Délibérations du sous-comité des
Communications
du comité sénatorial permanent des
Transports et des
communications
Fascicule 2 - Témoignages du 6 novembre
OTTAWA, le mercredi 6 novembre 1996
Le sous-comité des communications du comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 15 h 50, pour étudier la position internationale concurrentielle du Canada.
Le sénateur Marie-P. Poulin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Chers collègues, je déclare la séance ouverte.
Bon après-midi, monsieur Peeters, et bienvenue à notre séance du sous-comité des communications.
Comme vous le savez, monsieur Peeters, nous sommes un sous-comité du comité sénatorial permanent des transports et des communications. Nous avons pour mandat d'étudier la position internationale concurrentielle du Canada dans le domaine des télécommunications. Comme il s'agit d'un sujet plutôt vaste, nous entendons centrer notre attention sur quatre aspects de cette question auxquels nous attachons un intérêt particulier, à savoir la technologie, les ressources humaines, la culture et le commerce.
M. Jan Peeters, directeur général, fONOROLA Inc.: Madame la présidente, je vous suis reconnaissant de me donner la possibilité de m'adresser à votre sous-comité aujourd'hui. Pour mon exposé, je vais utiliser une série de diapositives. Les observations qu'on y trouve ne sont formulées qu'en anglais, mais je me ferai un plaisir, au besoin, de vous les traduire en français.
Le document de travail qu'on m'a fait parvenir m'a aidé à structurer mon exposé. Je vais d'abord vous donner une idée schématique de ce qu'est fONOROLA, de son historique, de ses plans et engagements, de ce que nous avons déjà entrepris ou que nous nous proposons de faire. Je vais vous donner ensuite un aperçu des tendances qui se dessinent dans l'industrie des télécommunications, après quoi je vous parlerai des technologies proprement dites et j'essaierai de répondre aux questions suivantes: dans quelle mesure l'infrastructure existante au Canada est-elle concurrentielle? Quels sont les avantages et les inconvénients des nouvelles technologies dans ce secteur? Car l'innovation ne comporte pas que des avantages. Sur le plan des politiques, que pourrait faire le gouvernement pour s'assurer que le Canada sera compétitif au moins au même titre que les autres pays?
Concernant les marchés, je vous donnerai un aperçu du marché canadien, en faisant état des tendances qu'on y observe en ce qui a trait aux prix et à la consommation. Je m'attarderai à une des questions précises dont il est fait mention dans le document. Il s'agit de l'évitement, dont on se fait souvent, je crois, une fausse idée. Je n'approuve pas cette pratique, mais on se méprend parfois à son sujet.
Je parlerai également de la concurrence internationale dans le secteur de la fourniture de services, car j'estime qu'il s'agit là d'un aspect important de la question à l'étude. Dans ce secteur, par opposition à celui de la fabrication de matériel, force nous est de constater que les Canadiens ne sont pas à la hauteur.
Quant au marché de l'emploi, nous verrons quelle mutation on y observe. J'examinerai avec vous ce qui s'y produit lorsque de nouveaux secteurs d'activité et de nouvelles technologies font leur apparition. Je vous parlerai des secteurs qui prennent de l'expansion et de ceux qui sont en perte de vitesse. Nous allons examiner les dangers qui nous menacent et les chances qui s'offrent à nous en matière d'emploi, ainsi que les changements qu'on peut observer dans l'équilibre de notre économie. Je parlerai également de culture. Comme ingénieur minier, je suis rarement invité à aborder autrement que superficiellement ce sujet. Je vais toutefois essayer de vous exprimer mes vues à cet égard et de vous dire quelle sera l'incidence de l'évolution des moyens de communication sur les questions d'ordre culturel. C'est un volet très important de cet examen.
fONOROLA a été fondée en 1989, au moment où le secteur des télécommunications s'est ouvert à la concurrence dans notre pays. La seule concurrence qu'on a alors autorisée touchait la revente de lignes privées reliées aux États-Unis. De 1989 à 1996, nos ventes ont grimpé aux environs de 270 millions de dollars, chiffre qui correspond d'ailleurs au montant probable de nos ventes pour l'exercice en cours. Cette année, nous avons eu en moyenne quelque 500 personnes à notre emploi. À la fin du présent exercice, notre entreprise comptera environ 600 employés.
La simple revente est autorisée dans notre pays depuis 1990. C'est depuis cette date que nous pouvons revendre des services d'interurbains au Canada. Cette libéralisation nous a permis d'installer des centres de commutation, d'abord à Toronto et à Montréal, puis, en 1992, à Vancouver, et enfin, en 1993, à Calgary.
À ce stade, nous avions plus de centres de commutation au Canada que n'importe lequel de nos concurrents, à l'exception des sociétés du groupe Stentor. En 1993, nous avons lancé une première émission d'actions qui nous a permis de recueillir 30 millions de dollars sur les marchés boursiers canadiens. Au Canada, 1994 a été une année clé. C'est l'année où nous avons obtenu ce qu'on appelle l'«égalité d'accès», un processus permettant aux particuliers et aux entreprises de dire à leur télécommunicateur monopolistique local qui ils veulent avoir comme télécommunicateur interurbain. En pratique, à partir de ce moment-là, les consommateurs n'avaient plus à composer un code secret pour commencer à faire affaire avec une société autre que leur société de téléphone locale. Aux États-Unis, cette libéralisation avait eu lieu en 1984. Nous accusions donc alors sur ce plan un retard de dix ans par rapport aux Américains.
Depuis lors, la croissance s'est poursuivie à un rythme plutôt spectaculaire, non seulement dans le cas de notre société, mais dans l'ensemble de l'industrie, y compris chez nos concurrents Sprint et AT&T Canada.
En 1995, nous avons atteint notre seuil de rentabilité en ce qui a trait à nos profits avant paiement des intérêts et avant amortissement. J'aimerais pouvoir vous dire que nous avons réalisé des profits nets, mais ce n'est pas le cas. Chose certaine, dès que nous faisons un dollar de profit, nous en investissons deux dans la construction d'installations. Telle est la situation dans notre industrie actuellement, et il en sera de même pour quelques années encore.
Nous prévoyons que pour 1996 notre marge brute d'autofinancement s'élèvera à quelque 27 millions de dollars.
fONOROLA a été l'une des premières sociétés, et l'une des plus résolues, à revendiquer le droit de construire des installations concurrentielles au Canada et à passer aux actes. La carte que je projette sur le mur vous montre, en jaune, les installations à fibres optiques que nous avons construites ou celles que nous entendons construire. Celles qui assurent le service d'Edmonton à Vancouver et d'Edmonton à Calgary sont déjà en place. Nous avons signé un contrat il y a quelques semaines pour la construction, au coût de 120 millions de dollars, d'installations devant assurer la liaison entre Edmonton et Toronto. Il s'agira de la première liaison à fibres optiques transcanadienne concurrentielle, une réalisation depuis longtemps attendue.
En 1995, nous avons érigé des installations pour établir la liaison entre Montréal, Toronto et Buffalo, à New York. En 1995 également, nous avons construit dans le Sud-Ouest ontarien des installations que nous avons ensuite vendues en partie à Rogers et à Sprint Canada.
Nous avons annoncé récemment la construction d'une installation qui devrait être terminée avant Noël et qui reliera Montréal et Québec au moyen du plus gros câble à fibres optiques à être installé dans ce couloir. Il s'agit d'une entreprise de partenariat entre fONOROLA, Cogeco, Hydro-Québec et Metrics Interlink, un serveur d'Internet à intérêts majoritairement américains.
La carte montre d'importants secteurs que nous n'avons pas encore touchés. Il nous reste plusieurs projets à réaliser. Nous voulons, bien sûr, nous implanter dans les provinces maritimes. Nous nous sommes engagés à le faire.
Nous nous sommes en outre alliés à une autre société pour promouvoir la création d'un consortium qui construirait un deuxième anneau au Canada, de façon à ce que nous disposions de nos propres installations de secours plutôt que d'être à cet égard à la merci des Américains. Reste à voir si les autres sociétés canadiennes potentiellement intéressées accepteront de construire des installations supplémentaires. Nous avons soumis le projet aux acteurs clés dans l'industrie pour voir s'ils sont disposés à y participer.
Voilà qui vous donne une bonne idée de la nature de notre entreprise et de notre détermination à construire des installations.
La prochaine diapositive est très importante. J'essaie d'y donner un aperçu de la façon dont l'industrie a évolué depuis dix ans et de ce qu'elle sera devenue, en gros, dans dix ans. On peut y observer des mutations en ce qui concerne la propriété des installations, les technologies, et la structure des entreprises. La diapositive se divise en deux parties: l'une porte sur le secteur de l'interurbain, l'autre, sur l'accès aux services de télécommunications locales. La société que je représente oeuvre actuellement dans le secteur de l'interurbain. Par accès aux services de télécommunications locales, je n'entends pas uniquement l'accès aux services de téléphonie locale, mais également l'accès aux services de câblodistribution pour la télévision, de téléphonie cellulaire, et cetera. Comme vous le savez sans doute, on utilise les câbles à fibres optiques pour acheminer les appels interurbains faits à partir de téléphones cellulaires, car le captage des signaux radio binaires n'est possible que pour les cinq premiers milles. Cette liaison radio fait partie des services locaux.
Dans le secteur de l'interurbain, c'est en 1984 que les choses se sont mises à bouger au Canada et, bien sûr, aux États-Unis. Cette année-là, AT&T s'est morcelée en plusieurs sociétés différentes, et on y a séparé les services de télécommunications locales des services de télécommunications interurbaines. L'infrastructure du secteur de l'interurbain reposait alors largement sur la communication sans fil. La liaison de ville en ville se faisait principalement par l'intermédiaire de tours hertziennes, et nous comptions sur les liaisons satellites pour acheminer les appels interurbains vers l'Europe et le Japon. Cela n'est peut-être pas exact à 100 p. 100, mais vous donne quand même une très bonne idée des moyens de transmission alors utilisés.
Dix ans plus tard, en 1994, au Canada comme aux États-Unis, ainsi que dans un certain nombre d'autres pays importants, mais certainement pas dans tous les pays du monde, le marché de l'interurbain s'était ouvert à la concurrence. On s'était par ailleurs nettement orienté vers la communication par câble. Les réseaux à fibres optiques avaient, pour l'essentiel, remplacé les anciens moyens de transmission, tant sur mer que sur terre, des appels interurbains. Les satellites sont toujours utilisés, mais ils ont perdu beaucoup de leur importance.
En l'an 2004, l'industrie évoluera certes encore dans un environnement concurrentiel. Les installations à fibres optiques continueront nettement de dominer, mais on aura alors recours à deux ou trois autres types de structures de télétransmission, notamment à des satellites orbitaux à basse altitude. Dans l'essentiel, les communications se feront toutefois encore par câble.
Dans le secteur des services de communications locales, on observe certaines tendances similaires et certaines contraires à celles que nous venons de décrire concernant l'interurbain. Là aussi, on passe d'un marché monopolistique à un marché concurrentiel; seule la chronologie diffère, car, à cet égard, on y est en retard d'environ une décennie. Pour l'instant, le secteur des services locaux demeure encore d'ailleurs largement monopolistique.
Sur le plan technologique, il y a eu aussi mutation dans ce secteur, mais à l'inverse. Il y a dix ans, les services locaux reposaient essentiellement sur la communication par fil... principalement par fil de cuivre dans le cas des sociétés de téléphone, et par câble coaxial dans le cas des câblodistributeurs. Pour une bonne part, la situation est demeurée la même aujourd'hui, mais personne ne peut sous-estimer l'impact des téléphones cellulaires. On en voit maintenant partout. Ils représentent déjà une proportion importante des téléphones en usage.
Au cours des prochaines années, les appareils sans fil remplaceront graduellement les appareils avec fil, mais pas complètement. Aux téléphones cellulaires que nous connaissons aujourd'hui viendront s'ajouter les systèmes SCP, pour lesquels des licences ont été émises et qui entreront en service d'ici peu; le SMDM, l'équivalent du service de câblodistribution, mais sans fil; et le LCML, qui peut être une forme de système de communication bidirectionnelle sans fil.
Dans le secteur des services de communications locales, contrairement à celui de l'interurbain, le proche avenir est donc au sans-fil, car, par exemple, il coûterait plus cher de refaire les installations de téléphonie locale dans la seule ville de Toronto que d'enfouir un câble à fibres optiques de Halifax à Vancouver. Il n'y a certes rien de simple à éventrer des rues.
Cette même diapositive fait également état de la disparition prochaine d'un phénomène qu'on peut observer depuis environ cinq ans et suivant lequel les divers services sont actuellement offerts séparément, en ce sens qu'un fournisseur s'occupe de l'interurbain, un autre du service local, un autre du câble et un autre du téléphone cellulaire. Il peut y avoir des participations croisées, mais, dans l'essentiel, ce sont des services séparés.
D'ici cinq ou six ans, nous assisterons, à l'inverse, à une importante convergence des services. Dans la représentation mentale que j'aime utiliser pour illustrer ce qu'il en sera, la prise de téléphone dans votre résidence pourra vous fournir tous les services dont nous venons de parler. Elle vaudra pour les appareils téléphoniques, le câble et le système d'alarme, et si vous consommez trop d'électricité, elle le fera savoir à votre fournisseur. Tout près de cette prise, il y aura celle du câblodistributeur -- ou de son équivalent futur -- qui vous offrira également tous ces services. Puis, juste à côté, vous aurez une ou deux prises appartenant au fournisseur de SCML. Bien sûr, cette société utilisera une liaison radio pour accéder à votre demeure, mais, essentiellement, chacune de ces prises pourra aussi vous procurer ces mêmes services.
Comme acheteur de services, vous pourrez, en réalité, retirer la fiche d'une de ces prises et la brancher dans une autre. Pour compliquer un peu les choses, vous ne vous abonnerez pas nécessairement à ces services auprès de la société qui est propriétaire de la prise, car cette société vous les fournira peut-être offert par l'entremise de revendeurs ou de distributeurs. Notre monde sera fort différent de ce qu'il est présentement. Ce qui le caractérisera surtout, c'est le fait que les consommateurs pourront choisir parmi un éventail beaucoup plus large de fournisseurs de services qu'aujourd'hui.
On me demande parfois si notre infrastructure est concurrentielle. Tout dépend évidemment avec quoi on la compare. Je crois que, dans une large mesure, ce devrait être avec celle des États-Unis. Je le constate par notre clientèle, car nos clients qui communiquent avec l'étranger font généralement des affaires au Canada et aux États-Unis. Le volume de télécommunications outre-mer depuis notre pays représente moins de 5 p. 100 du volume total de nos télécommunications interurbaines, contre 20 à 25 p. 100 dans le cas de nos télécommunications avec les États-Unis. C'est pourquoi j'estime que la comparaison doit vraiment se faire entre le Canada et les États-Unis.
Notre infrastructure est supérieure à celle de nombreux pays, et ce, à tous les niveaux et à tous égards. C'est toutefois à celle des Américains qu'il nous faut la comparer.
En ce qui a trait à l'accès aux services de télécommunications locales, notre infrastructure est-elle concurrentielle? J'estime que non. Pour l'illustrer, je vous donne l'exemple de ma propre société, dont 55 p. 100 des revenus servent à payer l'accès aux services locaux. À vrai dire, de tous ses postes de dépenses, celui relatif aux télécommunications interurbaines est le moins important, et celui relatif à l'accès aux services locaux est le plus important. Aux États-Unis, un fournisseur comme nous, en vendant au même prix, n'aurait à consacrer que 40 p. 100 de ses dépenses à l'accès aux services locaux, et ce, parce qu'aux États-Unis ces services sont plus étendus et perfectionnés que les nôtres et parce que la concurrence dans ce secteur y est plus vive qu'ici.
Il existe au Canada une certaine concurrence dans le marché de la fourniture d'accès aux services locaux. Je songe aux services qu'offre le réseau Rogers, ou certains fournisseurs d'accès qui sont actifs à Calgary et à Edmonton. Il s'agit toutefois de sociétés relativement peu importantes. Elles n'ont rien de comparable, par exemple, à l'omniprésente société Metropolitan Fiber Services aux États-Unis. Cela ne veut pas dire que nos sociétés qui oeuvrent dans ce secteur ne sont pas en expansion; c'est tout simplement que nous sommes loin derrière les Américains à cet égard.
Les organismes de réglementation ont proposé de dégrouper les divers éléments de l'accès aux services locaux, c'est-à-dire d'autoriser la revente des diverses composantes des services locaux, ce qui, à mon sens, est une orientation fort souhaitable. Cela revient à dire que nous pourrons revendre l'accès à des services locaux au même titre que nous pouvons, depuis 1989, revendre des services interurbains. L'autorisation de revendre est un pas dans la bonne direction, car elle permettra à de nouvelles sociétés de s'approprier une part du marché, mais tant qu'il n'y aura pas de concurrence entre sociétés propriétaires d'installations, le consommateur ne s'en ressentira pas sur son compte. Je crois qu'il faudra aller plus loin dans cette voie.
Jusqu'à maintenant, la politique relative au service de diffusion directe par satellite n'a pas particulièrement bien réussi à amener de nouvelles sociétés à faire concurrence aux câblodistributeurs. Il y a des raisons à cela, notamment les malheureux accidents qui sont survenus dans l'espace. Il existe pourtant aux États-Unis une telle concurrence, alors qu'au Canada, si concurrence il y a, elle est illégale, donc pas très prometteuse.
Quant aux licences de câblodistribution et de SCML, qui ont été émises récemment, elles ont été accordées sur une base monopolistique, et ce, par principe. Telle société obtient une licence de câblodistribution pour telle ville. Une autre société se voit accorder une licence de télécommunications sans fil pour la même ville. Chacun détient l'exclusivité dans son domaine technologique, et personne ne pourra lui faire directement concurrence. Dans l'état actuel des choses, nous devons donc reconnaître qu'à cet égard les Américains sont en avance sur nous.
Dans le secteur de l'interurbain, je crois que nous sommes sur la bonne voie, quoique, dans une large mesure, nos infrastructures restent encore à développer. Par exemple, le fait de n'avoir pas d'installations à fibres optiques transcontinentales concurrentielles en 1996 nous place quelques années derrière les États-Unis.
D'un autre côté, des sociétés comme Fundy Cable dans les Maritimes investissent beaucoup d'argent dans la construction d'infrastructures. Je crois que nous sommes en train de rattraper les États-Unis. À certains égards, nous avons même un avantage sur eux. Une bonne partie de l'infrastructure américaine repose sur des technologies plus anciennes et dépassées, de sorte que, en réalité, nous tirons de nos structures existantes une plus grande capacité de traitement que n'en obtiennent les Américains dans certains de leurs couloirs existants où ils utilisent des technologies moins avancées. Il y a certains avantages à être les derniers au bâton. Nous sommes donc sur la bonne voie en ce qui a trait aux services interurbains.
L'avènement de nouvelles technologies comporte des avantages et des risques. Je me rends compte qu'en utilisant ainsi des diapositives, je risque de débiter des lieux communs, mais je vais m'efforcer de donner un peu de consistance à mes propos.
L'un des avantages des nouvelles technologies, c'est qu'elles créent des emplois pour les jeunes. fONOROLA compte actuellement quelque 600 employés. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, nous n'en avions aucun il y a six ans. Nos employés ont en moyenne 27 ans.
La technologie a pour principal avantage de hausser le niveau de vie de la population. Pour le même prix, ou à un prix moindre, les gens peuvent obtenir beaucoup plus qu'auparavant. Pour la plupart des consommateurs et, à coup sûr, pour les entreprises, le service interurbain coûte de 40 à 50 p. 100 moins cher qu'il y a deux ou trois ans, ce qui est sans contredit un avantage. Si tel n'avait pas été le cas, un nombre sans cesse croissant de nos entreprises pour lesquelles les moyens de communication sont particulièrement importants auraient déménagé au sud de notre frontière. C'est ce à quoi nous avons assisté avant 1994; heureusement pour nous, la situation a changé depuis.
Il y a en outre des avantages commerciaux qui découlent de l'adoption des nouvelles technologies. J'y reviendrai plus tard dans mon exposé, car je crois que nous profitons de certaines de ces possibilités, mais que nous en ratons d'autres.
De l'autre côté de la médaille, nous avons les inconvénients. L'avènement de ces nouvelles technologies crée des chambardements sur le marché du travail, et ce, au détriment des travailleurs plus anciens, c'est-à-dire des employés des sociétés de téléphone établies depuis longtemps qui voient leur part du gâteau diminuer. Les monopoles établis réduisent leur effectif et, malheureusement, certains des travailleurs licenciés n'ont été formés qu'en fonction de technologies dépassées.
Nous devons prendre soin de recycler ces travailleurs expérimentés pour leur permettre de réintégrer la main-d'oeuvre active. En réalité, il y a là un danger, et non un inconvénient incontournable, lié à l'avènement de ces technologies. C'est un problème que l'on peut résoudre, mais encore faut-il d'abord en reconnaître l'existence. Il y a effectivement des gens que ces changements bousculent.
Il y a également le problème de la marginalisation des gens peu instruits. Cet été, nous avions un effectif de près de 500 employés, dont plus de 10 p. 100 étaient des étudiants. La plupart d'entre eux en étaient à leur dernière année de génie ou en première ou deuxième année du programme de maîtrise en génie. La nouvelle donne les avantages, mais qu'en est-il des jeunes qui abandonnent l'école au niveau secondaire? Leur situation n'est pas rose. Nombre d'entre eux sont laissés pour compte, car ils n'ont pas leur place dans ce nouvel environnement technologique.
Il existe de moins en moins de ces emplois qui, dans le passé, ont largement constitué le gagne-pain des employés des anciennes sociétés de téléphone. Je veux parler des emplois de monteurs de lignes ou de réparateurs de lignes souterraines, et de tous les emplois nécessitant le port d'une ceinture à outils. Ce genre d'emploi disparaît rapidement. Nous nous dirigeons vers une industrie des communications reposant sur le savoir, notamment sur les connaissances en informatique. C'est une situation pénible pour les gens qui ne possèdent pas le niveau d'instruction voulu, et, malheureusement, le pire reste à venir.
Un autre inconvénient que comporte l'avènement de nouvelles technologies, c'est qu'il risque de nous faire oublier nos grandeurs passées. J'ai souvent l'occasion de m'adresser à des auditoires américains. Aux États-Unis, les consommateurs n'ont pas accès au même niveau de services locaux que nous. Je songe à nos services de câblodistribution, à nos tarifs avantageux et au principe d'universalité auquel nous tenons. Nous avons d'énormes défis à relever, notamment ceux d'être à la fine pointe des nouvelles technologies et de devenir plus compétitifs dans les services haut de gamme.
Nous avons déjà accompli passablement de choses dans le passé grâce à notre politique des télécommunications, mais nous devons continuer de prendre bien garde de ne pas laisser échapper le bébé avec l'eau du bain. C'est un danger qui nous guette, et les organismes réglementaires en sont heureusement très conscients.
Voyons maintenant comment nous pourrons nous assurer d'être compétitifs. Dans toute décision que nous prenons -- qu'il s'agisse de celles qui incombent au ministère de l'Industrie dans sa politique d'émission des licences, ou au CRTC -- nous devrions nous efforcer de faire du Canada le laboratoire mondial des technologies de pointe en télécommunications. Nous devrions essayer de faire de notre pays l'endroit où quiconque a investi dans une nouvelle technologie désire venir la mettre à l'essai ici. À cet égard, nous avons à la fois l'avantage d'être un pays membre du G-7 et celui d'offrir aux gens deux langues de classe mondiale pour leur faciliter l'expérimentation de leurs logiciels et de leurs outils d'interface entre eux et leurs clients. Nous avons donc beaucoup à offrir, mais encore faudrait-il que nous soyons accueillants pour les étrangers.
Récemment, nous avons soumis une demande de licence de SCML, le réseau de communications locales. Nous proposions d'établir des liaisons bidirectionnelles ultrarapides avec les résidences. Les fabricants de matériel électronique de pointe ont manifesté beaucoup d'intérêt pour notre proposition. Ils voulaient savoir si cela signifiait qu'ils pourraient concevoir leurs téléviseurs de façon à ce qu'ils puissent être alimentés par numérisation d'image plutôt que par conversions analogiques. Autrement dit, on n'aurait plus recours à des puces Npeg 2 et à ce genre de choses. Des fabricants japonais et européens se sont montrés intéressés.
Par contre, si nous décidons d'être les derniers à adopter les nouvelles technologies ou à nous ouvrir à la concurrence, nous courons certains risques. Laissez-moi vous faire part de deux ou trois expériences vécues qui illustrent bien ce danger.
En 1991, il nous fallait acheter des commutateurs DMS-250 de Northern Telecom pour nos centres de Montréal et de Toronto. Il s'agit de commutateurs dernier cri qu'utilisent les revendeurs. Nous ne pouvions pas nous les procurer au Canada. Nous avons passé neuf mois à tenter d'obtenir de Northern Telecom Canada qu'on nous envoie un représentant pour nous en vendre un, et nous avons demandé au président de Bell Canada d'intervenir en notre faveur. En réalité, nous avons fait appel à tous les intermédiaires possibles. En fin de compte, nous avons téléphoné directement à Northern Telecom à Dallas, et 36 heures plus tard, le marché était conclu et nous avions enfin nos deux commutateurs.
Ce matériel dernier cri de télécommunications était livré, mis au point, soutenu et entretenu à Dallas. C'est là que cette société a sa ligne de soutien technique; c'est là que sont les emplois. Pourquoi? Parce que les Américains ont déréglementé l'interurbain une décennie avant le Canada. Northern a sauté sur l'occasion. Elle a érigé ses installations et implanté sa technologie de fabrication à cet endroit. Quant à nous, les Canadiens, au moment où nous avons enfin décidé de déréglementer ce secteur, il ne restait plus dans notre pays le talent voulu pour répondre à l'appel. Si nous avions été les premiers à opter pour la libéralisation, beaucoup plus de ce talent, sinon tout le talent, se serait retrouvé ici. Quand vous êtes parmi les derniers à adopter les nouvelles technologies, les ingénieurs s'en vont où, vous croyez? Ils vont là où il existe des débouchés. Nous devons nous efforcer d'être parmi les premiers à appliquer les nouvelles technologies.
Une autre réalité que nous devrions trouver souhaitable, c'est la concurrence entre sociétés rivales de chez nous. Avant la fondation de fONOROLA, j'ai passé une dizaine d'années au service d'une société montréalaise d'ingénierie du nom de SNC. Nous étions en guerre avec une autre société d'ingénierie du nom de Lavalin. Nous avons eu maintes occasions de nous affronter, notamment à Bangkok, à Caracas, à Ankara en Turquie, et au Canada. Plus tard, les deux sociétés ont fusionné.
À l'époque, cette rivalité nous stimulait à accomplir le travail et à décrocher des contrats. Nous devons favoriser cette rivalité entre entreprises de chez nous. Quand nous avons soumis notre demande pour l'obtention d'une licence de SCML, nous avons pu -- et je suis sûr que les autres demandeurs ont fait de même à leur façon -- amener Newbridge, Nortel et IBM Canada à se faire concurrence en essayant de proposer les meilleures spécifications, les meilleurs prix, les meilleures dates de livraison et la plus grande proportion de contenu canadien. On peut considérer cela comme de la saine concurrence.
On a parfois tendance au Canada -- une tendance qu'on peut d'ailleurs observer dans une foule de petites économies -- à concentrer nos efforts sur une seule entreprise. C'est une erreur. Il est souhaitable que des entreprises de chez nous se fassent concurrence sur notre propre marché. Les sociétés présentes dans l'arène économique internationale sont d'autant plus fortes qu'elles évoluent chez elles dans un contexte de concurrence.
À ce moment-ci de mon exposé, il serait peut-être utile que je vous donne une idée de ma perception du marché canadien. Environ huit millions de familles canadiennes vivent dans les 400 principales cités et villes de notre pays. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des foyers canadiens ont le service téléphonique de base, qui leur coûte en moyenne 19 $ mensuellement.
Les services d'interurbains et les services téléphoniques locaux plus perfectionnés, comme la mise en attente, coûtent en moyenne 39 $ par mois, et, encore là, 99 p. 100 des foyers y sont abonnés. Environ 81 p. 100 des ménages canadiens, contre 66 p. 100 aux États-Unis, ont le service de télévision par câble, qui leur coûte environ 30 $ par mois.
À l'heure actuelle, Internet pénètre déjà approximativement 7 p. 100 de son marché potentiel dans notre pays. Cette proportion augmente si rapidement que, dans une semaine, elle s'élèvera peut-être à 10 p. 100. Ce service coûte à ses abonnés environ 25 $ mensuellement.
Le marché résidentiel canadien représente environ 8 milliards de dollars. Les ménages canadiens achètent en moyenne mensuellement pour 83 $ de services de télécommunications.
L'examen du marché commercial présente également de l'intérêt. Le secteur commercial constitue une industrie de 7,2 milliards de dollars. Environ 99 p. 100 des entreprises ont le service téléphonique... c'est-à-dire environ 600 000 entreprises. Elles paient quelque 400 $ par mois en moyenne pour la téléphonie locale et presque 600 $ par mois pour la téléphonie interurbaine. Rares sont les entreprises qui sont abonnées au service de télévision par câble. Il y a quelques mois, Internet ne pénétrait encore que relativement peu le secteur commercial, mais ce secteur est appelé à devancer un jour le secteur résidentiel à cet égard, car les entreprises finiront par utiliser davantage l'Internet que les ménages. Toutefois, il se passera peut-être encore quelques années avant que cette tendance se manifeste.
Les entreprises canadiennes dépensent donc en moyenne quelque 1 000 $ par mois pour les télécommunications. Cette moyenne comprend les dépenses effectuées à ce poste par le gouvernement fédéral, la Banque Royale et certaines autres entreprises de grande envergure. Si on exclut les 100 sociétés les plus importantes suivant le classement du Financial Post, on obtient en moyenne un montant mensuel de 250 à 300 $ au titre des dépenses des entreprises pour les services téléphoniques locaux. Les entreprises canadiennes disposent en moyenne de 5 ou 6 appareils téléphoniques et d'une ligne de télécopieur. C'est essentiellement dans ces milieux que notre industrie de matière grise progresse de façon significative. Toutes les entreprises veulent prendre de l'expansion et de l'importance, mais ce sont celles-là qui avancent le plus. Nous devons centrer nos efforts non seulement sur la grande entreprise, mais également sur la petite, car c'est là que réside le potentiel de croissance.
Fort heureusement pour tout le monde, le secteur des télécommunications est en pleine croissance. Les gens dépensent davantage chaque année au titre des télécommunications. Cela s'avère au Canada comme aux États-Unis. Les conséquences d'une déréglementation seraient tout autres dans une industrie en perte de vitesse, mais ce n'est pas le cas de la nôtre. Même ceux qui n'y gagnent pas ont l'air de gagnants quand, dans son ensemble, l'industrie est prospère.
Au cours de la dernière décennie, les dépenses effectuées par les consommateurs américains au titre des services d'appels interurbains ont augmenté en moyenne de 5,9 p. 100 par année malgré le fait qu'au cours de cette même période les tarifs ont baissé de 40 p. 100 aux États-Unis. Au Canada, même si la concurrence dans le secteur de l'interurbain n'existe pas depuis aussi longtemps que chez nos voisins du Sud, les dépenses des consommateurs à ce poste ont quand même augmenté de 3,4 p. 100 ces cinq dernières années, et ce, bien que nous ayons connu au cours de cette période une diminution de 50 p. 100 des tarifs. En réalité, cette baisse des tarifs ne s'est étalée que sur une période d'environ 18 mois.
D'ici cinq ans, les dépenses que les Canadiens effectueront à ce poste connaîtront un taux de croissance composé d'environ 4,5 p. 100 annuellement. Nous avons donc là une industrie en très bonne santé. Quant au taux de croissance de l'utilisation de ces services, il sera même plus élevé encore.
L'industrie canadienne des télécommunications compte un certain nombre de sociétés: les sociétés du groupe Stentor, Sprint Canada, AT&T, fONOROLA et Téléglobe. J'ai réparti ces sociétés selon leur niveau d'activité sur le marché international comme fournisseurs de services, et voici ce qui en est ressorti. Certaines de ces sociétés, dont celle que je représente, sont vouées à l'échec si elles ne sont pas présentes sur le marché international. Par exemple, à mesure que les monopoles disparaîtront, la société Téléglobe sera indéniablement condamnée si elle ne s'oriente pas dans cette direction. Elle a pris d'importantes décisions pour tenter de résoudre son problème à cet égard. Elle a notamment demandé l'autorisation d'étendre ses activités aux États-Unis et de construire des installations océaniques. Elle n'a toutefois obtenu
cette autorisation qu'assez récemment. Quant à fONOROLA, 30 p. 100 de ses activités se font depuis les États-Unis... il ne s'agit pas là d'un avertissement mais d'une indication des tendances qui se dessinent.
J'ai mentionné tout à l'heure que les emplois ces temps-ci dans les sociétés téléphoniques les plus à l'avant-garde ne sont pas des emplois de monteurs de lignes ou de réparateurs de lignes souterraines. Ce ne sont pas des emplois sur le terrain, mais des emplois de gestionnaires et de surveillants de réseau.
Par exemple, même si 30 p. 100 des activités de fONOROLA se font aux États-Unis, 70 p. 100 de ses employés travaillent dans un même immeuble. Alors qu'environ 50 p. 100 des activités de notre société se passent à l'extérieur du Québec, l'immeuble en question est situé à Montréal. Cela ne signifie pas qu'il nous faille rester aussi centralisés, mais montre un peu à quel point les emplois ne seront pas nécessairement répartis un peu partout au pays comme c'était le cas du temps de l'ancien contexte dans le secteur des télécommunications.
Dans le cas des sociétés qui ont les mains liées, on peut se demander ce qui leur arriverait si elles s'aventuraient à l'étranger. La vérité, c'est qu'elles ne sauraient le faire, car elles sont des succursales de multinationales. Étant donné, par exemple, que les sociétés British Columbia Telephone et Québec Téléphone appartiennent à GTE, je les vois mal aller faire concurrence à leur société mère outre-mer ou aux États-Unis. Sprint Canada est en réalité contrôlée par Sprint des États-Unis, tout comme AT&T Canada l'est par AT&T des États-Unis. Leur droit d'utiliser leurs marques, et tout le reste, serait vivement mis en cause si ces sociétés s'avisaient d'aller concurrencer leur société mère aux États-Unis. Il est d'ailleurs fort improbable qu'elles étendent leurs activités sur le marché international.
Je qualifierais les autres sociétés d'indifférentes. Il est probablement un peu injuste de les étiqueter de la sorte, mais il reste que certaines des sociétés membres du groupe Stentor -- celles qui sont gestionnaires de portefeuilles et qui ont des activités qui reflètent ce rôle; par exemple, l'une d'elles a fait l'acquisition de 20 p. 100 des actions d'une société de téléphone de la Nouvelle-Zélande -- ne sont pas vraiment actives sur le marché de l'interurbain à l'extérieur du Canada. C'est dommage.
BT a réellement pris le contrôle de MCI. Rien n'aurait empêché Bell, à un certain moment, de tenter de faire la même chose ou l'équivalent. C'est une question de vision et d'audace.
Il est important que les sociétés canadiennes qui oeuvrent dans le domaine des télécommunications -- c'est en tout cas drôlement important pour celle que je représente -- s'attaquent résolument au moins au marché nord-américain plutôt que de se contenter de s'approprier une part de notre marché intérieur. C'est vraiment important. À cet égard, nous allons assister d'ici trois ou quatre ans à une évolution de la situation.
Passons maintenant à la diapositive suivante, qui traite de l'évitement. Certains continuent de voir dans cette pratique quelque chose d'absolument inadmissible. Ce sont notamment les sociétés monopolistiques bien établies qui s'en plaignent. On dit que c'est un problème majeur très répandu. On dit également qu'il a pour effet de freiner les investissements dans notre infrastructure intérieure. Voici mon point de vue sur cette question, que vous voudrez bien ne pas prendre au pied de la lettre. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'un problème très grave. Je ne crois pas non plus qu'il soit très répandu. Je vois mal d'ailleurs qu'une société puisse trouver intérêt à aller passer par les États-Unis pour ensuite revenir au Canada, à moins que les prix pratiqués sur notre marché soient aberrants.
Dans la mesure où il existe sur notre marché, ce problème tient au fait que nos principaux télécommunicateurs interurbains offrent des conditions plus avantageuses aux Américains qu'aux Canadiens. AT&T peut obtenir un meilleur prix que fONOROLA, Sprint Canada et AT&T Canada pour acheminer un appel des États-Unis en Saskatchewan. Pourquoi en est-il ainsi? Je ne voudrais pas m'en prendre particulièrement à SaskTel, mais cette société -- et elle n'est pas la seule -- a tenté de faire obstacle à ses concurrents canadiens. Étant donné que des sociétés de chez nous rendent ainsi plus difficile à leurs concurrents canadiens l'acheminement des appels dans ces marchés, leurs sociétés rivales, qui peuvent être des sociétés de notre taille ou de petits revendeurs, voire des sociétés à actionnaire unique, jugent la situation intolérable, se disent qu'elles ne devraient pas avoir à payer plus cher que le tarif normal et exigent d'être traitées sur le même pied que leurs concurrents.
Cette pratique disparaît rapidement. Essentiellement, chacun entre dans le rang et accepte l'idée que le marché canadien s'ouvre à la concurrence. Il se construit actuellement des installations au Canada. Tout ce problème de l'évitement n'est pas tellement grave et se dissipe rapidement.
Bien que certains -- c'est-à-dire les propriétaires d'installations monopolistiques qui veulent obtenir des prix supérieurs à ceux qui auraient normalement cours dans un marché ouvert à la concurrence -- dénoncent l'évitement, il demeure une solution aux problèmes auxquels font face les petites entreprises.
Traditionnellement, les grandes entreprises et les gouvernements ont loué d'importantes lignes privées les reliant aux États-Unis et y ont conclu des marchés intéressants avec AT&T, MCI, Sprint, et cetera. Les petites entreprises ne peuvent en faire autant. Où est la justice dans tout cela? Dans la mesure où de petites sociétés ont effectivement eu recours à l'évitement -- qui ne se pratique à peu près plus entre le Canada et les États-Unis, mais auquel d'aucuns recourent encore pour certaines communications outre-mer -- c'est qu'elles avaient besoin qu'on leur donne une chance à elles aussi et que des intermédiaires leur ont offert de leur en donner une. L'évitement n'a rien de souhaitable en soi, mais c'est une arme à deux tranchants. Il résulte tout simplement d'anomalies dans les prix demandés par nos principaux télécommunicateurs interurbains, et il est en voie de disparition rapide.
La diapositive suivante traite des emplois. J'y divise l'industrie en deux secteurs, celui dont ma société fait partie, et celui dont elle ne fait pas partie. Elle oeuvre dans le secteur des télécommunications. fONOROLA n'est pas un fournisseur de
contenu. À certains égards, je souhaiterais que ma société fasse partie de ce secteur, car il est appelé à croître plus rapidement et à créer plus d'emplois et plus de richesse que celui des télécommunications. Mais, dans la vie, il nous faut tous faire des choix.
De nos jours, on fait de moins en moins appel à la main-d'oeuvre pour exécuter le travail. Chez Bell Canada, par exemple, on compte un employé par environ 160 000 $ de ventes annuelles. Aujourd'hui, chez fONOROLA, nous avons un emploi pour quelque 500 000 $ de ventes annuelles, mais, encore là, nous devons nous retourner et acheter nos services locaux de Bell Canada. En faisant une moyenne pondérée, nous arrivons alors probablement à un emploi par 160 000 $ de revenus annuels. D'ici quelques années, ce ratio se situera à environ un emploi par quart de million de revenus.
En prenant cette affirmation telle quelle, on est porté à se dire que, dans quelques années, il y aura moins de gens qui travailleront dans cette industrie, mais c'est sans compter que cette industrie croît d'environ 5 p. 100 annuellement. Compte tenu de l'évolution dans le niveau de compétence qu'on exige des employés, la diminution du nombre d'emplois sera largement compensée par le fait qu'il y aura croissance de la consommation. Il demeure toutefois que nous connaîtrons un problème de désorganisation du marché du travail.
Le secteur du contenu crée beaucoup plus d'emplois que celui des télécommunications, et, cette fois, à peu près sans inconvénients. Encore là, il s'agit d'emplois qui requièrent des qualifications supérieures. Ce sont des emplois du genre qu'on trouve à Softimage, où l'on crée toutes sortes d'applications spécialisées à l'intention des sociétés cinématographiques. Ces emplois exigent une grande compétence. Oui, le secteur du contenu offre d'immenses possibilités. Dans une certaine mesure, on assiste à la disparition des liens traditionnels entre le contenu et les télécommunications.
Les câblodistributeurs ne seront plus propriétaires d'entreprises de télédiffusion. Autrement dit, les entreprises de télédiffusion ne seront plus à la merci des câblodistributeurs pour transmettre leur message dans les foyers, car elles auront le choix entre six autres façons de le faire. Il sera donc également possible de faire de la publicité en empruntant de nouvelles méthodes. Je reviendrai un moment sur cette question quand nous en serons à la diapositive portant sur le contenu.
Un autre aspect de cette question qui me préoccupe vivement, ce sont les conséquences de cette mutation non seulement dans le domaine du divertissement, mais également dans celui de l'enseignement. Cet aspect est abordé sur la diapositive suivante, qui porte sur les questions d'ordre culturel.
Je vais vous donner un exemple. Je siège au comité de vérification de l'Université McGill. De cette position stratégique, je m'intéresse à ce qui se passe à cette institution. Il me semble tout à fait concevable que, d'ici cinq ans, et presque assurément d'ici dix ans, la méthode d'enseignement qu'on appliquera alors
ne nous permettra plus de voir un professeur, qui est également un directeur de recherche dans un laboratoire à l'étage supérieur, enseigner en personne à 72 étudiants. Dans quelques années, on aura plutôt un directeur d'études qui suggérera aux étudiants d'écouter la conférence donnée par le professeur Untel qui, cette année-là, s'adresse à ses auditoires depuis Cern ou Stanford.
En réalité, la diffusion du contenu intellectuel de l'enseignement proprement dit reposera alors sur des serveurs. La question se pose donc de savoir de quels serveurs il s'agira et d'où proviendra le contenu qu'ils offriront.
Je vous le répète, c'est beaucoup demander à un ingénieur minier de parler de culture. Je vais vous faire part tout bonnement de quelques-unes de mes réflexions, en comptant sur votre indulgence.
Je crois qu'aucun des points de contrôle traditionnels touchant le contenu ne pourra s'appliquer à l'enseignement ou au divertissement offert par l'entremise d'un serveur. Nul ne pourra empêcher de cheminer ce qui est véhiculé par un serveur. Ce sera donc le consommateur, et non un quelconque organisme réglementaire, qui décidera du contenu. Nous ne verrons pas cela cette année, ni l'an prochain, ni dans deux ans, mais fort possiblement dans cinq ans, et assurément dans dix ans. Cette transition s'effectuera graduellement.
La présidente: Quels sont, à votre avis, ces points de contrôle traditionnels?
M. Peeters: Premièrement, il y a les organismes qui émettent des licences de télédiffusion et qui exigent que la chaîne «X» offre des émissions sportives et que la chaîne «Y» présente des émissions à contenu canadien. Il y a les normes concernant l'équilibre entre le contenu canadien et le contenu étranger, ainsi que les efforts pour interdire la présentation de certains types de scènes de violence, et cetera. Ces barrières ne tiendront plus. Si le commun des mortels peut passer son message sans qu'il lui soit nécessaire de détenir une licence, comment pourra-t-on lui imposer des règles? Où sera le robinet qu'on pourra fermer? Il n'y aura plus de tel robinet, car le message voyagera sur Internet. Je ne veux pas parler de l'Internet que nous connaissons aujourd'hui, mais plutôt d'un dispositif qui pourra vous fournir très rapidement ce que vous lui demanderez. Quant au serveur qui vous procurera l'accès à ce réseau, il pourra se trouver n'importe où dans le monde, voire dans l'espace. Nous amorçons à cet égard une transition qui pourra nous être salutaire, mais qui comporte également des dangers.
Deuxièmement, la notion même de chaîne de télévision ou de radio devrait commencer à disparaître d'ici cinq ans. Des gens vous approcheront et vous demanderont ce que vous aimeriez voir. Vous leur ferez part de vos souhaits et ils y répondront. Il n'y aura pas de chaînes. Vous recevrez par l'intermédiaire d'un serveur ce que vous aurez demandé. Les gens qui contrôlent la production et qui concluent des marchés avec les distributeurs et les annonceurs constateront que les anciens intermédiaires ont été remplacés. Cela ne les empêchera pas de survivre, mais ils devront faire affaire avec de nouveaux intermédiaires. Comment pourra-t-on contrôler les revenus publicitaires d'une production qui proviendra d'un serveur du Connecticut ou des Antilles? Il y aura de la réclame publicitaire, mais où l'émission aura-t-elle été produite? Qui en aura le contrôle? C'est le consommateur qui l'aura demandée. Aucun organisme particulier ne contrôlera le réseau. Le traditionnel cercle fermé que constituaient le producteur, le distributeur et l'annonceur sera pris d'assaut. Je ne saurais vous dire à quoi tout cela va mener, mais chose certaine, ceux qui ont actuellement le sentiment qu'on leur barre la route y trouveront des possibilités nouvelles et ceux qui dominent à l'heure actuelle nos structures décisionnelles auront de nouveaux défis à relever.
Troisièmement, le Canada ne pourra demeurer maître du contenu. Nous pourrons obtenir plus que notre part de contenu canadien si nous sommes les premiers à brancher les foyers, les écoles et les petites entreprises à des réseaux comportant des liaisons de télécommunications bidirectionnelles ultrarapides. Par exemple, si c'était vraiment à McGill ou à Queens que se donnait le meilleur enseignement d'ingénierie minière, et si les gens du Colorado n'avaient mieux à faire que de s'y brancher pour s'en abreuver, le Canada serait gagnant. Mais si, à l'inverse, le meilleur enseignement se donnait au Colorado et si nous avions tous avantage à nous y brancher, le Canada serait perdant.
Nous devons procurer à tous nos établissements et à toutes nos petites entreprises, non seulement aux plus grandes -- d'ailleurs, la Banque Royale peut très bien se débrouiller toute seule --, l'accès à des réseaux de télécommunications bidirectionnelles ultrarapides dotés des techniques les plus perfectionnées de reproduction de l'image et du son. Nous devons développer cette capacité de façon à pouvoir occuper, avant même les Américains, une part démesurément importante de contenu intellectuel en proportion de notre population, contenu auquel les gens de partout auront accès, sur simple composition d'un code, pour recevoir leur émission, leur enseignement ou leur divertissement. Si nous omettons de faire cela, nous perdrons alors assurément le contrôle sur ce genre de véhicules culturels et nous serons à proprement parler des nullités sur le plan de l'influence culturelle que notre pays pourra exercer sur le reste du monde en regard de ce que le reste du monde pourra avoir d'influence sur nous.
Je ne suis qu'un ingénieur minier, et je vous prie d'en tenir compte dans l'appréciation de mon témoignage. Ma vision s'inspire largement de celle des gens avec qui je travaille ou qui s'adressent à nous pour obtenir des services de télécommunications.
Voilà qui met fin à mon exposé. Allez-y maintenant de vos questions. Je serai heureux d'y répondre.
La présidente: Vous nous avez fait un exposé intéressant, monsieur Peeters. Nous aimerions bien vous poser chacun une cinquantaine de questions, mais nous tenterons de nous limiter et de freiner nos ardeurs.
Le sénateur Rompkey: J'ai pris bonne note de ce que vous avez dit à propos de la mine d'information que l'ingénieur minier que vous êtes vient de nous transmettre.
Saviez-vous qu'à l'Université Acadia on fournit maintenant un ordinateur à chaque étudiant, que l'utilisation de l'ordinateur y est obligatoire et que cet établissement est câblé? S'agit-il, selon vous, d'un pas en avant? Cette initiative va-t-elle aider les étudiants à se brancher à des serveurs et leur permettre d'avoir accès à l'information?
M. Peeters: C'est indéniablement un pas en avant. Si les étudiants ne sortent pas des universités et des écoles secondaires très à l'aise avec le maniement des outils de base de l'industrie, ils partiront drôlement perdants.
La plupart du temps, quand nous embauchons des gens, nous ne leur demandons pas s'ils ont un diplôme d'ingénieur ou de comptable, mais bien dans quelle mesure ils maîtrisent PowerPoint ou Excel et s'ils préfèrent les logiciels de Microsoft ou ceux de Corel. S'ils répondent correctement à ces questions, nous les interrogeons à propos de leur diplôme... mais nous ne leur demandons pas forcément lequel ils ont obtenu. Nos écoles doivent se faire à l'idée que la connaissance de l'informatique est une nécessité tout aussi élémentaire que celle de l'écriture et de la lecture.
Cela dit, le point que vous soulevez est important, car nous devons faire en sorte que les gens, tout particulièrement ceux qui sont les agents ou les créateurs de la propriété intellectuelle, soient capables de traiter l'information. Va pour l'ordinateur, mais qu'en est-il du réseau? Les communications consistent dans une large mesure à brancher l'intelligence, humaine ou artificielle, à un réseau pour en tirer un certain volume d'information. Ce qui frustre surtout les mordus de l'Internet, ce n'est pas tellement le manque de contenu, mais le temps qu'il faut pour voir défiler l'information d'un écran à l'autre et l'état de congestion dans lequel se trouve parfois le système. C'est que le débit est tellement lent. On ne peut parler de communications ultrarapides, car nous n'en sommes pas encore là, ni nous ni personne d'autre, du moins pas sur une grande échelle. Certaines universités ont sur le campus un système de communications internes ultrarapides, mais, dès qu'on s'éloigne un peu de l'établissement, ça ne fonctionne plus.
Oui, c'est un pas obligé dans la bonne direction. La prochaine étape consistera à nous doter d'un réseau de communications à la hauteur de nos attentes, ultrarapides et à grande capacité de traitement.
Le sénateur Rompkey: Vous nous avez expliqué qu'il n'était plus possible d'imposer des règles ni d'exercer un contrôle. Puisque nous parlons de politique canadienne, dans quelle mesure peut-il encore en exister une, selon vous? Les pressions sont tellement fortes dans le sens de la déréglementation.
M. Peeters: J'ai abordé cette question lorsque je vous ai montré les dernières diapositives. On ne saurait maintenant élaborer une politique canadienne en partant du principe qu'il est encore possible d'ériger des barrières. Ce serait aller à l'encontre du progrès. Ce serait opter pour une attitude digne du roi Canut. Il ne servirait à rien d'élever des barrières. Ce que nous devons comprendre, c'est que nous serons envahis par le contenu des autres à moins que nous ne produisions davantage qu'eux et que nous ne nous emparions du marché.
Je vais vous illustrer mon propos par un exemple. Imaginons quelqu'un qui a du succès avec son site sur le web ou qui se sert d'un site pour y donner une formation dans un domaine quelconque. Grâce aux profits qu'il réalise, il améliore constamment son produit ou son service, et ce, jusqu'à ce qu'il en vienne à dominer le marché dans son créneau ou jusqu'à ce que deux ou trois entreprises comme la sienne dominent ce marché. J'ai parlé il y a un moment de ma vision de tout ce que nous pourrions réaliser dans notre secteur de l'enseignement universitaire et du danger que ce soit le contraire qui se produise. Il pourrait en effet arriver que, compte tenu des contraintes budgétaires auxquelles tout le monde est confronté, nous nous demandions -- c'est-à-dire nos universités -- si nous n'aurions pas avantage à nous brancher sur les cours de Stanford, auquel cas Stanford recueillerait suffisamment d'argent pour pouvoir enrichir le contenu de son site et finalement dominer une, deux ou trois disciplines dans toute l'Amérique du Nord. Au bout du compte, l'argent, les emplois faisant appel au savoir, et les étudiants diplômés, tout s'en irait chez nos voisins du Sud, là où s'exerce le pouvoir d'attraction.
La clé, c'est d'occuper rapidement et dès le début le territoire intellectuel pour que l'argent vienne à nous. Nous devons nous doter de liaisons ultrarapides, brancher la petite entreprise. Nous devons -- et ce n'est pas une tâche facile -- mettre au point des modes efficaces de perception des droits, trouver le moyen de rémunérer le créateur du contenu intellectuel. Comme ceux d'entre vous qui suivent l'évolution d'Internet l'ont peut-être noté, le système n'est pas encore particulièrement au point. Mais les choses s'améliorent. Telle doit être notre politique, mais il ne saurait être question de tarder à agir. L'inertie n'a pas sa place dans une telle politique.
Il faut avoir pour politique d'être les premiers à occuper le terrain, de faire de notre pays, en quelque sorte, un laboratoire pour que quiconque, à l'étranger, fabrique un produit, veut offrir quelque chose par l'intermédiaire d'un serveur ou lancer une nouvelle technologie puisse se dire: «Je veux aller au Canada parce que c'est là qu'on trouve la meilleure infrastructure.»
Il s'est fait, dans cet esprit, des choses intéressantes dans les Maritimes, où les investissements dans l'infrastructure ont été compensés par les emplois créés. Le cas de NB Tel en est une éloquente illustration. Nous devons relever le défi de rééditer cet exploit à la grandeur du Canada, en donnant aux foyers canadiens accès à un réseau de télécommunications doté d'une capacité de traitement de l'information qui soit nettement supérieure à celle que les sociétés de téléphonie ou de câblodistribution offrent à l'heure actuelle. Si nous comprenons cela clairement, nous serons vainqueurs et nous pourrons maintenir notre avance sur le peloton.
Le sénateur Rompkey: Je voulais vous demander quelle pourrait être, selon vous, l'incidence d'une telle politique dans les régions. Avant de vous poser cette question, j'aimerais toutefois avoir des précisions sur l'importance que peut revêtir, dans ce nouveau contexte, le fait d'avoir effectué des études supérieures. Si jamais vous n'êtes pas en mesure de nous donner une réponse aussi complète que vous le voudriez, auriez-vous des lectures ou d'autres sources de renseignements à nous suggérer? Peut-être voudrez-vous aller jusqu'à nous fournir vous-mêmes d'autres documents susceptibles de nous intéresser.
En ce qui concerne les emplois pour les jeunes, nous devons être conscients des transformations que devra subir notre système d'éducation si nous voulons donner à nos étudiants la formation dont vous avez parlé. Je ne m'intéresse pas uniquement à l'enseignement supérieur. Nous avons maintenant aussi le Réseau scolaire canadien, que je ne connais malheureusement pas encore très bien. J'aimerais savoir ce qui, selon vous, devrait être fait en éducation au Canada pour faciliter l'accès à la technologie et la production de contenu canadien, si nous voulons vraiment nous attaquer à ce problème.
M. Peeters: Je n'ai pas sous la main d'ouvrage que je pourrais vous prêter. C'est une question vaste, car elle touche une foule de domaines.
D'abord, de quoi ai-je besoin quand j'embauche quelqu'un? J'engage beaucoup de gens. Nous sommes généralement très exigeants envers nos fournisseurs. Lorsque nous leur achetons une pièce d'équipement, nous leur demandons de nous donner en plus 100, voire 300, jours de formation pour familiariser nos employés avec le fonctionnement de l'appareil en question, sachant très bien que, dans trois ans, nous allons devoir le mettre au rancart et renouveler la formation qui avait été donnée à nos employés. C'est à ce rythme que nous fonctionnons.
Cette formation se donne-t-elle dans les écoles? Non, car les écoles n'ont pas de commutateurs DMS-250. Elle doit être dispensée par l'industrie elle-même. L'industrie a de grandes responsabilités.
Dans notre cas, nous sommes une jeune entreprise. Nous avons largement eu recours à des gens qui avaient acquis de l'expérience à l'emploi de sociétés de téléphone. Nous avons constamment environ 10 p. 100 de notre personnel qui est en formation.
J'ai parlé tantôt de l'utilisation des ordinateurs et de la capacité de faire un tableur, de se servir de logiciels de traitement de texte et de fichiers et d'accéder à l'Internet. Ce sont des notions de base qu'on acquiert à l'école secondaire, du moins ce devrait être le cas. Nous devrions nous faire à l'idée que ce devrait être la norme. Faute de maîtriser ces notions, vous ne serez pas embauché chez nous, seriez-vous titulaire d'un doctorat. Vous devez avoir cette compétence.
Aucun de nos cadres n'a de secrétaire. Nos cadres font le travail eux-mêmes. Le travail est envoyé au secrétariat et quelqu'un le révise. Nous exigeons au minimum de tous nos employés qu'ils puissent travailler sur un ordinateur et qu'ils soient capables de faire un tableur. Si vous notez une faute d'orthographe dans cet exposé, dites-vous bien que c'est moi qui en suis l'auteur, non pas un employé de la conception graphique ou des relations publiques. Les gens doivent sortir des écoles secondaires avec ce niveau d'instruction de base. Nous sommes très loin de cet objectif au Canada.
Il faut se faire à l'idée que, quel que soit le type d'ordinateurs qu'on installe dans les écoles secondaires pour former nos enfants, les logiciels ont une espérance de vie d'environ 12 mois, après quoi il faut les mettre au rancart. D'ailleurs, au rythme où se fait l'évolution actuellement, il faut aussi changer les ordinateurs tous les trois ans. Il n'en sera pas toujours ainsi, mais c'est comme cela aujourd'hui.
S'agit-il d'un gros investissement? Bien entendu. Ceux qui ont la chance d'avoir un ordinateur à la maison sont assurés d'avoir un emploi. Pour ceux qui n'en ont pas, ce pourrait être assez difficile.
Le sénateur Rompkey: Il n'y a pas de ministère canadien de l'éducation ni de politique canadienne de l'éducation, mais plusieurs ministères ont des programmes qui pourraient être utiles à cet égard. Par exemple, Industrie Canada a quelques programmes que nous aurions avantage à mieux connaître. Un de ces programmes aidera les écoles à se doter d'ordinateurs. J'aimerais en savoir plus long au sujet de ce programme, et peut-être que le comité le souhaiterait également. C'est un aspect sur lequel nous devrions tout particulièrement nous pencher.
Si nous avons une lacune à cet égard au Canada, ou s'il s'agit d'un défi que nous devons relever, que faisons-nous pour régler le problème? John Manley se préoccupe-t-il de cette question? Qui d'autre s'y intéresse et essaie de relever le défi? Notre comité devrait s'en faire une priorité.
Quand vous dites que vous allez investir, dans quel secteur avez-vous l'intention de le faire?
M. Peeters: Si vous parlez des installations physiques, nous construisons des réseaux de transmission à fibres optiques qui assurent la liaison entre les villes. Tout à l'heure, je vous ai montré une carte sur laquelle on voyait un tracé en jaune qui reliait les villes entre elles. Ce tracé représente le premier réseau transcontinental canadien de télécommunications à fibres optiques n'appartenant pas au groupe Stentor.
De telles installations à fibres optiques sont essentielles pour transmettre des données à haute vitesse. Elles pourraient servir à acheminer, par exemple, des appels téléphoniques, des services Internet, des signaux téléphoniques ou des signaux d'émissions éducatives. C'est ce genre d'installations que nous construisons. Nous nous occupons de la portion interurbaine, et non de la portion locale, car ce sont des sociétés détentrices d'un autre type de licence qui s'en chargent.
Nous investissons énormément dans ce secteur. Malgré sa taille modeste, notre entreprise a construit plus d'installations à fibres optiques que n'importe quelle autre société au Canada ces dernières années. Nous avons construit ces installations soit seuls, soit comme maîtres d'oeuvre. Nous croyons que ce sont d'importantes réalisations.
Nous possédons en outre des centres de commutation. Je veux parler ici de nos commutateurs Northern Telecom de Montréal, de Toronto, de Calgary et de Vancouver. Il s'agit là de la plus vaste plate-forme de commutation après celle du groupe Stentor. Nous en avons également construit une dans l'État de New York et une autre dans l'État de Washington, car nous entendons nous implanter aux États-Unis. Nous voulons faire une percée sur le marché américain tout comme les Américains savent si bien le faire chez nous.
Jusqu'à maintenant, nos investissements et nos engagements d'investissement dépassent les 140 millions de dollars. Pour une entreprise qui n'existait pas il y a cinq ans, ce n'est pas mal du tout, je pense. Voilà ce qu'il en est de nos investissements dans les installations physiques.
Le sénateur Rompkey: En quoi votre entreprise diffère-t-elle d'AT&T Canada, par exemple?
M. Peeters: D'abord, la nôtre est plus petite. Pour le reste, on peut dire que les deux entreprises ont des similarités et des différences. AT&T a comme nous des installations de transmission. En fait, la société Unitel, avant de passer aux mains d'AT&T, avait construit beaucoup de telles installations. D'ailleurs, il s'en était aussi construit un bon nombre du temps de CNCP. Nous partageons avec AT&T certains câbles à fibres optiques, parce que, quand le CN a mis fin à son partenariat avec le CP, nous avons acheté les câbles à fibres optiques qui appartenaient au CN et nous les avons mis en service. Nous nous livrons une âpre concurrence, AT&T et nous, dans toutes sortes de domaines.
Ce qui différencie surtout fONOROLA des deux plus grandes sociétés qui n'appartiennent pas au groupe Stentor -- AT&T et Sprint Canada --, c'est que nous préférons concentrer nos efforts de commercialisation sur le marché de gros. Nous sommes en quelque sorte un grossiste dans le domaine des télécommunications. Environ 40 p. 100 de nos affaires consistent à transmettre des signaux d'autres entreprises. Il y a au Canada beaucoup d'autres revendeurs, des sociétés de petite taille qui distribuent des services de télécommunications aux communautés ethniques ou aux régions périphériques, par exemple. Ils font appel à fONOROLA. Nos clients sont souvent des acheteurs d'interurbains qui recherchent des services plus spécialisés.
Nous n'avons pas fait de campagne de commercialisation de masse. Pour vous donner une idée de l'ampleur de telles campagnes, Bell et les sociétés du groupe Stentor vont dépenser cette année quelque 400 millions de dollars en publicité de masse, soit environ 2,5 fois ce que les entreprises américaines dépensent normalement en moyenne à ce poste. C'est une véritable frénésie.
Les gens d'AT&T et de Sprint se sont servis de la notoriété de leur marque pour livrer leur concurrence. fONOROLA pourrait difficilement en faire autant, car elle n'a de racines qu'au pays. Nous misons sur l'originalité de notre nom pour qu'éventuellement les gens se souviennent de nous. Nous ne faisons pas autant de publicité de masse que ces entreprises.
Pour ce qui est du reste, nous offrons essentiellement les mêmes services de part et d'autre, sauf que fONOROLA concentre ses efforts de commercialisation sur une catégorie spéciale d'acheteurs, sur ceux qui recherchent des produits haut de gamme, des services technologiques de pointe. Nous avons fourni des capitaux de démarrage à i-Star Internet, dont les bureaux sont à Ottawa. C'est fONOROLA qui a en quelque sorte financé le lancement de cette entreprise. Nous lui avons prêté la mise de fonds initiale, et elle est maintenant un des bons clients de notre société et d'autres sociétés également.
Nous avons aussi contribué au lancement du groupe Milkyway, qui a également ses bureaux à Ottawa. Ce groupe fabrique des garde-barrières connus sous le nom de Black Hole; il s'agit de dispositifs de sécurité qui empêchent les intrus de s'immiscer dans votre réseau local. Nous aidons de telles sociétés à démarrer parce qu'elles sont de celles dont les activités sont centrées sur le savoir et sur lesquelles nous comptons pour nous développer.
Je pourrais vous entretenir pendant des heures de ce qui différencie notre entreprise des autres. Je pense que je ferais mieux de m'arrêter ici, mais je vous remercie de m'avoir posé cette question.
Le sénateur Rompkey: J'aurais une autre question. J'aimerais connaître votre opinion au sujet des nouvelles divisions qui se font jour au Canada. Nous avions déjà les divisions entre l'Est et l'Ouest, entre les francophones et les anglophones, et entre les mieux nantis et les plus démunis.
Dans quelle mesure, selon vous, les régions rurales pourront-elles avoir accès à ces nouvelles technologies? J'aimerais connaître votre opinion là-dessus?
M. Peeters: Je suis heureux de pouvoir aborder cette question. C'est l'un de mes sujets préférés.
Nous avons soumis une demande de licence pour offrir des SCML non pas dans 66 grands centres, mais dans 367 cités et villes.
Sur l'une de mes diapositives, je mentionne que ces merveilleuses innovations technologiques présentent certains risques, notamment celui de créer des trous noirs technologiques si les petites villes et les régions rurales ne sont pas couvertes.
D'ailleurs, dans la politique d'octroi des licences, il faudrait établir que les licences ne peuvent pas être accordées pour les seules régions de Toronto, de Montréal et de Vancouver. L'entreprise qui a la chance d'en obtenir une devrait aussi se voir imposer l'obligation de ne pas s'en tenir aux marchés les plus facilement accessibles.
J'ai toujours cru personnellement que les licences qui sont octroyées à des entreprises offrant l'accès à des services locaux de télécommunications ultrarapides devraient être assorties de l'obligation de couvrir non seulement les grands centres, mais aussi les petites villes.
Si on me donne le droit exclusif de desservir toute une série de petites villes, je serai naturellement porté à attendre en dernier pour aller offrir mes services dans la plus petite d'entre elles. Mais si je sais que quelqu'un d'autre ira peut-être s'y implanter avant moi, je ferai tout pour être le premier à y installer ma bannière. La concurrence est donc une bonne chose.
En toute logique, le détenteur d'une licence devrait faire non seulement le facile, mais aussi le difficile. Autrement dit, il devrait être tenu de desservir les petites villes et les régions rurales au même titre que la grande ville. Il devrait toujours y avoir ce genre d'obligation.
Il faut aussi assurer la concurrence entre entreprises dans les petites villes. Il ne serait pas normal qu'il y ait de la concurrence dans les grandes villes et des monopoles dans les petites. Ce serait une erreur, car, sans concurrence, les petites villes finiraient par être des laissées-pour-compte sur le plan technologique ou risqueraient de connaître ce sort. D'ailleurs, une telle situation amènerait les petites villes à être les vaches à lait des grandes, ce qui serait injuste.
Il existe des régions éloignées qui sont bien servies. Je songe aux Iles Orkney au large de l'Écosse qui, bien que lointaines, sont dotées, aussi étonnant que cela puisse paraître, de services de télécommunications à fibres optiques.
Le sénateur Rompkey: Comment expliquer cela?
M. Peeters: Le gouvernement a adopté une politique en conséquence. Je ne me souviens plus si l'implantation de ces services a été subventionnée ou non. Quand on octroie une licence pour Toronto, il importe qu'on en accorde également une pour Moosonee.
La solution, c'est de ne pas traiter les petites villes comme des endroits de seconde zone. Si l'on part du principe qu'il doit y avoir de la concurrence à Toronto et à Montréal, mais pas forcément à Noranda ou à Sudbury, on fait erreur. Le gouvernement pourrait très bien exiger qu'il y ait de la concurrence dans les petites villes comme dans les grandes.
Nos demandes de licence ont toujours été soumises sur cette base. Je pense que c'est un bon principe, car autrement, on finit par avoir des trous noirs où il sera impossible d'assurer la présence d'une industrie du savoir. L'accès à ces services de télécommunications est essentiel à cette industrie. Elle peut s'établir n'importe où, pourvu qu'elle puisse se brancher.
Nous devrions éviter de croire, comme trop de Canadiens le font, qu'il faut des monopoles dans les petites villes et de la concurrence dans les grandes. Dans les grandes villes, on peut capter 66 chaînes de télévision, contre 12 dans les petites.
Le sénateur Rompkey: Que prévoit la politique actuelle à cet égard?
M. Peeters: Actuellement, les politiques sont établies au cas par cas. Si l'on prend l'exemple de la dernière décision rendue par Industrie Canada concernant l'attribution des licences de LMCS, des monopoles ont été créés dans toutes les villes. Une entreprise aura l'exclusivité à Toronto, et une autre à Sainte-Marie-de-Beauce. Dans les deux cas, il serait souhaitable qu'il y ait de la concurrence.
Je me dis d'ailleurs que les petites villes offrent probablement d'excellentes possibilités d'affaires. Si, par exemple, je m'amène à Sudbury avec 100 canaux de télévision, l'accès à Internet, un service téléphonique de base peu coûteux et des tarifs interurbains réduits de moitié, j'ai des chances de devancer mes concurrents et de m'emparer d'une bonne part du marché parce que je m'adresse alors à une clientèle en manque de ces services. C'est une chance dont les gens ne pensent pas toujours de profiter. N'allez pas croire que tout cela n'est qu'altruisme, car je crois qu'une telle stratégie peut rapporter gros.
Sur d'autres plans, la politique canadienne s'est révélée très efficace. En général, on observe au Canada un taux plus élevé de pénétration du service téléphonique dans les foyers que dans les autres pays.
Nous ne sommes pas très impressionnés quand nous nous rendons dans certaines régions des États-Unis et que nous y comparons leurs services téléphoniques locaux aux nôtres. Je ne voudrais surtout pas vous donner l'impression que la politique canadienne m'apparaît comme un gâchis. Selon moi, nous devrions être vigilants et, dans notre empressement à vouloir accéder aux technologies de pointe, ne rien sacrifier de notre principe d'universalité. Je suis un fervent adepte des technologies de pointe, mais je pense que nous devrions tenir comme sacré le principe de leur omniprésence.
Le sénateur Adams: Les entreprises comme la vôtre ont-elles maintenant plus librement accès au secteur des télécommunications ou de la téléphonie, ou doivent-elles encore s'adresser au CRTC pour obtenir l'autorisation de se lancer en affaires dans ce domaine?
M. Peeters: Le CRTC a le pouvoir de réglementer les activités des télécommunicateurs interurbains, mais il ne le fera pas, car il croit qu'il y a suffisamment de compétition dans ce secteur, que nous nous y livrons une concurrence suffisamment âpre sur le plan des tarifs et de la diversité des services, et qu'il n'a pas à intervenir pour exercer une surveillance étroite sur ce qui s'y passe.
Il y a des secteurs où nous sommes assujettis aux décisions des organismes de réglementation. Comme je vous l'ai signalé tout à l'heure, l'accès aux services de téléphonie locale est dans une large part contrôlé par un monopole. Chez fONOROLA, par exemple, c'est le volet qui nous coûte le plus cher. C'est d'ailleurs la difficulté d'accéder à ces services qui bloque les télécommunications ultrarapides. Les installations doivent être renouvelées et modernisées. Il s'impose vraiment que le CRTC prenne des décisions propres à libéraliser ce secteur. Il faudrait que le ministre de l'Industrie prenne une décision concernant l'octroi des licences de transmission radio des communications locales afin de rendre ces marchés locaux plus concurrentiels.
Le CRTC a tenu des audiences sur le dégroupement des services, c'est-à-dire sur la possibilité d'autoriser la revente séparée de chacune des composantes du service de téléphonie locale. Il ne serait plus nécessaire de se procurer ces services auprès de Bell ou de New Brunswick Tel; on pourrait les obtenir chez un revendeur. L'étape suivante serait l'autorisation de la concurrence entre les propriétaires d'installations de téléphonie locale. Dans le cas des services interurbains, une telle évolution a permis d'accroître considérablement la qualité du service offert.
Il suffit d'être un tant soit peu perspicace pour constater que la politique du gouvernement va dans ce sens, mais je voudrais tellement que les choses aillent plus vite.
Le sénateur Adams: Qu'avez-vous à dire des réseaux téléphoniques détenus par des gouvernements provinciaux, par opposition à des entreprises comme la vôtre? Je songe, par exemple, à Bell Canada en Ontario. Le problème se pose-t-il aussi dans d'autres provinces?
M. Peeters: Deux facteurs influent sur la situation. Premièrement, les provinces en difficulté vendent ou privatisent leurs sociétés de téléphone; deuxièmement, nous avons fait un grand pas en avant, en 1993, avec l'adoption de la Loi sur les télécommunications, qui prévoyait le regroupement de toutes les télécommunications au Canada sous une seule autorité et qui comportait certains engagements en vue de la déréglementation et de la libéralisation des télécommunications sous tous leurs aspects.
La situation n'est pas aussi rose aux États-Unis, où il y a encore des régies de services publics locales qui fixent les tarifs et établissent toutes les règles.
La concurrence a été plus lente à s'instaurer à certains endroits. Tout à l'heure, j'ai mentionné que la Saskatchewan s'était engagée, en vertu d'une entente conclue il y a quelques années, à exclure toute concurrence jusqu'à cette année.
Il y a eu aussi, jusque tout récemment, ces cas où les acteurs sur le marché s'entendaient pour ne pas se faire concurrence à certains endroits, notamment dans les petits centres. Notre détermination à construire ces installations transcontinentales de télécommunications à fibres optiques tient précisément à notre volonté d'enrayer cette pratique. Nous entendons offrir nos services partout, pas seulement à Toronto, à Montréal et à Vancouver.
Le problème n'est pas uniquement imputable, directement ou indirectement, au gouvernement, car il tient également à l'absence de volonté du secteur privé de faire le nécessaire pour le régler.
Le sénateur Adams: Qu'en est-il du secteur de l'interurbain? Il paraît qu'il en coûte plus cher pour téléphoner de Fort Smith à Frobisher Bay que de Fort Smith à Vancouver. Fort Smith est situé à environ 30 milles au sud de Yellowknife. Est-ce que le gouvernement, ou le CRTC, réglemente ce tarif?
M. Peeters: La persistance de telles anomalies découle de l'absence de concurrence réelle sur ces marchés. La situation revient très vite à la normale lorsqu'on laisse libre cours à la concurrence. Je suis plus familier avec les tarifs de la région de Rouyn-Noranda. C'est fou ce qu'on y paie pour les interurbains. Les tarifs qu'on y pratique sont tellement élevés que les gens de Rouyn-Noranda qui veulent téléphoner à Montréal essaient d'obtenir que ce soit leurs interlocuteurs de Montréal qui se chargent de les appeler. Ça en devient ridicule.
Quand on ouvre le marché à la concurrence, les anomalies de ce genre disparaissent. J'avais coutume d'aller travailler dans l'Arctique durant l'été. Dans les très petites localités éloignées, comme Povungnituk, Iqaluit et ce qu'on appelait autrefois Wakeham Bay, les appels sont acheminés par satellite. Dans ces cas-là, le gouvernement doit intervenir. Il ne peut y avoir de liaisons terrestres concurrentielles de télécommunications vers ces localités. Le gouvernement doit donc intervenir s'il veut vraiment que les services téléphoniques de base soient disponibles dans toutes les localités canadiennes.
Le Canada est un pays très urbain. En y couvrant les 300 principales villes, on atteint plus de 95 p. 100 de la population.
Le défi de fournir le service à tous ces centres est moins lourd, toutes proportions gardées, que le défi équivalent aux États-Unis, par exemple, où un pourcentage nettement plus élevé de la population vit dans de petites localités.
Contrairement à ce que l'on est généralement porté à croire, nous serions, selon moi, mieux en mesure que certains autres pays de relever ce défi, et j'estime que nous devrions nous y attaquer.
Le sénateur Adams: Vous avez parlé de matériel de commutation. Pouvez-vous vous en servir pour recruter des clients? Vous avez mentionné que ce matériel était fabriqué aux États-Unis. Vous sert-il à ravir des clients aux sociétés de téléphone avec lesquelles vous êtes en concurrence? Comment s'effectuent ces raccordements? Le nombre d'appels que vous pouvez acheminer est-il limité? Comment fonctionne ce système?
M. Peeters: Nous avons un commutateur d'appels téléphoniques. Le client qui veut faire un interurbain indique à sa société de téléphone locale d'acheminer son appel en direction de mon commutateur.
Pour mieux vous représenter l'affaire, vous n'avez qu'à imaginer l'ancien système de standards téléphoniques, où vous tiriez et branchiez des fils, sauf que dans ce cas-ci le branchement des fils est fait par un ordinateur, non par un standardiste. Dans les circuits, c'est la même chose.
Par exemple, la société de téléphone programme son commutateur de manière à pouvoir diriger votre interurbain vers mon commutateur, lequel est programmé pour exécuter une série de fonctions. Aucun humain n'a à intervenir dans le processus. À l'aide de son programme, l'ordinateur décide de la façon dont il doit traiter chaque appel.
Tous les télécommunicateurs de l'industrie doivent s'entendre entre eux pour s'assurer que leurs divers commutateurs sont tous compatibles. Même si nous sommes en concurrence et que nous ne perdons pas une occasion de nous attaquer les uns les autres, nous adhérons tous à certaines normes en matière de télécommunications. Autrement, tout le système flancherait. Ces normes sont élaborées par Bellcore, et nous y adhérons tous.
La présidente: Nous avons tous été stupéfaits d'apprendre, au bulletin de nouvelles de la fin de semaine, que 80 p. 100 des humains dans le monde n'ont pas accès au service téléphonique.
M. Peeters: Je n'ai pas de mal à le croire.
La présidente: Nous sommes tellement prompts à oublier que, dans le domaine des télécommunications, nous sommes un pays extrêmement avancé.
Si vous aviez à nous soumettre aujourd'hui trois recommandations pour aider notre pays à continuer de progresser dans le domaine des télécommunications, quelles seraient-elles?
M. Peeters: Voulez-vous parler même de recommandations dont l'application ne me profiterait pas directement?
La présidente: Nous savons que vous avez une âme généreuse.
M. Peeters: Je pencherais en faveur de recommandations favorisant la concurrence et le libre accès aux services de télécommunications locales. La difficulté d'accès aux télécommunications locales pose obstacle à la transmission des données sur Internet et nuit à la rentabilité d'entreprises comme la nôtre. C'est un goulot d'étranglement à un certain nombre d'égards. Je ne dis pas cela pour critiquer les sociétés de téléphone existantes. Il se trouve simplement qu'elles ont la main haute sur d'imposantes installations physiques qu'on ne peut remplacer du jour au lendemain.
J'encouragerais fortement le gouvernement à ouvrir davantage et le plus rapidement possible le marché à la concurrence et à favoriser l'accès aux services de télécommunications locales. Ceux qui sauront rendre plus rapide et plus efficace la circulation des données sur les réseaux locaux donneront un solide coup de pouce aux industries du savoir dans leur territoire. Comme nous tenons à gagner cette course, il est très important que nous fassions en sorte de ne jamais traîner de l'arrière.
En outre -- et il ne s'agit pas tellement ici d'appliquer une politique gouvernementale, mais plutôt d'utiliser la persuasion --, je secouerais un peu les sociétés de téléphone existantes comme Bell et Manitoba Tel. Je leur donnerais des petits coups dans les flancs pour les inciter à s'attaquer au marché des télécommunications partout en Amérique du Nord. Le bon vieux groupe Stentor, avec ses ententes commerciales, ses profits et ses tarifs garantis par la réglementation, est un club confortable. Maintenant que les sociétés qui en sont membres obtiennent 2 $ de plus par abonné, elles sont encore plus rentables. Jusque-là, pas de problème.
Pourquoi devraient-elles aller aux États-Unis? Pourquoi Manitoba Tel, par exemple, devrait-elle s'implanter dans la région de Minneapolis-St.Paul? Justement parce que les sociétés de téléphone américaines, elles, vont s'implanter au Manitoba. Quand bien même nos sociétés canadiennes refuseraient toutes d'aller s'implanter chez nos voisins du Sud, les Américains n'en viendront pas moins au Nord leur faire concurrence, et ce sera une route à sens unique.
La présidente: De quels moyens disposons-nous pour persuader ces sociétés?
M. Peeters: Vous en avez toute une panoplie. C'est vous qui décidez de l'octroi des licences et du moment où il sera approprié de dégrouper les services de télécommunications locales. En voilà des moyens de persuasion. Si je vous réponds en laissant parler mon coeur, je risquerai d'avoir l'air méchant.
Les sociétés de téléphone ont beaucoup de choses à demander aux gouvernements. Il devrait bien y avoir moyen de leur proposer un marché donnant, donnant qui les ferait bouger.
Nos sociétés de téléphone sont encore monopolistiques dans le secteur de la téléphonie locale; elles l'étaient autrefois dans le secteur de la téléphonie interurbaine. Lorsqu'elles veulent prendre de l'expansion ailleurs qu'au Canada, elles se contentent généralement d'acheter des participations de 20 p. 100 dans des sociétés étrangères.
Le phénomène n'est pas particulier au Canada. J'ai été invité à prendre la parole devant un auditoire de vendeurs et d'agents de commercialisation de Northern Telecom. Le président d'Ameritech et celui de Bell y avaient été invités eux aussi. Soit dit en passant, les organisateurs n'avaient manifestement pas choisi ces trois conférenciers en raison de la similitude de leurs bilans.
Le président d'Ameritech a expliqué que son entreprise tenait absolument à être à l'écoute de ses clients, qu'elle répondait à leurs moindres désirs et que tout ce qui comptait pour elle, c'était de faire en sorte qu'ils soient satisfaits. À propos, cette société vient tout juste d'acquérir 20 p. 100 des actions de la société nationale de téléphonie cellulaire norvégienne. Quel lien cette participation a-t-elle avec la satisfaction des clients de cette société? Aucun. Tout ce qu'on recherche, c'est de pouvoir planter une épingle de plus sur la carte.
Une épingle de plus sur un mur ne veut rien dire. Cette société devrait plutôt verser des dividendes à ses actionnaires et les laisser décider eux-mêmes s'ils veulent acheter 20 p. 100 des actions de la société nationale de téléphonie cellulaire norvégienne.
Les sociétés seraient mieux avisées d'essayer de se mesurer à des concurrents à l'extérieur de leur propre territoire. Je serais ravi de voir Manitoba Tel et Saskatchewan Telephone se livrer concurrence pour tenter de percer le marché du Dakota-Nord, par exemple. Elles devraient s'atteler à cette tâche plutôt que de s'asseoir sur leurs lauriers. Je pense qu'elles ont trop la vie facile.
Alors que Sprint et AT&T n'auraient pas idée de demeurer indifférentes au marché canadien, de nombreuses sociétés canadiennes de téléphone ne font rien pour s'implanter aux États-Unis, ce qui augure mal pour nous.
La présidente: Vous avez dit que vous étiez fier d'être télécommunicateur, mais que vous regrettiez de ne pas être fournisseur de contenu. Vous y voyez d'immenses possibilités de développement, de création d'emplois, de revenus et d'enrichissement de la culture canadienne.
M. Peeters: Tout à fait.
La présidente: Au cours d'une précédente séance, certains témoins nous ont dit que ces deux types de fournisseurs devraient fusionner, tandis que d'autres ont dit croire qu'ils devraient fonctionner séparément. Qu'en pensez-vous?
M. Peeters: Qu'ils devraient constituer des entités nettement distinctes.
La présidente: Pourquoi?
M. Peeters: Il est intéressant de retracer comment les câblodistributeurs ont cheminé pour en arriver où ils en sont aujourd'hui et comment nombre d'entre eux ont été amenés à s'associer à des stations de télévision locales quand il s'est agi de faire en sorte que leur signal soit capté partout, sur le coteau comme dans le quartier. De nos jours, celui qui contrôle le véhicule a tendance à vouloir décider ce qu'il servira à transporter.
On s'est inquiété au Canada de ce qui se produirait si les producteurs de films avaient la main haute sur nos salles de cinéma. Quels films pourrait-on alors y voir? Le propriétaire du câble qui pénètre dans votre foyer va-t-il aussi contrôler ce que vous allez regarder? Il se peut qu'un organisme de réglementation intervienne dans le processus. Mais si l'image de la chaîne 99 est si embrouillée et celle de la chaîne 1 si claire, serait-ce qu'on veut me dissuader de regarder la première et m'inciter à regarder la deuxième? Celui qui est en même temps le fournisseur du contenu et son transporteur peut utiliser toutes sortes de manoeuvres face à un concurrent qui, dans son territoire, n'est que le fournisseur du contenu. Vous ne devriez pas tenter des diables comme moi. Il est préférable, pour des raisons évidentes, de maintenir ces entités complètement séparées.
Je vous ai dit que j'allais aux États-Unis de temps à autre. Nous avons obtenu une licence pour y revendre nos services. Alors qu'au Canada on met quatre jours pour accorder une licence, il nous a fallu deux ans et demi pour obtenir la nôtre aux États-Unis. Il y a là une légère dichotomie.
Une des choses qui plairaient particulièrement aux Américains à ce moment-ci serait de nous voir embarquer la culture et les télécommunications dans une même galère. Étant donné qu'il ne nous reste que de peu de temps avant d'être envahis par toutes sortes d'innovations, notamment par la technologie qu'utilisent les serveurs, nous devons assurer l'essor de notre industrie culturelle. Nous devons la rendre compétitive et y investir davantage. Je ne suis pas un expert en la matière, mais rien ne plairait davantage aux Américains que de voir notre culture sacrifiée aux mains des télécommunicateurs. C'est une autre bonne raison pour ne pas fusionner les deux. Gardons-les séparés. Nous ne disposons que de peu de temps pour renforcer nos industries culturelles suffisamment pour qu'elles puissent résister à la vague qui nous envahira bientôt.
La présidente: Monsieur Peeters, nous aurions encore beaucoup de choses à nous dire. Nous vous sommes reconnaissants du temps supplémentaire que vous avez bien voulu nous consacrer et nous vous en remercions beaucoup.
Si vous avez d'autres commentaires à formuler, n'hésitez surtout pas à nous les communiquer. Vous avez fait un exposé intéressant, et nous sommes ravis de la discussion que nous avons eue.
M. Peeters: Merci beaucoup de votre temps et de votre patience. S'il me vient des idées intéressantes, je communiquerai avec votre personnel. Si vous avez d'autres questions, je serai heureux d'y répondre.
La séance est levée.