont déjà été publiés dans la Gazette du Canada, et ils seront bientôt publiés une deuxième fois. Or, il reste encore de nombreuses questions à régler, même s'il y a eu, récemment, des signes encourageants de ce côté-là de la part du ministre de la Santé. Toutefois, ce n'est qu'après avoir exercé des pressions sur lui et dépensé beaucoup d'énergie que les choses ont commencé à bouger. Ce n'est pas le genre de partenariat que nous préconisons.
La question de la responsabilité nous préoccupe. Est-ce que nous allons pouvoir amener certaines de ces agences à rendre des comptes, comme nous l'avons fait dans le passé, en exerçant des pressions sur les députés, les sénateurs et autres groupes, ou allons-nous nous faire dire qu'il s'agit d'une agence indépendante auprès de laquelle un ministre du cabinet ne devrait pas intervenir? Nous pourrions presque être tenus en otage, selon les personnes en cause.
Le sénateur Rossiter: Depuis combien de temps l'agence existe-t-elle?
Mme Rutherford: Depuis à peu près un an et demi. La semaine dernière, d'autres mesures concrètes ont été prises. Nous commençons enfin à avoir des résultats.
Ce qui est intéressant, et c'est peut-être le point le plus important, c'est que tout le débat tourne autour de l'agence fédérale d'inspection des aliments, l'obligation de rendre des comptes, la différence de culture. Lorsque nous avons rencontré Marcel Massé il y a quelques semaines, il a dit que le secteur privé avait une culture différente de celle du gouvernement, des bureaucrates. Il n'est pas facile de concilier les deux. Manifestement, cela pose souvent des problèmes aux bureaucrates. Pour nous non plus, ce n'est pas facile.
Les règles du jeu ne semblent pas être équitables. En effet, le secteur privé se trouve dans une position désavantageuse puisqu'il est exclu du processus. C'est une source d'inquiétude. Nous ne cherchons pas à accuser qui que ce soit d'avoir des motifs cachés. Toutefois, nous traversons une période de changement et tout le monde doit s'adapter. Nous ne voulons pas être obligés de nous adapter collectivement à un système où nous ne relèverons plus directement d'un ministère, mais d'une agence indépendante d'un ministère. Les ministres n'ont plus l'impression de diriger ces agences et c'est pourquoi il est important de bien réfléchir au mécanisme de responsabilité que nous voulons instaurer.
On nous dit que l'agence devra soumettre un rapport au Parlement. Franchement, soumettre un rapport au Parlement une fois par année, c'est bien beau, sauf que les problèmes ne sont jamais exposés dans ce rapport, sauf lorsqu'il y a une crise majeure. Ce n'est pas un système efficace, surtout lorsqu'une grande part des dépenses de l'agence sont assumées par le secteur privé. Le public, s'il est tenu des verser des droits, doit avoir son mot à dire au sujet du fonctionnement de l'organisme.
Peu importe la distinction que l'on fait entre l'intérêt public et l'intérêt privé, l'intérêt public prime dans bon nombre de domaines où, franchement, le secteur privé n'a pas à intervenir et ne devrait pas intervenir. Le gouvernement a un rôle à jouer dans bon nombre de ces domaines. Le secteur privé, les utilisateurs qui versent des droits, devrait avoir l'occasion d'intervenir dans certains cas. Le fait qu'on puisse nous tenir en otage, qu'on puisse nous dire que nous sommes obligés de payer ces droits à défaut de quoi nous n'aurons pas notre permis d'exportation, et c'est ce qui s'est produit lors de certaines négociations, ne constitue pas, à notre avis, un mécanisme de consultations adéquat.
Le sénateur Rossiter: La FCA est considérée comme un intervenant dans une agence comme celle-ci. Est-ce qu'il y a des membres de la Fédération au sein du comité consultatif, ou est-ce que vous vous attendez à ce qu'il y en ait?
M. Wilkinson: En fait, au début, M. Franklin ne nous considérait pas comme un intervenant. Les fabricants de produits chimiques qui ont fait des démarches auprès de l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire étaient considérés comme des intervenants. Nous avons lutté pour instaurer le processus de consultation que nous jugions nécessaire, surtout pour fixer les droits et régler une foule d'autres questions.
Nous avons proposé des candidats. Nous présumons que nous ferons partie du comité consultatif. En toute honnêteté, en ce qui concerne l'agence d'inspection, il y a de nombreux intervenants au sein des groupes de producteurs spécialisés dont nous proposerions la candidature parce qu'ils connaissent très bien le genre de système qui conviendrait à leur secteur particulier.
L'important, à notre avis, c'est qu'il y ait un lien direct avec les agriculteurs parce que, en toute justice, les nominations politiques conviennent dans certains cas, mais pas dans d'autres. Si l'on veut que le système jouisse d'une certaine crédibilité, il faut alors traiter le processus de nomination avec respect pour faire en sorte qu'il y ait un juste équilibre entre les groupes représentés et donner à tous la possibilité de prendre part aux décisions. Nous avons de sérieux problèmes à régler à cause des enjeux qui existent.
Comme l'a mentionné Mme Rutherford, de nombreux secteurs d'activité continuent d'être placés sous la responsabilité du gouvernement. Les membres de la Fédération craignent qu'on aille trop loin au chapitre de la privatisation. La qualité des services pourrait être compromise. Toutefois, il y a des secteurs d'activité où la qualité ne constitue pas un enjeu, où il est clair que le problème peut être réglé de nombreuses façons, que ce soit au moyen de technologies ou de méthodes nouvelles, ou encore de mesures comme l'évitement et la réduction des coûts.
Pour ajouter à ce que Mme Rutherford a dit, nous avons l'impression que le gouvernement a une longueur d'avance sur le milieu agricole. Les gouvernements signent parfois des accords commerciaux qui nous mettent en concurrence directe avec de nombreuses personnes, et nous avons très peu de temps pour nous adapter. Or, on nous dit constamment que si nous avons tellement de difficulté à nous adapter, c'est parce que notre façon de voir les choses est démodée. C'est ce que les ministres nous disent.
Il est pénible de se faire imposer de nouveaux frais, de voir que les choses évoluent si lentement d'un côté, mais si vite l'autre.
Le sénateur Spivak: Est-ce que les employés de cette agence ne sont pas des fonctionnaires? Ne doivent-ils pas rendre des comptes au ministère? Où y a-t-il absence de responsabilité? Du côté du financement ou du processus décisionnel?
Mme Rutherford: Un peu des deux. Les activités de l'agence dépendent du financement de celle-ci.
Le projet de loi prévoit la création d'une agence qui sera composée d'un président et d'un premier vice-président qui exerceront un contrôle sur le budget. Le budget de l'agence ne sera plus inclus dans celui du ministère de l'Agriculture et de l'agro-alimentaire. Par conséquent, bien que l'agence relève du ministre, elle n'est pas tenue de rendre des comptes à ce chapitre. Nous ne disons pas qu'il y a absence de responsabilité, mais que cette responsabilité est plus ténue. Il est plus difficile de convaincre quelqu'un de changer quelque chose dans ces circonstances.
Le sénateur Spivak: Avez-vous demandé, lors des consultations, qu'on crée un conseil plutôt qu'un comité consultatif?
Mme Rutherford: Oui. Nous n'avons pas appuyé l'option retenue. Nous voulions que l'agence continue de relever du ministère, essentiellement pour une question de responsabilité.
Le sénateur Spivak: Est-ce qu'on aurait pu quand même appliquer le régime de recouvrement des coûts?
Mme Rutherford: Oui. Ce régime existe dans d'autres ministères. Il n'y a pas de problèmes de ce côté-là.
Le sénateur Spivak: Pourquoi a-t-on choisi ce modèle?
Mme Rutherford: On trouvait que c'était le moyen le plus efficace de regrouper les autres ministères. Le ministère de l'Agriculture et de l'agro-alimentaire est chargé de l'inspection des aliments. L'Agence de réglementation de la lutte anti-parasitaire a eu de la difficulté à fusionner les activités des trois ministères concernés. Ce n'est jamais facile. Ce modèle était peut-être perçu comme étant le plus efficace même si, pour d'autres, il peut constituer une source de problèmes.
Le sénateur Spivak: Vous avez demandé que l'on calcule la facture totale de recouvrement des coûts. Que voulez-vous dire au juste? Est-ce que vous voulez qu'on analyse l'impact des initiatives de recouvrement des coûts? Savez-vous à combien s'élève actuellement la facture totale de recouvrement des coûts?
Mme Rutherford: Personne ne le sait, même pas le gouvernement. C'est ce qui nous préoccupe. Il est quasiment impossible d'avoir même un chiffre approximatif.
Le sénateur Spivak: Quand le régime de recouvrement des coûts a-t-il été institué?
Mme Rutherford: Il y a 10 ou 12 ans. Ce n'est pas un concept nouveau, quoique depuis trois ans, on mise beaucoup là-dessus. Ce n'est que maintenant que l'on commence à en voir l'impact.
M. Wilkinson: Par exemple, nous avons eu beaucoup de réunions avec l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire. La question des droits a été abordée, mais ce n'est que lorsqu'ils ont été publiés dans la Gazette du Canada que nous avons su comment les droits seraient appliqués et selon quel barème. Nous avons eu l'occasion de faire des observations. Le ministre n'a pas encore pris de décision, mais il peut encore réagir aux centaines de commentaires qu'il a reçus au sujet des droits, des craintes entourant la perte de certains produits, ainsi de suite.
Le ministre de l'Agriculture a assisté à notre assemblée annuelle, qui a eu lieu mercredi, à Victoria. Il a indiqué que les fonctionnaires étaient en train de revoir certains droits qui s'appliquent à l'agence et qui touchent certains produits plus durement que d'autres. Nous ne savons pas à quoi aboutiront ces négociations. Des groupes représentant des producteurs se sont fait dire que l'examen est en cours et que tout est en suspens pour l'instant.
Le gouvernement a fourni des prévisions. Il a prévu un budget de 120 millions de dollars, mais d'après ce que nous avons vu, ces prévisions sont très générales et ne comportent aucune ventilation.
Cette question nous préoccupe, tout comme celle de l'effet cumulatif. Mais cela ne s'applique pas uniquement à ce projet de loi-ci. L'effet cumulatif n'a jamais été évalué. C'est ce que M. Massé a dit.
Le sénateur Spivak: Comment ces droits sont-ils répartis? Qui paie tous ces droits?
Mme Rutherford: C'est pour cette raison, entre autres, qu'il est difficile de calculer les coûts. Cela dépend de ce que vous faites et de l'endroit où vous vivez. Si vous êtes un producteur de pommes de terre en Alberta, vous devez verser des frais d'inspection et plusieurs autres droits pour pouvoir cultiver et vendre votre produit. Vous allez probablement être obligé de les faire transporter par camion.
Si vous vivez à l'Île-du-Prince-Édouard, vous serez sans doute obligé de les acheminer par bateau. Il y a d'autres frais qui devront être payés, et c'est ce qui complique les choses. Il y a des frais maritimes, des frais de service et des frais portuaires qui, une fois additionnés ensemble, présentent un problème majeur. L'industrie de la pomme de terre à l'Île-du-Prince-Édouard souffre déjà beaucoup.
La question de la responsabilité et du financement nous préoccupe beaucoup. Nous ne disons pas que personne ne sait ce qu'il convient de faire. Il est vrai que nous avons des problèmes de ce côté-là. Nous devons peut-être agir avec plus de prudence, être plus ouverts au sujet de ce qu'il conviendrait de faire à l'avenir.
Il faut absolument que les coûts soient calculés de concert avec les intervenants pour que ce projet soit une réussite.
Le sénateur Spivak: Résumons donc. Un organisme va être créé. Vous n'exercez aucun contrôle sur le nombre d'employés que l'agence va recruter, ou la façon dont elle va mener ses activités. C'est elle qui va décider si elle va louer des locaux qui coûtent 100$ ou 200$ le pied carré. Ces dépenses seront incluses dans les droits qui seront payés. Est-ce que l'absence de contrôle qui vous inquiète? Est-ce pour cela que vous voulez un plan d'activité?
M. Wilkinson: En partie, oui. Par exemple, on est censé faire une distinction -- et je sais que ce n'est pas facile --, entre l'intérêt public et l'intérêt privé. Lorsque l'intérêt privé est en cause, on peut s'attendre à ce qu'il y ait un certain recouvrement des coûts. Des dollars seront transférés du ministère, via le financement de base ou autre, à l'agence. Ces fonds, en théorie, serviront à payer pour ce qui est perçu comme étant un bien public.
La plupart des inspections sont effectuées au profit non pas du producteur, mais du consommateur, du public, pour garantir un niveau de qualité irréprochable.
Or, il y a d'autres domaines, et nous le reconnaissons, où c'est l'intérêt du producteur ou du transformateur qui prime. À cet égard, nous sommes prêts à payer le prix demandé. Toutefois, celui-ci varie considérablement en fonction du service et des normes de qualité. Les directives du Conseil du Trésor sont très souples à cet égard. Il y a plusieurs façons de s'y conformer. On peut avoir recours, par exemple, à des mesures d'évitement des coûts, de réduction des coûts et, enfin, de recouvrement des coûts. En théorie, ces directives ne visent pas à affaiblir notre position concurrentielle. Ce n'est pas leur objectif.
Un fonctionnaire pourrait dire qu'une hausse de 6 p. 100 ne vous nuira pas sur le plan de la concurrence. D'autres, comme les exportateurs de semences, vont dire que ce pourcentage correspond à leur marge de profit et que s'ils perdent ce 6 p. 100, il n'y aura plus aucune raison de produire des semences pour l'exportation.
Comment régler ce problème? Quand l'intervention de l'agence s'avère-t-elle néfaste pour une entreprise? Quand et comment est-elle censée intervenir? Certains vont dire que, dans un domaine en particulier -- peut-être les laboratoires vétérinaires privés --, il est plus efficace de se conformer aux normes du gouvernement. La personne qui dirige une entreprise et qui est obligée de mettre des employés à pied voit peut-être les choses différemment. Elle peut décider de continuer d'offrir des services gouvernementaux à un certain prix et ensuite de facturer ses clients.
Il reste de nombreuses questions comme celles-là à régler. Comme l'a mentionné Mme Rutherford, il y a différentes approches et cultures. Jusqu'où peut-on aller pour trouver une solution?
Si le système est trop complexe et qu'aucun mécanisme de responsabilité n'est prévu, il sera difficile de régler ces problèmes à l'avenir. Comprenez-vous notre frustration?
Le sénateur Spivak: Oui. Qu'est-ce que vous proposez? Devrions-nous modifier le projet de loi? Devrions-nous l'adopter et faire quelques suggestions?
M. Wilkinson: Nous l'indiquons clairement à la page 3 de notre mémoire:
La FCA prie le comité de ne pas approuver l'entrée en vigueur de la loi tant qu'un plan d'activités et un budget n'auront pas été dressés et que la Chambre ne les aura pas approuvés. Il faut prendre en compte les résultats des consultations avec l'industrie dans le plan d'activités et dans le budget de l'agence.
Il aurait fallu créer le comité consultatif avant que le projet de loi ne soit déposé. De cette façon, il aurait participé à la préparation du budget et du plan d'activités. Au lieu de cela, le comité consultatif ne sera formé qu'après la création de l'agence. Il fera des recommandations sur les responsabilités de l'agence dans certains secteurs, alors que nous ne connaissons même pas le mandat de celle-ci. Nous devons attendre de connaître son mandat avant de définir ses tâches, de déterminer qui convoquera les réunions, ainsi de suite. Ce sont des questions qui doivent être réglées d'avance.
La deuxième recommandation se trouve à la page 4. La création de l'agence ne doit pas donner lieu à de nouvelles initiatives de recouvrement des coûts. Il est essentiel de calculer la facture totale du recouvrement des coûts que paie le secteur agricole et d'en évaluer les conséquences pour les producteurs et l'industrie de la transformation.
Si, à la suite des négociations initiales, les coûts récupérés sont inférieurs à ce qui était prévu dans le budget et avant de se tourner vers le secteur pour combler le manque à gagner, il faudrait analyser l'impact qu'aura sur la concurrence de notre secteur ce manque à gagner.
Le sénateur Spivak: Je présume que tous ces arguments ont été présentés au comité de la Chambre des communes?
Mme Rutherford: Oui.
M. Wilkinson: Oui.
Le sénateur Taylor: Vous n'avez pas parlé de notre position concurrentielle vis-à-vis des Américains et de l'ALÉNA. Quatre sénateurs se sont rendus à Washington la semaine dernière et c'est une des questions qui me préoccupait en tant que parrain de ce projet de loi. J'ai demandé aux sénateurs et aux membres du Congrès ce qu'ils comptaient faire au sujet du recouvrement des coûts. Avant de partir, on m'avait laissé entendre que cette pratique était moins courante là-bas qu'ici. Or, ils m'ont affirmé que, dans le cas de l'industrie du boeuf par exemple, 70 p. 100 des coûts allaient être récupérés par l'imposition de frais. Le gouvernement bougeait très vite de ce côté-là.
Ce ne sont pas seulement les producteurs qui devraient payer, mais le public aussi, parce que les inspections permettent à un producteur d'avoir accès aux marchés d'exportation. La qualité des services d'inspection peut agir de façon positive sur la réputation d'un pays. Les producteurs vont réaliser plus de profits et payer plus d'impôts. Le fait d'avoir un bon système d'inspection sert l'intérêt public. L'industrie française du champagne et l'industrie australienne du vin sec en sont de bons exemples.
Les Américains ont clairement dit que si nos frais d'inspection étaient inférieurs aux leurs, ils n'hésiteraient pas un instant à qualifier cela de subvention artificielle.
Je pense que l'American Federation of Labour s'est prononcée contre l'imposition de frais, quoiqu'on s'attendait à ce qu'elle le fasse. Avez-vous essayé de vous entendre avec vos homologues américains pour harmoniser les systèmes d'inspection et les systèmes de recouvrement des coûts dans l'industrie alimentaire?
Mme Rutherford: Si nous n'en parlons pas dans notre mémoire, c'est parce qu'il n'est pas question de droits dans ce projet de loi. Cette mesure législative vise uniquement à créer une agence. C'est un point qui nous préoccupe.
Le sénateur Taylor: Toutefois, vous savez que des droits seront imposés.
Mme Rutherford: L'adoption de ce projet de loi n'aura aucun impact sur les droits. Ce projet de loi vise uniquement à créer un cadre, et c'est à l'intérieur de ce cadre que les droits seront fixés. C'est pourquoi nous avons des inquiétudes au sujet de la responsabilité et du financement, parce que ces questions ne sont pas abordées dans le projet de loi. Cette mesure législative ne fait que donner à l'agence le pouvoir de fixer des droits, sans préciser la nature de ces droits et le montant de ceux-ci. Cette question nous préoccupe.
Le sénateur Taylor: Vous êtes inquiets au sujet de votre participation à ce processus.
Mme Rutherford: Nous sommes inquiets au sujet de notre participation au processus et de l'impact que cela aura sur notre position concurrentielle.
Le sénateur Taylor: C'est pour cela que je vous demande si vous avez songé à harmoniser notre système avec le système américain.
Mme Rutherford: Cela peut avoir un impact sur notre position concurrentielle. Nous avons rencontré nos homologues américains. Ils ont des inquiétudes au sujet du régime de recouvrement des coûts et de nombreuses autres questions. Nous avons surtout parlé des pesticides en raison des problèmes que nous avons eus là-bas. On continue de nous dire que les droits aux États-Unis sont beaucoup plus élevés qu'ici. C'est faux. Nous savons que les États-Unis imposent des droits dans plusieurs autres domaines. Dans bon nombre des cas, les droits imposés aux Canada seront les mêmes ou légèrement plus élevés. Il n'y a pas beaucoup de cas où les droits seront moins élevés.
Les Américains sont prêts à utiliser n'importe quelle mesure comme prétexte à un différend commercial. Franchement, ce que nous faisons n'a pas d'importance. Ils trouveront un moyen de dire qu'il s'agit d'une subvention. Nous ne pouvons tout simplement pas arrêter et dire que nous n'allons rien faire.
M. Wilkinson: À part cela et en qui concerne les États-Unis, aux termes du GATT, de l'ALÉNA et plus particulièrement de l'OMC, la recherche, le développement, la formation et l'éducation sont exempts des mesures de compensation. Même si les États-Unis peuvent dire, comme vous l'avez signalé, qu'il s'agit là de subventions et pourraient nous amener devant un groupe spécial, le fait est qu'ils perdraient leur cause.
Une autre de nos préoccupations c'est que nous avons une longueur d'avance par rapport aux États-Unis. Ce n'est pas toujours une bonne chose pour un producteur que d'avoir une longueur d'avance et des normes plus élevées ou d'être le premier à adopter un régime de recouvrement des coûts ou à faire autre chose. Il y a parfois un avantage, du point de vue concurrentiel, à traîner un peu derrière les autres. Même s'ils proposent une série de droits d'utilisation dans certaines régions aux États-Unis, à ce que nous sachions, comme l'a dit Mme Rutherford, ce qui va être mis en place en avril nous donnera une très bonne longueur d'avance.
Nous ne sommes pas les seuls à penser ainsi. Il ressort clairement des témoignages présentés devant le comité de la Chambre des communes que les transformateurs de viande et d'autres craignent au plus haut point de perdre leur position concurrentielle. La population en général n'est pas consciente de la grande ouverture de la frontière canado-américaine en ce qui a trait au commerce des produits agricoles. Un léger changement n'importe quand peut faire la différence entre un porc sur pied transporté dans une salaison de l'autre côté de la frontière et le retour du produit transformé ici. Le Conseil des viandes a bien fait ressortir cette préoccupation. Ses représentants ont affirmé que le niveau de recouvrement des coûts au Canada nuirait à la compétitivité de leur secteur. Je ne sais pas dans quelle mesure ils disent vrai, mais je sais qu'ils l'ont dit officiellement devant le comité de la Chambre.
Nous craignons beaucoup de ne pas être, une fois de plus, au diapason de la situation aux États-Unis. Cela peut avoir une grave incidence à court et moyen terme. Comme l'a dit Mme Rutherford, à moins de disposer d'un bon processus pour régler ces questions -- pour les quantifier et les qualifier -- nous risquons d'être aux prises avec un problème majeur.
Nous nous battons pour l'harmonisation et pour que des changements soient apportés au système en ce qui a trait aux pesticides depuis la signature de l'Accord canado-américain de libre-échange, plus particulièrement en ce qui a trait aux produits horticoles et à d'autres biens et services marchands de même qu'en ce qui concerne les tarifs perdus. Le gouvernement de l'époque s'était dit déterminé à tenter de se pencher sur l'harmonisation. Nous en sommes encore loin. Les tarifs seront bientôt éliminés, s'ils ne le sont pas déjà. L'Accord aura bientôt 10 ans. Il n'est guère étonnant que les producteurs perdent patience vu qu'ils sont constamment aux prises avec des problèmes de ce genre. Nous ne voulons pas que cela se produise.
Le sénateur Taylor: Vous dites que vous voulez contribuer à la recherche d'une solution et vous reconnaissez le fait que des droits d'utilisation sont imposés de part et d'autre de la frontière. Est-ce que le système que nous avons commencé à mettre en place qui, sans être parfait, prévoit une unité distincte composée d'un président, d'un sous-ministre et d'un comité consultatif, ne permet pas mieux que l'ancien système de garantir cette harmonisation à long terme ainsi que votre contribution, quand on s'adresse à un gouvernement très fortement majoritaire? Un peu de contrôle ne serait-il pas préférable? Dans l'ancien système, il était possible d'embaucher tous les inspecteurs que l'on voulait et cela était caché dans le coût. N'avait-on pas tendance dans l'ancien système, alors que le gouvernement prenait toutes les responsabilités, à mystifier le processus et à intégrer les coûts à l'inspection? Cette nouvelle méthode ne sera-t-elle pas plus ouverte et ne permettra-t-elle pas de rationaliser afin de pouvoir réduire les coûts? Je parle comme un Américain converti aux valeurs du marché, ce que je ne suis pas, mais je veux vous entendre là-dessus.
M. Wilkinson: Si, en fait, on allait à l'extérieur des ministères et que l'on confiait à des gens du secteur privé la responsabilité de l'agence, les choses se dérouleraient peut-être comme vous le dites. Dans bien des cas, les dirigeants du service ministériel se retrouveront à la tête de l'agence.
Le sénateur Taylor: D'après les plaintes que je reçois de l'autre côté, on s'inquiète du licenciement de 500 ou 1 000 inspecteurs.
M. Wilkinson: Art Olson est responsable de la nouvelle Agence canadienne d'inspection des aliments et il était à sa tête auparavant.
Le sénateur Taylor: Vous parlez du premier dirigeant. On se plaint des compressions de personnel.
M. Wilkinson: Je suis sûr qu'ils se plaignent des compressions qu'on fait à leur personnel, mais qu'est-ce qui ferait croire aux gens que la nouvelle agence changerait radicalement d'approche quand, dans les faits, on se retrouve avec un grand nombre des mêmes joueurs? Il n'y a rien dans le système qui exerce des pressions extrêmes pour réaliser des économies. Par exemple, dans le cas de l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, nous avons exercé beaucoup de pressions pour que le comité consultatif participe à l'avant-projet de loi. Il n'était même pas sûr, tant que d'énormes pressions n'ont pas été exercées sur eux, que le comité des intervenants économiques ferait partie intégrante du système. La législation habilitante est à ce point générale que ce genre de choses peut dépendre de la relation que nous entretenons avec le ministre qui s'occupe de la création de ces agences. Nous ne savons toujours pas, par exemple, qui siégera au sein du comité consultatif de l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire. Nous avons proposé des noms et nous espérons que des gens compétents seront choisis pour nous représenter, mais ça reste à voir.
Je ne vois rien dans le système qui donnerait le résultat dont vous parlez.
Je vous ai peut-être mal compris. J'ai cru vous entendre dire que nous avions plus ou moins convenu que les choses se font au même rythme au Canada et aux États-Unis. Il n'y a rien je crois dans le mémoire ou dans ce que nous avons dit qui suggérerait qu'il s'agisse là de notre point de vue. En fait, je crois que nous avons dit le contraire. Compte tenu de l'information que nous avons, nous craignons d'être déphasés par rapport à ce qui se passe chez l'une nos principaux partenaires commerciaux. Nous croyons que cela peut nuire à notre compétitivité.
Le sénateur Taylor: Préférez-vous l'ancien système à celui qui s'annonce maintenant ou voulez-vous un système complètement différent de l'ancien?
Mme Rutherford: À vrai dire, notre mémoire traite de la mesure législative elle-même.
Le sénateur Taylor: Vous ne contestez donc pas le système, vous voulez simplement l'améliorer.
Mme Rutherford: C'est exact. Nous comprenons très bien qu'il faille réaliser des économies et changer la façon de faire les choses, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du ministère. Le modèle que vous avez sous les yeux n'est pas notre premier choix. On aurait pu l'intégrer au sein du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire en tant que direction. Il a été décidé de créer l'agence. C'est un fait maintenant.
Nous essayons d'améliorer la situation. Peu importe le modèle, cette mesure législative fournit une structure. Ce qui nous inquiète avant tout, c'est la façon dont elle sera garnie. Ça revient à cela.
Le sénateur Taylor: Vous avez une Chevrolet et vous voulez une Oldsmobile.
Mme Rutherford: Non, il se peut que ce soit l'inverse.
Le sénateur Taylor: Vous voulez à tout le moins que les pneus soient bien gonflés.
Mme Rutherford: Nous voulons être en mesure d'aller chez le concessionnaire et de prendre la décision. Nous ne voulons pas que quelqu'un nous donne la Chevrolet et, qu'après l'avoir examinée de près, nous décidions que nous aimerions mieux l'Oldsmobile. C'est peut-être l'inverse. Il se peut que nous ayons l'Oldsmobile et que nous voulions vraiment une Chevrolet. Nous payons la facture et nous ne pouvons choisir les options.
Le sénateur Taylor: L'impression que j'ai eue après avoir écouté les représentants du ministère, c'est que les gros producteurs auront davantage leur mot à dire par rapport à l'heure actuelle. En effet, si vous assumez une partie des coûts, vous avez le droit d'exiger de savoir comment l'argent est dépensé. Auparavant les représentants du gouvernement faisaient des inspections et acceptaient ou rejetaient vos produits. En réalité, vous avez eu droit au chapitre en ce qui a trait au paiement de droits. Vous avez automatiquement eu droit au chapitre, il y a quatre ans au moment des élections.
Mme Rutherford: Beaucoup d'entreprises peuvent faire faillite en quatre ans.
M. Wilkinson: Avec tout le respect que je vous dois, croyez-vous vraiment que des représentants du ministère viennent à ce comité ou à un autre comité pour dire qu'ils commettent là une incroyable erreur, qu'ils ne devraient pas s'engager dans cette voie, qu'ils ont échoué, que les agriculteurs n'ont pas leur mot à dire et que leurs plaintes sont parfaitement justifiées?
Comme nous avons affaire à deux cultures différentes, nous avons des recommandations à faire à ce comité. Nous croyons qu'elles sont indiscutables. De nombreux organismes nous appuient à cet égard. Nous venons tout juste de tenir notre assemblée générale annuelle où tous nos membres nous ont fait savoir que le recouvrement des coûts reste un problème majeur. Ils aimeraient que d'autres changements soient apportés dans la façon de présenter les choses et dans le mode de fonctionnement.
Le sénateur Taylor: Nous entendrons aussi des gens du ministère se plaindre du système. Autrement dit, la parfaite harmonie ne règne pas de l'autre côté. Cela peut nous laisser douter de nous, mais les deux côtés n'aiment pas le projet de loi.
Le sénateur Anderson: J'ai entendu beaucoup de critiques au sujet du régime de recouvrement des coûts dans le secteur de l'agriculture. Est-ce que je vous entends bien dire que, jusqu'à maintenant, aucune évaluation n'a été faite du régime pour lequel paie à l'heure actuelle le milieu agricole?
M. Wilkinson: C'est exact.
Le sénateur Anderson: Autrement dit, personne ne sait le montant total des droits d'utilisation qu'un agriculteur paie à l'heure actuelle.
M. Wilkinson: Agriculture Canada a récemment publié un chiffre global de 120 millions de dollars.
Lors de notre participation aux délibérations du comité permanent de la Chambre des communes, nous avons parlé à des représentants du Conseil du Trésor qui ont admis ouvertement n'avoir effectué aucune évaluation globale de la répercussion du régime de recouvrement des coûts sur l'agriculture. Ils ont admis ouvertement qu'il est presque impossible de procéder à une telle évaluation étant donné ses répercussions à divers degrés sur quelque 40 secteurs. Ils ne sauront pas exactement ce que les taux seront même le 1er avril et ce que certains autres seront plus tard. Aucune évaluation de la répercussion sur la compétitivité n'a été faite selon le Conseil du Trésor. Les représentants du Conseil ont indiqué qu'ils devraient se pencher là-dessus ultérieurement.
Le sénateur Anderson: J'ai jeté un coup d'oeil aux principales dispositions de la mesure législative. Je remarque que le projet de loi autorisera le ministre à conclure des accords avec un ou plus d'un gouvernement provincial afin de créer des sociétés fédérales-provinciales. A-t-on fait quelque chose à cet égard?
Mme Rutherford: Jusqu'à maintenant?
Le sénateur Anderson: Oui.
Mme Rutherford: Je ne suis pas sûre. Je crois que non. Je suis sûre que M. Doering pourrait répondre à cette question plus directement. Dans le cadre d'une conversation antérieure, M. Doering a parlé d'accords conclus avec certaines provinces mais pas avec d'autres.
Nous comprenons qu'il faut changer le fonctionnement du système d'inspection. À l'heure actuelle, il s'agit là d'un problème majeur. L'inspection se fait à tellement de niveaux qu'une harmonisation s'impose à l'intérieur du Canada, sans parler des États-Unis. Le besoin d'harmonisation est beaucoup plus évident au Canada qu'il ne l'est de l'autre côté de la frontière. Nous devons disposer ici d'un système bien rodé qui nous permettra d'être sûrs que les produits que nous exportons satisfont à tous nos critères. C'est l'un des principaux sujets de préoccupation.
Pour ce qui est des sociétés, je crois comprendre que des dispositions ont été prises avec les provinces à propos de la manière dont elles veulent fonctionner. Certaines provinces sont heureuses de déléguer la responsabilité au gouvernement fédéral, contrairement à d'autres. Tout ce que nous voulons, c'est que l'harmonisation au sein du Canada se fasse le plus rapidement possible.
Le sénateur Anderson: J'ai également remarqué que le projet de loi donne à l'agence le mandat de conclure des contrats, ententes ou autres accords avec d'autres parties. Cela signifie-t-il que l'on privatise les services d'inspection?
Mme Rutherford: Potentiellement, oui. Dans certains cas, ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Cela dépend du cas particulier et si, du point de vue des intéressés, il s'agit d'une mesure appropriée. C'est l'un des secteurs où nous voulons être sûrs que les intéressés participent activement aux décisions, lesquelles ne doivent pas être prises uniquement par les directeurs de l'agence. Il est évident que le comité consultatif doit être informé de ce qui va se produire.
L'autre question est celle du montant des droits. Si on a le choix entre un laboratoire privé qui permet d'économiser de l'argent et le laboratoire actuel qui coûte beaucoup plus cher pour le même genre de service, que vaut-il mieux choisir? Du point de vue de l'industrie, si le service est équivalent, si la privatisation entraîne des coûts beaucoup moins élevés et ne présente aucun risque, il est évident que c'est la solution à retenir.
Le classement du boeuf et du porc est un bon exemple à ce sujet. Cette fonction a été privatisée et les normes sont les mêmes. Dans le cas du boeuf, il est clair maintenant -- car le système est opérationnel depuis un certain temps -- que les coûts sont beaucoup moins élevés. L'industrie du porc prévoit que ses coûts seront également considérablement moins élevés pour ce genre de service. Il y a donc des façons de rationaliser les processus. En matière de concurrence, c'est le genre de chose qui, à notre avis mérite d'être envisagé. Il faut trouver des solutions aux vrais problèmes.
M. Wilkinson: Je compléterais les propos de Mme Rutherford en disant que le classement est un mécanisme de fixation des prix. Je ne veux pas que les membres du comité le confondent avec les services d'inspection.
L'industrie elle-même dirait: «Peu nous importe que nous soyons privatisés, car cela n'influera pas sur la qualité des aliments. Ce qui importe, c'est l'évaluation de la qualité de la carcasse et le prix à payer à l'agriculteur», et cetera. Il est possible qu'ils aient clairement indiqué être en faveur de la privatisation de certains éléments des services d'inspection, dans la mesure où les normes officielles sont respectées. Nul n'est plus intéressé par le maintien de la réputation des aliments que l'agriculteur ou l'industriel. La réputation du Canada, tant sur le marché intérieur que sur le marché international, est notre meilleur argument de vente.
Il y a beaucoup d'éléments que nous n'aimerions pas voir privatisés. Le classement détermine s'il s'agit d'un prix «A», «B» ou «C» pour l'agriculteur, ce qui n'a rien à voir avec l'inspection.
Le président: Est-ce que d'après vous, les agriculteurs devront payer plus par suite de ce projet de loi? De toute évidence, c'est ce qui vous inquiète. Par exemple, le prix des engrais est devenu excessif. Les sociétés d'engrais devraient pouvoir supporter certains des coûts. Pouvez-vous nous donner une indication de la ventilation qu'il faudrait envisager, selon vous?
M. Wilkinson: Pour l'instant, des engagements fermes ont été pris; ainsi, d'ici la date «X», il n'est absolument pas prévu de procéder à d'autres recouvrements de coûts. C'est sûr et certain.
Nous allons suivre l'évolution de la situation. Il est difficile de croire que d'autres gouvernements ne penseront pas à procéder au recouvrement des coûts pour augmenter les revenus, si les budgets ne sont pas équilibrés, et cetera. Nous espérons que cela n'arrivera jamais, mais c'est un des points que nous avons vivement contestés à l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire. Les droits qui se répercutent sur les agriculteurs vont bien au-delà de la notion légitime de recouvrement des coûts; c'est notre point de vue et celui de bien d'autres. En fait, ces droits relèvent maintenant davantage de la production de revenus. C'est la raison pour laquelle nous avons été si agressifs au sujet de l'avantage privé et du bien public. Nous voulons que le prix baisse et nous devrions bénéficier d'un taux beaucoup plus bas.
Dès que l'on prend le chemin du recouvrement des coûts, il devient facile de dire: «Peut-être faudrait-il prévoir une augmentation de 5 p. 100.» Personne ne sait ce qui va se passer après une certaine date budgétaire ou autre. Toutefois, les deux parties disent qu'elles n'ont pas l'intention de revenir sur la question du recouvrement des coûts.
Ce qui nous inquiète, c'est qu'en cas de manque à gagner, le gouvernement se chargera-t-il de régler la question ou se tournera-t-il vers le secteur en lui disant: «Nous avons besoin de 9,3 millions de dollars de plus dans cette loi.» Pour l'instant, nous sommes sans défense face à cette éventualité et n'avons aucune idée de ce que pourrait être la décision.
Le président: À votre avis, le comité consultatif est impuissant.
M. Wilkinson: Nous ne connaissons pas le mandat du comité consultatif. Nous vous recommandons en fait de renvoyer le projet de loi en recommandant clairement que le mandat et la composition du comité consultatif soient établis assez tôt pour que nous en connaissions les pouvoirs. Pour l'instant, la loi habilitante ne confère aucun mandat au comité consultatif.
Mme Rutherford: Il existe un précédent, un comité consultatif a déjà été constitué avant l'adoption d'une loi. Je veux parler de l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire. Il n'a pas vraiment bien fonctionné, mais c'est un précédent.
Si tous les intéressés le veulent bien, ce genre de situation peut donner de bons résultats. Ce projet de loi va être bientôt adopté et il n'y a pas de raisons pour lesquelles le comité consultatif ne peut pas être nommé immédiatement pour qu'il puisse commencer son travail. Nous préférerions que le mandat et le budget soient déposés avant la mise en vigueur de la loi.
Le sénateur Spivak: Je ne connais pas assez la loi, mais vous vous inquiétez des normes. Rien ne garantit que le recouvrement des coûts n'aura pas la priorité sur les normes. C'est déjà arrivé ailleurs. Y a-t-il quelque chose dans la loi qui permettrait de l'éviter?
Mme Rutherford: Nous n'avons pas d'inquiétude à ce sujet. Nous sommes persuadés que les responsables savent bien que, s'ils ne font pas correctement leur travail, la situation deviendra infernale et l'industrie commencera à battre de l'aile.
Nous ne cherchons pas à mettre leurs intentions en doute ni à envisager la question sous cet angle. Il n'a jamais été dit que la création de l'agence favoriserait une baisse des normes. Tout le monde veut des normes élevées. La question que nous nous posons est la suivante: comment équilibrer et appliquer ces normes de la façon la plus efficace et rentable possible?
Le président: Si personne n'a d'autres questions à poser, j'aimerais vous remercier d'avoir comparu cet après-midi pour présenter votre position au nom de la Fédération de l'agriculture.
Notre prochain témoin représente le Syndicat de l'agriculture -- AFPC.
Monsieur Leng, veuillez présenter votre collègue.
M. Larry R. Leng, président national, Syndicat de l'agriculture -- Alliance de la fonction publique du Canada: Je suis accompagné aujourd'hui par Steve Jelly, adjoint spécial de Daryl Bean, président de l'Alliance de la fonction publique du Canada.
J'aimerais remercier le comité sénatorial de m'inviter à comparaître à l'occasion de son étude du projet de loi C-60, Loi portant création de l'Agence canadienne d'inspection des aliments.
Le Syndicat de l'agriculture, secteur de l'Alliance de la fonction publique du Canada, a le privilège de représenter de 3 000 à 4 500 fonctionnaires dont le poste doit être transféré à la nouvelle agence. L'automne dernier, j'ai eu l'occasion de comparaître devant le comité de la Chambre lors de son examen du projet de loi C-60. À ce moment-là, j'ai souligné que nous appuyons en principe la centralisation des services d'inspection des aliments sous une seule agence et j'ai soulevé plusieurs problèmes quant au processus que le gouvernement a choisi d'utiliser pendant la mise en place de l'agence.
Dans une grande mesure, les inquiétudes dont j'ai fait part au comité de la Chambre à propos de la salubrité des aliments, de la structure de l'agence et des relations de travail restent les mêmes aujourd'hui. À mon avis, l'impact potentiel de la loi -- sous son libellé actuel -- sur la salubrité des aliments est la question la plus importante sur laquelle votre comité devrait se pencher au cours de son étude du projet de loi C-60. À cet égard, nous nous inquiétons en particulier du fait que la nouvelle agence aura le pouvoir, en vertu du paragraphe 13(3), de déléguer l'inspection et d'autres fonctions au secteur privé.
Les membres de votre comité doivent comprendre que même si le Canada n'est pas le premier pays au monde à encourager l'inspection privée, il crée légalement la nouvelle agence de manière à transformer rapidement les services d'inspection au cas ou d'autres pays, notamment les États-Unis, modifieraient leur réglementation pour permettre l'inspection privée.
Comme les membres de votre comité le savent probablement, le gouvernement canadien a participé à plusieurs rencontres internationales au sujet des services d'inspection et du fait que de tels services pourraient ne plus relever explicitement du gouvernement, mais faire partie d'un système hybride où le rôle du gouvernement serait réduit à un contrôle de l'inspection privée.
Lors des rencontres auxquelles j'ai participé, tant au Canada qu'aux États-Unis, le gouvernement canadien a adopté une position plus ou moins neutre à l'égard de services d'inspection assurés par des sociétés productrices et a semblé prêt à suivre la décision prise par le gouvernement américain. Malgré sa position officielle de neutralité, je sais que le gouvernement a eu avec des producteurs des discussions au cours desquelles il a encouragé les ouvertures faites par l'industrie au sujet de la dévolution des services d'inspection. Le fait que de telles discussions aient lieu est une source de préoccupation. Le fait que le gouvernement se soit lancé dans ces discussions, tant au pays, avec des producteurs, que sur la scène internationale avec d'autres gouvernements, sans lancer de débat public au Canada, est déraisonnable. C'est pour cela que nous n'avons de cesse d'encourager le gouvernement du Canada à instaurer le dialogue avec les Canadiens de manière à indiquer ouvertement et honnêtement sa position au sujet de la question des services d'inspection des aliments assurés par des sociétés productrices.
Nous espérons que votre comité se fera l'écho de ce sentiment et encouragera avec nous le gouvernement à instaurer un débat public sur la salubrité des aliments. Nous espérons que vous irez plus loin et que vous amenderez le projet de loi C-60 de manière que seuls les employés de l'agence soient habilités à appliquer et administrer les diverses lois dont l'agence est responsable en vertu de l'article 11 projet de loi C-60.
Les membres du comité doivent comprendre que notre position à cet égard n'est pas unique. Bien au contraire, le gouvernement américain est en plein processus consultatif. En outre, la législation américaine exige précisément que les services d'inspection du gouvernement américain soient assurés par des fonctionnaires.
Permettez-moi d'expliquer pourquoi l'inspection assurée par des sociétés productrices n'est pas une bonne idée et pourquoi elle risque de miner la protection dont jouissent actuellement les Canadiens. Si le projet de loi C-60 est adopté sous son libellé actuel, l'inspection par des sociétés productrices sera autorisée en vertu du paragraphe 13(3), lequel traite de la délégation des pouvoirs. À notre avis, de par sa nature, l'inspection par les sociétés productrices est un conflit d'intérêt.
Le fait est que les inspecteurs employés par les sociétés productrices seront redevables à leur employeur et non au public. C'est particulièrement le cas dans un pays comme le Canada où les travailleurs ne sont pas protégés comme il le faudrait de mesures disciplinaires prises arbitrairement, lorsqu'ils s'élèvent contre les politiques et les mesures de leurs employeurs.
En outre, même dans les pays où des lois dénonciatrices existent, les employés dénonciateurs doivent prendre une décision individuelle. En bref, des inspecteurs fonctionnaires -- qui travaillent dans le cadre de la loi et qui suivent les règlements -- protègent mieux le public et contestent davantage les politiques et les mesures des sociétés productrices que des inspecteurs employés par celles-ci.
Par conséquent, je crois qu'il est inopportun que des employés du secteur privé remplissent les fonctions traditionnelles des inspecteurs fonctionnaires. Ces employés du secteur privé ne devraient en aucun cas assurer des services d'inspection, d'évaluation et de vérification ante-mortem, post-mortem, carcasse par carcasse ou oiseau par oiseau dans le cadre de l'Analyse des risques et maîtrise de contrôles critiques. La question qu'il faut régler à mon sens est la suivante: comment un système d'inspection gouvernemental adéquat et efficace peut-il fonctionner dans le contexte des compressions budgétaires et des restrictions des dépenses?
Le Canada et d'autres pays se penchent de façon urgente sur la question suivante: «Qui doit payer les services d'inspection?» L'industrie semble dire que le recouvrement des coûts, total ou autre, ne devrait pas se faire et que, si l'industrie doit payer la facture, elle devrait alors avoir le contrôle du processus et du choix des inspecteurs. Du point de vue de mon syndicat, les services d'inspection doivent être assurés par les gouvernements et payés à même les recettes générales, puisqu'il s'agit de services essentiels pour ce qui est de la sécurité publique et que, au bout du compte, l'État en a la responsabilité.
Cela étant dit, le fait est que les restrictions des dépenses et les compressions budgétaires ont donné lieu à une réduction des services d'inspection, ce qui, pourrait-on soutenir, compromet le système de salubrité des aliments. En outre, il semble normal de demander à l'industrie de payer une partie du coût de l'inspection, puisqu'elle en profite directement. Toutefois, il faut établir les taux de recouvrement des coûts avec soin, pour éviter qu'à un moment donné, l'intégrité du système d'inspection ne soit minée. En d'autres termes, si les droits deviennent trop élevés, les sociétés saperont le système d'inspection.
Les membres de votre comité doivent comprendre qu'en tant que système autonome, le système d'analyse des risques et maîtrise de contrôles critiques n'a pas été mis à l'épreuve. Par conséquent, ce serait une expérience dangereuse pour l'intégrité du système alimentaire et la sécurité des Canadiens.
Notre dernière observation au sujet de l'inspection et de la qualité des aliments est justifiée. L'industrie et le gouvernement du Canada ont adopté le système d'analyse des risques croyant qu'il peut entraîner la production d'aliments sûrs. Les membres de mon syndicat qui participent activement au système de l'inspection des aliments croient que même si le système d'analyse des risques peut être utile, il n'est pas une panacée. Pour être clair, alors que ce système peut améliorer le contrôle de la qualité effectuée par les sociétés productrices, il ne doit pas remplacer les services d'inspection traditionnels. En d'autres termes, le système d'analyse des risques et maîtrise de contrôles critiques doit être appuyé par d'autres programmes, tels que l'assainissement préparatoire et l'inspection appropriée.
J'aimerais maintenant parler de la structure de la nouvelle agence telle que proposée dans le projet de loi C-60. Bien que nous n'ayons rien contre le fait que la nouvelle agence sera dirigée par un président et un vice-président qui rendront compte au ministre, à notre avis, le comité consultatif qui est proposé est inadéquat et insuffisant. Pour être plus clair, à notre avis, le mandat et la représentation du comité consultatif sont déficients à de nombreux égards. Premièrement, en créant un comité consultatif plutôt qu'un conseil d'administration, le gouvernement limite les pouvoirs de surveillance de l'agence.
Deuxièmement, le comité consultatif ne peut intervenir que lorsque le ministre lui soumet une question. À ce titre, le comité consultatif restera très impuissant. Nous croyons que le comité consultatif devrait avoir le pouvoir de conseiller le ministre et l'agence sur toute question qu'il considère importante, ainsi que sur toutes les questions que lui soumet le ministre. De même, nous croyons que votre comité et le comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire de la Chambre des communes devraient avoir la possibilité de soumettre des questions au comité consultatif.
Troisièmement, la composition du comité consultatif laisse beaucoup à désirer. Étant donné que le gouvernement a l'intention de se servir de l'agence comme d'un moyen qui, tel qu'il est indiqué dans le budget de 1996, «facilitera la transition à une plus grande participation des provinces, conduisant à un système vraiment national», nous croyons que la loi devrait veiller précisément à une représentation provinciale adéquate au sein du comité consultatif. De même, nous constatons que le gouvernement n'a pas inclus les syndicats dans la liste des secteurs qui peuvent compter des représentants au sein du comité consultatif.
Tout compte fait, l'AFPC croit que le comité consultatif devrait avoir le mandat d'examiner les activités de l'agence et de conseiller cette dernière et le ministre, peu importe qu'on lui en fasse ou non la demande. En outre, nous croyons que le comité devrait être structuré de façon à garantir une participation équilibrée qui inclut la représentation syndicale et une plus grande représentation des gouvernements provinciaux que ne le propose le projet de loi C-60.
Avant de conclure, j'aimerais dire quelques mots au sujet de l'environnement de la négociation collective envisagé dans le projet de loi C-60 et des relations entre l'agence et les autres ministères du gouvernement. Dans les premiers entretiens qu'ils ont eus avec nous, les ministères en cause ont indiqué que le contexte de la négociation collective et des relations de travail était ouvert. Cela dit, les ministères ont avancé trois options, à savoir le statu quo, le Code canadien du travail et le statut d'employeur distinct au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.
L'AFPC a été très claire sur le sujet dès le départ en disant que les fonctionnaires fédéraux actuels seront gravement désavantagés lorsque leurs postes seront transférés à la nouvelle agence, à moins que le statu quo ou le Code canadien du travail ne soit adopté comme structure de relations de travail pour la nouvelle agence. Pendant que le projet de loi C-60 était rédigé, le gouvernement a rejeté cette position, parce qu'il craignait que le Code canadien du travail ne pourvoie pas à la désignation des fonctionnaires. Le gouvernement est déterminé à légiférer sur le statut d'employeur distinct au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, ce qui est tout à fait inapproprié. Autrement dit, pendant que le gouvernement acceptait de procéder à des consultations, il ne tenait tout simplement pas compte des positions légitimes qu'avançaient les syndicats. Par ailleurs, le gouvernement a pris cette position même si l'AFPC avait indiqué verbalement et par écrit qu'elle était prête à discuter un processus de désignation applicable à la nouvelle agence, et l'a fait, à notre avis, malgré le fait que le statut d'employeur distinct ne soit pas dans l'intérêt du gouvernement ou de tout autre intervenant, y compris l'industrie.
Le sénateur Spivak: Vous avez entendu la réponse à la question que j'ai posée, à savoir si cette agence pourrait risquer d'abaisser les normes. Les représentants de la Fédération canadienne de l'agriculture ne semblent pas le penser. Vous avez donné votre opinion, mais pourquoi pensez-vous que des organismes privés pourraient ne pas rechercher de normes élevées? Il me semble au contraire que selon eux, des normes élevées sont l'argument de vente des aliments canadiens.
Je suis très sceptique. Il y va de l'intérêt du public que les producteurs n'inspectent pas les aliments qu'ils produisent.
M. Leng: Si les sociétés productrices emploient leurs propres inspecteurs, à qui ces derniers seront-ils redevables? J'ai déjà travaillé dans le domaine de l'inspection. Ce qui compte, c'est la santé et la sécurité du public, ainsi que le marché de l'exportation; or, un ou deux mauvais exploitants pourraient anéantir le marché de l'exportation du Canada. C'est là le vrai problème.
Le sénateur Spivak: Lorsque nous étions aux États-Unis, nous avons vu des chiffres sur le nombre de décès par suite d'intoxication alimentaire. En France, il y en avait moins de cinq, au Canada, zéro, et aux États-Unis, 9 000. Les inspecteurs américains proviennent-ils de sociétés productrices privées?
M. Leng: Ce n'est pas uniquement le problème, le fait est aussi qu'il y a actuellement pénurie d'inspecteurs aux États-Unis. Après l'incident Jack-in-the-Box où trois ou quatre enfants ont perdu la vie, le président Clinton a annoncé une augmentation du nombre des inspecteurs d'usine. J'ai parlé avec des inspecteurs américains et ils s'inquiètent de la façon dont le système s'érode.
Très certainement, le Canada, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et l'Australie ont participé à des rencontres et l'Australie est en faveur d'un seul vétérinaire et d'un seul inspecteur par usine, le reste des services d'inspection étant confié aux usines. Il y a également eu des poussées de toxi-infection alimentaire dans ce pays. Lorsque je m'y trouvais, une petite fille est morte après avoir consommé de la viande contaminée. Il y a des poussées également au Japon et en Écosse. Il y a maintenant en Australie une grave poussée de fièvre charbonneuse et de fièvre Q.
Le sénateur Spivak: C'est un exemple de la privatisation rampante; tout doit être privatisé, sous prétexte que c'est rentable. Qu'en est-il de la sécurité et quelles garanties ce projet de loi nous offre-t-il à cet égard?
M. Leng: Il n'y a pas de garantie dans le projet de loi, lequel dit exactement le contraire; les services d'inspection peuvent être privatisés. Cela ne devrait pas se passer dans notre pays. Nous avons l'un des meilleurs systèmes d'inspection alimentaire au monde et nous n'avons jamais eu de problème. Pourquoi commencer à l'affaiblir?
Le sénateur Spivak: Pourquoi n'y a-t-il pas eu davantage de publicité? Je n'ai pas vu grand chose dans les journaux.
M. Leng: Je reçois beaucoup d'appels des médias au sujet de divers scénarios que je leur explique. Ils me répondent: «À moins que quelque chose de terrible n'arrive, à moins que nous ne puissions en faire de titres à sensation, nous n'allons pas en parler.» Pourquoi ne pas prévenir avant de guérir?
Le sénateur Taylor: Votre témoignage me paraît aller à l'encontre de celui des autres témoins. Vous dites que si nous commençons à imposer des droits, les services d'inspection empireront en quelque sorte. Par conséquent, nous mettons la santé publique en péril. D'autres témoins ont dit exactement le contraire. À cause de l'excellence de notre réputation, on sera très pointilleux. En d'autres termes, on exagérera. Je compare la situation à celle des inspecteurs français ou australiens du vin qui ont toujours eu tendance à imposer des normes plus strictes que nécessaire afin de pouvoir se vanter d'avoir les meilleurs produits. Qu'en pensez-vous?
M. Leng: Je n'ai pas dit que je n'étais pas d'accord avec le concept de recouvrement des coûts, mais il y a une limite à ne pas dépasser. La Nouvelle-Zélande impute des frais correspondant à 120 p. 100 et l'Australie paye 70 000 $ pour un inspecteur et 100 000 $ pour un vétérinaire. Les sociétés disent qu'elles peuvent le faire à moindre coût. Au Canada, vous demandez près de 6 000 $ pour un inspecteur et les sociétés ne peuvent pas le faire moins cher. Elles nous considèrent comme parfois un mal nécessaire, mais elles ne veulent pas trop voir d'inspecteurs chez elles. Elles disent qu'elles peuvent faire une partie de ce travail et que nous devrions nous contenter de les contrôler. Cela revient à brûler les étapes et nous nous y opposons.
Le sénateur Rossiter: J'imagine que vous aimeriez que le comité consultatif ait un mandat.
M. Leng: Oui.
Le sénateur Rossiter: Quelles seraient vos recommandations quant à la composition d'un comité consultatif, et comment devrait-il fonctionner?
M. Leng: Les provinces finiront par être d'accord; il ne faudrait qu'une seule agence d'inspection au Canada. Il ne devrait pas y avoir les deux systèmes. Vous devez assurer la représentation des provinces et des syndicats. Vous devriez assurer la représentation des industriels, des producteurs et aussi de l'Association des consommateurs du Canada. Il faudrait arriver à un équilibre de manière qu'aucun secteur ne domine le comité consultatif. C'est la raison pour laquelle nous ne sommes pas en faveur d'un conseil d'administration. La sur-représentation de l'un ou l'autre secteur détruirait l'agence elle-même. Le comité consultatif est une bonne idée et il devrait être étendu, mais tous les groupes doivent y être également représentés.
Le sénateur Rossiter: Faudrait-il une ordonnance particulière pour qu'il se réunisse une fois par mois?
M. Leng: Cela peut être décidé une fois qu'il est opérationnel. Comme je l'ai dit dans ma déclaration liminaire, ce comité, le comité de l'agriculture de la Chambre et le ministre, devraient pouvoir soumettre des questions à ce comité ou conseil consultatif. Il devrait avoir le mandait de se réunir trois ou quatre fois par an ou lorsque nécessaire. Je sais que nous avons des réunions avec le ministère qui sont prévues périodiquement. Toutefois, en cas de besoin, nous convoquons des réunions. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas procéder de la sorte.
Le sénateur Rossiter: Il devrait y avoir un nombre minimal de réunions.
M. Leng: Oui. Je dirais également que s'il n'y a rien à débattre, les réunions ne devraient pas avoir lieu. On fixe parfois des réunions tous les mois, sans ordre du jour. Des réunions devraient être prévues trois ou quatre fois par an. S'il n'y a rien à débattre, il faudrait les reporter.
Le président: Merci, monsieur Leng, de nous avoir présenté votre point de vue.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.