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BORE

Sous-comité de la Forêt boréale

 

Délibérations du sous-comité de la Forêt boréale
du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 7 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 21 avril 1997

Le sous-comité de la forêt boréale du comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 17 h 04 pour poursuivre l'étude de l'état actuel et des perspectives d'avenir des forêts au Canada.

Le sénateur Doris M. Anderson (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts a entamé son étude de la forêt boréale canadienne par une mission d'étude dans les provinces de l'Ouest, l'automne dernier, et nous accueillons maintenant des témoins représentant divers ministères qui s'occupent des forêts, des associations industrielles et divers autres groupes. La mission de l'automne dernier a fait ressortir un certain nombre de préoccupations au sujet de la gestion des forêts, du rôle du gouvernement fédéral et de la possibilité d'assurer une exploitation durable du plus important système écologique forestier au Canada.

Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Brian Emmett, qui a été nommé au poste de commissaire à l'environnement et au développement durable en juin 1996. Je vous présente également Antonine Campbell, directrice du service de liaison avec le Parlement au Bureau du vérificateur général et du commissaire à l'environnement et au développement durable.

Je crois savoir que vous avez un exposé à nous présenter, monsieur Emmett.

M. Brian Emmett, commissaire à l'environnement et au développement durable: J'ai mis à votre disposition quelques exemplaires de mon rapport au Parlement et d'une déclaration écrite dont je n'ai pas l'intention de donner lecture, à votre grand soulagement. Je traiterai cependant de façon assez libre de certains des points clés de mon premier rapport et de ma déclaration écrite.

Le premier rapport est évidemment important, à mon sens, non qu'il contienne énormément de choses, ni même un peu, sur la question des forêts à proprement parler, mais il m'a paru important de prendre un bon départ et d'expliquer au Parlement ma conception de ma mission, mon plan de travail et mes priorités. Je tenais à m'assurer que l'orientation que je donne au nouveau travail que le Parlement m'a confié, ainsi qu'au vérificateur général, était bien la bonne.

En essayant d'envisager l'avenir et de tracer mon plan de travail, je me suis posé au départ deux questions clés. La première: pourquoi avons-nous maintenant un commissaire? Pourquoi en a-t-on nommé un? Ma réponse, c'est qu'il existe des préoccupations profondes au sujet de la performance du gouvernement fédéral en matière d'environnement. Ces préoccupations s'expriment clairement dans l'opinion, dans les milieux environnementalistes et chez les parlementaires. Elles ont trouvé un écho dans une promesse du livre rouge des libéraux, qui ont proposé de nommer un vérificateur général indépendant chargé de l'environnement, et elles se sont manifestées à divers endroits sur une longue période. Dans les recherches que j'ai faites pour rédiger mon premier rapport, j'ai constaté que nombre de ces inquiétudes étaient bien fondées et que des mesures correctrices s'imposaient.

La deuxième question que je pose de temps à autre se rapporte au titre de mon poste, commissaire à l'environnement et au développement durable. Le mandat n'est pas limité à l'environnement. Cela révèle selon moi que les Canadiens veulent trois choses: une économie qui est bien gérée et qui fonctionne bien, au sens traditionnel; des normes de qualité environnementale élevées, qui semblent s'améliorer; et enfin l'équité et la justice, notamment en ce qui concerne le patrimoine à laisser aux générations à venir. Le titre de mon poste montre que l'on comprend que le Parlement veut qu'une personne s'intéresse à l'environnement et à ses liens avec l'économie.

Pour rédiger mon premier rapport, je n'ai fait aucun travail nouveau; j'ai plutôt passé en revue un important corpus de travaux déjà réalisés. J'ai puisé à trois sources principales. Au Bureau même du vérificateur général, j'ai passé en revue 42 rapports sur l'environnement et sur des questions connexes. J'ai parcouru avec soin la transcription des délibérations du comité permanent de l'environnement et du développement durable des Communes, qui a abordé un certain nombre de ces questions, et je me suis aussi servi de la documentation préparée par l'OCDE dans son examen de la performance du Canada en matière environnementale. L'une de mes dernières missions au ministère de l'Environnement a été de me rendre à Paris pour défendre le bilan du Canada au cours d'une séance menée selon le dispositif de la tortue.

À l'examen de ces rapports, je remarque une grande constatation qui est répétée tant et plus: les Canadiens sont animés par de bonnes intentions. Nous avons dans l'élaboration de la politique un rôle créateur, innovateur et reconnu dans le monde entier. Mais il existe des problèmes de gestion et de mise en oeuvre.

J'ai signalé dans le rapport trois grandes questions. Tout d'abord, il arrive beaucoup trop souvent que nous manquions à notre parole. Nous avons de bonnes intentions, mais nous n'agissons pas en conséquence. Dans mon rapport, j'ai parlé de l'écart entre les objectifs et la réalité. L'expression a été largement reprise depuis deux ou trois mois.

J'ai remarqué, deuxièmement, qu'il arrivait fréquemment que les ministères ne collaborent pas dans des dossiers qu'il est de plus en plus difficile de limiter à un seul ministère. Ils ne coordonnent pas leur action et ne travaillent pas ensemble très volontiers. Au fil de mes recherches, j'ai lu le rapport de la Commission Crombie sur le secteur riverain de Toronto. Ce texte m'a beaucoup frappé.

Au cours de mes études de deuxième cycle en économie, on m'a enseigné que le marché ne fonctionnait pas toujours bien, et qu'il ne respectait pas certaines valeurs de la société, notamment en matière d'environnement, et que l'État avait un important rôle à jouer pour résoudre les problèmes environnementaux.

La Commission Crombie dit que le problème, dans le cas du secteur riverain de Toronto, c'est qu'il existe quatre niveaux de gouvernement. Résultat: confusion et paralysie. Le système ainsi mis en place interdit toute intervention créative et constructive. Tout le monde peut dresser des obstacles, mais personne ne peut rien démarrer. Au bout du compte, l'obstacle le plus redoutable qui empêche les progrès en matière environnementale, ce sont les gouvernements, notamment dans le cas du secteur riverain de Toronto.

Pour quelqu'un qui a une formation d'économiste et a consacré sa vie à l'élaboration de politiques au gouvernement fédéral, j'ai été passablement secoué de voir ainsi contredit que tout ce que j'avais appris. Au lieu d'être une solution, le gouvernement devient un problème. Des propos comme ceux-là sèment fatalement de graves inquiétudes chez quiconque se préoccupe du rôle du gouvernement et de son rôle constructif dans la solution des grands problèmes de la société.

Nous n'avons pas tenu parole, nous coordonnons mal les dossiers entre ministères et, troisièmement, nous devons améliorer la qualité de nos rapports. Cela semblera bien désincarné. Nous parlons souvent d'indicateurs et ainsi de suite, mais, pour dire les choses simplement et brutalement, les bureaucrates se débrouillent assez mal dans leurs communications avec les parlementaires et le contrôle des dossiers de l'environnement et du développement durable, secteur qui exige une convivialité particulière. Il arrive souvent qu'on tombe dans le jargon et qu'on préfère mettre l'accent sur la complexité plutôt que sur la simplicité. Nous devons non seulement mieux définir les résultats et mieux les mesurer, mais aussi mieux en rendre compte, d'une manière compréhensible.

J'ai attiré l'attention sur deux grandes conséquences de ces trois principaux problèmes. La première, c'est que l'environnement en souffre. La deuxième, et la plus importante pour mes fonctions, c'est que les gens sont déçus du gouvernement et de ce qu'il fait dans le domaine de l'environnement. Le leadership du gouvernement et sa capacité de dominer l'ordre du jour politique risquent de s'effriter. Il a pourtant été difficile et coûteux d'établir ce leadership. Il est facile de le perdre et, une fois qu'il aura été perdu, il sera difficile à récupérer. Ayant travaillé à l'élaboration des politiques, je m'inquiète beaucoup de ces problèmes.

Nous pouvons faire un certain nombre de choses pour atténuer les préoccupations que je signale dans le rapport. Tout d'abord, il faut définir clairement le rôle des ministères et celui du commissaire à l'environnement et au développement durable. Nous avons les mécanismes pour le faire dans les stratégies de développement durable maintenant exigées des ministères fédéraux.

Deuxièmement, nous devons faire beaucoup mieux aux chapitres de la définition et de la mesure des résultats et de la production de rapports réguliers et compréhensibles. Encore une fois, il faut se soucier de la définition des résultats dans les stratégies de développement durable que nous attendons cette année, de manière qu'elles nous donnent le moyen de répondre à ces préoccupations.

Troisièmement, une fois définis les secteurs d'activité et une fois dégagées de meilleures définitions des résultats, et cetera, nous avons besoin de la capacité d'apprendre, et le Bureau du vérificateur général a acquis des compétences à cet égard. Nous pouvons utiliser des moyens comme les outils de vérification et faire des vérifications d'optimisation des ressources pour tirer des enseignements de l'expérience et les utiliser afin d'améliorer la performance. Les examens des stratégies de développement durable et les autres études et projets de recherche que nous réaliserons nous aideront à tirer profit de l'expérience pour améliorer notre rendement.

Quatrièmement, nous avons évidemment besoin d'une capacité de changement. L'un des éléments intéressants des stratégies de développement durable est qu'elles doivent être renouvelées tous les trois ans. Cela nous donne un cycle régulier permettant de les réévaluer, de tirer les leçons de l'expérience et d'apporter des changements. Ce serait un processus évolutif pour comprendre de mieux en mieux notre travail et les relations entre environnement, économie et développement durable.

J'estime que mon rôle est d'aider le Parlement à examiner le bilan du gouvernement et à exiger des comptes. Je propose deux nouveaux outils de gestion de la fonction publique: les stratégies de développement durable et l'obligation que nous confie, à mes collaborateurs et moi, la loi qui a créé mon poste.

Mon rôle est non seulement d'aider le Parlement, mais aussi d'aider le public à juger le rendement du gouvernement et à en exiger des comptes. L'une des raisons pour lesquelles mon poste existe, est qu'on a l'impression que le gouvernement fédéral n'est pas suffisamment sensible aux préoccupations des Canadiens en matière d'environnement.

Mon rôle peut être aussi de collaborer avec les ministères pour renforcer leurs moyens d'action et améliorer leurs outils permettant de prendre des décisions compliquées, de mesurer des choses difficiles à mesurer et de faire des rapports clairs sur des choses qui ont constitué des défis par le passé. J'y ai moi-même travaillé par le passé, et elles présentent effectivement des défis, non pas à cause d'un manque d'empressement, mais parce que la tâche est difficile à accomplir, dans bien des cas.

J'espère que cette approche triple -- aider le Parlement, aider le public et aider les ministères à améliorer leur capacité -- permettra de servir les Canadiens, de contribuer à améliorer l'état de l'environnement et de soutenir le rôle de leadership que le gouvernement doit vouloir continuer de remplir. Nous avons le talent, la créativité et l'énergie voulus pour faire ce que les Canadiens attendent de nous, assurer un développement durable. Il est arrivé par le passé que, du côté de la gestion, la mobilisation fasse défaut, c'est-à-dire la volonté, la patience et la discipline nécessaires pour résoudre des problèmes difficiles de mise en oeuvre afin de relever le défi du développement durable.

Voilà en bref les principaux messages de mon premier rapport. Je me ferai un plaisir de préciser certains de ces points ou de répondre à vos questions.

Le sénateur Taylor: Comme la présidence vous le confirmera, je réclame depuis un certain temps un ombudsman de l'environnement ou l'équivalent, poste qui serait rattaché au Bureau du vérificateur général.

Je suis toujours inquiet lorsqu'on parle de développement durable. C'était l'expression à la mode, il y a trois ou quatre ans, mais je commence à me demander s'il n'est pas en train de prendre une connotation négative.

Lorsque vous parlez de développement durable, tenez-vous compte de la valeur que représente la biodiversité dans les forêts? Notre sous-comité s'intéresse plus particulièrement à la forêt boréale. Traitez-vous des autres besoins que la forêt permet de satisfaire, du gibier, de la faune et de la flore, des droits des autochtones, de l'usage qu'ils font des ressources de la forêt? Quatre cents des 500 bandes autochtones du Canada habitent dans des zones forestières. Comment tenez-vous compte de tous ces éléments dans le développement durable?

M. Emmett: La question est de taille. Le titre de la loi parle de développement durable. Je travaille depuis fort longtemps dans le domaine de l'environnement. J'y étais déjà en 1973, lorsque le mot d'ordre était la limitation de la croissance et non le développement durable. Pour ma part, je préfère la deuxième expression pour un certain nombre de raisons, mais j'estime que son sens risque de s'élargir au point qu'elle ne veuille plus dire grand-chose.

Lorsque je devais travailler avec la notion de limitation de la croissance, je trouvais qu'elle avait des connotations de difficulté et de choix difficiles ou impossibles à faire. Mme Brundtland a rendu un immense service au monde entier en recentrant le débat par une expression qui comporte la promesse de solutions; la promesse d'un environnement de très grande qualité, et d'une qualité qui s'améliore; la promesse que nous pouvons tenir compte des questions d'équité en même temps, et que tout cela n'est pas incompatible. En réalité, si on examine les choses sous le bon angle, les deux éléments doivent se renforcer mutuellement.

Selon moi, il est difficile de définir le développement durable avec précision, mais je préfère en donner une idée vague et juste, plutôt qu'une interprétation précise et erronée. La notion de développement durable me plaît parce qu'elle emporte avec elle l'idée d'intégration. La définition proposée dans la loi est large et englobe l'intégration de l'économie et de l'environnement, l'équité envers la génération actuelle et les générations à venir, l'équité et la justice dès aujourd'hui pour des personnes ayant des niveaux de revenu différents et pour les autochtones. Ces questions-là sont difficiles.

Ma méthode consiste à dresser une liste et à m'attaquer d'abord aux choses que j'ai l'impression de pouvoir aborder dès maintenant pour passer ensuite aux plus compliquées lorsque j'aurai appris à maîtriser un peu mieux les plus faciles, bien qu'elles ne soient pas si faciles, au fond. En tête de ma liste, j'ai inscrit l'intégration de l'environnement et de l'économie. Je voudrais ensuite passer aux notions d'équité, de justice, de répartition de la qualité de l'environnement et des revenus dans le temps, lorsque nous aurons les outils pour nous attaquer à ces problèmes. C'est une démarche à long terme. Cette idée d'équité fait partie intégrante de la notion de développement durable.

Le sénateur Taylor: Je m'intéresse aussi aux droits des Premières nations ou des autochtones. Je crains qu'on ne reste là à regarder l'incendie tout détruire, à chercher à sauver certaines choses, mais sans que personne se soucie de l'ensemble. Autrement dit, nous nous demandons combien d'arbres nous pouvons abattre et combien de papier nous pouvons produire. Je pense que vous allez considérer la forêt comme un puits de carbone et vous demander dans quelle mesure elle peut assainir l'environnement.

C'est peut-être à cause des droits des provinces, je ne sais trop, mais on dirait que les ministères fédéraux hésitent à imposer quoi que ce soit en matière d'environnement parce que cela peut porter atteinte au développement économique des provinces, qu'il s'agisse d'exploitation minière ou forestière. Vous envisagez même de vous retirer du secteur de la pêche.

Est-ce que vous et le Bureau du vérificateur général allez avoir assez de cran pour attirer l'attention sur certaines de ces choses: «Il y a peut-être là un affrontement constitutionnel, mais, que vous le sachiez ou non, vos arbres disparaissent, le gibier perd son habitat et vos Autochtones leur territoire»? Ma question n'est pas facile, puisque vous venez d'entrer en fonction, mais pensez-vous que votre mandat est assez solide pour que vous puissiez intervenir et empêcher certains abus, en les dénonçant, sans égard aux problèmes de Constitution et de répartition des compétences, ou allez-vous rester en retrait et vous limiter aux domaines où vous estimez que le gouvernement a des droits?

M. Emmett: Vous venez de soulever une autre question extraordinairement complexe. Elle ne date pas d'hier. Il est évident que je me la pose, en tentant d'interpréter mon mandat, de préciser quelles mesures nous pouvons prendre sans inquiétude, et de départager ce qui est courageux et ce qui est téméraire.

Ce problème se rapproche à mon avis de celui de la coordination dont j'ai parlé tout à l'heure. Fort peu de dossiers sont limités à un seul ministère; or, c'est la même chose pour les niveaux de gouvernement. Il n'y a plus guère de dossiers qui sont limités à un seul échelon de gouvernement. Dans bien des cas, certains des problèmes de mise en oeuvre que nous éprouvons dépendent du manque d'entente et de coopération efficace entre les niveaux de gouvernement.

Il est certain que le rôle du commissaire, selon moi, consiste à déceler les problèmes, à les décrire le plus complètement possible et à les signaler. Notre mandat est certes limité aux champs de compétence du gouvernement fédéral, mais, dans bien des cas, les problèmes exigeront une coopération plus poussée entre les niveaux de gouvernement si nous voulons parvenir à une solution. Je crois que nous devons avoir la capacité d'examiner les problèmes, de constater que le manque de coopération fédérale-provinciale empêche de trouver des solutions, et de dire qu'il s'agit là d'un problème. Je ne crois pas que le commissaire ait pour rôle légitime d'être particulièrement normatif. Je puis faire une contribution sur un certain plan, mais il existe tout un domaine qui est celui des décisions politiques.

Le sénateur Taylor: Je peux concevoir que vous ne vouliez pas être normatif -- je devrai vérifier le sens dans mon dictionnaire -- mais je crois que votre poste vous permet de faire des mises en garde. En d'autres termes, vous pourriez dire que nous courons un danger. Vous ne prescrivez pas de remède, mais vous dites que, si nous continuons sur la même lancée, nous allons avoir de graves problèmes. Votre travail n'est pas de prescrire, mais de décrire ce qui se passe.

Vous avez parlé du réchauffement de la planète, et c'est une question intéressante. Au Canada, j'ai constaté, étant moi-même ingénieur et exploitant, que c'est des provinces que relève l'essentiel de l'exploitation et de la mise en valeur. Je ne veux pas dire que le gouvernement fédéral doit avoir le droit de dire à la Saskatchewan, par exemple, qu'elle ne doit pas autoriser tant de coupes à blanc ou à l'Île-du-Prince-Édouard que l'exploitation agricole ne doit pas être aussi intensive, mais je crois que les Canadiens s'attendent à ce que vous soyez l'ombudsman de l'environnement; vous n'êtes peut-être pas conscient de tout ce que nous attendons de votre poste, au Bureau du vérificateur général. Les Canadiens s'attendent à ce que vous lanciez le signal d'alarme, à ce que vous leur fassiez savoir quand les stocks de morue s'épuisent ou quand les arbres disparaissent, quel est l'état de la couche d'ozone, mais sans imposer une solution.

Je ne suis pas à Ottawa depuis très longtemps, mais j'ai constaté qu'on était généralement assez timide, peut-être à cause des batailles que nous avons eues avec le Québec ces dernières années au sujet des droits des provinces, au point que nous hésitons à annoncer quelque chose qui ne paraît pas trop bien, par crainte de froisser quelqu'un, même pour des mesures modestes concernant le manganèse et l'essence. Les provinces ont toutes des intérêts à défendre, et une quinzaine d'emplois risquent de disparaître en Nouvelle-Écosse, mais, à la vérité, il faut bien que quelqu'un annonce ces mesures. Votre travail consiste-t-il à examiner les dangers pour l'environnement, pour notre mode de vie, peu importe à qui revient la responsabilité?

J'oubliais le troisième facteur, l'entreprise. Nous devons traiter avec l'entreprise, les provinces et le gouvernement fédéral.

M. Emmett: Je crois que notre mandat se situe d'abord au niveau du gouvernement fédéral. En un sens, il n'est pas simple d'aborder la plupart des questions que vous venez d'évoquer. Dans bien des cas, il existe des accords internationaux sur l'environnement ou le commerce qui sont négociés par le gouvernement fédéral. C'est son mandat. Mais ces accords créent des obligations pour le Canada.

Selon ce que j'ai observé, il arrive fréquemment que le Canada n'honore pas ses obligations, et c'est souvent à cause d'un manque de coordination entre ministères ou entre niveaux de gouvernement. Une partie de mon travail est certainement de dresser un répertoire de nos engagements et de voir dans quels domaines nous manquons à nos obligations, de déterminer dans quelle mesure notre environnement souffre à cause de cela, pour quelles raisons, et si cela est attribuable à un manque de coordination ou de mise en oeuvre au niveau strictement fédéral ou au niveau de deux échelons de gouvernement. Je dois essayer d'établir les raisons et de recommander des solutions au plan de la gestion. J'estime que je dois, lorsque c'est possible, lancer des avertissements au sujet des problèmes d'environnement.

Le sénateur Taylor: Je vais être plus précis. Vous avez dit que, lorsque vous recevrez une pétition du public, vous la transmettrez au ministère compétent et aussi que vous fixeriez des délais pour qu'on y réponde.

M. Emmett: Effectivement.

Le sénateur Taylor: Les ministres doivent répondre aux pétitions dans un délai donné. Est-ce que c'est arbitraire?

M. Emmett: Pas du tout. C'est la loi qui fixe le délai à 120 jours.

Le sénateur Taylor: C'est excellent. Je siège à un comité où la GRC évite de répondre à une question depuis dix ans.

M. Emmett: La loi prévoit des délais qui, d'après mon expérience, suffisent amplement pour la plupart des dossiers.

Le sénateur Taylor: Faites-vous des vérifications en ce qui concerne le bois d'oeuvre? Comme vous le savez, il y a beaucoup de discussions au sujet du volume des coupes que nous pouvons autoriser chaque année, et du volume des ressources exploitables. Nous avons de la chance, car les sociétés disent qu'il y a assez de bois jusqu'au prochain millénaire et les gouvernements provinciaux disent à peu près la même chose. Personne ne prétend que nous risquons d'en manquer au cours de ce millénaire. Une partie de votre travail n'est-elle pas d'examiner les coupes annuelles autorisées que les provinces annoncent et de les comparer à ce qui se passe dans les faits?

M. Emmett: Nous ne l'avons pas fait. Avant de comparaître aujourd'hui, j'ai passé rapidement en revue ce que le vérificateur général avait fait avant mon arrivée. La dernière vérification d'optimisation dans la fonction forestière remonte à 1993, à une époque où le rôle du gouvernement fédéral en matière de forêts était bien différent d'aujourd'hui. Il y a eu une actualisation en 1995, au moment où Forêts Canada a été rattaché à Ressources naturelles Canada. Par conséquent, la majeure partie de nos documents de vérification sont dépassés. Pour l'instant, cela ne figure pas en tant que tel dans mon programme de travail. Nous recevrons de Ressources naturelles Canada, comme de tous les autres ministères, un plan de développement durable, et je m'attends à ce que ce plan porte aussi bien sur les forêts que sur le reste de son mandat. Nous n'avons prévu aucune vérification sur les forêts, les possibilités de coupe et autres questions semblables pendant la période de planification, c'est-à-dire les cinq prochaines années, sans doute.

Nous prévoyons que les forêts seront très importantes dans l'examen que nous sommes sur le point d'entreprendre sur les engagements et les politiques du Canada en matière de changements climatiques.

Le sénateur Taylor: Pourriez-vous donner plus de détails au sujet des changements climatiques?

M. Emmett: Il est difficile d'être précis à ce sujet, car, comme vous le savez, c'est un problème énorme qui fait intervenir des questions scientifiques et économiques importantes. Nous en sommes encore tout au début. Je dois faire mes classes rapidement, car je n'ai pas d'antécédents en vérification. Dans le travail que je faisais autrefois, on m'accusait de toujours voir les choses de trop haut. Quand on s'occupe de vérification, il faut vite descendre d'une altitude de 60 000 pieds jusqu'au ras du sol pour répondre aux questions.

En ce qui concerne le changement climatique, nous voyons sans doute encore les choses d'un peu haut. Nous prévoyons tenir un colloque à Ottawa le 21 mai pour réunir des gens, et il y aura ensuite une réunion d'un comité consultatif qui nous aidera à choisir, parmi une multitude de questions, celles auxquelles nous nous attarderons. De toute évidence, le rôle de la forêt -- son rôle de puits de carbone, son rôle dans les changements climatiques -- est sans doute une question qui mérite un examen plus approfondi, mais il est difficile de dire pour l'instant comment nous allons structurer le dossier et les questions à étudier de plus près.

Le sénateur Taylor: M. Michael Apps nous a parlé de changement climatique, mais il a abordé la question sous un autre angle. Je me disais qu'il faudrait vous communiquer cette information ou peut-être pourrions-nous vous envoyer le document, car c'est fascinant. Selon cet expert, les changements climatiques ont déjà commencé, et ils auront un effet sur les forêts. En d'autres termes, nous avons toujours pensé que les forêts avaient un effet bénéfique sur les changements climatiques, mais pourrons-nous conserver des forêts telles que nous les connaissons à moins d'avoir un certain type d'arbre? Il faut aussi parler du déplacement vers le Nord provoqué par le réchauffement. Cela est impossible pour nous, puisque nous sommes adossés au bouclier canadien, qui n'a pas de sol permettant de faire croître des arbres. Le document est fascinant. Nous vous le ferons peut-être parvenir. Il vous intéressera peut-être, car il aborde le problème sous l'angle opposé.

M. Emmett: Je ne demanderais pas mieux que de le lire.

La présidente: Nous vous le ferons parvenir.

Le sénateur Taylor a dit que vos étiez en quelque sorte un chien de garde pour l'environnement. J'ai toujours considéré le vérificateur général comme un chien de garde dans le domaine financier et dans tous les autres domaines, auprès du gouvernement. Estimez-vous être le gardien de l'environnement?

M. Emmett: Puisque ma description de poste dit que je suis le commissaire de l'environnement et du développement durable, il ne m'est pas facile de répondre à la question. Je vais essayer de donner une réponse étoffée, si je puis.

L'idée de développement durable comporte toujours la notion de recherche d'équilibre entre l'environnement et le développement durable ou d'intégration de l'environnement et du développement. D'une certaine manière, l'attitude est bien traduite par les sondages auprès de l'homme de la rue qui se font de temps à autre. Lorsqu'on demande aux répondants s'ils préfèrent un environnement propre ou une économie solide, ils manifestent, étonnamment, une compréhension saine, solide et intuitive du développement durable: ils disent au sondeur que sa question ne tient pas debout, qu'il n'y a pas de raison pour que nous n'ayons pas les deux.

À long terme, c'est bien là ma propre attitude. Le développement durable veut dire que nous pouvons avoir les deux et que, à long terme, nous pourrons intégrer ces deux éléments. À court terme, la création du poste de commissaire est l'aveu que les Canadiens sont mécontents de la performance du gouvernement en matière environnementale, et non de sa performance au plan économique proprement dit. Si on se dit que, à long terme, il doit y avoir équilibre, il faut que, à court terme, nous insistions davantage sur l'environnement. D'après ce que j'observe à Ottawa depuis de longues années, il ne manque pas d'intervenants pour défendre les intérêts économiques. L'économie a de nombreux porte-parole.

Dans un avenir prévisible, pendant ma période de planification, soit environ cinq ans, je m'attends à faire porter mes efforts surtout sur les questions d'environnement, et à devoir souligner la nécessité de mieux gérer les aspects environnementaux, et de mieux définir nos résultats sur le plan environnemental. Par certains côtés, cela est lié à un programme économique, car je ne vois aucune raison pour ne pas reprendre, dans la gestion des questions environnementales, le discours et les notions économiques des saines pratiques de gestion des affaires.

Nous pouvons et nous devons tirer de là de nombreux enseignements. Nous pouvons utiliser ces outils pour progresser. Dans l'immédiat, je crois qu'il faudra insister davantage sur l'environnement, en gardant comme objectif d'arriver à plus longue échéance, à une sorte d'équilibre.

Le sénateur Taylor: Nous pourrions peut-être faire appel à vous pendant quelques minutes au ccomité de l'énergie -- je constate que vous utilisez le propane -- pour essayer de faire en sorte que davantage de véhicules du gouvernement roulent au propane.

M. Emmett: Je travaille un peu là-dessus.

Le sénateur Taylor: Avez-vous une voiture officielle.

M. Emmett: Non.

Le sénateur Taylor: J'allais vous demander si elle utilisait un carburant de remplacement.

M. Emmett: Le vérificateur général a un parc impressionnant d'une seule voiture.

Le sénateur Taylor: Mais vous veillez à ce qu'elle roule au propane.

La présidente: J'ai trouvé le document d'information très intéressant. Vous y parlez de la Conférence sur l'environnement humain qui a eu lieu à Stockholm il y a 25 ans, de la Commission Brundtland, qui remonte à 10 ans et du Sommet de la Terre, tenu à Rio de Janeiro il y a cinq ans.

J'ai aussi été très intéressé par la soixantaine d'articles que vous avez énumérés dans votre rapport et que vous avez étudiés. J'ai l'impression que vous n'avez pas chômé, depuis juin dernier.

M. Emmett: J'ai d'excellents collaborateurs qui m'ont beaucoup aidé.

Le sénateur Taylor: Je remarque qu'il est question d'Énergie atomique du Canada. J'ai été le parrain d'un projet de loi qui divise ses activités en deux entités: la vente et la recherche et développement. Avez-vous dans vos dossiers des vérifications sur l'élimination des déchets nucléaires, par exemple? La question est-elle de votre ressort?

M. Emmett: Je ne crois pas que nous prévoyons faire quoi que ce soit dans mes services au sujet du nucléaire dans un proche avenir. Le vérificateur général lui-même se penche sur l'établissement du coût des obligations, et cetera.

Le sénateur Taylor: Le comité de l'énergie est allé rencontrer l'an dernier les représentants du gouvernement de la Californie et du Energy Board of California. Nous avons rencontré les autorités de Los Angeles en matière d'environnement et nous avons entendu parler de leur système de marché libre des droits de pollution. Est-ce un domaine dont vous vous occuperez à l'avenir? Ferez-vous des recherches sur un système de marché libre semblable dans le domaine de la pollution et de l'assainissement de l'environnement? Ils mettent aux enchères le droit d'émettre des oxydes d'azote, de soufre et de carbone et d'autres composés de ces éléments et réduisent ensuite ces émissions.

M. Emmett: Oui.

Le sénateur Taylor: Est-ce que c'est un projet en veilleuse?

M. Emmett: Je crois savoir que ces droits font l'objet de transactions à la bourse de Chicago.

Le sénateur Taylor: Et à la bourse de San Francisco.

M. Emmett: La question m'intéresse personnellement, mais je crois que cela relève davantage de la politique. Les ministères doivent s'attaquer à cette question et faire des propositions.

Le sénateur Taylor: Cela serait davantage de l'ordre de la prescription plutôt que de la description.

M. Emmett: C'est une idée originale à étudier et on peut certainement tirer parti de l'expérience des Américains.

La présidente: Au cours de nos déplacements dans l'Ouest, en novembre, l'une des préoccupations qui ont été soulevées concerne le caractère accusatoire des audiences sur l'évaluation environnementale. De nombreux témoins nous ont dit que l'évaluation environnementale n'était pas un outil adéquat de gestion des forêts. On nous a aussi dit que le gouvernement fédéral répugnait à faire respecter ses propres lois. Est-ce une question dont vous estimez devoir vous occuper?

M. Emmett: Oui. C'est un domaine que je trouve intéressant, aux niveaux général et particulier, en ce qui concerne l'évaluation de l'impact environnemental. Mon plan quinquennal se subdivise en quatre champs d'activité: vérifications de l'optimisation des ressources, comptabilité en matière d'environnement, stratégies de développement durable et fonction des pétitions.

En ce qui concerne les vérifications d'optimisation, il faut établir des priorités. De manière générale, le plus utile est de se concentrer sur l'optimisation et la prise de décisions en matière d'environnement, car ce sont les éléments qui donnent le ton ou fixent les conditions auxquelles se font les compromis dans toute l'économie. Le travail le plus fondamental est donc celui qui concerne les outils de prise de décisions.

Ces éléments arrivent au premier rang de mes trois priorités, en matière d'optimisation. Viennent tout juste derrière ce qu'on peut appeler les grands problèmes. Les Canadiens s'intéressent à des choses comme les changements climatiques et l'amincissement de la couche d'ozone. Nous examinerons donc ces problèmes. Le troisième point concerne davantage l'application des programmes. Tous ces éléments sont importants, mais il faut établir des priorités, par les temps qui courent.

C'est une façon bien compliquée de dire que, parmi ces outils de décision, ce que nous étudions de près ce sont l'agence et la loi de l'évaluation de l'impact environnemental et leur fonctionnement. Elles doivent faire l'objet d'un rapport à l'automne prochain. Nous dirons dans quelle mesure elles fonctionnent bien ou mal, selon nous. Pour moi, cela veut dire qu'il faut voir si le système permet de prendre des décisions qui sont meilleures pour l'environnement ou non. Nous en sommes encore à l'étape des recherches et des études, mais les résultats devraient être connus à l'automne. C'est pour moi une grande priorité.

La présidente: Cela fait plaisir à entendre.

Le sénateur Taylor: Vous ouvrez là un tout nouveau domaine. Votre poste remplace en quelque sorte celui d'un ombudsman de l'environnement. Mais un ombudsman peut lancer un signal d'alarme dès qu'il voit quelque chose de préjudiciable pour l'environnement. Comme il est comptable, le vérificateur général a tendance à s'extirper de sa montagne de livres une fois par année pour publier un rapport qui a l'effet d'une bombe.

Allez-vous être obligé de faire vos rapports de cette manière, en signalant les problèmes après coup, ou êtes-vous censé attacher le grelot dès que vous remarquez un danger pour l'environnement? Estimez-vous que cela fait partie de votre mandat?

M. Emmett: Je n'y ai pas vraiment songé. Le vérificateur fait maintenant plusieurs rapports par année, et les délais ne seraient que minimes. Il publie quatre rapports par année, dont l'un porte sur l'environnement. Je pourrais signaler des choses dans un autre rapport si je le veux. Je ne pense pas que la question des délais soit très grave.

Le sénateur Taylor: Votre travail vous paraît-il semblable à celui d'un ombudsman? Si quelqu'un, en promenant son chien ou en allant à la chasse, remarquait une forte pollution venant d'une mine ou d'une usine ou des objets qui flottent dans une rivière, pourrait-il composer un numéro 1-800 pour vous informer, et cela ferait-il partie de votre travail de recueillir les plaintes du public?

M. Emmett: Dans le cadre de la fonction des pétitions, oui. Et je dois les transmettre aux ministres. Par ailleurs, je lis ces pétitions au passage, et j'estime que, dans mon travail, je dois être à l'écoute de ce qui préoccupe les Canadiens. Comme je transmets ces plaintes aux ministres, je suis persuadé que, avec le temps, elles influenceront mon programme de travail et le choix des sujets que j'examine.

Le sénateur Taylor: Si quelqu'un appelle et dit que, dans une rivière du nord de l'Alberta ou au Labrador, ou même dans le sud de l'Ontario, quelque chose pollue les eaux -- et il peut aussi s'agir de pollution atmosphérique --, avez-vous quelqu'un à envoyer pour vérifier les faits?

M. Emmett: Je crois que je pourrais faire tout ce qui est permis au vérificateur général sur ce plan. Comme mon poste relève de la Loi sur le vérificateur général, je pourrais examiner ces problèmes pourvu qu'ils se rattachent au mandat du vérificateur général fédéral.

Le sénateur Taylor: Votre budget n'est pas restreint?

M. Emmett: Nous avons un cadre budgétaire à respecter, mais il est possible de s'occuper d'un certain nombre de choses. Nous essayons de concevoir un plan de travail à l'avance qui portera sur les questions prioritaires aux yeux des Canadiens.

La présidente: Dans l'accord sur les forêts, le Canada s'engage à maintenir et à améliorer à long terme l'état de santé de nos écosystèmes forestiers. Nous avons constaté au cours de notre tournée dans l'Ouest qu'on se préoccupait de la lenteur avec laquelle les provinces passent de la notion de rendement soutenu en bois d'oeuvre à celle de développement durable des forêts. Voulez-vous commenter?

M. Emmett: Pour l'instant, je ne saurais le faire qu'à titre de simple citoyen, car nous n'avons fait aucune recherche là-dessus. Comme mon opinion ne vaudrait pas plus que bien d'autres, je vais m'abstenir.

La présidente: Nous devrons vous réinviter plus tard.

M. Emmett: J'espère voir des choses comme celles-là dans les stratégies de développement durable que nous recevrons à compter de demain. Il y en a trois qui devraient être déposées à la Chambre demain, ceux d'Environnement Canada, de Travaux publics et d'Agriculture Canada.

La présidente: Tous les documents que vous nous avez remis sont utiles, et nous vous inviterons probablement de nouveau.

M. Emmett: Ce sera un plaisir.

La séance est levée.


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