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COMM

Sous-comité des communications

 

Délibérations du sous-comité des
Communications
du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 6 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 12 mars 1997

Le sous-comité des communications du comité sénatorial permanent des transports et des communications s'est réuni ce jour à 15 h 50 pour étudier la position internationale du Canada dans le domaine des communications.

Le sénateur Marie-P. Poulin (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente: Honorables sénateurs, nous nous réunissons aujourd'hui pour étudier la position internationale concurrentielle du Canada dans le domaine des communications. Nous devons nous assurer que l'on arrive en l'an 2000 compétitivement dans quatre domaines: le point de vue technologique; les ressources humaines, c'est-à-dire les professionnels d'aujourd'hui et ceux que nous préparons pour demain; la culture, c'est-à-dire les messages que nous livrons, avons-nous la capacité de continuer à livrer des messages canadiens, et les ententes commerciales et la réglementation.

Nous sommes très heureux que vous ayez signalé votre intérêt à comparaître devant le sous-comité. Vous offrez quand même un service unique et canadien à l'extérieur du Canada. Je vous présente le sénateur Spivak, la vice-présidente du sous-comité. Je vous invite donc M. Brassard à présenter votre mémoire.

M. Pierre-Paul Brassard, président, Agence de Nouvelles Canada: Je vous remercie de votre sympathique invitation. Nous avons préparé avec beaucoup de plaisir ce mémoire à l'aide du personnel du Sénat. Pour faciliter la présentation, on regardera tantôt ce que cela peut donner. Nous avons préparé une synthèse du mémoire sur un diaporama. Il va nous permettre de faire des commentaires justement sur les points que vous avez soulignés. Il est agréable de réagir avec des paramètres aussi clairs. Il y a la question de la rétrospective technologique, l'efficacité des infrastructures et la compétition.

La présidente: Il serait intéressant de signaler au public qu'il s'agit d'une présentation audiovisuelle. C'est une des premières présentation qui se fait à l'aide d'un ordinateur. Au comité des sous-communications, nous trouvons cela très approprié.

M. Brassard: Nous entendons souvent qu'une image vaut mille mots. J'essaie de l'appliquer le plus possible. C'est le sommaire que vous connaissez.

[Traduction]

Nous allons parler de la technologie. Au cours des 10 à 15 dernières années il n'est guère de tâche, en télécommunications et en radiodiffusion, qui n'ait été modifiée radicalement par -- vous l'entendez assez souvent -- les changements dus à la numérisation.

En ce qui concerne la télévision et la radio -- et je m'attarderai plus particulièrement à ces aspects --, la numérisation a considérablement élargi la capacité de production des réseaux ou sociétés de production qui font appel à ces méthodes. Il en va d'eux comme des ordinateurs: si nous voulons rester compétitifs, il ne nous reste guère d'autres choix que de les utiliser.

Pour vous donner un exemple, une demi-heure d'un programme télévisé de variétés exige 300 heures-personnes de travail, tout bien compté. Autrefois, 20 à 25 p. 100 de ces 300 heures auraient consisté en travaux techniques tels que le montage et l'enregistrement, entre autres, mais de nos jours ceux-ci peuvent se faire en quatre à cinq heures. Cela multiplie par deux la qualité du vidéo et augmente également de deux ou de trois le point audio.

Sur une station FM, il nous arrive d'entendre le son en qualité de disque compact. De quoi s'agit-il? C'est du son numérisé. Je ne suis pas ingénieur, et je ne voudrais pas entrer dans des détails techniques, mais pour simplifier les choses, la numérisation est une façon différente d'écrire, ou d'enregistrer des images et des sons, de les transmettre ou de les lire. La différence entre un enregistrement analogique et un enregistrement numérique d'une image est la même qu'entre l'image sur télévision en noir et blanc et une image de 35 millimètres.

Une fois ce processus mis en train, une grande partie des données doit être mise en ordinateur, enregistreur, microphone ou autres. Mais les difficultés ne tardent pas à surgir. Elles sont dues à l'augmentation même de l'efficacité, et bientôt vous vous trouvez débordé: c'est ce qui a engendré la compression.

La compression d'un signal numérique vous permet de multiplier par quatre votre capacité de transmission; autrement dit, un satellite conçu il y a 15 ans, construit il y a 10 ans et lancé il y a cinq ans peut à présent transmettre 48 chaînes de télévision au lieu des 12 sur le même transpondeur, là-bas dans l'espace, en raison de ces nouvelles méthodes.

Il en coûtait environ 1 million de dollars par an, pour un réseau tel que CTF ou TVOntario, pour louer un transpondeur; à présent, en théorie, en n'utilisant qu'un quart, le coût a baissé et n'est plus que d'environ 300 000 $ par an. C'est un fait dont il faut tenir compte, car les observations que nous allons faire à propos du commerce et de la culture ont, dans le climat actuel, des incidences considérables sur le nombre de services.

Nous avons évoqué les incidences de ces changements, à savoir un nombre accru de services d'origine tant externe qu'interne. Est-il besoin de démontrer que l'abaissement des coûts de transmission, des coûts de production et l'augmentation de l'efficacité débouchent sur une augmentation des produits, et à meilleur marché. C'est également ce qui a rendu possible la naissance d'Internet et de l'industrie des multimédias, dont il est tant question.

Que signifie l'avènement d'Internet pour la concurrence existante? Comme je le disais tout à l'heure, on est bien obligé d'utiliser ces méthodes, que l'on soit une station de télévision, de radio ou une entreprise de télécommunications, et il faut investir considérablement dans le matériel qui vous permet de fonctionner.

La télévision -- c'est là mon champ d'action -- c'est une situation nouvelle mais pas trop bouleversante, parce que dans ce pays il y a toujours eu une concurrence acharnée sur ce terrain. Très tôt la télévision est devenue l'arène où il y avait joute entre les diffuseurs publics et privés. Voilà 35 à 40 ans que l'évolution se fait parallèlement au marché le plus compétitif du monde, à savoir les États-Unis.

Il y a une statistique rarement mentionnée, à savoir que 90 p. 100 de la population canadienne vit à une distance de moins de 200 kilomètres de la frontière américaine. Il est donc fort logique que les stations de radio américaines puissent diffuser leurs émissions au Canada.

La concurrence stimule la vitalité et l'originalité: c'est ce qui est arrivé pour les Canadiens, dès les débuts, et c'est ce qui arrive encore et nous donne une longueur d'avance sur le marché mondial.

La concurrence a également donné de l'élan à ce secteur. Si l'on examine ce qui s'est passé au cours des 10 à 15 dernières années, nous constatons que les services spécialisés en télévision, ou le nombre de stations FM, ne se seraient peut-être pas concrétisés aussi rapidement si nous n'avions eu pour proche voisin un marché géant. La réglementation, au Canada, a toujours aidé à nous protéger des pressions extérieures.

L'évolution de la technologie a emmené une augmentation des émissions, et c'est là l'endroit de la médaille. La numérisation et les avancées technologiques qu'elle a amenées ont amélioré la qualité des émissions parce que celles-ci sont plus nombreuses, parce qu'il y a plus de concurrence et plus de services à présent qu'il n'y en avait, par exemple, il y a une dizaine d'années. L'existence même de ces services crée de nouveaux besoins.

Si nous rentrions chez nous ce soir et constations que la câblodistribution ne nous donne que cinq chaînes de télévision, beaucoup de gens demanderaient: «Qu'est-ce qui se passe?» Tel est devenu le monde dans lequel nous vivons.

Le revers de cette médaille, c'est que l'abondance même des services créé la fragmentation. Comme nous le disons dans notre mémoire, plus le marché se restreint, plus il se fragilise.

Puisque ce comité réfléchit à ces questions, nous voudrions demander: devrait-on imposer une limite à l'expansion des services? Dans l'affirmative, quelles sont ces limites, et comment les définirons-nous? C'est une question que je soumets à votre analyse et à votre discussion.

Quand on parle de commerce, on mentionne le détournement. C'est un phénomène géographique avec des réseaux de la taille que nous avons au Canada. En télévision, le détournement porte sur les émissions étrangères, c'est pourquoi la protection de l'identité culturelle canadienne est liée étroitement au succès des services de télévision, en particulier du service de télévision général. Je compare souvent les services de télévision généraux -- qu'ils soient en français ou en anglais -- à des journaux comme The Ottawa Citizen, La Presse ou The Globe and Mail. Bien entendu, les services spécialisés sont beaucoup plus focalisés.

Les services de télévision généraux atteignent un public beaucoup plus vaste. On peut dire que tout le monde les regarde. Nous n'approfondirons pas la question de savoir si on les regarde régulièrement, mais ils existent, et les émissions canadiennes de bonne qualité sont populaires, chez nous et à l'étranger. Beaucoup d'entre vous savent certainement, comme on l'a dit à ce comité, qu'au cours des cinq à dix dernières années, un grand nombre de nos émissions dramatiques et de nos émissions pour la jeunesse sont recherchées et ont été achetées à l'étranger. Le Canada peut marquer des points quant à l'exportation d'émissions.

Que ce soit en anglais ou en français, la programmation télévisuelle canadienne a connu, depuis 1990, une augmentation lente mais régulière. Quant au détournement, je voudrais attirer votre attention à la page 14 de notre mémoire, où nous signalons l'augmentation de l'audience des émissions canadiennes: entre 1984 et 1990, on a constaté une diminution de l'audience des émissions étrangères et une augmentation proportionnelle de l'audience d'émissions canadiennes, tant françaises qu'anglaises.

En 1994-1995, le nombre de spectateurs d'émissions étrangères dans les deux langues a considérablement baissé. Pour les émissions en français, il a passé de 73 p. 100, en 1990, à 63 p. 100; en anglais, les émissions canadiennes ont passé de 31 p. 100 à 26 p. 100 et augmenté de 68 p. 100 à 74 p. 100. Ce sont là des changements considérables.

Lorsque j'ai envoyé à votre comité le texte de notre mémoire, nous n'avions pas les chiffres pour 1994-1995; il serait peut-être bon que je les remette au greffier.

Autrement dit, nous avons là une nouvelle donne: avec la multiplication des services et l'augmentation des heures d'émission, on est envahi par des émissions étrangères, et c'est pourquoi les marchés de la télévision, tant français qu'anglais, se fragmentent de plus en plus.

Le sénateur Spivak: La question qui se pose, c'est de savoir quelles sont les émissions canadiennes qui se vendent. On accuse ces émissions d'être conçues pour l'étranger, en particulier pour le marché américain, en ce sens qu'elles doivent s'aligner sur ce que l'on considère généralement le goût américain. La seule exception, c'est lorsqu'on ne sollicite de financement qu'après achèvement du projet, mais si c'est au début du projet, vous aurez les mains liées. Il y avait, sur ce sujet, un article récent dans The Globe and Mail.

Mais on peut se demander si ces réalisations destinées à l'étranger sont un reflet fidèle des goûts canadiens. Les réalisateurs travaillent-ils comme ils le feraient pour un public canadien, produisent-ils des oeuvres qui peuvent être vendues dans l'un et l'autre pays?

M. Brassard: C'est là une vaste question, sénateur. À certains moments de ma carrière, je travaillais à ce que nous appelons des coproductions, système visant à l'exportation et mis au point dans les années 80, afin de faciliter l'accès à plusieurs marchés qui étaient alors verrouillés. Nous gardons cela présent à l'esprit, et considérant l'ampleur et la vigueur du marché américain, nous constatons qu'on y emploie des tactiques brutales, tout comme le font les Français avec les Franco-Canadiens. Il en va ainsi de toute production. L'un des inconvénients de l'outil que nous appelons coproduction, c'est que le partenariat amène l'un des producteurs à céder du terrain. Je reconnais que pour l'exportation, cela pose des difficultés.

Le sénateur Spivak: Mais de l'autre côté de la frontière, le jugement n'est pas toujours infaillible: contre toute prévision, certaines productions ont fait un tabac. Les productions britanniques sont recherchées pour la simple raison qu'elles sont britanniques; pourquoi n'en serait-il pas de même des canadiennes? Aspirons-nous trop, actuellement, à adapter nos produits de ce que nous pensons être le goût américain, au lieu d'aider à façonner ce goût et de susciter l'intérêt justement parce que nous sommes Canadiens?

Prenons l'exemple d'un film comme Le patient anglais ou les films de Jane Austen: ils n'ont certainement pas été produits en fonction du goût américain.

M. Brassard: Ce que vous dites est intéressant, sénateur, et moi aussi je pense que sur cette planète, les États-Unis ne sont pas les seuls arbitres en matière de goût, en particulier à la télévision. Je vais vous donner un exemple: nous avons une grande institution, très discrète, dont il est rarement question, mais à laquelle le comité devrait s'intéresser. Je parle de l'Office national du film, qui vend des longs métrages, des dessins animés, des films pour enfants et des émissions historiques dans le monde entier. C'est une denrée très recherchée à tel point que hors de l'Amérique du Nord, l'ONF ne suffit pas à la demande. Comme vous voyez, sénateur, la qualité et l'originalité sont payantes.

Le sénateur Spivak: Vous dites que nous devrions appuyer les productions. Vous avez sans doute d'autres recommandations à nous suggérer, à propos de ce que nous devrions être nous-mêmes et comment nous devrions présenter nos produits.

M. Brassard: Certainement.

La présidente: D'où devrait venir ce soutien?

M. Brassard: D'où il vient actuellement. Avec des institutions telles que Téléfilm et le fonds de la câblodistribution, nous avons de bons outils dans notre pays.

Ce dont nous devrions nous rendre compte, c'est qu'il existe un potentiel suffisant pour l'expansion et l'investissement, et nous devrions mettre fin à cette notion de subvention dans ce secteur. Dans les télécommunications ou dans l'aérospatiale, les sociétés et les gouvernements vont dépenser des millions de dollars, au cours des années à venir, parce qu'ils ont des objectifs à long terme. C'est très bien, car il y a concurrence et nous acceptons cela sans peine, mais il convient de l'étendre également à la télévision.

Nous avons vu les succès retentissants de Bryan Adams, Céline Dion et Alanis Morissette. Les films que vous mentionniez tout à l'heure, sénateur, ainsi que certains de nos programmes d'animation ont connu un succès mondial. Je poursuis mes activités en Asie, où on n'arrête pas de me demander: «Qu'avez-vous à vous montrer aussi réticents? Ne cachez pas vos productions sous le boisseau, apportez-les, faites du battage, de la réclame, vendez-les».

Le sénateur Spivak: Il y a quelque chose qui m'intrigue à ce propos. Dans l'édition de fin de semaine, Patrick Watson a écrit, pour The Globe and Mail, un article dans lequel il pose la question «Pourquoi ignorons-nous la télévision privée, parce qu'elle a de bonnes productions?» Je n'en crois rien. Ce que font ces gens-là c'est acheter des émissions américaines bon marché, et occuper ainsi leur temps sur les ondes. Ils ne font pas vraiment ce qu'ils sont censés faire.

Votre message est-il que nous n'avons pas besoin de continuer à donner à la télévision le soutien public, ou que nous devons le faire? Je ne vous ai pas tout à fait saisi. C'est précisément parce que nous avons donné ce genre de soutien public, à mon avis, que nous avons créé ce merveilleux vivier d'artistes. Nous avons toute une pléiade de gens doués qui ne font pas fortune, alors que d'autres, comme les promoteurs et les producteurs, s'enrichissent. Céline Dion également, mais elle est l'exception.

Que pensez-vous du soutien public?

M. Brassard: Qu'il faut le maintenir. Si la radiodiffusion publique a fait des progrès, au cours des années, c'est parce qu'elle a pu consacrer de l'argent à ses talents et à ses installations. Je pense que cela peut aussi se faire dans le secteur privé.

Le sénateur Spivak: Par réglementation?

M. Brassard: Soit par réglementation, soit par un mécanisme de soutien des productions. C'est ainsi que lorsque Téléfilm a été fondé en 1983, la Société de développement des industries cinématographiques du Canada avait un budget de 3,5 millions de dollars. Je le sais, parce que j'y travaillais à l'époque. L'objectif qu'on s'était alors fixé, c'est que la production spécialisée, qui se trouvait, pour l'essentiel, dans le secteur public, devait être diversifiée, et que l'argent devait être investi pour élargir la base, au-delà de Montréal et de Toronto, jusqu'à Vancouver, Halifax et dans tout le reste du pays.

Une taxe a été imposée à la télévision par câble, et le produit a été versé à Téléfilm. Quelque 15 ans plus tard -- mais je n'ai pas procédé à une analyse approfondie --, elle a produit des résultats intéressants, pour les télédiffuseurs tant publics que privés. Radio-Canada en a profité ainsi que, dans une certaine mesure, l'ONF et de nombreuses sociétés privées de production, depuis Québec jusqu'à Vancouver, en passant par Halifax.

Le sénateur Spivak: Pensez-vous que cette injection de fonds, que le gouvernement a également faite dans la production privée, créera un meilleur équilibre entre les émissions américaines bon marché et ce genre d'émissions? Pensez-vous que les choses s'équilibreront mieux?

M. Brassard: À vrai dire, si d'ici cinq ans vous voulez encore être sur pied, il vous faut faire de bonnes productions, les vendre et avoir du succès, faute de quoi vous ne survivrez pas. Si vos programmes n'ont pas la faveur du public, vous ne les vendrez pas.

Nous aimons voir des émissions dont l'intrigue parle à notre coeur: c'est cela qui constitue la culture. C'est ainsi qu'en français, nous avons une merveilleuse série intitulée Cher Olivier. Elle est réalisée par une société privée, elle est d'excellente qualité et est également très populaire. Ce n'est pas de la culture d'élite.

Le sénateur Spivak: Comme La Petite Vie, par exemple?

M. Brassard: Non, ce n'est pas du tout du même ordre.

Si Cher Olivier remporte un tel succès, c'est parce que nous nous y retrouvons. Lorsque Patrick Watson évoque ce qu'il voudrait voir à Radio-Canada et en général, à la télévision, il essaie d'adapter ce modèle à notre fin de siècle. Le message que nous essayons de faire passer est essentiellement le même.

Le sénateur Spivak: On nous a dit que les diverses installations pour la production d'actualités devraient fusionner. Il n'y a pas de comparaison entre l'émission NewsWorld, de Radio-Canada, et le service d'actualités de CNN. C'est une plaisanterie: CNN gratte la surface, et Haslett Cuff le fait souvent remarquer dans ses articles.

Voici un exemple de qualité authentique. S'ils pouvaient, ils voudraient l'étendre à tout, mais je ne sais s'ils le font. Dans les dramatiques et autres genres d'émissions, il me semble que dans l'ensemble les Canadiens regardent surtout des émissions américaines.

Les réseaux privés veulent surtout gagner de l'argent, mais je ne suis pas sûre que la situation soit aussi claire que cela.

Vous nous proposez d'investir davantage dans les productions afin que les heures de grande écoute aient, comme actuellement, un contenu presque entièrement canadien, n'est-ce-pas? Que proposez-vous d'autre? Vous dites que vous devez vous maintenir, vous tenez à voir l'an 2000. Izzy Asper pourrait supprimer toutes les émissions canadiennes, et il se maintiendrait encore, en l'an 2000, parce qu'il a Seinfeld, ainsi que d'autres émissions. Rien ne le pousse, financièrement, à projeter des émissions canadiennes; la seule raison de le faire, pour lui, c'est pour conserver sa licence.

M. Brassard: En ce qui concerne les dramatiques, je suis très tenté de vous répondre en vous donnant l'exemple du Canada français. Quand on a lancé les premiers téléromans, par exemple Un homme et son péché, ceux-ci étaient coûteux et on ne gagnait pas beaucoup d'argent avec eux; ils avaient un public mais changeant et irrégulier. C'était tout au début de l'ère de la télévision, dans les années 50. À l'époque, lorsque la première société privée a été fondée, elle ne produisait pas de téléromans, en raison de leur coût.

Mais on a découvert peu après que grâce à la cote d'écoute et à la publicité, on atteignait très vite le seuil critique de rentabilité, et on s'est alors lancé dans ce genre d'entreprises. C'est possible pour les émissions anglaises aussi bien que pour les émissions françaises.

Mais le contexte est différent dans le Canada anglophone et c'est pourquoi, tout en étant faisable, c'est plus difficile: la concurrence est beaucoup plus forte. Je pense en particulier à l'émission sur l'Avro: elle sera exportée et partout mise en vente, que cela plaise ou non. Cela me rappelle une chose que j'ai lue quand j'étais enfant.

Le sénateur Spivak: Autre exemple à cet égard Les Garçons de Saint Vincent.

M. Brassard: Je me souviens que le président de Radio-Canada disait qu'il faut que nous conservions la façon dont nous rêvons, dont nous pleurons, dont nous mangeons, ce qui constitue notre essence.

Ceci dit, jusqu'où cela reste-t-il tolérable? C'est à vous d'en décider.

Le sénateur Spivak: Il faudrait que ce soit suffisant pour survivre.

La présidente: Ce que vous voulez donc dire, c'est que le succès des émissions canadiennes dépend du maintien des investissements dans nos talents?

M. Brassard: C'est exactement cela.

La présidente: C'est bien ce qui se fait déjà, n'est-ce-pas?

M. Brassard: C'est exact.

La présidente: Il ne faut pas y mettre fin. Ce qu'il faut augmenter, c'est l'investissement privé. Si nous remontons aux années 50, à l'aube de la télévision, en ce qui concerne l'investissement dans les divertissements, les fonds publics étaient certainement supérieurs aux fonds privés.

M. Brassard: Vous avez raison, madame la présidente.

La présidente: Nous n'avons pas d'études sur ce sujet, mais nous pourrions probablement les obtenir du ministère. Nous devrions le faire, afin de voir comment se situent actuellement ces investissements, privés et publics, dans ce que j'appellerais les émissions canadiennes de tous ordres, qu'il s'agisse de variétés, d'actualités ou de nouvelles. Vous nous dites que le maintien de ces investissements est crucial pour le développement des talents, pour leur qualité et pour pouvoir les vendre à l'étranger. Lors de notre voyage à Boston, on nous a dit que si nos émissions sont bonnes, elles se vendront. Même s'il s'agit d'histoires canadiennes, c'est leur qualité qui assurera les ventes. Qu'en pensez-vous?

M. Brassard: Vous avez tout à fait raison, madame la présidente.

En mai dernier, j'étais invité par la télévision de Beijing à un symposium qui a lieu tous les deux ans, et auquel étaient invités tous les jeunes producteurs de Chine. Comme vous le savez, la révolution culturelle y a encouragé l'épanouissement de jeunes et dynamiques talents. Des soi-disant spécialistes du monde entier avaient été également invités à ce séminaire, entre autres le vice-président du Discovery Channel, le président d'un réseau allemand, des gens d'Australie, de l'Inde, etc.

Lors d'une des séances, un jeune producteur chinois s'est emporté, s'élevant contre le fait que les films chinois ne sont jamais projetés ou vendus ailleurs qu'en Chine. Nous avons visionné un film qui ressemblait fort à Un homme qui plante des arbres, et qui avait reçu un oscar. La télévision chinoise en a fait de même, avec l'aide de certains Japonais.

À un certain moment je suis intervenu et j'ai dit: «Il n'y a pas de films chinois, il y a des écrivains chinois.» La même chose s'applique aux Canadiens, aux Américains ou aux autres: quand une intrigue est bonne, elle peut être exportée même avec un budget restreint et des ressources techniques limitées. Elle se vendra et elle aura la cote.

[Français]

Nous sommes obnubilés par l'étendue des États-Unis, par les quantités. Nous n'avons pas besoin d'exporter des tonnes de drames ou de variétés. Si nous en exportons de bonne qualité, ils vont faire le tour du monde, ils vont se vendre. Nous en avons des exemples dans tous les domaines: en musique, en sport, en jeunesse, en variété, en soap.

[Traduction]

Le sénateur Spivak: Mais la commercialisation a également son importance: Céline Dion, qui est certes bonne, n'aurait jamais obtenu ce succès si elle n'avait pas été aussi bien lancée.

M. Brassard: C'est pourquoi j'ai répondu comme je l'ai fait à la présidente. À l'heure actuelle, nous essayons de nous tailler une place sur les marchés internationaux. Il importe de comprendre que nous devons continuer à investir dans la production, quelle soit publique ou privée.

La présidente: Le fonds fédéral, si je ne me trompe, et même certains fonds provinciaux ont toujours visé la production.

M. Brassard: Vous avez raison.

La présidente: Y aurait-il un rôle pour les fonds publics -- je pense au ministère du Commerce international --, qui pourrait y avoir la responsabilité de mettre en vente des produits canadiens comme on commence à le faire?

Le sénateur Spivak: Est-ce que l'Équipe Canada le fait?

La présidente: C'est bien dans cet esprit que fonctionne Équipe Canada: l'objectif est de commercialiser tous les produits, dont certains relevaient de cette catégorie.

Où voyez-vous l'équilibre? En second lieu, comment envisagez-vous le rôle et la responsabilité des gouvernements pour la commercialisation de produits canadiens, de contenus canadiens? En troisième lieu, comment doit se faire la répartition entre le public et le privé?

Le sénateur Spivak: Au Manitoba ainsi que dans d'autres provinces, il y a des organismes -- qui ne sont pas de niveau fédéral -- chargés de commercialiser les films et leur location, n'est-ce pas?

M. Brassard: Ce sont les provinces qui s'en chargent.

Le sénateur Spivak: Et avec beaucoup de succès.

M. Brassard: Pour vendre à l'étranger, nous disposons déjà de certains outils: Téléfilm Canada, par exemple, qui aide un producteur à exporter sur les marchés français et étrangers. Ils le font aux États-Unis, à Hong Kong et dans toutes sortes de foires commerciales spécialisées.

Pour répondre à votre question, le gouvernement fédéral de même que les provinces devraient, si possible, mettre en place une mission mieux organisée, plus orientée vers le commerce, plus vigoureuse. Nous allons vous dire, un peu plus tard, ce que nous essayons de faire sur le marché asiatique.

Nous constatons qu'actuellement, les politiques culturelles et canadiennes sont à l'étude pour les orienter vers la concurrence. C'est là une réflexion constante: plusieurs déclarations ont été faites au cours des derniers mois. Comme nous le disions, l'idée est dans l'air, l'environnement évolue rapidement, si rapidement que nous ressentons tous le besoin de nous remettre à jour, de porter un jugement critique.

La réalité, c'est l'émergence de nouveaux marchés: il y a cinq ans encore, personne ne vendait des disques compacts vidéo ou des produits multimédias. Il n'existait pas, dans notre pays, de sociétés qui vendaient des abonnements à Internet, comme elles le font par milliers aujourd'hui. Rappelez-vous ce que versiez, en 1987, comme frais d'abonnement au câble, et ce que vous payez maintenant.

En 1985, le contribuable aurait-il accepté de payer ce qu'il paye maintenant pour le service de câblodistribution? Il paye maintenant de 25 $ à 30 $ par mois pour ce service. S'il est relié à Internet, il paiera de 25 $ à 30 $ de plus.

La présidente: Et c'était combien en 1987?

M. Brassard: C'était 14 $ en 1987.

L'Agence de nouvelles Canada est un partenariat formé par CFCF, le réseau CTV et Codevtel, mon entreprise, et un réseau de télévision français. Pour ce qui est de l'émergence de nouveaux marchés, je vous signalerai que j'ai dit à tous ces gens il y a environ trois ans: «Nous exportons tout sauf les nouvelles.» Tous les gens à cette table ont déjà voyagé. Vous saurez que, si vous quittez le Canada, vous ne lirez jamais quelque chose à propos de ce qui se passe ici dans les journaux et que nous ne verrons et n'entendrons rien à notre sujet à la télévision ou à la radio non plus. On ne parle pas de nous.

C'était ma première impression. Nous avons donc ciblé les médias électroniques, c'est-à-dire les réseaux de télévision, les stations de radio et les groupes d'édition et de publication comme les journaux.

Nous avons mis sur pied un service qui ne ressemble ni à CNN ni au canal Discovery. Notre service est conçu pour répondre aux besoins de l'abonné. C'est ce que font les agences comme Reuters, la BBC, CNN, APTV et WT. Personne ne le fait au Canada.

Nous avons mis divers services en commun et syndiqué les nouvelles, après quoi nous nous sommes demandé: «Pourquoi ne pas vendre ce service aux réseaux de télévision étrangers? Pourquoi ne pas le vendre aux États-Unis, en Europe de l'Ouest ou au Japon? Ce sont des marchés très mûrs.» Nous n'avions cependant pas les ressources financières pour le faire. Nous sommes donc allés en Chine, en Corée et en Malaysia. Nous nous sommes aussi tournés vers l'Amérique latine et le Moyen-Orient.

Le sénateur Spivak: Que vendez-vous?

M. Brassard: Des abonnements à un service de nouvelles.

Le sénateur Spivak: Est-ce que cela comprend des renseignements financiers? Est-ce la même chose que Bloomberg et Reuters?

M. Brassard: Nous préparons une version internationale de 30 minutes après les nouvelles nationales de CTV. Compte tenu des droits d'auteur, nous choisissons des reportages que nous croyons susceptibles d'être regardés en Corée. Ces reportages peuvent porter sur n'importe quel sujet et sont donnés en anglais et en français. Nous préparons cette émission trois fois par semaine. Nous la transmettons par satellite une heure après que c'est passé sur les ondes au Canada, soit entre minuit et une heure du matin. Ces reportages sont envoyés à douze pays.

Le sénateur Spivak: Est-ce transmis dans la langue du pays?

M. Brassard: S'ils le souhaitent. Nous transmettons les reportages tels qu'ils sont passés au Canada, c'est-à-dire soit en français soit en anglais, mais si CCTV veut que cela passe en mandarin, il pourra nous dire: «Pourriez-vous traduire ce reportage sur le clonage que vous nous avez transmis hier?» Il ne faut pas croire que tout le monde sur la planète parle anglais.

Le sénateur Spivak: CNN offre-t-il des reportages en langues étrangères ou uniquement en anglais?

M. Brassard: Il y a environ un an, CNN a commencé à offrir ses reportages en Corée et au Japon. Contrairement à ce que fait CNN, nous ne voulions pas offrir un service complet. Cela coûte trop cher et cela a trop de nuances nationales. Ce n'est pas que nous n'aimons pas la feuille d'érable, mais nous pensons que notre service sera beaucoup plus utile et plus souple si un abonné peut choisir les reportages qu'il veut.

Le sénateur Spivak: Quand vous parlez d'abonnés, voulez-vous parler d'abonnés particuliers ou plutôt de réseaux de télévision?

M. Brassard: Pour l'instant, nous ne faisons pas affaire avec le grand public. Nous pensons que notre service assurera une présence régulière des reportages canadiens dans les émissions des médias électroniques à l'étranger. On ne parlera plus uniquement de crises comme il peut y en avoir au moment de la chasse aux phoques, de quelque chose comme la situation à Oka ou une crise quelconque sur la côte ouest. On aura plutôt des reportages réguliers sur ce qui se passe au Canada.

Notre service est maintenant disponible sur demande en mandarin, en japonais et en coréen. Cela prend deux heures. Nous avons des interprètes qui transmettent le reportage par téléphone ou par télécopieur.

À certaines époques de l'année, par exemple dans le temps de Noël, en été et les fins de semaine, les nouvelles ne sont pas tellement intéressantes ou revêtent simplement un intérêt local. Supposons que nous ayons une émission ce soir et que nous ayons pris 22 minutes de reportages en français et en anglais dans les deux bulletins de nouvelles nationaux, mais que nous voudrions une émission de 30 minutes. Nous nous sommes entendus avec TVOntario, Télé-Québec, l'ONF et Radio-Canada pour reprendre des passages de reportages spécialisés comme il peut en passer à Découverte, à la Semaine verte, à W5 et à Canada AM. Cela peut faire encore quatre minutes, mais ce n'est pas un reportage complet. Le producteur de télévision dans l'autre pays pourrait alors nous dire: «Pouvez-vous nous envoyer l'enregistrement de ce reportage sur le chevreuil?» À ce moment-là, nous négocions.

Le sénateur Spivak: Quel genre de reportage pourrait les intéresser?

M. Brassard: Les reportages sur la haute technologie, le commerce et aussi beaucoup de reportages sur la nature, comme il en passe à La semaine verte et à La ferme à L'heure. Nous sommes en train de négocier avec CCTV, qui est une très grande compagnie. Ce réseau songe à acheter un gros bloc d'émissions de La semaine verte, qui s'appelle en anglais Country Canada. Environ 95 p. 100 de ceux qui ont une exploitation agricole au Canada regardent cette émission. Elle passe à Radio-Canada depuis 35 ans.

Tous les reportages qui ont une durée de vie très courte ou une durée moyenne pour la télévision, par exemple, notre créneau à nous, ne sont pas exportés. Nous pourrions pourtant exporter ces reportages si nous avions les outils nécessaires. Nous avons commencé à le faire et nous croyons que cela va fonctionner.

Nous pouvons exporter les connaissances que nous possédons dans le domaine de la programmation et de l'ingénierie. Nous avons un grand nombre d'experts à la radio et à la télévision. Je songe aux animateurs, aux rédacteurs, aux artistes, aux ingénieurs et aux journalistes. Nous l'avons déjà fait et nous le faisons encore. Nous pourrions cependant recommercialiser et exporter tous ces reportages.

Nous recommandons la création d'un programme de formation canadien qui offrirait une formation spécialisée intensive aux journalistes, aux ingénieurs et aux techniciens asiatiques. Nous pourrions inviter 150 journalistes étrangers à participer à des séances de formation dans l'industrie, de concert avec soit des collèges, soit des universités, dans les deux langues officielles. Cela nous permettrait de développer un réseau. C'est là que nous devons commencer le marketing. Nous avons les moyens nécessaires pour le faire.

Le sénateur Spivak: Saviez-vous que le ministère de la Défense nationale offre son programme de formation de pilote à tous les pays du monde? C'est un énorme programme de commercialisation parce que le Canada possède beaucoup de connaissances dans ce domaine.

M. Brassard: Pour terminer, nous, à l'Agence de nouvelles Canada, sommes convaincus que nous sommes bien placés pour contribuer à atteindre l'objectif du gouvernement en ce concerne les partenariats. J'ai oublié de dire tantôt que nous avons collaboré de très près avec le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et avec les diverses ambassades depuis deux ans et que cela commence à donner de bons résultats. Nous sommes heureux de pouvoir vous dire que nous avons conclu aujourd'hui un accord pour faire un essai pendant six mois dans 21 postes dans 12 pays.

Dans le cadre de la nouvelle politique du ministère, celui-ci a accepté de conclure une entente de contribution pour voir s'il existe des débouchés à l'étranger. Ce sera donc lui qui mettra les choses en branle.

Un service régulier de nouvelles peut aider à faire beaucoup mieux connaître les valeurs du Canada à l'étranger dans toutes sortes de domaines. Cela nous permettra à l'Agence de nouvelles Canada d'appuyer la politique étrangère du Canada sur les plans diplomatique, économique et culturel.

La présidente: Pouvez-vous nous parler un peu plus de la structure de l'Agence de nouvelles Canada?

M. Brassard: Il s'agit d'une entreprise privée formée en partenariat par CTV, CFCF à Montréal et un autre réseau français avec qui nous sommes maintenant en négociations. Nous sommes essentiellement trois associés et nous faisons exactement ce que j'ai essayé de vous expliquer. Nous syndiquons les nouvelles, nous préparons un ensemble d'émissions et nous le transmettons et le vendons à l'étranger.

La présidente: Est-ce la même chose pour la structure de capitaux?

M. Brassard: Oui, nous sommes aussi trois associés. Nous avons formé notre compagnie il y a environ 15 mois. Nous avons fait des tests de commercialisation pendant deux mois en Asie en mars et en avril. Pendant ces huit semaines, nous sommes entrés en contact avec 16 réseaux. À la fin de cette période, six de ces réseaux nous ont demandé de rester en contact avec eux. En mai, j'ai visité l'Asie de nouveau et c'est à ce moment-là que nous avons signé un contrat avec notre premier abonné, la station de télévision de Beijing. Je suis retourné en Chine à l'automne et nous avons fait un essai de transmission de nouvelles à la station de télévision de Shanghai. Cette station a 125 millions de téléspectateurs.

Le sénateur Spivak: D'habitude, les choses prennent pas mal de temps quand on traite avec les Chinois.

M. Eugène Béasse, vice-président, Finances, Agence de nouvelles Canada: C'est un très long processus.

Le sénateur Spivak: Cela ne vous a pas pris tellement de temps.

M. Brassard: Cela fait deux ans que nous avons commencé. Il nous reste encore environ six mois de négociations avant de conclure une entente officielle.

Le sénateur Spivak: Avez-vous une longueur d'avance sur vos concurrents? Y a-t-il d'autres Canadiens qui voudraient faire ce que vous faites?

M. Brassard: Personne à part Radio-Canada avec le service américain à l'étranger. À ma connaissance, aucune autre agence ne fait ce que nous faisons maintenant.

Partout en Asie, on nous dit: «Restez en contact. Revenez. Envoyez-nous d'autre matériel à évaluer. Votre qualité technique est très élevée.» Nous devons investir plus d'efforts et plus d'argent pour montrer ces compétences, car nous sommes des inconnus.

La réponse habituelle à Hong Kong, à Séoul et à Tokyo, c'est: «Nous recevons déjà trois ou quatre signaux des États-Unis.» Nous leur répondons: «Très bien. Et si vous regardiez celui-ci? Il y a des nouvelles américaines préparées par des journalistes canadiens, mais aussi des nouvelles du Canada.»

Ce qui se passe dans ces marchés-là est semblable à ce qui s'est passé ici pendant les années 70. On met sur pied des services de câble et de nouvelles. La concurrence commence à entrer sur le marché. En étant là, nous fournissons quelque chose qui peut leur donner un avantage sur le concurrent. C'est la même chose à Séoul et en Chine.

Le sénateur Spivak: Apprécient-ils la différence au niveau de votre programmation?

M. Brassard: Ils apprécient surtout le fait que nous restons beaucoup plus neutres. Je vais vous donner un exemple, sénateur. À Beijing, on s'étonne de voir que dans le même reportage provenant de Jérusalem, un journaliste de CTV se rende à la fois du côté palestinien et du côté israélien. Un journaliste de CNN ne peut pas le faire.

Le sénateur Spivak: Pourquoi?

M. Brassard: Parce qu'il se fera fusiller. À Moscou, au Vietnam, ou à d'autres endroits, nous avons l'avantage de la neutralité.

Pour répondre à votre question, madame la présidente, à long terme, ce sera très valable pour le Canada.

La présidente: En vendant des nouvelles canadiennes, arrivez-vous à faire passer le message que le Canada reste neutre dans différentes régions du monde tandis que d'autres pays comme les États-Unis ne sont pas perçus comme étant neutres? Vous dites que cela renforce un des piliers de notre philosophie pour les affaires étrangères, c'est-à-dire la démocratie.

M. Brassard: Exactement.

Le sénateur Spivak: On sait tous que lorsqu'on voyage à l'étranger, on n'a pas le même traitement si on est perçu comme étant Américain que si on dit qu'on est Canadien. Vous avez réuni cela. C'est très intéressant.

M. Brassard: Lorsqu'on voyage en Asie, bien sûr, on regarde tous les nouvelles de CNN International. Par contre, après, y être resté 10 jours, on en a vraiment marre de voir toujours la même chose.

La présidente: Au début de votre exposé, vous avez parlé de la technologie et de la numérisation. Vous disiez qu'au niveau des heures-personnes travaillées pour la production technique, on pouvait aller de 300 heures-personnes pour une émission à environ cinq ou six. Est-ce que j'ai bien compris?

M. Brassard: Non, madame la présidente. Il faut environ 300 heures pour produire une émission du début à la fin, y compris l'aspect technique. Cet aspect représente environ un quart de tout le travail et de tous les coûts. Donc, on réduit cette proportion de cinq ou six fois.

La présidente: Cela veut dire que si l'argent investi par le secteur privé et public demeure stable, la production pourrait augmenter.

M. Brassard: Oui, c'est ce qui s'est passé. Une unité pour faire le montage de la bande sonore et du film coûte 3 500 $. Il y a 10 ans, la même chose aurait coûté un million de dollars. Lorsqu'on parle de l'impact surtout au niveau de la télédiffusion, même avec l'arrivée de la radiocommunication numérique, il faut comprendre que depuis 10 ans, les vieux réseaux privés et publics ont dû réinvestir énormément d'argent.

Le sénateur Spivak: Lorsque je pense à ce que vous avez dit de l'avantage canadien et à ce que vous en avez fait, je me demande comment nous pouvons traduire cela en une contribution à l'unité canadienne? Croyez-vous que le Québec, tout seul, pourrait réussir le même genre d'exploit à l'étranger que vous, en étant du Canada?

M. Brassard: Lorsque j'ai signé le premier accord avec la station de télévision à Beijing, le vice-président m'a dit: «Gardez la politique canadienne pour vous, elle est si ennuyeuse.»

Le sénateur Spivak: Je vois.

M. Brassard: Chaque fois que je reviens au Canada, j'ai l'impression que c'est vraiment un petit problème.

[Français]

La présidente: Monsieur Brassard, nous vous remercions énormément pour votre présentation et votre contribution aux discussions que nous avons eues. Est-ce qu'il serait possible, si l'équipe le juge approprié, de vous envoyer des questions supplémentaires que vous pourriez nous répondre? Parce qu'il y a des questions, qui nous avaient été suggérées par notre équipe de recherche, qui sont excellentes, mais nous avons bifurqué vers d'autres sujets. J'apprécierais aussi connaître votre point de vue sur des questions additionnelles. Malheureusement, nous devons retourner au Sénat. Nous vous remercions énormément de votre collaboration.

Brassard: Je vous remercie, cela a été agréable.

La séance est levée.


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