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DEVC - Comité spécial

La Société de développement du Cap-Breton (spécial)

 

Délibérations du comité sénatorial spécial sur
la Société de développement du Cap-Breton

Fascicule 3 - Témoignages - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 3 juin 1996

Le comité sénatorial spécial sur la Société de développement du Cap-Breton se réunit aujourd'hui, à 14 heures, pour poursuivre son examen du rapport annuel et du plan d'entreprise de la Société de développement du Cap-Breton et d'autres questions connexes.

Le sénateur Bill Rompkey (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous souhaitons la bienvenue aujourd'hui à M. Alfie MacLeod, député provincial de Cape Breton West.

Monsieur MacLeod, je vous invite à faire votre déclaration liminaire, après quoi nous vous poserons quelques questions. Comme vous avez assisté à la séance de ce matin, vous avez sans doute déjà une bonne idée des questions que nous allons vous poser, même si vous n'avez peut-être pas toutes les réponses.

M. Alfie MacLeod, député provincial, Parti progressiste-conservateur de la Nouvelle-Écosse, Cape Breton West: Merci, monsieur le président, de m'avoir invité à m'adresser à votre comité.

En préparant ma comparution, j'ai longuement réfléchi à ce que je devrais vous dire et j'ai finalement décidé qu'il m'appartenait d'abord de bien faire comprendre l'importance du projet qui vous est soumis.

Je dois vous dire en premier que je suis un fier Canadien de la Nouvelle-Écosse, originaire du Cap-Breton. Vous savez sans doute aussi que j'ai l'honneur d'avoir été élu à l'Assemblée législative provinciale pour représenter la circonscription de Cape Breton West. Ce que vous ne savez peut-être pas, c'est que j'étais autrefois un employé de la Société de développement du Cap-Breton, que l'on appelle généralement Devco. Je ne viens donc pas m'adresser à vous aujourd'hui pour une raison en particulier mais, au contraire, parce que je pense qu'il n'y a aucune raison qui pourrait m'empêcher de venir m'exprimer devant vous au nom de tout ce qui m'est cher.

Comme je ne suis pas ingénieur, je ne suis pas qualifié pour juger de la viabilité des hypothèses formulées dans le projet en matière de génie. Comme je ne suis pas non plus spécialiste des finances, je ne peux pas juger de la validité du budget proposé. Par contre, je connais bien l'île du Cap-Breton, ainsi que les travailleurs de la région et leurs capacités. Je sais que chacun d'entre eux a un objectif primordial en tête: préserver l'emploi des Canadiens. Notre objectif précis doit donc être d'assurer la rentabilité économique de Devco.

Vous avez entendu le président du conseil d'administration de Devco, qui a bénéficié d'une analyse indépendante de l'entreprise par la firme Boyd. Vous avez également accueilli M. Stephen Drake, des United Mine Workers of America. Les déclarations que je vais faire aujourd'hui ont été préparées en examinant attentivement ce que vous ont dit ces deux témoins, et aussi ce qu'ont déclaré dans d'autres contextes des employés de Devco, des représentants du syndicat, des représentants de l'entreprise et mes collègues du caucus. C'est en tenant compte de toutes ces informations que je souhaite vous adresser mes recommandations.

Je voudrais tout d'abord parler de l'économie locale. Il est en effet primordial d'envisager le projet dans le contexte global de l'économie du Cap-Breton. Si l'on veut faire preuve d'un optimisme débordant, on peut dire que cette économie est statique. La récession de l'industrie de la pêche et les compressions d'effectifs dans le secteur public, surtout par la fusion de services municipaux et par les coupures budgétaires imposées par le gouvernement provincial aux secteurs de la santé et de l'éducation, ont eu un effet terrible sur l'emploi.

Le taux de chômage du Cap-Breton est passé de 19,8 p. 100 en février 1996 à 23 p. 100 en mars, et il est encore à ce niveau aujourd'hui. Cela correspond à la perte de 4 000 emplois. Il n'y a eu aucune création nette d'emplois au Cap-Breton depuis juin 1993. À l'époque, le nombre total d'emplois dans la région était de 47 000. En mars 1996, il est encore le même. S'il y a eu une légère baisse du taux de chômage depuis 1993, c'est directement attribuable à la baisse du taux de participation à la population active. En juin 1993, ce taux était de 52,2 p. 100; en mars 1996, il était de 49,1 p. 100. Cela veut dire que le nombre de gens du Cap-Breton qui cherchent du travail a diminué. De fait, si l'on tient compte de ce facteur, on aboutit à un taux de chômage réel probablement supérieur à 30 p. 100.

Les chiffres publiés dans le rapport annuel de Devco pour 1993-1994 montrent que la Société a apporté plus de 204 millions de dollars à l'économie du Cap-Breton, dont 45 millions de dollars sous forme d'achat de biens et de services locaux. Dans le rapport annuel de 1995, ces chiffres avaient augmenté considérablement, passant respectivement à 212 millions et 63 millions de dollars. Vous pouvez donc imaginer l'incidence qu'aurait sur l'économie du Cap-Breton la mise à pied de 700 employés de Devco, sur une population active de 61 000 personnes pour toute l'île.

Honorables sénateurs, personne au Cap-Breton ne choisit d'être au chômage. S'il y a des chômeurs, c'est parce que les possibilités d'emploi sont rares. Chaque emploi est important. Je sais que nous prenons tous nos responsabilités au sérieux, sinon nous ne serions pas ici à essayer de trouver une solution à ce problème difficile. Cela dit, nous ne sommes pas les seuls à avoir la responsabilité de faire en sorte que Devco devienne rentable; l'employeur et les employés y sont aussi pour quelque chose.

John Kennedy, président des États-Unis dont la carrière a été tragiquement interrompue, avait l'habitude de citer une phrase de Francis Bacon, le grand philosophe:

En période de trouble et de changement, l'idée que le savoir est un pouvoir est plus vraie que jamais.

Je rappelle cette phrase parce que certains des acteurs du drame de Devco n'ont pas toutes les informations à leur disposition. Ils n'ont pas tout le savoir disponible. Par exemple, certaines parties seulement de l'étude indépendante effectuée par la firme Boyd, l'une des plus réputées au monde dans son domaine, ont été divulguées au public. De même, certaines parties seulement du plan de cinq ans ont été publiées. Que peut-il donc y avoir dans ces documents qui puisse être si préjudiciable qu'on refuse de le publier? Cela place le syndicat et les travailleurs dans une situation extrêmement défavorable étant donné qu'ils ne connaissent pas toutes les conclusions de l'étude indépendante de la firme Boyd.

En outre, en ne publiant pas le plan quinquennal au complet, on donne aux employés le sentiment qu'ils ne sont pas des partenaires égaux dans toute cette affaire. Il faudrait pourtant que toutes les cartes soient sur la table et que toutes les parties concernées aient accès aux mêmes informations. Il faut que l'entreprise se comporte avec une transparence absolue et divulgue toutes les informations concernant son plan de travail.

Il n'y a cependant pas que l'employeur qui ait des responsabilités à cet égard. Les travailleurs en ont aussi. Lors de sa comparution, Stephen Drake, le président du syndicat, a mis l'accent sur la notion de responsabilisation des employés. Hélas, j'ai le sentiment que cette partie de son témoignage n'a pas reçu toute l'attention voulue. Certes, on peut dire que la «responsabilisation des employés» est devenue l'un des clichés des années 1990 et que c'est une mode qui va bientôt disparaître. Prenons cependant la peine de nous y arrêter un instant.

Au début des années 1990, les relations de travail à Devco étaient très tendues et mauvaises. Les syndicats et l'employeur essayaient de se remettre sur pied après la grève de l'été de 1990. Il y avait une profonde méfiance entre toutes les parties. On a fait appel à des experts-conseils pour essayer d'instaurer un meilleur esprit de coopération. Des comités mixtes syndicaux-patronaux ont été mis sur pied pour formuler des recommandations. Toutefois, lorsque ces recommandations ont été divulguées, l'entreprise les a rejetées et a pris des décisions unilatérales qui allaient complètement dans l'autre sens. Vous pouvez imaginer le sentiment de trahison qu'ont ressenti tous ceux qui ont fait partie des comités. Par ses décisions, l'entreprise a rendu tout cet exercice absolument futile et a fait retomber les relations syndicales-patronales dans l'ornière. Cela dit, il n'est jamais trop tard pour essayer de mieux faire. Dans le contexte actuel, aucune entreprise ne peut survivre et réussir si l'employeur et les syndicats n'agissent pas de concert.

Certains d'entre vous êtes peut-être encore sceptiques mais je puis vous garantir que la responsabilisation des employés est un élément crucial du succès de certaines entreprises. Ainsi, des employeurs que nous connaissons tous, comme General Electric, une énorme entreprise fabriquant toutes sortes de produits allant des ampoules électriques à des locomotives géantes, recommandent que le travail soit fondé sur l'esprit d'équipe.

Autre exemple, Avcorp Industries Inc., qui est très semblable à certains égards à Devco. C'est une société de l'industrie aérospatiale qui a deux divisions, une au Québec et l'autre en Colombie-Britannique. Avcorp a une dette de 23 millions de dollars et a perdu de l'argent chaque année de 1989 à 1992. Finalement, elle a mis en place un programme d'amélioration continue du travail qui a transféré le pouvoir de décision du siège social dans les usines mêmes. Aujourd'hui, les travailleurs se réunissent une fois par semaine pour suivre le succès de leurs mesures de compression des coûts et pour en trouver d'autres. En 1994, elle a enregistré une hausse de son chiffre d'affaires de 13 p. 100. Dans le dernier rapport disponible pour 1995, elle indique que son chiffre d'affaires a augmenté de 40 p. 100 pendant le troisième trimestre par rapport à la même période de l'année précédente, et qu'elle a réalisé en neuf mois un profit d'exploitation de 1,4 million de dollars.

Voilà une entreprise qui était en crise mais qui a réussi à obtenir des gains de productivité et de profit parce que le personnel a collaboré avec la direction. Ce type de responsabilisation exige l'engagement total de toutes les parties. D'aucuns affirment que c'est la responsabilisation du personnel qui a permis à de petites entreprises comme Avcorp et à des grandes comme GE de se redresser.

Vous vous demandez peut-être pourquoi je parle tant d'autres entreprises. C'est parce qu'il y a encore un gouffre qui sépare les cadres supérieurs des dirigeants syndicaux à Devco, et que seul le principe de la responsabilisation les amènera à agir ensemble pour assurer la survie de l'entreprise. Le PDG de Devco a déclaré que son objectif immédiat est de trouver la bonne équipe de gestion pour l'entreprise et d'établir de meilleures relations avec la Nova Scotia Power. Tout cela est bel et bien, mais à condition que l'entreprise ne retombe pas dans ses anciens travers. Il faut maintenant aller de l'avant et emprunter aux entreprises qui ont réussi les méthodes qui le leur ont permis, l'une d'entre elles étant la responsabilisation du personnel. L'instauration d'un véritable partenariat entre les employés et l'employeur sera peut-être bien l'élément déterminant du succès ou de l'échec de Devco et, par conséquent, de la survie ou de l'effondrement de l'économie du Cap-Breton. Il ne faut donc pas seulement que l'employeur et les syndicats disent qu'ils vont coopérer, il faut absolument qu'ils le fassent.

Bien que je ne veuille pas faire de comparaisons simplistes pour traiter de problèmes qui sont très sérieux, je ne puis m'empêcher de penser que nous sommes sur le point de mettre tous nos oeufs dans le même panier. Je lis en effet dans le rapport Boyd:

[...] il est très peu probable que Donkin puisse être exploitée selon des critères commerciaux aux niveaux de production actuels, à cause de ces facteurs: énormité des investissements requis, longs délais, données douteuses sur les réserves, qualité inférieure du charbon, etc.

Et plus loin:

[...] les spéculations sur l'ouverture d'une nouvelle mine ne font que détourner l'attention du problème crucial qui consiste à rendre Devco commercialement viable dans l'immédiat.

Je conteste ces deux affirmations. En ce qui concerne l'ouverture de la mine Donkin, je n'aurais aucune difficulté à vous fournir six opinions différentes de celle du rapport Boyd. Hélas, du fait de ce rapport, on semble avoir complètement renoncé à la mine Donkin, ce que nous ne pouvons laisser faire. En effet, Donkin fait partie de la solution.

Songez simplement que le dimanche 26 mai, il y a à peine une semaine, il a fallu interrompre les activités à la mine Phelan à cause de problèmes d'inondation. La face 2 de l'est a été fermée de 10 h 30 à minuit. Je n'ai pas à vous dire quel effet aurait une inondation catastrophique à Phelan. C'est tout le plan d'entreprise de Devco qui serait noyé.

Certes, on peut mettre en oeuvre les recommandations formulées dans le plan de cinq ans, mais on doit aussi poursuivre l'étude de la viabilité de Donkin. On ne peut s'en remettre à Phalen pour garantir le succès du plan.

Mon autre préoccupation concerne le fait que Devco n'a qu'un seul client important, NSP. Or, comme je le disais tout à l'heure, nous n'avons pas toutes les informations nécessaires pour juger de la validité du plan. En effet, nous ne connaissons même pas les détails de prix et de quantité de la nouvelle entente récemment négociée par Devco avec NSP.

Selon les auteurs de l'Annuaire canadien de l'industrie minière de 1994, le commerce mondial du charbon devrait se raffermir du fait de l'amélioration générale de l'économie de nombreux pays. L'Union européenne, qui est géographiquement proche de la Nouvelle-Écosse, représente plus du quart des importations mondiales de charbon dur et l'on s'attend à ce que ses besoins augmentent. À nous de faire notre travail pour élargir notre clientèle. Et nous avons là, me semble-t-il, un nouveau client littéralement à portée de main.

Qu'est-ce que cela veut dire? Le premier problème est que nous avons mis tous nos oeufs dans le panier de Phalen. De ce fait, l'effondrement d'un plafond de la mine ou une inondation catastrophique provoquerait l'échec du plan.

Je recommande en conséquence que l'on entreprenne la mise en valeur de Donkin lorsque les marchés auront été identifiés. Ce projet pourrait être financé grâce aux liquidités d'exploitation si le gouvernement fédéral assumait le passif de l'entreprise en matière de pensions de retraite et de mesures environnementales. De toute façon, si Devco devait fermer, ce passif deviendrait immédiatement la responsabilité complète du gouvernement fédéral. Celui-ci devrait donc l'assumer dès maintenant pour donner à Devco la possibilité de devenir rentable et, à terme, de se développer.

Le deuxième problème est qu'il n'y a qu'un seul client, NSP. Si celui-ci choisit un autre fournisseur, ce sera l'échec du plan.

Je recommande en conséquence que l'on fasse tout le nécessaire pour accroître les exportations de Devco.

Le troisième problème est que le plan échouera si les syndicats et la direction de l'entreprise ne parviennent pas à tirer un trait sur le passé et à envisager l'avenir dans un esprit de collaboration.

Je rappelle à ce sujet que le président du syndicat a proposé des concessions et un plan qui garantiraient le succès à long terme de l'entreprise. Ma recommandation est que les deux parties prennent l'engagement de collaborer pour assurer le succès de Devco.

Le quatrième problème est que la direction de l'entreprise ne fait preuve d'aucune transparence et ne partage pas toutes les informations dont elle dispose.

Si le plan actuel ne suscite pas la confiance, son échec est inévitable. L'échange d'informations doit donc devenir la norme à Devco, afin que tous les participants soient sur un pied d'égalité.

Nous pouvons et devons prendre les mesures ci-dessus pour garantir que nous aurons fait tout notre possible pour éviter l'échec. Si Devco est déchargée de ses responsabilités financières en matière d'environnement, elle peut devenir rentable et être un employeur majeur au Cap-Breton.

Ce qui est en jeu ici, ce n'est pas seulement l'économie du Cap-Breton ni l'économie de la Nouvelle-Écosse. Ce qui est en jeu, ce sont les centaines d'hommes, de femmes et d'enfants du Cap-Breton dont l'avenir est menacé. Les gens qui travaillent pour la Société de développement du Cap-Breton ne sont pas que des noms sur des listes de paye. À titre d'ancien employé de Devco, je suis tout à fait sensible aux tensions et aux difficultés que connaît actuellement la population locale. Les gens dont je parle étaient mes collègues de travail. Leur peur est réelle. Je l'ai partagée. Si les gens qui travaillent à Devco avaient la possibilité de comparaître devant votre comité, ils vous diraient que leur problème est grave et qu'il faut trouver une solution d'urgence. Je suis prêt à retrousser mes manches et à collaborer avec toutes les parties pour essayer de trouver une solution productive et efficace.

Honorables sénateurs, joignez-vous à moi en faisant tout votre possible pour trouver une solution au problème de l'île du Cap-Breton.

Le sénateur Murray: Monsieur MacLeod, vous dites que vous avez travaillé à Devco. Dans quel secteur?

M. MacLeod: J'ai commencé ma carrière à Devco. Je suis entré à la division ID, et j'ai ensuite travaillé un certain temps à la mine Prince, au fond. Ensuite, j'ai passé sept ans au service de contrôle de la qualité, comme technicien de laboratoire. De là, je suis devenu coordonnateur des activités de formation en surface, puis coordonnateur de la sécurité des activités de surface.

Le sénateur Murray: C'est une très vaste expérience.

Vous parlez de l'importance des relations de travail. Pourriez-vous jeter un éclairage quelconque sur le problème de l'absentéisme? Il nous semble en effet que l'employeur et le syndicat ne parviennent même pas à s'entendre sur une définition de l'absentéisme.

M. MacLeod: Vous avez posé ce matin une question au sujet des gens qui produisent ces chiffres. J'ai la conviction que certaines des personnes comptabilisées dans les taux d'absentéisme sont des personnes en congé de maladie de longue durée à cause de graves problèmes de santé. C'est ça qui fait monter le taux.

Il y a bien longtemps que le syndicat et l'employeur ne parviennent pas à identifier les problèmes qui causent l'absentéisme.

Le sénateur Murray: À quoi attribuez-vous ce qui semble être un taux d'accidents relativement élevé dans les mines de Devco?

M. MacLeod: Je ne sais pas s'il y a une raison précise à ce phénomène. Le fait est que les mines de charbon sont un milieu de travail dangereux et qu'il est facile d'avoir un accident quand on travaille sous terre dans un milieu humide. D'ailleurs, bien que l'on déclare un nombre élevé d'accidents, il faut préciser que le chiffre des accidents ayant entraîné une perte de temps de travail est différent.

Le sénateur Murray: Cette question, monsieur MacLeod, suscite non seulement des désaccords mais aussi -- et je ne crois pas exagérer en employant ce mot -- une profonde méfiance entre le syndicat et l'employeur. Nous avons ici des représentants de la direction et il est clair qu'ils estiment que certains des employés n'agissent pas de bonne foi au sujet du taux des accidents.

Mon seul commentaire à ce sujet -- puisque vous avez proposé de vous retrousser les manches et de collaborer avec toutes les parties concernées -- est qu'il serait bon que le syndicat et l'employeur finissent par s'entendre sur une définition commune de l'absentéisme, et fassent ensuite un effort concerté pour faire baisser le taux des accidents, si le problème est aussi sérieux qu'on le dit.

Je voudrais vous poser une dernière question concernant votre recommandation que le gouvernement assume le passif de Devco en matière de pensions de retraite et de mesures environnementales. Je dois vous dire que nous avons discuté de cette question, à des degrés divers, avec tous les témoins que nous avons accueillis. D'après vous, où devrait-on fixer la limite? Quelle part de ce passif devrait disparaître du bilan de Devco?

M. MacLeod: Je voudrais d'abord revenir sur ce que vous avez dit au sujet des accidents et du rôle des syndicats. Lorsque j'ai pris l'avion pour venir ici, samedi, il y avait sur l'avion six membres des UMW qui partaient suivre un cours sur la sécurité en Caroline du Sud. Croyez-moi, ce syndicat appuie vigoureusement les mesures de prévention des accidents au sein de l'entreprise. De fait, il lui a fallu faire des efforts auprès de la direction pour qu'elle autorise l'un des coordonnateurs de la sécurité de la mine Phalen à accompagner le groupe. Le syndicat sait bien que les accidents constituent un problème important et il essaie de contribuer à la solution. Cela prendra cependant beaucoup de temps car c'est un problème qui remonte à bien longtemps.

Selon les chiffres que j'ai vus, il me semble que le gouvernement fédéral devrait assumer un passif de 900 millions de dollars si Devco devait fermer ses portes demain. En acceptant d'assumer maintenant une partie du passif résultant des pensions de retraite et d'autres coûts sociaux, Devco pourrait économiser de l'argent tout de suite, ce qui permettrait de la rendre plus rentable. Les employés de l'entreprise n'étaient pas obligés de souscrire à un régime de retraite avant 1982. De ce fait, le passif du régime de retraite s'est accumulé avant cette année-là. Or, c'est un poids considérable pour l'entreprise.

Le sénateur Murray: Le point de départ serait donc 1982?

M. MacLeod: Oui. Il y a eu plusieurs programmes de compression des effectifs depuis 1982, assortis d'offres diverses de retraite anticipée, mais cela n'a fait que créer une économie factice dans l'île du Cap-Breton. Lorsque mon fils aura 20 ans, il ne pourra pas demander une pension de retraite anticipée mais il ne pourra pas non plus demander un emploi à Devco car celle-ci réduira encore ses effectifs.

Le sénateur Buchanan: Je vais parler seulement de la mine Donkin. Je n'ai aucune difficulté avec tout ce que vous avez dit au sujet du rapport Boyd. Toutefois, on nous a dit la semaine dernière que les auteurs du rapport n'avaient consacré que très peu de temps à la mine Donkin, et je ne comprends donc pas comment ils ont pu tirer certaines de leurs conclusions, par exemple au sujet des investissements requis.

Aujourd'hui, vous avez entendu les représentants du vérificateur général, ainsi que d'autres parties, affirmer qu'aucune étude n'avait été effectuée pour évaluer les coûts véritables de l'achèvement de la mine Donkin. Nous le savons tous. Pourtant, on parle dans le rapport Boyd de «dépenses en capital massives». Demandez-leur cependant un chiffre précis et ils vous diront qu'ils n'en savent rien.

On parle aussi dans le rapport de très longs délais. Il est évident pour moi qu'ils ne savent pas de quoi ils parlent. Les délais seraient en fait très courts car les tunnels existent déjà. Pourquoi y aurait-il donc de longs délais?

On parle aussi dans le rapport de données douteuses sur l'ampleur du gisement. Or, j'ai sous les yeux un document indiquant clairement quelles sont les réserves, et les chiffres n'ont rien de douteux. Je vous dirai dans un instant pourquoi je peux affirmer cela. Je pense que M. MacLeod me comprendra parfaitement.

On parle aussi d'un charbon de qualité inférieure.

Le président: Sénateur Buchanan, pourriez-vous nous donner le titre de ce document?

Le sénateur Buchanan: Le voici: Energy, A Plan for Nova Scotia. Je vais vous donner tout de suite le nom des auteurs, pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté. En ce qui concerne le charbon, il s'agit de Coady Marsh, B.Sc., un ingénieur de Devco et l'un des directeurs du groupe de travail de Devco. C'est l'un des ingénieurs miniers les plus réputés du Cap-Breton. Il y a aussi John Amerault, ingénieur professionnel du secteur des mines; Fred Brothers, dont je n'ai pas les qualifications pour le moment; John Calder, géologue; Lloyd Creaser, que M. MacLeod connaît très bien; Stephen Forgeron, l'un des principaux géologues de Devco; Kevin Gillis, un autre géologue de renom; Bernie Kirk, ingénieur de la Nova Scotia Power Corporation; John LeBlanc, directeur général d'Emploi et Immigration Canada pour la région de la Nouvelle-Écosse; Roy MacLean, autre ingénieur professionnel; Pat Phelan, MBA, autre ingénieur minier; Wynne Potter, l'un des géologues les plus réputés de la Nouvelle-Écosse; Ed Smith, géologue de la Nouvelle-Écosse; et l'ancien sous-ministre des Mines de la Nouvelle-Écosse, Bill Shaw, diplômé distingué de l'Université Saint François-Xavier, ingénieur professionnel et géologue professionnel.

Quiconque prétendrait que ces gens-là ont produit un rapport contenant des informations erronées ne saurait pas de quoi il parle. Je le répète, les auteurs du rapport Boyd parlent quant à eux de données douteuses sur les réserves et de charbon de qualité inférieure.

Comme vous avez travaillé dans le secteur du contrôle de la qualité, je suis sûr que vous savez de quoi je parle. J'ai tous les chiffres indiquant qu'il y a environ 500 millions de tonnes de charbon exploitables dans la veine du port de la mine Donkin. Êtes-vous d'accord avec cela?

M. MacLeod: Il y en a probablement un peu plus.

Le sénateur Buchanan: Je suis heureux de vous l'entendre dire car les gens de Devco disaient l'autre jour qu'il y avait en effet probablement plus de 500 millions de tonnes.

Quel est le taux de soufre? Correspond-il à un charbon de qualité «inférieure», comme on le dit dans le rapport Boyd?

M. MacLeod: Vous avez raison de rappeler que j'ai travaillé dans le service du contrôle de la qualité. De fait, je travaillais au laboratoire de Devco au moment où l'on a évalué la qualité du charbon de la veine Donkin. Bien que je ne me souvienne plus des détails exacts, je me souviens parfaitement que l'on avait conclu à l'époque que le charbon était de très bonne qualité, surtout au centre de la veine.

Par contre, le charbon des couches supérieure et inférieure était de moins bonne qualité. Cela dit, les techniques minières permettent d'exploiter la bonne couche. De fait, les TCA ont adressé au conseil d'administration de Devco une excellente proposition d'exploitation minière sélective et horizontale.

Il y a également une usine de préparation du charbon sur Grand Lake Road, que certains des sénateurs connaissent bien. Cette usine permettrait de séparer le bon charbon du mauvais, par un processus de gravitation spécifique et de lavage. Il y a donc des méthodes qui permettraient d'exploiter très facilement le bon charbon de la mine Donkin.

Le sénateur Buchanan: Monsieur le président, cela confirme tout à fait le témoignage des gens de Devco, la semaine dernière. Dans la veine centrale, on a un charbon d'environ 1 p. 100, c'est-à-dire un excellent charbon métallurgique à faible taux de soufre. Les gens de Devco sont d'accord avec ça. Certes, le charbon des couches supérieure et inférieure a un taux de soufre élevé, et la moyenne est d'environ 3 p. 100 pour toute la veine. Cela dit, celle-ci contient environ 500 millions de tonnes.

Je doute que l'un d'entre nous soit encore vivant le jour où l'on aura exploité ne serait-ce que le quart de cela.

Le sénateur MacDonald: De quand date ce rapport?

Le sénateur Buchanan: C'est un rapport de 1980 de Montreal Engineering. Ou les gens de Boyd n'en ont pas pris connaissance, ou ils ont décidé de ne pas en tenir compte. C'est pourtant un rapport qui a été préparé par des gens extrêmement compétents, que je vous ai nommés. Montreal Engineering et Kilborn Engineering étaient les deux firmes principales à ce sujet.

Le sénateur MacEachen conviendra sans doute qu'il s'agit là des deux firmes les plus compétentes que l'on puisse trouver au Canada pour effectuer ce genre de travail. Or, ce sont elles deux qui ont fait l'étude de faisabilité de la mine Donkin. Ce sont les meilleures au pays.

Je n'ai donc aucune difficulté à accepter votre témoignage. De fait, comme vous avez pu le constater ce matin, le vérificateur général recommande lui aussi que l'on fasse une étude pour établir le coût réel de l'ouverture d'une nouvelle mine.

Pourquoi croyez-vous que l'on devrait ouvrir une nouvelle mine, monsieur MacLeod?

M. MacLeod: Parce que, comme je le disais plus tôt, nous ne devrions pas mettre tous nos oeufs dans le même panier. Le problème d'éboulements qu'il y a à la mine Phalen n'est pas un problème courant dans les mines de charbon d'Amérique du Nord, ni même dans les autres mines du Cap-Breton. Pourtant, la mine Phalen y est très susceptible.

Phalen se trouve en dessous de Lingan et de 1B. Il y a beaucoup d'eau là-bas. De fait, ces deux mines ont déjà été inondées dans le passé. L'eau a tendance à suivre les fissures, et c'est ce qui finit par l'amener à Phalen. On a eu ce problème il y a à peine une semaine.

À l'heure actuelle, Devco a un budget de 5 millions de dollars par an pour pomper l'eau de Phalen. Il est cependant important qu'il y ait un processus et un plan pour faire un usage productif du personnel. À mon avis, la solution est Donkin. Ces mineurs très compétents et très qualifiés pourraient aller à Donkin pour répondre aux obligations acceptées par le conseil d'administration de Devco dans les contrats à long terme négociés avec la Nova Scotia Power Corporation et avec d'autres clients.

Le sénateur Buchanan: Connaissez-vous les gens que je viens de nommer, qui ont produit ce rapport?

M. MacLeod: J'en connais certains. De fait, certains travaillent encore pour Devco et je suis sûr qu'ils seraient prêts à témoigner aussi.

Le sénateur Buchanan: Connaissez-vous Steve Farrell?

M. MacLeod: Oui. C'est un ancien employé de Devco.

Le sénateur Buchanan: Est-il compétent?

M. MacLeod: Il jouit d'une excellente réputation dans l'industrie minière.

Le sénateur MacEachen: Je remercie M. MacLeod de nous avoir présenté un exposé très équilibré et très utile.

Vous dites que certaines parties seulement du plan de cinq ans ont été divulguées. Vous dites aussi que vous avez écouté attentivement les témoignages du président du conseil, M. Shannon, et du président du syndicat.

À votre avis, le comité a-t-il reçu le plan de cinq ans au complet ou seulement en partie?

M. MacLeod: Très respectueusement, monsieur le sénateur, je dois dire que le vérificateur général lui-même a dit n'avoir reçu qu'un résumé du plan de cinq ans. Il n'a jamais dit nulle part qu'il avait vu le plan au complet ni qu'il avait eu le temps ou la possibilité de le lire au complet. J'ai l'impression que nous n'avons tous vu qu'un sommaire du plan de cinq ans.

Le sénateur MacEachen: Il serait pourtant très important que nous puissions le voir au complet. Il faudra vérifier cela, monsieur le président, car M. MacLeod affirme que nous n'avons eu qu'une partie du plan.

Le président: Je vais demander au greffier de s'informer et d'obtenir le plan complet de Devco.

Le sénateur Stanbury: Le document que nous avons reçu s'intitule «Sommaire du plan d'entreprise».

Le président: C'est vrai, c'est un sommaire.

Le sénateur MacDonald: Je vous remercie beaucoup d'être venu, monsieur MacLeod. D'après ce que j'ai entendu la semaine dernière, je n'ai pas l'impression que beaucoup de gens s'opposent à l'ouverture de la mine Donkin. Cela dit, les partisans de la mine Donkin n'auraient pu trouver de porte-parole plus éloquent que notre ami le sénateur Buchanan.

Quoi qu'il en soit, la direction ne semble avoir aucune opinion ferme contre la réouverture de Donkin. Il semble qu'il s'agisse avant tout d'une question de prix et de moment. La direction affirme qu'elle a encore des réserves de 20 à 25 ans. Lorsque celles-ci seront épuisées, il lui faudra une autre source d'approvisionnement.

L'argument suivant est que la mine coûterait très cher. Certains témoins ont répondu que le coût ne dépasserait pas 125 millions de dollars. C'est une question qui n'a jamais été réglée.

J'ai deux questions à vous poser. Premièrement, avez-vous une idée personnelle du coût de mise en exploitation de Donkin?

M. MacLeod: Il est vrai que l'on a cité beaucoup de chiffres à ce sujet. Les administrateurs de Devco vous diront probablement que la mise en exploitation de Donkin coûterait environ 400 millions de dollars. Le syndicat, quant à lui, dirait que la somme ne dépassera probablement pas 120 millions de dollars.

Il y a à New Waterford un ex-directeur de mine qui prétend que la chose pourrait se faire pour 2 millions de dollars seulement. Il est vrai que l'on peut parfois s'interroger sur ce que disent les gens de New Waterford. Et je dis cela malgré tout le respect que je dois à mon grand-père, qui vient de là-bas.

La mine Donkin est déjà aménagée jusqu'aux abords de la veine de charbon. Il s'agit donc seulement maintenant de pomper l'eau et de mettre l'infrastructure en place. Le chiffre de 400 millions de dollars me paraît tout à fait exagéré. Je crois que ça ne dépasserait probablement pas 100 millions.

Il faut tenir compte de la compétence et de l'expérience des gens qui travaillent à Devco. Il faut aussi tenir compte de l'infrastructure qui est déjà en place dans la mine Lingan, qui a été fermée à cause de problèmes d'inondation. On pourrait rebâtir cette infrastructure et la transférer à Donkin. Cela ferait baisser sensiblement les frais de mise en valeur de Donkin.

N'oublions pas par ailleurs que Donkin n'aura pas besoin dès le départ d'un grand centre de lavage. Il suffira de deux ou trois autobus pour emmener le personnel du centre de lavage actuel au centre de Donkin et pour en revenir. Il y a donc bien des méthodes disponibles pour commencer l'exploitation de cette mine.

Il est parfaitement évident qu'une nouvelle veine de charbon proche de la surface sera beaucoup plus rentable qu'une veine qui est exploitée depuis une vingtaine d'années, comme celle de la mine Prince. Celle-ci ne deviendra rentable que si l'on réduit son exploitation est-ouest, au profit d'une exploitation nord-sud, pour étendre le gisement.

En novembre dernier, il y a eu à Phalen l'un des plus gros éboulements de toute l'histoire du Cap-Breton. De ce fait, 1 200 personnes ont été mises à pied pendant trois mois, pour récupérer le capital perdu. Cela a causé beaucoup de désolation dans l'île.

La recommandation que je voudrais faire consisterait à mettre en place immédiatement les mesures qui permettront d'utiliser le personnel disponible en cas d'événement fortuit de cette nature. Ce serait en quelque sorte notre police d'assurance. À mon avis, cette police d'assurance, c'est Donkin, au sujet de laquelle nous avons déjà dépensé des deniers publics considérables. Nous devons investir pour assurer la prospérité des contribuables de notre province, qui sont les actionnaires de l'entreprise. Nous leur devons d'effectuer les investissements qui permettront d'exploiter une mine rentable comme Donkin pour récupérer certaines des sommes qui ont été dépensées au cours des années pour assurer la survie de Devco.

Le sénateur MacDonald: Je disais que l'on parlait la semaine dernière de prix et de moment. Pour ce qui est du moment, vous dites qu'un accident tel qu'une inondation catastrophique assurerait l'échec du plan de cinq ans. Votre recommandation est donc de prévoir un plan d'urgence, qui pourrait coûter 2 millions de dollars, 125 millions ou 400 millions. Combien d'années faudrait-il, d'après vous, pour que ce plan d'urgence soit prêt?

M. MacLeod: Je ne peux dire combien d'années il faudrait pour cela. Tout dépendrait évidemment des sommes que l'on serait prêt à investir chaque année. L'important n'est pas là. Ce qui compte, c'est de prévoir l'avenir. Pendant trop longtemps, Devco ne s'est intéressée qu'à son avenir sur cinq ans, voire sur un an. Aujourd'hui, nous avons la possibilité d'agir pour assurer la rentabilité de l'entreprise à très long terme.

C'est cela qui compte. Les gens du Cap-Breton ne demandent pas l'aumône. Ils veulent prévoir l'avenir. Ils veulent avoir la possibilité de travailler et de gagner leur vie pour que leurs familles puissent rester dans leur région. En investissant dans l'avenir de la province, nous investissons dans l'intérêt des habitants de la province et, au fond, des habitants du pays.

Le sénateur MacDonald: Sénateur Buchanan, vous avez donné des chiffres de 1980, n'est-ce pas?

Le sénateur Buchanan: Oui, je les ai cités ce matin, devant les témoins du Bureau du vérificateur général.

Le président: Nous pourrions distribuer le document.

M. MacLeod: Selon les notes que j'ai reçues, je crois comprendre que vous souhaitez publier votre rapport d'ici au 11 juin.

Le président: Non, nous allons demander une prorogation de ce délai.

M. MacLeod: Le 11 juin est une date très importante pour les mineurs de charbon. C'est la Journée Davis, ou Journée du souvenir des mineurs. Ce serait certainement une date tout à fait adéquate pour publier un rapport sur les mines de charbon. Quoi qu'il en soit, c'est certainement une date que les membres du comité ne devraient pas oublier.

Le président: Je vous remercie de le mentionner, et je vous remercie aussi de votre comparution. Votre expérience nous a permis d'obtenir des informations précieuses.

Nous accueillons maintenant M. Robert Chisholm, député provincial et chef du Parti néo-démocrate de la Nouvelle-Écosse.

Bienvenue, monsieur Chisholm. Vous avez la parole.

M. Robert Chisholm, député provincial, chef du Nouveau Parti démocratique de la Nouvelle-Écosse: Monsieur le président, je suis très heureux de pouvoir vous adressez la parole. J'étais ici il y a près de trois ans pour exposer la position de notre parti néo-écossais sur l'incidence des changements devant être apportés au réseau ferroviaire de la Nouvelle-Écosse.

Je suis très heureux que votre comité ait accepté le défi de rassembler toutes les informations disponibles sur Devco et sur l'avenir des charbonnages de la Nouvelle-Écosse. L'un des aspects les plus troublants de toute cette situation, telle qu'elle a évolué depuis le 1er janvier, concerne des décisions qui ont été prises en dehors de la collectivité du Cap-Breton et de la province de la Nouvelle-Écosse. Je parle de décisions dont beaucoup d'entre nous n'avions pas connaissance, alors qu'elles allaient nous toucher directement. Les membres du Parti néo-démocrate et les habitants du Cap-Breton attendaient des réponses à leurs questions. Ils ne les ont pas obtenues. Je félicite donc votre comité d'avoir pris cette initiative importante.

Honorables sénateurs, je suis très heureux de pouvoir m'adresser à vous au nom du Parti néo-démocrate de la Nouvelle-Écosse. Le charbon a toujours joué un rôle important dans notre province. Les mineurs ont joué un rôle particulièrement important dans l'histoire de notre parti et dans celle de tout le mouvement socio-démocrate du pays. Je suis donc fier d'appuyer les déclarations qui vous ont été faites par Stephen Drake au nom des United Mine Workers of America. Le syndicat des mineurs lutte depuis des décennies pour protéger ses membres et leurs collectivités.

Le système est toujours axé sur la confrontation. Dans les années 1920, les mineurs se battaient contre Roy Wolfson. Dans les années 1990, ils se battent contre le Conseil du Trésor. Dans les deux cas, l'ennemi, c'est le profit. Et le profit est un adversaire coriace. Roy le Loup, comme on l'appelait, faisait travailler les mineurs pour des salaires de misère afin de pouvoir verser des dividendes aux actionnaires. C'est comme ça qu'on faisait à l'époque.

Aujourd'hui, des politiciens fédéraux décrètent que, pour la première fois en 80 ans, les charbonnages du Cap-Breton devront fonctionner sans subvention fédérale. Des centaines de mineurs vont payer le prix de cette décision avec leur emploi. Des collectivités comme Glace Bay, Dominion Reserve Mines, New Waterford, New Victoria, Florence et Sydney Mines vont en souffrir, mais le profit restera roi.

Vous avez recueilli bon nombre de témoignages détaillés sur les plans de Devco, sur son potentiel à l'exportation et sur beaucoup d'autres sujets. Comme je ne prétends aucunement être un expert sur l'industrie du charbon, je n'aborderai que les questions de portée plus générale que soulève la décision du gouvernement fédéral et de la direction de Devco d'entreprendre une compression spectaculaire des charbonnages du Cap-Breton.

Lorsqu'on a annoncé le 9 janvier l'abolition permanente de 800 postes de travail chez Devco, j'ai ressenti à la fois de la colère et de la frustration. Et j'ai ressenti la même chose en voyant les machinations de la direction de Devco, du ministre Dingwall, de la ministre des Ressources naturelles et du gouvernement de la Nouvelle-Écosse.

Certes, on s'est dit très inquiet de la situation, on a fait grand cas des consultations, on s'est répandu dans la presse et sur les ondes mais, lorsqu'on a annoncé la décision finale, le mois dernier, le résultat était quasiment le même: plus de 700 postes disparaîtraient à Devco, sans compter les milliers d'emplois indirects dans une économie où l'emploi n'est que trop rare.

La perte de plus de 700 emplois, conjuguée à celle d'un grand nombre d'emplois secondaires, entraînera une hausse du chômage au Cap-Breton, une hausse du stress dans les familles, un accroissement des besoins de services sociaux et communautaires et, finalement, le départ d'un nombre accru de jeunes, de personnes en bonne santé et de personnes aptes à travailler. Comme si cela ne suffisait pas, la confirmation des mises à pied a été suivie d'une autre série de mises en garde des politiciens fédéraux disant que, si Devco ne parvenait pas à se redresser au cours des cinq prochaines années, on mettrait définitivement la clé sous la porte.

Mon sentiment de colère et de frustration s'est encore accru lorsque j'ai constaté que cette destruction de l'économie et de la société du Cap-Breton était accueillie par un certain sentiment de fatalité. «Ça doit arriver, dit-on, parce qu'il faut que Devco devienne rentable; il faut que Devco fasse des profits, on ne peut pas revenir là-dessus.»

On raconte que Joe Shannon a personnellement modifié l'énoncé de mission de l'entreprise pour qu'il se lise comme suit: «La mission de la Société de développement du Cap-Breton est d'être une société rentable d'exploitation du charbon». Tant pis si cela accroît le taux de chômage dans une province où le taux officiel est déjà de près de 23 p. 100. Tant pis si cela doit ébranler toute l'économie et toute la société du Cap-Breton.

Comme vous le savez, Joe Shannon n'a pas été seul à décider de simplifier l'énoncé de mission de Devco. En effet, cette décision émanait de celle qu'avait prise le gouvernement Mulroney d'abolir progressivement les subventions fédérales à Devco à compter du 31 mars 1995. Or, c'était une décision totalement arbitraire.

L'industrie du charbon du Cap-Breton a été subventionnée pendant la majeure partie du siècle, par des intérêts autant privés que publics. En 1966, l'année précédant la création de Devco, la subvention s'élevait à quelque 22 millions de dollars par an, soit 118 millions de dollars en monnaie d'aujourd'hui. Bien sûr, en 1966, les gouvernements avaient à l'occasion d'autres objectifs que le profit, par exemple le bien-être des collectivités.

La décision fédérale d'abolir les subventions n'était pas seulement arbitraire mais aussi prématurée. Ce n'est pas aujourd'hui qu'il faut parler de réduire l'industrie du charbon du Cap-Breton.

Le gouvernement fédéral est intervenu directement dans l'exploitation houillère du Cap-Breton en 1967, à titre provisoire. Les exploitants privés qui avaient extrait tant de richesse des mines du Cap-Breton, à un prix humain considérable, ne voulaient plus exploiter les gisements. Le gouvernement fédéral est donc intervenu pour maintenir les mines en exploitation. À ce moment-là, il a négocié une entente avec le gouvernement de la Nouvelle-Écosse en vertu de laquelle il convenait de n'abolir les subventions que lorsque des progrès auraient été réalisés pour assurer de l'emploi en dehors de l'industrie houillère, en élargissant la base d'emploi de l'île. Hélas, en 30 ans, fort peu de progrès ont été réalisés pour étendre les sources d'emploi dans l'île, en dehors de l'industrie du charbon.

Les aciéries ont pris du plomb dans l'aile. Les entreprises manufacturières volantes sont disparues. L'industrie aérospatiale a subi le coup de la perte du contrat Micronav et le départ disgracieux d'IMP de North Sydney.

Le charbon est toujours roi au Cap-Breton. Avant la récession, il représentait, avec les industries secondaires, jusqu'à 25 p. 100 de l'économie locale. C'est cependant un roi qui a perdu beaucoup de sa superbe. Les dernières suppressions de postes qu'on vient d'annoncer font suite à des années de compression des effectifs. Entre 1988 et 1995, Devco a perdu plus de 1 400 emplois.

Je me trouvais au Cap-Breton la semaine dernière où quelqu'un qui se disait expert en développement économique affirmait que l'on craint sérieusement que la base industrielle de l'île soit quasiment disparue. Que l'économie de l'île ne se limite avant longtemps au tourisme et aux pensions de retraite des habitants. Tourisme et pensions de retraite, fort bien, mais qu'offre-t-on aux jeunes qui sortent des écoles? Qu'offre-t-on aux jeunes familles? Qu'est-ce qui incitera les étudiants obtenant leur diplôme de l'UCCB à essayer de trouver de l'emploi sur place? Quelle autre alternative leur offre-t-on que le chômage ou le départ?

La colère et la frustration que je ressens depuis le 9 janvier, comme beaucoup d'autres, proviennent du fait qu'il y a beaucoup trop de gens qui veulent que nous ne nous intéressions qu'aux profits de Devco. Si nous acceptons leur théorie, nous ne verrons pas les effets que produit sur la collectivité du Cap-Breton l'élimination continue des emplois chez Devco. Si nous gardons les yeux fixés sur les profits de Devco, nous risquons d'oublier que c'est toute la collectivité locale qui est asservie à ce critère. Si l'on ne peut pas atteindre le critère du profit, on disparaît -- cette semaine, Devco; la semaine prochaine, l'île du Cap-Breton; la semaine suivante, quoi? Qui sait?

Nous sommes également en colère et frustrés de voir comment Devco et les gouvernements de Halifax et d'Ottawa ne cessent de modifier les objectifs pour les travailleurs de Devco. On ne cesse de nous répéter depuis des années que les travailleurs de Devco sont inefficients et que leur taux d'absentéisme est inacceptable. La semaine dernière encore, le président de Devco parlait devant votre comité d'un taux d'absentéisme de 20 p. 100. En même temps, pourtant, le nouveau président de l'entreprise publiait un bulletin disant que le taux venait d'être ramené à 10,8 p. 100.

Quelqu'un demandait tout à l'heure pourquoi on ne parvient pas à résoudre ce problème d'absentéisme. J'ai avec moi un exemplaire de la convention collective des United Mine Workers qui indique clairement comment on doit traiter l'absentéisme. Il s'agit là d'une convention qui a été négociée entre le syndicat et la direction. S'il y a un problème, c'est que la direction ne fait pas son travail parce qu'on indique clairement dans la convention ce qu'il faut faire en cas d'absentéisme.

Malgré un effectif en constant rétrécissement, on entend rarement dire que Devco a réussi à augmenter sa production de charbon de 5,9 tonnes par équipe en 1986 à 11,6 tonnes en 1996. On entend également rarement parler des conditions de travail difficiles des mineurs, obligés de circuler au fond dans des tunnels humides et noirs pour atteindre la veine.

Malgré les gains de productivité remarquables obtenus dans des circonstances difficiles, l'entreprise continue de perdre de l'argent et les mineurs continuent de perdre leur emploi, pour des raisons qu'ils ne peuvent contrôler. L'une d'entre elles est l'obligation soudaine qui est faite à Devco, comme aux autres sociétés d'État, de régler son passif en matière de pensions de retraite. Exigence nécessaire, peut-être, mais que les travailleurs paient avec leur emploi. Est-ce équitable? Pendant des années, politiciens et bureaucrates ont négligé de prendre les mesures nécessaires pour assurer la stabilité financière du régime de pensions, et ce sont aujourd'hui les mineurs qui en paient le prix.

Autre facteur, la privatisation de la Nova Scotia Power. Suite à cette décision, NSP a décidé de payer le charbon de Devco beaucoup moins cher qu'elle ne le payait antérieurement en vertu d'un contrat à long terme. Libérée de la tutelle gouvernementale, NSP a pu menacer Devco d'importer du charbon si le prix n'était pas réduit. Ce chantage a marché. Devco a capitulé en baissant son prix de 13 $ la tonne.

Cette baisse de prix de 13 $ la tonne représente plus de 30 millions de dollars par an qui ne vont pas à Devco et à ses travailleurs mais à la Nova Scotia Power et à ses actionnaires -- dont 70 p. 100 résident à l'extérieur de la province. Je doute que les clients de l'entreprise bénéficient d'une partie quelconque de cette réduction de prix du charbon. De fait, on leur imposait il y a quelques mois encore une nouvelle hausse de tarif.

Finalement, nous sommes en colère et frustrés par le fait qu'il semble y avoir deux poids, deux mesures dans le secteur de l'énergie. En effet, on continue d'offrir des incitations, des avantages fiscaux et de l'aide aux producteurs de carburants fossiles qui font concurrence au charbon, alors qu'on décide de sevrer brutalement les charbonnages du Cap-Breton de leurs subventions. Les dernières informations que nous avons pu obtenir à ce sujet remontent à 1990. Elles montrent que les diverses subventions, les avantages fiscaux et d'autres mesures ont représenté plus de 830 millions de dollars pour les entreprises privées du secteur de l'énergie.

À mon avis, la seule question qu'il faut poser est une question d'équité. Ce que l'on fait aux collectivités du Cap-Breton qui dépendent du salaire des mineurs est injuste. Je soupçonne que la plupart des gens savent que ce n'est pas juste, mais ils ne savent pas quoi faire. Ils capitulent devant le profit. Cela ne devrait pas être toléré par les gens du Cap-Breton, par les Néo-Écossais, ni même par les Canadiens. Ce ne l'était pas en tout cas en 1966 et en 1967. À l'époque, tout le monde semblait d'accord pour ne pas laisser des collectivités entières à la merci du profit.

J'estime qu'il est temps de revenir aux engagements pris à l'origine entre les gouvernements fédéral et provincial. Ottawa était censé fournir les subventions jusqu'à ce que l'économie de l'île se soit rétablie. Cela ne s'est pas fait. Les subventions devraient continuer jusqu'à ce qu'on y arrive. Elles devraient être destinées à stabiliser l'emploi dans l'industrie du charbon aux niveaux d'avant 1996. Certes, si l'on peut stabiliser l'emploi à ce niveau sans subventions importantes, tant mieux.

Vous savez que le syndicat des mineurs a formulé diverses propositions qui permettraient de maintenir l'emploi à un coût supplémentaire minime pour le Trésor fédéral, essentiellement en poursuivant l'exportation de charbon et en réduisant les coûts de production. J'estime que ces idées devraient être examinées à fond.

Je crois par ailleurs que l'on a trop vite abandonné la proposition des mineurs au sujet de Donkin, mine dans laquelle on a déjà investi près de 100 millions de dollars. Il faut revoir les possibilités de mise en production immédiate et d'emploi à la mine Donkin, ainsi que les possibilités futures qu'offre ce gisement. Si ces mesures étaient prises, on pourrait stabiliser l'emploi dans les charbonnages, idéalement pour le long terme.

Une fois qu'on aura stabilisé l'emploi dans ce secteur, on pourra relancer immédiatement les efforts pour trouver d'autres moteurs économiques. L'histoire des 30 dernières années nous a bien montré ce qui ne marche pas: les mégaprojets concoctés ailleurs et les incitations aux entreprises volantes. Le développement économique communautaire à partir de la base et la création de micro-entreprises peuvent marcher, mais à condition qu'on prenne le temps. Pour obtenir ce temps, il faut stabiliser l'emploi dans les industries clés que sont le charbon et l'acier, et offrir de nouveaux emplois stables et bien rémunérés en décentralisant les activités gouvernementales.

Votre comité peut contribuer à l'amélioration de l'avenir économique du Cap-Breton en recommandant le plus vigoureusement possible le rejet du dernier plan d'entreprise de Devco et l'élaboration d'un nouveau plan fondé sur de vraies consultations auprès de la direction de l'entreprise, des travailleurs et de la collectivité.

En conclusion, je voudrais vous faire part d'une remarque que m'a faite une personne que certains d'entre vous connaissent peut-être. C'est quelqu'un qui a travaillé dans les aciéries pendant 35 ans. Quand on lui disait que Devco dépendait toujours de l'aumône gouvernementale, il répondait ceci: «Les gens se sont toujours plaints des subventions versées à l'aciérie mais c'est ce qui m'a donné du travail». Il ajoutait: «C'est ce qui m'a permis d'élever cinq enfants et, aujourd'hui, ces cinq enfants contribuent de manière importante à l'avenir du pays». S'il y a un argument que j'aimerais que vous reteniez, sénateurs, c'est celui-là. Ne perdons pas de vue l'avenir à moyen terme et à long terme de notre province et de notre pays lorsque nous essayons de déterminer l'avenir des charbonnages de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur MacEachen: Je remercie M. Chisholm de l'intérêt qu'il porte à ce problème.

Vous avez dit tout à l'heure que:

En 1966, l'année précédant la création de Devco, la subvention s'élevait à quelque 22 millions de dollars par an, soit 118 millions de dollars en monnaie d'aujourd'hui.

Si je ne me trompe, la subvention versée la dernière année, soit 1967-1968, était de 30,5 millions de dollars. Vous vous souviendrez que M. Kent l'a traduite en dollars d'aujourd'hui. L'argument est le même, cependant, c'est-à-dire qu'on acceptait d'accorder une protection ou une subvention substantielle à l'industrie, notamment en subventionnant les services de transport.

M. Chisholm a raison de dire que le Parlement et le gouvernement du Canada ont tenu compte de la dimension sociale du problème à la fin des années 1960. M. Pearson, le premier ministre, avait justifié la nouvelle politique du gouvernement par des arguments sociaux. Vous avez dit tout à l'heure, monsieur Chisholm, non pas que l'on peut résoudre cette question mais plutôt qu'il y a aujourd'hui dans le pays un état d'esprit complètement différent de celui qui régnait en 1967 et 1968. Que ce soit bon ou mauvais, c'est une autre question, mais c'est quelque chose que nous ne pouvons ignorer. Évidemment, votre position est qu'il faut continuer de subventionner l'industrie du charbon.

M. Chisholm: Oui.

Le sénateur MacEachen: Si je me souviens bien, le maire de la municipalité du Cap-Breton nous a dit qu'il acceptait parfaitement la nécessité d'assurer la rentabilité de l'industrie, ce qui représente dans une certaine mesure un changement d'attitude. Il a expliqué qu'il acceptait la nécessité d'abolir 600 postes de façon à assurer la viabilité économique de l'entreprise, parce que cela était beaucoup plus susceptible d'assurer la stabilité à long terme de l'industrie et une présence permanente de charbonnages au Cap-Breton. Pour ma part, je tiens aussi à voir plus loin que le plan de cinq ans, en m'intéressant à l'avenir à long terme des charbonnages du Cap-Breton. Voilà pourquoi nous sommes plusieurs à poser des questions sur Donkin.

Je me souviens que M. Drake, représentant les United Mine Workers, avait lui aussi accepté le principe de la rentabilité et la nécessité d'assurer le redressement des mines de charbon. De fait, il se disait convaincu que les mines pouvaient être compétitives, efficientes et rentables.

Je ne veux pas vous critiquer pour ce que vous avez dit mais j'aimerais savoir pourquoi votre position est différente. Vous n'avez rien dit au sujet de mesures destinées à assurer la rentabilité des mines. Vous semblez affirmer que nous devrions purement et simplement continuer à verser des subventions, alors que le chef syndical lui-même nous dit que les mines peuvent être rentables.

M. Chisholm: Très respectueusement, sénateur, ce n'est pas du tout ce que j'ai dit. En fait, j'affirme qu'avec le plan actuel de Devco, tenant compte de l'analyse des mineurs, il n'y aura plus dans cinq ans dans la région que des scories si l'on ne fait pas des efforts pour mettre Donkin en exploitation et pour apporter d'autres changements importants au fonctionnement de l'entreprise. J'affirme que l'heure n'est pas venue d'abolir les subventions. Ce qu'il faut plutôt, c'est examiner très sérieusement comment on pourrait assurer l'avenir des charbonnages, mais de manière à ce que ceux-ci soient plus efficients et plus efficaces, dans l'intérêt non seulement de la collectivité du Cap-Breton mais de tout le pays. J'appuie donc sans réserve le témoignage des mineurs.

Sans investissement important du gouvernement fédéral, nous ne réussirons pas. Je veux parler précisément de l'exploitation de la mine Donkin. Il faudra un engagement pendant au moins quatre ans.

Le sénateur MacEachen: Convenez-vous qu'il est nécessaire que les charbonnages du Cap-Breton soient commercialement viables?

M. Chisholm: Absolument, dans le contexte des bienfaits sociaux et économiques pour la province. C'est le même argument que j'ai déjà utilisé au sujet du prix que devrait payer la Nova Scotia Power pour son charbon. Si nous faisons disparaître les charbonnages de la Nouvelle-Écosse en essayant d'obtenir du charbon meilleur marché à l'étranger, quelles seront les conséquences sur l'économie de la province? Le Utility Review Board devrait en tenir compte lorsqu'il fixe le prix du charbon. Comme je l'ai dit plus tôt, s'intéresser uniquement au profit pur et simple ne permet pas de tenir compte de l'incidence économique globale de l'entreprise sur la Nouvelle-Écosse. Dire que l'entreprise devrait être commercialement viable -- expression que l'on utilise trop souvent -- ne tient pas compte de l'incidence qu'aurait une industrie du charbon moribonde sur l'économie de toute la province.

Le sénateur MacEachen: Abordons la question sous un autre angle. Le président du conseil d'administration a présenté un plan de cinq ans qui produira à terme des profits pour l'entreprise. Il n'est pas tout à fait juste de dire que l'on a aboli toutes les subventions dont bénéficie l'entreprise. Elle continuera encore d'obtenir pendant un certain temps l'aide du gouvernement du Canada.

Le problème qui se pose aujourd'hui est de savoir si nous acceptons ou non ce plan d'entreprise. Si nous ne l'acceptons pas, il nous appartient de dire ce qu'il faudrait y changer. Que répondez-vous à cela?

M. Chisholm: Il me semble qu'il faut d'abord se pencher sérieusement sur la mise en exploitation de la mine Donkin. Si j'en crois les mineurs, il convient de s'interroger sérieusement sur les perspectives de la mine Prince, étant donné le plan de la direction, en se demandant si deux équipes seront vraiment suffisantes pour maintenir cette mine en exploitation pendant très longtemps. Les mineurs posent la question.

Pour ma part, je continue d'être préoccupé par l'absence apparente d'engagement de la direction à collaborer avec le syndicat pour trouver les stratégies d'économie importantes qui sont nécessaires pour assurer le succès du plan.

Le problème vient en partie, à mes yeux, de ce que le plan, quel qu'il soit, doit obtenir l'adhésion complète de tous les partenaires, ce qui comprend la collectivité locale, les mineurs et, je crois, les gouvernements provincial et fédéral. Le plan ne peut réussir que s'il reçoit l'adhésion pleine et entière de tout le monde. Vous savez probablement mieux que moi que l'entreprise est tout simplement beaucoup trop importante pour l'avenir de la province et de la collectivité du Cap-Breton pour qu'on lui permette de se désintégrer.

Le sénateur MacEachen: Monsieur le président, je partage certainement deux remarques de M. Chisholm au sujet du plan. Pour les reprendre dans l'ordre inverse où il les a faites, il est clair qu'il faut qu'il y ait un engagement de la part de la direction, des mineurs et de la collectivité.

Ensuite, il faut se pencher sérieusement sur le cas de la mine Donkin. Nous avons interrogé M. White à ce sujet et je dois dire qu'il a répondu très franchement. N'oubliez pas qu'il est le nouveau président et qu'il connaît bien les mines Prince et Phalen, dont il a été directeur. Quand on lui a demandé s'il serait possible d'intégrer Donkin au plan actuel, il a dit ceci: «Écoutez, la priorité est de survivre; il faut d'abord que nous assurions notre survie par l'exploitation de ces deux mines».

Si je l'ai bien compris, et considérant ce qui semble être un certain manque de confiance dans la capacité de l'entreprise à se redresser, il voulait dire par là que l'entreprise devra faire ses preuves avant que le gouvernement ne lui donne 120 nouveaux millions de dollars, si l'on prend le chiffre le plus bas qui a été avancé, pour faire un nouvel investissement.

Je n'appuie donc pas seulement votre position, je pense qu'il est absolument nécessaire de voir loin et de se préparer à exploiter la mine Donkin. À l'heure actuelle, croyez-vous qu'il soit réaliste que notre comité dise au gouvernement: «Nous voulons que vous engagiez maintenant 120 millions de dollars pour la mine Donkin, avant d'avoir vu un résultat quelconque du nouveau plan»? Pensez-vous que ce serait raisonnable de la part de notre comité?

M. Chisholm: Le problème est ici encore, comme de nombreux experts l'ont dit, que l'on se demande combien de temps dureront Phalen et Prince avec ce plan. Si l'entreprise doit avoir un avenir, bien des gens estiment qu'il faudra commencer rapidement le travail à Donkin.

Je suis heureux de constater le scepticisme des membres du comité au sujet de ce que l'on doit faire pour l'industrie du charbon et de la manière dont on doit investir les deniers publics. Toutefois, il faudra bien à un moment ou à un autre que quelqu'un se penche sur les informations présentées par les mineurs, par la firme Boyd et par la direction, ainsi que sur toutes celles qui se trouvent dans les études qui ont été réalisées, afin de décider si l'industrie du charbon a un avenir ou non en Nouvelle-Écosse. À mon sens, cet avenir dépend en grande mesure de la mise en exploitation de Donkin. Tant qu'on n'aura pas pris de décision à ce sujet, on ne pourra pas dire si les charbonnages ont un avenir.

J'espère aussi que votre comité abordera dans son rapport la question de l'incidence qu'aurait la disparition de l'industrie du charbon sur l'ensemble de l'économie de la Nouvelle-Écosse. Il est important que les Néo-Écossais comprennent bien les conséquences véritables du fait de ne pas investir sagement les deniers publics dans l'industrie du charbon, à l'heure actuelle, pour la prospérité future de leur province.

Le sénateur MacEachen: Lorsque Devco a été créée, il y a eu un compromis entre le gouvernement du Canada et celui de la Nouvelle-Écosse. Le premier a décidé d'assumer la responsabilité de la Dominion Coal Company et des gisements de charbon, et le deuxième, celle des producteurs de charbon indépendants.

M. Chisholm: Exact.

Le sénateur MacEachen: Si l'on s'en tient aux faits réels, il faut constater que le gouvernement provincial a beaucoup mieux réussi que son homologue fédéral à fermer ses mines de charbon, étant donné qu'il n'y a plus aujourd'hui aucune producteur indépendant en Nouvelle-Écosse. Le gouvernement provincial a renoncé à toutes ses responsabilités en matière de charbonnages.

M. Chisholm: Pas nécessairement volontairement.

Le sénateur MacEachen: Mais les faits sont là. Le gouvernement fédéral dit, dans le préambule du projet de loi, que «nous sommes engagés pour 15 ans parce qu'on nous dit que c'est ce que durera l'industrie du charbon». Et puis, d'un seul coup, parce qu'on a décidé d'ouvrir de nouvelles mines, Prince et Lingan, on constate que l'industrie a déjà survécu 15 ans de plus que ce qui était prévu.

Je crois que cela a été rendu possible par l'existence de la Société de développement du Cap-Breton et parce que les contribuables canadiens ont appuyé l'entreprise pendant 30 ans et sous deux gouvernements. La Société de développement du Cap-Breton n'est pas l'ennemie des mineurs de la région. Elle a été leur alliée, l'histoire le prouve.

Vous faites de la politique provinciale, pas fédérale. Vous aspirez au poste de premier ministre de la province. Recommanderiez-vous que le gouvernement provincial s'avance à la table de négociation et assume une partie substantielle de l'investissement requis pour financer la mine Donkin?

M. Chisholm: Avant de me placer dans le rôle de premier ministre, je rappelle que l'entente d'origine portait sur une période relativement brève, à l'époque où M. Kent a assumé la direction de Devco. C'était une sorte d'opération de nettoyage. Il a dit lui-même -- mais je ne suis pas certain que ce soit devant ce comité -- qu'il avait constaté très rapidement que l'industrie du charbon était viable et jouait un rôle important dans l'économie de la Nouvelle-Écosse. Par conséquent, elle avait un avenir.

Le sénateur MacEachen: Je parle simplement de la Loi. La Loi, qui était prévue pour une quinzaine d'années, existe toujours.

M. Chisholm: Je voulais simplement répondre à l'idée, que vous avez laissée entendre, que le gouvernement fédéral a agi comme protecteur de Devco, des mineurs et du Cap-Breton.

Le sénateur MacEachen: Il a fallu fournir des centaines de millions de dollars pour ouvrir ces mines.

M. Chisholm: Comme ça s'est fait ailleurs. C'était une contribution importante à l'économie.

Le sénateur MacEachen: Pas ailleurs. Il n'existe aucune autre mine de charbon au Canada qui soit financée par le gouvernement fédéral. Placez-vous maintenant dans la peau du premier ministre. Je vous encourage à le faire. Il est temps que Chisholm devienne premier ministre!

M. Chisholm: Je suis d'accord. Merci beaucoup de votre appui.

La province a des responsabilités à assumer à l'égard de l'industrie du charbon du Cap-Breton et elle ne devrait pas se défiler. Je suis prêt à venir négocier avec le gouvernement fédéral et à assumer cette responsabilité pour voir le type d'arrangement qu'on pourrait négocier dans le meilleur intérêt de l'économie, pas seulement du Cap-Breton mais aussi de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur MacEachen: Seriez-vous donc prêt à dire à la province de fournir, par exemple, 25 p. 100 de l'investissement requis pour une nouvelle mine Donkin?

M. Chisholm: On verra ce que cela coûtera. J'estime certainement que la province a la responsabilité de veiller à ce que l'industrie du charbon ait un avenir. C'est une industrie qui joue un rôle important dans l'économie générale de la province, et on ne peut pas l'ignorer.

Le président: Maintenant que nous avons le gouvernement provincial à la table, qu'une nouvelle mine a été ouverte et qu'un nouveau premier ministre a été élu, je vais donner la parole au sénateur Buchanan. On ne saurait discuter de Donkin sans lui donner la parole.

Le sénateur Buchanan: J'ai été un peu surpris de constater que vous étiez le premier autour de cette table à recommander le rétablissement des subventions que l'on a fournies à Devco pendant une trentaine d'années. En fait, si je me souviens bien, les UMW eux-mêmes n'ont pas recommandé que l'on continue les subventions. Ils ont parlé eux aussi de rentabilité commerciale et de viabilité économique pour assurer l'avenir des charbonnages.

J'aimerais que vous précisiez ce que vous voulez dire en recommandant que l'on maintienne les subventions, qui ont été réduites au cours des années et qui devaient être abolies cette année, alors qu'elles seront maintenues pendant un peu plus longtemps. Recommandez-vous que l'on subventionne indéfiniment l'entreprise? Si tel est le cas, vous êtes bien le seul à exprimer ce point de vue.

M. Chisholm: Je n'ai aucune crainte à défendre cette position. La différence qu'il y a entre la mienne et celle de probablement toutes les personnes qui m'ont précédé est que je ne me présente pas devant vous comme mineur ou comme expert minier pour réitérer les arguments présentés par les mineurs et par d'autres et contester ceux des autres parties. J'ai tenté d'expliquer que prendre la décision uniquement en fonction de la viabilité commerciale de Devco, sans tenir compte de l'avenir des charbonnages, serait préjudiciable à l'économie de la province et de la région. Je crois que le gouvernement a la responsabilité, lorsqu'il envisage d'investir au Cap-Breton ou en Nouvelle-Écosse, d'oeuvrer sérieusement dans l'intérêt de l'industrie du charbon.

À l'heure actuelle, nous le savons tous, l'avenir des gens du Cap-Breton est généralement très maussade. Bon nombre de collectivités connaissent des difficultés extrêmes sur le plan économique et parviennent difficilement à créer des emplois durables, offrant un salaire et des avantages sociaux décents. S'il n'y avait pas l'UCCB, on assisterait probablement à une émigration de jeunes encore plus grave qu'elle ne l'est aujourd'hui. Il faut faire quelque chose à ce sujet. Il faut absolument développer nos industries clés.

Nous ne parlons pas à l'heure actuelle de mauvaise gestion. Conservateurs, libéraux et autres se sont tous plaints à un moment ou à un autre de gabegie à Devco. Notre rôle doit être de veiller à ce que l'entreprise soit correctement gérée et à ce que toutes les informations concernant Donkin soient divulguées, afin que l'on puisse prendre une décision éclairée sur les investissements requis pour assurer l'avenir des charbonnages. Je ne pense pas que le plan de cinq ans présenté par M. Shannon réponde à cet objectif. Je dis que l'on doit se pencher sérieusement sur ces questions -- c'est-à-dire, comment nous investissons et comment le gouvernement fédéral investit -- avant de décider d'abolir les subventions de Devco.

Le sénateur Buchanan: J'ai peut-être mal compris ce dont nous discutions dans le cas de Donkin. À mon avis, ouvrir la mine Donkin dès maintenant serait une erreur. Ce que nous recommandons, et ce que le syndicat réclame depuis plusieurs mois, c'est une étude de faisabilité exhaustive sur ce que coûterait l'ouverture d'une nouvelle mine Donkin, et une étude de faisabilité générale sur la nécessité d'une telle mine. De fait, si je me souviens bien, le dernier mémoire du syndicat était adressé au premier ministre de la Nouvelle-Écosse, M. Savage, pour lui demander de financer ce genre d'étude. La province a rejeté la demande, peut-être avec raison. Quoi qu'il en soit, s'il n'en avait tenu qu'à moi, je crois que j'aurais accepté.

M. Chisholm: En fait, les gens du syndicat ont clairement exposé le problème, comme ils l'ont fait devant notre comité du développement économique il y a à peu près une semaine. À ce moment-là, je leur ai demandé ce qu'était devenue la proposition qu'ils avaient adressée au premier ministre au sujet d'une étude, et ils m'ont dit qu'ils n'avaient pas eu de réponse. Le président a dit: «Très clairement, nous avons assez d'informations», et il a dit de quoi il s'agissait. Je ne sais pas ce qu'il vous a dit à vous mais, devant notre comité, il a exposé ce qu'il faudrait faire pour commencer la mise en valeur de Donkin afin qu'elle puisse entrer en exploitation. Il a présenté des chiffres montrant que le projet s'autofinancerait.

Le sénateur Buchanan: L'un des préalables au sujet de Donkin, comme on l'a dit ce matin et la semaine dernière, est de faire effectuer une étude par un organisme indépendant pour connaître les coûts exacts de sa mise en exploitation. C'est essentiel car, très franchement, comme vous avez pu le constater, on a cité tellement de chiffres autour de cette table qu'aucun n'est vraiment crédible. La seule manière de savoir de quoi il retourne est de faire étudier la situation par un organisme indépendant. Si je me souviens bien, les représentants du vérificateur général sont convenus ce matin que cela pourrait se faire.

Cela dit, vous estimez quant à vous qu'il faudrait commencer immédiatement la mise en exploitation de la mine Donkin. Même moi, je ne serais pas prêt à formuler une telle recommandation tant que l'on ne connaîtra pas les chiffres exacts, bien que j'aie une assez bonne idée de ce qu'ils seraient, considérant tous ceux que nous avons vus.

M. Chisholm: Le président du syndicat des mineurs m'a dit l'autre jour qu'il y a un plan. Il m'a dit: «On a étudié la question à mort. On peut aller de l'avant.» Lorsqu'il a témoigné devant vous, je crois qu'il a indiqué le coût de mise en valeur de la mine sur une période de quatre ans. Je crois que le coût net est de 65 millions de dollars, somme qui tient compte de la nature du charbon produit et de la vente du charbon récupéré dans le processus de mise en valeur. Comme vous l'avez mentionné vous-même, les tunnels existent déjà. En outre, des mineurs affirment qu'il y a dans différentes mines de Devco du matériel qui pourrait être utilisé à Donkin.

Le sénateur Buchanan: Je n'ai jamais entendu ce chiffre de 65 millions de dollars. La semaine dernière, Steve Farrell disait que le chiffre tournerait autour de 100 à 120 millions de dollars, peut-être un peu plus. Voilà le problème: nous ne savons pas ce que ça coûtera, même à 10 millions près.

Je dis cela parce que vous recommandez que le gouvernement du Canada et Devco commencent immédiatement les travaux de construction de la mine Donkin, sans connaître le coût réel. On donne toutes sortes de chiffres. En tout cas, vos 65 millions de dollars sont plus que les 2 millions du bonhomme de New Waterford.

M. Chisholm: Je serais très heureux de remettre à votre comité le résumé du rapport préparé par les United Mine Workers of America au sujet de l'avenir des charbonnages du Cap-Breton. Vous y trouverez une étude de faisabilité sur l'ouverture de la mine Donkin, à petite échelle pour commencer, avec possibilité d'expansion. L'étude montre que l'on peut mettre en route une nouvelle mine efficiente, produisant de 15 à 20 tonnes par équipe, pour moins de 65 millions de dollars. Vous y trouverez des informations sur les effectifs, les investissements requis, les revenus prévus, et un coût total de 63 225 000 $.

Le sénateur Buchanan: Je crois que ce rapport a été préparé dans le cadre d'un projet de démonstration.

Le président: Nous en avons déjà discuté, et je suis sûr que nous y reviendrons.

Je vais devoir maintenant mettre fin à ce débat. Merci beaucoup de votre présence. Vous avez rehaussé cet après-midi non seulement nos connaissances mais aussi votre propre position. Nous vous remercions beaucoup de vos déclarations très franches et utiles.

La séance est levée.


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