Délibérations du comité sénatorial
permanent
des affaires étrangères
Fascicule 11 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 5 novembre 1996
Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères auquel est renvoyé le projet de loi C-54, Loi modifiant la Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères, se réunit aujourd'hui à 16 heures, pour examiner le projet de loi.
Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Cet après-midi, nous recevons des témoins du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: M. Robert G. Wright, sous-ministre du Commerce international; Mme Joanne Osendarp, de la Direction des recours commerciaux; M. Douglas Forsythe, de la Direction du droit économique; et M. Ross Snyder, directeur adjoint (Cuba), Direction des relations avec les Antilles et l'Amérique centrale. Du ministère de la Justice, nous accueillons M. Gilles Lauzon, c.r., avocat général.
Monsieur Wright, je crois que vous avez une déclaration liminaire. Je vous cède donc la parole.
M. Robert G. Wright, sous-ministre du Commerce international, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: C'est un grand honneur que d'être parmi vous aujourd'hui. Tous les fonctionnaires qui m'accompagnent ont participé à la rédaction de cette loi.
Je viens débattre aujourd'hui du projet de loi C-54, Loi modifiant la Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères. J'ai une déclaration écrite que j'aimerais lire et que je distribuerai au comité. Nous serons alors heureux de répondre à vos questions.
Le projet de loi C-54 est une réaction directe du Canada à l'adoption par les États-Unis de la Cuban Liberty and Democratic Solidarity Act, ou LIBERTAD, de 1996, souvent appelée Loi Helms-Burton. Ce projet de loi donnera aux sociétés canadiennes les moyens nécessaires pour se défendre contre des poursuites intentées contre elles aux États-Unis en vertu de la Loi Helms-Burton.
Il s'agit, comme le dit M. Eggleton, d'un antidote. Ce projet de loi modifie l'actuelle Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères en vigueur depuis 1984. La LMEE a été adoptée pour permettre au gouvernement de réagir face à des revendications inacceptables en matière de compétence extraterritoriale présentées par des gouvernements et tribunaux étrangers. Le projet de loi C-54 étend la portée de la LMEE de manière à viser l'application extraterritoriale de la compétence américaine prévue en vertu de la Loi Helms-Burton.
Pourquoi le Canada s'oppose-t-il à la Loi Helms-Burton?
Le Canada et tous les grands partenaires commerciaux des États-Unis condamnent la Loi Helms-Burton. Cette loi cherche à étendre d'une nouvelle façon l'embargo américain à l'endroit de Cuba à des pays tiers. Ce faisant, la politique commerciale américaine a une portée extraterritoriale et cette loi crée un précédent dangereux pour les échanges et l'investissement à l'échelle internationale.
Les échanges et l'investissement globaux sont régis dans une large mesure par des accords internationaux comme l'ALÉNA, l'Organisation mondiale du commerce et l'Accord multilatéral sur l'investissement, actuellement en cours de négociation à Paris. Les États-Unis ont toujours été partisans d'un régime fondé sur des règles pour gérer le commerce international. Ces normes et accords internationaux imposent certaines règles pour le commerce des biens, des services et de l'investissement afin d'assurer la libéralisation des échanges dans ces domaines et de créer pour l'exportateur comme pour l'investisseur un climat de certitude, de prévisibilité et de sécurité.
La Loi Helms-Burton porte atteinte à ce que nous essayons d'accomplir sur la scène internationale en matière de libéralisation, de sécurité et de prévisibilité.
Plutôt que de faire en sorte que des règles comme la non-discrimination et le traitement juste et équitable des investissements soient favorisées et respectées, cette loi vise à dissuader tout investissement à Cuba et la plupart des échanges commerciaux avec ce pays. Elle pourrait également influer sur l'investissement canadien aux États-Unis, puisque les investisseurs pourraient faire l'objet d'éventuelles poursuites et se voir réclamer des montants d'argent exorbitants en raison d'activités parfaitement légales tant dans leur pays d'origine que dans le pays où ils investissent.
La Loi Helms-Burton contrevient également à plusieurs principes importants du droit international et ne permet pas de remplir les engagements pris par les États-Unis en vertu d'accords internationaux comme l'ALÉNA et l'OMC.
Le comité juridique interaméricain, organisme juridique indépendant de l'Organisation des États américains, s'est penché sur la question en août dernier dans la foulée d'une résolution adoptée à la quasi-unanimité par l'OEA à cet effet. Le comité juridique interaméricain en a conclu que la loi ne respectait pas le droit international à plusieurs égards. Premièrement, les tribunaux nationaux ne sont pas l'endroit indiqué pour résoudre les revendications d'État à État; deuxièmement, un État demandeur, dans le cas présent les États-Unis, n'a pas le droit de défendre les demandes de personnes qui n'étaient pas ses ressortissants au moment des expropriations; troisièmement, un État ne respecte pas le droit international, lorsqu'il étend sa compétence au trafic auquel se livrent des étrangers dans un pays tiers dans des circonstances où ni les étrangers ni la conduite en question n'ont de rapport avec son territoire.
J'aimerais vous donner, si vous le permettez, un aperçu de la Loi Helms-Burton. Les parties III et IV de cette loi sont celles qui préoccupent le plus le Canada et les sociétés canadiennes.
La partie III permet à un Américain qui a fait une réclamation pour expropriation de biens par le gouvernement cubain de poursuivre toute personne qui investirait dans ces biens dans le but d'en faire le trafic; la partie IV, quant à elle, permet au gouvernement américain d'interdire l'entrée aux États-Unis des gens d'affaires, ainsi que de leur conjoint, de leurs enfants mineurs et de leurs agents, s'il est d'avis qu'ils se sont livrés au trafic de biens expropriés.
La définition de l'expression «se livrer au trafic» est très vaste dans cette loi. Elle vise toute personne qui vend, transfère, gère, achète, loue, utilise ou autrement acquiert ou a un intérêt dans des biens expropriés; toute personne qui se livre à une activité commerciale ou qui bénéficie autrement de biens expropriés ou qui est à l'origine d'un tel trafic, le dirige ou y participe ou fait tout cela par l'entremise d'un tiers. Cette définition est vaste et il est clair que la loi vise à englober tout un éventail d'activités pour atteindre le but fixé, soit mettre un frein aux échanges avec Cuba et à l'investissement dans ce pays.
Bien que le 16 juillet 1996 le président Clinton ait suspendu pour une période de six mois le droit d'intenter des poursuites en vertu de cette partie, les problèmes présentés par la partie III n'ont pas été réglés. La responsabilité des sociétés canadiennes a commencé à courir à compter du 1er novembre. En plus, le président peut choisir de ne pas proroger le délai jusqu'en juillet 1997, ce qui ferait courir le risque de poursuites à nos sociétés.
C'est la raison pour laquelle les modifications prévues par le projet de loi C-54 s'imposent. Ce sont des mesures préventives et défensives, prises en dernier ressort pour protéger les intérêts canadiens au cas où des poursuites seraient intentées contre ces sociétés.
Je laisserai à d'autres le soin de décrire le projet de loi article par article, mais j'aimerais souligner plusieurs des modifications proposées.
Tout d'abord, un article du projet de loi prévoit qu'aucun jugement rendu sous le régime de la Loi Helms-Burton ne sera reconnu ou exécuté au Canada. C'est ce que l'on appelle en général l'article de «non-reconnaissance.» Il donne aux sociétés canadiennes la garantie que, même si des procédures sont engagées aux États-Unis, le plaignant américain ne pourra pas faire reconnaître ou exécuter le jugement au Canada et, par conséquent, ne pourra saisir aucun bien canadien pour satisfaire le jugement rendu.
Deuxièmement, un article du projet de loi permet aux sociétés canadiennes d'intenter des poursuites en dommages-intérêts afin de recouvrer toute somme versée en exécution du jugement rendu en application de la Loi Helms-Burton aux États-Unis. C'est ce que l'on appelle en général l'article de «récupération». En plus de recouvrer ces montants, la société canadienne pourrait également demander le remboursement des frais judiciaires et des dommages indirects causés par suite de l'exécution du jugement aux États-Unis. Dans le cadre de ce recouvrement possible des dommages, le projet de loi autorise toute société canadienne à intenter des poursuites pour recouvrer les frais judiciaires engagés dans le cadre d'un procès aux termes de la Loi Helms-Burton pendant que le procès est en cours.
Enfin, le projet de loi augmente les peines applicables en vertu de la LMEE pour toute infraction d'un arrêté interdisant le respect de lois extraterritoriales inadmissibles comme l'actuelle loi américaine sur l'embargo. Cette augmentation des peines s'imposait pour que les peines prévues aux termes de la LMEE correspondent aux amendes prévues par la loi américaine sur l'embargo à l'endroit de Cuba; elle permet également de dissuader quiconque de respecter cette loi.
Le gouvernement canadien est d'avis que ces modifications permettront aux sociétés canadiennes de continuer à faire des échanges et des investissements à Cuba, qu'elles permettront également de dissuader les Américains d'intenter des poursuites en vertu de la Loi Helms-Burton et qu'elles donneront aux sociétés canadiennes des moyens efficaces de se protéger de toute poursuite éventuelle.
Le gouvernement est également d'avis qu'il s'agit d'une réponse mesurée et appropriée à la menace. Comme l'ont dit les ministres Axworthy, Eggleton et Stewart lors de la présentation de ce projet de loi, le Canada et les États-Unis poursuivent des objectifs communs en ce qui concerne Cuba. Les deux pays aimeraient que Cuba prenne des mesures pour instaurer la démocratie, implanter des réformes économiques et reconnaître un peu plus les droits de la personne. Ce qui diffère, c'est l'approche de chacun des deux pays: les États-Unis adoptent une politique d'isolement; le Canada, quant à lui, croit en une politique d'engagement.
Nous avons mis sur pied un programme d'aide assez important permettant à des Canadiens des secteurs non gouvernementaux d'aider les Cubains dans leurs activités économiques. Nous avons un modeste -- quoique très actif -- fonds canadien d'initiatives locales qui sert à accorder un appui financier à de petites organisations locales et qui est géré par notre ambassade à La Havane. Les Canadiens travaillent donc avec des organisations cubaines variées dont certaines deviennent plus indépendantes par rapport au gouvernement cubain. Nous travaillons également avec le gouvernement cubain pour définir les secteurs où les Canadiens pourraient participer à la modernisation de certaines des institutions politiques et économiques clés.
Dans le cadre de notre dialogue avec Cuba, nous avons toujours parlé ouvertement des droits de la personne. Nous avons exprimé nos préoccupations à propos des contraintes imposées par Cuba sur les droits civils et politiques comme la liberté d'association, la liberté d'expression et la protection de toute détention arbitraire. Par exemple, le Canada a protesté contre la détention plus tôt cette année de membres du Concilio Cubano, nouvelle organisation des droits de la personne. Nous avons également fait part de ces préoccupations à l'Assemblée générale des Nations Unies et à la Commission des droits de la personne.
Ce genre de dialogue a permis des actions positives de la part de Cuba. L'année dernière, Cuba a ratifié la Convention des Nations Unies contre la torture. Cuba a également eu des discussions avec le commissaire des Nations Unies sur les droits de la personne, ainsi qu'avec plusieurs organisations internationales des droits de la personne.
Le Canada a bien sûr sévèrement condamné l'aviation cubaine pour avoir abattu deux appareils civils le 24 février dernier; c'est cet incident qui a facilité l'adoption de la Loi Helms-Burton; le Canada a également activement incité l'OACI, l'Organisation de l'aviation civile internationale, à examiner cet incident.
Nous ne pensons pas toutefois que la Loi Helms-Burton soit la bonne façon de régler le problème cubain. Elle risque d'isoler encore davantage Cuba et de détourner l'attention de Cuba même.
L'Union européenne et le Mexique ont soit adopté, soit autorisé l'adoption d'une loi équivalente au projet de loi C-54. La loi mexicaine est entrée en vigueur le 24 octobre, tandis que les ministres étrangers de l'Union européenne ont convenu, le 28 octobre, d'adopter une loi européenne contre la Loi Helms-Burton. Ces lois renferment des dispositions de non-reconnaissance et de récupération semblables à celles que l'on retrouve dans notre loi, ainsi que des peines comme celles prévues en vertu du projet de loi C-54 à l'endroit de ceux qui respecteraient des lois commerciales étrangères inadmissibles.
Pour terminer, j'aimerais souligner, comme l'a fait le ministre Eggleton lors du débat sur ce projet de loi à la Chambre, que toutes les modifications proposées sont modérées et de nature défensive. Nous espérons qu'il ne faudra jamais y avoir recours. Elles sont un antidote réactif, en cas de besoin, mais il est essentiel de les prévoir afin que les sociétés canadiennes disposent de moyens de protection, en cas de besoin.
Je vous remercie de votre attention. Nous nous ferons maintenant un plaisir de répondre à vos questions.
Le président: J'aimerais poser une question préliminaire.
En écoutant votre déclaration, monsieur Wright, j'en suis arrivé à une conclusion que j'aimerais vous présenter.
Ce projet de loi vise à mieux protéger les Canadiens de la nouvelle loi américaine appelée Loi Helms-Burton. Il appuie la doctrine reconnue du droit international relative au caractère extraterritorial des lois d'un État.
Il serait utile que l'on nous décrive la doctrine relative aux lois dont l'application est présumée extraterritoriale.
M. Wright: Vous avez raison sur les deux points. Je vais céder la parole à M. Lauzon qui pourra vous parler de la doctrine.
M. Gilles Lauzon, c.r., avocat général, ministère de la Justice: Tout État peut légiférer en fonction de plusieurs principes fondamentaux. Le territoire constitue le principe le plus acceptable; autrement dit, l'État réglemente la conduite de ses ressortissants et d'autres personnes qui se trouvent sur son territoire. C'est ainsi que l'on définit habituellement le concept de compétence. D'autres principes plus rares sont également acceptables. On peut donner l'exemple de la nationalité à cet égard. Un État peut parfois réglementer la conduite de ses propres ressortissants à l'étranger.
Certains autres principes sont inacceptables. Il y a ce qu'on appelle la «doctrine des effets». Si un État est d'avis qu'un comportement à l'étranger peut avoir un effet sur son territoire, il peut choisir de légiférer et d'exiger que les gens à l'étranger se conforment à sa philosophie.
De l'avis du Canada et de l'avis de la communauté internationale en général, ce n'est pas un principe fondamental de compétence. Le principe du territoire et, dans certains cas, celui de la nationalité, conviennent davantage.
Il y a eu beaucoup d'ouvrages sur ce sujet et les tribunaux se sont également penchés sur la question, jusqu'à un certain point. Tels sont les principes fondamentaux reconnus de la compétence.
Le président: Est-ce que je me trompe, lorsque je pense que toute loi adoptée par le Canada à propos d'un navire marchand en haute mer est un exemple de loi autorisée?
M. Lauzon: Je pense que vous avez raison sur ce point. Vous pourriez parler dans ce cas-là de «principe de personnalité».
La doctrine de l'extraterritorialité prend toute sa force en cas de conflit entre deux États. Un État peut s'opposer à toute loi de portée extraterritoriale. En haute mer, on ne peut évidemment pas parler de souveraineté territoriale. En règle générale, il n'y a personne pour s'y opposer. En droit maritime, il est possible de légiférer à propos de ce qui se passe à bord de navires canadiens à l'étranger. Cela ne pose aucun problème.
Le sénateur Ottenheimer: Ce projet de loi exprime l'opposition du Canada à cette loi américaine de portée extraterritoriale. Comment, en tant que Canadiens, faisons-nous la distinction entre notre opposition à cette loi de portée extraterritoriale et les mesures extraterritoriales prises par le Canada à propos de la pêche au-delà de la zone des 200 milles? Je ne suis pas contre; je suis de Terre-Neuve. Toutefois, si un Américain devait nous poser une telle question, comment ne pas l'éviter et comment y répondre?
M. Lauzon: Mon collègue des Affaires étrangères va vous répondre.
M. Douglas Forsythe, Direction du droit économique, ministère des Affaires étrangères et du commerce international: D'autres ont déjà fait pareille observation. M. Lauzon a déjà précisé cette distinction. Il y a conflit lorsqu'un État, le Canada en l'occurrence, a des lois et des politiques auxquelles contreviennent les Américains dans l'exercice de leur compétence territoriale.
Dans le cas des pêches, il n'y avait pas d'État territorial et donc pas de conflit possible.
Les États-Unis prétendent que les mesures qu'ils prennent sont justifiées par la doctrine des effets dont a parlé M. Lauzon; il est toutefois quasiment indéfendable de prétendre qu'une expropriation qui remonte à 35 ans a toujours un effet sur le territoire des États-Unis.
Dans le cas des pêches, il s'agissait d'un impact direct sur le Canada. C'était un cas tout à fait différent. On ne peut comparer ces deux situations et prétendre que le Canada se conduit de la même façon que les États-Unis avec la Loi Helms-Burton. Je crois que cela sera avancé si jamais l'affaire Canada-Espagne est instruite à la Haye.
Le sénateur Ottenheimer: Je vais essayer de m'en souvenir au cas où je me retrouverais dans une telle situation.
Le président: Je tiens à vous montrer que je comprends bien votre réponse. Vous dites qu'en ce qui concerne les modifications à la Loi sur la protection des pêcheries côtières, nous traitions d'un secteur maritime ne relevant d'aucune compétence nationale établie, n'est-ce pas?
M. Forsythe: Nous avons un conflit en raison de la mise en cause d'un État membre de l'OPANO.
Il faudrait parler d'un autre élément, celui d'un accord ou d'un consensus international en ce qui concerne le moment où une loi de portée extraterritoriale peut s'appliquer. De toute évidence ce n'est pas le cas en ce qui concerne les mesures prises par les États-Unis.
Le président: Vous dites que dans certains cas, le droit international accepte la possibilité d'extraterritorialité.
M. Forsythe: C'est exact. Si vous examiniez le Code criminel du Canada, vous y trouveriez un certain nombre d'articles où le Parlement du Canada exerce son droit d'appliquer sa juridiction extraterritoriale. Cela fait presque toujours suite à des ententes internationales qui sont habituellement des conventions de la période de l'après-guerre.
Dans le cas des pêches, on pourrait dire que nous avons précédé l'entente internationale mais, comme les événements subséquents l'ont montré, je crois, avec les conventions sur les stocks chevauchants, le Canada exprimait un consensus au moment où nous avons pris nos mesures controversées. La communauté internationale s'entendait pour dire qu'il était approprié pour un État d'agir de la sorte pour protéger les stocks chevauchants. Ce consensus s'est traduit depuis dans des accords avec les Nations Unies. Il n'existe tout simplement pas de consensus dans le cas des actions américaines.
Le président: Vous dites qu'il est impossible de prétendre que ce qui s'est passé à Cuba il y a des années a des répercussions importantes, tandis que, dans le cas de notre mesure législative, les répercussions étaient évidentes.
M. Forsythe: Je ne dirais pas que c'est impossible, parce que c'est exactement ce que soutiennent les Américains. Nous croyons que c'est un argument très faible et nous le rejetons.
Le sénateur Grafstein: Cela est très important. Voyons voir si je peux formuler ma question d'une manière qui me soit acceptable.
On ne peut pas dire que la Loi sur la protection des pêcheries côtières contrevient au droit international si l'on accepte la position selon laquelle le droit international repose sur un consensus ou un précédent solide. Autrement dit, le Canada ne se rend coupable d'aucune violation. Comme il s'est soustrait au droit international, il ne s'agit pas d'un précédent explicite pour ce qui est du conflit avec le droit international tel qu'il s'applique à la Loi sur la protection des pêcheries côtières.
J'essaie d'établir une distinction entre, d'une part, les principes établis, le conflit entre les États et les droits territoriaux et, d'autre part, un consensus incertain quant aux droits tels qu'ils s'appliquent à la Loi sur la protection des pêcheries côtières. Est-ce une façon juste d'établir la distinction entre les deux cas?
M. Wright: J'aimerais faire une remarque. Nous sommes ici pour parler de la Loi Helms-Burton. Nous essaierons de répondre aux questions que vous ou les sénateurs nous poserez à cet égard. Nous ne sommes pas ici pour parler ni la politique canadienne sur les pêches ou ni de la Loi sur les pêches.
Cela dit, si vous croyez que nous devrions continuer dans cette voie, nous serions heureux d'essayer de répondre à vos questions.
Le président: Il s'agit d'un problème fondamental -- du moins de mon point de vue. C'est la raison pour laquelle je me suis orienté dans cette voie.
Y a-t-il des cas où les mesures législatives extra-territoriales sont acceptables en droit international? Vous avez répondu oui à cette question. Vous avez ensuite dit que la Loi Helms-Burton dépasse les limites de ce qui est acceptable et vous avez expliqué pourquoi.
Je me sens donc à l'aise d'examiner les dispositions du projet de loi.
Le sénateur Ottenheimer: Je ne conteste pas cela. C'est une question fondamentale.
La question de l'«extraterritorialité» est importante. Les Américains pourraient insister là-dessus dans le cadre des échanges que nous aurons avec eux.
Cela dit, ai-je raison de supposer que le gouvernement du Canada a présenté ce projet de loi parce qu'il estimait ne pas avoir d'autre recours en ce qui concerne la Loi Helms-Burton?
De quels recours, le cas échéant, dispose le Canada aux termes du GATT ou de l'ALÉNA? Peut-il éventuellement invoquer ces accords pour protéger les intérêts canadiens ou sont-ils inutiles?
M. Wright: Des voies s'ouvrent à nous sous le régime tant de l'OMC que de l'ALÉNA.
Nous avons accepté d'unir nos efforts à ceux de l'Union européenne. Il s'agit de sa cause, mais nous serons une tierce partie active dans la bataille qu'elle a engagée avec les États-Unis à cet égard. Nous examinerons la cohérence de ce geste avec l'OMC et nous nous sommes réservé également le droit de passer à la prochaine étape aux termes de l'ALÉNA.
Si vous voulez connaître les dispositions de l'OMC ou de l'ALÉNA que nous pourrions examiner, nous serions heureux de vous en parler en détail.
Le sénateur Ottenheimer: Ce serait utile.
M. Wright: Mme Osendarp peut peut-être en discuter.
Mme Joanne Osendarp, Direction des recours commerciaux, ministère des Affaires étrangères et du commerce extérieur: Comme le disait M. Wright, nous avons déjà dit que nous participerions en tant que tierce partie à la bataille que livre l'Union européenne sous l'égide de l'OMC.
À ce sujet et à propos des motifs qui seront invoqués, il y a des motifs qui s'appuient sur le GATT, mais je ne m'attarderai pas longtemps sur l'affaire liée à l'OMC.
Pour ce qui est de l'affaire liée à l'ALÉNA, nous avons signalé aux Américains, dans une lettre demandant que la commission se réunisse le 28 juin, que nous examinerions le chapitre 3 concernant les produits, le chapitre 12 qui traite des services, le chapitre 11, plus particulièrement, sur les investissements et le chapitre 16 qui régit l'entrée des gens d'affaires dans le territoire des partenaires de l'ALÉNA.
Le président: Où en êtes-vous à l'heure actuelle? Quel est l'échéancier?
Mme Osendarp: Nous avons rempli toutes les exigences procédurales qui nous permettent maintenant de demander la création d'un groupe spécial. Nous avons eu deux rondes de consultations -- la première, le 26 avril et la deuxième, le 28 mai. La commission de l'ALÉNA s'est également réunie le 28 juin. Nous devions tenir ces consultations avant de pouvoir vraiment demander la création d'un groupe spécial de l'ALÉNA.
Nous sommes en train de déterminer à quel moment nous présenterons la demande de création d'un groupe spécial, mais nous pourrions le faire immédiatement parce que nous en avons le droit depuis la fin juillet.
Le sénateur Bolduc: Il y a trois étapes. Vous en avez terminé la première. Est-ce que la deuxième sera le groupe spécial?
Mme Osendarp: Nous en avons terminé en fait avec les deux premières étapes: les consultations et la réunion de notre commission. La troisième étape consiste à demander la création d'un groupe spécial.
Le sénateur Ottenheimer: Comme l'OMC et l'ALÉNA offrent des recours, peut-on dire que cette mesure législative vise en partie à manifester notre solidarité envers l'Union européenne et à nous réconcilier avec elle de façon tout à fait intéressée. Je ne dis pas que ce soit répréhensible, mais ne s'agirait-il pas d'une des raisons du dépôt de la mesure législative?
M. Wright: Je vous prie de me corriger si je me trompe, mais je pense que nous avons déposé notre mesure législative avant n'importe qui d'autre. Nous avons été les premiers à déposer cette mesure législative, avant le Mexique et l'Union européenne.
Nous l'avons fait en partie parce que nous ne sommes pas tout à fait sûrs que nos droits, aux termes tant de l'ALÉNA que de l'OMC, protégeraient les intérêts soit des gens d'affaires canadiens, soit des entreprises aux États-Unis visées par la partie III, ou des gens d'affaires et de leurs familles qui voyagent aux États-Unis qui sont assujettis à la Partie IV. Nous voulions nous protéger des deux façons.
Le président: Je veux que nous nous en tenions à cette question étant donné qu'elle est fondamentale.
Nous avons ici un projet de loi portant modification d'une loi qui a été promulguée en 1984. Parmi les autres pays qui sont directement en cause dans la discussion actuelle, s'en trouvent-ils qui disposent d'une mesure législative comparable à notre Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères? La France, le Royaume-Uni ou le Mexique ont-ils une loi semblable?
M. Forsythe: Oui, le Royaume-Uni dispose de la Protection of Trading Interests Act, dont nous nous sommes inspirés pour rédiger notre Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères.
La France détient certains pouvoirs réglementaires pour bloquer une tentative d'exécution d'un jugement, mais ce n'est pas vraiment comparable. L'Union européenne a donc récemment décidé d'adopter une mesure législative similaire à l'échelle de l'Union pour assurer l'uniformité.
Le président: De toute évidence, vous ne faites donc pas ici oeuvre de pionnier; vous ne faites que renforcer des dispositions que le Parlement a déjà prises.
M. Forsythe: Vous avez tout à fait raison de dire que les principes juridiques ont été établis dans la mesure législative.
Les principales dispositions qui sont modifiées sont les articles 8 et 9 qui accordaient des droits de non-reconnaissance et de recouvrement concernant les jugements étrangers rendus dans le cadre de procédures engagées sous le régime de lois antitrust ou de lois sur la concurrence. Cette modification en élargit la portée à toute une gamme de lois, dont la loi Helms-Burton.
Le sénateur Bolduc: L'un des objectifs du projet de loi est d'offrir un recours devant les tribunaux canadiens contre des réclamants américains. Cela sera efficace dans le cas des biens canadiens de ces entreprises mais que se passera-t-il dans le cas des biens américains des entreprises canadiennes?
M. Forsythe: Il ne fait aucun doute que cela n'est pas efficace dans la mesure où il nous est impossible de dicter la conduite des tribunaux américains. Cependant, un Américain qui pourrait être partie à un litige saurait qu'une poursuite pour recouvrement est possible au Canada et devrait en tenir compte. Est-ce que cela assure la protection absolue des biens canadiens aux États-Unis? Sûrement pas et nous n'avons jamais prétendu pareille chose.
Le sénateur Bolduc: Vous avez des objectifs clairs mais limités.
M. Forsythe: C'est exact.
Le sénateur Grafstein: Si cela va trop loin au niveau de votre analyse, veuillez me le laisser savoir.
Si nous examinons un instant la loi Helms-Burton dans le contexte américain, est-ce que le ministère de la Justice des États-Unis ou des conseillers américains nous ont donné leur point de vue sur la capacité de contester la loi Helms-Burton devant les tribunaux aux États-Unis? A-t-on examiné les recours dont disposent un particulier ou un gouvernement aux États-Unis pour contester la loi Helms-Burton?
M. Forsythe: Nous savons que beaucoup d'analyses ont été faites. Êtes-vous en train de demander si le gouvernement du Canada envisage ce genre de procès?
Le sénateur Grafstein: Le gouvernement du Canada pourrait appuyer un Canadien dans le cadre d'une contestation interne -- par interne je veux dire au sein du système judiciaire des États-Unis -- visant à museler la loi Helms-Burton.
M. Forsythe: Il ne fait aucun doute que certains Américains, entre autres des avocats, ont discuté assez publiquement de ce qu'ils considèrent être les lacunes constitutionnelles de la loi Helms-Burton et nous surveillons les arguments présentés pour et contre. Il serait exagéré de dire que nous étudions activement la question, c'est-à-dire que nous planifions d'y participer. Cependant, si un Canadien intentait des poursuites, si on en arrivait là, je suis sûr que nous envisagerions cette possibilité mais comme ce n'est pas le cas pour l'instant, je ne suis pas en mesure d'en parler.
Le sénateur Grafstein: Je crois comprendre que la loi Helms-Burton viole des précédents internes bien établis aux États-Unis en ce qui concerne l'expropriation. Je pensais qu'il était assez clair en vertu des lois américaines que quiconque a une réclamation ne peut obtenir réparation qu'en invoquant la loi interne appropriée. Est-ce exact?
M. Forsythe: Cela est tout à fait nouveau non seulement en matière de droit international mais également en matière de droit interne américain. Quant au jugement que rendrait un tribunal américain, je suppose que nous devrions inviter un avocat américain ici pour obtenir plus de précisions.
Le sénateur Grafstein: Si les réclamants américains ont des craintes à propos de la confiscation, de l'expropriation ou quoique ce soit à Cuba, en dehors de la loi Helms-Burton, ont-ils le droit de s'adresser aux tribunaux des États-Unis pour faire ensuite exécuter le jugement? En d'autres mots, l'usage selon les lois comparables de notre pays consiste à exercer un recours auprès du système canadien puis, si un jugement est rendu en notre faveur, d'essayer de le faire exécuter à l'aide de mesures extraterritoriales. À mon avis, cela est conforme à la règle de droit. Autrement dit, si nous ne sommes pas satisfaits d'une mesure prise aux États-Unis, nous pouvons entamer des poursuites en vertu de nos lois nationales ou des lois américaines, choisir notre recours puis, s'il y a lieu, faire exécuter ce jugement par une tierce partie. Ce genre de mécanisme est-il prévu aux États-Unis?
M. Forsythe: Un litige assez incertain est en cours à l'heure actuelle où on prétend qu'il existe une cause d'action ayant trait aux biens expropriés d'un Américain à Cuba, ce qui, à ma connaissance, est contesté par la défense. La loi Helms-Burton confère un droit d'action qui jusque-là n'existait pas. J'ignore si le réclamant aux États-Unis aurait le droit de présenter sa réclamation devant un tribunal américain. Le droit américain prévoit le recours à la Foreign Claims Settlement Commission.
Le sénateur Grafstein: Veuillez nous expliquer de quoi il s'agit.
M. Forsythe: La Foreign Claims Settlement Commission est un organisme américain lié au Trésor. Lorsque les biens de ressortissants américains ont été expropriés par des gouvernements étrangers, un processus était prévu selon lequel cet organisme, la Foreign Claims Settlement Commission, entendait les réclamations des Américains et décidait s'il y avait lieu pour le gouvernement américain de les défendre -- c'est-à-dire d'intervenir et de présenter ces réclamations à l'État étranger -- puis évaluait le montant de la réclamation. Dans le cas des expropriations cubaines, la Commission a clos le dossier de ces réclamations en 1971.
Il s'agit d'un processus unilatéral qui n'a jamais été présenté autrement. Il existe des processus similaires au Canada. Jusqu'à récemment nous avions une Commission nationale des réclamations étrangères qui s'occupait de cas semblables. Dans le cadre de cet arbitrage unilatéral, un État pouvait s'adresser à un gouvernement étranger pour lui dire: «Nous avons des réclamants et nous sommes convaincus qu'ils satisfont aux critères du droit international et de nos procédures internes. Voici la valeur en dollar de la réclamation». Habituellement, on obtient un règlement.
Le sénateur Grafstein: Les réclamants ont toujours accès à ce processus.
M. Forsythe: C'est exact. Les États-Unis et Cuba y ont accès pour négocier une réclamation.
Le sénateur Grafstein: J'essaie de suivre la règle de droit ici car l'un des arguments avancés, c'est que cela est contraire à la règle du droit international et du droit interne.
Si j'étais un réclamant dans une affaire dont s'occupe le gouvernement américain, c'est-à-dire une confiscation ou une expropriation de biens, à titre de Canadien ou d'Américain, ai-je un recours dans le cadre du processus de justice internationale? Nous avons parlé de poursuites internes et de mesures extraterritoriales. Existe-t-il des organisations internationales à la Haye qui peuvent s'occuper des questions d'expropriation? Autrement dit, quels sont les droits ou les recours internationaux accessibles à un Américain qui présente une réclamation de ce genre?
M. Forsythe: Très souvent maintenant, les investisseurs ont conclu des ententes avec les États où ils investissent, qui prévoient le recours à des groupes d'arbitrage et à ce genre de mécanismes. C'est une question de droit international public. Un citoyen privé ne possède pas ce genre de droit. Un État présente les réclamations, souvent à la Haye.
Le sénateur Grafstein: Pour préciser, supposons qu'une personne arrive à convaincre le gouvernement américain de la légitimité de sa réclamation, est-ce que les États-Unis peuvent alors, d'État à État, présenter une réclamation dans le cadre du processus de justice internationale?
M. Forsythe: Ce genre d'affaire est habituellement réglé par la voie diplomatique et débouche sur un règlement des réclamations. Il existe des procédures qui permettent de porter les réclamations devant les tribunaux, comme la célèbre affaire Barcelone à la Cour internationale de Justice. Dans ce genre de circonstances, il faut que les parties soient d'accord pour porter leur cause devant cette instance.
Le sénateur Grafstein: Je ne voudrais pas tirer des conclusions trop hâtives, mais je suppose que si les États-Unis décidaient d'appuyer un réclamant, ils auraient un recours auprès des tribunaux internationaux. Je reviens aux processus originaux. Si mon expérience du droit international est exacte, au cas où un navire coule et le gouvernement américain veut obtenir réparation, il pourrait intenter des poursuites devant une instance internationale, à condition que ce soit l'État qui présente la réclamation par opposition au particulier, ou l'État qui appuie la réclamation au nom du particulier.
M. Forsythe: Il existe des mécanismes qui permettent à l'État de présenter des réclamations au nom d'un particulier.
Le sénateur Andreychuk: Ma question est de nature politique plutôt que juridique.
Certains ont soutenu que même si nous protégions maintenant certaines entreprises grâce à cette loi, le règne de Castro tire à sa fin, en raison entre autres de son âge, et nous risquons de nous trouver dans une situation où le gouvernement cubain d'alors, dans un avenir rapproché, pourrait négocier avec les Américains ou avec certaines personnes pour présenter à nouveau ce type de loi. Certains pourraient prétendre que les étrangers ne comprennent pas les liens qui existent entre les Américains d'origine cubaine et les Cubains. Ils pourraient jouer sur les deux tableaux. Nous risquons de nous trouver sans aucun recours si un nouveau régime décide d'accorder une indemnisation dans ce genre de situation. Ayant choisi un camp plutôt qu'un autre, nous nous verrons exclus. Y a-t-il une réponse à cela?
M. Lauzon: Cela revient à ce que l'on a dit tout à l'heure. Si ce genre de cas se produisait à l'heure actuelle avec une entreprise canadienne à Cuba, cette loi nous permet de protéger les intérêts de cette entreprise canadienne. Un Américain pourrait essayer de poursuivre le Canadien et le Canadien pourrait venir au Canada récupérer l'argent qu'il a perdu. Il est assez bien protégé. Plus tard, le gouvernement de Cuba pourrait changer et pourrait décider, par exemple, d'exproprier les biens de ce Canadien et de les rendre à un Américain ou à un Américain d'origine cubaine qui veut retourner à Cuba. Si quelqu'un est exproprié et ne reçoit aucune indemnisation, ou que l'indemnisation n'est pas acceptable, le Canada peut alors défendre la cause de l'un de ses citoyens et obtenir réparation par la voie diplomatique pour ce citoyen canadien. Si cela ne fonctionne pas, il y a alors la possibilité d'en appeler aux tribunaux internationaux. Il existe des recours juridiques.
Le sénateur Andreychuk: Quelle est votre position ou votre politique actuelle concernant l'indemnisation en cas d'expropriation par d'autres pays? Y a-t-il une limite de temps? Est-ce que chaque cas est étudié individuellement? Quelle est votre position sur les expropriations faites par des gouvernements étrangers?
M. Lauzon: Je pense que jusqu'à un certain point, chaque cas serait étudié individuellement. En examinant les circonstances dans lesquelles des biens ont été expropriés, on pourrait déterminer les procédures qui existent dans le pays en question, si les biens ont été évalués équitablement et si une indemnisation raisonnable a été offerte.
Au Canada, nous exproprions des gens lors de la construction d'une autoroute ou d'un barrage hydro-électrique. Nous avons toutefois des mécanismes d'indemnisation. Nous croyons qu'en général ce sont des mécanismes équitables et que personne n'a lieu de s'en plaindre. Dans le cas d'un étranger, son gouvernement n'a pas lieu de se plaindre.
C'est sans doute une réponse générale sur le plan juridique mais il y a peut-être un aspect politique dont il faut tenir compte.
M. Forsythe: Nous adhérons au principe selon lequel l'investisseur étranger est en droit de s'attendre à une indemnisation complète, rapide et suffisante, en cas d'expropriation. L'investisseur étranger devrait examiner les recours qui existent au niveau local.
En ce qui concerne le Canada, nous avons un mécanisme pour obtenir réparation. Nous défendons les réclamations de nos ressortissants lorsqu'ils font l'objet d'une expropriation dans des pays étrangers. Comme M. Lauzon l'a indiqué, il faudrait examiner chaque cas selon ses mérites.
En ce qui concerne les expropriations d'après-guerre faites par les régimes socialistes en Europe de l'Est, nous avons négocié des règlements au nom des Canadiens.
Le sénateur Andreychuk: Dans un an d'ici, s'il y a un changement de gouvernement à Cuba et qu'il permet aux propriétaires précédents de récupérer leurs biens parce que l'indemnisation qu'ils ont reçue n'était pas juste et équitable, quelle serait la position du Canada?
M. Forsythe: Je ne crois pas être en mesure de me prononcer sur la position future du Canada. Cependant, par le passé, nous avons protégé les intérêts de nos investisseurs. C'est une question hypothétique.
Le président: Est-ce que nous établissons une distinction entre une expropriation qui découle d'un changement de politique du gouvernement et une expropriation qui découle d'un changement amené par une révolution, comme celle qui s'est produite en Russie en 1917?
Si je me souviens bien, les Occidentaux qui avaient des obligations avant la révolution jugeaient qu'ils auraient dû être indemnisés. Je ne veux pas aller dans les détails mais est-ce que nous établissons une distinction entre un changement de gouvernement, donc un changement de politique, et un changement provoqué par des troubles révolutionnaires? Est-ce une distinction pertinente?
M. Forsythe: Je ne crois pas qu'il y ait de distinction. Il est possible, par principe, d'adopter une démarche différente pour régler des réclamations dans un pays où il y a eu une révolution et des expropriations massives que celle qui serait utilisée dans des cas isolés d'expropriation.
Le sénateur Grafstein: J'aimerais revenir à certains aspects juridiques. Si cela ne relève pas de votre compétence, veuillez nous l'indiquer.
Le Canada est membre de l'Organisation des États américains ou OEA, comme l'est Cuba. Existe-t-il des mécanismes de règlement des différends commerciaux au sein de l'OEA auxquels auraient pu recourir les États-Unis?
M. Ross Snyder, directeur adjoint (Cuba), Direction des relations avec les Antilles et l'Amérique centrale: Je ne suis pas au courant de l'existence de mécanismes particuliers de règlement des différends commerciaux au sein de l'OEA.
Le sénateur Grafstein: N'existe-t-il donc aucun mécanisme? L'OEA a unanimement, à l'exception des États-Unis, condamné la loi Helms-Burton. N'existe-t-il pas de recours commerciaux prévus dans les diverses ententes conclues dans le cadre de l'OEA?
Mme Osendarp: Pas à notre connaissance. Comme M. Wright l'a indiqué lorsqu'il a été présenté, l'OEA a soumis l'affaire de la loi Helms-Burton au comité juridique interaméricain qui a publié son rapport en août. Ce rapport indiquait clairement que la loi Helms-Burton n'était pas conforme au droit international pour diverses raisons. M. Wright en a mentionné trois mais le rapport en renferme beaucoup plus. À l'exception de ce rapport, nous ne sommes pas au courant d'autres mécanismes de règlement des différends.
Le sénateur Grafstein: Vous ne savez pas ou vous n'avez pas déterminé si cette loi ne correspond pas aux normes établies par l'OEA?
Mme Osendarp: Non.
Le sénateur Grafstein: Je parle de normes par opposition à des précédents.
M. Snyder: Le comité s'est prononcé en fonction du droit international. Il n'existe aucun mécanisme hémisphérique permettant de donner suite à ce genre de situation et d'après ce que nous savons, certainement pas au sein de l'OEA.
Le sénateur Grafstein: Si ce genre de mécanisme existe, il serait utile que nous le sachions. Nous n'avons pas approfondi cette question et je n'arrive pas à trouver de documentation à ce sujet.
Mon autre question porte sur l'indemnisation. Quels droits possède une entreprise canadienne touchée par la loi Helms-Burton, qui va apparemment à l'encontre du droit international, d'obtenir une indemnisation du gouvernement cubain?
Quels recours peuvent exercer les entreprises canadiennes qui utilisent des biens conformément aux lois cubaines, qui ont été récupérés par des tiers? Quels sont les recours dont nous disposons en vertu du droit international contre Cuba ou en vertu de tout traité si les entreprises canadiennes sont des parties innocentes? On les invite à faire des affaires, ce qu'elles font conformément aux relations établies entre le Canada et Cuba. Il s'agit d'entreprises canadiennes, conscientes de leurs responsabilités sociales et qui se trouvent maintenant injustement mêlées à un différend international dont elles ne sont pas responsables.
Des mécanismes de protection sont-ils prévus par le droit international ou en vertu des ententes que nous avons conclues avec Cuba, qui pourraient venir en aide aux entreprises canadiennes touchées par cette loi?
M. Forsythe: Nous avons parlé plus tôt du principe du droit international concernant l'obligation de Cuba d'indemniser les entreprises touchées. Le sénateur Andreychuk a mentionné la possibilité d'un régime hostile qui récupérerait les investissements canadiens. Cela irait à l'encontre des principes du droit international.
Nous n'avons pas encore conclu d'entente avec Cuba, bien que cela soit envisagé, pour obtenir une protection supplémentaire. Le type de recours qui pourrait exister en vertu du droit cubain dépendrait en grande partie des arrangements pris par les entreprises canadiennes avec Cuba en ce qui concerne ces biens, ce dont je ne suis malheureusement pas au courant.
Il faudrait que nous connaissions les détails de chaque transaction pour vous donner une opinion éclairée.
Le sénateur Grafstein: Si vous examinez le projet de loi, vous constaterez qu'il va beaucoup plus loin que l'objectif visé, en ce qui concerne les dommages. Par exemple -- et il y a l'autre contestation devant les tribunaux américains -- si j'achète un cigare et que je le vends à quelqu'un, en partant du principe que le tabac qui a servi à confectionner ce cigare a été récolté sur une ferme confisquée, une ferme nationalisée, est-il vrai que, selon une interprétation raisonnable de la loi Helms-Burton, je peux être tenu responsable de la valeur de la ferme et non du profit que je pourrais faire sur la vente du cigare?
M. Forsythe: C'est exactement notre interprétation du projet de loi. Le montant qui pourrait être réclamé pour les dommages subis est entièrement disproportionné par rapport à votre participation économique.
Le sénateur Grafstein: Existe-t-il aux États-Unis une loi ou un mécanisme de protection pour empêcher que le montant des dommages-intérêts soit disproportionné par rapport à la proposition? Autrement dit, au Canada, la common law prévoirait un correctif. Comme il s'agit ici de droit administratif et international, cela devient plus complexe. Existe-t-il une protection en cas de dommages exagérés?
M. Forsythe: Nous ne sommes pas des avocats américains, mais j'ai fait allusion plus tôt à l'existence d'un certain nombre d'opinions qui citent les aspects de la Loi Helms-Burton susceptibles d'être attaqués. D'après ce que certains avocats américains ont indiqué, le montant complètement disproportionné des dommages-intérêts en est un. Je ne suis malheureusement pas en mesure de vous donner plus de détails.
Le sénateur Whelan: Je ne sais pas par où commencer car j'ai beaucoup de choses à dire à propos de Cuba et de ce que le gouvernement a fait et n'a pas fait.
Je pense que certains d'entre vous ont participé aux négociations de l'ALÉNA.
Il existe d'autres lois aux États-Unis qui vont à l'encontre des lois et des règles internationales en matière de commerce, entre autres l'Agriculture Export Enhancement Act. Je ne trouve nulle part dans les débats de cas, même s'ils existent peut-être, où le gouvernement canadien aurait manifesté son opposition à cette loi. Le gouvernement canadien n'a jamais dit aux Américains: «Ce que vous faites est illégal. Vous êtes en train de couper l'herbe sous le pied de nos partenaires commerciaux.»
Je me souviens lorsque l'ancien secrétaire adjoint de l'Agriculture, John Norton, de l'Arizona, voulait être secrétaire. Dole et ses collègues ne voulaient rien entendre. Plus tard, il est venu ici et a dit que cette loi causerait un tort énorme à nos partenaires commerciaux et était contraire à toutes les ententes internationales que nous avions conclues. Avez-vous des commentaires à ce sujet?
M. Wright: Il s'agit d'un autre programme, sénateur, mais je me souviens clairement de ce dossier. Nous nous sommes opposés pendant de très nombreuses années au programme américain de subventions aux exportations.
J'ai le plaisir de vous rapporter que par suite de la dernière série de négociations commerciales, les États-Unis ont accepté d'éliminer ce programme.
Cela dit, vous avez raison. C'est un problème auquel nous avons fait face pendant de nombreuses années. Nous avons communiqué au gouvernement américain notre vive opposition à la façon dont il a administré ce dossier.
Le sénateur Whelan: J'ai travaillé dans le secteur privé pendant quelques années, non pas de mon propre gré mais parce que j'ai été mis à la porte. J'ai travaillé en collaboration avec une grande institution financière à un projet de construction d'un complexe hôtelier à Cuba, devant inclure un centre de retraite. Cela remonte à il y a au moins huit ans.
Le marché, une fois conclu, s'élevait à 26 millions de dollars. Entre-temps, une énorme institution financière à Toronto achetait une banque en Californie pour environ 350 millions de dollars, une transaction nettement plus importante que notre petit projet hôtelier à Cuba. Lorsque les responsables de l'institution ont rencontré les banquiers californiens, les banquiers leur ont demandé quel serait leur prochain projet. Lorsqu'ils ont répondu qu'ils construisaient un hôtel de 26 millions de dollars à Cuba, les Américains ont protesté en disant: «Oh non! Les organismes de réglementation n'approuveront jamais cette transaction si vous allez à Cuba parce que cela relève de la «Enemy Act» et que vous pouvez utiliser les profits de cette banque pour financer la propriété à Cuba.»
L'institution financière a annulé la totalité de la transaction. Nous avions réservé des billets d'avion pour le lendemain et loué deux maisons à la Havane où des trafiquants de drogues et des resquilleurs avaient vécu avant de retourner en Floride. J'apporte cette précision parce que c'est le genre de gens dont il s'agissait.
La transaction a été annulée et ils ont perdu par la suite la banque en Californie ainsi que la somme supplémentaire de 1,5 milliard de dollars aux États-Unis.
Ce genre de situation me rappelle une citation de Thomas Jefferson: Aucune nation ne doit dicter à une autre l'administration de ses affaires, comme ils ont dévié de ce principe. La guerre froide a peut-être eu du bon en créant de la concurrence sur le marché. Certains d'entre vous se souviendront d'un homme du nom de Gorbatchev et de la manière dont nous l'avons détourné du droit chemin en lui montrant comment démocratiser son pays.
Avez-vous étudié ce qui s'est passé dans d'autres pays comme l'Allemagne? Qu'est-il arrivé aux droits de propriété des familles en Allemagne de l'Est?
M. Forsythe: La situation de l'Allemagne est sans aucun doute assez différente. Par suite de l'unification de l'Allemagne, ces gens sont devenus des ressortissants du pays où ont eu lieu les expropriations. Cela est différent du cas d'étrangers dont les biens sont expropriés. Il ne s'agit pas d'une situation analogue. Comme vous le savez sans doute, l'Allemagne a établi un système très complexe.
Le sénateur Whelan: La Cour suprême d'Allemagne a déclaré que les familles n'ont aucun droit de propriété sur les successions.
M. Forsythe: Cela a compliqué leur système.
Le sénateur Whelan: Des Canadiens et des Américains qui croyaient avoir des droits de propriété en Allemagne ont également été touchés.
M. Forsythe: Il ne s'agit pas d'une situation dont je m'occupe directement. D'autres collègues s'occupent de ce problème. Il ne fait aucun doute que la législation proposée, conjuguée à la décision constitutionnelle, a grandement compliqué la situation.
Le sénateur Whelan: La loi Helms-Burton est contraire à notre conception de la liberté de mouvement et de tous les aspects du commerce international.
Comment un gouvernement peut-il adopter une telle loi? Pourquoi les Démocrates et les Républicains ont-ils appuyé cette loi?
Le président: Je doute que nos témoins soient en mesure de répondre à cette question.
Le sénateur Whelan: Lorsque j'étais président de la commission des chemins de comté, nous avons accompli plus de travail en cinq ans que la province de l'Ontario en 35 ans. Nous avons acheté des terres aux agriculteurs pour élargir les routes. Nous n'avons jamais eu recours à l'expropriation. Nous avons réglé la question à l'amiable, sur le perron ou dans la cuisine, mais nous n'avons jamais fait appel à des avocats. Nous avons procédé au moyen d'ententes mutuelles. Cela n'est-il pas possible à l'échelle internationale?
M. Forsythe: Oui, c'est ce que M. Lauzon a indiqué.
Le sénateur Whelan: Le Canada a réglé ses réclamations territoriales avec Cuba en 1980. Tous les autres pays en ont fait autant. Pourquoi les États-Unis d'Amérique n'ont-ils pas réglé cette question à l'époque?
M. Wright: Vous devriez poser cette question à l'administration américaine, sénateur.
Le sénateur Whelan: Vous l'ignorez? Avec toute l'information que vous êtes en train de nous donner sur la loi Helms-Burton, vous me dites que vous l'ignorez? Il serait intéressant que le comité ait cette information. Je n'ai pas l'intention de poser la question aux représentants des États-Unis d'Amérique. J'aurais cru que nos bureaucrates le sauraient.
M. Wright: Je peux bien sûr faire des suppositions. Vous pourriez poser cette question non seulement au gouvernement américain mais aux sénateurs Helms et Burton. Cette loi a été adoptée après que des avions américains ont été abattus. Le climat politique était tel que l'administration américaine a jugé préférable de ne pas opposer son veto à la loi.
Nous avons fait connaître notre opposition en termes très fermes à l'époque, tant à l'administration qu'au Congrès. Nous n'avons cessé de maintenir cette position depuis l'adoption de la loi en question. Les Américains savent très bien quelle est la position du gouvernement canadien au sujet de cette loi.
Le sénateur Whelan: Le témoin a soulevé une autre théorie à propos des avions américains qui ont été abattus. Il n'existait aucune indication comme quoi des gens se trouvaient à bord de ces avions. En fait, d'après certaines preuves, il semblerait qu'il s'agissait d'avions contrôlés par radio. Aucune recherche n'a été faite pour trouver des corps.
Le président: Que des gens se soient trouvés ou non à bord de ces avions, la loi Helms-Burton a été adoptée par les États-Unis et nous avons devant nous un projet de loi destiné à assurer aux entreprises canadiennes une protection contre cette loi américaine.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à étudier ce projet de loi, article par article?
Des voix: Oui.
Le président: Honorables sénateurs, nous avons devant nous un projet de loi modifiant une loi. Ce projet de loi renferme neuf articles. Y en a-t-il parmi vous qui souhaitent traiter de l'un de ces articles en particulier?
Dans la négative, les sénateurs sont-ils d'accord pour adopter les articles 1 à 9 du projet de loi?
Des voix: D'accord.
Le président: Le titre du projet de loi est-il adopté?
Des voix: Adopté.
Le président: Êtes-vous d'accord pour que je fasse rapport du projet de loi sans amendement?
Des voix: D'accord.
Le président: Honorables sénateurs, j'aimerais soulever avec vous une question concernant les travaux du comité. Cependant, auparavant, je tiens à remercier les témoins de m'avoir aidé personnellement, ainsi que mes collègues du comité, à mieux comprendre une question plutôt obscure, à savoir l'extraterritorialité. Vos témoignages nous ont été très utiles. Nous vous remercions.
La séance se poursuit à huis clos.