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COMM

Sous-comité des communications

 

Délibérations du sous-comité des
Communications
du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 8 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 9 avril 1997

Le sous-comité des communications du comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 16 h 30, pour étudier la position internationale concurrentielle du Canada dans le domaine des communications.

Le sénateur Marie-P. Poulin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Je déclare la séance ouverte. Nous poursuivons notre étude spéciale sur les communications.

[Français]

Mme Guylaine Saucier, de la société Radio-Canada, M. Perrin Beatty, bienvenue à notre comité. Nous apprécions énormément la collaboration de la Société Radio-Canada dans le présent domaine, celui du monde des communications et surtout vers l'an 2000.

[Traduction]

Comme vous le savez, ce sous-comité est composé de plusieurs autres de mes collègues qui attendent la tenue d'un vote dans la salle. Le sénateur Spivak, du Manitoba, et moi-même, représentons donc votre auditoire d'aujourd'hui.

Comme vous le savez, le Sénat a demandé au comité sénatorial permanent des transports et des communications de créer un sous-comité chargé d'étudier la position internationale concurrentielle du Canada dans le domaine des communications pour l'an 2000. Nous savons qu'il s'agit d'une question complexe en raison de l'évolution rapide que nous connaissons actuellement dans le monde, mais nous avons décidé de nous y attaquer sous quatre angles différents: l'aspect technologique; l'aspect des ressources humaines, c'est-à-dire les gens dont nous disposons; l'aspect culturel ou les histoires que nous voulons raconter, et également, l'aspect commercial.

Au cours des prochaines semaines, nous allons déposer un rapport provisoire sur les témoignages entendus jusqu'ici. Avec nos collègues, nous examinons cette question depuis la fin juin et avons entendu de nombreux témoignages intéressants de l'industrie. Nous avons rencontré des représentants nombreux et divers de l'industrie. Nous avons pensé que notre rapport provisoire serait plus complet si nous avions la possibilité de parler à notre unique radiodiffuseur public national, lequel joue un très grand rôle dans les histoires canadiennes que nous avons entendues et vues ces 60 dernières années.

Nous souhaitons vous donner la possibilité de contribuer à notre rapport provisoire.

[Français]

Nous apprécions énormément votre présence et nous vous invitons à nous adresser la parole. Le sénateur Spivak et moi devrons aller voter. Les cloches vont sonner à 17 h 15 et nous devrions descendre vers à peu près 17 h 25 au plus tard.

[Traduction]

Mme Guylaine Saucier, présidente du conseil d'administration, Société Radio-Canada: Nous sommes très honorés d'être parmi vous, et nous attendions avec impatience l'occasion de nous adresser au comité. Comme les autres intervenants, nous croyons que le monde des communications subira de grandes secousses au cours des prochaines années. En tant que Canadiens, nous devons avoir une vision claire et les moyens pratiques pour faire face à ces changements majeurs.

[Français]

Radio-Canada a un rôle important à jouer en contribuant au partage d'une conscience et d'une identité nationales. Notre raison d'être est de refléter la réalité canadienne au public. La Loi sur la radiodiffusion nous confère un mandat on ne peut plus clair: refléter la globalité canadienne et rendre compte de la diversité régionale du pays. Nous devons nous adapter aux besoins et aux circonstances propres à chaque communauté de langue officielle, et nous devons reconnaître le caractère multiculturel et multiracial du Canada.

S'ajoute à ces exigences imposées par la loi la nécessité d'informer, d'éclairer et de divertir nos auditoires de tout le Canada. Voilà qui est une tâche considérable, mais tout au long de nos soixante années d'existence, nous nous sommes efforcés de la mener à bien.

[Traduction]

La plupart des Canadiens conviendraient que Radio-Canada a toujours été un pilier de la vie culturelle du pays. Ces deux dernières années, le Conseil et la direction se sont demandé si nous avons encore le pouvoir et le devoir de continuer à assumer ce rôle. Mais avant de formuler une réponse à cette question, il nous a fallu nous pencher à nouveau sur ce qu'est la vie culturelle du Canada. Et pour ce faire, nous avons cherché une définition pratique de la culture même.

La culture est une démarche qui consiste à donner leur forme aux connaissances et aux valeurs d'une société, à les définir, au fil du temps. Ces valeurs et ces connaissances finissent par influencer la population et sont influencées par elle. Le cycle dont je vous parle se poursuit sans interruption à mesure que nous intégrons la culture à notre vie personnelle et au discours public, et la transmettons de génération en génération. La démarche créative que je viens de décrire n'est ni spontanée ni gratuite. Notre culture fait partie de notre capital social, lequel consiste essentiellement en une foi dans les valeurs partagées et une volonté de collaborer à une cause commune. Le rendement du capital social correspond aux avantages économiques et sociaux qu'engendre une vision partagée de la communauté.

C'est dans un monde où la technologie a tendance à déboucher sur la mondialisation de la culture qu'une vision partagée de la communauté prend toute son importance. Si nous nous entendons donc pour dire que la culture nationale ne tombe pas du ciel, mais qu'il faut la façonner pour ensuite la transmettre de génération en génération, il devient incontestable que le Canada doit adopter une politique culturelle claire et se donner les outils pour la mettre en place.

Comme vous le savez, Radio-Canada, fondée aux termes d'une loi du Parlement en 1936, a pour mandat de cultiver, de promouvoir et de répandre les valeurs qui définissent l'identité canadienne. Si nous veillons à ce que les Canadiens sans exception comprennent bien nos valeurs communes, nous en assurerons la survie.

La nécessité d'une solide politique culturelle est plus impérieuse aujourd'hui qu'elle ne l'était en 1936. A cette époque, le libre-échange tenait de la théorie économique. Il n'était pas question de l'univers télévisuel à 500 canaux, de l'inforoute, ni même de l'édition canadienne de Sports Illustrated. On serait tenté d'affirmer qu'il fallait alors mettre moins d'effort à être résolument canadien. Mais il en est autrement aujourd'hui, et il nous faut une politique culturelle claire qui présidera à notre action.

[Français]

Je crois que toute politique culturelle canadienne doit nous procurer au moins les trois avantages suivants.

D'abord, elle doit être garante de la continuité et assurer la transmission de la culture d'une génération à l'autre. Ce rôle n'est pas la mission de l'entreprise privée et de sa technologie, mais celui des artistes dont la voix raconte nos histoires. Pour cette raison, il nous faut promouvoir de nouvelles voix, celles d'écrivains et de producteurs, de comédiens, de chanteurs et de musiciens. La promotion de la culture locale a un prix, mais elle est indispensable à notre survie culturelle et c'est exactement la mission de Radio-Canada.

Deuxièmement, une politique culturelle cohérente doit garantir que les citoyens et citoyennes continuent à jouir d'un accès sans cesse croissant au processus démocratique et à l'exercice de leurs droits de citoyens. Un commentateur déclarait récemment que Radio-Canada doit soutenir le dialogue canadien en y faisant participer ceux dont la voix ne serait pas entendue par ailleurs. Rien n'est plus vrai. Les émissions d'information et d'actualités de la SRC offrent déjà au grand public canadien une tribune qui n'a pas sa pareille, où chacun peut faire valoir son point de vue. Au moyen d'assemblées publiques, de tables rondes et de documentaires d'enquête, nous contribuons fortement au partage d'une conscience et d'une identité nationales.

Troisièmement, une politique culturelle canadienne doit concourir à unifier le Canada et refléter nos différences régionales, tout en célébrant les valeurs et les expériences souvent différentes que nous partageons.

[Traduction]

Radio-Canada n'est pas l'instance habilitée à concevoir une politique culturelle nationale. Toutefois, à titre d'institution culturelle centrale, elle doit se donner pour idéal le développement de la culture canadienne.

Depuis ma nomination à la présidence du conseil, nous nous sommes employés ardemment à réinterpréter notre mandat à la lumière des conditions actuelles. Au terme de longues délibérations, nous nous sommes fixé cinq objectifs clés qui guideront notre action. Je voudrais maintenant les partager avec vous, car nous y voyons des apports à la culture canadienne qui doivent demeurer entiers.

Premièrement, nous devons assurer la survivance d'une culture robuste dans chacune des deux langues officielles et faire en sorte que chaque culture soit sensible à la présence de l'autre.

Deuxièmement, nous devons être le reflet des régions du Canada.

Troisièmement, nous devons augmenter notre capacité de joindre le plus de gens possible, au Canada et ensuite à l'étranger.

Quatrièmement, nous devons offrir de l'information impartiale et variée, que tous les Canadiens jugeront pertinente.

En dernier lieu, nous devons nous tourner vers l'avenir et établir une présence canadienne sur l'inforoute.

[Français]

À Radio-Canada, nous avons l'habitude d'affirmer que le contenu canadien détermine nos succès et nos échecs. Nous savons pertinemment que, dans la plupart des cas, si nous ne racontons pas d'histoires canadiennes au public canadien, personne d'autre ne le fera, car nul autre que nous n'y est tenu par son mandat. Si certains radiodiffuseurs privés proposent des émissions à contenu canadien, il le font accessoirement à leur rôle central, à savoir réaliser des bénéfices pour leurs actionnaires. Il ne peuvent offrir le contenu canadien que nous offrons et le transmettre à toutes les régions du pays de façon profitable. Le support de fonds publics est nécessaire pour remplir complètement ce rôle.

Pour cette raison, le plus grand enjeu que nous sommes appelés à défendre et qui présente autant d'importance pour vous, consiste à veiller à ce que, peu importe les circonstances, les Canadiens puissent continuer à se voir et à s'entendre par l'intermédiaire de nos médias.

Cela dit, peu importe que se multiplient les canaux spécialisés, les systèmes américains de radiodiffusion directe du satellite au foyer, les cédéroms et les pages d'accueil du Web, les histoires canadiennes se doivent d'avoir droit de cité. L'apport de la société Radio-Canada à l'évolution de notre pays est colossal, et il se poursuivra pendant des générations à venir. Cependant, le peuple canadien vit des changements profonds. Toutes nos institutions sont ébranlées, et même nos modes de communication: la radio, la télévision, le téléphone, Internet font l'objet d'une évolution technologique phénoménale.

Dans cet univers en pleine mutation, quelle place occupe réellement Radio-Canada? Permettez-moi de vous lire un bref énoncé de mission, rédigé il est vrai il y a peu de temps, mais il exprime quand même la vision qui nous guide depuis 60 ans.

La Société Radio-Canada est un bien public qui appartient à tous les Canadiens. Nos services en français et en anglais informent, éclairent et divertissent. Nous contribuons au partage d'une conscience nationale en mettant en valeur la diversité régionale et culturelle du Canada, en établissant des ponts entre les deux collectivités de langue officielle et en aidant nos concitoyens à participer pleinement à la vie du pays. Nous créons, acquérons et présentons une programmation canadienne distinctive de grande qualité et offrons les meilleures émissions étrangères.

[Traduction]

L'énoncé que je viens de vous lire constitue de solides assises sur lesquelles bâtir notre avenir. Mais à quels principes souscrirons-nous pour la mise en chantier?

Je ne voudrais pas vous submerger de listes, mais je crois que si vous m'autorisez à vous présenter une dernière série d'éléments, vous comprendrez clairement de quelle façon nous entendons continuer à être une force vitale dans la vie culturelle du Canada.

Voici donc nos nouveaux principes d'exploitation. Le premier stipule que Radio-Canada ne peut survivre et prospérer que si elle parvient à se différencier des autres radiodiffuseurs. Notre programmation doit donc être unique et présenter un potentiel commercial, tout en servant de complément aux radiodiffuseurs privés.

Le deuxième principe commande que nous rendions des comptes, en tout temps et dans une pleine mesure, à la population du Canada, c'est-à-dire à nos actionnaires. Nous devons rendre compte du maintien des niveaux de service, de la qualité et du caractère novateur de nos émissions et de la mise en valeur du talent et de la culture qu'offre le Canada. Nous devons également rendre compte au contribuable canadien de l'exploitation efficiente et productive de la Société.

En troisième lieu, nous admettons que, même si nous ne jouissons pas d'un auditoire captif, nous possédons une image de marque bien en vue et respectée, celle de Radio-Canada. Cette image de marque représente la créativité, la perspicacité et l'audace. Elle est un symbole de qualité, d'intelligence et d'objectivité, et nous devons être à la hauteur de sa réputation.

[Français]

Quatrièmement, nous devons entretenir une communication franche et sans réserve avec nos propres employés, non seulement dans les salles de conférences et dans les bureaux de la direction, mais aussi dans les studios. Nos producteurs, réalisateurs, recherchistes, caméramans, journalistes de tout le Canada sont les artisans de la programmation qui nous permettent d'accomplir notre mandat, et ils ont le droit de connaître la place que nous leur réservons pour façonner le futur de Radio-Canada.

En dernier lieu, nous devons être disposés à nous adapter à tout moment au changement dès qu'il se manifeste. La plupart des organisations canadiennes ont dû modifier en profondeur leur structure et leur approche pour survivre, même à la décennie écoulée. Il n'y a aucune raison de croire que la prochaine décennie sera moins cahotique. À Radio-Canada, nous ferons le nécessaire pour nous adapter au changement tout en veillant à protéger les forces qui nous distinguent. En conclusion, depuis la Confédération, les gouvernements canadiens qui se sont succédé ont compris la nécessité d'avoir en place des institutions qui protègent les valeurs et la culture canadiennes contre l'influence américaine, et maintenant contre celle de la mondialisation de la culture.

[Traduction]

Les politiciens doivent constamment faire des choix difficiles; aujourd'hui, ils doivent s'efforcer de soutenir notre identité et notre échelle de valeurs nationales. L'identité canadienne nous tient à coeur et sommes prêts à faire des sacrifices pour la préserver.

[Français]

S'il y a une chose dont je suis certaine, c'est que tant que Radio-Canada fera un bon travail, elle demeurera un pilier de cette culture canadienne. En somme, si Radio-Canada n'existait pas, il vous faudrait la créer.

[Traduction]

M. Perrin Beatty, président-directeur général, Société Radio-Canada: C'est un honneur pour moi que d'être ici. Depuis que j'ai quitté le Parlement en 1993, c'est la première fois que j'ai l'occasion de comparaître devant un comité parlementaire.

Je n'aurais pas pu choisir meilleure présidente pour ce comité que vous, madame la présidente. Vous et moi faisons partie d'un programme de permutation des cadres SRC-Parlement.

La présidente: C'est ce que l'on appelle changer de place.

M. Beatty: Oui, et j'en suis ravi. Merci de nous recevoir.

[Français]

Mme la présidente, j'ai suivi vos séances de travail avec un vif intérêt et j'ai été frappé par le nombre des questions capitales soulevées. L'éventail même des dossiers que votre comité a dû aborder illustre bien la complexité de notre situation. Je vous suis très reconnaissant du temps que vous avez consacré à vos enquêtes, et j'espère que mes commentaires vous sembleront utiles et à propos. Je m'en tiendrai donc à l'aspect culturel dont il est fait mention dans votre invitation, et je vous parlerai de la réglementation, du financement et du rôle des industries culturelles.

J'assume la présidence de Radio-Canada depuis à peine un peu plus de deux ans, mais au cours de cette période, la SRC a eu à réaliser des changements majeurs. Les lourdes compressions qu'elle a subies et leurs répercussions sur l'emploi et sur la programmation ont fait terriblement mal. Mais même sans ces restrictions budgétaires considérables, il nous aurait fallu faire face à l'évolution prodigieuse de la technologie et de la concurrence. Les changements que nous avons apportés et que nous continuons d'apporter visent à adapter la SRC aux réalités nouvelles qui, si elles offrent de grandes possibilités, représentent aussi une menace pour la culture canadienne.

[Traduction]

Les contraintes qu'exercent les nouvelles technologies sur les politiques existantes en matière de culture et de réglementation constituent probablement la réalité la plus complexe que votre comité doive affronter. Dans un monde où l'on fait des affaires par satellite et par ligne téléphonique, les frontières provinciales et nationales s'estompent rapidement. Puisque la protection qu'offrent les frontières géographiques diminue de jour en jour, la protection que fournit la réglementation devient elle aussi moins efficace.

A mon avis, trois facteurs distincts sont à l'origine de ce changement. Le premier est la mise en oeuvre de l'ALÉNA et d'autres traités qui éliminent les barrières commerciales protectionnistes. Le deuxième est la position de plus en plus inflexible qu'adopte Washington en ce qui a trait à l'interprétation de la notion de «culture». Et le troisième, peut-être le plus primordial des trois, est le climat international plus ouvert qui donne beaucoup d'importance à la libre concurrence dans l'économie dite mondiale.

L'ALÉNA et d'autres accords commerciaux internationaux ont contribué à accélérer le déclin des mesures protectionnistes et à modifier graduellement la perception de la notion de culture nationale. Si les dépenses directes de l'État au titre des activités purement culturelles ne sont peut-être pas en cause, ce type de traités peut remettre en question un éventail d'autres mesures, dont les subventions indirectes, par exemple, les sommes affectées par Téléfilm à la programmation, et les mesures protectionnistes comme la politique, adoptée par le CRTC, interdisant les canaux spécialisés qui font concurrence à des services spécialisés canadiens.

Dans ce contexte, il est important de bien saisir la distinction entre «culture» et «industrie culturelle.» Par comparaison avec le Canada, les États-Unis donnent à la notion de «culture» un sens beaucoup plus étroit. La position énergique adoptée par Washington sur ces questions pourrait bien indiquer que les Américains s'attribuent un droit inaliénable de faire des affaires au Canada.

L'opposition au protectionnisme observée dans les industries culturelles continue de prendre de l'ampleur. Au cours des derniers mois, on a élaboré des accords mondiaux réduisant les obstacles au commerce dans les industries des télécommunications et de la technologie de l'information. Ce mouvement en faveur de l'ouverture des frontières, s'il met en péril certaines politiques culturelles établies, n'est pas simplement le produit d'une économie axée sur le commerce -- et, avouons-le, il ne présente pas que des inconvénients pour les entreprises canadiennes.

Cependant, même si nous devons souligner nos propres succès -- et j'en mentionnerai quelques-uns dans un moment -- nous devons aussi reconnaître que, paradoxalement, c'est précisément le succès du Canada dans l'industrie mondiale du spectacle qui pose certains problèmes graves.

Nous devons bien saisir la différence qu'il y a entre produire des émissions de télévision pour des raisons commerciales, afin de réaliser des profits pour les actionnaires, et produire des émissions pour des raisons culturelles, afin de promouvoir l'identité canadienne. Cette différence trouve son expression, d'une part, dans la politique industrielle et, d'autre part, dans la politique culturelle, qui reflète elle-même la différence entre une émission authentiquement canadienne, produite pour les Canadiens et Canadiennes, et une émission produite au Canada mais destinée principalement à des marchés étrangers.

Il n'y a rien de répréhensible à faire de l'argent, à créer des emplois et à rehausser le prestige du Canada sur les marchés mondiaux du cinéma et de la télévision, loin de là. Toutefois, n'oublions pas que la question dépasse le cadre de la commercialisation des produits canadiens par le Canada.

En raison de l'ouverture des frontières, nos industries culturelles subiront une concurrence plus vive, et non pas moindre, de la part des services étrangers. Il existe un risque très réel que les radiodiffuseurs canadiens se trouvent finalement incapables d'importer les lucratives émissions de télévision américaines pour les présenter au Canada. Comme il fallait s'y attendre, nos radiodiffuseurs privés parlent de plus en plus de l'importance de produire des émissions canadiennes pour des raisons commerciales, et non pas uniquement parce qu'ils y sont tenus en vertu de la réglementation.

Les mesures de protection dont bénéficient les radiodiffuseurs privés, comme la substitution de signaux identiques, contribuent à générer des revenus pour l'interfinancement des efforts qu'ils consacrent à la programmation canadienne. Toutefois, plus ces mesures de protection sont remises en question dans l'environnement commercial axé sur l'ouverture des frontières, plus il devient important pour le Canada d'avoir un radiodiffuseur public sans but lucratif -- comme Radio-Canada -- ayant pour mission de produire des émissions typiquement canadiennes et pertinentes sur le plan culturel.

[Français]

Il importe d'avoir un radiodiffuseur public bien portant qui soit un instrument au service de la politique publique, non seulement parce que le cadre protectionniste qui soutient le secteur privé est menacé, mais aussi parce que, quelle que soit l'issue des débats sur les échanges commerciaux, les radiodiffuseurs privés sont beaucoup moins enclins à miser sur des genres peu rentables que ne l'est Radio-Canada. Autrement dit, Radio-Canada n'est pas «qu'un radiodiffuseur canadien parmi d'autres».

À titre de radiodiffuseur public national tributaire du financement public, il va de soi que la façon dont les fonds qui nous sont alloués sont utilisés pour bâtir l'infrastructure nécessaire à la culture et à la communication nous intéressent au plus haut point.

[Traduction]

Quelle serait la façon la plus judicieuse d'utiliser les précieux fonds publics? Au moment où nous apprenons à mettre à profit les leçons de l'ouverture des frontières et de la mondialisation de l'économie, deux tâches cruciales nous attendent.

Tout d'abord, nous devons améliorer le linéaire des produits culturels canadiens. Cet objectif revêt une importance particulière dans le secteur de la radiodiffusion où la prolifération des canaux offerts au consommateur grâce à la technologie numérique ne fait que commencer. Puisque nous ne pouvons plus tenir la concurrence à l'écart, il faut faire en sorte que les Canadiens soient présents dans le plus grand nombre d'endroits possibles -- dans les services de radiodiffusion classique, les services spécialisés et les services audionumériques payants ainsi que dans le cyberespace.

Nous devons donc faire tout ce qui est possible pour améliorer la programmation foncièrement canadienne. Il faudra pour ce faire de l'argent, des fonds publics, car c'est le type de programmation qui est le moins susceptible d'attirer les acheteurs des réseaux américains. Quoi qu'il en soit, les efforts que nous consacrons aux émissions culturelles doivent se révéler assez efficaces pour nous permettre de rivaliser d'intérêt pour l'auditoire canadien.

Dans notre pays, c'est traditionnellement au moyen de fonds publics, du moins en partie, que l'on construit l'infrastructure. Ainsi, le chemin de fer qui traverse le Canada a été construit dans une large mesure grâce à la concession de terrains publics au Canadien Pacifique. Nous avons construit une infrastructure de radio à l'échelle nationale, en créant Radio-Canada et, plus tard, nous avons fait la même chose pour la télévision.

Puis, à l'aube de l'ère des satellites, dans les années 70, le gouvernement canadien a trouvé un autre moyen innovateur d'utiliser les fonds publics pour renforcer la capacité du Canada sur le plan culturel. À l'époque, Radio-Canada disposait d'un excellent système terrestre, mais qui présentait une lacune: ce système n'était pas en mesure de desservir quelque 70 000 Canadiens vivant dans le Grand Nord. Le gouvernement d'alors a vu que la technologie des satellites permettrait de rétablir l'équilibre. Le coût représentait l'obstacle à surmonter: un répéteur de Télésat aurait coûté à Radio-Canada un peu moins d'un million de dollar -- une somme considérable à l'époque. Le gouvernement a demandé à Radio-Canada de faire l'achat de trois répéteurs et il en a facilité le financement. Non seulement cette mesure nous a-t-elle permis de desservir le Nord, mais cet investissement a-t-il été l'élément clé de la survie de Télésat. C'est de cette façon que les gouvernements finançaient l'infrastructure en ce temps-là et l'investissement de Radio-Canada, financé au moyen de fonds publics, a contribué à lancer une industrie qui a assuré la présence du Canada dans le secteur des satellites jusqu'à maintenant.

La situation financière de Radio-Canada ne lui permet plus d'assumer les coûts liés à l'infrastructure des communications du Canada. Une autre possibilité se dessine maintenant à l'horizon et le profil qu'aura la culture canadienne à l'avenir dépend de notre capacité d'aborder cette possibilité de façon perspicace dès aujourd'hui. C'est dans les satellites de radiodiffusion directe au foyer (SRD) que réside cette possibilité. En tant que pays, nous n'avons pas les moyens de rester à l'écart du marché de ce mode de radiodiffusion -- ni de la technologie ou des services qu'il permet d'offrir.

Les services SRD figurent parmi les produits électroniques de consommation les plus demandés de tous les temps: près de cinq millions de foyers américains y sont abonnés. De plus, même si la loi canadienne n'autorise pas encore ces services, environ 200 000 à 300 000 foyers de notre pays y sont abonnés sur le «marché gris». C'est pour des raisons technologiques que le marché gris existe: les signaux de radiodiffusion directe du satellite au foyer peuvent être captés au moyen d'antennes paraboliques des deux côtés de la frontière. Ce marché existe parce que la politique publique canadienne n'a pas suivi l'évolution technologique. Il existe parce que, l'été dernier, les organismes de réglementation américains n'ont pas donné à Télésat le feu vert qui aurait permis à un satellite canadien de diffuser des services américains à l'intention des Américains eux-mêmes. Il existe parce que nous ne possédons pas encore le matériel approprié.

Notre gouvernement fédéral a pris des mesures pour que la radiodiffusion directe du satellite au foyer devienne un média canadien. Télésat a déposé sa proposition. Dans l'intervalle, AlphaStar a obtenu une licence d'exploitation et elle utilisera un satellite américain jusqu'à ce qu'un satellite canadien soit disponible. Il nous reste à faire la preuve que le Canada peut s'approprier la technologie SRD.

Les nouveaux médias recèlent aussi un potentiel pour Radio-Canada. Le World Wide Web demeure un phénomène assez récent. Il est limité, en partie parce que moins de 10 p. 100 des foyers canadiens y sont branchés et en partie également parce que les éléments de haute technologie tels que les enregistrements audio et vidéo en continu demeurent l'exception plutôt que la règle sur la plupart des sites web. Toutefois, on s'entend généralement sur le fait que le web continuera d'afficher une croissance spectaculaire, à la fois quant à son adoption par les consommateurs et à la création de sources de revenus de la publicité et des transactions. Selon des estimations modérées, 30 p. 100 des foyers canadiens seront branchés en l'an 2000.

Ces éléments nouveaux, en particulier la croissance des nouveaux médias tels que le web, soulèvent des questions intéressantes relativement à nos institutions culturelles. Puisque les nouvelles technologies des communications modifient généralement le statu quo, la première question à se poser, et la plus fondamentale, est la suivante: ces technologies sont-elles une bonne ou une mauvaise chose pour les institutions culturelles canadiennes?

Tout comme d'autres changements radicaux qui les ont précédées, les nouvelles technologies des communications représentent pour la population canadienne à la fois un inconvénient et un avantage. Comme le libre-échange, elles effacent les frontières et les protections réglementaires connexes, mettant ainsi en péril les objectifs culturels. Pourtant, à l'intérieur de nos propres frontières, elles ouvrent des voies nouvelles et innovatrices permettant d'entrer dans les foyers canadiens et offrant davantage de possibilités pour joindre les auditoires.

L'émergence de nouveaux médias en direct, comme le web, suscite des préoccupations particulières. L'une de ces préoccupations les plus urgentes porte sur le fait que les réseaux informatiques ne sont pas réglementés et, mis à part les mesures visant à régler certains phénomènes comme la pornographie, ils ne le seront probablement jamais. Or, on peut soutenir que les petits pays comme le Canada ne sont guère susceptibles de disposer des mesures de protection ou des ressources financières nécessaires pour lutter à armes égales contre les grands studios d'Hollywood et d'autres fournisseurs de contenu étranger.

D'aucuns craignent que les médias en direct non réglementés donnent inévitablement la main haute aux grands fournisseurs de contenu étrangers. Voyons ce qu'il en est. Il est indéniable que l'industrie canadienne ne disposera pas de ressources suffisantes pour égaler la présence sur le web des géants internationaux de l'industrie du divertissement, comme Disney. Néanmoins, les médias en direct présentent pour les petits radiodiffuseurs des avantages équivalents. Le fait que l'on puisse accéder à ces médias même en ayant des ressources limitées et qu'il y ait bien assez de place pour tout le monde, constitue les plus importants de ces avantages. Le web n'offre pas encore d'avantages tels que l'ubiquité ou les standards de qualité des émissions de télévision ordinaires. Cependant, le coût d'aménagement d'un site web -- même un site imposant comme celui de Radio-Canada -- représente une fraction du coût qu'exige le lancement d'un produit ou d'un service dans les médias imprimés ou électroniques classiques. Le web comporte des limites sur le plan de la qualité, mais il est exempt des problèmes liés à la rareté des fréquences du spectre et aux prescriptions de licence qui caractérisent les autres médias électroniques. En outre, le web constitue le plus important dépôt d'information qui n'ait jamais existé et il s'étend partout dans le monde, sans point de contrôle et sans filtre central. N'importe qui utilisant un ordinateur muni d'un modem a accès à pratiquement toute cette information.

Ces caractéristiques revêtent une importance particulière pour la population canadienne, car elles créent des débouchés pour les fournisseurs de contenu spécialisés. Si nous ne pouvons espérer rivaliser avec les Américains dans les types de divertissements qu'ils maîtrisent pleinement, le Canada a montré qu'il peut soutenir la concurrence dans d'autres créneaux comme le documentaire, l'animation, la comédie et les effets spéciaux. N'oublions pas que la contribution canadienne aux industries du logiciel et des effets spéciaux n'est pas proportionnelle au nombre d'habitants de notre pays. Il s'agit là de secteurs de croissance potentiels pour les institutions culturelles canadiennes qui se lancent dans les nouveaux médias.

Toutefois, les avantages plus concrets d'ordre humain que procurent les médias en direct et donc les médias interactifs se révèlent particulièrement importants sur le plan culturel. Ces médias, qui transcendent largement les barrières du temps et de l'espace, offrent aux gens la possibilité de réagir.

Malgré certaines perceptions erronées laissant entrevoir le contraire, le web est un mécanisme formidable pour contrer l'isolement et développer les collectivités. Cette réalité revêt une importance particulière pour les Canadiens, car ils vivent dans un pays immense.

Nous constatons avec intérêt que le comité consultatif sur l'autoroute de l'information créé par le gouvernement réclame l'établissement d'un fonds de 50 millions de dollars par an pour le multimédia, dont le tiers serait réservé aux produits de langue française. Ce fonds servirait à financer le développement, la production, la distribution et le marketing de produits multimédias représentatifs du Canada. Le comité recommande aussi le prolongement pour une période indéfinie des crédits de 150 millions de dollars par an affectés par le gouvernement fédéral au Fonds de télévision et de câblodistribution pour la production d'émissions canadiennes. Ces recommandations cadrent parfaitement avec notre désir d'accroître notre présence dans les médias, réglementés ou non, et d'exploiter les possibilités en matière de contenu français, en particulier dans les nouveaux médias.

Mais revenons à une question fondamentale: est-ce bien dans ce créneau que Radio-Canada doit exercer ses activités? C'est ce que nous croyons et voici pourquoi. Premièrement, nous avons toujours été à l'avant-garde des progrès réalisés au Canada sur les plans technique et créatif dans le domaine de la radiodiffusion.

Deuxièmement, les nouveaux médias ne remplacent pas les médias classiques. Partout en Amérique du Nord, les radiodiffuseurs diversifient leurs activités en se lançant dans les nouveaux médias, car cette approche leur permet de fidéliser leur auditoire et de lui offrir un plus large éventail de services.

Troisièmement, Radio-Canada doit suivre ses auditoires et s'adapter aux besoins changeants des auditeurs, des téléspectateurs et des utilisateurs d'ordinateurs. Nous contreviendrions à notre mandat et desservirions notre auditoire si nous n'assurions pas une présence dans les nouveaux médias, tout en continuant d'affecter aux médias de radiodiffusion la plus grande part de nos ressources. Permettez-moi de citer un seul exemple: les ressources de langue française sont actuellement sous représentées sur l'Internet, mais Radio-Canada envisage de tirer parti du potentiel phénoménal qu'offre le web en matière de développement des collectivités pour commencer à accroître le contenu de langue française et ainsi rétablir l'équilibre.

Quelle que soit la technologie de radiodiffusion, notre objectif consiste à offrir un service canadien si attrayant que même ceux qui ont déjà investi dans le marché gris souhaiteront se doter d'une antenne parabolique donnant accès aux services canadiens.

Toutefois, qu'il s'agisse de reconquérir les téléspectateurs canadiens ou de les encourager à s'abonner à de nouveaux services canadiens, la mesure d'incitation à utiliser demeure la même. Ce n'est pas la portabilité de l'ordinateur, ni la puissance du satellite ou de la puce, ni le prix de l'antenne parabolique, ni même la taille de l'écran ou la clarté de l'image. Non, c'est la qualité du contenu. Nous devons fournir à la population canadienne des services et une programmation de qualité dont elle ne pourrait bénéficier autrement. C'est aussi simple que cela.

Les nouvelles technologies nous permettent de produire à assez bon compte des émissions canadiennes bas de gamme, mais qui les regardera? Nos auditoires sont de plus en plus raffinés et exigeants. Ce qui a fonctionné il y a seulement dix ans ne fonctionnera pas dans dix minutes. De plus, la composition doit être appropriée. Nous devons être Canadiens dans toutes les facettes: l'information, la comédie, les variétés, les nouvelles et les sports.

À Radio-Canada, nous avons fait la preuve que les histoires et les perspectives canadiennes authentiques sont appréciées partout dans le monde. Pour réaliser des ventes à l'étranger, nous comptons sur trois bureaux -- situés à Toronto, à Londres et à Los Angeles -- qui font la promotion des émissions de Radio-Canada ailleurs dans le monde. Les émissions dramatiques canadiennes sont de plus en plus prisées à l'étranger. Les films, les mini-séries et les séries de longue haleine se vendent très bien, et c'est avec fierté que nous exposons au grand jour nos meilleures productions dans ces créneaux. Les émissions de la très populaire série Nature of Things continuent aussi de se vendre comme des petits pains. Bon nombre de nos acheteurs connaissent bien la série et ils en sont arrivés à compter sur ces émissions qui représentent pour eux une source de documentaires de qualité.

Cependant, nous savons que certaines de nos émissions ne trouveront jamais d'acheteurs sur les marchés étrangers. Notre première responsabilité consiste à raconter à la population canadienne des histoires concernant le Canada et nous ne maquillerons pas Toronto pour qu'elle ressemble à Chicago, ni Vancouver pour imiter le Bronx simplement dans l'espoir de stimuler la vente de nos émissions sur le marché américain. Je comprends bien les considérations financières qui poussent de nombreux producteurs privés à agir de cette façon, mais c'est dans un but très différent que le Parlement a créé Radio-Canada.

En m'invitant à prendre la parole, vous m'avez demandé quel rôle devrait idéalement jouer nos institutions culturelles. D'autres personnes ont traité de cette question devant ce comité avant moi et j'aimerais ajouter mes quelques commentaires aux leurs.

Permettez-moi de formuler en premier lieu un commentaire d'ordre personnel. En tant que père de famille, je me préoccupe au plus haut point des émissions que regardent mes enfants et de la provenance de ces émissions. Je me demande comment faire en sorte qu'ils s'épanouissent sainement dans le contexte d'un système moins réglementé. Toutefois, lorsque la réglementation perd son efficacité, la meilleure solution consiste à rendre la programmation plus attrayante que celle de la concurrence. Je tiens à ce que nos valeurs soient véhiculées, à la fois accessibles et attrayantes, aussi irrésistibles et captivantes que tout ce qui vient de nos voisins du Sud. Ce n'est ni de la xénophobie ni de l'anti-américanisme. Il s'agit simplement de fierté nationale. Mais comment faut-il procéder?

Premièrement, nous devons déterminer clairement ce que nous attendons de nos institutions culturelles. Elles ont pour objet de promouvoir les produits et les services culturels typiquement canadiens destinés à des auditoires canadiens. Leur rôle premier n'est pas de créer des emplois, d'améliorer notre balance des paiements ni de permettre aux entreprises d'accroître leurs profits, même si leur mandat essentiellement axé sur la culture peut avoir ce type de retombées.

Deuxièmement, dans le nouvel environnement médiatique, le Canada doit créer une présence culturelle et offrir le plus grand nombre possible d'options authentiquement canadiennes. Autrement dit, nous devons nous approprier le linéaire, avec nos produits, dans les médias réglementés ou non, sans quoi nous risquons d'être supplantés par les entreprises médiatiques étrangères. Nous avons nos propres valeurs sociales et culturelles, notre propre histoire, nos propres institutions politiques et juridiques, et nous croyons que Radio-Canada et les autres organismes fédéraux oeuvrant dans le domaine culturel, ont la responsabilité de refléter ces valeurs et ces institutions dans le cadre de notre système de radiodiffusion et par d'autres moyens.

Troisièmement, nous devons tirer pleinement parti des outils et des ressources à notre disposition. Le Canada n'a jamais eu autant besoin d'une infrastructure culturelle nationale.

Pour construire et maintenir cette infrastructure, nous devrons bien gérer à la fois le contenu et les ressources technologiques et reconnaître leur interdépendance. Nous ne pouvons produire les émissions et par la suite ne pas chercher la meilleure façon de les diffuser dans les foyers canadiens, pas plus que nous devrions concentrer notre attention uniquement sur la distribution au détriment d'un contenu original reflétant les valeurs qui nous sont propres.

Enfin, Radio-Canada doit consolider et accroître son rôle à titre de principal instrument de la politique culturelle canadienne. Dans l'univers multicanal, aucun radiodiffuseur, y compris Radio-Canada, ne peut espérer conserver une position dominante. De même les radiodiffuseurs canadiens et autres fournisseurs de contenu canadien, ne peuvent espérer endiguer la vague des services étrangers, ni la ruée vers les nouveaux médias non réglementés tels qu'Internet. Toutefois, la Société Radio-Canada peut intervenir de façon utile et très appropriée dans ce nouvel environnement. Elle peut offrir à la population canadienne une solution culturelle distinctive tant dans les médias classiques que dans les nouveaux médias. Elle ne peut y parvenir seule. Pour réussir, elle doit collaborer avec différents partenaires. Néanmoins, personne ne pourrait mieux que le radiodiffuseur public national du Canada amorcer une réponse responsable et dynamique au dilemme d'ordre culturel que soulèvent le commerce et la technologie.

Continuons de bâtir les institutions, les infrastructures et les attitudes, qui, grâce à des alliances nouvelles et innovatrices, nous aideront à assurer une plus forte présence canadienne tant au pays qu'à l'échelle mondiale.

Merci, madame la présidente.

[Français]

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Beatty et madame Saucier. Cela a été très intéressant.

[Traduction]

Il nous apparaît clairement à tous que pour de nombreuses raisons, la Société Radio-Canada a le vent en poupe, non seulement parce que vous déplacez votre siège social. Vous avez connu de nombreuses années de rationalisations financières difficiles. Le conseil a fait des choix importants ces 15 dernières années. Les communications à l'échelle internationale sont mûres pour accueillir un radiodiffuseur national de qualité; par ailleurs, le gouvernement actuel a donné son appui au radiodiffuseur national pour les quelques prochaines années, lui permettant ainsi de planifier dans la stabilité.

Quelles sont les trois choses essentielles que le radiodiffuseur national se propose de faire pour rehausser le sentiment d'identité canadienne au cours des trois prochaines années? Nous comprenons bien les valeurs dont vous nous avez fait part, ainsi que l'importance de l'organisation; toutefois, concrètement, sur le terrain, quelles sont les trois choses essentielles qui permettront d'assurer ces valeurs et d'atteindre les objectifs que vous avez tous les deux si bien exprimés?

[Français]

Mme Saucier: J'aimerais peut-être faire un commentaire, madame la présidente, si vous le permettez. Je pense que venant du Québec, j'apporte peut-être une perspective un peu différente. Je viens du Québec, j'ai quand même voyagé un peu au Canada et je croyais comprendre un peu la culture anglophone. Et depuis que je suis à Radio-Canada, depuis que je suis en contact avec nos artistes, nos écrivains, nos producteurs, je réalise à quel point les Canadiens francophones et les Canadiens anglophones ne connaissent pas la culture de l'autre. Et je pense que de façon pratique, un élément que nous allons devoir encourager, c'est qu'au Québec, on ait de plus en plus une programmation qui nous fasse connaître le reste du Canada et l'inverse. Il va falloir qu'on puisse articuler cette programmation autour des thèmes bien précis qui vont nous permettre de donner accès à l'autre culture de langue officielle. Je pense que cela va être un élément important, que le conseil va continuer à poursuivre dans les prochains mois.

[Traduction]

M. Beatty: Il ne fait aucun doute que par le truchement de la Loi sur la radiodiffusion, le Parlement nous demande de contribuer au partage d'une conscience et d'une identité nationales. Dans le contexte actuel où nous affirmons que notre pays est un tout et où nous essayons d'établir des ponts entre Canadiens, cette responsabilité est devenue prioritaire grâce à des échanges et des efforts de coopération entre les quatre médias. La Société Radio-Canada est une institution unique en son genre. Nous avons un rôle essentiel à jouer, qui prendra de plus en plus d'importance et nous permettra de contribuer au partage d'une conscience et d'une identité nationales et d'établir des ponts.

La canadianisation de la télévision anglophone représente une étape cruciale à mes yeux. Malgré des réductions budgétaires de 400 millions de dollars, nous avons pris la décision l'année dernière de canadianiser l'heure de grande écoute; cette année, l'heure de grande écoute a été canadienne à 95 p. 100. Les résultats ont été extraordinaires. Nos auditeurs ont accepté cette canadianisation, signe encourageant qui montre bien que les Canadiens recherchent ce qui reflète leurs valeurs et leurs expériences. Il s'agit, à mon avis, d'un rôle essentiel. Nous allons complètement canadianiser le réseau de télévision anglaise, pendant la journée également, à compter de septembre 1998. C'est une contribution essentielle de la part du radiodiffuseur public national du Canada.

L'autre domaine est celui de l'ubiquité, de la pénétration des nouveaux médias. Ce n'est pas le matériel qui fait notre richesse. Nous ne sommes pas propriétaires de studios, de microphones ou de transmetteurs. La Société Radio-Canada est un producteur et diffuseur de contenu culturel canadien. À mesure que naîtront de nouveaux médias -- radio et télé numériques, Internet, canaux spécialisés, et cetera --, nous y serons présents. Nous tenterons d'assurer une présence canadienne solide et intéressante sur chacun d'entre eux. Ainsi, nous pourrons contribuer sensiblement à donner au Canada une image nationale.

Le sénateur Johnson: En tant qu'amie de la radiodiffusion publique et, plus particulièrement, en tant qu'originaire de l'ouest du Canada, j'appuie et je défends la SRC depuis longtemps. Pouvez-vous me dire où s'effectueront au juste les prochaines compressions budgétaires ou en a-t-on vu la fin?

Étant donné l'accent mis, comme vous l'avez tous deux mentionné, sur la relation de notre histoire et les échanges culturels entre les deux peuples fondateurs, sur quoi axerez-vous le contenu quand Radio-Canada commencera à prendre les mesures qui s'imposent, compte tenu des limites budgétaires auxquelles elle est soumise?

M. Beatty: Jusqu'ici, nous avons réalisé les trois quarts environ des réductions de personnel à faire. Nous en annoncerons d'autres en décembre prochain. Elles entreront en vigueur au début de l'exercice suivant. Toutefois, toutes ces mesures ont été annoncées en septembre quand j'ai dévoilé les plans qu'avait approuvés le conseil dans le cadre de ses choix stratégiques. Tout se déroule comme prévu.

Le sénateur Johnson: Respectez-vous toujours le calendrier?

M. Beatty: Oui. Le processus est pénible, croyez-moi! Toutefois, la société a réussi à relever sa cote en tant que télédiffuseur, tant en anglais qu'en français, au moment même où elle réalise de grandes économies. C'est encourageant. Nous avons également réussi à recentrer la société sur son mandat initial.

J'ai mentionné plus tôt l'importance de la canadianisation réalisée au réseau de télévision anglais. Les fonds que vous nous versez ne servent pas à distribuer de la programmation commerciale américaine au Canada. C'est déjà une réalisation. Chaque seconde de programmation commerciale américaine qui est diffusée nous éloigne de notre mandat. En dépit de pressions énormes, nous avons pu nous rapprocher de notre mandat.

Vous pourrez constater les répercussions considérables qu'a eues cette décision sur nos horaires quand nous entamerons la nouvelle saison de programmation, en septembre. D'ici là, nous déciderons de notre nouvelle programmation antenne. Vous constaterez des changements tant au réseau de la radio qu'au réseau de la télévision. Habituellement, environ 30 p. 100 des émissions changent. Cette année, le changement sera plus important et il sera omniprésent. C'est une réaction tant au nouveau rôle que nous donnons à la société qu'aux exigences budgétaires auxquelles elle est soumise.

Le sénateur Johnson: Dans son nouveau rôle, la SRC fera-t-elle primer le contenu culturel canadien?

M. Beatty: Oui, mais elle reflétera une culture plus proche du téléspectateur et de l'auditeur.

Mme Saucier: J'aimerais souligner qu'avec les dix millions de dollars supplémentaires affectés à la radio, nous nous efforcerons d'insister sur ce que nous appelons les nouvelles voix. Une partie importante de notre mandat consiste à trouver de nouveaux talents et à les aider à percer. Cette question est au coeur même du mandat de la SRC, d'après moi.

Le sénateur Spivak: J'ai lu récemment un article dans le New Yorker où il était question de l'industrie cinématographique. On y citait des producteurs d'Hollywood selon lesquels nul ne sait à quoi s'attendre et la demande de contenu est infinie.

Je le mentionne parce que je n'ai pas tout à fait bien compris votre message, monsieur Beatty, au sujet de certains produits que nous nous réservons et d'autres qui sont destinés aux marchés d'exportation. Si nul à Hollywood ne sait quoi que ce soit, quel sera l'effet des compressions?

Ce que les Canadiens ont de plus important à faire est donc de développer et d'appuyer leurs propres talents, comme l'ont fait les Australiens et comme nous l'avons fait dans le domaine de l'animation. Quels effets auront les compressions effectuées à la SRC? Qu'ont-elles eu comme effet sur la production? Je sais qu'il existe un nouveau fond de production, et ainsi de suite. Comment voyez-vous la situation?

Mme Saucier a mentionné les 10 millions de dollars supplémentaires débloqués pour la SRC. Ce ne sont pas 10 millions de dollars supplémentaires, mais bien une partie des fonds retirés qui vous sont rendus. Voilà la vérité!

Le tableau général est plutôt surprenant. Étant donné l'apport économique des industries culturelles au Canada -- de quelque 29 milliards de dollars -- et les déductions pour épuisement que nous consentons, et cetera, comment ces compressions affecteront-elles la production? Pourquoi laissez-vous entendre qu'il faudrait faire une distinction entre ce que nous produisons pour nos marchés intérieurs et ce que nous produisons pour les marchés étrangers?

M. Beatty: Sénateur, vous ne serez pas étonnée d'apprendre que nous ne sommes pas ici pour militer en faveur de compressions.

Le sénateur Spivak: J'en suis consciente. Comment les compressions toucheront-elles la capacité de production? Pour vous, cette fonction est-elle indépendante ou relève-t-elle du mandat de la SRC?

M. Beatty: Nous avons pu dans une certaine mesure atteindre les compressions budgétaires demandées grâce à des gains d'efficacité. Toutefois, il ne faut pas se leurrer. Quand on vide les coffres de la société, elle ne peut pas faire son travail avec autant d'efficacité qu'elle le souhaiterait. Il lui fait renoncer à certains services qu'elle aimerait offrir.

Cela étant dit, la société a tout de même à sa disposition un budget d'un milliard de dollars. Elle demeurera au centre de la vie culturelle canadienne. Elle s'efforcera davantage de refléter l'identité canadienne.

Quant à votre second point, sénateur, je crois préférable de vous donner un exemple pour illustrer la différence entre un produit culturel et la culture.

L'émission Rumble in the Bronx a été tournée à Vancouver, mais un Vancouver déguisé en Bronx. Elle n'a rien à voir avec les valeurs culturelles canadiennes. Elle crée de l'emploi pour ceux qui travaillent à sa production et elle injecte de l'argent dans l'économie canadienne, mais elle ne contribue rien au sens d'identité des Canadiens.

La présidente: Il faut aller voter au Sénat.

Nous vous savons gré de nous avoir fait cette déclaration officielle. Soyez assurés qu'elle sera intégrée à notre rapport provisoire qui doit paraître dans quelques jours. Ensuite, nous repérerons les questions qui méritent plus d'étude; nous vous saurions gré de bien vouloir revenir témoigner dans quelques mois.

Je vous remercie.

Le comité suspend ses travaux à 17 h 25.

Le comité reprend ses travaux à 17 h 40.

La présidente: Monsieur Silcox, je vous remercie beaucoup d'être venu nous parler de culture canadienne. Nous vous en sommes extrêmement reconnaissants, car votre réputation en tant que mandarin de la culture et votre attachement à l'histoire du Canada et à la vie culturelle canadienne vous précèdent.

Quand le Sénat a décidé qu'il souhaitait prendre du recul et examiner la compétitivité internationale du Canada dans le domaine des communications, il a demandé au sous-comité des transports et des communications de mener une étude spéciale. Nous estimions que nous avions beaucoup de pain sur la planche. Nous avons décidé de n'en prendre que quatre petites bouchées, soit la technologie, les ressources humaines, la culture et le commerce.

Nous sommes très conscients qu'un domaine en pareille évolution est non seulement complexe, mais très changeant. Nous estimons aussi qu'il existe un fil conducteur manifeste depuis de nombreuses générations et qu'il se maintiendra longtemps encore. Nous aimerions savoir ce que, d'après vous, le pays devrait faire pour poursuivre sa croissance sans perdre les acquis.

M. David Silcox: Je vous remercie de m'avoir invité à vous parler de cette question. J'ai soumis un court document qui décrit certaines de mes idées au sujet de la culture et de sa place sur la scène nationale, ainsi qu'en rapport avec la position internationale du Canada. Je vous laisse le document pour que vous puissiez le feuilleter -- à moins que vous n'ayez des questions à me poser à son sujet. Je sais qu'il ne vous est parvenu qu'aujourd'hui, mais il comporte peut-être des éléments qui vous fourniront matière à réflexion.

La présidente: Nous l'avons reçu.

Le sénateur Spivak: Oui, et nous l'avons lu.

M. Silcox: Je suis convaincu que sa lecture a été édifiante et satisfaisante. Il vous fournira beaucoup de matière pour la rédaction de votre rapport final.

J'aimerais faire valoir quelques points en fonction de l'expérience et des connaissances que j'ai acquises en tant que sous-ministre adjoint à Ottawa et sous-ministre en Ontario. Toutefois, vous ne souhaitez probablement pas connaître mes vues sur les chances de survie de Northern Telecom dans l'actuel contexte de la consolidation mondiale, sujet passionnant s'il en est.

Tout d'abord, j'estime inutile d'insister sur le fait que les communications font partie de l'histoire du Canada depuis les tout premiers explorateurs et commerçants de fourrures. Elles ont été de toutes les grandes entreprises canadiennes -- construction de canaux, chemins de fer, téléphonie, transport aérien, transport d'énergie et radiodiffusion. Depuis Alexander Graham Bell et Harold Innis jusqu'à Marshall McLuhan, les communications ont toujours été une préoccupation nationale -- probablement plus ici qu'ailleurs, en raison de la superficie du Canada.

De plus, bien que nous ayons jugé opportun d'établir une distinction entre le transporteur et le contenu dans les dossiers de communications, ils ne sont pas distincts. Ce sont les deux côtés de la même médaille. Je ne saurais trop insister sur le fait que le contenu, plutôt que l'infrastructure, est la plus importante composante du réseau de communication.

La technologie évolue et continuera d'évoluer. Les changements viendront de différentes parties du monde et de sources différentes, mais les besoins humains, les besoins en matière de contenu, demeurent particuliers à chaque endroit, dans le cas qui nous préoccupe, au Canada. L'important en réalité, en communications, c'est le contenu.

Je puis vous illustrer la façon dont il y a interpénétration et les difficultés que cela cause. Tous les ordinateurs d'IBM importés au Canada incluent le programme Microsoft, qui permet de consulter les encyclopédies américaines. Il est impossible d'intégrer l'encyclopédie canadienne aux produits vendus avec l'ordinateur de manière que les parents et les étudiants canadiens puissent apprendre au sujet de leur propre pays.

La culture est une composante beaucoup plus névralgique de l'industrie des communications qu'on ne l'imagine. Vous trouverez des données statistiques à ce sujet dans mon document.

Le secteur de la culture est le quatrième en importance au Canada, en termes d'apport économique, et le neuvième, en termes d'emplois. C'est un secteur immense. La culture représente la plus importante partie du contenu de tout système de communication. Il faut accorder une attention particulière à la culture intégrée à tout genre de système de communication que nous avons déjà ou que nous essayons de développer.

Les possibilités d'exportation dans le domaine des communications vous préoccupent beaucoup. Quand j'examine la dimension culturelle du commerce en télécommunications pour voir s'il est possible d'exporter, je ne saurais trop souligner que la prospérité des exportations passe par l'existence préalable d'un marché intérieur prospère, plutôt que l'inverse. Avant de pouvoir offrir des produits exportables, il faut avoir, au Canada même, un secteur productif, dynamique, sain et vigoureux.

Certains produits seront exportables parce qu'ils sont bons, que leur qualité et leur universalité en font des produits bienvenus ailleurs. Beaucoup de nos produits, au Canada, seront exportables parce qu'ils sont bons ou qu'ils ont été mis en marché avec brio. Toutefois, une grande partie des produits ne sera pas exportable parce que nous les avons fabriqués pour nous-mêmes et qu'ils n'intéressent que nous-mêmes. Nous sommes notre principal marché. Nous exporterions peut-être davantage si les marchés étaient moins faussés, dans la sphère d'activité culturelle. Je fais allusion au fait que le contenu étranger domine en réalité dans nos librairies, nos cinémas et à la télévision.

Fait étrange dont vous avez probablement déjà entendu parler, nous parlons toujours de «contenu canadien» alors qu'ailleurs, on parle de «contenu étranger». Nous voyons les choses à l'inverse parce que nous sommes si habitués à l'ouverture de nos frontières et de nos marchés qu'il ne nous viendrait même pas à l'idée de considérer le matériel venu d'ailleurs comme étant étranger. Nous l'admettons comme nôtre, en partie, et parlons de ce qui est vraiment de nous comme étant canadien.

D'autres gens sont habitués à cette idée d'un marché intérieur vigoureux. Edgar Bronfman, qui est à la tête de MCA et de Seagrams aux États-Unis, a pris la parole devant un groupe de distributeurs à Los Angeles. Il a fait valoir que sauf là où les gouvernements limitent ou interdisent leur distribution, les films américains dominent le monde. Il a parlé de la tentative de mondialisation des émissions de télévision et a indiqué qu'une bonne partie des émissions qui seraient télédiffusées un peu partout dans le monde proviendraient des États-Unis. Il a également déclaré que ce n'est pas uniquement parce qu'ils ont beaucoup de talent mais parce que pendant des années, les producteurs américains ont eu accès un vaste marché intérieur qui a appuyé la création d'émissions de télévision. Par conséquent, ils possèdent l'infrastructure, l'expérience et les aptitudes nécessaires pour en produire encore plus. Ce pourrait être la même chose pour nous. Si nous investissions réellement dans nos propres activités intérieures, nous pourrions en exporter davantage.

Je fais également remarquer dans mon texte que la politique culturelle est une notion relativement nébuleuse et parfois difficile à saisir. Je crois que c'est une notion qui évolue, qui change et qui s'adapte aux nouvelles circonstances. Je ne suis pas d'accord avec ceux qui considèrent qu'avant de faire quoi que ce soit, le Canada doit avoir une grande politique culturelle générale. Je crois que nous devons procéder petit à petit et déterminer l'orientation que nous voulons suivre.

Lorsque je compare les activités du Canada dans le secteur culturel à celles d'autres pays, je trouve cela assez décourageant car nous en faisons beaucoup moins. Vous pensez peut-être que nous en faisons beaucoup mais en ce qui concerne l'aide directe et indirecte accordée par les gouvernements fédéral et provinciaux, nous sommes nettement à la traîne derrière la France dont la contribution est de 80 p. 100; le Royaume-Uni, dont la contribution est de 75 p. 100; et les États-Unis, dont la contribution au secteur culturel est de 58 p. 100, à cause surtout de l'énorme aide indirecte qu'ils reçoivent par le biais des impôts. La contribution du Canada au secteur des arts d'interprétation est de 47 p. 100.

Enfin, le Canada doit prendre d'importantes initiatives d'envergure internationale sur le plan culturel. Il y a une dizaine d'années, une étude a été faite sur les initiatives que devrait prendre notre pays pour faire connaître sa culture à l'étranger. On avait alors souligné que le Canada consacrait quatre millions de dollars par année à promouvoir sa culture dans le monde entier tandis que la même année, l'Australie en dépensait huit millions pour promouvoir ses activités culturelles auprès de l'un de ses principaux partenaires commerciaux, le Japon. Aux Affaires étrangères, le budget actuel est d'environ quatre millions de dollars et est tout simplement insuffisant. Je ne peux pas croire que nous avons des échanges commerciaux de plusieurs milliards de dollars avec les États-Unis et que nous ne faisons rien pour favoriser les échanges culturels et pédagogiques destinés à appuyer un important partenariat commercial de ce genre. Pas étonnant que les Américains ne connaissent pas grand-chose sur les Canadiens; nous ne faisons rien pour essayer de leur expliquer qui nous sommes, pourquoi nous sommes différents et ce que nous représentons.

Pour être plus compétitif dans le domaine des communications, le Canada doit avant tout être visible. Comme nous sommes le plus petit pays du G-7, nous devons faire plus d'efforts. Nous ne sommes pas des Américains non armés qui ont un régime d'assurance-maladie; nous sommes des Canadiens. Nous sommes tout à fait distincts et différents.

On a déjà demandé à Noam Chomsky ce qui distinguait à son avis les Canadiens des Américains. Il a dit que les Américains ont des idéaux très nobles, mais ne prennent pas de gants pour les imposer à tout le monde. Les Canadiens ont eux aussi de nobles idéaux, mais sont plus subtils dans leur façon de les communiquer. Je pense que nous avons suffisamment de sens pratique pour ne pas nous laisser paralyser par ces idéaux et pour prendre des mesures concrètes. Pour être compétitif, il faut être visible sur le plan international. Nous n'en faisons pas assez dans ce domaine.

Je parlais récemment à quelqu'un des Affaires étrangères qui a mentionné une politique consistant à saisir les leviers du changement de cap aux Affaires étrangères. Il a expliqué qu'il existait d'importants leviers aux paliers supérieurs, reliés aux entrailles de la bureaucratie par de grosses bandes élastiques. Dès qu'on relâchait les leviers, les bandes revenaient à leur place.

C'est ainsi qu'a évolué la politique aux Affaires étrangères. Je suis prêt maintenant à répondre aux questions.

La présidente: Je vous remercie de votre mémoire. Il est extrêmement intéressant et nous sera des plus utiles. Il était facile à lire et il nous a donné beaucoup d'informations. Vos commentaires sont vraiment la cerise sur le gâteau.

Le sénateur Spivak: Monsieur Silcox, j'ai moi aussi trouvé votre mémoire extraordinaire surtout parce qu'il a démoli tant de mythes -- entre autres que nous ne consacrons pas trop d'argent à notre culture. Tout le monde oublie que c'est un énorme secteur de notre économie.

Il y a également un autre mythe à propos du contenu. Tout le monde s'intéresse à la technologie mais c'est le contenu qui compte. Comme je l'ai dit plus tôt, apparemment, aux États-Unis, ils savent que la demande pour le contenu ou le produit est infinie.

Vous avez fait quelques propositions précises dans votre mémoire et la première concerne la distribution de films. Vous dites que la distribution de films est suffisamment importante pour que le gouvernement fédéral agisse unilatéralement. Je ne comprends pas ce que vous voulez dire par là. Pourriez-vous nous donner des précisions?

Vous mentionnez deux autres aspects particuliers, dont la lacune qui existe dans l'infrastructure de développement de l'édition. Je n'étais pas au courant de cela. C'est un aspect qui, de l'avis général, cause problème.

J'ai entendu une femme nommée Sullivan parler de la littérature canadienne. Apparemment, la littérature canadienne est en plein essor à cause surtout de ces petites maisons d'édition qui ont donné une chance à des esprits brillants et leur ont permis de se développer. Maintenant, ils peuvent aller partout dans le monde.

Je constate également la proposition de retirer l'exportation aux Affaires étrangères et d'en confier la responsabilité au Conseil des arts du Canada. Pourquoi considérez-vous cela comme une si bonne idée? Nous avons entendu les témoignages des représentants du troisième pilier, c'est-à-dire ceux qui actionnent les leviers. Nous avons entendu une présentation intéressante sur l'analphabétisme mais aussi sur l'exportation du savoir. Mis à part ces leviers et cette technologie, nous avons cette incroyable ressource qu'est le savoir. C'est un phénomène de plus en plus répandu. Les compagnies d'exploitation minière et les ingénieurs vont travailler partout dans le monde.

Ce sont les aspects que j'ai trouvés intéressants mais je n'ai pas tout à fait compris ce que vous avez voulu dire en ce qui concerne la distribution de films.

M. Silcox: La distribution et surtout la distribution de films est l'une de ces zones grises où il n'est pas clair si elle relève de la compétence fédérale ou provinciale. On pourrait dire qu'étant donné que ces films sont importés, cette question relève de la compétence du gouvernement fédéral et pourrait être contrôlée par Douanes et accises. C'est en partie vrai. Il est également vrai que les provinces contrôlent la distribution au sein de la province, comme elles le font dans le cas des librairies et dans tout ce qui touche aux biens. Cette zone grise n'a jamais été testée devant les tribunaux pour déterminer si un palier de gouvernement ou l'autre détient une responsabilité claire dans ce domaine.

Le sénateur Spivak: Les communications relèvent de la compétence du gouvernement fédéral.

M. Silcox: Les communications, mais seulement électroniques. La radiodiffusion aussi, mais pas la distribution de films. La distribution de films est une question différente; ce sont des produits qui circulent et sont projetés par les chaînes Cineplex ou Famous Players.

Le sénateur Spivak: Vous parlez de la distribution de films étrangers. Voulez-vous dire que le Canada devrait en prendre complètement le contrôle?

M. Silcox: Environ 97 p. 100 des films qui entrent au Canada sont étrangers. Ce que je voulais dire, c'est que j'estime que le gouvernement fédéral devrait prendre des mesures pour imposer certains types de restrictions ou de conditions à ceux qui distribuent des films au Canada. Il pourrait le faire sans susciter trop de crainte, chez les provinces, d'ingérence dans ce qu'elles pourraient considérer comme leur sphère de responsabilité.

Par exemple, le gouvernement fédéral pourrait imposer une taxe d'importation sur les films. Il pourrait établir des conditions qui régissent la distribution de films au Canada. Il ne fait aucun doute que le Québec a imposé des conditions -- et il ne fait aucun doute qu'il y aurait des objections -- aux distributeurs de films pour ce qui est de fournir des primeurs en français dans un délai donné. C'est ce à quoi je faisais allusion.

Le sénateur Spivak: Si je me souviens bien, c'est Flora MacDonald qui a été la dernière personne à tâcher de faire quelque chose à propos de la distribution de films. Son initiative a été rejetée. Comment pensez-vous que les Américains réagiraient si cela se produisait?

M. Silcox: Ce serait très difficile. Il ne fait aucun doute que les maisons de distribution américaines considèrent le Canada comme le premier domino de ce qui sera une réaction en chaîne partout dans le monde. S'ils accordent quoi que ce soit au Canada, ils devront l'accorder aussi à la France et à l'Allemagne et ainsi de suite. C'est pourquoi ils doivent se montrer durs avec nous. J'estime que cela n'est ni juste ni correct et que nous devrions nous attaquer à eux sur leur propre terrain. Cependant, les conséquences risquent d'être assez graves.

Le sénateur Spivak: Nous pourrions peut-être leur proposer notre eau en échange.

M. Silcox: C'est possible. La distribution de films devrait être un enjeu commercial comme le bois d'oeuvre ou le blé. Cela demeure une priorité constante pour les Américains. La distribution de programmes de télévision et de films de l'autre côté de la frontière et le maintien de leur première place sur notre marché sont toutes d'importantes priorités pour eux et ils tiennent à ce que cela reste ainsi.

Le sénateur Spivak: Quelles en seraient les répercussions? Est-ce que cela aurait d'importantes conséquences sur la compétitivité ou favoriserait le développement de notre propre capacité créatrice?

M. Silcox: Si 5 p. 100 des recettes brutes réalisées par des films surtout américains sur le marché canadien étaient réinvesties dans des productions canadiennes, cela changerait beaucoup de choses. C'est ce qui se passe dans d'autres industries. Les profits réalisés servent à exécuter d'autres projets au pays.

En ce qui concerne les films, les profits retournent à Hollywood. Il ne fait aucun doute qu'ils en dépensent une partie ici. Ils achètent entre autres de la publicité. En fait, ils viennent faire des films ici mais ne contribuent pas grand-chose au secteur cinématographique canadien. Je trouve cela regrettable et je pense qu'il faudrait remédier à la situation. Il y a longtemps que nous le disons. Ce brave C.D. Howe a plus ou moins tout cédé en 1947, et nous ne l'avons jamais récupéré.

À une époque, les frères Allan de Brantford en Ontario, où Alexander Graham Bell a inventé le téléphone, ont été les propriétaires de la plus importante maison de distribution de films au monde. C'était en 1922. Ils ont toutefois été évincés en un an et demi par Adolph Zukor et son système intégré de studios américains. Pendant un bref moment, nous avons été effectivement dans la course.

L'autre question que vous avez posée concernait la société de développement de l'édition. Le secteur de l'édition au Canada est important et compliqué. Il est en partie culturel et en partie commercial et il vise deux objectifs. C'est un volet des arts. Pour le secteur cinématographique, il y a Téléfilm, mais l'équivalent de Téléfilm n'existe pas pour l'industrie de l'édition. Cela serait utile.

Pour l'instant, l'industrie de l'édition est partagée entre le Conseil des arts du Canada, qui lui accorde certaines subventions globales à des fins particulières, surtout culturelles, et le ministère du Patrimoine canadien, qui accorde un certain nombre de subventions pour appuyer l'aspect industriel.

Il serait plus logique d'avoir un organisme ciblé capable de réagir plus rapidement, plus facilement et de façon plus appropriée au secteur de l'édition. Je ne parle pas d'une grosse organisation, loin de là -- quelque chose aux alentours de 25 ou 30 millions de dollars. Ce ne serait pas une grosse organisation mais elle aurait une énorme importance pour l'industrie. Cette industrie génère maintenant une forte activité d'exportation que favoriserait, selon moi, la création d'une telle organisation. Le gouvernement n'aime pas créer de nouveaux organismes, conseils ou commissions, mais je pense qu'une telle organisation serait utile.

Le sénateur Spivak: Pourquoi ne l'a-t-on pas fait? Pourquoi n'a-t-on pas pris toutes ces mesures? Cela semble si logique.

M. Silcox: Parfois, ce genre de choses n'arrive pas à se concrétiser. C'est une question d'opportunité, de responsabilité dans un secteur par rapport à un autre, de territoire des différentes bureaucraties. Il faut que quelqu'un donne l'impulsion voulue. Le Conseil des arts du Canada est devenu une réalité uniquement parce que quelqu'un a voulu qu'il devienne une réalité et les fonds ont suivi. Nous attendons simplement que quelqu'un prenne ce genre d'initiative.

Le sénateur Johnson: Êtes-vous satisfait des institutions qui existent actuellement au Canada? Vous avez dit qu'il n'y a pas d'organisme qui s'occupe du développement de l'industrie de l'édition. D'après vous, est-ce que ces institutions vont prendre de l'expansion, rester telles quelles ou faire l'objet de compressions? C'est ce qui se passe dans certains domaines.

Votre exposé est fort intéressant. J'ai prononcé plusieurs discours sur la culture, essayant de démontrer son importance sur le plan économique. Ce n'est pas quelque chose que la majorité des gens comprennent. Toutefois, je pense que nous avons réussi à les sensibiliser davantage à l'importance de la culture par le biais de nos diverses institutions. C'est une démarche que j'appuie sans réserve.

Toutefois, jusqu'où pouvons-nous aller avec ces institutions dans ce nouveau domaine, et pendant combien de temps resteront-elles en place?

M. Silcox: Je crois que les institutions en place répondent à nos besoins. Toutefois, d'après moi, elles n'ont pas suffisamment de fonds pour remplir leur mandat. Je ne veux pas dire par là qu'elles ne devraient pas faire preuve d'efficience et de responsabilité. Le Conseil des arts du Canada est un bon exemple d'un organisme qui a dû faire l'objet de compressions. En toute sincérité, ses dépenses administratives étaient beaucoup trop élevées. Il a fait ce qu'il devait faire. C'est dommage, mais il n'aurait jamais dû, en premier lieu, se retrouver dans cette situation.

Téléfilm Canada, à l'époque où je dirigeais la société, avait un budget de 8 millions de dollars. On ne pouvait pas faire grand-chose avec ce montant. Un film coûte à lui seul 8 millions de dollars. Le Canada devrait réaliser de 30 à 40 longs métrages par année. Il ne le fait pas. Nous nous débrouillons très bien pour ce qui est des émissions télévisées, mais il reste encore beaucoup à faire côté longs métrages.

Le sénateur Johnson: Êtes-vous en train de parler des films financés par le gouvernement, ou d'une aide financière accrue pour les cinéastes?

M. Silcox: Cela dépend. Les États-Unis accordent aux cinéastes un soutien financier par le biais d'allégements fiscaux, ce qui facilite la production de longs métrages.

Le sénateur Johnson: N'avons-nous pas essayé de faire la même chose avec Téléfilm Canada?

M. Silcox: Oui, en accordant certaines déductions fiscales. Le programme a été suspendu parce que la situation était devenue incontrôlable. On produisait des films terribles et les fonds étaient utilisés à mauvais escient.

À mon avis, la cure était pire que la maladie. Le niveau d'activités de Téléfilm Canada devrait être fonction des allégements fiscaux qui sont accordés, ce qui permettrait d'investir le capital nécessaire dans l'industrie.

Le gouvernement pourrait soit augmenter le montant des déductions, soit verser l'argent directement à Téléfilm Canada. Je préférerais que la société soit dotée d'un budget de 225 à 250 millions de dollars par année plutôt qu'un budget de 150 millions, comme c'est le cas présentement.

Le sénateur Johnson: Les cinéastes au Manitoba me disent que Téléfilm Canada ne leur est plus d'aucune utilité puisqu'ils peuvent maintenant obtenir du financement aux États-Unis. Ils ne produisent peut-être pas des films canadiens tout le temps, mais bon nombre d'entre eux le sont. Ils font de l'excellent travail. Téléfilm Canada les décourage. Je ne sais pas quoi leur dire. Je sais ce que fait Téléfilm Canada et ce que l'organisme essaie d'accomplir, mais ils soutiennent que si vous êtes assez bon et que vous avez une équipe, ils peuvent maintenant obtenir de l'aide.

Le sénateur Spivak: Ils obtiennent des fonds des provinces.

Le sénateur Johnson: Et aussi des Américains.

M. Silcox: Je ne crois pas que Téléfilm Canada soit en mesure de répondre à leurs besoins. J'aimerais bien que les gouvernements provinciaux s'impliquent financièrement, mais je crois qu'il est important que le gouvernement fédéral assume un rôle de premier plan dans ce domaine.

Le sénateur Johnson: Je suis d'accord.

La présidente: Monsieur Silcox, vous avez dit plus tôt qu'il était important d'accroître la qualité des produits culturels canadiens pour que le pays puisse soutenir la concurrence à l'échelle internationale. Dans quoi les gouvernements devraient-ils surtout investir? Les infrastructures culturelles à l'intérieur desquelles les artistes peuvent s'épanouir, la prestation de services, ou devraient-ils verser une aide directe aux artistes?

M. Silcox: Une combinaison des deux. Si vous aidez financièrement les artistes talentueux et créatifs, vous allez à la longue en récolter les dividendes. Regardez un peu ce qu'a fait le Conseil des arts. Nous estimons qu'il existe maintenant au Canada un bon noyau d'écrivains, de compositeurs, de danseurs, de dramaturges, ainsi de suite. C'est quelque chose d'important.

Par ailleurs, les artistes ne peuvent travailler sans infrastructure. Cette infrastructure doit être dynamique et en bonne santé, et aussi inspirer confiance. La différence entre nous et bon nombre de nos voisins européens, c'est qu'ils croient en leur culture. Ce n'est pas qu'ils sont plus cultivés ou qu'ils vont plus souvent à l'opéra que nous. C'est tout simplement qu'ils considèrent la culture comme une partie intégrante de leur vie, alors que nous avons tendance à envisager la culture avec plus de scepticisme. Nous avons encore tendance ici à dénigrer le secteur culturel. Ce n'est pas la même chose en Europe.

C'est une question de confiance. Il revient aux dirigeants -- fédéraux, provinciaux et municipaux -- de dire, «Nous faisons confiance aux talents de notre société. Nous les appuyons, nous voulons qu'ils réussissent.» Je n'ai pas entendu le premier ministre prononcer un grand nombre de discours sur la culture. Il en a parlé il y a quelques années, dans un discours sur le tourisme, mais j'aimerais que les membres du gouvernement et ceux de l'opposition en parlent plus souvent.

La présidente: Monsieur Silcox, nous tenons à vous remercier pour les notes que vous avez préparées, et pour votre témoignage.

Nous accueillons maintenant les représentants de la société IBM, Mme Shahla Aly et M. John Warner. Je vous remercie d'être venus ici cet après-midi pour discuter de la position concurrentielle du Canada dans le domaine des communications et de ce que doit faire le Canada pour rester à la fine pointe de ce secteur en l'an 2000.

Nous vous remercions de votre document d'étude intitulé «Multimedia Content & Services in a New World: A Rationalized Convergence Policy Framework for Canada». Vous avez fait ressortir des questions clés concernant ce nouveau monde des télécommunications, et les membres du comité vous en sont reconnaissants.

Vous avez la parole.

Mme Shahla Aly, vice-présidente, Opérations commerciales, IBM Canada Inc.: Merci, madame la présidente. Je suis la vice-présidente et la directrice générale des services électroniques offerts aux entreprises. Notre objectif est d'assurer le déploiement du réseau Internet au Canada dans le but d'offrir des avantages concurrentiels aux entreprises canadiennes.

Avant de vous présenter mon collègue, je tiens à dire que nous sommes très heureux d'avoir été invités à comparaître devant le comité sénatorial et à lui exposer nos vues sur la nécessité de doter le Canada d'une politique rationnelle en matière de convergence.

Nous avons l'intention de passer en revue le document d'étude d'IBM. Je pense que vous en avez déjà reçu une copie. J'espère que vous avez également reçu le document de trois pages qui résume nos recommandations.

J'aimerais d'abord vous parler un peu de la société IBM Canada pour que vous puissiez comprendre pourquoi nous nous considérons comme un intervenant majeur dans les délibérations du comité.

IBM est présente au Canada depuis la fin des années 1800. Dès 1917, nos opérations avaient pris beaucoup d'expansion. Nous étions la première filiale étrangère à utiliser les mots «International Business Systems» ou «IBM» comme logo.

Quatre-vingts ans plus tard, IBM Canada emploie plus de 13 000 travailleurs à l'échelle nationale. L'année dernière, nous avons ajouté 2 800 travailleurs canadiens à notre liste de paie. Nous avons également embauché 1 500 travailleurs temporaires, 400 étudiants et dépensé plus de 44 millions de dollars pour assurer la formation de nos employés au Canada.

C'est dans le secteur des services aux entreprises que la majorité de nos emplois ont été créés. En 1996, ce secteur constituait notre principale source de revenus. Notre chiffre d'affaires, cette année là, a atteint 3,9 milliards de dollars, les services professionnels offerts aux entreprises canadiennes comptant pour presque la moitié de ces recettes. Nos exportations ont totalisé 5,6 milliards de dollars, ce qui fait de nous le principal exportateur canadien de haute technologie.

En relisant les comptes rendus des séances antérieures, nous avons constaté que certains témoins considèrent que l'Internet en est encore à l'étape de la recherche et du développement. L'Internet a largement dépassé cette phase. Il est rendu, en fait, à l'étape du commerce électronique.

Cela ne veut pas dire que l'Internet n'est pas sans problèmes. Car des problèmes, il y en a. Certains sont très réels, d'autres n'existent qu'en apparence. Toutefois, tout cela est positif, parce que les technologies de l'Internet sont des techniques naissantes. Elles ne sont pas encore éprouvées. Les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont propres à toute technologie en émergence.

Toutefois, les pays ou les milieux d'affaires doivent absolument embrasser ces techniques naissantes pour se donner un avantage concurrentiel ou encore pour le maintenir. L'histoire est remplie d'exemples d'entreprises qui n'ont pas compris l'importance que revêtaient les technologies en émergence et qui ont donc perdu la position qu'elles détenaient sur le marché.

Nos clients peuvent maintenant effectuer des transactions commerciales via l'Internet. La Banque de la Nouvelle-Écosse permet maintenant à ses clients de faire des transactions bancaires au moyen de l'Internet. Les usagers de la Canada Life peuvent maintenant prendre connaissance des politiques de l'entreprise en direct. Nous avons effectué du travail pour la compagnie Desjardins, qui est très satisfaite d'IBM, afin de permettre à ses clients d'avoir accès à toute une gamme de services bancaires via l'Internet.

Lorsque vous jetez un regard sur ces techniques, vous vous rendez compte que vous avez besoin d'entreprises de technologie solides comme IBM, entre autres, pour guider le milieu des affaires. Non seulement les techniques sont-elles nombreuses, mais elles évoluent constamment. Nous mettons à la disposition des autres la «compétence» de ces entreprises canadiennes ainsi que toutes les ressources dont dispose IBM à l'échelle mondiale. Le capital intellectuel d'IBM à l'échelle mondiale nous permet de mettre au point de nouveaux logiciels et programmes dont le Canada tire profit.

IBM est à la fois un créateur et l'exploitant du plus grand réseau avancé de télécommunications à l'échelle internationale. Ce réseau compte plus de 30 000 clients commerciaux dans 850 villes.

Je suis accompagné aujourd'hui de mon collègue, John Warner, coauteur du document d'étude que vous avez reçu. C'est lui qui secondait notre ancien directeur général au sein du comité consultatif sur l'autoroute de l'information. Je vais maintenant céder la parole à M. Warner.

M. John Warner, Programmes gouvernementaux, IBM Canada Inc.: Le titre du document d'étude est plutôt long, comme vous l'avez sans doute constaté. Je l'ai donc abrégé. Le nouveau titre est «L'Internet et le contenu canadien», qui est au coeur du sujet à l'étude.

Je passe mes journées à naviguer sur l'Internet. Je sais donc ce qu'on y trouve. En toute honnêteté, le niveau du contenu canadien sur l'Internet est incroyable. Je crois que c'est en raison de sa capacité illimitée et des faibles coûts d'accès, qui favorisent la création. Nous avons maintenant des pages web de toutes les régions du Canada, qui contiennent essentiellement des renseignements à caractère commercial, mais également social et culturel. L'environnement non réglementé de l'Internet -- qui est considéré comme un réseau avancé de télécommunications --, contribue pour beaucoup à ce succès.

J'ai quelques exemples de pages web que je ne vous montrerai pas, faute de temps. Toutefois, il suffit de dire qu'on trouve de tout dans ce système, allant des renseignements commerciaux à des pages d'accueil sur l'Inuvik et aussi le Nunavut. Une jeune fille de 13 ans de Brossard, au Québec, possède sa propre page d'accueil. Ce sont des exemples de renseignements que l'on peut trouver sur l'Internet.

La première question que posent la plupart des gens est la suivante: «Si l'Internet a tant de succès, pourquoi la société IBM a-t-elle préparé ce document de discussion?» Nous entendons beaucoup de choses qui nous incitent à nous demander ce qu'est ou devrait être la ligne de conduite relativement à l'Internet.

Dans une réponse au rapport du CCAI, le gouvernement a en quelque sorte dit que la Loi sur la radiodiffusion, le principal pilier de la politique culturelle, doit continuer de répondre aux défis du nouvel environnement. Lors de l'annonce de sa politique sur la convergence en août dernier, le gouvernement a en effet dit que cette question du contenu canadien sur l'Internet est très complexe, qu'il continuera à l'étudier et qu'il nous en reparlera.

Plus récemment, à l'occasion d'une entrevue à la Société Radio-Canada, Françoise Bertrand, la présidente du CRTC, était songeuse et a dit essentiellement que le CRTC a un rôle à jouer pour garantir le contenu canadien sur les réseaux informatiques comme l'Internet. Elle a laissé sous-entendre que la réglementation devrait jouer un rôle.

C'est ce qui nous a amenés à commander le document de discussion. En toute franchise, nous ne savions pas trop quoi penser. Comme l'a dit Mme Aly, nous dépendons de l'Internet. Nous croyons que c'est l'activité de base de notre entreprise. En toute franchise, nous croyons aussi que c'est l'activité fondamentale de la société infoculturelle canadienne à mesure que nous progressons. Cela nous intéresse que le succès de l'Internet dure.

Le document de discussion se fonde sur cinq affirmations fondamentales:

Il importe d'associer les objectifs des politiques industrielle et culturelle. Ni l'une ni l'autre de ces politiques ne peuvent être prises isolément.

C'est en s'en remettant aux forces du marché que l'on peut le mieux atteindre ces objectifs dans les deux cas. Nous croyons que l'Internet est un parfait exemple de l'efficacité d'une telle démarche.

La politique, dans la mesure où elle s'impose, devrait s'attacher davantage à la promotion qu'à la protection. J'ai participé aux travaux du comité consultatif sur l'autoroute de l'information et j'ai siégé à deux de ses comités d'orientation, celui sur l'Internet de même que celui sur le contenu canadien et l'identité culturelle. Leurs membres en sont venus à une même conclusion, à savoir que nous devons accorder plus d'importance à la promotion qu'à la protection.

La politique doit refléter les nouvelles caractéristiques des nouveaux médias et c'est là-dessus que je vais insister pour le reste de l'exposé, étant donné qu'il s'agit de la conclusion fondamentale.

Enfin, la certitude du marché reste un critère de succès primordial. Nous estimons qu'il est impossible de continuer dans un environnement incertain et nous attendre que le Canada s'épanouisse dans la société de l'information.

La dernière moitié du document traite de la voie que nous devrions prendre. J'ai sauté par-dessus les premiers chapitres.

Essentiellement, nous expliquons que les services de radiodiffusion traditionnels sont différents de ce que nous appelons les services des nouveaux médias en ce sens qu'ils attirent et influencent un grand groupe, qu'ils sont unidirectionnels et à horaire fixe. Il s'agit d'une technologie de type automatique. Le problème c'est que, la capacité des canaux -- la télévision par câble ou les ondes -- et la clientèle -- le Canada -- étant limitées, les coûts de production doivent être élevés si l'on veut attirer cette clientèle limitée.

Par contre, les services des nouveaux médias ou les services de type Internet sont à la demande, transactionnels, bidirectionnels et sans horaire. On parle d'une technologie à la demande plutôt que de type automatique. La capacité des canaux qu'ils offrent est illimitée. Il existe un canal pour chaque utilisateur d'Internet, à la différence de la télévision. Comme les nouveaux médias ont tous la même base globale de clients, ils peuvent offrir un large éventail de contenus et de services à un prix abordable.

Jerry Miller, qui a présidé le comité d'orientation sur l'Internet, a dit, à la dernière réunion de jeudi et vendredi du CCAI, qu'il avait effectué une recherche sur le Canada simplement pour voir ce qui se passerait et qu'il avait obtenu des millions d'occurrences. La présence canadienne est énorme sur l'Internet et nous croyons que cela est dû à ces caractéristiques différentes.

Cela m'amène au modèle qui, à notre avis, est probablement une approche viable. Je ne parlerai pas de la radiodiffusion traditionnelle parce que je suis convaincu que vous la connaissez tout autant que moi ou que vous êtes peut-être encore plus au courant de ce à quoi ressemble le modèle de radiodiffusion traditionnel. Ses aspects particuliers qui nous intéressent pour notre étude étaient l'attribution des licences, la propriété étrangère, le contenu canadien et les dépenses s'y rapportant.

Nous avons conclu dans notre étude que les services interactifs offerts par les nouveaux médias, en raison de leurs caractéristiques différentes, devraient faire l'objet d'une politique différente. Nous avons également conclu qu'il existe deux types de services offerts par les nouveaux médias: ceux que nous appelons les services de transition et ceux qui seront au bout du compte les services des nouveaux médias. Les services de transition demeurent interactifs mais sont assurés par les moyens de distribution traditionnels comme la câblodistribution.

Par exemple, le service de films à la carte offert par les services de câblodistribution relèverait de cette catégorie. Comme ils présentent certaines caractéristiques de l'ancien monde et du nouveau monde, c'est-à-dire un nombre limité de canaux sur le câble ou les ondes et un auditoire limité, nous croyons que certaines des caractéristiques qui s'appliquent à la radiodiffusion traditionnelle pourraient s'appliquer dans leur cas. Nous proposons soit d'accorder une licence à ces services, soit de les exempter, selon le service. Il pourrait être logique dans ce cas de limiter le contrôle étranger. On pourrait exiger plus de linéarité de ce type de services et leur demander de contribuer à un fonds de production des nouveaux médias.

Cependant, une fois qu'un service est disponible sur un réseau mondial comme Internet, nous considérons que si vous imposez des exigences aux fournisseurs de services canadiens dans un tel environnement, vous les défavorisez lorsqu'il s'agit de fournir un service d'envergure essentiellement mondiale. Si on demande aux fournisseurs de services canadiens d'avoir une licence ou on leur impose une réglementation en matière de contenu, cela les rendra moins concurrentiels par rapport aux fournisseurs d'autres pays car les internautes ne s'intéressent pas forcément à la provenance de l'information.

Notre autre réserve, c'est que si on impose de trop nombreuses obligations à des fournisseurs canadiens, ils se retireront des affaires parce qu'ils ne sont pas concurrentiels ou ils seront obligés d'aller s'installer dans des pays où ils n'ont pas les mêmes restrictions.

Nous avons donc conclu que pour un certain nombre de raisons, que nous exposons d'ailleurs de façon plus détaillée dans le mémoire, il est impossible d'invoquer la politique de radiodiffusion pour réglementer efficacement des services transactionnels complètement interactifs offerts sur des réseaux en direct. Le comité consultatif sur l'autoroute de l'information, dans l'une de ses recommandations, est arrivé à la même conclusion et a essentiellement mis en doute l'efficacité d'appliquer à Internet la réglementation qui régit la radiodiffusion en ce qui concerne le contenu canadien.

Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente: Quel est le délai prévu pour passer des services transitoires aux nouveaux médias, en fonction de votre expérience avec la compagnie et de votre analyse?

M. Warner: Les services dits de transition sont surtout ceux qui ont de très fortes exigences au niveau de la largeur de bande. Ils ont besoin de capacités qui n'existent pas à l'heure actuelle sur des services comme Internet. Les films à la carte en sont un exemple. Je n'ai pas de boule de cristal mais peut-être dans dix ans, il sera possible de télécharger un film sur Internet.

À mon avis, télécharger un film sur Internet s'apparente beaucoup plus à la location d'un film dans un magasin vidéo qu'à son visionnement à la télévision. C'est l'utilisateur final qui doit en prendre l'initiative. C'est un service qu'il devrait payer. Personne n'offrira gratuitement des services ayant une valeur commerciale sur Internet.

Le sénateur Spivak: C'est le cas maintenant. Dans l'ensemble, les services sont gratuits sur Internet. Si un service est payant, on ne l'achète pas.

Je ne comprends pas pourquoi vous considérez Internet comme un véhicule strictement commercial alors que sa vocation au départ n'était pas commerciale et que le marché a dû s'adapter à Internet et non l'inverse. Il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'une initiative commerciale viable mais beaucoup de choses sur Internet sont gratuites. C'est de cette façon qu'Internet s'est développé. Il s'est développé sous la forme de réseaux d'ordinateurs. Nous ne savons pas encore si l'idée de mettre des films sur l'Internet fonctionnera.

Pourquoi pensez-vous que les gens utiliseront Internet plutôt que le service de télévision à la carte s'ils doivent payer ce service? Quel en est l'avantage?

M. Warner: Ce n'est absolument pas ce que je pense. Je ne considère pas qu'Internet remplacera quoi que ce soit; c'est simplement un autre véhicule. Je me rappelle qu'au moment où les magnétoscopes sont arrivés sur le marché, l'industrie du cinéma craignait beaucoup que les films vidéos remplacent l'industrie cinématographique.

Le sénateur Spivak: C'est exact.

M. Warner: Il en a résulté plutôt une toute nouvelle industrie. Le gros des recettes de l'industrie cinématographique provient des ventes et des locations de bandes vidéo. À mon avis, la situation est très semblable en ce qui concerne Internet. C'est un autre moyen dont disposeront ceux qui auront quelque chose à vendre, à louer ou à donner. Beaucoup de choses sont gratuites à l'heure actuelle sur Internet, mais dans l'ensemble ce sont des choses qui n'ont pas grande valeur. En règle générale, les produits vendus ailleurs ne sont pas gratuits sur Internet.

Mme Aly est notre spécialiste du commerce électronique.

Le sénateur Spivak: On lit toutes sortes de choses et il semble que l'industrie demeure sceptique à propos du genre de recettes que peut produire Internet. Je me demande quelle en est la raison. Je suis sûre que tout est exploitable, mais j'imagine que ce doit être à cause de la façon dont Internet s'est développé.

Mme Aly: C'est certainement un facteur et vous avez fait remarquer avec raison qu'à ses débuts, Internet s'appelait Arpanet et s'adressait surtout aux universitaires, et dans le milieu universitaire, on a pour principe de donner et d'échanger librement l'information. Un autre facteur, c'est que sur le plan de l'accès direct, au fur et à mesure que des services étaient ajoutés à l'Internet, la technologie ne permettait pas alors de vendre des produits. La technologie est en train d'évoluer si rapidement que ceux qui possèdent de l'information, que ce soit un court article, ou toutes sortes de rapports, comme Statistique Canada, sont en mesure de les vendre. Pour l'instant, tout ce qu'ils peuvent faire, c'est les fournir gratuitement.

Le modèle commercial le plus répandu pour les données textuelles est de deux types. Vous pouvez vous abonner à un site web sur une base annuelle ou, si vous êtes relié à un réseau d'information en direct comme Infoglobe Services ou Lexus Nexus, vous payez selon la durée de liaison. La technologie qui s'annonce -- IBM est en train de la mettre au point et je suis sûre qu'un certain nombre d'autres organisations évoluent en ce sens également -- permet de mettre l'information numérique que vous avez conçue vous-même dans une enveloppe et de la vendre.

La présidente: Pouvez-vous nous donner plus de précisions à ce sujet?

Mme Aly: À l'heure actuelle, si un journal voulait être publié sur Internet, il aurait de la difficulté à le vendre sur Internet de manière à faire de l'argent. Donc, pour vous abonner à son site Web, pour pouvoir consulter plus que la première page, vous devez payer des frais d'abonnement. Les frais d'abonnement vous donnent accès normalement à tout le contenu du site web. Tout comme quand vous achetez un journal et vous voulez lire uniquement la page des affaires, vous devez acheter tout le journal. La technologie s'améliorera et vous permettra de n'acheter que l'article que vous voulez lire, grâce à une technologie comme les cryptolopes, mise au point par IBM.

Pour ce qui est de savoir quel est l'avenir de cette technologie et pourquoi elle n'est pas plus répandue, nous considérons qu'il s'agit d'une autre option. Auparavant, on ne pouvait faire ses transactions bancaires qu'à la banque. Aujourd'hui, on s'attend à ce que la banque offre des services automatisés. Choisiriez-vous une banque qui n'offre pas de guichet automatique? Choisiriez-vous une banque qui ne vous donne pas de carte vous permettant de retirer de l'argent? C'est tout simplement une autre option.

Le sénateur Spivak: C'est tout à fait évident. Je comprends les utilisations commerciales d'Internet pour les gens qui sont en affaires.

Mme Aly: Oui.

Le sénateur Spivak: Je ne suis pas sûre s'ils savent exactement comment contourner le fait que les gens peuvent voyager sur Internet et si la technologie évoluera au point où il sera impossible d'aller plus loin à moins de payer.

Mme Aly: C'est exact.

Le sénateur Spivak: J'aimerais aborder les liens entre l'aspect commercial et l'aspect culturel et le fait que tout soit dicté par les forces du marché. À mon avis, il devrait exister une bibliothèque publique, peu importe comment on y accède, sur Internet. Ce service devrait être gratuit. C'est une initiative que doit prendre une société collective.

La même chose vaut pour l'ensemble de la culture. Il me semble que nous devons continuer, peu importe la technologie qui existera, à assurer notre survie comme pays, et nous ne survivrons comme pays que si nous avons une culture collective dont tout le monde peut constater l'existence. Si tout devient homogène et confus -- ce qui est d'ailleurs en train de se produire de toute façon; il existe de nombreuses forces centrifuges -- notre pays disparaîtra.

Je dois avouer que je ne suis pas partisane de laisser le marché dicter les aspects commerciaux et culturels et de considérer que c'est la voie de l'avenir parce que la technologie nous empêchera d'agir autrement. Je ne le crois pas. Si on regarde toutes les nouvelles technologies qui ont vu le jour, les Canadiens ont réussi jusqu'à présent à s'en ménager une petite partie. Ils ne se sont pas débrouillés aussi bien qu'ils l'auraient pu. Cependant, lorsqu'ils s'attellent à la tâche et y consacrent les fonds nécessaires, ils sont dans la course et c'est surtout grâce au financement public et non pas parce que le marché a soutenu leur initiative. Je ne suis pas d'accord avec vos conclusions fondamentales. Malheureusement, je dois partir.

La présidente: Nous avions un vote aujourd'hui au Sénat, et je dois dire que cela a vraiment perturbé notre journée.

Le sénateur Spivak: J'ai trouvé votre présentation intéressante et j'aimerais avoir l'occasion de discuter de cette question de façon plus approfondie parce que cela fait partie du problème fondamental avec lequel nous sommes aux prises.

Je comprends très bien la situation du point de vue commercial. La plupart des entreprises ne pourraient pas exister et ne pourront pas exister à moins d'avoir un accès direct, mais la culture est une chose tout à fait différente. Veuillez m'excuser; je dois partir.

Mme Aly: Le sénateur Spivak vient de présenter un argument excellent. Le fait est qu'on peut continuer si l'on veut à fournir gratuitement de l'information sur Internet. En fait, on facilite vraiment la vie aux Canadiens en général en mettant de l'information sur Internet.

J'ai eu l'occasion de le constater personnellement. Ma fille a récemment dû préparer un rapport sur les artistes canadiens. Nous avons eu recours aux moyens habituels. Nous sommes allées à la bibliothèque publique, l'une des plus grandes bibliothèques de Toronto, et nous n'avons réussi qu'à trouver deux livres sur les artistes canadiens et ils n'étaient malheureusement pas disponibles ou déjà sortis. Nous sommes allées sur Internet et en 30 minutes nous avons trouvé tous les artistes que nous cherchions -- c'est-à-dire les sites web et l'information dont elle avait besoin pour préparer son projet.

Ce n'est pas parce qu'il y aura une importante composante commerciale sur Internet qu'il n'y aura pas de place aussi pour de l'information publique.

M. Warner: Je suis tout à fait d'accord avec ma collègue. Il y aura différents types de contenu sur Internet. Ils existent déjà. À cause de ses caractéristiques, Internet est si abordable que n'importe qui peut s'en servir pour présenter de l'information.

On y trouve une abondance d'informations importantes sur le plan culturel. Le gouvernement a de nombreux programmes. Grâce au programme Réseau scolaire, comme vous le savez, chaque école et bibliothèque au pays seront accessibles en direct d'ici la fin de l'année. On y trouve une abondance d'informations. Il y aura beaucoup d'informations commerciales mais aussi de l'information gratuite. Le gouvernement, comme tout le monde, s'est rendu compte qu'il peut en fait économiser de l'argent en offrant de l'information sur Internet, de l'information qui était fournie auparavant par des employés au téléphone ou dans des bureaux.

La même chose vaut pour le contenu commercial. Nous avions énormément de gens chargés de répondre aux appels téléphoniques de personnes qui disaient: «Mon ordinateur fait cela» ou «Comment puis-je régler ce problème?» Toute cette information se trouve maintenant sur Internet et est disponible gratuitement parce qu'elle permet aux entreprises qui mettent cette information sur Internet d'économiser de l'argent de cette façon.

Le contenu varie énormément. La conclusion à laquelle nous sommes arrivés -- et comme je l'ai dit, mon expérience à IHAC m'a amené à faire la même constatation -- c'est qu'en raison de ses caractéristiques différentes, la meilleure façon de favoriser le contenu canadien consiste à en faire la promotion. Nous n'insinuons d'aucune façon qu'il ne devrait pas exister de mécanisme pour promouvoir le contenu canadien. Les institutions culturelles fédérales devraient se voir offrir les moyens de faire connaître leurs activités sur Internet. Un programme absolument épatant d'Industrie Canada offre aux étudiants la possibilité de créer des pages web pour y présenter de l'information à caractère culturel. Ils ont un emploi d'été, on met à leur disposition le matériel dont ils ont besoin et ils créent des pages web qui présentent de l'information à caractère culturel.

Ce genre d'initiatives est absolument formidable pour la création de contenus culturels sur Internet mais ce sont des mécanismes de promotion et non de protection.

Mme Aly: Il est également formidable de constater la vaste portée d'Internet. Des enfants qui vivent dans des régions éloignées du Canada ont accès au même type d'informations qui seraient normalement réservées aux enfants des villes qui ont accès à une grande bibliothèque. De plus en plus, les gens reconnaissent cet avantage. Il suffit de voir ce qui a été fait pour la bibliothèque du Vatican. On peut maintenant visiter cette très précieuse bibliothèque, dont les manuscrits et les documents historiques n'étaient accessibles qu'à de rares personnes, parce qu'on ne pouvait simplement pas se permettre de laisser les gens les consulter. Les bibliothèques, partout au Canada, sont en train, de reconnaître ces possibilités. Elles mettront, elles aussi, leur contenu sur Internet, et il sera accessible à tous. On ne courra plus le risque que le livre qu'on veut consulter soit sorti. Il sera accessible à tous les enfants et à tous les citoyens du Canada.

En ce qui concerne l'information gouvernementale, pour compléter ce que M. Warner a dit, le site de Revenu Canada est l'un de ceux qui reçoivent le plus d'éloges. Les citoyens du Canada apprécient l'initiative prise par Revenu Canada, à savoir mettre ses formulaires sur Internet. Dans le secteur privé, on entend souvent parler de ce site.

M. Warner: Y a-t-il une initiative plus importante sur le plan culturel que celle-là?

La présidente: Monsieur Warner, vous avez mentionné que dans une dizaine d'années, les gens pourront télécharger un film à partir d'Internet moyennant un certain coût. Vous avez parlé d'un système que IBM a mis au point pour percevoir le paiement du film. Je n'ai pas très bien compris. Pourriez-vous nous donner plus de précisions?

M. Warner: J'ai parlé de dix ans, mais ce n'est qu'une supposition de ma part. Je n'en sais pas plus que vous. Cela dépendra des limites de la conception du réseau même -- c'est-à-dire sa taille, la rapidité des lignes d'accès local, la capacité du réseau et ce genre de choses. Je ne suis pas sûr que cela aura lieu exactement dans dix ans.

Le mécanisme de facturation est un autre aspect. Autrement dit, une fois que l'on possède la capacité technologique pour faire ce genre de choses, il faut prévoir un mécanisme qui permet de s'assurer que les propriétaires du produit reçoivent leur dû pour le produit qui est téléchargé. Nous appelons cela la technologie cryptolope. «Cryptographie» et «enveloppe», ensemble, créent le mot «cryptolope.». Cette technologie vous permet de prendre votre matériel numérique, qu'il s'agisse d'un film ou de la recette de la tarte aux pommes de votre mère, et de les mettre dans cette enveloppe chiffrée. N'importe qui peut télécharger l'enveloppe, mais il faut payer pour l'ouvrir. Vous pouvez également la transmettre à quelqu'un d'autre, mais il doit payer pour l'ouvrir.

Les propriétaires qui veulent être dédommagés pour l'utilisation de leurs produits peuvent moduler ceux-ci comme ils veulent. Ils peuvent utiliser des aide-mémoire qui disent: «Téléchargez cette enveloppe, et vous allez découvrir les secrets du monde.» Une fois l'enveloppe téléchargée, le message dit ensuite: «Maintenant, pour 59 cents, vous pouvez l'ouvrir.» Vous pouvez moduler le contenu comme bon vous semble et faire payer les usagers.

La présidente: Comme vous le savez, lorsque vous louez un film par l'entremise de votre câblodistributeur, celui-ci vous facture pour le service. Dans l'exemple que vous venez de donner, comment factureriez-vous ces 59 cents?

Mme Aly: Par carte de crédit.

La présidente: Vous seriez obligé de fournir un numéro de carte de crédit chaque fois que vous voulez louer un film?

Mme Aly: Cela dépendrait du mécanisme utilisé. Certains sites reconnaissent que les gens veulent acheter des produits à l'unité, comme des colonnes de journaux. Il s'agit encore d'une technologie naissante. La transaction doit être payée au moyen d'une carte de crédit.

La présidente: Nous avons, au cours de nos discussions, abordé entre autres la question de la protection de la vie privée, même si nous n'avons fait qu'effleurer le sujet. Comment pouvons-nous faire en sorte qu'il n'y ait pas de problèmes de ce côté-là?

Mme Aly: Je ne crois pas que nous puissions dire, pour l'instant, que cette question ne posera pas de problèmes. Il est vrai qu'il est possible, avec l'Internet, de rassembler toute une foule de données sur un consommateur.

La présidente: Je parlais plus précisément de la confidentialité du numéro de carte de crédit.

Mme Aly: Nous avons pris plusieurs mesures à cet égard. Les mesures de sécurité qui sont maintenant en place -- les SSL et SHTTP --, vous accordent le même degré de protection que celui qui existe pour la carte de crédit. Vous bénéficiez du même degré de protection que vous avez lorsque vous effectuez des achats avec votre carte de crédit.

Plusieurs organismes ont effectué des transactions sur l'Internet l'année dernière. Prenons l'exemple du site des Jeux olympiques, un site que la compagnie IBM a créé pour le comité organisateur. Nous avons vendu pour plus de 5,5 millions de dollars de billets et d'articles divers. Toutes ces transactions ont été payées par carte de crédit.

Toutefois, je vois, d'après votre question, que le consommateur hésite encore à fournir son numéro de carte de crédit sur l'Internet. Si les gens pensent qu'il y a un problème à ce chapitre, c'est qu'il y en a un. Par conséquent, Microsoft, Visa, MasterCard, IBM et d'autres compagnies ont établi un nouveau protocole intitulé «transactions électroniques protégées», qui sera mis en oeuvre d'ici le milieu et la fin de l'année.

J'ai présenté un exposé lors d'une conférence qui a eu lieu il y a une semaine et demi, et le vice-président exécutif de Visa a déclaré, «Lorsque les mesures applicables aux transactions électroniques protégées seront mises en place, la confidentialité de votre numéro de carte de crédit sur Internet sera assurée.» Un organisme de certification fournira un code numérique à la banque pour approuver la transaction. La banque fournira un code numérique à un magasin comme Eaton et dira, «Vous êtes le magasin Eaton». Ils vont également donner un code numérique aux clients. Si le client décide qu'il veut faire affaire avec le magasin Eaton, les ordinateurs communiqueront entre eux et vérifieront les codes.

Mais quelque chose de plus important encore va se produire, quelque chose qui n'existe pas dans le monde aujourd'hui. Lorsqu'un client commande cinq articles chez Eaton, le magasin ne regarde que les articles, pas le numéro de carte de crédit. Le numéro sera automatiquement transmis à la banque. La banque est la seule qui verra le numéro de carte de crédit. Ce genre de mesure de sauvegarde n'existe pas aujourd'hui. Trois projets pilotes ont déjà été lancés: un en Belgique, un au Japon et un autre dans une ville dont le nom n'a pas été dévoilé. Les deux premiers projets concernaient les cartes Visa et MasterCard.

Une fois que la technologie sera mise en place à la fin de l'année, les vannes vont s'ouvrir. L'Internet a effectué pour environ 0,5 milliard de dollars de transactions l'année dernière. Ce montant est peu élevé, mais fort intéressant. Nous pourrions, en tant que Canadiens, jouer un rôle de premier plan dans ce domaine, une fois la technologie disponible.

La présidente: Comment?

Mme Aly: De nombreuses entreprises dynamiques sont situées au Canada. L.L. Bean l'est un de nos clients. La compagnie américaine a décidé, l'année dernière, de diffuser son catalogue sur Internet. Elle a reçu de nombreuses commandes. Elle ne s'attendait jamais à recevoir 20 p. 100 de ses commandes du Japon.

Une entreprise canadienne pourrait avoir à peu près le même budget publicitaire qu'un grand conglomérat américain. J'ai entendu parler à la télé d'un petit hôtel qui est situé dans la région de la baie de Fundy. Les propriétaires n'ont jamais eu les moyens de faire de la publicité ailleurs que dans les journaux locaux. Leur hôtel n'est pas le Hilton ou l'Intercontinental. Ils ont créé un site web.

La présidente: Vous êtes en train de parler de systèmes de soutien. Pour que le Canada joue un rôle de premier plan dans ce domaine, il faut que les gouvernements fournissent aux entreprises une aide financière pour qu'elles puissent préparer l'information, la faire traduire, choisir le mode de présentation et la diffuser sur les sites web. C'est ce que vous dites?

Mme Aly: Il faudrait également indiquer aux entreprises comment créer un site Internet. Ce serait fantastique si elles pouvaient aussi bénéficier d'une aide financière.

La présidente: M. Warner a parlé d'emplois d'été et d'Industrie Canada. Un étudiant peut être embauché pour préparer des fiches d'information à caractère culturel pour les sites web. L'étudiant établirait des contacts avec une institution ou un artiste. C'est ce que j'entends par jouer un rôle de premier plan.

Mme Aly: C'est un aspect. Nous pouvons également faire en sorte que le monde sache comment entrer en contact avec nous.

Le Japon fait paraître des annonces dans les journaux depuis un bon moment déjà. Leurs annonces disent: «Si vous voulez transiger avec le Japon, voici une liste de tous les sites web.» Si quelqu'un veut transiger avec le Japon, il n'est pas nécessaire qu'il se rende au consulat du Japon au Canada. Ils peuvent vous dire où obtenir des renseignements sur les industries manufacturières, les projets de recherche et développement, ainsi de suite.

De nombreux pays ont imité le Japon et font paraître des annonces dans nos journaux et ailleurs. Nous devons faire ce genre de démarche pour nous préparer.

La présidente: Nous devons indiquer aux autres pays comment communiquer avec nous.

Mme Aly: Absolument. Comment une personne dans un pays du tiers monde peut-elle acheter des produits du Canada? Si elle avait accès à Internet, elle pourrait obtenir tous les renseignements nécessaires.

M. Warner: La principale idée qui se dégage de notre document d'étude, c'est que nous avons besoin d'un cadre d'action bien défini. Les gens n'investiront pas dans un endroit si les règles ne sont pas clairement établies.

La présidente: Nous l'avons bien compris dans le cas des secteurs industriel et culturel.

Les prix sur l'Internet seront-ils concurrentiels?

Mme Aly: Si vous faites allusion au prix des biens et services, la question est intéressante. Le marché est maintenant mondialisé. Nous conseillons nos clients là-dessus. Jusqu'à maintenant, certaines compagnies internationales fixaient un prix pour le Canada, et un autre pour les États-Unis. Nous savons tous que les produits sont moins chers à Buffalo. Ces compagnies vont maintenant être obligées de bien gérer leurs prix.

Cela aura un impact sur les prix, parce qu'il sera plus facile pour les gens de déterminer combien coûte tel produit dans tel pays. Il y aura un impact, mais nous n'avons encore rien vu de concret jusqu'ici.

M. Warner: Supposons, par exemple, que vous aurez, d'ici dix ans, la possibilité de louer un film en le téléchargeant sur l'Internet. Si votre devez payer 2,99 $ pour louer le film de votre magasin vidéo local, que vous en coûterait-il pour le télécharger à partir de l'Internet? Peut-être 1,99 $, parce que ce serait plus économique pour eux de le télécharger, ou peut-être 3,99 $, parce que ce serait plus pratique pour vous de le télécharger.

Mme Aly: J'ai pris part à des discussions où les banques se sont fait poser la question suivante: «Si nous effectuons des transactions avec votre banque par le biais de l'Internet, vos coûts vont manifestement baisser. Est-ce que le client va pouvoir en profiter?» Certaines banques ont reconnu que: «Oui, il est plus économique pour nous de travailler sur l'Internet, sauf que nous n'avons pas encore l'intention de fermer nos filiales; la structure principale va rester en place.» Toutefois, certaines institutions vont accorder des réductions aux clients qui effectuent des transactions bancaires sur l'Internet.

La présidente: Ma question suivante porte sur les habitudes d'achat des consommateurs. Hier soir, le comité sénatorial permanent des transports et des communications s'est réuni. Un des témoins a fait un commentaire très intéressant. Au fur et à mesure que nous entrons dans le monde numérique et que nous permettons au client de choisir les services qui l'intéressent au moyen du menu individuel, il semblerait, d'après les études de marché qui ont été réalisées, que les Canadiens et les Américains voudraient encore avoir la possibilité d'acheter des articles en vrac. Autrement dit, au lieu d'acheter une boîte de céréales grand format, ils voudraient encore avoir la possibilité d'acheter 12 boîtes petit format. Ils ont ainsi plus de choix; c'est aussi plus facile et plus rapide. Que vous indiquent vos études de marché?

Mme Aly: Je n'ai peut-être pas bien saisi la question. S'ils voulaient acheter des articles en vrac, ils pourraient toujours le faire sur l'Internet. S'ils voulaient acheter 12 boîtes de céréales petit format au lieu d'une boîte grand format, ils n'auraient qu'à aller sur le site web de l'épicerie en question et à acheter le produit.

M. Warner: Prenons l'exemple où nous pouvons soit acheter un livre sur les soins à domicile, qui est très volumineux, soit acheter tout simplement le remède qui permettra de guérir le mal. Nous avons parlé récemment à une maison d'édition canadienne qui publie un tel ouvrage. Ce genre d'application convient parfaitement à un réseau en ligne comme Internet parce que c'est exactement le genre de chose que vous pouvez faire. Au lieu d'acheter le livre et de fouiller dans celui-ci pour trouver ce que vous voulez, vous pouvez aller dans l'Internet, faire vos recherches et payer uniquement pour les renseignements qui vous intéressent au lieu de débourser 39,95 $ pour le livre.

La présidente: Ma question ne porte pas uniquement sur l'Internet. Je sais que la société IBM investit beaucoup d'argent dans les études de marché. Il me tardait de vous rencontrer pour connaître les conclusions de vos propres études sur les habitudes d'achat des Nord-Américains. On remarque sans doute des tendances dans tous les domaines.

Mme Aly: Les gens aiment bien acheter en vrac. Ils peuvent le faire avec Internet.

Par exemple, si vous vouliez acheter une robe ou un ensemble au moyen de l'Internet, vous pourriez, dans le cadre de la même opération, dire: «Maintenant, montrez-moi six paires de chaussures qui vont avec la robe, la ceinture, la chemise, ainsi de suite», et vous pourriez avoir un ensemble.

M. Warner: Six paires de chaussures?

Mme Aly: On vous montre six paires de chaussures, et vous en choisissez une. Personnellement, je les prendrais toutes.

Des études ont sûrement été effectuées là-dessus, mais nous n'avons pas, pour l'instant, la réponse à cette question.

La présidente: Avez-vous d'autres renseignements qui pourraient aider le comité à préparer son rapport préliminaire?

Mme Aly: Nous parlons des aspects commerciaux et culturels de l'Internet, mais celui-ci comporte également un aspect très humain. Tout le monde a accès aux mêmes renseignements.

Une de mes amies a subi une hystérectomie à l'âge de 26 ans. À la suite de son intervention, elle s'est retrouvée avec une incontinence d'urine, et on lui a dit qu'elle serait obligée de porter un sac et de prendre des antibiotiques pour le restant de ses jours. Ses enfants étaient très jeunes à l'époque. Bien entendu, cette expérience est traumatisante pour n'importe qui, quel que soit l'âge. Toutefois, dans le cas de mon amie, le coup a été très dur. Elle vit à Toronto. Elle a consulté plusieurs médecins pendant trois ans, et tous lui ont dit qu'ils ne pouvaient rien faire pour l'aider.

Son mari a consulté l'Internet l'année dernière. Il est allé d'un site web à l'autre et en a trouvé un, en moins d'une heure, qui décrivait de façon précise l'état de son épouse. Le site web, en passant, avait été créé par un médecin qui avait mis au point une intervention pilote pour cette affection.

Si cette histoire avait fait l'objet d'un film, ce médecin se serait retrouvé en Russie ou en Angleterre et on aurait organisé une levée de fonds pour envoyer mon amie là-bas. Dans ce cas-ci, le médecin habitait à 3 milles de leur domicile.

Ils n'avaient jamais eu accès à ces renseignements ou n'avaient jamais eu la possibilité de prendre une décision parce que les médecins qu'ils avaient consultés ne croyaient pas vraiment au succès de cette intervention. Elle est allée voir ce médecin et a subi l'opération au mois d'août. Depuis septembre, elle mène une vie normale, comme tous les gens ici présents dans cette pièce.

Les gens peuvent proposer des solutions et fournir des renseignements qui auront pour effet d'uniformiser les règles du jeu pour le simple citoyen. Je ne sais pas si vous avez vu le film Lorenzo's Oil, mais les parents ont passé six mois dans diverses bibliothèques pour essayer de trouver des solutions au problème de leur fils. Ici, en moins d'une heure, ils avaient trouvé des réponses en effectuant quelques recherches. Il y a donc un volet humain à l'Internet.

La présidente: Nous pourrions utiliser cette histoire dans notre rapport préliminaire.

Mme Aly: Je me ferai un plaisir de vous en fournir les détails, si vous le désirez.

La présidente: Merci beaucoup.

La séance est levée.


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