Délibérations du sous-comité des Communications
du comité sénatorial permanent des
Transports et des
communications
Fascicule 5 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 12 février 1997
Le Sous-comité des communications du comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 15 h 32 pour étudier la position internationale concurrentielle du Canada dans le domaine des communications.
Le sénateur Marie-P. Poulin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, je voudrais souhaiter la bienvenue à MM. Michael McCabe et Peter Miller, de l'Association canadienne des radiodiffuseurs. Je connais M. McCabe pour avoir déjà travaillé dans le domaine des communications.
Monsieur McCabe, nous avons besoin aujourd'hui de votre clairvoyance, de votre bon jugement et de vos recommandations. Comme vous le savez, notre secteur des communications est en croissance. Nous voulons entendre les différents éléments de ce secteur, c'est-à-dire les compagnies de technologie, ceux qui s'occupent du contenu, les intérêts commerciaux et les autorités de réglementation ainsi que ceux qui recrutent et forment les ressources humaines. Nous voulons qu'ils nous disent ce que devrait faire le Canada pour rester à l'avant-garde dans le domaine des communications à la veille de l'an 2000, compte tenu de la croissance et de l'évolution rapides de cette industrie.
Nous vous écoutons.
M. Michael McCabe, président et directeur général, Association canadienne des radiodiffuseurs: Merci beaucoup, madame la présidente. Nous sommes heureux d'avoir été invités à comparaître devant vous.
Je ne sais pas dans quelle mesure on peut nous qualifier d'experts, car comme vous l'avez dit, les choses évoluent très rapidement. Cependant, votre décision de vous consacrer à l'évolution prévisible au cours des trois prochaines années est très pertinente. Lorsque nous faisions de la planification stratégique il y a quelques années, nous considérions les cinq années à venir, sinon plus. Maintenant, on ne peut plus prévoir à plus de trois ans d'échéance. Nous essayons parfois de nous projeter au-delà d'une période de trois ans pour imaginer ce qui pourrait se passer dans dix ans, par exemple, mais une échéance de trois ans nous semble beaucoup plus raisonnable.
Mon collègue, M. Peter Miller, est notre vice-président principal et conseiller général. C'est également notre chef de file dans le domaine de la télévision. Il est responsable d'une bonne partie de notre réflexion dans ce domaine.
L'Association canadienne des radiodiffuseurs est une association commerciale nationale qui couvre la quasi-totalité des stations et des réseaux de radio et de télédiffusion. Récemment, nous avons également commencé à représenter les services spécialisés dont certains de nos membres sont propriétaires, ce qui a quelque peu élargi nos intérêts.
Nous nous occupons de programmation. Nous ne parlerons pas particulièrement de technologie même si c'est de cela que tout le monde s'attend à nous entendre parler en matière de communications. Nous voulons mettre l'accent sur la programmation.
En tant que radiodiffuseurs privés, nous rejoignons le plus vaste auditoire avec de la programmation canadienne. Les stations de radio privées rejoignent environ 85 p. 100 de l'ensemble de l'auditoire, tandis que les stations de télévision privées rejoignent environ 52 p. 100 de l'ensemble des téléspectateurs. Les stations de télévision privées membres de notre association assurent 57 p. 100 de la télédiffusion de la programmation canadienne. À cet égard, nous représentons un élément majeur dans l'industrie télévisuelle.
Même si nous rejoignons la plupart des Canadiens par la télévision ou la radio, nos membres sont en concurrence avec leurs homologues américains. Il s'agit d'une concurrence féroce. Nous estimons par exemple que la concurrence directe des stations de télévision américaines frontalières représentait 52,7 millions de dollars de revenu provenant du Canada en 1995, soit une augmentation de 68,1 p. 100 depuis 1988, et le phénomène d'érosion se poursuit.
En plus des budgets de publicité directe qui quittent le pays, la concurrence indirecte sous forme d'érosion de l'auditoire à cause des signaux américains qui sont diffusés au Canada représente un total de 100 millions d'heures par semaine, et ce malgré les règles actuelles de substitution de signaux identiques, ce qui diminue la valeur de notre publicité sur les services canadiens et porte atteinte aux droits de programmation que nous possédons et que nous avons acquis.
Demeurer compétitif sur le marché national et international présente tout un défi. Pour que nous puissions maintenir et accroître notre compétitivité, il faut donc que la politique gouvernementale énoncée dans les lois et règlements renforcent les instruments dont nous avons besoin pour réussir au Canada et à l'étranger.
Par ailleurs, nous ne saurions devenir plus compétitifs dans le secteur radio, à moins de ne faire une bénéfice suffisant pour attirer des investisseurs et financer la conversion de nos stations au numérique. Cette conversion est la clé de notre avenir: nous devons connaître une certaine prospérité pour être en mesure de contribuer au mieux-être de nos collectivités et du Canada entier.
Pour y parvenir, il nous faut trouver de nouveaux débouchés commerciaux grâce à la radio numérique, améliorer le service proposé aux auditeurs et éliminer la réglementation qui fait obstacle au progrès. Le CRTC doit nous permettre de rationaliser et de renforcer nos activités en nous accordant des licences multiples. Au même titre que la télévision, la radio a besoin d'une loi sur le droit d'auteur ne comportant pas de redevances nouvelles qui accapareraient les profits dont la radio a besoin pour s'améliorer.
Par exemple, l'exception très restrictive concernant l'enregistrement éphémère et l'absence d'exception pour les transpositions de format au profit des radiodiffuseurs dans la Loi sur le droit d'auteur occasionneront aux radiodiffuseurs des frais supplémentaires qui vont nuire à leur compétitivité.
Ces deux mesures sont essentielles à nos activités quotidiennes et le sort qui leur est réservé dans le projet de loi C-32 va, à notre avis, à l'encontre du bon sens.
Si nous voulons réussir dans ce nouvel âge de l'information, nous avons besoin d'être au moins sur un pied d'égalité avec nos plus féroces concurrents, aussi bien à la télévision qu'à la radio. À défaut, nous n'atteindrons jamais nos objectifs.
Au cours des deux dernières années, les radiodiffuseurs privés se sont empressés de mettre en oeuvre un plan d'amélioration de la programmation canadienne. Vous vous souvenez sans doute des deux objectifs de l'Initiative de programmation canadienne, que nous vous avons présentés lors de notre dernière comparution devant le comité permanent. Le premier consistait à augmenter la qualité et la quantité de la programmation canadienne, tandis que le second visait à renforcer le système qui prépare, finance, produit et diffuse la programmation canadienne.
À notre avis, ce fut une réussite remarquable. Le CRTC a, en fait, adopté lui-même la plupart de nos propositions concernant les règles de distribution officielle. L'étape suivante devrait avoir lieu au début du mois de mars. Le conseil a obligé certains distributeurs, comme les exploitants de services de radiodiffusion directe, à contribuer à la création d'émissions canadiennes. Nous espérons qu'il en sera de même, dans sa prochaine décision, en ce qui concerne les compagnies de câble et les autres systèmes de distribution. Il a accepté de tenir une audience sur la substitution évoluée en juin prochain.
Par ailleurs, le gouvernement fédéral a reconnu que l'avenir de la télévision canadienne exige la production et la diffusion d'une programmation canadienne de très haute qualité. À cet égard, il convient de féliciter la ministre Copps pour la création du nouveau fonds de production de la télédiffusion et de la câblodiffusion, doté d'un montant de 200 millions de dollars.
Cependant, nous avons encore bien du chemin à faire avant que la programmation canadienne ne soit véritablement concurrentielle. L'intervention du ministre du Commerce, M. Eggleton, qui a demandé que l'efficacité de nos politiques de protection culturelle soit examinée en permanence en fonction des progrès technologiques et de l'évolution rapide du climat commercial mondial, nous semble particulièrement opportune. Le récent sommet culturel de la ministre du Patrimoine, Mme Copps, a apporté un début de réponse à ces questions.
Je n'ai pas l'intention de parler au nom des autres industries culturelles, mais je voudrais vous faire une proposition qui vise à renforcer les industries canadiennes de la télévision, de la radiodiffusion et de la production.
Dès 1989, dans le plan intitulé «Créons notre avenir», les radiodiffuseurs privés canadiens ont constaté que leur avenir dépendait d'une programmation canadienne meilleure et plus abondante. À mesure qu'augmente le nombre des canaux disponibles, notre compétitivité dépend de plus en plus de la programmation canadienne de haute qualité.
Cependant, nous devons négocier deux grands obstacles inter-dépendants avant d'atteindre notre objectif. Tout d'abord, il faut de 1 million à 1,5 million de dollars pour produire une oeuvre dramatique de qualité, alors que la diffusion de la pièce sur un réseau national ne peut rapporter que 200 000 $ en revenus publicitaires. Le deuxième obstacle, qui n'est pas sans rapport avec le premier, c'est que le Canada ne produit pas encore suffisamment de divertissements de qualité pour que ces émissions occupent une place importante dans la grille horaire. Voilà encore un problème que nous devons régler.
À notre avis, il existe une solution pour surmonter ces deux obstacles. Nous allons proposer au gouvernement une stratégie industrielle nationale de programmation pour la télévision. Nous avons créé dans ce pays le fondement d'une industrie de production dynamique. En 1995, la production au Canada a bénéficié de plus de 2 milliards de dollars. Notre pays arrive au deuxième rang mondial, derrière les États-Unis, en ce qui concerne l'exportation de produits télévisés. Pour qu'une stratégie industrielle nationale réussisse, il faut qu'elle vise le marché mondial. Le marché canadien est trop petit et la production coûte trop cher pour que la plupart des émissions produites puissent se contenter du seul marché canadien. Voilà la réalité. Si nous essayons de construire une industrie qui ne vise que le Canada, nous ne parviendrons pas à produire un volume suffisant d'émissions et notre présence sur nos propres écrans sera submergée par les signaux étrangers.
La seule façon d'assurer une présence canadienne importante dans un paysage audiovisuel de 500 canaux, est de bâtir une industrie solide et financièrement prospère, de propriété et d'administration canadiennes, qui assurera une présence canadienne sur nos écrans. Pour protéger nos intérêts, nous devons prendre des initiatives dans le cadre d'une stratégie favorable aux productions qui racontent la vie canadienne.
Soyons clairs: je n'essaie pas de vous dire que c'est une bonne façon pour atteindre nos objectifs nationaux dans ce domaine; je vous dis que c'est la seule façon. Ceux qui prétendent que nous allons diluer l'ensemble de notre production pour répondre aux besoins des marchés étrangers se trompent. On peut concevoir des mesures incitatives destinées à une industrie de production vaste et prospère, mais nous n'aurons jamais assez de bonnes histoires canadiennes, si cette industrie reste chétive.
Quels éléments doit-on trouver dans une stratégie industrielle nationale de programmation de télévision? Voilà un casse-tête qui comporte de nombreuses pièces et qu'on ne peut pas reconstituer d'un coup de baguette magique.
Tout d'abord, il nous faut des règles sur le contenu canadien qui garantissent une vitrine à la programmation canadienne et qui favorisent l'excellence. Deuxièmement, il nous faut un réseau Radio-Canada solide, qui mette l'accent sur une programmation nationale, consacrée à des histoires canadiennes. Troisièmement, il faut que le gouvernement continue à contribuer au fonds canadien de production de la télédiffusion et de la câblodiffusion. Quatrièmement, il faut que le CRTC oblige tous les distributeurs à contribuer à la production canadienne. Cinquièmement, il faut que tous les radiodiffuseurs aient légalement accès au revenu d'abonnement. Sixièmement, il faut que toutes les compagnies canadiennes de production, qu'elles soient indépendantes ou qu'elles appartiennent à des radiodiffuseurs, participent pleinement à cet effort. Septièmement, il faut des règles sur la substitution évoluée qui permet aux radiodiffuseurs de tirer pleinement parti des émissions qu'ils possèdent, et qui protège l'intégrité du marché des droits canadiens. Huitièmement, il faut un secteur de distribution fort, comprenant les radiodiffuseurs, qui appartienne à des intérêts canadiens. Neuvièmement, il nous faut de meilleures mesures fiscales qui incitent à investir dans la production télévisuelle. Dixièmement, il nous faut des politiques sur la propriété étrangère, des stimulants à l'exportation et des mesures d'aide qui favorisent les compagnies canadiennes dynamiques, tout en permettant les partenariats sur d'autres marchés. Onzièmement, il faut des mesures qui incitent les radiodiffuseurs à diversifier leurs activités en direction de nouveaux médias, comme Internet. Douzièmement, il faut des mesures qui, dans chacun des secteurs de ces politiques, incitent les producteurs à raconter des histoires canadiennes. Treizièmement, il faut des mesures incitatives qui permettent de reconnaître les talents et qui favorisent la recherche dans le processus d'élaboration de la programmation. Quatorzièmement et finalement, il nous faut une structure de réglementation qui tienne compte de la réalité de la concurrence.
Je vous demande de proposer une telle stratégie dans votre rapport. C'est la seule façon de faire en sorte que nous puissions encore nous voir sur nos écrans au cours des années à venir. Grâce à une telle stratégie, nos industries de production et de radiodiffusion seront concurrentielles aussi bien au Canada qu'à l'étranger. On pourra ainsi créer au plus juste prix de nombreux emplois pour les Canadiens.
Nous comptons sur votre aide pour réaliser ces objectifs. L'industrie canadienne des communications a besoin de politiques qui stimulent la concurrence, et non pas qui l'empêchent. Aucune stratégie industrielle ne peut réussir si les politiques du Canada laissent passer les occasions dont nous avons désespérément besoin pour faire du Canada un chef de file mondial en matière de communications.
Merci. Nous répondrons volontiers à toutes vos questions.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur McCabe. Vous nous avez donné matière à réflexion.
Nous avons passé deux journées entières avec nos collègues américains à Boston pour voir comment le Canada pourrait jouer un rôle plus important sur le marché américain; nous pensons avoir amplement de talent canadien à proposer et nous voulons que ce talent soit favorisé et bien distribué. Vous semblez être sur la même longueur d'ondes.
Avez-vous des membres qui font de la programmation sur Internet?
M. Peter Miller, vice-président et directeur juridique: Tout d'abord, la majorité des radiodiffuseurs télévisuels et une minorité importante des radiodiffuseurs sonores ont leur propre site Web. Ils s'en servent à titre expérimental.
Deuxièmement, certaines compagnies, en particulier CTV et le groupe CHUM, ont réussi à se servir d'Internet pour compléter leur service conventionnel. CTV, par exemple, a utilisé très efficacement son site Web pendant les compétitions internationales de patinage de l'automne dernier. Au lieu de proposer un site permanent, il a constitué un site particulier qui proposait de l'information sur les concurrents. Ce site a suscité un vif intérêt. De la même façon, le groupe CHUM expérimente de nouveaux médias et propose de l'information sur Internet.
Presque tout le monde considère maintenant Internet comme un outil de recherche et de développement. Ce n'est pas encore un outil commercial. C'est une nouveauté qui nécessite une expérimentation. Je suis heureux de dire que la plupart de nos membres participent à cette expérimentation.
M. McCabe: En ce qui concerne la véritable programmation, une ou deux de nos stations de radio diffusent leur signal sur Internet. Autrement dit, si vous êtes à Londres, en Angleterre, ou à Moscou, en Russie, et que vous ayez le logiciel RealAudio, vous pouvez écouter CHUM. Radio-Canada propose la même chose, de même que quelques autres stations, je crois.
Internet n'est pas encore suffisamment perfectionné pour que nos membres y diffusent de la programmation vidéo. Mais cela va se faire tôt ou tard, et nous devrons être prêts.
La présidente: Autrement dit, la stratégie industrielle nationale de programmation télévisuelle que vous demandez pourrait être une stratégie industrielle nationale de programmation, puisqu'il devrait y avoir prochainement convergence entre l'écran de l'ordinateur et celui du téléviseur.
M. McCabe: J'aurais dû parler de programmation vidéo. La technologie va changer, mais les gens n'évoluent pas aussi rapidement. Ils feront toujours la distinction entre le divertissement et le travail. Mais il se pourrait que l'ordinateur à la maison soit considéré différemment.
Nous savons que pour les jeunes, en particulier, la délimitation entre les deux s'estompe. On peut obtenir de la programmation vidéo sur Internet et nous allons devoir envisager de diffuser les nouvelles, par exemple, sur différents supports, notamment sur Internet, pour en faciliter l'accès. Cependant, personne ne le fait pour l'instant.
Le sénateur Spivak: Madame la présidente, c'est essentiellement une question d'argent et de facilité d'utilisation. Si l'ordinateur ne coûtait pas plus cher que le téléviseur et était aussi facile à utiliser, on se servirait indifféremment de l'un ou de l'autre. Cependant, ce n'est pas là le thème de ma question.
Vous avez parlé d'une stratégie nationale pour les compagnies canadiennes de production, qui devraient appartenir à des intérêts canadiens, mais on reproche aux télédiffuseurs canadiens d'utiliser des émissions américaines. Ils font largement appel, notamment, aux «sitcoms», à la faveur de la substitution de signaux identiques. On peut donc se demander ce qu'on obtiendra en investissant dans vos activités. Vous avez dit que les stations privées de télévision représentent 57 p. 100 de la diffusion de programmation canadienne, mais quel est le pourcentage de dramatiques canadiennes que l'on peut voir aux heures de grande écoute?
M. McCabe: Oui, nous avons effectivement des émissions américaines. Elles occupent à peu près 40 p. 100 de notre horaire, ce qui signifie, évidemment, que 60 p. 100 sont consacrées à de la programmation canadienne.
Le sénateur Spivak: Est-ce le cas de Global, par exemple?
M. McCabe: Absolument. Aux heures de grande écoute, on exige 50 p. 100 de programmation canadienne et 50 p. 100 d'émissions étrangères. Si nous ne respectons pas ces règles fondamentales, nous perdons nos licences. Nous avons utilisé la programmation américaine pour assurer l'interfinancement de la programmation canadienne. Il y a une raison économique à la rareté des émissions dramatiques aux heures de grande écoute, c'est qu'elles ne nous rapportent rien. Les chiffres les plus récents correspondent à la situation de CTV il y a deux ans. À l'époque, chaque dollar consacré à la de la programmation américaine rapportait 1,60 $, alors que chaque dollar consacré à de la programmation canadienne ne rapportait que 80 cents. Nous perdions donc 20 cents. Et cet argent n'était pas pour nous, mais pour les compagnies de production, comme l'Alliance, Atlantis, Cinar, et cetera.
Je prévois que si nous gagnons davantage d'argent grâce à la substitution évoluée et aux redevances des abonnés, le CRTC nous obligera à le consacrer à l'augmentation et à l'amélioration de la programmation canadienne. Nous pensons qu'à l'avenir, nous ne pourrons pas assurer notre rentabilité en diffusant des émissions comme Cosbys et X Files, qui seront proposées sur un trop grand nombre de canaux. D'un point de vue strictement commercial, nous devrons proposer davantage d'émissions canadiennes de qualité, à cause de leur caractère spécifique. Ce que nous proposons, c'est une façon d'attirer l'argent vers le secteur de la télévision, et en particulier de la production vidéo, de façon à en assurer la rentabilité.
Le sénateur Spivak: Voilà un argument intéressant, car une proposition qui n'est pas commercialement viable ne tient pas debout. Cependant, voulez-vous dire que vous avez effectivement 50 p. 100 de contenu canadien aux heures de grande écoute sur tous vos canaux?
M. McCabe: Absolument. Nous y sommes obligés.
Le sénateur Spivak: Pour faire baisser le coût de la production canadienne, il faut disposer d'un marché immense. On propose différentes formules pour y parvenir. Je ne sais pas exactement quelle est la meilleure. Si nous produisons pour un marché d'exportation, ne risque-t-on pas de le faire au détriment de la qualité? Il suffit de passer quelque temps aux États-Unis pour constater qu'à part PBS, la télévision est assez pauvre. Les stations canadiennes sont de loin supérieures. Que font les producteurs actuellement pour desservir ce marché?
J'ai lu quelque part que vous devez terminer une production avant de la montrer aux Américains, de façon qu'ils puissent choisir en connaissance de cause, et que vous ne pouvez pas les pressentir au début de la production, car ils vous obligeraient à prononcer les «Z» à l'américaine et à situer l'action à Omaha plutôt qu'à Toronto.
Quelle est la situation actuelle des exportations? On accepterait sans doute plus volontiers les changements si la production était excellente -- encore que je ne devrais pas utiliser ce mot, car il existe de nombreuses catégories différentes d'émissions de divertissement -- ou si cette production était véritablement canadienne.
M. McCabe: Il est vrai qu'on ne peut pas miser sur un volume important de programmation canadienne, si elle n'est destinée qu'au marché canadien. Nous devons viser un marché plus vaste. Il nous faudra une gamme de produits variés. À mesure que des compagnies canadiennes comme Atlantis, Alliance, Cinar, Baton Productions, etc, se renforceront, elles seront mieux en mesure de déterminer l'orientation de leurs produits.
Par exemple, la série Traders, produite par Global, est entièrement tournée au Canada. C'est une émission spécifiquement canadienne. Pour la rendre plus attrayante pour les marchés étrangers, on pourrait situer certains épisodes à Hong Kong ou à la Bourse de Londres. Cela plairait aussi aux Canadiens. Cependant, je ne pense pas que nos productions perdent de la qualité pour le Canada du fait que nous aurons des partenaires étrangers.
Je suis persuadé que toute stratégie doit comporter des mesures incitatives. Il faudrait pouvoir dire aux producteurs qu'ils obtiendront davantage de dégrèvements fiscaux si leurs émissions sont plus canadiennes. Autrement dit, la canadianisation du contenu devrait être intéressante au plan commercial. Ce sont là de simples questions économiques. Une compagnie de production devrait pouvoir se dire: «Nous n'allons pas faire cette émission pour plaire aux Américains, car nous allons la vendre à l'Allemagne, à l'Australie et au Royaume-Uni». Si la compagnie parvient à constituer un budget et à réaliser des profits, c'est parfait, mais que se passera-t-il si elle doit vendre son émission aux États-Unis? Il y a toujours un problème sur ce point, car les États-Unis sont le plus gros marché de télévision du monde. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas essayer de vendre aux Américains, mais je ne pense pas que tous nos produits doivent être ramenés au plus faible dénominateur commun, simplement à cause d'eux.
Le sénateur Johnson: Monsieur McCabe, vous avez parlé du sommet de la ministre Sheila Copps. Qu'est-ce qui en a résulté pour votre organisation? Comme vous le savez, les artistes n'étaient pas représentés. La plupart des participants étaient des cadres, et non pas ceux qui vivent des industries culturelles. Évidemment, la même chose pourrait se produire à un autre moment, mais il est significatif que les artistes soient toujours exclus. Que signifie ce sommet pour vous et qu'est-ce qui en a résulté?
M. McCabe: Je n'y étais pas invité, et je ne sais donc pas.
Le sénateur Johnson: D'après ce que j'ai lu dans les journaux, il a été essentiellement question des crédits accordés à Radio-Canada et à CBC. Était-ce simplement un geste précipité pour montrer que le gouvernement s'intéresse aux questions culturelles parce que beaucoup de gens en dépendent, ou pensez-vous que ce sommet aura des retombées utiles?
M. McCabe: J'ai trouvé ce sommet à la fois encourageant et préoccupant.
Tout d'abord, il n'a rien à voir avec la décision de l'OMC ni avec les commentaires du ministre Eggleton. Il a été organisé à cause des incohérences de la politique culturelle au Canada, dans le but de recentrer l'attention.
Je ne me prononcerai pas sur les participants, mais ils comprenaient notamment un certain nombre de personnes qui professent le même point de vue sur le maintien de la protection culturelle, à laquelle il ne faut pas changer grand-chose. Ils ont eu l'occasion d'exprimer leur enthousiasme. L'événement a peut-être eu l'avantage de mettre la culture en valeur et d'en souligner l'importance pour le gouvernement à la veille de la présentation du budget et des élections.
Le ministre Eggleton a soulevé des questions sérieuses. Il n'a pas dit qu'il fallait tout mettre à la poubelle. Il a dit: «Le monde est en train de changer et nous ferions mieux de nous demander si ce que nous faisons actuellement dessert bien nos intérêts».
Si cette réunion a servi à renforcer le statu quo, c'est bien dommage. Je ne sais pas si c'est le cas, car je n'y étais pas. J'espère qu'elle servira à stimuler le débat sur les changements auxquels nous devons procéder.
Le sénateur Johnson: J'ai posé cette question car elle est fondamentale du point de vue du choix des politiques; elle concerne tout ce que nous faisons au sein de ce comité. Toutes les personnes qui y ont assisté travaillent dans l'industrie télévisuelle. Nous nous intéressons à la réglementation dans ce nouveau domaine.
Comment réagissez-vous aux propos de l'Organisation mondiale du commerce sur le protectionnisme culturel? Quels en seront les effets sur vos recommandations concernant le contenu canadien dans notre pays?
M. McCabe: Tout d'abord, nous ne pensons pas que la décision de l'OMC concernant les magazines ait pour effet de démanteler tout notre système de protection culturelle. Nous estimons que l'OMC a simplement proposé une solution. Nous avons toujours le droit d'élaborer des solutions novatrices pour protéger notre culture.
Cependant, nous aurions tort de nous illusionner en ce qui concerne l'attitude des États-Unis. Ils ont envisagé différentes possibilités d'action, ils ont vu qu'ils ne pouvaient pas invoquer l'ALÉNA, et ce sont donc tournés vers l'OMC, où ils avaient de meilleures chances d'obtenir gain de cause, et ils vont continuer à procéder de cette façon. Ils s'en prendront encore à nous chaque fois qu'ils auront intérêt à le faire au plan commercial.
Nous devrons faire preuve d'intelligence et de résistance, et trouver des solutions originales pour obtenir gain de cause sur ce marché et pour nous défendre.
Le sénateur Johnson: Je suis d'accord avec vous sur ce point. Je crains que les Américains ne considèrent la réglementation comme un outil désuet, alors que nous discutons pendant des heures de la façon dont nous pourrions adopter des règlements plus novateurs dans ce nouvel environnement où nous vivons.
Le sénateur Spivak: La réglementation est efficace dans certains domaines. Pourquoi s'en débarrasser?
Le sénateur Johnson: J'essaie de m'informer.
M. Miller: Il faut faire une distinction entre les conséquences juridiques et politiques de cette décision. L'argument juridique est très étroit. L'OMC a constaté que la taxe d'accise de 80 p. 100 allait à l'encontre de ses conventions.
On remarquera que le projet de loi canadien C-58 et l'article 19 de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui n'autorise la déductibilité de la publicité que lorsqu'elle a pour support des magazines canadiens ou des émissions de télévision canadiennes, n'ont pas été contestés.
De surcroît, l'OMC a dit spécifiquement qu'elle reconnaissait aux pays membres le droit de prendre des mesures de soutien culturel. Il faut reconnaître que cette décision est très étroite sur le plan juridique.
Que signifie-t-elle sur le plan politique? Nous savons par expérience que les Américains font flèche de tout bois. Comme l'a dit M. McCabe, ils ont choisi soigneusement leur moyen d'intervention. Il importe de constater que les Américains ne visent pas spécifiquement les Canadiens; ils veulent surtout éviter que le Canada puisse constituer un précédent pour le reste du monde.
Vous remarquerez que nos propositions concernant la substitution évoluée sont spécifiquement autorisées par l'ALÉNA, qui a préséance sur les conventions de l'OMC, et elles nous placeraient au même niveau de protectionnisme que les États-Unis, qui ont un système très strict de droits sur les émissions et de mesures de protection. C'est pourquoi nous disons qu'il est important de considérer globalement la situation.
Le sénateur Johnson: Faut-il comprendre que ce secteur est protégé par l'ALÉNA?
M. Miller: C'est certainement ce que nous pensons.
Le sénateur Johnson: Bien des gens pensent le contraire. En fait, c'est d'ailleurs ce qu'on semble penser de façon générale.
M. Miller: Je vous rappelle qu'en vertu de l'ALÉNA, les États-Unis peuvent adopter des mesures ayant un effet commercial équivalent, ce qui signifie que même si l'on a gain de cause dans un domaine, cela peut équivaloir à une défaite parce que les États-Unis chercheront une compensation dans un autre domaine. On peut dire que le régime est mi-chair mi-poisson. L'ALÉNA n'assure pas de protection absolue, mais il renferme tout de même des dispositions très utiles.
M. McCabe: Pour ce qui est des droits de programmation, l'accord protège explicitement tant les radiodiffuseurs canadiens que les radiodiffuseurs américains parce que les États-Unis ont tenu à protéger les droits de programmation locaux.
Nous devons cependant sérieusement prendre en compte la déclaration du ministre Eggleton selon laquelle cette prétendue exemption ne constituerait en bout de ligne qu'une protection très faible. Il vaudrait mieux que nous débattions au niveau national ce que nous voudrions vraiment protéger ainsi que les stratégies que nous devrions adopter à cette fin au lieu de simplement dire: «Si ce secteur est exempté, il n'y a rien à discuter». Ce n'est sans doute pas la meilleure stratégie à adopter.
Le sénateur Johnson: À titre de membre de Friends of Public Broadcasting, j'aimerais savoir ce que vous entendez par une CBC dont la présence serait forte? En fait, 30 millions de Canadiens aimeraient savoir la même chose. Qu'entendez-vous par là?
M. McCabe: Je pensais que Jeffrey Simpson l'avait bien expliqué ce matin dans sa chronique.
Nous proposons que la CBC mette l'accent sur la programmation nationale qui présente un point de vue canadien. La décision prise par le conseil d'administration et la direction de la CBC d'apporter des réductions budgétaires à tous les secteurs sans en éliminer aucun, ce qui ne peut qu'affaiblir la CBC, est une mauvaise décision stratégique.
Le conseil d'administration et la direction de la CBC auraient plutôt dû décider de faire en sorte que la CBC devienne un excellent radiodiffuseur national et international, assure un service de nouvelles nationales et internationales de qualité, offre des dramatiques nationales qui touchent les Canadiens et aussi crée de la programmation pour les enfants.
Il n'y a absolument pas de raisons pour que la CBC produise des émissions d'information locales là où trois ou quatre stations de télévision peuvent le faire mieux. Ces stations produisent des émissions de nouvelles d'un genre particulier qui répond aux besoins d'un certain segment de l'auditoire. Il n'en demeure pas moins que la CBC et la SRC rejoignent au total de 8 à 9 p. 100 de l'auditoire national tant à la télévision qu'à la radio. À la radio, la CBC rejoint en fait de 10 à 12 p. 100 de l'auditoire national. La CBC joue donc un rôle important. La CBC devrait cependant avoir une orientation nationale et non locale.
Le sénateur Bacon: Il est question à la page 2 de votre mémoire du projet de loi sur le droit d'auteur. J'aimerais que vous nous en parliez plus longuement.
Vous alléguez que le caractère restrictif de l'exception pour les enregistrements éphémères et que l'absence d'une exception pour ce qui est de la transposition dans le projet de loi sur le droit d'auteur se traduiront par des coûts accrus pour les radiodiffuseurs, ce qui ne peut que compromettre leur compétitivité. Vous faites allusion à certaines mesures sur lesquelles dépendent vos activités quotidiennes.
M. Miller: Je me permets d'abord de faire remarquer que ces exceptions sont prévues dans 28 pays. Il s'agit d'exceptions absolues qui ne comportent pas de restrictions. En fait, aux États-Unis, l'exception relative au droit éphémère s'applique pendant six mois. Cela signifie que les radiodiffuseurs américains auxquels nous faisons concurrence pour les émissions sur le patin artistique jouissent d'un véritable avantage financier par rapport à nous. Ils n'ont pas à se préoccuper du contenu musical de l'émission. Ils ne font que verser le droit d'exécution que nous versons également aux artistes. Nous serons tenus par la loi de négocier ce qu'on appelle des droits de sauvegarde.
Cela signifie que la programmation locale est menacée. La programmation locale comportant les téléthons communautaires et les émissions de talents locaux. Ce genre d'émissions ne nous rapporte vraiment rien. Le CRTC en fait cependant une condition de licence. On reconnaît de façon générale que ces émissions sont bonnes pour la communauté.
Nous craignons qu'à moins d'obtenir une exception pour les enregistrements éphémères, c'est-à-dire une exemption qui ne serait pas aussi restrictive que celle qui est prévue à l'heure actuelle, nous ne pourrons plus offrir le genre de programmation que nous estimons revêtir une grande importance pour les communautés du pays. Qu'il s'agisse d'une émission sur le Jour du Canada ou sur la Saint-Jean-Baptiste, nous pensons que ces émissions apprennent aux Canadiens à mieux se connaître. Voilà malheureusement le genre d'émissions qui sont menacées.
M. McCabe: Nous avons versé les droits d'exécution à l'égard du contenu musical de toutes nos émissions. Si nous diffusons des oeuvres musicales en direct, nous n'avons aucun droit à verser. Si nous enregistrons cependant ces émissions pour les diffuser à une date ultérieure, nous devons verser un droit supplémentaire. Cette exigence s'applique également si nous diffusons cette émission dans le fuseau horaire de la Colombie-Britannique ou du Manitoba. Cela nous semble illogique. La moitié de toutes les stations de radio sont maintenant informatisées. Autrement dit, la musique provient d'un ordinateur. Si une compagnie de disques nous demande de faire connaître le nouveau CD de leur dernière découverte, il nous faut transposer ce CD sur notre ordinateur. On nous demande de verser un droit pour cette transposition. Pour nous, cela ne fait aucun sens. Voilà ce à quoi nous nous sommes opposés.
Il est difficile de savoir exactement ce que cette mesure nous coûtera. Si l'on en juge par certaines des poursuites dont nous faisons l'objet, en particulier au Québec, cela pourrait représenter des millions de dollars. La Commission des droits d'auteur pourrait cependant faire preuve de bonté à notre égard, et décider que ce droit ne sera pas très élevé. Nous ne savons cependant pas à quoi nous en tenir.
Le sénateur Bacon: Le CRTC a du mal à réglementer une industrie à caractère mondial. Quelles modifications devrait-on apporter au CRTC pour le rendre plus efficace?
M. McCabe: On a fait un grand pas dans la bonne direction en nommant un nouveau président. Il importait de nommer quelqu'un qui ait une vision internationale des choses et qui soit axé sur l'avenir.
Il existe à l'heure actuelle plusieurs vacances au sein du conseil d'administration du CRTC. Comme nous l'avons fait par le passé, nous pressons le gouvernement de nommer des administrateurs compétents et expérimentés. Peu importe en fait s'ils connaissent notre secteur, pourvu qu'ils sachent réfléchir et qu'ils comprennent les objectifs nationaux que se fixent les entreprises. Ils doivent connaître les rudiments des affaires. Ils devraient aussi avoir une certaine connaissance des communications, mais pas nécessairement des télécommunications. Nous avons besoin de gens qui sont tournés vers l'avenir.
Enfin, le CRTC devrait s'intéresser davantage à ce que j'appelle le processus d'élaboration des politiques. Son rôle devrait être de faire participer les intervenants de l'industrie et l'ensemble de la société à une discussion sur les défis à relever dans le domaine de la technologie, de la société et de la programmation notamment et de proposer des façons de relever ces défis au lieu de se préoccuper du fait que le coauteur d'une chanson soit américain. Le CRTC s'oriente d'ailleurs dans cette voie.
Nous n'avons rien à reprocher à l'institution elle-même. Nous avons besoin d'une institution qui constitue un centre de compétence indépendant. Il suffit simplement d'y nommer les bonnes personnes.
Le sénateur Spivak: Nous avons rencontré Nicholas Negroponte à Boston, le gourou des télécommunications, qui nous a dit que les heures de grande écoute n'existeraient plus dans l'avenir. Lorsque nous lui avons posé une question au sujet de la concurrence entre la télévision et l'ordinateur, il a répondu qu'il ne voyait pas de concurrence possible parce que la télévision est une chose du passé. Qu'en pensez-vous?
M. McCabe: C'est la rengaine qu'il fredonne depuis longtemps. Je reviens cependant à ce que je disais plus tôt. Les gens n'évoluent pas aussi rapidement que la technologie. Les gens veulent pouvoir compter sur le fait qu'une émission donnée passera à une heure donnée.
Il est cependant vrai qu'avec le temps, à mesure que les enfants de nos enfants se familiariseront avec l'ordinateur et pourront accéder directement aux émissions qui les intéressent quand ils le souhaitent, la télévision telle qu'on la connaît aujourd'hui disparaîtra. De là l'importance de la programmation sur demande et d'Internet.
Le sénateur Spivak: Quelqu'un d'autre nous a dit qu'on pourrait utiliser un serveur ayant un filtre canadien. Si les gens commencent cependant à se servir de serveurs, cela changera la nature même de la télévision.
M. Miller: L'histoire nous enseigne que les nouveaux médias ne remplacent pas les anciens. Ainsi, la radio n'a pas remplacé les journaux et la télévision n'a pas remplacé la radio. Quiconque vous dit qu'Internet remplacera la télévision se trompe. C'est aussi simple que cela. Internet fera cependant mûrir la télévision comme industrie. L'apparition d'Internet aura une incidence sur la télévision, mais celle-ci continuera d'exister.
Les serveurs numériques poseront un réel défi pour le Canada. Il nous faut trouver une façon de créer des systèmes de navigation ou des filtres canadiens pour encourager l'accès aux produits canadiens sur les serveurs. Il faut faire en sorte que des serveurs canadiens existent et que les serveurs ne soient pas tous basés à Los Angeles.
Comme Michael l'a cependant dit, nous devons nous assurer que le distributeur, que ce soit les câblodistributeurs ou d'autres fournisseurs de services, prend les mesures voulues pour favoriser la production d'émissions canadiennes. Tout ne se fera pas du jour au lendemain. L'évolution ne sera pas aussi rapide qu'avec la radiodiffusion directe du satellite au foyer. Nous avons de deux à trois ans pour trouver une solution aux problèmes.
Le sénateur Johnson: Des pays plus petits que le Canada qui ont maintenant accès à la radiodiffusion directe et qui étaient autrefois protégés de la culture qu'on dit américaine doivent être aux prises avec le même problème. Savez-vous comment ils y font face? En bout de ligne, n'est-ce pas la qualité de la programmation qui compte pour l'auditoire plutôt que le pays ou le serveur desquels proviennent ces émissions? Nous devons vraiment améliorer la qualité de notre programmation.
M. McCabe: C'est en effet ce que nous avons de mieux à faire.
Si nous trouvons un moyen d'accroître les ressources que nous affectons à la programmation, nous relèverons avec succès le défi auquel nous faisons face. Je ne pense pas que nous puissions cependant nous passer de systèmes de navigation. Sans vraiment connaître très bien ce qu'il en est, je pense que la plupart des autres petits pays ne se tirent pas très bien d'affaires. Des gens qui connaissent mieux ce domaine comparaîtront devant vous. L'important, c'est cependant la programmation.
La présidente: Il est intéressant que vous fassiez cette remarque parce que les représentants de l'industrie du matériel informatique nous ont aussi dit qu'il fallait mettre l'accent sur le contenu. La technologie est maintenant tellement perfectionnée que nous devons désormais mettre l'accent sur le contenu et trouver des façons de l'améliorer.
J'ai une question à vous poser au sujet des habitudes des gens. Comme le sénateur Spivak l'a dit, nous avons eu des discussions intéressantes à Boston. Nous avons demandé à des professeurs de Harvard quels étaient, à leur avis, les plus grands défis qui se posaient dans le domaine des communications.
Je croyais qu'ils auraient répondu qu'il faut apaiser la soif de connaissance des gens ou qu'il faut mettre l'accent sur la qualité de la programmation. Ils ont plutôt dit que l'époque est à la simplicité. Comme nous savons qu'un média ne remplace pas l'autre, il faut en déduire que nos habitudes ont changé.
Ainsi, pendant la Seconde Guerre mondiale, on écoutait la radio en groupe. Aujourd'hui, on écoute la radio seul. Nous écoutons la radio dans nos voitures, lorsque nous sommes seuls dans la cuisine ou au réveil. C'est devenu une activité privée. C'est la télévision qui est devenue une activité sociale. Aujourd'hui, l'ordinateur est encore une activité privée. Comme le sénateur Spivak vous l'a dit, Negroponte pense que l'ordinateur deviendra aussi une activité sociale et que les gens, au lieu d'attendre leurs émissions, les programmeront eux-mêmes.
Votre association peut-elle nous aider à faire en sorte que la programmation qui apparaîtra d'abord au menu sera canadienne? Comment pouvons-nous nous en assurer?
M. McCabe: Je songe à ma maison. Je ne pense pas que j'aurai un grand écran où tout sera offert. J'espère que j'aurai un petit écran dans ma cuisine où apparaîtront des menus et des recettes pendant que je cuisine. J'espère qu'il y aura un écran dans ma chambre pour que je puisse suivre une émission avant de me coucher. Je suppose que dans la salle familiale il y aura un écran communautaire qui servira tant à des fins professionnelles qu'à des fins de divertissement.
La présidente: Aimeriez-vous que tous ces écrans soient polyvalents?
M. McCabe: Oui, je crois qu'on voudrait que ces écrans soient assez polyvalents. Vous avez parlé de simplicité. Il s'agit évidemment de trouver un moyen de permettre aux gens d'accéder à la programmation canadienne. Nous avons soutenu devant le CRTC qu'on devrait exiger que les distributeurs, y compris les nouveaux distributeurs de vidéos sur demande, conçoivent des écrans et des systèmes de navigation canadiens.
C'est ce qu'on appelle un menu par défaut. Lorsqu'on allume l'écran, il devrait y apparaître d'abord un menu canadien. Qu'on pense aux sports, aux émissions dramatiques ou aux mystères, c'est la programmation canadienne qui devrait d'abord apparaître. Nous le réclamons d'ailleurs depuis un certain temps.
M. Miller: La programmation canadienne qui connaîtra du succès repose sur cette notion d'expérience partagée. Il faut que ce qu'on nous présente nous touche. Comme bon nombre d'entre vous, je suis assidûment l'émission This Hour Has 22 Minutes. Je veux savoir sur qui portera l'émission. C'est une émission qui dans son essence même est canadienne.
Dans l'avenir, si je ne peux pas suivre l'émission à 9 heures le lundi soir, je me servirai de mon serveur pour la regarder quand cela me conviendra. Si j'ai raté un épisode, je pourrai aussi le voir de cette façon.
La présidente: Vous voudrez peut-être aussi revoir certains épisodes.
M. Miller: En effet. Voilà pourquoi la radiodiffusion comme média est importante. Je crois que c'est logique même si on me reprochera de prêcher pour ma paroisse. Tant qu'on présentera aux gens des émissions qui se fondent sur une expérience partagée ou qui portent sur des événements qu'ils veulent suivre, ou s'ils tiennent à ne pas rater le dernier épisode d'une série, on peut les amener ensuite dans un monde où il sera beaucoup plus difficile de naviguer.
Les Américains ont une puissance de commercialisation beaucoup plus grande que la nôtre et ils sont donc plus en mesure de diriger leurs téléspectateurs vers certains produits que nous ne pouvons le faire avec nos serveurs numériques. Nous devons faire preuve de grande créativité pour que le produit canadien soit polyvalent. Les radiodiffuseurs auront un grand rôle à jouer à cet égard.
La présidente: Monsieur McCabe, vous avez dit que ce qui distingue notre pays, c'est qu'il y a un équilibre entre les réseaux publics -- parce que nous avons aussi des réseaux provinciaux -- et les réseaux privés.
Vous avez dit que la CBC, si l'on veut que sa présence soit forte, devrait mettre l'accent sur la programmation nationale. Vous dites sans doute cela parce que c'est le seul radiodiffuseur qui offre des émissions tant aux francophones qu'aux anglophones du pays.
Revenons à l'exemple de l'émission This Hour Has 22 Minutes. Au départ, il s'agissait d'une émission régionale. Elle a été conçue dans une petite ville de Terre-Neuve. Il a fallu de nombreuses années et beaucoup d'efforts pour que cette émission parvienne à susciter de l'intérêt à l'échelle nationale. Cette réalisation a exigé l'investissement de fonds publics dans une petite région.
Notre pays se compose de régions. Si vous étiez au poste d'administrateur à la CBC, que feriez-vous pour vous assurer de promouvoir le talent régional tout en mettant l'accent sur la programmation nationale?
M. McCabe: Lorsque je dis que la programmation doit être nationale, cela ne signifie pas qu'elle doit nécessairement provenir de Montréal et de Toronto. Newsworld est un exemple d'un réseau de la CBC dont l'envergure est beaucoup plus nationale. Lorsque je vais à l'ouest de l'Ontario, je vois bien que Newsworld ne reflète pas seulement ce qui se passe à Montréal, Toronto et Ottawa. Rien ne s'oppose à ce que des sociétés de production régionales vendent leur produit à la CBC. La CBC pourrait également collaborer avec ces sociétés à la production des mêmes émissions. Rien ne l'empêche.
Quand je dis que l'accent doit être mis sur la programmation nationale, je pense au fait que la CBC doit amener les Canadiens à mieux se connaître entre eux et pas seulement à mieux faire connaître les Canadiens de Toronto.
M. Miller: L'un des problèmes qui caractérisent notre production au Canada est que l'échec est un luxe que nous ne pouvons nous permettre, tellement il est coûteux. Nous avons une seule occasion. J'ose espérer que le fait qu'il existe un nombre croissant de créneaux de services spécialisés et les initiatives dont il est question en matière de valorisation des talents régionaux et de l'expérimentation vont nous donner un peu plus d'air frais puisque, en effet, pour réussir, il faut pouvoir échouer.
De leur côté, les Américains échouent sans cesse. Pour chaque dramatique qui s'impose aux heures de grande écoute aux États-Unis, il y en a 15 qui ne font pas long feu. Nous aussi, nous devons avoir l'occasion de côtoyer l'échec, et c'est ce genre d'ouverture que visent l'exploitation des talents régionaux et l'expérimentation.
M. McCabe: Les émissions des services spécialisés bénéficient de budgets moindres puisque leurs auditoires et leurs revenus sont plus restreints. Par le passé, la croissance des producteurs régionaux un peu partout au pays était alimentée par les budgets des services spécialisés qui cherchaient à tailler sur mesure des émissions destinées à certains segments de marché.
La présidente: Il a été question de l'équilibre entre les radiodiffuseurs privés et publics. Il existe également un nouvel équilibre entre les réseaux et les chaînes spécialisés. Y a-t-il encore de la place pour des réseaux autres que les chaînes spécialisées.
M. McCabe: Je le crois. Nos chaînes spécialisées -- les réseaux sportifs, les réseaux de nouvelles comme Newsworld et ainsi de suite -- existent depuis déjà un certain temps. Elles visent bon nombre des grands secteurs d'intérêt comme le cinéma, les sports et les nouvelles. Nous en avons ajouté quelques-unes de plus. Elles attirent 7 ou 8 p. 100 environ des téléspectateurs. Il s'agit donc de publics particuliers. Bien que ces chaînes nous aient dérobé certains publics, les réseaux d'intérêt général continuent d'être des intervenants de taille. Je ne prévois pas grand changement à cet égard.
M. Miller: Nous oublions souvent que 25 p. 100 des Canadiens ne sont pas des abonnés du câble. Il s'agit d'une proportion importante du marché. Même dans le cas du câble, comme chacun le sait, les télédiffuseurs traditionnels offrent des émissions concurrentielles.
Les télédiffuseurs traditionnels bénéficient, d'une certaine manière, d'un grand nombre d'avantages. Par contre, ils sont les seuls à ne pas avoir accès aux revenus d'abonnement au câble. Tous les autres intervenants en profitent mais ce n'est pas le cas des télédiffuseurs traditionnels. Il y a là une sorte d'équilibre des forces qui, par le passé tout au moins, a fait ses preuves.
La présidente: Quelles sont vos opinions en matière de propriété étrangère de la télévision canadienne? Nous savons que Izzy Asper, par exemple, possède des entreprises de télévision en Australie et en Nouvelle-Zélande.
M. McCabe: Tout d'abord, j'aimerais parler de la position adoptée par la ministre Copps en matière de propriété canadienne. À mon avis, il ne s'agit pas d'imposer quoi que ce soit de façon péremptoire ou unilatérale. En réalité, il y a un certain temps déjà, nous avons relevé le pourcentage de propriété étrangère de la télévision canadienne à 46,7 p. 100. Assez étrangement, nous n'avons pas simultanément imposé aux Américains comme limite de propriété 20 p. 100 d'un titulaire ou -- et non pas «et» -- 25 p. 100 d'une société de portefeuille. Pourquoi n'avons-nous donc pas négocié à ce moment-là? Il ne s'agit pas de pontifier dans ce genre de situation mais plutôt de négocier. Cela dit, nous avons toujours pensé qu'il faut continuer à veiller à ce que les sociétés canadiennes soient contrôlées par des intérêts canadiens.
Je crois cependant que nous sommes suffisamment solides pour aller jusqu'à 49 p. 100 et pour réglementer de manière à exiger des compagnies qui appartiennent à d'autres à hauteur de 49 p. 100 qu'elles agissent dans l'intérêt de la société. En effet, comme nous l'enseigne le monde des affaires, certaines personnes arrivent à diriger une société en n'en possédant que 20 p. 100. Tout est donc relatif en ces matières.
Nous avons toujours cru qu'il ne serait pas sain que le contrôle majoritaire des sociétés de radiodiffusion échappe aux Canadiens.
M. Miller: Pour ce qui est de l'autre volet de votre question, nous estimons que la télédiffusion est également une activité d'exportation. La production s'exporte, mais la télédiffusion s'exporte également. Izzy Asper est sur place en Nouvelle-Zélande et en Australie et il a dit à qui voulait bien l'entendre qu'il avait l'intention de se faire une place aux États-Unis. MuchMusic est également diffusé en Argentine, et des négociations se poursuivent.
Il est stimulant de constater que la compétence canadienne en matière de radiodiffusion peut également être exportée. Il est certain que le fait de relever quelque peu les limites de propriété étrangère au Canada donne accès à des capitaux et permet à certaines sociétés comme Canwest de démarrer dans d'autres pays.
La présidente: Vos propos ont été fort intéressants. Nous n'avons malheureusement plus de temps pour continuer. Il se peut que nos recherchistes communiquent avec vous pour obtenir certaines explications.
M. McCabe: Merci. Nous nous ferons un plaisir d'aborder avec eux tous les aspects que nous avons soulevés devant vous.
La présidente: Notre témoin suivant est M. Chris Frank, de Expressvu.
Monsieur Frank, merci beaucoup d'être venu discuter avec nous de ce qui va permettre au Canada de rester à la fine pointe en matière de communications à mesure que nous approchons de l'an 2000 et que le secteur continue d'évoluer à la même cadence qu'au cours des dernières années. Vos recommandations et propositions nous intéressent au plus haut point étant donné que, comme nous le disions à M. McCabe de l'ACR, le sous-comité vient tout juste de passer deux jours à Boston, où il nous a été dit très clairement que l'avenir était au numérique.
Étant donné que la société Expressvu a résolument adopté cette nouvelle technologie, nous souhaitons connaître vos opinions, non seulement pour ce qui est de maintenir notre avance technologique mais également pour ce qui est des contenus, des ressources humaines, du personnel que vous embauchez ou que vous prévoyez embaucher et des efforts de formation que vous faites dès aujourd'hui en fonction de l'avenir, ainsi que sur des questions comme les entreprises commerciales et la réglementation.
La parole est à vous.
M. Chris Frank, vice-président, affaires gouvernementales et questions de réglementation, Expressvu Inc.: Je serai aussi bref que possible de manière à pouvoir répondre au plus grand nombre possible de questions.
Avant d'aborder mon exposé en tant que tel, j'aimerais commenter ce que vous venez de dire en précisant que Expressvu adoptera le numérique à 100 p. 100 dès le départ. Nous partageons certainement les opinions que vous ont données vos collègues américains. Vous allez constater une grande différence entre les services par satellite actuels, tous numériques, et les services par câble actuel qui sont analogiques. C'est véritablement le jour et la nuit, tant sur le plan de l'image, dont la qualité est égale à celle du disque laser, que sur celui du son, dont la qualité est celle du disque compact. Bon nombre des services de radiodiffusion -- et ce sera également le cas d'Expressvu -- offrent un service numérique sans publicité entièrement consacré à la musique, fourni par Radio-Canada, et qui englobe environ 30 genres de stations.
La présidente: S'agit-il seulement du son?
M. Frank: Il s'agit d'un service précis qui est groupé avec l'ensemble des autres services. Il comporte une trentaine de postes entièrement consacrés à la musique, sans publicité, sans commentaires, et abondamment alimentés en contenu canadien par Radio-Canada. Mes enfants, qui sont, soit dit en passant, des audiophiles avertis, ne sont pas en mesure de faire la différence entre ce produit et les DC qu'ils font tourner. Bien évidemment, on retrouve la même qualité de son pour les longs métrages, pour la télévision à la carte et pour les films de la télévision payante, de sorte que je suis bien d'accord pour dire que le numérique est la voie de l'avenir. Je suis ravi de pouvoir dire que chez Expressvu, on opte pour le numérique dès le départ.
Expressvu est la première société canadienne de télédiffusion autorisée par licence à utiliser le système de radiodiffusion directe du satellite au foyer. Nous allons desservir toutes les régions du Canada dans les deux langues officielles par satellite dès cet été.
Avant d'aborder les questions soulevées dans votre document, permettez-moi de vous donner une brève mise à jour au sujet de Expressvu. Comme vous le savez peut-être, nous espérions, chez Expressvu, lancer notre service à l'automne de 1995. Or, nous avons connu des problèmes de fabrication et d'intégration de notre matériel de réception numérique. Dès le premier trimestre de 1996, nous avions résolu nos problèmes et nous nous préparions à annoncer un lancement pour l'été de 1996. Cependant, c'est à ce moment-là que le satellite Anik E-1 a connu une défaillance partielle, mais permanente. C'était là une catastrophe tout à fait imprévue qui nous a privés de la totalité de notre capacité de diffusion par satellite. Il nous a fallu jusqu'à aujourd'hui pour réunir un nombre suffisant de voies de communication par satellite pour lancer un SRD du satellite au foyer relativement bien garni sur le plan de la programmation.
Entre temps, nous avons subi les retombées d'un débat bilatéral au sujet du partage des installations de satellites, qui a abouti à l'abandon du plan de Telesat Canada d'un satellite de radiodiffusion directe de grande puissance situé à une longitude de 91 degrés ouest -- et le projet de placement d'un satellite à 82 degrés de longitude ouest a connu le même sort, mais c'était le premier projet qui nous intéressait. Si la proposition avait été acceptée par le gouvernement des États-Unis, nous offririons déjà la gamme complète de services de radiodiffusion et de communications de haute vitesse de type Internet.
Cela dit, je me fais un plaisir d'annoncer que nous avons désormais réuni tous les éléments nécessaires en prévision du lancement pour l'été d'un système pouvant compter jusqu'à 100 signaux numériques. Le service sera offert à partir du satellite Anik E-2 de Télésat. Nous espérons que, d'ici à 24 mois, Telesat aura mis en place un SRD qui nous permettra un accroissement nécessaire de capacité pour la programmation et le service haute vitesse de type Internet. À part cela, nous comptons sur un satellite de communications perfectionné -- qu'on appelle le satellite en bande KA -- qui offrira la possibilité de communications véritablement bidirectionnelles et donnera ainsi accès au marché encore balbutiant du multimédia.
Pour ce qui est de votre premier commentaire sur les enjeux technologiques, certains sceptiques disaient auparavant de notre secteur qu'il en était un où la technologie n'avait pas encore trouvé preneur. On considérait les satellites comme des éléments périphériques du réseau de télécommunications, très bien adaptés à un vaste territoire comme celui du Canada, mais de peu d'utilité dans les régions ou corridors densément peuplés; utiles dans les régions rurales et mal desservies, mais peu rentables dans des régions très peuplées.
Or, la compression vidéonumérique -- CVN -- est venue modifier cette façon de penser. En effet, la CVN a permis un accroissement spectaculaire du débit des voies de satellite. Les entrepreneurs ont ainsi été en mesure de distribuer 7 signaux vidéo, là où ils ne pouvaient en traiter qu'un seul antérieurement. Grâce aux progrès de certaines nouvelles technologies, comme le multiplexage statistique, le rapport va augmenter considérablement.
On peut dire que le SRD représente aujourd'hui le produit électronique de consommation le plus prometteur de tous les temps. Avec l'amélioration des taux de compression, et donc la perspective d'un débit accru et l'avènement attendu d'une véritable capacité de transmission bidirectionnelle, le SRD étendra la capacité de transmission numérique instantanée à l'ensemble du pays, ce qui rendra l'inforoute du ciel accessible à tous les Canadiens.
Je tiens principalement à vous dire cet après-midi que les sociétés canadiennes doivent pouvoir exploiter ces progrès technologiques. Sinon, nos marchés vont être envahis par la concurrence étrangère. Et lorsque je parle de «concurrence étrangère», je parle plus précisément de celle des États-Unis. De plus, en assurant le développement d'un secteur canadien vigoureux, nous pourrons nous lancer dans l'exportation aussi bien d'installations de satellite que de services de programmation et de services de type Internet. Nous estimons que le gouvernement canadien doit conclure sans délai avec les États-Unis une entente de réciprocité fondée sur les installations. Voilà qui n'est pas du tout la même chose qu'une entente de réciprocité en matière de services, qui mènerait inévitablement et, à brève échéance, à la disparition des sociétés canadiennes de radiodiffusion et des entreprises culturelles qui les alimentent.
Loin de constituer un précédent dangereux, un traité de réciprocité en matière d'installations permettrait aux sociétés canadiennes d'utiliser des satellites américains et aux sociétés américaines d'utiliser des satellites canadiens. Il en résulterait une utilisation extrêmement efficace des positions orbitales canadiennes par des entreprises en coparticipation de sociétés canadiennes et américaines, sans que ne soit menacée la capacité des Canadiens de recevoir des services de radiodiffusion canadiens.
Dans le cadre d'une entente de cette nature, on pourrait même voir Expressvu partager le même satellite avec une société américaine comme EchoStar qui, soit dit en passant, est la troisième société de SRD en importance aux États-Unis. La participation d'Expressvu à la propriété du satellite serait suffisante pour lui permettre d'assurer l'ensemble des services canadiens autorisés par licence, maintenant et pour l'avenir. EchoStar pourrait en faire autant dans le cas des services américains de grande écoute. Chaque société utiliserait la même technologie de transmission de base mais aurait la maîtrise de son propre produit grâce à l'accès individuel conditionnel et à des systèmes de gestion d'abonnés. De cette manière, Expressvu, pourrait, tout en étant propriétaire d'une plus petite portion du satellite, avoir accès au reste de l'installation à un coût additionnel, tout en ne fournissant que les services approuvés par le CRTC au moyen de la partie du satellite appartenant à EchoStar.
Si on règle les questions relatives aux droits d'émissions, ou si leur nature évolue en fonction de la technologie, un tel scénario de transmission pourrait assurer un excellent véhicule d'exportation aux films, aux vidéos, aux enregistrements sonores et aux logiciels canadiens.
J'aimerais aborder maintenant certaines questions d'ordre commercial. Tout d'abord, je parlerai d'une question plutôt inquiétante, celle du contournement. Dans le cadre de nos activités liées au SRD, le contournement des installations de télécommunication et de radiodiffusion pourrait entraîner des pertes directes d'un demi-milliard de dollars ou plus d'ici la fin de la présente année, si rien n'est fait pour contrecarrer le marché gris des services SRD. Je me ferai un plaisir de vous exposer les calculs un peu plus tard. Chez Expressvu, nous estimons que la meilleure façon de le faire consiste à lancer et à appuyer ici même au Canada un SRD vigoureux et dynamique. Nous sommes confiants d'être ceux qui peuvent offrir un tel service.
Nous disposons à l'heure actuelle de 14 voies sur Anik E-2, ce qui permet 100 signaux numériques, mais DirecTv, la principale entreprise de SRD des États-Unis, affiche 200 signaux ou même davantage. Par conséquent, il nous faut une plus grande capacité de transmission par satellite, et il nous la faut rapidement.
Comme je l'ai déjà dit, la réponse la plus efficace sur le plan commercial au besoin pressant de services additionnels de transmission haute puissance par satellite passe par une structure réglementaire qui permet la réciprocité en matière d'installations. Le CRTC, le chien de garde en matière de radiodiffusion, a déjà autorisé une proposition de ce genre. Il faut maintenant que les ministères de l'Industrie, du Commerce international et des Affaires étrangères fassent de même.
La présidente: Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par «la réciprocité en matière d'installations», de manière à ce que nous sachions bien de quoi nous parlons?
M. Frank: Il s'agit tout simplement d'une entente entre le Canada et les États-Unis qui ne viserait que la capacité de transmission, c'est-à-dire le satellite.
Le sénateur Spivak: Il me semblait que les Américains avaient rejeté cette idée.
M. Frank: Vous avez tout à fait raison.
Le sénateur Spivak: Comment avoir la réciprocité si les Américains ne la souhaitent pas?
M. Frank: Ils la souhaitent; c'est sur les conditions que la discussion achoppe.
Le sénateur Spivak: Vous voulez que les Canadiens cèdent un peu plus de terrain.
M. Frank: Non, je ne veux pas qu'ils cèdent du terrain. J'aimerais que le gouvernement ne perde aucun temps à obtenir ce genre d'entente en précisant sa position. Si la demande n'a pas eu de suite, c'est à cause d'un détail d'ordre technique. Les Américains estimaient que les demandeurs américains, à savoir WTCI et Telquest, n'avaient pas prouvé à leur satisfaction que Telesat Canada, le fournisseur de satellite, avait la permission du gouvernement canadien de lancer un satellite sur deux positions orbitales. Il s'agissait donc d'une question d'ordre technique. Je simplifie un peu, mais une entente est certainement possible, et nous vous prions instamment d'exhorter le gouvernement à en venir à une telle entente le plus rapidement possible. Cependant, nous ne voulons pas qu'on négocie à rabais le secteur des services. De toute évidence, ce serait s'engager sur une pente savonneuse.
La présidente: Merci. Cela nous aide à comprendre.
M. Frank: Pour ce qui est des enjeux culturels, le gouvernement fédéral a manifesté dans sa politique publique la volonté de faire en sorte que le secteur canadien du SRD soit dans le peloton de tête pour la concurrence. Cela étant dit, il est extrêmement important que la concurrence soit aussi équitable que soutenable, et ce à tous les égards. Les monopoles existants comme ceux de la câblodiffusion dont le SRD devra soutenir la concurrence, ne doivent disposer donc d'un avantage direct ou indirect. Pour qu'un secteur à forte intensité de capital comme celui du SRD puisse survivre, il doit être parmi ceux qui fournissent le service au coût le plus bas.
Permettez-moi maintenant de vous proposer un certain nombre de sujets de réflexion. La transmission par satellite doit être sur pied d'égalité par rapport aux technologies qui lui font concurrence. Les coûts de programmation des grossistes, à savoir les coûts de programmation que facturent les radiodiffuseurs, doivent être identiques. Les obligations faisant l'objet d'une autorisation, comme celle qui concerne la substitution ou la suppression de programmes, doivent être les mêmes et toutes les entreprises de radiodiffusion doivent contribuer de façon comparable et raisonnable à la production de films et de vidéos canadiens.
Les sociétés de SRD ne doivent pas se voir imposer l'obligation d'effectuer des substitutions ou suppressions de signaux non identiques, là où les câblodiffuseurs ne sont pas visés par des obligations analogues. Comment les sociétés de SRD canadiennes pourraient-elles être concurrentielles si on les oblige à supprimer le coeur même de leur programmation de réseaux alors que rien n'est fait pour contrecarrer le marché gris américain et que les câblodiffuseurs ne se voient imposer aucune obligation comparable? Avec la réglementation actuelle, le service réseau d'Expressvu peut être vidé de sa substance sur simple demande d'un radiodiffuseur local. Comment pouvons-nous être concurrentiels par rapport aux câblodiffuseurs sur le marché gris si chaque service réseau canadien de notre système a l'apparence d'un fromage suisse?
Expressvu reconnaît le droit des radiodiffuseurs locaux. En effet, il n'est pas exagéré de dire que, sans l'expression locale et régionale, le service national devient une coquille vide. Je crois même que vous avez abordé cette question un peu plus tôt. Pour notre part, si nous l'affirmons, ce n'est pas pour la galerie. C'est parce que nous y croyons très fermement. Cependant, les assemblées législatives et les décideurs doivent reconnaître que les nouveaux systèmes de transmission des médias, comme le SRD, sont par définition des systèmes d'envergure nationale. Par conséquent, il y a lieu de trouver des solutions justes et raisonnables en matière de droits, sinon le secteur canadien du SRD ne sera plus dans la course avant même d'avoir pu assurer sa viabilité.
Expressvu est fière de consacrer 5 p. 100 de ses recettes brutes à la création de nouvelles émissions canadiennes. Vous ne devez cependant pas oublier que les câblodistributeurs en consacrent une partie beaucoup plus faible, malgré le monopole qu'ils exercent depuis plus de 30 ans. En se hâtant de créer de nouvelles sources de financement ou en s'efforçant simplement de compenser les réductions dans la part de financement de l'État, les législateurs et les décideurs politiques ne devraient pas siphonner indûment l'argent dont les nouvelles entreprises ont tellement besoin. Rien ne trahit plus vite la promesse de la nouvelle technologie, du choix et des nouvelles possibilités.
Le service de transmission directe au foyer offre la possibilité de nouvelles occasions prometteuses pour l'exportation d'émissions canadiennes, même si cela se fera graduellement. Grâce à des réseaux de distribution par satellite communs, les exportateurs canadiens de produits culturels pourront glaner les avantages d'une couverture immédiate et presque complète du marché américain. Comme on aura déjà maintenu les mécanismes de protection des services, il ne faudrait pas rater cette occasion.
Pour terminer, la transmission directe au foyer offre à l'industrie des radiodiffuseurs canadiens la possibilité de créer un important réseau de distribution, tant au Canada qu'aux États-Unis, grâce à la réciprocité des installations. Si le gouvernement prend rapidement des mesures à cet égard, nous aurons la certitude de pouvoir profiter d'une excellente occasion d'exportation et nous aurons en même temps la capacité de satellite accrue et à haute puissance dont nous avons tellement besoin.
Merci de votre attention. Je serai ravi de répondre à vos questions.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Frank. C'était très intéressant.
Avant d'inviter la vice-présidente, le sénateur Spivak, à poser des questions, je voudrais des précisions au sujet d'Expressvu. Vous dites que le service sera lancé l'été prochain. Comme bon nombre de fervents spectateurs d'émissions canadiennes, j'ai bien hâte de recevoir Expressvu, mais nous avons déjà entendu à plusieurs occasions que c'est pour demain. Comment pouvez-vous être tellement certain que le service sera offert cet été? Qu'y a-t-il de nouveau?
M. Frank: C'est une excellente question. Je suis ravi que vous l'ayez posée parce que je dois reconnaître que nous avons un certain problème de crédibilité. J'ai parlé de cette question au début de mon exposé quand j'ai dit que nous avions déjà posé toutes les bases nécessaires.
Le premier problème avait trait à la boîte qui sera installée sur le téléviseur et que nous allions acheter de l'un de nos actionnaires. Celui-ci allait fabriquer les boîtes au Canada. Il y a eu un retard de ce côté-là. Nous avons réexaminé la situation à la fin de 1995 et choisi un nouveau fabricant qui se sert de la même technologie de base. Cet arrangement a été instauré en mars 1996. Malheureusement, le satellite a subi une panne partielle mais permanente.
Nous avons maintenant une nouvelle capacité de satellite. Nous avons passé un contrat pour 14 RF, ce qui est mieux qu'un simple espoir d'avoir 14 RF. Au 1er juillet prochain, nous aurons 14 voies de satellite à notre disposition et probablement davantage. Nous avons un marché clés en main avec une compagnie appelée EchoStar Communications, qui a construit trois systèmes de transmission directe au foyer clés en main ailleurs dans le monde sans jamais accuser de retard. Nous utilisons une technologie qui existe déjà. Il n'y aura pas de problème de production parce que les dispositifs nécessaires sont en train d'être fabriqués. Nous utilisons une technologie connue dans le monde entier, la norme mondiale de transmission directe au foyer, ce qui veut dire que nos prix seront les plus faibles possible étant donné les économies d'échelle. À moins d'une catastrophe, rien ne devrait retarder notre lancement.
La présidente: Il y a un vieux dicton français: «Quand je me regarde, je me désole, quand je me compare, je me console», qui veut dire en gros que l'herbe n'est pas toujours plus verte chez le voisin.
DirecTv est déjà disponible au Canada et offre 200 postes. Comment pouvez-vous rivaliser?
M. Frank: Je ne prétendrai pas que nous sommes satisfaits de 14 canaux RF. Nous faisons de notre mieux pour en obtenir davantage, d'où le désir de notre compagnie et ma demande à votre comité en vue d'obtenir que vous exhortiez le gouvernement du Canada à faire le nécessaire pour augmenter le plus rapidement possible notre capacité de satellite en autorisant une entreprise conjointe à 91 degrés de longitude ouest grâce à une entente de réciprocité.
Quatorze RF et la possibilité de deux ou trois autres de plus nous donneraient au-dessus de 100 signaux. Nous sommes convaincus que notre service intéressera les Canadiens surtout parce que nous offrirons tous les réseaux canadiens, tous les réseaux spécialisés, la télévision payante, la télévision à péage à multicanaux, le service audionumérique à multicanaux et tous les services américains populaires. Nous offrirons les meilleurs des services de DirecTv que le CRTC nous permettra d'offrir, de même que tous les services canadiens. Bien sûr, ils devront être offerts à un prix compétitif, mais nous croyons que ce sera une combinaison gagnante.
La présidente: Quelle sera votre empreinte?
M. Frank: Tout le Canada.
La présidente: Pourquoi voulez-vous vous limiter au Canada? Pourquoi ne pas avoir un service international?
M. Frank: Quand vous dites «international», entendez-vous bilatéral, c'est-à-dire le Canada et les États-Unis?
La présidente: Oui.
M. Frank: C'est exactement ce que je demande, madame la présidente. Grâce à un arrangement de réciprocité des installations, un satellite canadien situé à 91 degrés de longitude ouest, avec une puissante empreinte qui couvrira le Canada et les États-Unis, nous pourrons offrir un tel service.
Par exemple, nous pourrions permettre à la SRC de vendre toute sa gamme de services de musique numérique partout en Amérique du Nord où l'on peut affranchir tous les droits. Ce n'est pas toujours facile, mais il y a des services qui affranchissent les droits d'auteur au sud de la frontière. Une empreinte qui couvrirait à la fois le Canada et les États-Unis donnerait un beaucoup plus grand marché à de tels services.
La présidente: Il y a deux ans, vous aviez reproché à Power Corporation de vouloir lancer une entreprise conjointe avec une compagnie américaine. La compagnie en question était DirecTv. Aujourd'hui, vous proposez le même jour de plan de travail que Power Corporation avait décrit il y a deux ans. Pourquoi avez-vous changé d'avis?
M. Frank: Quand vous parlez de nous, voulez-vous parler d'Expressvu?
La présidente: Oui.
M. Frank: Expressvu ne s'est jamais opposé à un plan commercial qui soit conforme à la politique du gouvernement canadien pour les satellites.
Un certain nombre de radiodiffuseurs, y compris Expressvu, s'inquiétaient d'un projet qui aurait permis d'utiliser un satellite américain et tous les services américains qu'il offrirait.
À l'audience, nous ne nous sommes pas opposés à la demande de Power Corporation comme telle. Nous voulions simplement qu'on instaure les mécanismes nécessaires pour garantir que le système d'accès conditionnel et le système de gestion des abonnés pourraient limiter le genre d'émissions que Power Direct offrirait aux services accrédités et autorisés.
C'est pourquoi je dis dans notre document que le CRTC a déjà approuvé en principe une entente de réciprocité des installations. Si le CRTC juge que les mécanismes de contrôle sont suffisants pour interdire aux services non autorisés américains l'accès au Canada, je ne vois pas pourquoi nous ne pouvons pas permettre qu'il existe de telles ententes.
Le sénateur Spivak: Vous dites que c'est possible. Le CRTC ne voulait pas permettre à DirecTv de faire ce qu'il voulait faire et c'est pour cela qu'il a échoué. Vous dites qu'il est possible maintenant d'instaurer des mécanismes de contrôle pour qu'on puisse transmettre des émissions canadiennes aux États-Unis alors que les États-Unis ne pourraient transmettre au Canada que des émissions autorisées et accréditées; n'est-ce pas là tout le problème?
Les Américains ne sont pas des idiots. Ils ont maintenant 98 p. 100 du marché. Ils veulent 100 p. 100 de tous les marchés. Voulez-vous dire que cette entente existe déjà ou faudrait-il la négocier pour s'assurer que les Américains seront d'accord?
Vous êtes-vous entendus sur tous les aspects de votre coentreprise et n'avez-vous aucune inquiétude à ce sujet?
M. Frank: Nous n'avons pas de coentreprise avec Echostar. Ce n'était qu'un exemple. Nous avons une entente technologique avec Echostar qui nous permettra de construire notre système de compression numérique des signaux vidéo d'ici l'été prochain. Nous n'avons pas d'entente d'utilisation commune d'un satellite. Nous n'utilisons pas le satellite d'Echostar; nous utilisons le satellite de Telesat.
Vous demandez pourquoi les Américains permettraient une entente de réciprocité des installations.
Le sénateur Spivak: À moins qu'ils ne puissent dominer le marché. S'ils ne peuvent pas dominer le marché canadien, quel serait l'avantage pour eux?
M. Frank: Parce que les Américains manquent d'endroits dans l'orbite pour leurs satellites. C'est une question d'offre et de demande. Nous avons une chose qu'ils veulent.
Le sénateur Spivak: Je vois.
M. Frank: Nous avons deux, peut-être trois sites de choix en orbite, en l'occurrence, 91, 82 et 72,5 degrés de longitude ouest. Les Américains veulent qu'il y ait plus de concurrence entre les sociétés américaines sur le marché américain.
Ils peuvent favoriser une telle concurrence en autorisant l'utilisation conjointe d'un satellite canadien selon certaines règles. C'est pour cela que je crois qu'une entente est possible.
Le sénateur Spivak: C'est la voie de l'avenir. Les Américains auraient facilement accès aux émissions canadiennes tout en offrant des émissions au Canada. Ce serait excellent.
D'après vous, à combien s'élève le marché gris?
M. Frank: Probablement deux cent cinquante mille.
Le sénateur Spivak: Je ne comprends pas. D'abord, le marché est-il saturé? Deuxièmement, comment convaincrons-nous ces gens de changer? Qu'est-ce qui incitera quelqu'un qui a déjà une antenne parabolique et qui est tout à fait satisfait de recevoir uniquement des émissions américaines?
M. Frank: Il y a deux réponses au problème. D'abord, nous devons offrir aux Canadiens les émissions qu'ils veulent. Aucun des services du marché gris américain n'offre de services canadiens, sauf pour DirecTv, qui a deux services de la SRC, Newsworld International, Trio, qui offre des émissions en reprise, et MuchMusic, un service d'émissions axé sur la musique. À part ces trois services, aucune des compagnies américaines n'offre de services canadiens.
Si nous offrons une gamme complète de services canadiens en même temps que les meilleurs canaux américains, nous espérons offrir une combinaison appropriée. Il y a aussi une question de prix. Nous devons nous assurer que nos prix sont compétitifs et nous devons offrir des incitatifs pour attirer de nouveaux abonnés.
La présidente: Donnez-nous un exemple.
M. Frank: Un exemple extrême serait d'échanger une boîte de DirecTv gratuitement. N'allez surtout pas y voir là une promesse de ce que nous ferons.
Le sénateur Spivak: Les études de marché indiquent-elles que les Canadiens qui reçoivent maintenant un service de transmission directe au foyer ont aussi le câble?
M. Frank: Aux États-Unis, 50 p. 100 des abonnés conservent les services de câblodistribution. Nous croyons que le chiffre serait sensiblement moins élevé au Canada parce que la plus grande partie des antennes paraboliques du marché gris sont situées dans les régions rurales du Canada.
La présidente: Où le câble n'est pas accessible?
M. Frank: C'est exact.
Le sénateur Johnson: Il y a environ deux ans, j'ai entendu Expressvu et Power DirecTv parler de leurs plans d'entreprises. Vous reprochiez à Power DirecTv de mener une invasion culturelle au Canada. Vous avez maintenant lancé une entreprise conjointe avec une compagnie américaine. Pouvez-vous m'en dire un mot? Avez-vous changé d'avis?
M. Frank: Echostar ne fait que nous fournir les boîtes et les circuits intégrés pour notre système de compression numérique. Cette compagnie n'a rien à voir avec nos émissions ou avec le service de satellite. Nous utilisons un satellite canadien et nous recevons nos émissions de source canadienne ou directement du fournisseur américain.
Pour ce qui est de critiquer le plan d'entreprise de Power DirecTv, ce qui nous inquiétait, c'est que Power DirecTv se serve exclusivement d'un satellite américain et ait un système d'accès conditionnel et un système de gestion des abonnés qui pourraient causer des problèmes. Le CRTC a octroyé le permis à Power DirecTv sous condition qu'il n'utilise pas exclusivement un satellite américain et que le système de gestion ne permette pas de fuite. Cela a calmé nos inquiétudes.
Nous n'avions pas condamné tout le plan d'entreprise de Power DirecTv, mais nous craignions que le système qu'il préconisait mène à une concurrence injuste vu que nous préconisions de notre côté l'utilisation exclusive d'un satellite canadien.
Le sénateur Johnson: Vous continuez d'utiliser ce même satellite et Echostar ne fait que fournir certaines connaissances technologiques.
M. Frank: Certains éléments technologiques, en effet.
Le sénateur Johnson: À titre de curiosité, êtes-vous contrôlé par Bell Canada?
M. Frank: À l'heure actuelle, il n'y a pas d'entreprises qui contrôlent vraiment Expressvu. On a cependant présenté une demande au CRTC pour remettre le contrôle entre les mains de Bell Canada Enterprises, c'est-à-dire la société de portefeuille et non pas la compagnie de téléphone. Le CRTC n'a pas encore rendu sa décision.
Le sénateur Johnson: Quand le fera-t-il?
M. Frank: Nous espérons que ce sera d'ici un mois.
Le sénateur Johnson: Aurez-vous le contrôle absolu à ce moment-là?
M. Frank: Oui, le contrôle absolu, c'est-à-dire le contrôle majoritaire.
Le sénateur Johnson: Êtes-vous d'accord pour que Bell Canada contrôle l'industrie de satellites?
M. Frank: Je ne serais pas ici si je n'étais pas en faveur d'un tel rôle pour BCE. Quand nous avons demandé notre permis original au CRTC, notre plan d'entreprise demandait un investissement de 55 millions de dollars. Cela a quadruplé. Sans BCE, Expressvu n'existera pas. C'est aussi simple que cela. C'est une industrie qui coûte extrêmement cher.
Le sénateur Johnson: Oui, effectivement.
M. Frank: Si nous voulons affronter la concurrence internationale, il nous faut une liaison terre-satellite et un satellite de qualité internationale. Nous avons un arrangement provisoire pour l'utilisation d'Anik E-2, un satellite fixe de puissance moyenne qui nous oblige à employer des antennes paraboliques de 24 pouces. Si nous obtenons le satellite à haute puissance que demande Telesat, il suffira d'avoir des antennes de 18, 16 ou peut-être même 14 pouces dans certaines régions du Canada. Il va dégager des rayons tellement forts qu'on ne sera plus obligé de déblayer nos allées. J'exagère un peu, mais je crois que mon message est clair.
L'avènement du satellite SRD à haute puissance permettra à Télésat d'offrir des communications par satellite perfectionné, comme la bande KA qui assure une capacité à double sens, quelque chose d'essentiel dans le Canada rural et dans les régions mal desservies. Les habitants de Yellowknife, Sioux Lookout ou Flin Flon ont droit à un service d'aussi bonne qualité que les habitants d'Ottawa et de Toronto. Nous pourrons leur offrir le service avec la bande KA.
Le sénateur Spivak: J'essaie de comprendre un peu les enjeux sur le plan de la concurrence. Vous faites concurrence aux câblodistributeurs. Pensez-vous que ce soit la façon dont les compagnies de téléphone vont faire concurrence aux services de câblodistribution? Qu'en est-il du système de distribution multipoint?
M. Frank: Il s'agit de la télédistribution sans fil.
Le sénateur Spivak: Est-ce aussi un de vos concurrents?
M. Frank: Oui.
Pour répondre à votre question, deux sociétés téléphoniques présentent actuellement une demande de licence au CRTC afin d'exploiter des bandes d'essai à London, Repentigny et Edmonton. Les entreprises téléphoniques ne jurent que par la technologie des télécommunications.
Le sénateur Spivak: N'est-ce pas un peu cher?
M. Frank: Effectivement.
Le sénateur Spivak: On a laissé entendre qu'il n'y aura pas de concurrence directe parce que ni l'un ni l'autre ne veulent investir l'argent nécessaire.
M. Frank: D'après les experts, dans cinq ou six ans les câblodistributeurs et les entreprises téléphoniques vont se livrer une concurrence sans merci.
Le sénateur Spivak: Les deux vont offrir les services téléphoniques et télévisuels et quoi d'autre?
M. Frank: Je suppose qu'ils vont également offrir des services de transmission ultra-rapide de données, les services d'information multimédias ainsi qu'une interconnectivité totale. Pour que le SRD survive, il nous faut aussi cette double capacité. Le Canada a besoin de cette double capacité pour offrir l'autoroute informatique aux régions rurales et aux régions mal desservies.
La présidente: Nous vous remercions beaucoup, monsieur Frank. Nous apprécions vos bonnes suggestions.
La séance est levée.