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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 19 - Témoignages - Séance du matin


VANCOUVER, le mercredi 5 février 1997

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères s'est réuni aujourd'hui à 9 h 13 pour examiner, dans le but d'en faire rapport, l'importance croissante pour le Canada de la région Asie-Pacifique, en mettant l'emphase sur la prochaine Conférence pour la coopération économique en Asie-Pacifique qui aura lieu à Vancouver à l'automne 1997, l'année canadienne de l'Asie-Pacifique.

Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, la séance est ouverte. Nous allons reprendre aujourd'hui nos travaux sur la région Asie-Pacifique ici à Vancouver. Le grand avantage qu'offre Vancouver est qu'il existe dans cette partie du Canada de nombreuses personnes qui connaissent bien la région que nous sommes en train d'étudier. Ce déplacement offre en outre l'avantage de nous permettre de nous consacrer entièrement à notre mandat, ce qui serait impossible à Ottawa. Nous allons pouvoir y travailler pendant trois grandes journées et retirer ainsi tous les bénéfices que permet ce genre de concentration de temps et d'attention.

Le sénateur Pat Carney est la vice-présidente du comité; elle souhaite peut-être, à ce titre, dire quelques mots.

Le sénateur Carney: Monsieur le président, j'aimerais remercier les sénateurs d'être venus à Vancouver. Vous êtes bien loin de votre Nouvelle-Écosse, sénateur Stewart. Je suis heureuse de pouvoir vous montrer que le soleil brille aussi sur cette côte. Le sénateur Perrault vient également de Vancouver. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les sénateurs et à tous les visiteurs.

Notre comité est un des plus actifs comités sénatoriaux. Il est non seulement responsable des affaires étrangères et des projets de loi dans ce domaine mais il est également chargé de s'occuper du commerce et des investissements. Ce comité a étudié en détail toutes les lois et les ententes commerciales importantes, notamment l'ALE et l'ALÉNA.

Le comité vient d'achever, l'été dernier, une grande étude de la monnaie européenne commune et ses membres ont estimé qu'en particulier ici à Vancouver, il serait bon d'examiner les relations du Canada avec la région du Pacifique, étant donné que nous entrons dans l'année du Pacifique.

C'est un sujet très large. Monsieur le président, je pense que l'on peut dire que nous n'avons pas encore concentré nos efforts sur un domaine donné. Nous allons entendre toute une série de témoins à Ottawa et à Vancouver qui vont nous parler des différents aspects des relations canadiennes dans cette région et nous nous réjouissons à l'avance de poursuivre nos travaux ici.

Je trouve ça très agréable de ne pas avoir à prendre un avion pour me rendre à Ottawa. J'aimerais que nous le fassions plus souvent. C'est la première fois que notre comité siège à Vancouver et nous avons hâte de commencer nos audiences.

Bienvenue à tous. Merci beaucoup d'être venus ici. Je suis très reconnaissante aux personnes qui vont participer à notre audience de bien avoir voulu prendre le temps de le faire.

Le président: Notre premier témoin ce matin représente la Fondation Asie-Pacifique du Canada. J'aimerais toutefois dire quelques mots avant de passer le micro à M. William Saywell, le président de la fondation.

Le comité est très reconnaissant envers la Fondation Asie-Pacifique d'avoir facilité la tenue de nos audiences à Vancouver. Elle a beaucoup aidé le greffier du comité, M. Pelletier, qui m'a déclaré qu'il a bénéficié d'une collaboration remarquable de la part de Mme Kelly Turner. Il n'a pas été jusqu'à dire que cette collaboration était plus efficace que celle que nous avons obtenue dans d'autres lieux où nous étudions les relations entre le Canada et l'Union européenne mais je crois qu'il était prêt à dire que notre voyage aurait été plus facile dans certaines régions d'Europe si Mme Kelly Turner s'était chargée des préparatifs. Je tiens à la remercier personnellement de la collaboration dont elle a fait preuve à notre endroit.

Les membres du comité savent que M. Saywell a déjà comparu devant nous à Ottawa. J'ai pensé qu'il serait utile qu'il assiste à notre audience d'aujourd'hui qui se tient sur son terrain. Cela fait plusieurs semaines que nous n'avons pas traité de cette question et son intervention va nous aider à concentrer notre réflexion sur la région Asie-Pacifique et à nous préparer pour ces trois jours de travaux intensifs.

M. Saywell, je vous passe le microphone et vous demande de donner le coup d'envoi de notre réunion ici à Vancouver.

M. William Saywell, président de la Fondation Asie-Pacifique du Canada: Honorables sénateurs, je tiens à vous dire que je suis également heureux de me trouver à Vancouver et non pas à Ottawa. J'ai quitté Ottawa hier soir à 18 heures, juste avant que n'arrive une autre tempête, ce qui a été peut-être le cas de la plupart d'entre vous. Je tiens en particulier à féliciter quatre sénateurs -- la délégation de la Colombie-Britannique au complet -- qui se trouvent ici actuellement, à un moment où, lorsque nous avons des journées comme celle-ci. Bienvenue à tous, les gens de Vancouver sont bien souvent en train de prendre un café dans la rue Robson ou de se promener sur la plage.

Je dois vous dire que je ne m'attendais pas à comparaître de nouveau devant le comité en qualité de témoin et que je m'attendais simplement à assister aux réunions et aux exposés des témoins en espérant pouvoir me rendre utile. Cependant, puisque l'on m'a réinscrit à l'ordre du jour, je vais mentionner deux ou trois choses et ensuite, essayer de lancer une discussion, ou démarrer une période de questions et réponses, le plus rapidement possible.

J'aimerais résumer en deux minutes l'essentiel de ce que je crois avoir dit à Ottawa en novembre dernier, si ma mémoire ne me trahit pas. On m'a suggéré de dire quelques mots de l'approche Équipe Canada au renforcement des échanges commerciaux dans la région ainsi que de l'année canadienne de l'Asie-Pacifique et du rôle -- tant passé que futur -- de la Fondation Asie-Pacifique.

Lorsque j'ai assisté à vos audiences à Ottawa, je vous ai rappelé la rapidité avec laquelle l'économie de la région de l'Asie du Sud-Est s'est développée. Je n'ai pas parlé de l'Asie du Sud. Je parlais en fait du secteur est, de la région comprenant le Japon, la Corée dans le nord-est jusqu'à l'Indonésie et les autres nations de l'ANASE de l'Asie du Sud-Est. À l'époque, je vous ai dit que la plupart des économistes et des experts en boules de cristal pensaient qu'au cours des 10 ou 20 prochaines années, la moitié au moins de la croissance économique mondiale se produirait dans cette région. Quels que soient les chiffres que l'on examine, on constate que cette croissance sera spectaculaire.

La question que j'ai posée était la suivante: cette croissance peut-elle durer? Est-ce que le centre de gravité de l'économie mondiale s'est vraiment déplacé de façon définitive dans cette partie du globe et de la région Asie-Pacifique? Comme on pourrait s'y attendre, même si je ne suis pas économiste, j'ai donné une réponse nuancée en disant que oui, cela était possible. Le grand point d'interrogation est la stabilité politique, dont je vais parler dans un instant.

Il est possible que l'Asie de l'Est connaisse une croissance économique très rapide et soutenue et que cela joue un rôle déterminant, pour toute une série de raisons, sur toutes les grandes questions de géostratégie mondiale.

Premièrement, la région possède des quantités énormes de capitaux locaux. Dans cette région, en particulier dans un pays comme la République populaire de Chine, les pays n'ont même pas commencé à exploiter, en développant leurs marchés obligataire et boursier, les capitaux qui sont déjà à leur disposition. La raison en est fort simple: cette région connaît et de loin les plus forts taux d'épargne au monde. Le taux moyen d'épargne par habitant en pourcentage du PIB est en Asie de l'Est de 30 p. 100, alors que le nôtre est aux alentours de huit pour cent. Il y a donc des capitaux énormes. Ces pays ne dépendent pas uniquement de nous pour obtenir des capitaux étrangers -- comme on le pense parfois à tort en Occident.

Deuxièmement, cette croissance peut se maintenir, peut-être pas toutefois à un taux à deux chiffres comme celui que nous avons connu depuis 10 ans. En fait, cela serait dangereux. La région a fortement renforcé son intégration sur le plan des échanges et des investissements. Le commerce et les investissements intra-asiatiques représentent une partie importante de l'élan économique que connaît cette région.

Troisièmement, dans cette région, la croissance économique a été alimentée successivement par le remplacement des importations, par les exportations et maintenant par la consommation. Dans une très large mesure, c'est la croissance sans précédent en chiffres absolus de la classe moyenne qui est le moteur de cette économie.

Je me souviens qu'à Ottawa, le sénateur Grafstein et moi-même avions eu une discussion sur ce que constitue la classe moyenne. C'est pour moi une famille qui possède un revenu disponible suffisant en Asie pour acheter des biens et des services occidentaux, pour voyager et pour envoyer ses enfants étudier en Occident, ou faire d'autres choses de ce genre. Dans tous ces pays, la croissance économique actuelle de la région repose en grande partie sur ces personnes qui ont un revenu disponible important et donc de forts besoins de consommation.

Il est évident que le marché est énorme. Il n'est pas nécessaire de rappeler l'énorme croissance démographique de cette région. Le rendement des investissements y est beaucoup plus élevé que dans le reste du monde. Il existe donc des facteurs économiques qui permettent de soutenir que l'Asie de l'Est va très probablement connaître une croissance très forte -- et je veux dire par là conforme aux prévisions de la Banque mondiale, à savoir 7,5 et 8 p. 100 -- au cours des prochaines années que l'on pense aux 5, 10 ou 15 prochaines années.

La question que je me pose est celle de savoir si la stabilité politique va favoriser cette croissance ou lui nuire.

Il existe d'autres sujets mais je crois que vous vous intéressez déjà à ces trois-là.

La Péninsule coréenne, il va sans dire, est une région où il existe des risques de conflit et où règne une grande instabilité. La situation de la Corée du Nord ne donne guère à penser qu'elle va s'améliorer à long terme, cela est sûr.

L'Indonésie fait également face à une grande question, celle de la succession qui va devoir s'opérer dans un avenir proche plutôt qu'éloigné, et dont les éléments fondamentaux n'ont pas encore été mis en place. Il ne faut pas non plus oublier l'ampleur de la diversité culturelle, économique et géographique de ce pays. Quelle que soit la façon dont l'on peut juger le régime actuel, il faut reconnaître qu'il a réussi à préserver une certaine intégration et une certaine stabilité. Il est toutefois difficile de savoir si cette stabilité va pouvoir être maintenue. Je ne prédis pas qu'elle va disparaître; je signale uniquement que l'Indonésie est une autre région dont il convient de tenir compte lorsqu'on examine la stabilité politique à long terme de cette partie du monde.

Pour ma part, c'est la Chine, en particulier la République populaire de Chine, qui m'inquiète le plus. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que ce pays est à la veille de s'effondrer, et que nous allons connaître un retour des «seigneurs de guerre»; je ne prévois pas une telle évolution, mais d'autres le font.

Il y a en fait deux raisons. La première, par ordre d'importance, est qu'en cas d'instabilité politique et de chaos économique en Chine, il est impossible que ces événements n'aient pas de graves répercussions sur le reste de la région et par conséquent, sur le reste du monde. C'est un acteur trop important pour que l'on puisse en arriver à une autre conclusion. C'est pourquoi il faut s'intéresser de près à la Chine, tout comme le font d'ailleurs ses voisins -- que ce soit en fonction d'un scénario d'instabilité ou d'un scénario de forte croissance et de l'accès éventuel au statut de superpuissance. Quelle que soit la façon dont l'on examine la situation, les pays de la région, qu'il s'agisse du Japon ou de ceux de l'Asie du Sud-Est, entretiennent certaines inquiétudes.

La question des risques d'instabilité en Chine dépend pour l'essentiel de raisons économiques. Les disparités augmentent entre les régions et les classes sociales, pour ce qui est du partage ou du non-partage de la croissance économique dont ils sont le témoin. Les régions prospères situées sur la façade maritime, en particulier la province de Guangdong, possèdent un pouvoir régional et elles ont les moyens de se moquer de Beijing pour ce qui est du partage des revenus. Il y a eu certaines améliorations dans ce domaine au cours des 18 derniers mois mais il reste encore un certain nombre de points d'interrogation.

Il faut également se demander si la dégradation de l'environnement, qui est très avancée en Chine, ne va pas compromettre la croissance et la stabilité économiques et par voie de conséquence, la stabilité politique.

J'ai donné comme exemple à Ottawa l'abaissement de la nappe phréatique en Chine du Nord et le projet consistant à dévier le cours du Yangtsé pour apporter de l'eau dans la plaine de la Chine du Nord. Il y a aussi les questions reliées à la pollution de l'air. Quels que soient les efforts déployés en matière de diversification de l'énergie -- et l'on fait beaucoup dans ce domaine -- il leur est impossible d'abandonner le charbon comme principale source d'énergie. Ce charbon est de mauvaise qualité et il entraîne une pollution de l'air spectaculaire, tout comme celle qui découle de l'augmentation impressionnante de la circulation des véhicules. Il est indéniable que la dégradation de l'environnement, de l'eau et de l'air risque de remettre en cause rapidement une croissance économique durable.

Il y a aussi le grave problème que pose les entreprises d'État. Il est absolument impossible de les privatiser, comme il faudrait le faire à cause de leur faible rentabilité dans l'économie mixte actuelle. On sait que ces entreprises sont des éléphants blancs. Il demeure toutefois que les entreprises d'État représentent un réseau social pour la plupart des régions de la Chine et qu'elles intéressent quelque 200 ou 250 millions de personnes, travailleurs et personnes à charge des travailleurs, pour ce qui est des soins sociaux, des retraites, des cliniques, des garderies, des hôpitaux -- tout le tralala. Il est donc impossible de les faire disparaître rapidement.

La corruption est un phénomène répandu. Ce n'est pas un sujet sur lequel les gens de l'extérieur comme nous font des commentaires; par contre, les Chinois en parlent davantage dans leurs journaux régionaux et nationaux. Ils essaient de lutter contre ce phénomène. La corruption règne dans l'ensemble du système, y compris l'Armée de libération populaire, et elle atteint également la fibre économique du pays.

Il y a aussi la question de la succession. Pour ce qui est de savoir qui va remplacer Deng Xiaoping, il est évident que ce sera Jiang Zemin et son groupe. Cette succession pose toutefois deux questions. Il faut d'abord se demander si ce groupe pourra conserver le pouvoir; autrement dit, a-t-il une assise suffisamment large pour conserver le pouvoir pendant un certain temps? Je ne le sais pas mais c'est une question qu'il faut se poser.

La question plus large est, d'après moi, comme je l'ai mentionné à Ottawa, la succession sur le plan des valeurs. J'estime que la Chine d'aujourd'hui est en fait un pays et même une civilisation, parce qu'elle est les deux, qui ne possède pas encore des valeurs clairement structurées. Elle a rejeté le marxisme-léninisme aux poubelles de l'histoire. Elle a connu une révolution économique tant sur le plan des réformes économiques que sur celui des changements introduits dans la façon de vivre et elle a également connu certains changements politiques mais il demeure toujours un écart important entre l'évolution de la situation économique et celle de la situation politique. L'on peut parler d'un rapprochement vers l'État de droit, ou d'autre chose. Mais il y a un manque d'harmonie et d'intégration entre l'évolution économique et ce que j'appellerais, faute de terme plus approprié, son «ensemble de valeurs», ce qui assure la cohésion du pays en termes de valeurs et de valeurs sociales et de consensus sur le type de direction à prendre. J'estime pour ma part -- et là je suis plus intuitif qu'analytique -- que c'est un défi pour toutes les sociétés. Dans une société aussi peuplée et avec des régions aussi variées, c'est un défi impressionnant.

En conclusion, pour résumer mes remarques, je dirais qu'il faut suivre de près la question de l'instabilité politique en Chine. Je suis assez optimiste; je pense que la Chine va faire face à ses défis. Il y aura des accidents de parcours, peut-être quelques accidents graves, mais c'est une question à laquelle il faut s'intéresser et à laquelle la politique étrangère du Canada doit s'intéresser.

J'ajouterais sur cette question, et très brièvement, à titre de note supplémentaire, qu'il est très important que les relations entre la Chine et les États-Unis s'améliorent et s'établissent sur des bases solides. Il y a quelques questions de structure des deux côtés qui vont compliquer cette tâche, même si en fait ces deux pays sont principalement influencés par les considérations économiques.

Il y a la question de Hong Kong et de la façon dont sa situation va évoluer: cela va-t-il toucher l'ensemble des relations des pays situés dans la zone d'influence de la Chine, à savoir la relation entre Taïwan et la Chine continentale?

Pour ce qui est de Hong Kong, je dois vous dire qu'il m'arrive d'être optimiste un jour et d'être pessimiste le lendemain. Il est évident que les Chinois souhaitent que Hong Kong poursuive ses activités. Il n'est dans l'intérêt de personne de modifier trop rapidement et trop profondément Hong Kong. La question se pose d'après moi dans les termes suivants: les Chinois comprennent-ils vraiment ce qui constitue l'apport essentiel de Hong Kong? L'essentiel est cette société profondément marquée par la libre entreprise mais également par la primauté du droit et qui bénéficie d'une fonction publique de grande qualité et peu corrompue; la Commission indépendante contre la corruption. Tous ces éléments ont donné de bons résultats. Lorsque Hong Kong sera complètement intégrée à la façon chinoise de gouverner et de faire des affaires, ces choses vont changer.

Ces derniers jours, nous avons constaté certains changements sur le plan des libertés individuelles. Cela pourrait indiquer que les premiers six ou 18 mois qui vont suivre le changement de statut de Hong Kong vont être plus cahoteux que l'on pourrait souhaiter.

Pour ce qui est de la stabilité et de l'intégration économique, il faut examiner toutes ces questions non seulement en termes économiques, mais également en termes de sécurité internationale. Les questions de sécurité internationale ne sont plus uniquement des questions principalement militaires. Il y a les questions que pose l'immigration illégale, l'absence de contrôle sur la circulation des drogues dans l'ensemble du territoire, la piraterie en haute mer, la dégradation de l'environnement qui dépasse les frontières et touche d'autres pays. Toutes ces questions expliquent que la croissance économique et la stabilité politique soient des éléments qui touchent l'aspect sécurité internationale.

J'estime que la politique étrangère du Canada est fondamentalement saine. Mike Pearson a tracé les grandes lignes de la politique étrangère du Canada, lignes qui sont toujours bonnes, même s'il y a lieu de leur apporter quelques changements mineurs et de les mettre à jour. Elles s'inspirent, d'après moi, d'un choix fondamental effectué par le Canada, celui du «multilatéralisme», qui vaut aussi bien pour l'Europe et les Nations Unies que pour la nouvelle structure de l'APEC qui va jouer un rôle très important. Le Canada devrait s'engager à donner son appui total et à long terme aux activités de l'APEC.

Officiellement et si l'on s'en tient à la lettre, l'APEC s'intéresse uniquement aux questions commerciales et économiques mais cet organisme est également amené à s'occuper d'autres questions comme le renforcement de la confiance dans la sécurité de la région, le développement des ressources humaines et l'environnement. Que ces sujets figurent ou non à l'ordre du jour des réunions, il est impossible que les dirigeants, les hauts fonctionnaires et les ministres de cette région dynamique puissent se rencontrer aussi régulièrement qu'ils le font sans être obligés d'aborder ces sujets. L'APEC est un organisme très important qui dépasse les aspects économiques qui constituent l'essentiel de sa mission.

Le Canada a toujours un rôle très intéressant à jouer, celui d'intermédiaire de bonne foi, mais il nous arrive souvent de donner trop d'ampleur à ce rôle. Par exemple, je me trouvais il n'y a pas très longtemps en Corée avec un groupe canado-coréen, le forum Canada-Corée, et un Canadien a demandé si nous ne pourrions pas faire quelque chose pour réduire les tensions dans la péninsule coréenne et s'il ne serait pas bon de relancer le dialogue sur la sécurité dans le Pacifique Nord que M. Clark avait instauré il y a plusieurs années.

La réponse des Coréens, qui ont été plus directs qu'ils le sont souvent, a pour l'essentiel consisté à dire: «Pas vraiment, vous n'avez aucun rôle à jouer là-dedans. C'est un rôle qui appartient aux grandes puissances, les États-Unis, la Chine, nous-mêmes et la Corée. Vous êtes gentils mais non merci.» Cela rappelle utilement -- et bien sûr, j'ai dit cela à ma façon, je n'ai pas repris leurs paroles -- que le Canada peut faire certaines choses, comme dans la mer de Chine méridionale où nous jouons un rôle utile, à l'arrière-plan, un rôle discret; il ne faudrait pas toutefois se faire une idée irréaliste de ce que nous pouvons faire. Nous avons de bonnes relations bilatérales avec la plupart de ces pays parce que nous savons ce qu'il nous est possible de faire. Ces relations sont fondées sur l'absence de passé colonial, sur de bonnes relations économiques et sur les fonds d'aide au développement que nous avons apporté dans le passé. Nous devons centrer nos efforts sur notre rôle multilatéral, tant officieusement qu'officiellement, en appuyant des organismes comme l'APEC et en nous intéressant à ces grandes questions.

Je vais terminer en abordant trois sujets: Équipe Canada, l'Année canadienne de l'Asie-Pacifique, et la Fondation Asie-Pacifique.

On ne saurait surestimer l'importance économique de nos rapports avec les pays de cette région. Si nous ne renforçons pas notre présence dans l'Asie de l'Est, il nous sera impossible de bénéficier de la croissance économique que cette région pourrait nous apporter. Nous pouvons faire preuve d'un grand altruisme et nous intéresser sincèrement à d'autres questions mais nos rapports économiques avec cette partie du monde revêtent une importance cruciale. L'approche Équipe Canada a été fort utile pour deux ou trois raisons. Elle a montré aux Asiatiques que nous souhaitions avoir davantage de visibilité. Ces voyages attirent l'attention de la presse et permettent de rencontrer des personnes que nous ne pourrions voir autrement. Cela ouvre des portes, en particulier, pour les petites et moyennes entreprises.

La plupart des échanges commerciaux effectués en Asie, et la plupart des sociétés qui sont actives dans cette région, sont reliés d'une façon ou d'une autre aux gouvernements des pays asiatiques, de façon beaucoup plus directe que cela ne se fait en Amérique du Nord. Lorsque le premier ministre fédéral et les premiers ministres provinciaux amènent une délégation d'hommes d'affaires en Asie, cela ouvre des portes aux petites et moyennes entreprises qui devraient autrement attendre des années avant de les voir s'ouvrir. C'est ensuite à elles de se faire accepter mais l'ouverture des portes est un élément important. Les honorables sénateurs connaissent mieux que moi, en raison de leur association étroite avec le gouvernement, que cela permet d'exercer des pressions sur les administrations des deux côtés de l'océan pour qu'elles s'occupent de choses qui doivent déboucher depuis des mois et des mois. La visite récente d'Équipe Canada à Bangkok pour l'entente Thai-sat, qui aurait dû déboucher il y a très longtemps, illustre fort bien cet aspect.

Malgré le scepticisme des médias à l'endroit d'Équipe Canada -- même si j'ai l'impression que cette initiative a été beaucoup mieux traitée par les médias cette fois-ci qu'elle ne l'avait été au cours des deux dernières occasions -- cette initiative a eu des effets très positifs pour le pays. Cette initiative a le plus souvent débouché sur la signature de protocoles d'entente, qui, à leur tour, peuvent se transformer en accords même si ce n'est pas toujours ce qui se produit, mais elle a été efficace et j'espère que le gouvernement va la poursuivre d'une façon ou d'une autre.

Avec l'Année canadienne de l'Asie-Pacifique, le gouvernement reconnaît l'importance que cette région a pour nous. Les divers programmes, les cinq réunions ministérielles de l'APEC qui seront tenues dans les différentes régions du pays, voilà des choses auxquelles s'intéresse activement la Fondation Asie-Pacifique.

Nous organisons un sommet des jeunes à Winnipeg. Nous sommes en rapport avec au moins trois ministères pour ce qui est des programmes associés aux programmes commerciaux. Nous sommes très actifs cette année.

La question que je me pose au sujet de l'Année canadienne de l'Asie-Pacifique est la suivante: le 31 décembre, ou le lendemain de la réunion des dirigeants à Vancouver en novembre, allons-nous laisser les portes se fermer et dire que cela a été agréable et utile, que nous sommes davantage sensibilisés à ces aspects mais qu'il n'y aura pas de suivi? Chaque fois qu'un élan est donné, qu'il s'agisse d'une partie de base-ball ou d'une question nationale, il est important d'assurer un suivi. Il serait très utile que le comité oeuvre dans cette direction.

Je vais vous donner ma petite annonce commerciale de deux minutes au sujet de la Fondation Asie-Pacifique. Je rappelle aux sénateurs que la Fondation Asie-Pacifique du Canada a été créée il y a 12 ans par une loi du Parlement qui a été adoptée à l'unanimité. Je ne sais pas si cela se produit très souvent. Je tiens également à faire remarquer, en particulier à mes quatre collègues de la côte Ouest, que je ne crois pas me tromper en disant que c'est le seul organisme national -- c'est-à-dire qui ait une mission nationale -- créé par le Parlement qui ait son siège social à Vancouver.

Nous faisons face à des difficultés financières énormes et je suis favorable aux principes qui sous-tendent la stratégie économique du gouvernement, à savoir la réduction du déficit et éventuellement de la dette -- la dette continue de s'accroître. Cependant, il y a des questions de priorité. Il est important qu'il y ait un organisme national qui continue à sensibiliser les Canadiens à l'importance de la région de l'Asie-Pacifique et qui mette au point des programmes qui ont pour effet de familiariser les Canadiens avec cette partie du monde et de les rendre plus compétitifs.

Avec notre programme qui envoie des représentants des médias en Asie, grâce à nos bourses que nous avons dû malheureusement suspendre, même si nous maintenons certains programmes modestes, et les grandes initiatives auxquelles nous participons, nous faisons entrer des centaines de millions de dollars au Canada.

Une année sur deux, notre filiale à 100 p. 100, la Globe Foundation, organise à Vancouver ce qui est considéré comme un événement international majeur, la Foire commerciale de l'environnement et la conférence qui s'y greffe. Globe 96 avait 411 exposants de tous les pays du monde qui faisaient la promotion des échanges commerciaux dans le domaine de l'environnement à quelque 11 000 ou 12 000 visiteurs. Près de 50 organismes nationaux et internationaux ont tenu des assemblées sur l'environnement ici à Vancouver grâce à la foire organisée par le Globe. Selon une vérification indépendante, nous estimons que la foire du Globe a apporté au Canada près de 400 millions de dollars de contrats commerciaux.

Nous avons créé, en partenariat avec le gouvernement du Canada, le Réseau canadien de centres d'éducation, dont j'ai parlé rapidement la dernière fois. Nous ouvrons deux nouveaux centres, l'un à New Delhi, l'autre à Mexico. En avril, il y aura neuf centres en opération sur une base de recouvrement des coûts; toutes les institutions canadiennes, qu'il s'agisse d'une école privée d'ALS, d'une école secondaire, d'un collège ou d'une université, qui souhaitent commercialiser leurs cours et leur formation, accueillir des étudiants étrangers ou offrir des programmes en Asie peuvent, en payant des frais d'adhésion, commercialiser leurs services en Asie. C'est un secteur qui représente 3 milliards de dollars par an. C'est le secteur des échanges de services où le Canada est le plus compétitif.

Nous avons un système d'éducation et de formation de première classe -- oui, je suis partial; j'ai travaillé très longtemps au sein de l'éducation -- mais nous le faisons de façon relativement peu coûteuse, comparativement aux autres pays -- et dans un environnement accueillant et sécuritaire. Cela n'a pas seulement pour effet d'amener des centaines de millions de dollars au Canada mais cela favorise aussi les contacts stratégiques avec l'Asie. Plus de 50 p. 100 des étudiants étrangers qui étudient au Canada viennent d'Asie. Ils apportent chacun quelque 27 000 $ par an à l'économie locale.

À cause des efforts déployés dans le domaine de la commercialisation, le nombre d'étudiants est passé cette année de 400 à 8 000. Cela représente 250 millions de dollars pour le Canada. De plus, et c'est là l'aspect clé de cette situation, ce sont les fils et les filles de l'élite des pays d'Asie. Après avoir étudié au Canada, ils reviennent dans leur pays d'origine et par définition, ils entrent dans une entreprise familiale, au gouvernement, ils sont embauchés par des multinationales; ils occupent presque immédiatement des positions où ils ont du pouvoir et exercent de l'influence. Ils ont d'excellents souvenirs du Canada. Ils connaissent nos noms; ils connaissent nos produits. Toutes choses étant égales par ailleurs, comme cela est le cas dans une économie mondiale, ils préfèrent acheter chez nous.

Le Réseau canadien des centres d'éducation et la Globe Foundation représentent des centaines de millions de dollars pour notre économie, de Terre-Neuve à l'île de Vancouver.

La Fondation Asie-Pacifique du Canada mérite votre appui et je vous invite à faire tout ce que vous pouvez pour qu'elle puisse poursuivre ses activités. Nous sommes de plus en plus obligés de trouver nous-mêmes les fonds dont nous avons besoin. En tant qu'organisme national, nous réussissons très bien dans ce domaine mais je ne suis pas certain que nous puissions faire tout cela seuls.

Le sénateur Carney: M. Saywell, vous avez couvert beaucoup de sujets. Le témoignage que vous avez donné ici et à Ottawa a été fort utile à notre comité. Je sais que vous avez travaillé à diverses questions liées à la sécurité dans le Pacifique nord avec plusieurs administrations et que vous êtes en mesure de nous donner des conseils dans ce domaine. Vous avez fait allusion au rôle assez modeste que joue le Canada dans le Pacifique et vous pourriez peut-être nous en dire davantage sur ce que nous pourrions faire. Nous n'avons guère de visibilité, comme vous le savez.

Ma question touche directement l'APEC. Vous avez dit que vous aimeriez que la conférence de l'APEC débouche sur quelque chose. À quoi pensez-vous?

M. Saywell: Cela pourrait prendre diverses formes. D'après moi -- et vous me pardonnerez mon préjugé favorable qui vient de mes antécédents dans le domaine de l'éducation -- la meilleure façon d'assurer un suivi est dans le domaine éducatif. Il est important de faire connaître la région de l'Asie-Pacifique aux étudiants de la fin du secondaire et du niveau collégial et de leur donner diverses possibilités, pour que cette région fasse partie de leur vie. Si je devais choisir une priorité, ce serait celle-là. On ne peut pas tout faire.

Si j'étais premier ministre, je dirais, au sujet du montant de 20 millions de dollars que nous essayons d'obtenir pour l'Année canadienne de l'Asie-Pacifique et l'APEC: «Nous allons veiller à ce que l'on verse une autre somme de 10 millions de dollars à une organisation nationale comme la nôtre qui concentre ses efforts dans ce domaine.»

Il y a aujourd'hui des milliers de jeunes Canadiens qui vont en Asie pour commencer leur carrière, grâce à des programmes universitaires d'alternance. Il existe de nombreuses façons de cibler nos jeunes et d'imaginer une forme de suivi qui soit enrichissante pour eux.

Le sénateur St. Germain: Je vous remercie de nous avoir livré un excellent exposé, M. Saywell. Je connaissais vos capacités pour vous avoir déjà rencontré et vous avez encore renforcé cette impression ce matin avec votre exposé. Vous devez être un vendeur capable de vendre Winnipeg! C'est là que j'ai grandi.

Ma question concerne les violations des droits de la personne. Comment un pays comme le Canada peut-il concilier ses positions? Nous savons que dans certains pays, il y a des violations graves des droits de la personne; mais apparemment, nous changeons souvent de position ou de direction, pour des raisons économiques, et nous fermons les yeux sur les violations des droits de la personne et poursuivons nos échanges commerciaux. Dans d'autres secteurs, nous agissons différemment. Nous ne semblons pas agir de façon cohérente.

Aux yeux du public, nous sommes souvent amenés à concilier des positions divergentes. Je ne parle pas de l'administration actuelle. C'est un problème qui n'est pas nouveau dans le monde libre -- les pays du G-7 et la façon dont ils réagissent à ce genre de situation.

Avez-vous des recommandations à formuler? Cela va-t-il continuer de cette façon? Va-t-on constater de graves incohérences dans nos rapports avec les pays étrangers, du moins en apparence?

Vous avez fait allusion au fait qu'il n'y avait pas de valeurs communes en Chine. Bien souvent, lorsqu'il s'agit de violation des droits de la personne, je ne crois pas qu'il y ait de valeurs communes aux États-Unis, au Canada, en France et dans d'autres pays, sur la façon dont il convient de réagir à ce genre de questions.

M. Saywell: Je ne dirais pas qu'il n'y a pas de valeurs communes en Chine. Par contre, il y a, je crois, un passage vers un nouvel ensemble de valeurs. C'est une question intéressante.

Le Canada a le choix comme tous les autres pays. Il peut se couper les jambes et compromettre ainsi sa propre prospérité économique et l'emploi en disant qu'il refuse de faire des affaires avec un pays donné parce qu'il n'aime pas la façon dont le gouvernement de ce pays traite la population. Si nous adoptions une telle attitude à l'endroit des grandes puissances avec lesquelles nous traitons, cela nous coûterait très cher sur le plan de notre propre bien-être social et économique.

Allons-nous continuer à adopter une attitude ambiguë à ce sujet? Oui, c'est ce que nous allons faire. Quel que soit le gouvernement au pouvoir à Ottawa, c'est ce qui va se passer. En fin de compte, nous sommes responsables du bien-être économique, du filet social et de la qualité de l'éducation au Canada. En tant que pays, nous sommes très dépendants du commerce international et cela ne changera pas.

Cela est particulièrement vrai du Canada parce que nous n'avons pas la force de négociation qu'ont les États-Unis en situation bilatérale. Nous n'avons pas les moyens de taper sur la table et de dire: «Si vous ne faites pas cela, nous allons faire ceci,» parce que nous n'obtiendrons rien de cette façon. Nous allons continuer à vivre dans un monde dans lequel nous ne sommes pas d'accord avec tout ce qui se fait mais c'est le monde tel qu'il existe.

Cela dit, on peut mentionner que d'une façon générale le gouvernement canadien -- et cela vaut, d'après moi, pour les diverses administrations qui se sont succédé à Ottawa depuis plusieurs dizaines d'années -- n'a pas fait de grosse erreur dans son traitement des droits de la personne. Il a fait preuve de réalisme. Il a été le défenseur discret mais néanmoins persistant du changement. À l'heure actuelle, et depuis de nombreuses années, notre aide au développement a comporté des volets qui sont reliés aux droits de la personne sans le dire vraiment -- la question du bon gouvernement. Nous donnons des conseils sur la façon de mettre en place des réformes juridiques.

Certains critiques y voient de l'hypocrisie, mais cela ne changera pas: à long terme, l'économie s'ouvre; cette évolution entraîne ensuite la réforme de l'économie et la réforme du mode de vie et cela provoque ensuite, un changement dans les valeurs fondamentales.

J'ai déclaré qu'il existait en Chine un grand fossé dans ce domaine. Ce fossé pourrait toutefois être comblé en partie si la croissance économique se poursuit de façon constante et qu'elle s'accompagne de réformes économiques, la population va l'exiger et cela va entraîner des changements sur le plan des valeurs. Voilà comment il faut faire, selon moi, du moins.

Le sénateur Andreychuk: Je suis d'accord avec vous sur la question d'Équipe Canada. C'est une initiative importante mais je voudrais défendre les médias. Vous avez mentionné qu'ils s'étaient basés sur les résultats. Mais n'est-ce pas le gouvernement lui-même qui a dit que «les résultats» étaient la raison d'être d'Équipe Canada et son aspect essentiel? Je ne crois pas que l'on puisse critiquer les médias pour l'importance qu'ils leur ont donnée. J'espère que les représentants du gouvernement vous entendent lorsque vous dites qu'à long terme, le suivi qui peut déboucher d'Équipe Canada va se faire sentir sur le plan de l'éducation.

Ma question -- et je vais me limiter à une seule question -- vient du fait que pour vous l'essentiel est la croissance économique, parce que cela amène des changements très positifs quel que soit la région ou le pays. Vous avez également mentionné que la Chine en particulier, mais également le reste de l'Asie, n'était pas très dépendante des investissements étrangers, parce qu'elle possédait ses propres réserves de capitaux.

Si nous souhaitons en arriver à une société multilatérale au sein de l'économie mondiale, et le Canada a toujours souhaité un système économique qui respecte les règles -- l'Organisation mondiale du commerce -- quelle garantie avons-nous que nous allons obtenir en fin de compte des règles efficaces? Dans d'autres domaines, nous avons dû intervenir dans une structure économique marquée par la corruption, et qui n'était pas le moindrement réceptive à nos valeurs économiques; nous avons réussi à amener des intervenants comme le Club de Paris en Afrique et d'affirmer: «Voilà comment il va falloir jouer désormais.» Nous avons réussi ainsi à multiplier les pressions et les pays ont dû respecter un certain nombre de règles internationales.

Lorsque vous dites que cette région possède ses propres capitaux, cela veut dire que les pressions que l'on peut exercer de l'extérieur ne seront pas suffisantes pour entraîner des changements. Sur quoi vous basez-vous pour affirmer que les organismes commerciaux mondiaux vont réussir à imposer un certain nombre de règles? Il me semble que, pour obtenir la stabilité, tant politique qu'économique, que nous recherchons tous, il faudrait que nous puissions exercer une certaine influence sur la situation mondiale.

M. Saywell: C'est une excellente question mais je vais devoir nuancer ou reformuler ce que j'essayais de dire. Je soutenais simplement que l'une des raisons pour lesquelles l'on peut être optimiste au sujet de la poursuite de la croissance économique rapide en Asie est que ces pays possèdent des capitaux internes à cause des forts taux d'épargne. Cela ne veut pas dire qu'ils ne sont pas intégrés à l'économie mondiale ou qu'ils ne souhaitent pas nos capitaux. C'est le contraire. Ils sont très désireux d'avoir des investissements étrangers et d'entretenir des échanges commerciaux avec nous. Ils sont tout aussi dépendants que les autres pays du commerce et des investissements internationaux.

Je dis simplement qu'il y a beaucoup de gens dans l'Ouest qui pensent que, si nous «reprenons nos billes et rentrons chez nous», ces pays vont s'effondrer. Cela n'est pas vrai. Ces pays sont beaucoup plus intégrés et disposent de ressources financières beaucoup plus vastes que nous le pensons.

Lorsque les pays asiatiques deviennent membres d'organisations internationales, comme l'Organisation mondiale du commerce -- il est important que la Chine devienne membre à part entière de cette organisation -- ils acceptent les règles du jeu et les appliquent.

Le sénateur Andreychuk: Au cours de la première ronde de négociation de l'Organisation mondiale du commerce, on pensait que la Chine allait se refuser à négocier à partir des règles actuelles et qu'elle allait proposer son propre ordre du jour. Je ne pense pas qu'elle ait participé aux négociations qui ont eu lieu avec d'autres pays. Pensez-vous qu'elle va accepter de suivre ces règles?

M. Saywell: La Chine, comme n'importe quel pays qui adhère à une nouvelle organisation, négocie en fonction de la façon dont elle voit les choses. Elle considère qu'elle a besoin d'un maximum de temps, à titre de pays en développement, avant de mettre en oeuvre intégralement les règlements applicables aux pays développés. Elle fait ce que n'importe lequel d'entre nous ferait en arrivant dans une organisation de ce genre.

Cet organisme prévoit plusieurs catégories de pays qui ont chacune leurs règles. Bien évidemment, étant encore un pays en développement, la Chine souhaite entrer dans la catégorie la plus basse pour disposer du maximum de temps avant de changer de catégorie. Il n'y a rien d'extraordinaire à cela. Lorsque la Chine adhère à une organisation et en accepte les règles -- et c'est ce qu'elle a d'ailleurs fait dans les autres organisations internationales -- dans l'ensemble, elle les respecte.

L'APEC n'est pas un organisme du même genre. C'est un organisme culturel asiatique où les décisions sont prises de façon volontaire et en fonction d'un consensus; les pays vont dans la direction qu'indique le consensus. Il n'y a aucune règle ou règlement à respecter.

Le sénateur Perrault: La Fondation Asie-Pacifique du Canada a réussi à se faire une réputation excellente sur la Côte Ouest et dans l'ensemble du Canada. Une bonne part des félicitations doit aller à M. Saywell.

M. Saywell a parlé des droits de la personne à Hong Kong. Je m'y trouvais il y a quelques mois. Bien entendu, nous sommes très optimistes mais nous craignons le pire. Ces deux derniers jours, on a restreint les droits de la personne et les libertés individuelles à Hong Kong. Le conseil consultatif, qui a été nommé par la RPC, a commencé à limiter la liberté de parole et les droits individuels à la suite d'une décision unanime du comité. Il me semble que c'est un organisme de la RPC. Cela devrait-il nous inquiéter? Pensez-vous que les droits de la personne seront respectés après la réunification?

Le sénateur De Bané: Il dit que cela dépend des jours; il est optimiste une journée et le lendemain, il ne l'est pas.

Le sénateur Perrault: Je me demande s'il est optimiste aujourd'hui.

M. Saywell: Non, je ne le suis pas.

Le sénateur Perrault: Je suis sûr que vous avez lu vous aussi ces derniers rapports.

M. Saywell: Nous sommes aujourd'hui mercredi; je suis de retour à Vancouver et le soleil brille. J'ai quitté Ottawa hier soir. Je suis très optimiste à propos de tout sauf à propos de Hong Kong. Je suis plutôt inquiet de ce qui se passe à Hong Kong.

Comme je l'ai dit, en fin de compte ils veulent que cela fonctionne mais ils font parfois des choses stupides. C'est un domaine qui est vital pour les intérêts de cette ville et de notre pays. Nous allons poursuivre nos efforts et rappeler à tous qu'une transition difficile pour Hong Kong aurait nécessairement de graves répercussions internationales.

Le sénateur Grafstein: Monsieur le président, je suis reconnaissant à M. Saywell d'être revenu nous voir. J'aimerais parler de la question nationale et aborder ensuite les problèmes structurels dont souffrent actuellement nos échanges commerciaux avec l'Asie.

D'abord, la question nationale. Si vous ne souhaitez pas répondre à cette question, je comprendrai parce que nous nous trouvons à Vancouver.

Nous avons procédé à une étude assez détaillée de nos relations commerciales -- Canada-Europe. Notre comité en est arrivé à la conclusion que ce qui nous empêchait d'être des concurrents commerciaux plus efficaces était la situation qui régnait dans notre marché national; avant d'essayer de prôner les échanges internationaux, nous devons prôner les échanges nationaux. Au moment où nous nous parlons, il semble que la Colombie-Britannique ne soit pas d'accord avec cette analyse. Qu'en pensez-vous? Autrement dit, croyez-vous que notre compétitivité s'améliorerait de façon spectaculaire si nous renforcions la concurrence dans notre marché intérieur? Il y a à l'heure actuelle de grands secteurs de notre marché où la concurrence est faible, mais ceci ne nous empêche pas d'aller en Asie et de prôner la concurrence. J'aimerais avoir vos commentaires.

M. Saywell: Je vous remercie de m'avoir laissé la possibilité d'éviter la question. Dans mon poste de président d'université que j'ai occupé pendant une dizaine d'années, j'ai appris à éviter les questions partisanes.

Pour répondre à votre question, je vous dirais que je ne suis pas économiste et que je ne sais donc pas quel serait l'effet sur notre compétitivité internationale de la réduction des barrières à l'intérieur du Canada. Manifestement, je pense qu'il faudrait supprimer les barrières commerciales à l'intérieur du Canada et libéraliser les échanges intérieurs; je ne suis toutefois pas en mesure de vous dire quel effet cela aurait sur notre compétitivité à l'échelon international.

Le volume de nos échanges commerciaux avec l'Asie a augmenté. Notre part de marché a diminué très sensiblement. La valeur ajoutée n'a pas augmenté autant que nous pouvions l'espérer.

Le sénateur Grafstein: Cela m'amène à ma question suivante. Lorsque j'examine les derniers chiffres concernant les échanges entre le Canada et l'Asie, après avoir soustrait nos échanges avec les États-Unis, je constate que l'Asie est maintenant notre principal partenaire commercial. Ces chiffres concernent les périodes 1991-1992 et ne sont peut-être pas à jour; vous avez peut-être des chiffres plus récents. En mettant de côté les États-Unis, je conclus de ces chiffres que l'Asie est maintenant notre principal partenaire commercial. Nos échanges avec cette région représentent environ 40 p. 100 de notre commerce.

Par contre, si nous enregistrons un excédent commercial avec les États-Unis, nous continuons d'avoir un déficit commercial très important dans nos échanges avec l'Asie. En 1991, ce déficit s'élevait à environ 6 milliards de dollars. La situation a probablement empiré. Nous parlons de ces choses et nous faisons preuve d'optimisme à l'égard de nos initiatives commerciales, qui jouent un rôle essentiel, mais il n'empêche que nous nous trouvons dans une situation tout à fait critique pour ce qui est de l'équilibre de nos échanges commerciaux avec l'Asie, pour l'essentiel, je crois, avec le Japon et la Chine. Avez-vous examiné ce problème? Il existe d'importants secteurs commerciaux où règle un dangereux déséquilibre.

J'estime qu'il s'agit là d'une question de sécurité; autrement dit, en fin de compte, en cas d'effondrement des marchés, comme cela s'est produit au Japon sur les marchés financiers, le Canada pourrait se trouver dans une situation économique très grave. La côte ouest pourrait ressentir un très grave contrecoup.

Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de ce qui est pour moi une situation vraiment urgente?

M. Saywell: Notre déficit commercial avec l'Asie est de 1,25 à 1 selon les chiffres de 1994-1995, si je me souviens bien mais il est possible que je me trompe. Votre remarque est tout à fait exacte. Il est évident que notre principal partenaire économique est et sera toujours les États-Unis. Les statistiques concernant les tendances de nos échanges commerciaux avec l'Asie ne reflètent pas vraiment leur diversité, ni leur valeur stratégique à plus long terme. Ici, en particulier, mais également dans d'autres régions du pays, il y a de nombreuses petites entreprises qui vendent de nombreux produits, qui peuvent aller de composants de la construction domiciliaire en bois à des logiciels et qui commencent à enregistrer des progrès.

Ce que les chiffres ne montrent pas, c'est la mesure dans laquelle les relations commerciales et l'échange de services entre le Canada et cette région du monde ont augmenté de façon considérable, pour ce qui est des services dans le domaine de l'éducation, dont j'ai déjà parlé, du tourisme, des services financiers, de la comptabilité, de l'administration d'entreprise, des services de consultant, des services d'ingénieurs-conseils. Nous réussissons très mal à obtenir l'appui de l'IDE, en particulier lorsqu'il s'agit d'infrastructure mais nos entreprises d'ingénieurs-conseils obtiennent d'excellents résultats.

Si l'on examine l'ensemble de la situation et qu'on tienne compte des changements modestes qui ne se reflètent pas dans nos statistiques, on peut dire qu'il y a des raisons d'être optimistes.

Que pouvons-nous faire pour accélérer les choses et les améliorer? La réponse est mieux faire connaître l'importance de l'Asie. Servez-vous de la Fondation Asie-Pacifique pour envoyer des jeunes en Asie; il faut qu'ils vivent en Asie et qu'ils comprennent ces pays pour qu'ils veuillent travailler avec l'Asie lorsqu'ils seront revenus au Canada, quelle que soit leur branche d'activités.

Nous devons augmenter les crédits accordés au développement des exportations. Certains de nos concurrents, comme la France, font beaucoup plus que nous dans ce domaine.

Il faudrait élargir sensiblement le recours aux consortiums, pour pouvoir atteindre une masse critique. Le Kenora Group en est un exemple.

Il nous faut également consacrer du temps, des efforts et de l'argent pour tenter d'établir des alliances stratégiques avec des partenaires asiatiques. Prenons, par exemple, l'industrie de la construction. La plus grande partie de la construction et du développement des infrastructures en Asie, secteur qui va représenter des milliards de dollars au cours des 10 prochaines années, est exécutée par de gros conglomérats coréens. Il y a de la valeur ajoutée, qu'il s'agisse de la gestion de la construction d'un aéroport ou de la gestion d'un aéroport. Nous pouvons travailler avec une société de construction coréenne en mettant sur pied une coentreprise ou en créant une alliance stratégique. Ce genre de choses a un effet bénéfique pour tous.

Il ne faut pas minimiser l'importance des services lorsqu'on examine les échanges commerciaux et les effets économiques. Cela est difficile parce que les statistiques ne sont pas très bonnes.

Le sénateur Lawson: Merci de nous avoir présenté un excellent exposé. Je m'intéresse à la question de la Corée du Sud. J'étais un des membres d'une petite délégation de syndicats américains qui s'est rendue en Corée du Sud. Nous avons rencontré des représentants du gouvernement et pour célébrer l'occasion, ils ont organisé un dîner auquel assistaient les 40 présidents nationaux des 40 syndicats nationaux qui forment le mouvement syndical libre coréen.

Le gouvernement a décrit les principes et les politiques qu'il avait adoptés dans le domaine des relations de travail et il a ensuite invité les 40 présidents nationaux à faire des commentaires ou à contribuer à la discussion. Nous avons été surpris de voir qu'aucun des 40 dirigeants nationaux n'avait quoi que ce soit à dire. Le gouvernement a été quelque peu gêné.

Si l'on transpose la situation ici, on serait très surpris qu'un Louis Laberge, un Ken Gorgetti, un Bob White ou un Jack Munro ne dise rien dans une réunion de ce genre.

Les représentants du gouvernement ont, pour alléger l'ambiance, proposé un déjeuner privé le lendemain pour que notre petit groupe puisse parler directement aux 40 présidents nationaux. Nous avons assisté à ce déjeuner et nous avons constaté, à notre grande surprise, qu'ils avaient des choses à dire. Ils ont repris mot à mot les politiques gouvernementales qu'on nous avait exposées la veille. Au cours de la discussion qui a suivi, j'ai déclaré que le gouvernement semblait exercer une influence injustifiée sur les relations de travail et sur le mouvement syndical libre coréen. En privé, ils ont reconnu que cela était vrai. Lorsque je leur ai demandé s'ils pensaient que les choses avaient évolué, ils ont déclaré qu'ils craignaient ou même qu'ils avaient peut-être peur que les choses changent plus tard. Je leur ai demandé quelles seraient les forces qui pousseraient au changement et ils m'ont dit que ce serait les travailleurs eux-mêmes qui le demanderaient.

Le jour même où nous avions cette réunion, un tribunal s'est prononcé sur une grève sauvage de deux jours qui avait eu lieu à la Daiwa Motor Company. Quatre personnes, les dirigeants, étaient accusées: deux ont reçu deux mois de prison et les deux autres, deux ans d'emprisonnement. Lorsque nous avons demandé les raisons de la disparité entre ces peines, on nous a dit que la peine de deux ans n'avait pas été imposée parce que les accusés avaient fait une grève sauvage mais parce qu'ils n'avaient pas respecté leur niveau d'instruction. C'étaient des étudiants d'université qui n'auraient pas dû faire ce genre de travail manuel.

On dirait qu'ils nous ont transmis leurs peurs en Corée du Sud, avec tous les conflits qu'on y retrouve. Est-il possible que des syndicats libres puissent fonctionner selon le modèle nord-américain sans effusion de sang? C'est ce qui semble se profiler à l'heure actuelle.

M. Saywell: Pour répondre franchement, je vous dirais que je ne sais pas; cela varie selon le pays.

La Corée du Sud se trouve dans une période de transition fort critique pour ce qui est de la libéralisation et de sa démocratisation. Elle a fait de grands progrès mais elle doit encore faire face à des défis très importants, comme celui que vous avez mentionné. Je dirais cependant que oui, la situation va changer progressivement.

Il y a une question que je pensais que vous aviez soulevée. Dans la plupart des pays d'Asie, on constate chez les Asiatiques une grande hésitation à faire face publiquement à des questions sur lesquelles ils sont profondément divisés. Nous apprenons beaucoup grâce à Équipe Canada et à d'autres missions. Je dis aux jeunes qui vont étudier en Asie de ne pas oublier qu'ils représentent non seulement leur province ou leur ville, mais aussi leur pays, et qu'il est contraire aux coutumes asiatiques de critiquer son propre pays. Dans une réunion publique, les gens hésitent beaucoup à parler de leurs difficultés et de leurs problèmes.

Le sénateur Lawson: Lorsque nous avons demandé aux représentants du gouvernement de tenir une réunion à l'université, il y a presque eu un instant de panique et ils nous ont catégoriquement refusé, ce qui nous a fort surpris.

À Taïwan, nous avons rencontré l'attitude contraire. Ils avaient hâte d'aller à l'université parce qu'il y avait un groupe d'études Canada-Asie et un groupe d'études États-Unis-Asie-Taïwan. Il semble qu'ils craignaient vraiment des révolutions d'étudiants, ce qui s'est d'ailleurs produit par la suite. Il semble qu'avec ce qui s'est produit ces derniers mois, on puisse craindre qu'il y ait d'autres effusions de sang.

M. Saywell: Je ne peux rien ajouter.

Le sénateur Stollery: Votre exposé a été très intéressant. J'ai toujours du mal à utiliser le mot «Asie». Israël se trouve en Asie. Je pense toujours dans ce domaine à la Chine et au Japon pour le moment, dans ce que j'ai toujours appelé l'Orient, l'Extrême-Orient.

Je pensais aux commentaires au sujet de la Chine, avec ses 28 provinces, son vaste territoire et ses problèmes linguistiques. Je me souviens qu'il y a 25 ou 30 ans, je voyageais sur une route de campagne. Je ne connais qu'une demi-douzaine environ de provinces chinoises. Je me souviens que j'avais emprunté un long moment cette route de campagne, il y a 25 ou 30 ans. Les villages m'avaient frappé. Tous les villages étaient fortifiés et je me disais que l'on se serait cru en Italie. Sur 200 kilomètres, tous les villages avaient une tour et des fortifications. J'ai interrogé les personnes qui m'accompagnaient au sujet de ces constructions, qui me paraissaient de style très européen, et on m'a dit que cela avait été construit au cours des années 20. On m'a expliqué que de nombreux Chinois vivant à l'étranger, peut-être à Vancouver, plus certainement à Toronto ou dans d'autres parties du monde, avaient une partie de leur famille qui était restée en Chine et qu'ils avaient construit ces édifices dans leur village à cause de la menace que représentaient les bandes de maraudeurs.

On a l'impression en parlant aux dirigeants provinciaux de la Chine qu'ils ne semblent pas aimer beaucoup leur gouvernement national. Tout le monde parle bien sûr de la division du Yangtsé mais cela va beaucoup plus loin.

Comme je l'ai dit, je pense surtout à la Chine et au Japon. Que pensez-vous de l'Accord de défense signé par les États-Unis et le Japon, qui est le principal accord de défense dans la région, en cas de trouble en Chine? L'Accord de défense entre les États-Unis et le Japon a été conclu en 1950, en réaction à la guerre de Corée. Il n'a pas grand-chose à voir avec les relations de défense entre ces pays; c'est un accord régional. Pensez-vous que cet accord a pris de l'importance ou qu'il n a perdu?

Comme l'a déclaré le sénateur Lawson, nous avons tous pris note des problèmes que connaît la péninsule coréenne. Je ne pense pas que les bandes de pillards que l'on retrouvait en Chine dans les années 20 vont réapparaître. Cependant, en cas de trouble, pensez-vous que l'Accord de défense entre les États-Unis et le Japon aurait un effet?

M. Saywell: Je ne pense pas qu'en cas de trouble en Chine ou dans un pays voisin, on envoie une force internationale, à moins que ce ne soit à l'invitation des pays concernés dans le cadre d'une initiative de maintien de la paix. L'apparition de troubles en Chine ne déclencherait pas ce genre d'intervention.

Par contre, il y a une question stratégique plus large à laquelle je crois vous faites allusion, celle de savoir si les pays asiatiques sont en faveur de la présence militaire américaine dans l'Asie de l'Est. Je dirais en passant qu'il est difficile de définir ce qui constitue l'Asie. Je dirais que nous parlons de la région de l'Asie de l'Est. J'ai donné certains paramètres au début de mon intervention. Les pays asiatiques considèrent que cette présence a un effet stabilisateur. Les États-Unis sont à l'heure actuelle la seule puissance qui détienne un véritable pouvoir militaire international, et ce pays est donc considéré comme ayant un effet stabilisateur. Je crois qu'en fait les Chinois considèrent les choses de cette façon pour ce qui est, par exemple, de la péninsule de Corée.

Est-ce que la force de sécurité États-Unis-Japon interviendrait pour résoudre une question intérieure? Non. Le maintien de la présence américaine et cette relation sont-elles importantes pour l'ensemble de la région? Oui.

Je rappellerai aux sénateurs que la réaction américaine à la crise des missiles de Taïwan s'explique pour plusieurs raisons mais il s'agissait en partie pour les États-Unis de rappeler que la question du détroit de Taïwan n'était pas uniquement une question intérieure et qu'elle avait des répercussions internationales. C'est pourquoi ils ont réagi à cette situation comme ils l'ont fait.

Le sénateur Stollery: L'origine de l'Accord de défense entre les États-Unis et le Japon, le seul grand accord de défense que les États-Unis aient signé à part l'OTAN, est la guerre de Corée. Vous disiez que la guerre de Corée est terminée et que la situation a changé et que cet accord ne pouvait donc s'appliquer à un conflit est-ouest. L'Accord de défense entre le Japon et les États-Unis a donc vu son objectif initial modifié.

M. Saywell: On considère qu'il offre l'intérêt de renforcer la stabilité dans la région. C'est pourquoi il a pris une plus grande importance régionale.

Le sénateur Stollery: Autrement dit, si cet accord existe parce qu'on craint un effet stabilisateur, il faut en conclure nécessairement qu'il y a quelque part la possibilité d'un facteur déstabilisateur dans la région.

M. Saywell: Bien sûr et j'ai signalé ce qui me paraissait être d'après moi les secteurs à risque. La péninsule coréenne demeure un secteur à haut risque, ce qui pourrait avoir une répercussion énorme sur le Japon, ainsi que, bien entendu, sur la Corée du Sud. Les orientations que va se donner la Chine constituent toujours des points d'interrogation pour l'ensemble de l'Asie.

Il y a des spécialistes qui vont intervenir après moi. Je voudrais vous en mentionner un, Brian Job de l'Université de la Colombie-Britannique, qui est un véritable spécialiste de certaines de ces questions. Il serait bon que vous lui posiez ces questions. Je ne prétends pas avoir ses connaissances dans ce domaine particulier que constitue la sécurité.

Le sénateur Perrault: Monsieur le président, on m'a parlé de financement privé et public des activités fort intéressantes qu'exerce la fondation dans la région de l'Asie-Pacifique. J'aimerais bien connaître comment se répartit ce financement entre les deux secteurs. Quel est en gros votre budget de fonctionnement et comment pourrait-on vous aider à poursuivre vos activités? Quelles sont les actions que nous devrions appuyer?

M. Saywell: La fondation tente d'assurer son avenir en mettant sur pied des programmes basés sur le recouvrement des coûts et en faisant payer l'utilisateur, chaque fois que nous le pouvons. Le gouvernement du Canada, comme les gouvernements provinciaux d'ailleurs, peut nous demander d'effectuer certains travaux à contrat, ce qui nous permet de répartir nos coûts fixes et de maintenir nos finances en bon état.

Pour ce qui est de conserver un organisme national viable et des activités dans le domaine de l'éducation que nous ne pouvons facturer, nous avons besoin de quelques millions de dollars par an et nous pouvons obtenir un montant comparable par nos propres moyens.

Le sénateur De Bané: J'aimerais, monsieur, que vous expliquiez un peu ce que vous avez dit de façon assez obscure, lorsque vous avez parlé de votre crainte que la Chine supprime la liberté de parole et la libre entreprise à Hong Kong. Vous avez mentionné que vous seriez très pessimiste, si cela se produisait. J'ai beaucoup de mal à comprendre les raisons de cette affirmation. Si la classe dirigeante chinoise, pour les fins de notre discussion, ne se préoccupe pas des libertés individuelles dans la Chine continentale où vivent plus de 1,2 milliard de personnes et que cela ne nous empêche pas de faire tous les jours des affaires avec ce pays, pourquoi nous inquiéter dans le cas où cette classe étendrait demain ce même traitement à 6 millions de personnes supplémentaires?

Comment expliquer que nous acceptions qu'ils agissent de façon aussi choquante à l'égard de 1,2 milliard de personnes mais que nous serions très inquiets si ce comportement s'étendait à 6 millions de personnes de plus? J'ai du mal à comprendre le raisonnement.

Enfin, il est évident que nous ne faisons pas affaire avec la Chine parce que, pour reprendre votre expression, nous partageons les mêmes valeurs. Nous le faisons parce que leur PIB est aussi élevé que celui du Canada et que demain, il représentera le double de celui du Canada.

M. Saywell: Absolument. Comme je l'ai dit, dans le domaine des droits de la personne, le seul choix que nous ayons est de faire des affaires avec tout le monde. Si nous ne le faisons pas, cela va nous nuire. Pour répondre à votre question -- bien sûr, en tant que Canadien qui chérit les libertés individuelles et les valeurs d'une société fondée sur le principe de la légalité, je souhaite que tous les pays adoptent les mêmes principes -- il est exclu que la Chine change du jour au lendemain son système de valeurs ou son gouvernement. Dans certaines régions, on constate des progrès et une évolution vers une société plus respectueuse du droit et on ne peut qu'espérer qu'avec une intégration internationale plus poussée et des réformes économiques, cela va accélérer le mouvement. Cela prendra des années; cela ne changera pas d'un seul coup.

À Hong Kong, on s'est entendu pour prévoir une période de transition de 50 ans pour une société très internationalisée. Oui, la Chine va exercer sa souveraineté sur cette ville le 1er juillet de cette année. Il demeure que c'est une société très internationalisée qui est très importante pour le reste du monde sur le plan économique, parce que c'est un État fondé sur le droit, qui possède une fonction publique de qualité, sans corruption et qui a adopté le système de la libre entreprise. Un retour en arrière serait grave, non seulement pour les gens de Hong Kong, dont le sort nous préoccupe et avec qui nous entretenons des liens très étroits, mais cela serait aussi regrettable, en tant que symbole, pour l'ensemble des relations entre l'Ouest et l'Asie. C'est un cas très particulier. Ce n'est pas que je ne souhaite pas que la Chine se libéralise plus rapidement; c'est ce que je souhaite, mais cela ne modifiera pas cet aspect de la situation.

Le président: Merci beaucoup, M. Saywell. J'ai trouvé cette discussion fort éclairante. Vous avez bien démarré notre série d'audiences à Vancouver. Nous vous en sommes très reconnaissants.

M. Saywell: Je vous demande de m'excuser d'avoir pris tant de temps.

Le 14 février, la Fondation Asie-Pacifique va lancer ce qui va être, du moins nous l'espérons, une publication de prestige, la Canadian Asian Review. Ce sera une revue annuelle. C'est un document d'environ 80 pages, un bilan qui fera état de ce qui s'est produit au cours de l'année précédente en Asie pour ce qui est de nos relations. Nous allons veiller à ce que vous achetiez autant d'exemplaires que vous le souhaitez.

Le président: Sénatrices et sénateurs, il y a un autre témoin qui a attendu patiemment pendant que nous posions nos questions. Je ne vais pas lire intégralement son curriculum vitae. Il est dans le domaine de l'architecture. Il vit à Vancouver. C'est un associé de Blewett Dodd, un cabinet d'architectes. Il a exercé sa profession en Amérique du Nord et en Asie, plus particulièrement à Hong Kong, à Beijing et à Shanghai. Je m'arrête ici. Vous avez devant vous la liste complète de ses antécédents professionnels.

Il est accompagné de M. Bing Thom, un des directeurs de Bing Thom Architects Incorporated. Cette société a été créée à Vancouver en 1980 et a également exercé ses activités en Extrême-Orient. Il convient de noter que c'est cette société qui a été choisie par le ministère des Affaires étrangères, à la suite d'un processus de sélection nationale, pour concevoir le pavillon canadien d'Expo 92 à Séville qui a eu le succès que l'on sait.

Nous avons deux personnes qui oeuvrent dans le même domaine et qui ont l'expérience concrète de la région de l'Asie-Pacifique. Je vais demander à M. Blewett de commencer et nous donnerons ensuite la parole à M. Thom.

M. Peter Blewett, associé, Blewett Dodd Architecture: Monsieur le président, honorables sénateurs, vous êtes choyés d'être à Vancouver un jour comme celui-ci mais j'espère que vous n'en parlerez pas trop. Nous jouissons effectivement d'une situation géographique particulière qui nous place très près de l'Asie. C'est pourquoi la société que je représente a développé une part de marché considérable en Asie au cours des 10 dernières années. Il est de plus en plus facile de s'y rendre.

J'ai d'abord beaucoup travaillé à Hong Kong et ensuite en Chine continentale mais je ne parle pas la langue. Cela a été un obstacle dans une certaine mesure mais pas un obstacle insurmontable. J'ai principalement travaillé en Chine en association avec des architectes et ingénieurs chinois. Comme l'a mentionné le président dans son introduction, nous avons commencé dans les grandes villes comme Shanghai et Beijing, mais tout récemment, ces deux ou trois dernières années, nous nous sommes intéressés davantage à ce qu'on appelle les villes d'importance moyenne. Je dois vous dire que cela s'explique en partie par le fait que la concurrence y est moins vive, et je ne suis pas gêné de vous le dire.

La société qui a joué un rôle de pionnier dans ce domaine a été créée initialement en Colombie-Britannique en 1946 et a poursuivi ses activités pendant 50 ans. Nous avons dû mettre fin à nos activités à Vancouver l'année dernière. Depuis lors, j'ai continué à travailler en Chine mais pour des directeurs chinois. Je suis donc redevenu un consultant. Nous avons un tout petit cabinet de consultants à Vancouver. L'année dernière, lorsque nous avons mis fin à nos activités, nous avons dû licencier 22 spécialistes. À l'heure actuelle, nous travaillons davantage sur une base individuelle en Chine et nous sommes rémunérés par les Chinois.

Je crois que je pourrais intéresser le comité parce que je vends des services de conseil en Chine. Je travaille à une petite échelle dans ce domaine. Nous ne vendons pas des trucs; nous vendons de l'expertise, de la matière grise. Dans ce domaine, il existe une grave lacune dans notre système d'aide à l'exportation.

Les statistiques, les rapports et les enquêtes indiquent tous que l'économie canadienne est basée sur les petites entreprises. L'emploi et la fiscalité canadienne dépendent de la diversité des petites entreprises et de leur capacité à répondre rapidement aux changements de situation. Cela est particulièrement vrai pour les exportateurs. On ne vend pas beaucoup de réacteurs CANDU, on ne vend pas beaucoup d'avions à réaction, et les projets des Trois Gorges sont rares mais il existe une demande très forte pour les produits et les services fournis par les petits exportateurs. Ce sont eux qui recherchent ces projets et ces possibilités et qui même bien souvent les créent; ils effectuent le travail dans un but lucratif, sans bénéficier d'aucune aide ou subvention et ils ramènent des bénéfices imposables au Canada.

Le travail que font ces entrepreneurs ouvre la porte à d'autres services et produits canadiens dans des secteurs connexes, ce qui augmente d'autant la valeur des exportations.

Les sous-traitants et les fournisseurs de toutes les régions du pays en retirent des avantages puisque les maisons mères et les sites de protection sont répartis dans l'ensemble du Canada.

Les petites entreprises sont par nature très flexibles. Elles sont capables de réagir et de s'adapter à l'évolution du marché. On sait aujourd'hui que les usines de fabrication de machinerie lourde et la main-d'oeuvre qu'exige la production industrielle en vue de l'exportation ont besoin de capital et de services dont ne disposent pas les petites entreprises. À l'ère postindustrielle, c'est surtout le transfert de connaissances et d'expertise qui compte. Ces produits sont bien souvent offerts par une seule personne; en outre, les frais fixes sont faibles, puisqu'ils comprennent uniquement les déplacements, les communications et les dépenses personnelles.

Les petits exportateurs explorent les marchés potentiels et créent des possibilités rentables. Nous ne nous limitons pas aux zones côtières. Je me suis rendu dans la plupart des régions de la Chine et j'ai effectué des travaux dans une région aussi éloignée de la côte que Urumchi, l'endroit au monde qui est, apparemment, le plus éloigné de la mer. Cet endroit est également proche de celui qui vient à la deuxième place pour l'altitude, en dessous du niveau de la mer. C'est un désert de sable. La population est majoritairement musulmane et la spécialité culinaire de la région, ce sont les pieds de chameau.

Nous découvrons ces marchés en nous rendant dans ces régions. Nous rencontrons des gens qui n'ont jamais vu d'hommes d'affaires canadiens auparavant. Ils veulent savoir ce que nous pouvons leur donner et ce que nous pouvons leur vendre, ce qui est une hypothèse plus probable. Ces petites entreprises, ou du moins leurs représentants qui sillonnent ce pays, et je suis un d'entre eux, découvrent de nouveaux marchés à mesure que le revenu personnel et le niveau de vie s'élèvent en Chine.

Le Canada possède une expertise de niveau mondial dans pratiquement tous les domaines dont a besoin la Chine, et c'est aux architectes, aux ingénieurs et aux «imagineurs», bien souvent des particuliers, d'ouvrir ces marchés. On a récemment mis en route des mégaprojets coûtant des milliards de dollars, comme le nouvel aéroport de Shanghai dont la construction a été confiée à un consortium français. Les architectes et les ingénieurs ont fait la première partie du travail mais ils n'étaient pas en mesure d'investir le genre de capitaux qu'il fallait pour gagner la soumission. Par contre, une fois gagné l'appel d'offres, cela est devenu pratiquement un projet français; des milliards de dollars d'équipement, allant des systèmes de signalisation, des convoyeurs à l'équipement utilisé pour l'aire de trafic, ont été fabriqués par les Français.

En Chine, les ententes commerciales ne sont pas très stables. Cette volatilité crée des occasions; mais pour pouvoir faire des affaires et répondre aux besoins, il faut qu'il y ait un cadre de stabilité au sein duquel les règles soient connues.

La Chine change à une vitesse incroyable. Bien souvent, les règlements changent sans avertissement. Une modification ordonnée par décret peut avoir des effets désastreux sur une entreprise commerciale en cours, c'est quelque chose que nous avons personnellement connu. Lorsqu'il y a un changement de politique gouvernementale, il n'y a ni préavis, ni indemnisation. Lorsque cela touche un projet en cours d'exécution, tout ce qui a été fait jusque-là est perdu. Comme nos associés chinois nous l'ont fait remarquer, on n'accorde pas en Chine la même importance aux contrats et aux ententes. En outre, il est pratiquement impossible pour un étranger de recouvrer un compte impayé.

À la différence des étrangers, les associés chinois sont prêts à accepter des ententes commerciales «souples». Le double système de prix officiel pour les déplacements internes et les matériaux a pour effet d'augmenter les coûts des entreprises à un point où il est difficile de prévoir avec une précision raisonnable le montant des frais fixes. Il est impossible de voyager en Chine au même prix que cela coûterait à un Chinois résident. Pour un étranger, l'entrée dans un musée coûte cinq fois plus que ce que paient les gens du pays. Et bien sûr, lorsque vous entrez, vous ne pouvez pas lire les signes, si vous êtes un étranger comme moi.

On connaît en général assez bien les problèmes financiers des petites entreprises. À la différence des grandes entreprises dont on entend parler, les petits groupes commerciaux, y compris ceux qui sont la propriété d'une seule personne, sont en général financés par leurs propriétaires. Bien souvent, les petites entreprises qui réussissent dans leur domaine n'ont pas les moyens de prendre de l'expansion pour être en mesure de profiter des occasions qu'elles créent. Les frais fixes augmentent au point où un retard dans le paiement des factures peut avoir un effet désastreux. Les banques canadiennes n'aident aucunement les professionnels qui exportent des services. Il est possible de faire financer et assurer des produits mais l'exportation de la matière grise, qui est pourtant un des points forts des Canadiens, ne bénéficie d'aucune aide.

D'après mon expérience personnelle, la seule façon de financer une petite entreprise, même très dynamique, qui exporte des services est d'emprunter personnellement des fonds pour avoir du capital de fonctionnement. En d'autres termes, pour faire des affaires en Chine comme nous le faisons, avec des salaires s'élevant au total à notre siège social à environ 1,25 million de dollars, il faut que les deux associés empruntent personnellement ces fonds à leur risque.

Les sociétés chinoises de développement ne sont pas comme les sociétés occidentales. La propriété est fractionnée et les actions changent constamment de main. Il n'y a pas de bilan ou de rapport annuel pour rassurer un banquier canadien. Cela n'empêche pas d'exécuter de grands projets et de faire des bénéfices. Nous avons fait beaucoup de bénéfices là-bas. Le système est différent et il changera peut-être mais c'est la façon traditionnelle dont ils font les affaires. Nous devons nous y adapter si nous voulons travailler en Chine.

Nous avons demandé à plusieurs banques de financer la construction d'un édifice à bureaux de 40 étages, un projet majeur à Pudong où il s'agissait de construire un édifice de 100 millions de dollars. Les banques ont demandé les bilans des sociétés qui s'étaient regroupées pour ce projet. Il s'agissait de familles chinoises et, comme c'est généralement le cas, il y avait des représentants locaux, probablement des représentants du gouvernement et du parti, qui n'apparaissaient nulle part. Des centaines de sous-traitants, des gens qui espéraient vendre l'équipement d'air conditionné, par exemple, ainsi que des biens et des services destinés à l'édifice, étaient propriétaires de celui-ci. Une semaine après, la situation avait changé complètement. Il n'y avait pas de bilan. Il n'y avait rien d'écrit mais cela n'a pas empêché de construire cet édifice.

Nous étions en mesure de confier la construction de cet immeuble à un entrepreneur canadien. Les négociations étaient terminées; la décision était prise. Il s'agissait d'une société de Montréal, McGill; c'était la première fois qu'ils allaient travailler en Chine. J'ai assisté à une réunion dans la salle de conférence d'un cabinet d'avocats qui représentait cette entreprise à Montréal. Les directeurs chinois sont venus au Canada assister à cette réunion. La première chose que les avocats ont demandé était le bilan des directeurs chinois. Les directeurs chinois ont indiqué, par le truchement d'un interprète, qu'ils n'aimaient pas cela du tout. Ils n'allaient certainement pas communiquer des renseignements financiers confidentiels. Ils ont carrément déclaré au groupe McGill: «Pourquoi sommes-nous venus ici? Nous sommes venus avec l'argent pour construire cet édifice. Vous nous avez dit que vous pourriez vous charger de la gestion du projet, de sa construction et de son financement; pourtant ce n'est pas le cas, vous voulez aller emprunter l'argent.» C'était terminé. C'est comme ça que se font les affaires là-bas.

Ici à Vancouver, lorsque l'on va voir le directeur des comptes de la CIBC, il veut savoir qui sont les personnes avec qui vous faites affaire, alors que bien souvent vous ne les connaissez pas.

Je suis sûr que Bing Thom va donner d'autres détails sur ce point, puisqu'il a l'avantage de connaître la langue et la culture du pays. La langue et la culture du financement à Vancouver sont aussi étrangères qu'elles ne le sont en Chine.

Certains affirment que les grosses entreprises sont simplement des petites entreprises qui ont réussi. Les petites entreprises qui réussissent ne deviennent pas toujours de grosses entreprises. Il nous est impossible de dépasser ce niveau. Je vais parler de choses assez détaillées mais je crois que le comité sera peut-être intéressé de savoir ce qui se passe sur le terrain.

Nous faisons face à une concurrence intense là-bas. Depuis quelques années, tout le monde regarde avec envie cet énorme marché chinois en croissance, avec 1,2 milliard de gens qui voient leur pouvoir d'achat se renforcer et qui veulent améliorer leur style de vie. Tout cela est vrai. Cependant, tous les pays exportateurs ou presque s'intéressent à la Chine et la concurrence pour lui fournir des biens et des services est extrêmement vive.

Les Canadiens bénéficient d'un certain nombre d'avantages. On nous considère généralement comme des gens gentils. Tous les enfants chinois apprennent à l'école qu'un grand Canadien, le Dr Bethune, a fait beaucoup de bien. Même les chauffeurs de taxi vous parlent du Dr Bethune.

Il y a toutefois d'autres pays dont les gouvernements encouragent davantage les exportations, qui voient là un moyen de réaliser des objectifs nationaux, de créer de l'emploi chez eux et de se constituer des réserves de devises.

Les architectes et les ingénieurs peuvent être le fer de lance de la participation de leur pays à de grands projets, en s'intégrant dès le début à la conception de ces projets.

Les Canadiens paient plus d'impôt que n'importe qui au monde. Le système fiscal ne permet pas à une petite entreprise de se constituer des ressources financières. Nous perdons souvent des projets à des ressortissants d'autres nationalités parce qu'ils peuvent faire des prix beaucoup plus bas parce qu'ils paient beaucoup moins d'impôt, ou aucun, sur les bénéfices provenant de l'étranger. Nous sommes très souvent en concurrence avec des architectes de Hong Kong pour qui le taux maximal d'imposition est de 15 p. 100, sans parler des déductions presque incroyables qui leur sont accordées.

J'aimerais faire certains commentaires sur le rôle que peut jouer le gouvernement pour appuyer les petits exportateurs. Bien évidemment, c'est mon point de vue personnel.

Les petits exportateurs qui parlent avec leurs grands frères au cours des réceptions qu'organise Équipe Canada et des organismes du genre sont étonnés de constater que la plupart des grandes sociétés canadiennes ont des départements qui se consacrent uniquement à faire du lobbying auprès du gouvernement pour obtenir des prêts et des subventions et que des prêts importants sont radiés lorsque la soumission correspondante est refusée.

Le rôle du gouvernement n'est pas nécessairement de fournir des subventions ou des prêts. Pour la petite entreprise ordinaire, cela pourrait prendre la forme d'une assurance. Il faudrait appuyer l'exportation de matière grise en mettant sur pied un programme qui offre un allégement fiscal pour le démarrage des projets, une assurance sur les créances et peut-être quelques incitatifs pour que les banques canadiennes aident leurs clients.

Il devrait y avoir des protocoles intergouvernementaux qui prévoient la reconnaissance des contrats et des ententes. Le gouvernement chinois participe, sous une forme ou une autre, à pratiquement tous les projets. Il suffirait probablement de prévoir le dépôt du contrat ou de l'entente auprès des gouvernements et de s'entendre sur un mécanisme d'arbitrage.

Les événements organisés pour Équipe Canada augmentent la visibilité du Canada et de ses exportations et l'importance des banquets pour les médias permet même à de petits exportateurs d'inviter leurs clients locaux à assister à des réceptions.

Il demeure que les vraies affaires se font dans un autre monde. Les photos de groupe et les cérémonies de signature ne reflètent pas les efforts que déploient de nombreux individus qui jouent tout leur avoir pour travailler dans ce marché fascinant mais dangereux.

Monsieur le président, j'espère que je n'ai pas parlé trop longtemps et que mon ami pourra prendre la parole. Je vais écouter avec beaucoup d'intérêt ce qu'il va dire.

Le président: Nous aussi. Monsieur Thom, voulez-vous commencer.

M. Bing Thom, directeur, Bing Thom Architects Inc.: Monsieur le président, mon exposé sera relativement bref. J'ai pensé que la meilleure façon de le présenter serait de vous projeter un enregistrement vidéo de deux ou trois minutes qui vous donnera certains renseignements sur le genre de travail que nous faisons.

Ma société est une très petite entreprise qui ne compte que 20 employés. Nous travaillons principalement au Canada. Mais à l'étranger, nous travaillons à l'heure actuelle surtout en Chine, à Hong Kong et dans une mesure moindre, en Malaisie. Nous allons d'abord regarder cet enregistrement et je ferai ensuite quelques brefs commentaires.

(Projection d'un enregistrement vidéo)

Je voulais avec ce vidéo faire ressortir un aspect qui me paraît essentiel: lorsque l'on parle d'échanges commerciaux, il ne faut pas oublier le lien vital qui existe entre la culture et le commerce.

Je mentionne en passant que ces deux émissions ont été produites par la CBC: l'une s'intitule Adrienne Clarkson Presents et l'autre est l'émission Alive, qui traite des problèmes de santé. Le thème de cette émission était «des gens en bonne santé dans une ville en bonne santé».

J'ai apporté ces vidéos pour montrer que, malgré les coupures budgétaires qu'a connues CBC, elle a joué un rôle crucial pour la commercialisation de mes services au Canada, en Europe et à Hong Kong. Auparavant, les programmes culturels des Affaires étrangères visaient également à favoriser la promotion d'expositions canadiennes dans tous les pays du monde. Dernièrement, ces programmes ont été transférés au ministère du Patrimoine, ce qui, je crois, va nuire à notre pays. J'aimerais suggérer au comité que l'on envisage de ramener ce programme au sein du ministère des Affaires étrangères. Je ne crois pas que nous aurions obtenu autant de succès en Espagne si c'était un ministère autre que celui des Affaires étrangères qui nous avait appuyé.

L'autre aspect des rapports entre la culture et le commerce que je tiens à souligner, c'est que la culture va dans les deux sens. Pour vendre dans un pays étranger, il est important que les Canadiens comprennent le milieu culturel dans lequel ils vont opérer. Comme l'a mentionné mon confrère architecte M. Blewett, lorsqu'on arrive dans un pays étranger, il est très important de comprendre la façon dont y fait des affaires.

Le Canada est vaste -- et sur plusieurs rapports, nous sommes déjà dans une meilleure situation que les États-Unis -- et tous les grands pays ont tendance à se regarder le nombril. C'est le cas de la Chine, ainsi que de l'Allemagne; c'est ce que fait un grand pays par nature. Les petits pays sont obligés de regarder à l'extérieur. Le Canada est probablement avantagé par rapport aux autres pays parce qu'il a reçu beaucoup d'immigrants, ce qui m'amène à mon deuxième sujet.

L'arme secrète du Canada est d'avoir une société multiculturelle. Nous avons des porte-parole qui viennent d'à peu près tous les pays du monde. Si vous voulez vendre des produits en Hongrie, en Pologne ou dans n'importe quel pays d'Asie, il y a toujours des Canadiens qui peuvent nous aider à combler les différences culturelles et c'est là notre arme secrète. Cela nous ramène à la question de la promotion de la culture au sein du Canada, de l'éducation de nos citoyens qui ne connaissent pas les cultures des pays étrangers, ce qui est relié à des institutions culturelles comme la CBC, qui s'adressent aux Canadiens.

Nos programmes multiculturels sont aujourd'hui en danger à cause des restrictions financières. Il faudrait adopter un point de vue plus large. Il ne faut pas se limiter à ce qui se passe aujourd'hui. Ces investissements s'étalent sur plusieurs années et rapportent des dividendes souvent surprenants.

Pour ce qui est du projet de Dalian, un des principaux facteurs de notre réussite est que j'ai bénéficié de l'aide d'un immigrant récent, M. Li, qui m'accompagne aujourd'hui. En 1986, c'était un étudiant étranger qui arrivait au Canada en provenance de la Chine, un des premiers à venir. Il est resté ici et est devenu Canadien principalement à cause de ce qui s'est passé sur la place Tiananmen en Chine. Aujourd'hui, c'est lui qui me représente en Chine. Il vient de la région de Dalian. J'ai réussi à m'intégrer à la culture locale et aux façons locales de faire des affaires parce que c'est un Canadien qui est mon bras droit dans cette région.

Le Canada possède une ressource d'une grande valeur dans ce domaine. L'idée d'établir un lien entre la culture et l'immigration peut prendre la forme de programmes d'éducation et d'échange d'étudiants qui permet à des étrangers de fréquenter nos universités. L'exemple dont je viens de vous parler découle d'un investissement que le Canada a fait il y a 10 ans et qui a porté fruit pour une petite entreprise canadienne.

Les universités parlent à l'heure actuelle d'augmenter les frais d'inscription pour les étudiants étrangers qui viennent au Canada. Il faudrait bien réfléchir à cela.

Je me souviens qu'à mes débuts, j'ai aidé Arthur Erickson à construire le Roy Thompson Hall à Toronto. Lorsqu'on allait dans les restaurants chinois au début des années 80, on voyait beaucoup de jeunes gens. C'était très différent de Vancouver où les restaurants chinois étaient habituellement exploités par des familles; à Toronto et en Ontario, c'étaient des jeunes qui s'en occupaient. J'ai dit à ma femme qu'ils étaient tous des étudiants étrangers. Au début des années 80, le gouvernement de l'Ontario a mis sur pied un programme très dynamique qui visait à faciliter l'arrivée d'étudiants étrangers. Cela a porté fruit 10 ans plus tard pour l'Ontario. Vancouver a obtenu les mêmes résultats que l'Ontario mais avec un décalage de cinq ou six ans.

L'essentiel de mon bref exposé est qu'il faut relier ensemble de façon souple ces trois questions: la culture, l'immigration et l'éducation.

Le sénateur Carney: Monsieur le président, nous avons entendu deux exposés fascinants. On invite toujours les petites entreprises à essayer de faire des affaires en Asie. Les obstacles que nous ont signalés les deux témoins me semblent presque insurmontables. J'exploite ma propre entreprise depuis 12 ans. Il semble que ces entreprises rencontrent des problèmes énormes en Asie. Pourriez-vous me donner certaines indications que nous pourrions ensuite transmettre, par l'intermédiaire de notre rapport, à d'autres entreprises?

Comment réussissez-vous à faire des bénéfices? Comment arrivez-vous à poursuivre vos efforts malgré les problèmes financiers et culturels dont vous avez parlé? Avez-vous besoin d'avoir accès à des capitaux? Avez-vous besoin d'un banquier étranger? Est-il nécessaire que vos autres projets aient une trésorerie très saine? Comment réussissez-vous à maintenir à flot une petite entreprise en dépit des obstacles que vous rencontrez? Nous connaissons beaucoup d'hommes d'affaires qui n'ont pas réussi à faire ce que vous deux avez fait.

M. Blewett: Pour travailler comme architecte à Vancouver, il faut aussi être capable de survivre. Les difficultés que nous rencontrons à l'étranger sont sans doute en rapport avec les possibilités que l'on y trouve. Je travaille depuis des années à Vancouver. Comme vous vous en êtes peut-être rendu compte, je suis arrivé ici comme immigrant il y a 40 ans; je dois tout de même dire que la Chine offre de nombreuses possibilités qui alimentent un sentiment d'expectative. La taille du marché potentiel et la possibilité de s'y introduire reposent principalement sur la réputation que nous avons établie au cours des cinq dernières années sur le continent et au cours des 10 dernières années à Hong Kong.

Vous avez parfaitement raison lorsque vous dites que les difficultés sont presque insurmontables. Je n'ai pas pu les surmonter. J'ai essayé de donner de l'expansion à une entreprise qui existait depuis 50 ans, comme je l'ai dit, mais nous avons été forcés de cesser nos activités. Il y a à l'heure actuelle deux directeurs, mon associé et moi, et nous utilisons de façon différente notre matière grise ou notre capacité d'initiative.

Du point de vue des exportations, cela a été une perte pour notre pays, parce que nous avions un personnel très spécialisé d'environ 22 personnes qui travaillaient sur des projets chinois à Vancouver. Les salaires de ces personnes représentaient une somme importante; ils payaient tous de l'impôt, comme moi aussi, bien entendu. Tout cela est sans doute perdu. Nous nous trouvons dans une situation très étrange, à laquelle je crois le sénateur Carney a fait allusion, parce que nous avons eu des possibilités -- nous avons obtenu des projets. Nous n'arrivions pas à trouver le financement qui nous permettrait d'assumer nos dépenses.

Ces dernières années, j'ai essayé d'intéresser des investisseurs privés; j'ai essayé d'intéresser des cabinets-conseils; je me suis adressé à toutes les agences fédérales qui nous auraient appuyés si nous fabriquions des trucs. Mais je n'ai pas découvert le moyen de profiter des compétences qui existent dans notre ville. Je prêche pour ma paroisse et j'espère que vous me pardonnerez mais nous sommes un peu comme Silicon Valley aux États-Unis, à cause de notre climat et du fait que c'est un endroit où il fait bon vivre.

Il y a énormément de talent dans cette province, en particulier en génie et en architecture, des secteurs en demande sur le marché mondial, et en particulier, en Chine en tant que pays en développement. Ils ont besoin de ces connaissances et nous les avons. Les gens qui vivent dans cette province sont très motivés. Normalement Beijing n'est qu'à neuf heures d'avion et lorsque vous revenez, vous arrivez avant d'être parti, de sorte que ce qui est perdu d'un côté est gagné de l'autre. Voilà ce que nous pouvons faire dans cette ville. Mais ce que nous avons appris, tout comme l'ont fait d'autres professionnels qui se sont intéressé au marché chinois, et même ceux qui ont agi en qualité de sous-traitants pour nous, c'est qu'il est impossible d'obtenir les garanties financières dont nous avons besoin.

J'ai déjà soulevé cette question de l'assurance à quelques reprises. Mon frère est architecte en Grande-Bretagne. Il y a quelques années, il s'est présenté une occasion semblable au Moyen-Orient. Le gouvernement avait un régime d'assurance qui permettait aux architectes travaillant dans ces pays d'assurer leurs honoraires en payant une prime équivalant à 2,5 p. 100 de leurs honoraires. Lorsque le Moyen-Orient a explosé, en Libye et au Liban, il a réussi à survivre parce que le gouvernement avait offert cette assurance. C'est une assurance que tous les professionnels seraient heureux de prendre.

On peut également se demander si les banques canadiennes participeraient à un tel régime. Elles seraient peut-être prêtes à fournir cet argent si le gouvernement apportait sa caution. Nous serions prêts à payer tout cela.

Il y a une autre question, le respect des contrats que nous connaissons ici. Là-bas, j'ai parlé d'une forme d'entente plus «souple». Je vois que notre ancien premier ministre vient d'arriver. C'est lui qui m'a dit qu'en Chine, un accord n'était en fait qu'une pause dans les négociations. Cela est très vrai. La petite société de conseils peut réagir à cela en disant: «Si vous ne pouvez pas nous payer de cette façon, payez-nous autrement». Nous avons équipé nos deux bureaux de cette façon. Tout l'équipement électronique qui se trouve dans nos bureaux a été acheté par un client, une agence gouvernementale, qui ne pouvait pas nous payer en espèces. Il faut faire preuve de souplesse.

Par contre, nous ne pourrions pas survivre si notre cocontractant refusait de respecter ses obligations. Notre dernier projet, si vous voulez, a pris fin parce qu'un organisme gouvernemental a simplement refusé de nous payer. Ce qui a déclenché l'affaire, c'est que les gens qui avaient demandé le travail ont tous été transférés dans une autre ville, dans le cadre d'un important changement politique. Le nouveau groupe ne s'est aucunement intéressé à ce qui avait été fait auparavant et ils ont tout fait pour prouver que nous n'avions pas respecté nos obligations. C'est un projet de 250 000 $ qu'ils ont refusé de payer.

Les relations contractuelles sont différentes en Chine et il devrait y avoir un moyen d'harmoniser tout ceci. Il ne serait pas trop compliqué que le gouvernement du Canada dise ceci au gouvernement chinois: «Nos ressortissants effectuent ce travail pour vous. Nous vous demandons de leur accorder la même protection pour ce qui est de l'exécution du contrat.» Avec un contrat reconnu par les deux pays, la personne concernée saurait qu'elle peut s'adresser à quelqu'un si son client refuse d'exécuter ses obligations.

Le sénateur Carney: Monsieur Thom, avez-vous pu vous faire payer? Je sais que M. Erickson n'a pas réussi.

M. Thom: Je vois les choses différemment. J'ai eu la chance de travailler 15 ans au Moyen-Orient avec Arthur Erickson, qui a pendant 15 ans cherché sans grand succès à pénétrer le marché.

Je m'étonne souvent de l'ignorance que nous, Canadiens, manifestons lorsque nous allons à l'étranger. En tant qu'architecte de Vancouver, je ne songerais même pas à proposer la construction d'un immeuble à Toronto sans m'associer à un partenaire torontois. À l'époque, j'avais parlé à des responsables de Cadillac Fairview, qui faisait de la construction aux États-Unis. Ils m'ont affirmé qu'ils n'essaieraient jamais de construire quelque chose dans une ville américaine sans y avoir un solide partenaire américain. Trop souvent, les entrepreneurs canadiens, lorsqu'ils envisagent de se lancer à l'étranger, oublient cette question primordiale: trouver ici un partenaire canadien qui connaît le marché visé ou, de l'autre côté, un partenaire chinois ou de Hong Kong qui les comprend aussi bien qu'eux-mêmes comprennent le marché local.

Dans ce genre d'entreprise, il faut savoir que les règles ne sont pas toujours les mêmes pour tous. Les gens avec qui nous faisons affaires n'ont pas la même histoire ni les mêmes racines culturelles que nous. Dans mon cas, je refuse probablement neuf projets avant d'en accepter un. Si je ne connais pas bien la personne avec qui je traite, si je n'ai pas vraiment confiance en cette personne, si je ne suis pas certain d'être payé, je ne consens même pas à une deuxième rencontre.

C'est une approche très conservatrice, mais lorsque j'étais jeune j'ai été trop échaudé, j'ai trop vu de mes collègues mordre la poussière. À cet égard, le gouvernement peut contribuer à promouvoir le réseautage, même à l'intérieur du Canada. À Vancouver et au Canada, bien des gens ont une expérience de l'Asie. Le gouvernement peut contribuer à mettre en valeur à profit cette ressource qui dort au sein de nos collectivités d'immigrants, aider les gens d'affaires qui veulent se lancer à l'étranger en faisant de l'éducation de premier niveau.

Le sénateur Grafstein: Monsieur le président, le temps file. Je vais donc me concentrer sur la mécanique du commerce bilatéral entre les petites entreprises du secteur des services. Les deux témoins nous ont parlé de certains des paramètres essentiels à l'établissement de bonnes relations.

J'aimerais dresser la liste des organismes gouvernementaux qui pourraient faire un travail plus efficace ou déterminer à quels secteurs nous pouvons étendre le soutien gouvernemental. M. Thom a dit que la CBC et d'autres l'avaient aidé dans ses efforts de promotion, de marketing en quelque sorte. N'aurions-nous pas intérêt à intervenir ainsi non seulement pour les grands architectes mais aussi pour ceux qui souhaitent devenir de grands architectes? Pourrions-nous élargir l'assurance que nous offrons en ce qui concerne les risques liés au pays? Nous avons une solide assurance au Canada, mais nous sommes très démunis face aux risques extérieurs. Pouvons-nous étendre aux services l'assurance à l'exportation de biens?

En ce qui concerne la suggestion de M. Saywell, de brasser un peu la cage des bureaucrates pour les pousser à prendre des mesures en ce sens, j'aimerais savoir de quels bureaucrates nous parlons?

M. Thom: Je serai bref. Je n'ai pas eu une très bonne expérience avec les organismes gouvernementaux, les organismes fédéraux. Nous ne présentons plus aucune demande dans le cadre de programmes de l'AEIE, quel qu'en soit le nom, simplement parce que les formalités administratives sont trop lourdes. D'après mon comptable, les coûts que nous assumons pour remplir tous les formulaires dépassent les fonds que nous obtenons de ces programmes.

J'ai quelque chose à ajouter au sujet de l'ACDI. Très souvent on ne sait trop si le financement de ces programmes vise à aider les pays en voie de développement à mettre sur pied leur infrastructure, de leur point de vue, ou si nous faisons appel aux programmes de l'ACDI pour stimuler les échanges commerciaux du Canada. Récemment, cet aspect est devenu particulièrement obscur. Nous devrions en revenir à l'essence véritable des programmes de l'ACDI, c'est-à-dire le long terme.

L'ACDI finance quelques très bons programmes, des programmes qui permettent à des administrateurs chinois de haut niveau de venir au Canada s'initier à la façon dont nous gérons nos villes, aux systèmes que nous utilisons en fiscalité et qui sont inconnus en Chine. Ces programmes jettent les bases qui nous permettent de vendre des services à long terme, des ensembles de programmes ciblant les administrations hospitalières, les administrations municipales.

Actuellement, M. Li collabore avec le professeur Brahm Wiesman à l'élaboration de systèmes d'imposition en vue de financer l'infrastructure. Lorsqu'un promoteur canadien veut construire un immeuble, il doit payer des frais promotionnels. Ces frais servent à financer la construction d'écoles, de systèmes d'égout et de routes. Les programmes de ce genre seront très rentables pour le Canada.

Sur le plan provincial, mais cela touche aussi le fédéral, il existe une organisation appelée B.C. Trade, qui a mis au point un très ambitieux programme, en Chine, pour tenter d'aider les entreprises de la Colombie-Britannique à pénétrer le marché chinois. Cette organisation a connu un vif succès et elle m'a beaucoup aidé à Dalian. Malheureusement, je me dois ainsi contraint d'appuyer la notion de la Fondation Asie-Pacifique. Certains de ces programmes sont tellement vulnérables aux changements politiques et à l'évolution des priorités politiques qu'il a fallu cinq ans pour mettre sur pied B.C. Trade -- je suis certain que l'ex-premier ministre Harcourt en parlera lui aussi. Tout le programme a été décimé et mis de côté.

Certains de nos collaborateurs les plus brillants, qui avaient consacré cinq ans de leur vie à ce projet, ont vu leur financement disparaître. Quelques-uns sont maintenant dans le Washington, l'État voisin, où ils aident les Américains à s'imposer sur le marché chinois. À mon avis, c'est là un impardonnable gaspillage de l'investissement des Canadiens dans un programme qui me paraissait excellent.

Le sénateur Bacon: Beaucoup croient que l'Asie est trop vaste pour qu'on y assiste à des changements culturels importants. Compte tenu des grands bouleversements de l'économie, de l'enrichissement mondial de la population et des progrès technologiques de la société, est-ce que nous serons les témoins d'une occidentalisation de l'Asie ou d'une asianisation de l'Ouest? Pouvons-nous au contraire espérer parvenir à un équilibre?

M. Thom: Je ne peux pas vous répondre en ce qui concerne l'Asie. Nous utilisons ce terme à toutes les sauces. L'Asie représente la moitié de la population mondiale. Je peux cependant vous parler de la Chine. Je suis peut-être en mesure de parler de Hong Kong, j'ai quelque chose à dire à ce sujet.

Dans le cas de la Chine, il y a une montagne de malentendus et d'ignorance. Les médias ont traité très sommairement de la question de la démocratie. Dans pratiquement tous les villages de Chine, aujourd'hui, le chef de village est élu. Si l'on considère que 80 p. 100 de la population habite les campagnes, la Chine érige une démocratie à partir de la base, mais personne n'en parle dans les journaux occidentaux. Qu'est-ce que cela signifie? Cette évolution entraînera des changements profonds en Chine. La Chine ne cherche pas à imiter le modèle russe, du haut vers le bas; elle veut travailler à partir de la base. Je suis stupéfait lorsque je lis les journaux occidentaux. Les articles qu'on nous propose sont filtrés par le prisme occidental, et nous n'avons pas suffisamment de journalistes qui cherchent à comprendre les nuances les plus subtiles.

Hong Kong est un bon exemple. J'y suis né, mais je suis un Sino-Canadien de troisième génération. J'ai donc quelque chose à dire à ce sujet. On m'a demandé de préparer une importante exposition à Hong Kong sur l'avenir de Hong Kong. De 80 à 90 p. 100 des habitants sont très heureux de ce qui va se produire. Si pendant 150 ans un gouvernement étranger vous dirigeait, vous seriez heureux, quels que soient les problèmes qui se dessinent à l'horizon, de devenir maîtres chez vous. Beaucoup s'inquiètent de leur liberté personnelle et d'autres valeurs. Toutefois, il existe des valeurs qui sont plus fondamentales, et on n'en tient pas suffisamment compte.

Je suis l'un de ces enfants qui ont été emmenés par leurs parents. Ils avaient déjà pris leur décision, ils ne voulaient pas rester. Les chauffeurs de taxi, les femmes de chambre, les portiers et les plongeurs n'ont pas le choix, mais ils préfèrent tout de même avoir le sentiment d'être maîtres chez eux. Il y a les questions que soulève la loi fondamentale et la question de l'héritage de Patten. Beaucoup considèrent que la plus grave erreur de la Grande-Bretagne a été de laisser un politicien diriger Hong Kong au cours des cinq dernières années, parce que ce politicien travaillait pour le marché de la métropole, en Grande-Bretagne, il ne s'intéressait pas au marché local, à Hong Kong. Certains seront d'autre chose à dire à ce sujet, mais c'est là mon opinion.

Le sénateur Lawson: Monsieur Blewett, au sujet des comptes en souffrance, il existe une situation semblable où les Russes doivent à un partenaire nord-américain de coentreprise des dizaines de millions de dollars. On l'a empêché de s'adresser aux tribunaux russes. Je ne sais pas d'où est venue la pression, si c'était la Banque mondiale ou d'autres intérêts, mais il a fallu recourir à l'arbitrage.

Il y a deux jours, un comité d'arbitrage a été constitué en Suède pour régler cette question. Un des membres du comité est un juge russe. Comme préambule, on a signifié au comité que si la décision était défavorable aux Russes, les biens qu'ils possèdent en Amérique du Nord étaient saisissables. Est-ce que ce processus d'arbitrage n'est pas une possibilité dans le cas de la Chine?

M. Blewett: À ce que je sache, non.

J'ai discuté assez en détail de la question avec le consul et délégué commercial à l'ambassade du Canada à Beijing. L'ambassade a tenté d'intervenir en rappelant simplement aux clients chinois qu'il existait une excellente relation commerciale entre le Canada et la Chine et que l'on souhaitait que la question soit réglée. Cette intervention, on l'a vu par la suite, était particulièrement malvenue parce que du point de vue chinois il était humiliant qu'un organisme gouvernemental local ait été abordé par le gouvernement fédéral du Canada. Le moins que l'on puisse en dire, c'est que les Chinois ont très mal pris la chose, et la lettre est littéralement devenue une pièce de collection.

Le processus dont vous parlez est précisément celui que je suggérerais, un simple document facile de traduire en chinois et en anglais et qui précise les devoirs et responsabilités des deux parties; le document est tout simplement signé par des représentants qui peuvent des subalternes à l'ambassade, et les deux gouvernements reconnaissent ainsi qu'il y a une relation commerciale équitable entre deux de leurs ressortissants. Cela suffirait, à mon avis, pour garantir le contrat. Le paiement en souffrance et le non-paiement seraient considérés de la même façon.

Même si on me doit encore environ 250 000 $ canadiens, on me dit que je ne peux pas m'offrir les avocats chinois et canadiens qui me permettraient de régler même une petite partie du problème. J'ai dû accepter le paiement de quelques autres comptes en souffrance sur la base d'un rabais de 50 p. 100.

Il y a des tractations au sujet des comptes en souffrance auxquelles je suis parfaitement disposé à participer. Mieux vaut prévenir que guérir.

Je préconise une forme d'enregistrement et une forme d'assurance que les gens d'affaires, l'architecte ou l'ingénieur, paieront. Nous ne demandons pas la charité. Nous sommes prêts à payer.

Le sénateur Perrault: L'idée d'une assurance me paraît excellente. Toutefois, vous avez dit que les difficultés là-bas sont proportionnelles aux perspectives de profit. Le risque est élevé, mais la récompense est évidemment fort intéressante.

Est-ce que nous formons des architectes chinois au Canada? Quelle est la situation de la profession en Chine?

Est-ce que des Canadiens ont collaboré à l'immense barrage qui est en construction?

M. Blewett: Les Canadiens ont probablement contribué au volet génie civil du barrage, mais je ne serais pas au courant de cela.

Nous entretenons des liens très étroits avec des diplômés chinois. À l'époque où nous avons dû interrompre les activités, environ 60 p. 100 de notre personnel était composé d'architectes formés en Chine. Il s'agissait de diplômés des écoles d'architecture ou des universités de la Chine qui, tous, étaient venus au Canada chercher des diplômes d'études supérieures, des maîtrises par exemple, dans nos universités. Ils étaient donc très au fait de notre façon de vivre, de notre langue. Le travail de consultation que nous effectuons maintenant se fait avec des partenaires chinois en Chine. Comme l'a signalé Bing Thom, nous avons très rapidement compris que l'on ne pouvait rien faire là-bas sans participation locale.

Le sénateur Perrault: L'information que ces deux témoins nous ont communiquée est précieuse.

Le président: Cela me rappelle qu'il est temps de les remercier de leur très utile contribution.

Nos deux prochains témoins sont plus près des gouvernements. M. Goldberg, doyen de la Faculté de commerce et d'administration des affaires à l'Université de la Colombie-Britannique, a mené des travaux de recherche fondamentale pour le compte de la province de la Colombie-Britannique sur la faisabilité de transformer Vancouver en centre financier international et sur les modalités de cette transformation. Il étudie actuellement l'investissement direct international et ses liens avec les flux d'immigration internationale et les réseaux d'affaires ethniques, plus particulièrement le cas des immigrants et de l'investissement asiatiques. Il a aussi examiné l'importance de Vancouver et de la Colombie-Britannique dans l'établissement de liens avec les pays au-delà du Pacifique et à titre de porte de l'Amérique du Nord sur la côte Pacifique.

Le deuxième de nos témoins est M. Michael Harcourt. Je ne vais pas passer sa carrière politique en revue. M. Harcourt a été maire de Vancouver et il a, dans le cadre de ses fonctions, supervisé la participation de la ville à la prestigieuse Expo 86. Il a été député au Parlement de la Colombie-Britannique. Il a occupé les fonctions de chef de l'opposition officielle. Il est ensuite devenu premier ministre de la province. Il fait maintenant partie du comité organisateur de la conférence 1997 de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique, et M. Chrétien l'a nommé à la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie. Il est en outre membre du conseil d'administration de la Fondation Asie-Pacifique.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Nous sommes heureux de vous accueillir.

M. Michael Goldberg, doyen, faculté de commerce et d'administration des affaires, Université de la Colombie-Britannique: Monsieur le président, j'ai remis mes notes au greffier du comité. Les intéressés pourront donc les consulter ultérieurement. J'aimerais en exposer les grandes lignes et présenter certains faits qui illustrent l'importance de l'Asie-Pacifique et de quelle façon le Canada peut l'exploiter. Je veux me servir de la Colombie-Britannique comme exemple d'entité qui a connu beaucoup de succès dans ses rapports avec l'Asie. La stratégie asiatique du Canada qui s'inspirerait de l'expérience de la Colombie-Britannique serait une stratégie très utile. Nous sommes la province Pacifique du Canada. Nous avons aussi beaucoup fait pour nous remettre de la dépression de 1985, lorsque le chômage a atteint un sommet de 15 p. 100, et pour rétablir la santé économique dont nous bénéficions actuellement.

La réalité de l'Asie-Pacifique, ce que l'on appelait le siècle du Pacifique, était une métaphore commode, mais cette ère nouvelle a débuté au moins dix ans plus tôt que prévu. J'ai joint à mes notes plusieurs graphiques et je vais en utiliser deux pour illustrer l'importance de la région.

Examinons la croissance du PIB de la région de l'Asie-Pacifique et celle de notre principal partenaire commercial, les États-Unis, au cours de la période allant de 1970 à 1980. Dans la région de l'Asie-Pacifique, dans laquelle j'englobe l'Asie de l'Est, soit une région allant à peu près du Japon à la Thaïlande, le PIB a augmenté de 6,9 p. 100 par année -- cela signifie qu'il a doublé tous les 10,5 ans; aux États-Unis, la croissance s'est établie à 40 p. 100 de ce chiffre, c'est-à-dire à 2,8 p. 100. Au cours de la période allant de 1980 à 1993, la croissance en Asie-Pacifique a été ralentie par une récession, au début des années 80, et le PIB est tombé à seulement 6,3 p. 100, tandis que celui des États-Unis était ramené à 2,7 p. 100. De façon très approximative, on peut dire que la croissance annuelle du PIB dans les économies asiatiques était de 2,5 fois supérieure à celle des États-Unis.

À mon avis, le chiffre le plus probant est celui des investissements. Entre 1970 et 1980, l'investissement intérieur brut en Asie-Pacifique a augmenté au rythme de 8 p. 100 par année. Cela signifie qu'il a doublé tous les neuf ans. Le stock de capital dans cette région double tous les neuf ans. Aux États-Unis, la croissance était de 2,8 p. 100, soit environ le tiers de ce taux.

Si nous passons maintenant à la période allant de 1980 à 1993, encore une fois une période marquée par un certain ralentissement de la croissance économique, l'investissement intérieur brut équivalait encore à plus de deux fois celui des États-Unis.

Ce qu'il faut retenir à cet égard, c'est que l'investissement intérieur brut est le meilleur indicateur que nous ayons au sujet de l'avenir parce que le recours au stock de capital rend ces pays plus compétitifs non seulement aujourd'hui mais aussi pour l'avenir.

La région de l'Asie-Pacifique doit être prise au sérieux. Un des phénomènes les plus marquants dont il faut tenir compte c'est qu'au cours de la décennie 1990, la région de l'Asie-Pacifique s'est affirmée comme principal client pour la région de l'Asie-Pacifique. Elle est donc de moins en moins tributaire de la demande nord-américaine et acquiert de plus en plus d'autonomie en tant que région économique. Notre participation et notre leadership au sein de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique en vue de la conférence qui se tiendra ici en novembre nous mettent donc sur la bonne voie et sont très opportunes.

Vancouver et la Colombie-Britannique sont des entités tout à fait particulières dans l'ensemble du monde non asiatique. Vancouver s'est imposée comme seule ville appartenant véritablement au Pacifique en Amérique du Nord. Les populations asiatiques de San Francisco et de Los Angeles sont plus importantes que la sienne, même la population chinoise de Toronto est plus importante. Pourtant, il n'y a aucune autre ville en Amérique du Nord où la présence asiatique revêt une telle signification que tous les citoyens sont conscients de la réalité de la région de l'Asie-Pacifique. Les chauffeurs de taxi connaissent la réalité du Pacifique. Nous savons que c'est là que nous ferons notre beurre.

Vancouver est sans pareille parce que l'on oublie trop souvent, dans ce monde axé sur les pays riverains du Pacifique, que les pays de l'Atlantique ont conservé leur importance. Or, Vancouver a des liens spéciaux avec ces pays de l'Atlantique. En 1991, les personnes d'origine britannique représentaient à peine un quart de la population en Colombie-Britannique. L'année 1991 marque un tournant parce que pour la première fois dans l'histoire de la province, certainement depuis la fin de la guerre, la population d'origine allemande l'a cédé en importance à la population d'origine chinoise. Jusqu'en 1991, le groupe des personnes d'origine allemande venait au deuxième rang après celui des personnes d'origine britannique. Notre population allemande est très importante, tout comme notre population des Pays-Bas. On le voit bien dans la structure des vols internationaux. Chaque jour, il y a deux vols sans escale à destination de Londres, un à destination de Francfort et un à destination d'Amsterdam. Nous sommes très faciles d'accès pour l'Europe. Évidemment, lorsque nous traversons le Pacifique, c'est une caractéristique particulièrement remarquable.

Avant la signature du Traité Ciels ouverts, il n'y avait que sept destinations sans escale sur le continent aux États-Unis, huit si vous comptez Honolulu; il y en avait huit en Asie. L'Asie était donc plus accessible sans escale que les villes américaines.

Grâce au Traité Ciels ouverts, et c'est la raison pour laquelle la Colombie-Britannique a exercé tant de pressions au nom du Canada, pas seulement en son nom propre, il y a maintenant une vingtaines de destinations américaines qui sont accessibles, des centaines de vols quotidiens. Nous avons aussi multiplié les liaisons avec les pays riverains du Pacifique. Il y a maintenant environ quatre vols quotidiens sans escale vers Hong Kong, de deux à trois vers Tokyo et un vers Séoul. En outre, il y a maintenant dix villes où l'on peut se rendre et trois autres villes accessibles sans correspondance après une escale de ravitaillement à Séoul ou à Hong Kong.

Dans un monde qui s'intéresse aussi bien aux pays outre-Atlantique qu'aux pays outre-Pacifique, nous occupons une position centrale. À l'époque où le monde était axé sur l'Atlantique, le Canada de l'Ouest et le Pacifique se trouvaient à l'arrière-banc. D'ici, il est aussi facile d'aller en Europe que d'aller en Asie. De fait, les Asiatiques considèrent souvent Vancouver comme la meilleure route vers l'Europe en raison des excellentes liaisons aériennes.

Nous avons maintenant un avantage extraordinaire, grâce à l'investissement aéroportuaire, aux investissements exponentiels dans notre port et au fait que nous nous situons précisément sur l'arc de cercle qui relie Los Angeles à l'Asie. Les gens s'étonnent de constater, lorsqu'ils vont de Los Angeles à Hong Kong, qu'ils survolent Vancouver et s'arrêtent soit à Anchorage soit à Tokyo pour refaire le plein avant de poursuivre leur route vers Hong Kong. Nous avons un avantage de près de trois heures par avion, de deux heures à partir de San Francisco, et de plusieurs jours par la mer, à l'aller comme au retour. Nous avons même une journée d'avance par mer sur Seattle, parce que les navires n'ont pas besoin de remonter Puget Sound.

Notre situation géographique est tout à fait particulière. Notre fuseau horaire est lui aussi incomparable, et cela vaut pour toute la côte Pacifique. C'est le seul fuseau horaire où, dans le cours d'une journée de travail normale, vous pouvez traiter avec l'Europe et avec l'Asie le même jour. L'est des États-Unis et le centre du Canada n'ont pas cet avantage; ils peuvent traiter avec Londres, Francfort ou Paris le matin, mais ils ne peuvent pas rejoindre l'Asie l'après-midi. Nous pouvons avoir Londres en ligne très facilement à 8 heures du matin et, à partir de 15 ou 16 heures, nous pouvons appeler la plupart des villes asiatiques. Malgré la mondialisation des affaires, les gens ne travaillent pas 24 heures par jour; ils travaillent de huit à dix heures par jour, et nous nous trouvons dans un fuseau horaire qui nous permet de faire le lien.

Nous avons aussi exploité cet avantage de nombreuses façons créatrices. Nous avons l'édifice de l'International Commercial Arbitration, qui fait partie du complexe où nous sommes aujourd'hui. L'International Financial Centre a connu un regain de vitalité grâce à la Loi sur le centre bancaire international, et il se trouve dans le même complexe. La Fondation Asie-Pacifique a aussi ses bureaux ici. Nous comptons nombre d'institutions internationales que nous avons favorisées aux paliers fédéral, provincial et local, en vue de profiter du siècle du Pacifique.

Notre industrie touristique est en plein essor. Sa croissance est phénoménale et généralisée. Il n'y a pas que Whistler, il n'y a pas que les croisières, il n'y a pas que les conventions à Vancouver. Nous offrons une gamme très complète de produits touristiques et de voyage.

L'aéroport de Vancouver et la société portuaire de Vancouver ont énormément fait pour le Canada -- non seulement pour la Colombie-Britannique, mais pour tout le Canada -- sur le plan stratégique dans la région Asie-Pacifique. Si on nous compare aux villes de la côte ouest des États-Unis, on s'étonne de constater qu'à titre de pays, de ville et de province, nous soyons à ce point tournés vers l'extérieur. Nous sommes conscients de l'importance du Pacifique et de l'importance des échanges commerciaux.

Les échanges commerciaux de la Colombie-Britannique sont très équilibrés: environ la moitié de notre commerce se fait avec les États-Unis, un peu plus du tiers avec l'Asie, et le reste avec les autres pays du monde. On peut comparer ces chiffres à ceux de l'Ontario. En raison du Pacte de l'automobile, plus de 90 p. 100 du commerce ontarien se fait sur le même axe. Vendre un seul produit à un seul marché est une stratégie commerciale contestable. Si j'avais besoin d'une seule raison pour élargir mes activités à l'Asie -- l'ancien «troisième front» de Trudeau --, ce serait celle-là. Nous sommes extrêmement vulnérables au chantage des fabricants d'automobiles et aux pressions des Américains. La diversification est la clé de notre santé économique et, heureusement, nous pouvons facilement diversifier nos activités dans la région du monde où la croissance est la plus forte.

Il me reste peu de temps, et je veux mentionner certains des autres avantages qu'offre Vancouver et qui font leur apparition ailleurs.

Je veux reprendre un point soulevé par Bing Thom, au sujet de l'extraordinaire avantage que nous assure l'arrivée récente d'immigrants asiatiques. À Vancouver, j'ai relevé sept associations commerciales différentes: Taïwan, Hong Kong, Singapour, Thaïlande, Canada-Chine, Corée et Japon. Ces groupes tiennent des réunions mensuelles ou, du moins, des déjeuners mensuels. Certains, dont l'Association commerciale Hong Kong-Canada, connaissent un succès phénoménal; on peut y établir une multitude de contacts sans jamais acheter un billet d'avion. C'est une ville très particulière puisque si vous voulez en savoir plus sur l'Asie vous pouvez vous procurer une carte de bibliothèque, goûter différents mets asiatiques, devenir membre d'une association d'affaires pour à peine 50 $ par année et établir un nombre phénoménal de contacts -- sans jamais sortir de Vancouver. Vous pouvez bien vous préparer avant de partir, ce qui est absolument nécessaire dans le cas de l'Asie. C'est la seule façon de réussir.

En Amérique du Nord, nous pensons souvent en termes de transaction. En Asie, les gens voient d'abord la relation. Dans ce contexte, la relation n'est pas établie par une simple transaction mais plutôt bien avant qu'une transaction puisse être conclue. Il nous faut donc comprendre les cultures et la diversité de l'Asie et bien nous préparer avant de partir.

De quelle façon pouvons-nous tirer parti du siècle du Pacifique? Premièrement, nous devons reconnaître que c'est une réalité. Il ne s'agit pas de quelque chose de fabriqué par les médias; cela ne va pas disparaître. L'Asie sera longtemps encore un énorme moteur de croissance économique mondiale. Elle offre de vastes perspectives.

Un grand nombre de raisons ont déjà été mentionnées, notamment la réputation du Canada dans l'ensemble de l'Asie. Où que j'aille en Asie, j'entends des histoires différentes. J'entends parler de Norman Bethune; j'entends parler de Trudeau, qui a parrainé la candidature de la Chine aux Nations Unies. À Hong Kong, on se souvient du régiment qui a défendu Stanley pendant la Deuxième Guerre mondiale. Vous entendez des histoires semblables à Singapour. Vous entendez aussi parler du plan Colombo à Singapour et en Malaisie. Les Canadiens ont laissé une marque très profonde partout où ils sont passés en Asie, et nous avons l'avantage extraordinaire de pouvoir nous appuyer sur notre réputation et en tirer parti.

Le Canada est un pays Pacifique et un pays Atlantique. Pour la nation, notre fenêtre sur les pays riverains du Pacifique, qui est aussi celle de la Colombie-Britannique, est un excellent point de départ. Nos immigrants nous donnent une bonne longueur d'avance pour ce qui est d'établir des liens. Ces personnes arrivent au Canada munies d'un bagage linguistique et culturel que tous les non-Asiatiques leur envient. Pour un Européen, le fait de pouvoir lire et écrire le chinois, le japonais ou le coréen est une véritable prouesse. Nous n'avons pas besoin de réfléchir longuement lorsqu'un Asiatique met ses compétences à notre disposition.

Les Asiatiques ont aussi des liens familiaux, et la famille et les affaires sont inextricablement liées en Asie. Nous avons l'avantage extraordinaire de pouvoir faire appel à ces groupes d'immigrants. À cet égard, notre politique d'immigration nous rapportera énormément à l'avenir.

Nous avons beaucoup à apprendre encore au sujet de la région asiatique. Nous devons prendre conscience du fait que les Coréens et les Japonais sont des peuples bien distincts -- qui parlent des langues différentes et qui ne s'aiment guère l'un l'autre. Les Chinois de l'Asie ne sont pas tous semblables. On a à Taïwan une langue et une culture différentes de celles de Hong Kong. Les Chinois de Singapour ont aussi leurs caractéristiques propres.

Nous devons bien savoir que les Chinois établis dans l'ensemble du Sud-Est asiatique forment souvent des groupes économiques dominants dans ces pays. C'est vers eux qu'il convient de se tourner si l'on veut faire des affaires. Ces collectivités chinoises sont abondamment représentées ici, en Colombie-Britannique, et nous devons comprendre que ces collectivités parlent des langues différentes parce qu'elles viennent d'endroits différents. Elles ont aussi été modelées par différentes forces indigènes en Indonésie et en Malaisie, à Hong Kong et au Brunéi, et cetera. Nous devons savoir que ces collectivités sont très différentes les unes des autres et très fières de leurs différences. Nous devons connaître ces différences. Nous devons apprendre tout cela et constituer des réseaux avant même d'arriver à l'aéroport; c'est absolument essentiel à notre réussite. En ce sens, nous avons un très important avantage puisque nous sommes en mesure de faire cela à faible coût sans jamais quitter Vancouver.

Les Chinois ont une maxime très sage: «Hâtez-vous lentement». C'est exactement la façon de réussir en Asie. Vous devez consacrer beaucoup de temps à vous préparer, à établir des contacts, parce que vous ne pouvez pas vous présenter sans introduction en Asie. Vous ne pouvez pas simplement débarquer et dire «Bonjour, c'est moi, et je veux vous vendre du charbon». Vous vous renseignez au sujet des gens avant même de partir et vous laissez votre réseau préparer le terrain. Les membres de votre réseau vous présenteront à leurs contacts, si vous avez su gagner leur confiance.

Je ne saurais trop insister sur l'importance de la nourriture. Toutes les cultures asiatiques sont incroyablement fières de leur cuisine et le conseil le plus important que je puisse vous donner est peut-être de vous informer au sujet de la cuisine et d'apprendre l'étiquette de rigueur dans les dîners. Il faut connaître les manières de table, distinguer les différences entre les cuisines et être bien conscients qu'il importe d'abord de créer un climat de confiance. Une grande partie des affaires se fait à l'occasion de banquets, et il faut bien le comprendre. Tout ce que vous pouvez apprendre sur l'art, l'histoire et la culture vous aidera. Les gens sont très flattés lorsque vous manifestez votre intérêt à l'égard de leur culture en faisant quelques recherches.

À Vancouver, nous pouvons faire tout cela et nous pouvons et devons partager ces connaissances avec le reste du Canada. Ce que le reste du Canada doit faire, c'est de reconnaître que, à moins d'un énorme tremblement de terre, le lac Ontario ne sera jamais un plan d'eau salée qui communique avec le Pacifique -- Toronto ne sera jamais une ville du Pacifique. Cela est hors de question. Vous devrez vous débarrasser de nous ou réinstaller Toronto chez nous.

Le sénateur Grafstein: Le témoin me semble avoir l'esprit de clocher.

M. Goldberg: Je croyais me placer d'un point de vue universel. J'imagine que du point de vue de Toronto, je n'étais pas universel puisque je n'ai pas inclus Toronto.

Le sénateur Grafstein: Et parce que je l'ai fait, je suis véritablement nationaliste.

M. Goldberg: Je le sais et je cherche à donner à un comité national de l'information locale afin qu'il puisse agir sur le plan national plutôt que dans l'intérêt de certaines régions.

Le sénateur Perrault: Vous faites un très bon travail.

M. Goldberg: L'Asie nous ouvre des perspectives extraordinaires. Le Canada occupe une position unique dans le monde puisqu'il peut saisir ces possibilités. Les milieux d'affaires canadiens ont manifesté une grande circonspection face à ces occasions, en partie sans doute en raison de l'immense marché qui se trouve au sud et peut-être en raison de notre succès sur ce marché, un succès extrêmement dangereux à long terme car il encourage l'optimisme béat et l'arrogance. Nous devons donc élargir notre vision du monde.

En Colombie-Britannique, nous avons dû adopter une perspective plus large parce que notre économie axée sur les ressources était cyclique. Elle était instable, elle créait de l'incertitude sur le plan des recettes fiscales et pour les gens d'ici. Dans les années 80, nous savions que nous devions trouver de nouveaux marchés et de nouveaux produits à offrir à ces marchés. Nous ne l'avons pas fait par plaisir; nous l'avons fait parce qu'il le fallait. À mon avis, le reste du Canada doit s'engager dans la même voie, et nous lui présentons une métaphore très utile pour préparer l'avenir.

L'honorable Mike Harcourt, Sustainable Development Research Institute, Université de la Colombie-Britannique: Monsieur le président, j'ai eu un moment l'impression de me retrouver en politique. J'ai assisté avec plaisir à cet échange animé; le fait que le comité écoutait est aussi très encourageant.

J'aimerais vous féliciter de tenir ces audiences au sujet de l'Asie-Pacifique et des perspectives que la région nous offre. En particulier en 1997, Année de l'Asie-Pacifique au Canada. Les idées présentées par certains des témoins précédents et par les éminents spécialistes qui ont suivi vous seront, je l'espère, utiles lorsque vous devrez tirer des conclusions.

Michael Goldberg a très efficacement aidé la municipalité à élaborer au début des années 80 une stratégie économique qui mettait nettement l'accent sur la région de l'Asie-Pacifique et qui a débouché sur certaines des initiatives que la province a prises seule ou en collaboration avec le gouvernement fédéral et avec ses partenaires du monde des affaires. M. Goldberg est pour beaucoup dans notre réorientation et la connaissance de plus en plus profonde que nous avons de la région de l'Asie-Pacifique.

M. Goldberg et d'autres intervenants vous ont expliqué la transition que Vancouver et la Colombie-Britannique ont vécue, après avoir simplement été pendant un siècle le dernier arrêt du chemin de fer Canadien Pacifique. C'était à l'époque où le Canada était, dans l'ensemble, un pays tourné vers l'Atlantique. Nous sommes aujourd'hui fiers d'être la porte du Canada sur la région de l'Asie-Pacifique. C'est un changement conceptuel remarquable pour la province et pour l'ensemble du pays. Nous jouons ce rôle de façon stratégique et non pas par étroitesse d'esprit. C'est pour nous une réalité quotidienne.

On vous a expliqué les avantages que nous offrons sur le plan des fuseaux horaires, le fait que nous soyons le deuxième port en termes de volume de marchandises en Amérique, l'avantage que nous avons dans l'axe polaire, les deux jours ou plus que nous avons sur Los Angeles pour l'expédition de marchandises, les trois heures d'avance que nous avons par voie aérienne. Par conséquent, il y a de nombreux avantages et de nombreuses raisons qui font que les habitants de la Colombie-Britannique sont ravis d'être la grande porte du Canada sur cette région immense et diversifiée.

Si vous allez en Chine, vous y entendrez un dialecte différent à tous les 50 miles. Tous les pays ont leurs caractéristiques propres et des animosités historiques. Si vous croyez que les pressions culturelles sont fortes chez nous, dites-vous bien qu'elles ne remontent pas à plusieurs siècles comme c'est le cas entre Japonais et Coréens, entre Coréens et Chinois, et cetera.

M. Goldberg a signalé fort à propos la différence entre les orientations commerciales de la Colombie-Britannique et celles du centre du Canada; cela vaut non seulement pour la Colombie-Britannique mais aussi pour l'ouest du Canada. Dans le centre du Canada, environ 90 p. 100 du commerce ontarien se fait avec les États-Unis, 70 p. 100 dans le cadre du Pacte de l'automobile. De fait, une grande partie de l'économie ontarienne axée sur les exportations est liée aux échanges effectués en vertu du Pacte de l'automobile. En Colombie-Britannique, un peu plus de 50 p. 100 de nos exportations se font à destination de États-Unis, dont la moitié sur la côte ouest, ce marché d'un milliard de dollars qui rassemble l'État de Washington, l'Oregon et la Californie. Trente-cinq pour cent de nos échanges se font avec l'Asie, 25 p. 100 de ce 35 p. 100 au Japon.

On pourrait soutenir que 60 p. 100 des échanges commerciaux de la Colombie-Britannique sont à destination de l'Asie-Pacifique. Mon impression -- et je n'ai pas de modèles de simulation ni beaucoup d'études à proposer pour appuyer mes dires --, c'est que d'ici dix ans les échanges commerciaux de la Colombie-Britannique se feront à 80 p. 100 avec l'Asie-Pacifique. Une bonne partie de ce volume viendra de la réexpédition de marchandises pour le reste du Canada. Qu'il s'agisse de céréales, de potasse, de soufre ou de produits importés à destination du reste du Canada, notre port et notre aéroport occuperont une place de plus en plus stratégique au pays en raison de la croissance des échanges commerciaux.

Je veux détruire une idée trop répandue chez les Canadiens: l'opinion que les échanges commerciaux sont secondaires et que les politiciens participent à des missions commerciales pour s'amuser aux frais de la princesses et dilapider l'argent des contribuables. En réalité, il faut être extrêmement naïf pour croire cela. Il est en effet nécessaire de déployer d'immenses efforts pour réussir dans le domaine des échanges commerciaux et de l'exportation, et tous ces efforts ne sont pas nécessairement couronnés de succès. Nous devons bien faire comprendre aux Canadiens que sans échanges commerciaux notre économie péricliterait. Si nous ne voulons pas nous résigner à un taux de chômage d'au moins 10 p. 100, nous devons nous montrer plus dynamiques comme nation commerciale. Notre économie est à 37 p. 100 tributaire des échanges commerciaux. Nous sommes l'une des nations les plus tributaires du commerce dans le monde. Si vous faites le bilan de nos perspectives, vous constatez qu'elles sont nulles en Europe, du moins pour la Colombie-Britannique; il y a certaines occasions précises aux États-Unis, mais nous avons déjà une relation commerciale bien établie là-bas. En Amérique centrale, en Amérique du Sud et en Afrique, les perspectives vont de dangereuses à désastreuses. Il faut en convenir, les vraies perspectives sont en Asie. Le gouvernement fédéral rappelle discrètement certains des meilleurs fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international qui étaient en poste dans les grasses ambassades que nous maintenions autrefois en Europe. L'anémie des ressources affectées à l'Asie a été corrigée. Nous avons eu de la chance que certains ambassadeurs, hauts commissaires, représentants commerciaux et attachés culturels et politiques aient été nommés en Asie-Pacifique au cours des 15 dernières années, c'est du moins ce que j'ai pu constater lors de mes voyages, et ce changement stratégique était très important. Si nous voulons remédier à un taux de chômage de 10 p. 100, en particulier chez les jeunes, je suis convaincu que nous devons nous tourner vers l'Asie.

John Bell, l'ambassadeur du Canada en Asie-Pacifique, a mentionné les statistiques suivantes: chaque milliard de dollars d'exportations se traduit par 14 000 emplois au Canada. Nous devons bien faire comprendre, et j'espère que c'est ce que le comité fera, l'importance des échanges commerciaux dans tout le pays, nous devons bien montrer le lien avec l'emploi. Le commerce, cela signifie des emplois pour les jeunes qui se débattent pour faire vivre une famille et s'acheter une maison -- ce qui va de soi pour les Canadiens.

Je dis qu'il faut commercer ou périr, et nous devons beaucoup nous améliorer sur ce plan. Certaines des initiatives que nous avons menées, notamment les missions commerciales d'Équipe Canada, ont donné de fort bons résultats.

J'ai participé à une réunion des premiers ministres avec M. Chrétien, peu après l'élection de son gouvernement, en décembre 1993. Non sans ironie, j'ai dû écourter une visite commerciale en Asie du Sud-Est et en Malaisie pour participer à cette réunion. Pour me remplacer, j'ai envoyé l'un de mes brillants jeunes ministre, un garçon du nom de Glen Clark, en Asie, et j'ai rejoint la délégation dans la partie nord de l'Asie après la réunion des premiers ministres.

Quand le premier ministre du Canada a demandé qu'on donne des conseils à un «nouveau Premier ministre», je lui ai suggéré d'envoyer Équipe Canada en Asie. J'ai précisé que nous avions besoin de nous attaquer plus vigoureusement à l'Asie et d'y assurer une forte présence, que la meilleure façon d'y parvenir était que le premier ministre du Canada et les premiers ministres des provinces aillent ouvrir des portes au plus haut niveau pour que nos gens d'affaires puissent vendre leurs produits et leurs services. Notre tâche au sein du partenariat est d'ouvrir des portes. Celle des gens d'affaires est de conclure des transactions. C'est la formule.

À cette fin, la première mission commerciale d'Équipe Canada a permis de conclure des transactions représentant neuf milliards de dollars. C'était la plus importante mission commerciale jamais organisée par le Canada en Chine; la deuxième mission commerciale d'Équipe Canada, en Inde, au Pakistan, en Indonésie et en Malaisie, a rapporté entre 8,5 et neuf milliards de dollars; la dernière, en Corée, aux Philippines et en Thaïlande, a permis de conclure pour environ 20 milliards de dollars de transactions, sous forme de protocoles d'entente, d'accords de principe ou de contrats.

Nous sommes de plus en plus efficaces. Je dis à nos gens d'affaires que si cela doit les aider à encourager la personne avec qui ils négocient nous irons sur place pour tenter d'obtenir des signatures; mais si l'on cherche à les entraîner dans une transaction dangereuse, qu'ils s'abstiennent de nous appeler -- ils doivent nous utiliser de façon stratégique. C'est là un exemple de la façon dont nous pouvons mieux affirmer notre présence.

J'ai été très heureux de travailler avec le sénateur Austin au sein du Conseil commercial Canada-Chine et de voir le leadership dont il a su faire preuve pour inciter les gens d'affaires à l'accompagner en Chine. Il faut avoir vu au moins une fois dans sa vie 1 700 personnes assister dans la salle d'honneur à un banquet avec les dirigeants chinois et canadiens, il faut voir l'effet que cela peut produire. C'était là la plus importante mission commerciale jamais envoyée en Chine. Elle avait même plus d'ampleur que celle du chancelier Kohl, l'année précédente.

C'est la façon dont une puissance de taille moyenne comme le Canada peut établir une présence stratégique et des relations à long terme en Asie.

L'Année de l'Asie-Pacifique, 1997, est une occasion en or. Nous devrions l'aborder de façon très stratégique. L'importance de l'Asie pour Vancouver, vous la constaterez si vous restez ici cette fin de semaine. Si vous parlez avec des agents immobiliers, vous saurez que le marché immobilier fluctue en fonction du Nouvel An chinois. Si vous visitez le Chinatown, vous serez étonnés de voir la foule de Chinois et de non-Chinois qui viennent célébrer l'avènement de l'Année du boeuf et l'importance de cet événement culturel dans notre ville. Les courses de canots-dragons chinois, en juin, se déroulent dans le cadre d'un grand festival qui réunit les membres de diverses cultures. C'est une excellente occasion de promouvoir la compréhension interculturelle. Ces manifestations sont importantes à Vancouver et en Colombie-Britannique.

Le 1er juillet 1997 nous ouvre des perspectives et représente aussi une menace. Ce jour-là, la nature de Hong Kong changera irrémédiablement. M. Goldberg en a parlé. Il peut nous être très profitable que des gens veuillent replacer leurs avoirs de façon plus stratégique, et nous devrions mettre l'accent sur cette occasion pour le Canada.

Nous aurons d'immenses possibilités en août 1997, lorsque la Conférence mondiale des entrepreneurs chinois se tiendra ici, à Vancouver, pour la première fois à l'extérieur de l'Asie. Elle aura lieu du 25 au 28 août et elle attirera 2 000 délégués qui gèrent des avoirs de deux billions de dollars.

Comme l'a dit M. Goldberg au sujet du leadership chinois, les Chinois sont des intervenants clés en Thaïlande, aux Philippines, en Indonésie, dans la plupart des grands pays sauf en Corée et au Japon. Nous avons donc là l'occasion rêvée d'aider notre petite et moyenne entreprise, en particulier, en tenant une manifestation commerciale parallèle, une tribune commerciale.

L'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique nous donnera aussi une belle occasion de rencontrer les dirigeants asiatiques qui viendront à Vancouver les 24 et 25 novembre. Je crois que le Canada pourra à ce moment prolonger ses liens de coopération au-delà de ce qui plairait aux États-Unis, c'est-à-dire la libéralisation du commerce et de l'investissement, et englober d'autres questions importantes. Le développement durable des villes est un immense problème, en particulier en Asie. Nous devons aussi examiner de quelle façon nous pouvons aider la petite et moyenne entreprise. Les témoins qui nous ont précédés vous ont déjà fait part de certaines des difficultés à anticiper. Le défi est immense pour notre pays. Nous devons fournir des conseils, des ressources et de l'information pour que les exportateurs qui sont disposés à le faire se lancent sur ces marchés difficiles.

Il y a deux ou trois secteurs où le Canada, par l'entremise de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique, peut élargir la gamme d'activités envisagée par nos premiers ministres. Je collabore aux travaux de la Table ronde nationale et à ceux de la Fondation Asie-Pacifique et de la Fédération des municipalités canadiennes au sujet de toute cette question du développement durable des villes.

Pour illustrer mon propos, je prendrai l'exemple de New Delhi, l'une des questions que j'étudie à l'Université de la Colombie-Britannique en vue d'élaborer une initiative sur les stratégies de croissance urbaine. La population de New Delhi, dans la zone métropolitaine, passera de 14 millions de personnes à 37 millions de personnes au cours des 15 prochaines années. C'est à ce rythme que l'urbanisation progresse.

Nous nous intéressons aussi au delta de la rivière Pearl, dans le sud de la province de Guangdong, à Hong Kong; la population de Macau passera de 30 à 60 millions. Les chiffres sont effarants. Nous avons besoin d'une infrastructure qui nous permettra d'équilibrer le développement économique, l'intégrité de l'environnement et le progrès social. Que signifie l'adjectif «durable»? Cela signifie que vous pouvez respirer l'air, que vous pouvez boire l'eau, que vous pouvez consommer la nourriture sans vous empoisonner. Pour nous, cela va de soi, mais ce n'est pas la même chose dans la plupart des villes dont je vous parle.

Le comité des aliments, de l'énergie, de l'environnement, de l'économie et de la population -- un comité de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique -- tient un certain nombre de réunions où le Canada peut jouer un rôle en faisant valoir que le développement économique est une bonne chose, mais pas au détriment de l'environnement et du progrès social, de l'équité entre riches et pauvres, hommes et femmes, et d'autres questions dont les droits de la personne et le travail des enfants.

Je vous propose d'examiner la possibilité de recourir à l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique pour affirmer le leadership du Canada en matière de développement durable, avec des gens comme Maurice Strong et bien d'autres.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, voilà ce que j'avais à vous dire. Je peux vous laisser copie de mes notes. Je suis maintenant prêt à répondre aux questions que vous voudriez nous poser, à M. Goldberg et à moi-même.

Le sénateur Andreychuk: Il y a deux ou trois ans, le comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes qui étudiait les questions de politique étrangère a entendu parler des nombreuses difficultés qu'éprouvait le port en Colombie-Britannique. Je vous rappelle que je représente les Prairies, mais je ne parle pas seulement des problèmes liés au blé. Ces problèmes ont été bien exposés et continuent de nuire à tous. À l'époque, on nous avait dit que les nombreuses petites et moyennes entreprises qui voulaient prendre de l'expansion vers le sud ou en Asie se plaignaient de la situation portuaire en Colombie-Britannique. J'entends toujours parler de ce problème. Qu'est-ce que vous avez à nous dire à ce sujet?

En fait, certains disent qu'ils peuvent expédier les marchandises par camion dans les ports américains et que cela vaut mieux que de passer par la Colombie-Britannique, en raison non seulement des conflits de travail mais aussi des coûts élevés, des temps morts, du manque d'organisation auquel ils ont dû faire face, pour que leurs produits demeurent compétitifs. Un problème portuaire nuit à l'ensemble du pays. N'êtes-vous pas d'accord?

M. Harcourt: C'est juste à environ 30 p. 100. Il y a dix ans, j'aurais dit que c'était juste à environ 90 p. 100. Le port, les chargeurs, les syndicats, les chemins de fer et l'aéroport ont beaucoup fait au cours des dix dernières années pour régler une grande partie des problèmes et des inefficacités. De fait, vous pouvez vous rendre à Chicago plus rapidement en passant par le port de Vancouver que de n'importe quel point aux États-Unis. Le CN et le CP ont amélioré de façon spectaculaire leur capacité de fret. Cela vaut aussi pour le port, Lorsque vous parlez à des chargeurs chinois, japonais, taïwanais et coréens, ils ont encore des critiques à vous faire, mais beaucoup moins que par le passé.

Je n'en ai pas discuté avec les organisations de commercialisation de la potasse, du soufre ou des céréales dans les Prairies, mais j'ai l'impression que nous avons fait beaucoup de progrès. Grâce aux nouvelles installations portuaires, ici, le nouveau port à conteneurs Roberts Bank, la nouvelle piste et les nouvelles installations terminales, nous sommes plus efficaces. Et il y a encore du travail à faire.

Le sénateur Andreychuk: Je ne parle pas de l'aéroport; en fait, on me dit beaucoup de bien de cet aéroport. Par contre, il y a de nombreuses plaintes au sujet des ports, et de la part seulement des organisations traditionnelles de commercialisation du blé et de la potasse, mais aussi des petits entrepreneurs qui viennent d'arriver sur le marché et qui ont besoin d'espace dans les conteneurs. Ils ont des marchés et un créneau en Asie. Ils ont établi des contacts, ils ont pris des risques.

M. Goldberg: Les choses ont beaucoup changé au port, et je ne cherche pas à excuser les lacunes qui demeurent. La culture portuaire a évolué depuis cinq ou six ans. Le port n'est plus un service public standard, dont les fonctions étaient définies par la législation fédérale; il devait s'agir d'un monopole réglementé, mais ce n'était plus un monopole parce que nous devions faire face à la concurrence de nos voisins du Sud. Grâce à la nouvelle loi et à la nouvelle organisation du port, le port lui-même se considère comme une entreprise et comprend qu'il est en concurrence avec les ports du monde entier. Il y a eu plusieurs missions auxquelles les syndicats et les représentants de la direction et du gouvernement ont tous participé à l'étranger. Lorsque le port de Delta sera inauguré, en juin, notre capacité de traitement des conteneurs va doubler. Non seulement elle doublera, mais en outre nous pourrons offrir des services de transfert intermodal. La route, le chemin de fer et le transport maritime convergeront sur ce point. Nous serons en mesure de transférer les marchandises d'un mode à l'autre pour les réexpédier dans toute l'Amérique du Nord ou le long de la côte de façon aussi efficace que n'importe où dans le Nord-Ouest.

Le port a dû réviser ses positions lorsqu'il s'est vu mis en compétition avec SeaTac et maintenant, de plus en plus, avec les installations de Portland sur la rivière Willamette. Cette concurrence plus que tout autre facteur permettra à la petite entreprise d'obtenir les services dont elle a besoin. L'organisation est aujourd'hui très différente de ce qu'elle était il y a cinq ou six ans.

Le sénateur Grafstein: Monsieur le président, je demande aux témoins de m'excuser si mes commentaires étaient torontocentriques. Je suis torontocentriste. Toronto compte la plus forte population asiatique, une population qui croît plus rapidement que partout ailleurs au pays. Nous abordons aussi les échanges commerciaux avec l'Asie de notre point de vue, et permettez-moi de vous l'exposer un peu plus en détail.

Je considère que l'un de nos rôles, ici, consiste à fournir des conseils stratégiques aux gouvernements fédéral et provinciaux au sujet de cette très importante question de la croissance et des échanges commerciaux. Je vais d'abord vous résumer mon analyse et vous pourrez peut-être y répondre.

Il est indéniable que nous sommes ici parce que nous reconnaissons tous la croissance exponentielle des marchés asiatiques et les vastes perspectives qu'elle offre au Canada.

Si l'on examine notre commerce actuel sur le plan stratégique -- et là encore les chiffres datent un peu; ce sont des chiffres de 1994-1995 --, on constate que nous accusons un déficit commercial stratégique avec l'Asie. Si vous analysez les chiffres et que vous soustrayez les exportations traditionnelles, axées sur les ressources, le déficit est encore plus marqué. Cela m'amène aux commentaires que vous avez faits au sujet de la dépendance du centre du Canada et, à mon avis, de tout le Canada, relativement au Pacte de l'automobile. Mais les avantages du Pacte automobile résident dans la valeur ajoutée, dans le fait qu'il s'agit d'une industrie à forte intensité de main-d'oeuvre; il ne s'agit pas d'une industrie axée sur les ressources, mais bien d'une industrie axée sur la main-d'oeuvre. Je crois que ces avantages sont incontestables.

Ceci dit, est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux que le comité se penche sur les secteurs du commerce administré comme le Pacte de l'automobile pour que nous puissions rapidement nous attaquer à ce déficit commercial croissant avec l'Asie? À mon avis, d'ici cinq ou sept ans, la Russie, l'Ukraine et d'autres pays nous livreront une concurrence féroce sur le plan des ressources. Nos exportations tributaires des ressources seront gravement menacées par le déclin des pris, et cela signifie que nous devons progresser sur le front des produits à valeur ajoutée.

Dans son rapport de 1994, le Conference Board concluait que, depuis 1970, nous avions apporté très peu de changements structuraux à notre situation commerciale, en dépit de tous les changements cosmétiques dont nous avons parlé récemment.

Pourriez-vous nous faire profiter de vos conseils au sujet de l'Asie quant à la façon dont, si mon analyse est exacte, nous pourrions cibler certains secteurs du commerce administré, de façon à tenir compte de l'intensité de main-d'oeuvre.

Permettez-moi d'avancer une idée. Nous consacrons beaucoup de temps au Pacte de l'automobile en Ontario, pour tenter d'y intégrer les fabricants d'automobiles japonais. Cette question a donné lieu à un vaste débat et elle a été réglée de façon fort élégante. Je me suis toujours demandé pourquoi nous agissions ainsi. Pourquoi ne songeons-nous pas à conclure un pacte de l'automobile directement avec le Japon, pourquoi devons-nous moduler la situation avec les États-Unis?

Je vous pose donc la question. Y a-t-il des secteurs et est-ce une façon valable d'examiner les choses pour nous, pour moi?

M. Goldberg: Ce sont certainement des idées utiles au sujet de ce que nous faisons actuellement. Un des aspects du Pacte de l'automobile, c'est qu'il ne nous rapporte aucune devise étrangère. Si nous avons besoin d'argent pour payer les produits, la principale source de devises étrangères au Canada demeure les richesses naturelles, parce que nous n'avons rien à payer pour les exploiter. Elles sont sur notre territoire, et sur le plan des devises étrangères, c'est une valeur ajoutée de 100 p. 100. Le Pacte de l'automobile doit être jugé dans ce contexte.

La vulnérabilité qui découle du Pacte de l'automobile ajoute un élément de risque. Lorsque nous examinons le rendement en termes d'emplois, nous devons aussi l'examiner en termes de risques. J'adore l'investissement immobilier. Lorsque des étrangers achètent de l'immobilier, c'est fabuleux puisque nous touchons l'argent et nous gardons la propriété; il n'y a aucune valeur de représailles. Si je menace de fermer un édifice à bureaux, cela n'a rien d'inquiétant: l'immeuble peut être saisi si le propriétaire ne paie pas ses taxes. Par contre, si je menace de fermer une usine d'automobiles, la valeur de représailles est immense en termes d'emplois; c'est indiscutable.

Il y a un autre problème quant à la façon dont le Conference Board et d'autres intervenants évaluent ce que nous faisons. Je vais vous donner quelques exemples. Une scierie à très forte valeur ajoutée a ouvert ses portes à Prince Rupert. Cette scierie à valeur ajoutée traite de la pruche de grande qualité et permet aux riches Japonais de venir choisir les billes qui les intéressent. Ces billes sont ensuite débitées de façon numérique dans une scierie ultra-moderne. Le travail est effectué par des gens qui portent des gants blancs et qui retirent le bois de la chaîne. Le bois est souvent béni par des prêtres shintoïstes, et quelques entreprises de Prince Rupert se greffent à cette industrie pour offrir des services touristiques. Le produit s'exprime toujours en mètres cubes de bille. Ces billes sont fort différentes du 2 x 4 standard que nous vendons aux États-Unis. C'est la même chose pour le bois-d'oeuvre que nous expédions au Japon. Le bois-d'oeuvre destiné au Japon, parce que nous le sélectionnons et le traitons différemment, vaut de trois à six fois plus que le bois de construction de dimensions courantes que nous vendons aux États-Unis. Le volume de production s'exprime encore en millions de pieds cubes.

La même chose se produit dans le cas des pêcheries. Nous ajoutons beaucoup de valeur aux produits lorsque nous emballons le poisson localement et que nous l'étiquetons et le mettons dans des boîtes spéciales, lorsque nous le découpons. J'ai vu du saumon à 5 $ la livre au marché de l'île Granville et du saumon fumé à 100 $ la livre à Tokyo et à Hong Kong. C'est une énorme valeur ajoutée.

Est-ce que cela nous permettra de devenir riche? Non, nous n'allons pas nous enrichir ainsi mais cela révèle bien la nouvelle économie dans laquelle nous vivons. J'aime parler de produits «vendus au gramme et non pas à la tonne». De la sorte, on échappe ainsi à la tyrannie du métrique, qui met plutôt l'accent sur le produit. Le meilleur exemple de valeur ajoutée, à l'heure actuelle, est celui du signal électronique d'Internet, et nous ne faisons même pas entrer cette valeur dans nos calculs.

Quand je songe à la façon dont nous nous sommes diversifiés -- et le problème c'est que la nouvelle économie comporte de nombreux aspects très subtils. Le secteur des produits cultivés en serre représente presque 200 millions de dollars. Il ne menace pas les céréales des Prairies, mais il offre une très forte valeur ajoutée. Nous vendons beaucoup de fleurs dans le monde entier, des fleurs de serre cultivées dans la vallée du Fraser. Nous vendons des baies. Nous vendons des vins comme les entreprises de la péninsule du Niagara, des produits d'exportation non traditionnels à très forte valeur ajoutée. Ce sont des produits dont il est très difficile de rendre compte. Notre industrie touristique a un énorme chiffre d'affaires. Il est très difficile de la cerner parce que ses éléments figurent à divers endroits.

Votre analyse est exacte si l'on prend l'économie existante. L'économie de l'avenir portera sur des produits non tangibles. Des produits beaucoup plus éphémères, des idées transmises au moyen de signaux électroniques; des personnes qui visitent des pays; des produits à très forte valeur ajoutée, des produits qui échappent à notre filet métrique. Nous avons besoin de métaphores bien différentes pour définir l'avenir de nos échanges commerciaux et il faut commencer à mesurer les résultats de ces métaphores.

Une autre métaphore que j'aime bien, c'est qu'une bonne partie de ce que nous avons maintenant est diffusée sur bande FM, mais nous n'avons qu'un poste radio AM. Nous avons besoin des deux types de fréquence.

Notre passé, c'est indéniable, nous suit. Lorsque je parle du passé, je ne dis pas qu'il faut cesser de s'intéresser aux ressources ou au Pacte de l'automobile. Ce sont des secteurs très productifs qui demeurent des éléments importants de notre stratégie commerciale. Nous devons aussi chercher ailleurs parce que la nouvelle économie se manifestera sous différentes formes. Nous avons déjà connu des succès étonnants. Personne n'aurait cru que le Canada pouvait produire des vins de calibre mondial, tant dans la vallée de l'Okanagan que dans la péninsule du Niagara. Nous y sommes parvenus. Pourquoi? Parce que le libre-échange ne nous a pas laissé le choix. Il fallait le faire, ou disparaître.

Nous effectuons maintenant des manoeuvres fort intéressantes pour assurer notre compétitivité à l'échelle mondiale. Mais ce n'est pas dans les secteurs vers lesquels les Canadiens se tournent traditionnellement, et c'est là que le bât blesse. Il nous faut utiliser aussi bien les métaphores de l'ancienne économie que celles de la nouvelle économie. Nous atteindrons alors à l'équilibre entre les deux.

Le commerce administré s'applique malheureusement surtout à l'ancienne économie. La nouvelle métaphore économique, celle des idées à valeur ajoutée, n'est pas facile à saisir dans le contexte d'une relation commerciale administrée.

Le sénateur St. Germain: Ma question s'adresse à l'ex-premier ministre Harcourt. Vous faisiez de l'excellent travail et vous avez demandé à ce jeune homme de vous remplacer; je tiens à vous dire que vous nous manquez de bien des façons.

Ma question, je l'ai déjà posée à M. Saywell. De quelle façon pouvons-nous régler de façon cohérente, si l'on peut vraiment parler de cohérence, les questions de violation des droits de la personne? Vous avez aussi parlé du travail des enfants. Nous discutons des interruptions de travail qui se produisent à l'heure actuelle dans certains de ces pays; les droits des travailleurs sont bafoués.

Vous vous présentiez autrefois comme un social-démocrate convaincu, et je suis certain que vous l'êtes toujours, monsieur. De quelle façon pouvons-nous tenir compte de ces problèmes avec une certaine cohérence? Est-ce que nous permettons à nos ambitions et à nos besoins économiques de prendre le pas sur ces questions importantes qu'il faut régler? Si nous voulons nous poser en exemple aux yeux du monde, de quelle façon pouvons-nous justifier nos relations commerciales avec ces pays, les liens que nous établissons avec eux, très étroits dans certains cas, dans le cadre de diverses relations commerciales?

M. Harcourt: C'est un ensemble de questions très difficile. Nous devons nous rendre compte que ces pays d'Asie évoluent et se modernisent très rapidement, non pas seulement le Japon, qui est à la fine pointe de la modernité. Évidemment, les jeunes tigres et les jeunes dragons de Corée, de Taïwan, de Singapour et de Hong Kong progressent aussi très rapidement.

Nous devrions faire preuve d'une certaine modestie au Canada et nous tourner vers notre propre histoire. De 1867 à 1917, les femmes n'avaient pas le droit de vote. Les gens qui ne possédaient pas de biens immobiliers n'avaient pas le droit de vote. Les Chinois et les Japonais n'ont pas eu le droit de vote avant la fin des années 40. Les membres de la communauté asiatique n'étaient pas autorisés à faire partie des professions libérales avant les années 50. Pour acheter une maison dans les British Properties ici, à Vancouver, il fallait s'engager par écrit à ne pas revendre la maison à des Juifs ni à des Asiatiques. Ces temps sont maintenant révolus, mais nous devons reconnaître que nous ne sommes pas parfaits et que nous sommes tout de même parvenus à créer une démocratie.

Notre rôle devrait être d'aider très concrètement la Chine, et c'est ce que nous faisons, à élaborer un système d'arbitrage et un régime de protection des brevets relativement cohérent, de former les juges et d'agir en fonction de divers autres accords que le premier ministre Chrétien a signés avec le premier ministre Li Peng lorsque nous étions là-bas.

L'ACDI oeuvre en Indonésie et au Timor oriental pour mettre sur pied une Commission des droits de la personne là-bas. Ce sont des imitatives qui ne portent pas rapidement fruit, mais elles permettent très concrètement au Canada de montrer de quelle façon nous avons établi notre propre démocratie, en plusieurs décennies. Nous n'avons pas instauré la démocratie du jour au lendemain. De fait, d'aucuns soutiennent que nous avons encore des progrès à faire pour corriger certaines inégalités sociales.

Le président: Même dans les institutions parlementaires.

M. Harcourt: Je songeais à faire appel à un arbitre devant mon poste de télévision hier soir.

Le président: Je parlais du Sénat.

M. Harcourt: Le sénateur Austin et moi avons eu de longues discussions à ce sujet, mais ce n'est pas ce dont je veux parler aujourd'hui.

Nous devons être conscients de notre rôle. Dans certains cas, il convient d'être très clairs, notamment dans celui de l'Afrique du Sud. Nous avons suivi la politique qui s'imposait quand nous avons décidé de boycotter l'Afrique du Sud, d'imposer essentiellement une censure internationale. Les choses ont enfin bougé. Je pense que de boycotter la Chine ou l'Indonésie et d'interrompre complètement le commerce avec eux n'est pas nécessairement le meilleur moyen de faire progresser nos relations avec les pays en transition. Je crois que nous avons adopté la bonne façon approche.

Le sénateur St. Germain: Le volume de nos échanges avec l'Afrique du Sud était beaucoup moins important qu'avec l'Asie.

M. Harcourt: L'Afrique du Sud et le système d'apartheid d'une société délinquante étaient si répugnants que la communauté internationale a décidé, à juste titre, de boycotter l'Afrique du Sud.

L'Organisation mondiale du commerce offre d'immenses possibilités, surtout depuis que la Chine cherche à en faire partie; grâce à l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique et aux initiatives stratégiques du Canada, nous pouvons réellement aider ces pays à se moderniser.

Toutefois, nous ne devrions pas constamment leur proposer comme modèles notre forme de gouvernement, notre régime de démocratie libéral capitaliste. Je pense que c'est là faire preuve de l'arrogance même dont parlait James Fellows dans son livre, Look at the Sun, qui montre à quel point les États-Unis ont tort de tenir pour acquis que tout le monde pense comme eux. Les pays asiatiques finiront par se moderniser, chacun à sa manière.

Je pense, tout comme M. Bing Thom, que la démocratisation des masses qui s'opère en Chine, où les dirigeants s'accrochent désespérément au pouvoir, aura une énorme incidence sur le développement économique, surtout si on pense que la classe moyenne compte 400 ou 500 millions de Chinois instruits qui ont accès à la technologie moderne et à tous les moyens de communication. Ces changements auront des répercussions profondes sur les systèmes politiques et juridiques.

Il faut prendre le temps de bien réfléchir à l'attitude que nous devons adopter dans ce genre de situation, et c'est précisément ce que nous allons faire. Un grand forum réunissant les ONG aura lieu ici pendant la conférence de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique. Des gens vont profiter de l'occasion pour protester contre ce qui se passe au Timor oriental et contre le régime indonésien, d'autres manifesteront en faveur du Tibet. Ce sera la preuve que notre système démocratique est tolérant. Les gens ont le droit de s'exprimer, de se rassembler et de dire ce qu'ils pensent.

Il est difficile de répondre rapidement à ce qui me paraît être une question très importante et très complexe pour les Canadiens au sujet de la région de l'Asie-Pacifique.

Le sénateur Corbin: Monsieur le président, monsieur Harcourt, j'ai été impressionné par l'appui que vous témoignez à Équipe Canada et la promotion agressive que vous en faites. Hier, je suis tombé par hasard sur le dernier numéro de The Economist. Sur la page couverture, on peut lire le titre «Pourquoi les gouvernements ne doivent pas jouer les négociants».

Voyez-vous Équipe Canada comme un outil sur lequel nous pourrons compter en permanence pour faire des affaires à l'étranger ou, pensez-vous au contraire qu'elle devrait un jour abandonner un domaine qui, à vrai dire, relève uniquement de l'entreprise privée?

M. Harcourt: J'ai lu l'article dont vous parlez et je ne suis pas d'accord avec son auteur.

Le sénateur Corbin: Certains points sont intéressants.

M. Harcourt: Nos journaux sont si mauvais que je suis obligé de me fier à d'autres sources.

Le sénateur St. Germain: Conrad dit qu'ils vont s'améliorer.

M. Harcourt: Ils ont du chemin à faire.

Nous avons un rôle à jouer, mais il est limité; les gouvernements devraient toujours s'en tenir uniquement au rôle qui leur revient. En Asie, il faut négocier avec le gouvernement, que l'on soit au Japon ou en Chine. En envoyant nos plus hauts responsables politiques et nos gens d'affaires en mission commerciale stratégique, nous pouvons réaliser d'immenses progrès, surtout en Asie.

Nous devrions analyser les trois visites que nous avons faites jusqu'à présent pour déterminer ce qui donne de bons résultats et ce qui est inutile. L'an prochain, nous devrions aller aux États-Unis, au Mexique ou en Europe. Nous avons réussi à bien préparer le terrain en Asie au cours des trois dernières années. Le concept est très efficace.

Comme l'a dit le sénateur Grafstein, il faut explorer les secteurs dans lesquels nous voulons promouvoir notre commerce. Un secteur intéressant est passé sous silence dans les statistiques sur les échanges commerciaux, et c'est celui des services. Les chiffres ne tiennent pas compte des services et ne mesurent pas de façon très efficace l'industrie du tourisme, dont la rentabilité surpassera celle de l'industrie forestière au cours des cinq ou six prochaines années en Colombie-Britannique. Les bateaux de croisière et les centres du commerce et des conférences verront leur capacité doubler. À lui seul, Whistler rapporte 500 millions de dollars par année à la province, et l'on envisage d'ouvrir d'autres centres de plein air toutes saisons.

Ce ne sont plus des chargements de bois que l'on envoie au Japon, mais des maisons préfabriquées, auxquelles j'ajouterais également les meubles préfabriqués et les biens connexes.

L'industrie cinématographique rapporte 500 millions de dollars annuellement à la Colombie-Britannique. Jackie Chan y a tourné son tout dernier film.

Le sénateur Corbin: Monsieur le président, je vous ferai respectueusement remarquer que le témoin ne répond pas à ma question. À quel moment les gouvernements se retirent-ils du jeu?

M. Harcourt: Je ne sais pas s'ils doivent nécessairement le faire. Je pense que le principe du partenariat fonctionne bien. Je suis d'accord pour dire, par contre, que les gouvernements s'y prennent mal dans de nombreux cas, entre autres quand ils essaient de choisir des partenaires gagnants, selon la part du marché qui s'annonce la plus avantageuse et celle qui risque de ne pas être profitable -- quand ils mettent en oeuvre des incitatifs et des désincitatifs ou accordent des garanties de prêts et des subventions coûteuses.

L'ironie, c'est que je dis cela en tant que social-démocrate qui ne croit pas vraiment en ce genre de choses. Une mission commerciale bien ciblée, un suivi efficace et une équipe qui travaille sur place à l'ambassade, en collaboration avec les entreprises, est encore un moyen très utile de percer le marché asiatique, surtout s'il faut traiter avec le gouvernement d'une manière ou d'une autre.

Le sénateur Carney: Sans vouloir rien enlever au mérite d'Équipe Canada, j'aimerais préciser que ce n'est pas Équipe Canada qui a ouvert le dialogue avec l'Asie. C'est le ministre conservateur Alvin Hamilton qui a lancé notre commerce avec la Chine. Je tiens à ajouter cet élément pour mémoire, afin de mettre en contexte les commentaires qui ont été faits, dans un bon esprit de parti.

Le premier ministre Joe Clark a dressé la charpente de la Fondation Asie-Pacifique. Le premier ministre conservateur Brian Mulroney a lancé l'idée d'un accord de libre-échange et celle de l'initiative Asie-Pacifique, deux projets auxquels j'ai participé et qui ont permis, entre autres, la mise en valeur de l'aéroport de Vancouver administré localement. Je le souligne pour que l'on se rappelle que l'intérêt à l'égard de l'Asie-Pacifique ne date pas d'hier. Aujourd'hui encore, l'intérêt qu'on y porte n'est pas suffisant.

Dans ce contexte, que pensez-vous de la fermeture de la B.C. Trade Corporation? Pensez-vous que les provinces peuvent contribuer à la croissance du commerce? Cette question suscite la controverse, parce que certaines personnes ont l'impression que les provinces n'ont pas leur place dans ce domaine. Pensez-vous que les provinces ont un rôle à jouer dans ce qui est, en général, une initiative commerciale nationale?

M. Harcourt: Il s'agit d'un des rares domaines au Canada sur lequel les deux partis s'entendent -- et il est vrai que le premier ministre Mulroney est intervenu de façon énergique dans la région de l'Asie-Pacifique, tout comme l'avait fait Joe Clark. Alvin Hamilton a beaucoup facilité le commerce du blé, et c'est en grande partie grâce aux conservateurs que nos ambassades ont connu des transformations. Dans ce domaine, il est important de ne pas faire preuve de partisanerie.

Les changements qui s'opèrent en Colombie-Britannique sur le plan commercial nous donnent l'occasion de mettre l'accent sur la PME. Je participe à quelques projets en collaboration avec le Conseil commercial Canada-Chine et avec le Conseil commercial Japon-Canada, pour créer une base de données informatisée au Canada. Les commerçants canadiens ont accès à WinNet, une base de données qui contient des renseignements sur 20 000 entreprises prêtes à exporter leurs produits, dont 3 300 sont établies en Colombie-Britannique. Il nous faut disposer de bases de données semblables sur le Kansai et les endroits stratégiques, comme Beijing et Guangzhou, en Chine. De cette façon, les PME qui souhaitent devenir distributeurs ou fournisseurs pourront obtenir par Internet la liste des entreprises qui font des affaires à Beijing. Ils pourraient ainsi utiliser les communications électroniques pour entamer des négociations avant même de rencontrer leurs partenaires éventuels.

Il reste à espérer que les entreprises de la Colombie-Britannique pourront se lancer sur cette voie, malgré le peu de ressources dont elles disposent.

Si vous me demandez, madame le sénateur, si ces changements étaient opportuns, je vous dirai simplement que quand les journalistes m'ont demandé mon avis sur le travail du gouvernement je leur ai répondu que je n'étais pas le Don Cherry de la politique en Colombie-Britannique. C'est pourquoi je ne me prononcerai pas sur l'opportunité de ces changements. Je pense toutefois que nous mettons sur pied d'excellentes initiatives commerciales en Colombie-Britannique et ce, en collaboration avec nos homologues du gouvernement fédéral et des autres provinces.

Le sénateur Carney: C'est là la question principale. Le provincial a-t-il un rôle à jouer dans l'expansion commerciale?

M. Harcourt: Oui, surtout pour les PME qui sont prêtes à se lancer dans l'exportation; nous devons aider ces entreprises à mieux se préparer.

Les sociétés comme Lavalin et la West Coast Power réussissent très bien. C'est au niveau de la PME que nous pouvons intervenir.

Le sénateur Perrault: Lors d'un voyage de promotion commerciale, il y a cinq ans environ, un de nos agents m'a dit que des gens d'affaires à peine arrivés de Vancouver et de Toronto et encore mal remis du décalage horaire veulent conclure des transactions en 48 heures; ces gens repartent en général bredouilles et très déçus. Selon cet agent, il est impossible de faire des affaires de cette façon, ce que vous avez confirmé aujourd'hui.

Nos jeunes entrepreneurs sont-ils bien armés de connaissances sur les pays riverains du Pacifique, sont-ils capables de parler les langues de ces pays et que savent-ils de leur histoire et de leurs us et coutumes? Dans nombre des pays riverains du Pacifique, les jeunes reçoivent une formation multilingue beaucoup plus poussée qu'au Canada.

J'ai vu des statistiques il y a quelques mois que j'ai trouvé difficiles à accepter; apparemment, en effet, les langues sont moins enseignées au Canada aujourd'hui qu'il y a 10 ans. Il est dans notre intérêt de trouver des moyens d'organiser notre offensive pour obtenir notre part de ce marché. Chose certaine, il faut instruire nos jeunes en vue d'établir nos avant-postes dans les pays riverains du Pacifique.

Le Capilano College offre un programme de formation aux jeunes qui désirent apprendre les langues de ces pays. Est-ce que l'on entend parler de la formation en langues dans notre pays et de la préparation de l'offensive qui nous permettra de prendre notre part du marché?

M. Harcourt: Je suis parfaitement d'accord avec vous sur deux plans: oui, nos gens d'affaires sont naïfs et ne savent pas comment faire des affaires, ils pensent pouvoir, comme à Toledo, dans l'Ohio, proposer des échantillons dans un hôtel, conclure le marché et sauter dans l'avion pour rentrer chez eux. Les affaires ne se font pas comme cela en Asie.

Je conseille carrément aux gens qui veulent faire des affaires en Asie de s'en abstenir à moins de s'y préparer pendant au moins un an ou un an et demi, de faire au minimum quatre voyages, d'investir 100 000 $ ou 150 000 $ et de faire appel à des compétences. C'est une perte de temps que d'envoyer nos talents à l'étranger sans aucune préparation. C'est à cet égard qu'il faut former la PME.

L'un des changements dont je suis fier et que j'ai moi-même proposé, c'est l'enseignement des langues asiatiques dans nos écoles secondaires. En effet, nous offrons maintenant dans les écoles secondaires des cours accrédités de japonais, de mandarin, de cantonais, de coréen, de punjabi et de tlingit, pour n'en nommer que quelques-uns. Les jeunes appartenant à ces cultures et les autres jeunes peuvent apprendre ces langues et obtenir des crédits qui leur permettront de poursuivre leurs études au Capilano College ou dans d'autres programmes.

Le sénateur Perrault: Qu'en est-il des autres provinces?

M. Harcourt: Je l'ignore. Il était très important pour notre communauté asiatique d'avoir enfin un équilibre entre les langues de l'Europe et des Amériques, de constater qu'on enseigne dans les écoles d'autres langues que l'espagnol, le français et l'anglais. La communauté asiatique apprécie énormément de voir ses langues reconnues et respectées. Certaines de ces langues sont difficiles à apprendre, mais, au fond, on peut en dire autant de l'anglais.

Le sénateur Andreychuk: Quand il est question des droits de la personne, on insiste sur les valeurs canadiennes et la façon de les faire respecter. De nombreux Canadiens défendent avec ardeur les droits de la personne, au Canada comme à l'étranger, parce qu'ils croient en ce que l'on appelle le code universel, le code des droits de l'homme des Nations Unies. Ce ne sont donc pas les valeurs canadiennes qui nous intéressent, mais les valeurs universelles. Qu'on soit en Afrique, en Asie, au Canada ou aux États-Unis, ce sont ces valeurs que nous préconisons en réalité. Lorsque nous soulevons des questions touchant les droits de la personne, il est faux de dire que nous insistons sur les valeurs canadiennes. J'espère que nous savons faire la différence entre les personnes qui imposent les valeurs canadiennes et celles qui défendent les principes universels. C'est ce que font de nombreux Canadiens. En théorie, si nous étions à Haïti, par exemple, nous serions confrontés aux mêmes questions qu'au Canada, en Chine ou à Hong Kong.

M. Harcourt: Je suis entièrement d'accord avec vous. En fait, j'ajouterai même que la Déclaration des droits de l'homme des Nations Unies englobe les droits économiques et sociaux ainsi que les droits politiques et juridiques. Selon mon point de vue politique et philosophique, j'approuve entièrement la charte des droits de l'homme des Nations Unies. C'est là-dessus que j'ai fondé ma thèse à l'école de droit.

La question, c'est de savoir comment faire valoir ces droits, pas de savoir si nous y croyons. J'ose espérer que nous croyons tous passionnément aux droits démocratiques et aux droits de la personne. Il faut savoir comment ces droits s'expriment dans les cultures que nous côtoyons. Très peu de pays reconnaissent pleinement et concrètement les droits de la personne. C'est pour nous un grand défi que d'aider les pays à progresser dans ce domaine.

Le sénateur Andreychuk: J'aimerais discuter de deux principes qui sont liés à ce qui a été dit. Tout d'abord, il faut rappeler que les droits politiques et civils appartiennent aux gens, et non pas aux États ni aux gouvernements. Dans le monde occidental, on a longtemps répugné à aborder le deuxième principe dont je veux parler: les droits économiques, culturels et sociaux. Je suis heureuse de constater que le débat Est-Ouest est terminé et qu'on nous demande de rendre compte de ce deuxième principe. J'espère que, grâce à vos bons offices, ce débat sera élargi plutôt que restreint.

Le sénateur Grafstein: J'aimerais revenir sur une question qu'a soulevée le sénateur Corbin, le rôle du gouvernement. J'ai constaté avec étonnement que le gouvernement peut être très utile dans le domaine du renseignement commercial. Par exemple, en Asie, une grande partie de l'activité est liée aux marchés publics; c'est le gouvernement qui s'occupe d'acheter le nécessaire pour construire des édifices ou pour réaliser d'autres projets.

J'ai été fasciné par un article publié dans un journal américain au sujet de la mort tragique du Secrétaire au Commerce Brown. On y expliquait que le Secrétaire Brown participait à une mission orchestrée par le «centre tactique» du département du Commerce. Il y avait dans ce centre un tableau indiquant tous les pays avec lesquels le département passait d'importants contrats d'approvisionnement. Le personnel du département suivait de près la situation dans tous ces pays. Quand est venu le temps de passer à l'action, le Secrétaire Brown a pris l'avion avec un groupe de gens d'affaires, pour bien faire sentir le poids du gouvernement américain. Nous ne faisons pas ce genre de choses. Nos activités sont plutôt compartimentées.

M. Harcourt: C'est très vrai.

Le sénateur Grafstein: Est-ce que cela devrait faire l'objet d'une recommandation du comité?

M. Harcourt: Je pense que c'est capital; c'est d'ailleurs l'un des moyens que je suggère de prendre pour aider la PME. Sincèrement, je pense que le département du commerce tient des données très complexes. Le ministère du Commerce et de l'industrie du Japon a mis ce système en oeuvre dans tout le pays pour permettre aux entreprises japonaises de consulter ces données sur Internet.

Il serait très utile que le gouvernement dégage des fonds afin de produire ce genre de renseignements. On pourrait ensuite songer à la commercialisation ou encore à la privatisation. Les Américains ont un système extrêmement complexe. Ils ont conclu un marché avec le ministère du Commerce et de l'industrie du Japon et les Japonais; je pense que nous devrions songer à faire la même chose.

Le président: Merci beaucoup. Vous avez été très patients et vos conseils nous seront fort utiles.

La séance est levée.


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