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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 21 - Témoignages - Séance du matin


VANCOUVER, le vendredi 7 février 1997

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 9 h 07 pour examiner l'importance croissante de la région Asie-Pacifique pour le Canada, et faire rapport sur la question, en prévision de la conférence de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique (APEC) qui se tiendra à Vancouver l'automne prochain, l'année 1997 étant l'année de l'Asie-Pacifique au Canada.

Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous accueillons ce matin un groupe de personnes qui s'intéressent aux relations entre le Canada et la Chine, l'accent étant naturellement mis sur la Chine. Je ne peux pas dire que je connais tous les témoins. À regarder la liste des témoins et leur curriculum vitae, j'en conclus que le groupe est assez diversifié.

Le groupe compte quatre membres. M. Paul Lin est professeur d'histoire de la Chine à l'Université de la Colombie-Britannique. M. Pitman Potter est de la faculté de droit de l'Université de la Colombie-Britannique. M. Potter travaille pour le Centre for Asian Legal Studies là-bas. De la Société Radio-Canada, nous entendrons M. Patrick Brown. Je vais demander à M. Brown de dire quelques mots au sujet de ses antécédents, car nous lui avons demandé de participer à la toute dernière minute. Du Sénat du Canada, nous avons un expert sur la Chine, le sénateur Jack Austin, du Conseil commercial Canada-Chine.

Je vais tout d'abord donner la parole à M. Brown afin qu'il nous parle un peu de son expérience en Chine.

M. Patrick Brown, journaliste, Société Radio-Canada: Monsieur le président, j'ai été affecté à notre bureau de Londres de 1980 à 1990. Mon premier travail là-bas a été de couvrir la grève dans un chantier maritime à Gdansk. Basé à Londres, j'ai couvert les événements en Europe de l'Est et au Moyen-Orient pendant 10 ans. En 1990, j'ai été envoyé en Chine. J'ai été correspondant à Beijing pour les réseaux anglais et français de la Société Radio-Canada pendant six ans, jusqu'à la fin de 1996. Je suis actuellement à Vancouver et je me rendrai à Hong Kong pour une courte période, soit d'avril à août 1997, pour assurer le reportage de la transition.

Le sénateur Austin: Monsieur le président, nous avions décidé de commencer par M. Lin. M. Lin est effectivement un éminent historien et un homme qui a énormément d'expérience pratique en Chine. Je ne sais pas si on le dit dans sa biographie: M. Lin est d'origine chinoise, mais il est né au Canada. Il a quitté le Canada en 1950 pour aller travailler en Chine pendant la période de la libération et y est resté jusqu'en 1966. Il a une connaissance profonde de la Chine. M. Lin a également été l'un des fondateurs du Conseil commercial Canada-Chine en 1978 et il s'occupe depuis longtemps du développement des relations commerciales entre le Canada et la Chine.

M. Paul Lin, professeur d'histoire de la Chine, Université de la Colombie-Britannique: Monsieur le président, je vous remercie de cette occasion qui m'est donnée de faire des observations sur les relations entre le Canada et la Chine devant ce groupe de sénateurs très distingués.

Comme c'est la nouvelle année, l'année du boeuf, j'aimerais profiter de l'occasion pour souhaiter à tous une bonne et heureuse année, une année prospère et une année de croissance.

Il ne fait aucun doute que cette année sera pour la Chine une autre année de croissance. Les dirigeants disent qu'ils veulent maintenir le taux de croissance à environ 8 p. 100. Tous les éléments fondamentaux semblent être bons. Le ratio d'endettement est toujours assez bon. Le pourcentage d'épargne se situe toujours dans les 30 p. 100, alors qu'il n'est que d'environ 6 ou 7 p. 100 aux États-Unis. Tout semble indiquer une autre période de croissance continue.

À long terme, nous voyons ce qui se passe en Chine dans un contexte où on nous assure constamment que la politique de réforme et d'ouverture va être maintenue. La préoccupation la plus importante à ce sujet, cependant, c'est qu'il faut une certaine stabilité pour que cela continue. C'est ce que l'on a souligné lors de la conférence tenue à la fin de 1995 au cours de laquelle M. Jiang Zemin a soulevé 12 points qu'il considérait comme étant absolument nécessaires si la Chine voulait continuer sur cette voie.

Avant d'aborder ces 12 aspects, cependant, j'aimerais parler un peu des préoccupations actuelles en ce qui concerne les relations de la Chine avec le monde occidental. Il semble y avoir dichotomie dans le regard que le monde occidental jette sur la Chine. D'une part, on est très désireux de voir augmenter le commerce, les investissements et les autres relations économiques avec cette économie en plein essor qui, d'après la Banque mondiale, sera peut-être l'économie la plus importante du monde d'ici à l'an 2010. Voilà un aspect. Par ailleurs, dans l'actualité, on dénigre de façon constante et même accrue la Chine, la peignant comme un pays presque complètement anti-moderne qui continue, et même dans une plus grande mesure, à porter atteinte aux droits de la personne, à supprimer le mouvement démocratique et à commettre de nombreuses infractions aux règles du commerce international, surtout en ce qui concerne le droit de propriété intellectuelle.

On semble donc en même temps louer et dénoncer la Chine. Dans les milieux de l'industrie et du commerce, on a constamment l'impression d'être attaqué parce qu'on ne se préoccupe pas des droits, et plus particulièrement des droits de la personne; par conséquent, on a un sentiment de culpabilité et on en arrive même à se demander si c'est une bonne chose de faire affaire avec la Chine. Il n'est pas facile de répondre à cette question mais personnellement, je ne vois pas la nécessité de jouer un aspect contre l'autre. On ne semble pas regarder la situation dans son contexte historique; on semble oublier que, traditionnellement, la poussée, la création et le perfectionnement des systèmes démocratiques sont un processus long et très complexe. Il a fallu plusieurs siècles au monde occidental pour perfectionner un système démocratique, et certains parmi nous, si je peux m'exprimer ainsi devant des sénateurs, ne considèrent peut-être pas ce système comme parfait. En fait, même aujourd'hui, nous sommes témoins de nombreuses infractions aux droits de la personne à l'Ouest.

Par exemple, je lisais quelques commentaires sur le mouvement des droits civils aux États-Unis dans les années 60, et j'ai appris que des soldats armés et chaussés de bottes battaient et, dans certains cas, pendaient sommairement ceux qui luttaient pour les droits civils; les victimes de cette répression se comptaient non pas par centaines et milliers, mais bien par millions.

Il faut donc une grande arrogance, et peut-être de l'égoïsme, pour placer cette question en tête de l'ordre du jour de nos relations avec la Chine. Nul besoin de faire une distinction entre les deux questions, le commerce et les droits de la personne. J'essaie de vous convaincre qu'il n'y a eu, dans l'histoire, aucune situation où la démocratie s'est implantée avant la mise en place d'institutions économiques et sociales, d'une culture de changement démocratique, ce dont la Chine est bien loin.

Après 2 000 ans de systèmes politiques autocratiques, autoritaires, la Chine possédait néanmoins l'une des philosophies les plus humanistes du monde: le confucianisme et le mencianisme et tous les autres systèmes classiques de pensée en Chine surpassaient certainement ceux de l'Europe de l'Ouest.

Pour le disciple de Confucius, la première et la plus importante assise de l'État, c'est le peuple; ensuite vient l'empereur. Ce concept pouvait survivre à l'opposition du régime impérial parce que c'était une culture qui était profondément ancrée dans la littérature classique chinoise. Cette attitude de démocratie s'appelle ming ben zhuyi, c'est-à-dire le peuple est la base, le peuple est le coeur de la société. Ce n'était pas la démocratie, mais c'était un point de vue humaniste; c'est-à-dire que l'empereur devait respecter le tao, les lois du Ciel, et qu'il avait son mandat, un mandat limité. Il ne pouvait pas agir à l'encontre de ce mandat. À mon avis, cette préoccupation demeure très importante même aujourd'hui.

Le san gang wu chang représente les trois relations et les cinq vertus; il s'agit de cinq vertus que nous pouvons tous accepter: l'intégrité, la loyauté, la sagesse, le jugement et la compassion, et tous les éléments de la société compatissante; de même le san gang représente les trois relations, entre l'empereur et ses sujets, entre le père et son fils, et entre l'époux et l'épouse. Ces relations étaient toutes inégales et reposaient donc sur une hiérarchie d'autorité, dans un système où il fallait compter uniquement sur la bienveillance d'un supérieur social.

La différence avec la démocratie, c'est que l'avènement de la démocratie traduisait dans les faits une cession du pouvoir au peuple, dans la mesure du possible. Cependant, ce concept n'a jamais fait partie de la tradition chinoise et ce n'est qu'au cours des dernières années qu'il a pris autant d'importance dans l'esprit des dirigeants du pays. À l'occasion du huitième congrès du Parti communiste, en 1986, Deng Xiaoping a exprimé de nouveaux concepts de démocratie qui, à l'époque, lui semblaient appropriés. Il a annoncé le début d'une nouvelle ère démocratique, mais les événements qui se sont produits par la suite l'ont empêché de concrétiser ce projet.

À mon sens, pour comprendre les difficultés que pose pour nous le long cheminement de la Chine vers la modernisation de ses institutions et de ses valeurs, il faut essentiellement savoir que nous sommes en présence d'une civilisation en transition. Nous ne traitons ni avec la Chine d'aujourd'hui ni avec celle de demain; il n'y a qu'à surveiller ses principaux indicateurs économiques pour s'en convaincre. Nous sommes témoins d'une transition d'envergure. Cette transition touche toute une civilisation. C'est la première fois dans l'histoire de la Chine que le concept de croissance économique est non seulement compris, mais aussi intégré à la politique et aux institutions beaucoup plus profondément que toute autre transition socio-économique antérieure.

En fait, le confucianisme multi-millénaire reléguait au dernier rang de ses priorités toute activité économique allant au-delà de ce qui était nécessaire pour assurer la survie. Au sommet de la hiérarchie des citoyens au service de la société se trouvaient les érudits. Au premier rang se trouvaient les érudits; au deuxième rang, les paysans; au troisième rang, les artisans, et au dernier rang, les soldats. Quant aux commerçants, ils étaient très près du dernier rang. Il y avait donc une différence entre yi et li, «yi» signifiant intégrité et loyauté, et «li» signifiant profit, la position confucianiste étant zhong yi quing li. Autrement dit, on valorisait la loyauté, le service et la responsabilité, alors que la quête du profit traduisait une attitude prosaïque face à la vie. Cela n'était certainement pas le genre d'éthique propice au développement d'un système fondé sur la croissance économique. En fait, dans une certaine mesure, Mao Zedong a perpétué cette tradition.

J'étais en Chine dans les années 50; à l'époque, on mettait tellement l'accent sur l'abnégation, le sacrifice de soi, que quiconque semblait un tant soit peu intéressé par l'idée de faire de l'argent était qualifié de bourgeois. Ce ne sont pas là des valeurs susceptibles de stimuler la croissance économique.

Ce n'est qu'en 1978 que pour la première fois Deng Xiaoping a soulevé la question de l'inégalité de la croissance, qui est la principale dynamique d'un système de marché capitaliste. L'inégalité de la croissance n'est pas nécessairement une mauvaise chose, mais il est erroné de s'attendre à ce que la croissance économique découle de la propagation de l'égalitarisme. Cette déclaration a eu un effet retentissant, car elle remettait en cause le principe fondamental d'une société communiste et, partant, tout ce qu'on avait appris aux étudiants et à la population en général.

Ce qui s'est produit au cours du quatorzième congrès du Parti communiste à la fin de 1978 était tout à fait révolutionnaire. Dans le monde communiste, personne n'avait osé soulever de telles idées. Cette idée d'ouverture aux marchés internationaux, alliée à une réforme nationale -- ce qui, encore là, supposait la création d'un marché, décrit cependant sous le vocable de «marché socialiste» -- était une négation, un rejet de tout ce qui s'était fait auparavant, non seulement dans la société communiste depuis 1940, depuis les 30 premières années, mais également de tout ce qui avait précédé dans la Chine traditionnelle. À mon sens, c'est pourquoi le régime doit maintenant traverser une phase de réévaluation de bien des façons de penser traditionnelles.

Lorsqu'ils ont accédé au pouvoir en 1949, les Chinois, qui étaient en quête d'une structure de croissance, ont opté pour le régime soviétique, qui leur paraissait le plus facile, d'une part parce qu'ils avaient été rejetés par l'Occident, et d'autre part parce que le système soviétique était un paradigme qui comportait de nombreuses caractéristiques séduisantes, notamment l'importance qu'il accordait à la machinerie lourde et à l'industrie lourde. On a donc opté pour un paradigme inspiré du modèle soviétique. Mais en fait ce paradigme était un contre-paradigme. C'était un contre-paradigme du système capitaliste de l'Occident. Peu de temps après, en raison de la faillite du système, en raison de l'arrogance des Russes dans leurs rapports avec les Chinois et en raison d'autres frictions d'ordre stratégique qui les ont amenés à s'opposer, la Chine de Mao Zedong a rejeté ce paradigme. Étant donné que la Chine avait rejeté à la fois le système capitaliste occidental et le système socialiste soviétique, Mao a essayé d'instaurer un système indigène. Ce système indigène constituait un grand bond en avant, tout comme l'ont été les communes populaires. En fait, c'était un autre contre-paradigme, mais en l'occurrence le contre-paradigme d'un contre-paradigme.

En d'autres termes, il rejetait désormais non seulement le système capitaliste original, mais également le soi-disant système socialiste soviétique, et, bien entendu, ce paradigme étant très mal défini et très mal conçu, les pertes économiques au début étaient épouvantables.

L'aspect le plus important de ce désastre a été l'effondrement du système agricole, qui a provoqué la famine. J'étais en Chine à l'époque, et nous arrivions à peine à manger de la viande une fois par mois. Cela a entraîné non seulement l'effondrement du système économique, mais également la condamnation du leadership de Mao Zedong. Sa légitimité fondée sur la croissance économique chinoise s'était évanouie.

Bien entendu, il trouvait inacceptable qu'on tente de le critiquer et de renverser la situation. La fameuse réunion de Lushan fut un point déterminant, car il se retrouva presque tout seul, à quelques exceptions près, contre la hiérarchie du Parti communiste. Pour lui la crise était totale. Il a même dû faire son autocritique, et on m'a demandé d'écouter cette autocritique. Je ne comprenais pas le tiers de ce qu'il disait avec son accent hunanais, mais c'était un moment historique.

Pour récupérer ses pertes et essayer de reprendre la barre après les critiques de Liu Shaoqi, de Peng Dehuai et des principaux dirigeants du pays, il a lancé la révolution culturelle. Aussi étrange que cela puisse paraître dans cette histoire, les seuls sur lesquels il pouvait absolument compter, c'étaient les enfants, et les éléments ultra-gauchistes du parti qui assumaient désormais le contrôle de la Chine.

Je crains d'avoir été bien long, mais permettez-moi de vous donner mes raisons pour ce petit historique. Premièrement, il devrait vous servir à comprendre la psyché de la population chinoise aujourd'hui et les raisons de son comportement, car ce n'est pas seulement le fait du Parti communiste, mais de la population chinoise. Sa psyché se fonde sur l'histoire. Elle est le fruit d'une grandeur culturelle immémoriale.

Joseph Needham, un grand sinologue, un des plus grands du monde, a écrit des volumes sur la question. Il y rappelle le transfert de la technologie chinoise, de la science chinoise, vers l'Occident, qui a rendu possible ou qui a aidé à rendre possible la modernisation de l'Europe. Jusqu'au XVe siècle, la Chine dominait le monde sur le plan de la navigation. Il y a eu les sept voyages célèbres vers l'Asie du Sud-Est de Zheng He avec des bateaux si énormes que chacun d'entre eux aurait probablement pu transporter sur ses ponts à la fois, la Nina, la Pinta et la Santa Maria. Des armadas de 10 000 bateaux ont visité tous ces pays sans les coloniser, mais simplement pour leur demander de reconnaître le Fils du Ciel.

Ce type de fierté et de culture historique est profondément ancré dans le coeur des Chinois.

Aux alentours des XVe et XVIe siècles, l'Europe a démarré, entraînant des changements révolutionnaires majeurs dans la société. Si la Chine avait connu une renaissance, une réforme protestante, une révolution intellectuelle et scientifique, la révolution industrielle, tout aurait été différent. La Chine, avec ses traditions humanistes, aurait probablement été parmi l'une des démocraties les plus avancées du monde. La Chine n'a jamais fait cette transition, et le confucianisme ne le permettait pas.

Ce qui est arrivé ensuite pendant le premier contact avec l'Occident, au milieu du XIXe siècle, a été très dommage. Non seulement il y a eu une invasion de forces armées britanniques supérieures, mais cette invasion, du point de vue chinois, et certainement d'un point de vue humanitaire, a été l'une des guerres les plus ignominieuses de l'histoire. La querelle de départ a été provoquée par la tentative chinoise de mettre fin au trafic de l'opium alors que les Britanniques voulaient se servir de ce trafic comme monnaie d'échange pour acheter de la soie et du thé chinois. L'impression faite sur la psyché chinoise a été profonde. Après cela, bien entendu, il y a eu de plus en plus d'incursions de la France, des États-Unis, de la Belgique -- de la petite Belgique -- de la Hollande, de l'Allemagne et, pour finir, du Japon. Tous se précipitaient comme des oiseaux de proie sur ce qu'ils pensaient être la carcasse agonisante de la Chine ancienne.

L'impression sur les Chinois a été profonde et durable, et les rapports entre la Chine et l'Occident se sont transformés en peur et en suspicion. C'est la raison pour laquelle les institutions de l'Occident n'ont pu être implantées en Chine pendant toute cette période de plus d'un siècle et demi, et cela explique en grande mesure les relations de la Chine avec le monde occidental d'aujourd'hui.

Vient s'ajouter à cela, bien entendu, le fait que les relations avec l'Occident, avec les Européens et les Américains, pendant la première partie du XXe siècle n'ont rien fait pour encourager la confiance, surtout à cause du Traité de Versailles, par lequel les puissances occidentales, en dépit des protestations chinoises, ont remis la province de Shantung non pas à la Chine, mais aux Japonais. Cela a immédiatement déclenché une tempête de protestations qui a donné naissance au célèbre Mouvement du 4 mai, dont l'objectif était de faire la distinction entre la démocratie et le totalitarisme. C'était un grand mouvement intellectuel qui aurait probablement pu devenir un mouvement démocratique, mais, au lieu de cela, il était divisé en aile gauche et en aile droite, et l'aile gauche a fini par fonder le Parti communiste chinois.

Ce sont des facteurs qui rendent difficile l'acceptation de ces changements non seulement pour les communistes, mais pour les Chinois.

J'avais préparé un discours beaucoup plus long, honorables sénateurs, mais j'ai décidé hier soir à minuit que je ferais mieux de l'oublier, car il est tout simplement impossible de faire le tour de toute cette histoire en une seule réunion.

Ce changement a été aussi brutal qu'il pouvait l'être. Rien avant 1979 n'avait préparé les Chinois à accepter, même en partie, la structure économique occidentale, ou à accepter, Dieu nous en garde, du point de vue marxiste, la mondialisation comme élément de la dynamique de changement. Cela signifie bien entendu que lorsqu'un système aussi nettement différent est appliqué à la Chine, beaucoup de choses commencent à arriver. L'état d'esprit de la population doit évoluer. Il lui faut rejeter toutes ses anciennes valeurs pour accepter celles-là, y compris les valeurs tant confucéennes que marxistes.

Deuxièmement, de nouveaux groupes d'intérêts se constituent immédiatement et on peut les voir dans toute la Chine maintenant, notamment les nouveaux riches. Quel sera le comportement de ces groupes d'intérêts dans une Chine démocratique? Quand y aura-t-il une classe moyenne indispensable à un régime démocratique stable et efficace?

Ces problèmes sont si énormes, si complexes, que je crois que les Chinois n'entameront jamais le processus réclamé par l'Occident, à savoir donner au changement démocratique la priorité sur le changement économique. Nous devons être patients. Nous devons examiner notre propre histoire pour voir si le processus suivi par l'Europe et l'Amérique -- l'Europe particulièrement, mais l'Amérique n'a fait que transposer les institutions européennes -- permet d'espérer une modernisation pacifique et réaliste des institutions politiques chinoises.

D'une certaine manière, cela nous permet de réunir les deux aspects de nos relations avec la Chine dans un concept intégré, ce qui serait une bonne chose pour l'image du Canada. Autrement dit, la mise en place d'un système économique qui offre le pluralisme et une culture de changement démocratique doit être l'aboutissement des luttes et des aspirations de la population elle-même. Si nous l'acceptons, je crois que nous favoriserons non seulement la croissance économique, mais aussi le processus de démocratisation et de respect des droits de l'homme en Chine.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Lin; ce que vous venez de nous dire est tellement intéressant que si je laissais maintenant les sénateurs vous poser des questions, nous n'aurions plus le temps pour rien d'autre. En conséquence, je crois qu'il serait préférable d'entendre les autres membres du groupe avant de passer aux questions.

Monsieur Potter, voudriez-vous prendre la suite, s'il vous plaît?

M. Pitman B. Potter, professeur, Centre for Asian Legal Studies, faculté de droit, Université de la Colombie-Britannique: Monsieur le président, j'ai aussi largement sabré dans ce que j'avais l'intention de vous dire.

J'ai préparé pour le comité économique mixte du Congrès des États-Unis un document sur les rapports entre la réforme juridique et le changement économique en Chine. Je l'ai distribué aux membres du comité. La majorité des points importants de la réforme juridique et de ses liens avec le changement économique sont traités dans ce document; donc, avec votre permission, je n'y reviendrai pas.

J'aimerais me concentrer sur quelques questions fondamentales liées à l'incidence des réformes juridiques chinoises sur les relations du Canada avec la Chine.

En guise d'introduction, permettez-moi de vous dire que j'ai commencé à l'université à m'intéresser à l'histoire de la Chine et que j'ai fini par y étudier sa politique. Donc, je suis en vérité sinologue avant d'être juriste, mais cette combinaison m'a incité à m'intéresser au système juridique chinois et à son interaction avec les forces économiques, sociales et politiques.

En guise de préface, j'aimerais commencer par dire qu'il importe de poser comme principe qu'il ne faut pas distinguer les relations commerciales avec la Chine des autres relations, tout comme il ne faut pas distinguer en Chine les relations commerciales des relations sociales, économiques et politiques. C'est très important, tout particulièrement dans le contexte juridique.

Je pense aussi qu'insister, comme le font des Canadiens et d'autres champions de la tradition européenne et nord-américaine, sur la démocratisation de la Chine est présomptueux. Je suis tout à fait d'accord. En même temps, cependant, il faut savoir que la croissance économique n'est pas elle-même la garantie de l'émergence d'une société civile ou de la démocratie, et l'exemple vient de la Chine elle-même.

Pendant l'ère de Qian Long, de la dynastie Qing, la Chine a connu une croissance économique spectaculaire qui n'a certainement pas mené à l'émergence d'une société civile ou d'institutions démocratiques. De manière analogue, quelque 1 000 ans plus tôt, la dynastie Song a connu une croissance économique spectaculaire et une urbanisation spectaculaire qui n'ont pas non plus mené à l'émergence d'une société civile ou d'institutions démocratiques.

Bien que cette position ne soit pas déraisonnable -- et sur le fond, je conviens de l'inopportunité d'insister pour que la Chine adopte aujourd'hui des principes démocratiques -- en même temps il ne faudrait pas supposer que la croissance économique mène obligatoirement à la démocratie. La raison en est liée directement à certains principes dont j'aimerais vous entretenir concernant le rôle du droit en Chine, ses conséquences et ce que le Canada peut faire pour se préparer à affronter ces questions.

Pour comprendre la réforme juridique en Chine, il est essentiel de comprendre que la Chine souscrit à ce que je qualifierais d'idéal de droit public. Le droit est un outil pour gérer la société. Le droit n'est pas considéré comme un outil de pouvoir pour des particuliers ou des intérêts privés. En fait, le bilan de la réforme juridique des 15 dernières années peut être considéré comme un bilan de tension et de conflit entre des tentatives de reconnaissance de semblant de droit privé de propriété et de contrat, par exemple, et une culture juridique et politique écrasante qui nie la validité de ces droits privés.

J'ajouterais que cela découle également de la tradition idéologique du confucianisme, qui insiste sur la notion de vertu, qui elle-même avalise la notion de rapports hiérarchiques et inégaux entre les membres de la société, comme M. Lin le rappelait il y a un instant. C'est pratiquement le contre-pied de la tradition juridique occidentale, qui pose comme principe la notion d'égalité dans la société et avalise ainsi les droits privés.

En Chine, le régime juridique est considéré comme un outil de gestion de la société par l'État, et d'ailleurs l'État est considéré comme étant responsable de la population, et non pas responsable devant la population. C'est une distinction très importante et qui explique en grande partie le sort réservé aux institutions juridiques en Chine. Les influences chinoises traditionnelles du confucianisme, les notions de hiérarchie et de vertu combinées à la rhétorique juridique marxiste-léniniste sont devenues l'outil utilisé par la classe dirigeante pour donner aux obligations publiques la priorité sur les droits privés.

Nous ne portons pas de jugement de valeur aujourd'hui; nous décrivons simplement les circonstances.

Une autre caractéristique du rôle du droit en Chine, c'est que le droit est fondamentalement instrumentaliste. C'est un instrument d'exécution de la politique.

Une troisième caractéristique, c'est le formalisme, comme moi-même et certains de mes confrères l'appelons. Cela signifie que l'énoncé des objectifs politiques dans le droit est considéré comme étant en soi la réalisation de ces objectifs politiques.

J'ai une petite liste d'exemples que j'aimerais vous citer rapidement.

En matière de droit économique dans la République populaire de Chine, le fait même que le «droit économique» soit considéré comme une discipline juridique est emblématique de cet idéal de droit public. Le droit économique en Chine était enseigné comme une discipline des facultés de droit, et dans les tribunaux en Chine il y a des chambres qui n'entendent que des litiges de droit économique. En conséquence, nous nous demandons: qu'est-ce que le droit économique? Le droit économique est le droit dont se sert l'État pour réglementer l'économie. Nous pourrions penser que c'est la même chose que le droit administratif, mais dans le contexte chinois, on ne parle que de droit économique.

L'idéal de droit public dans le contexte du droit économique donne aux obligations publiques la priorité sur les droits privés. Prenons le régime de droit en matière de propriété intellectuelle. Dans ce domaine. il n'est pratiquement question que de sanctions publiques pour faire respecter le droit de propriété intellectuelle et pratiquement pas du tout de compensations privées. Il suffit de lire toutes les lois chinoises sur la propriété intellectuelle, et il n'en manque pas, sur les brevets, sur le droit d'auteur et sur les marques de commerce pour constater que la majorité des sanctions sont des sanctions publiques.

De manière analogue, la réglementation des marchés boursiers -- à laquelle on s'intéresse d'un peu plus près depuis les cinq dernières années -- en matière de divulgation vise surtout à aider les administrateurs publics dans leur travail, et très peu les investisseurs. Il y a toute une série d'autres exemples, mais le régime de propriété intellectuelle et le régime du marché boursier sont deux exemples utiles pour montrer combien la réglementation en Chine et le droit en Chine donnent aux obligations publiques la priorité sur les droits privés.

L'instrumentalisme du droit économique chinois est tel qu'il montre que le droit économique est un outil de gestion et d'exécution de la politique économique. Les conséquences du droit économique et du comportement juridique et économique sont considérées en termes de bien-être public, et non pas en termes de droits privés. Si bien que, par exemple, en droit contractuel il est tout à fait courant que la violation d'un contrat aboutisse à des sanctions pénales. Il y a une tentative progressive et hésitante de mise en place d'une doctrine de droit privé, et les exemples que je donne dans mes notes d'information sont les principes généraux de droit civil qui ont été énoncés en 1986; ce sont les révisions les plus récentes -- de ces trois ou quatre dernières années -- de la Loi sur les contrats économiques. Mais les institutions elles-mêmes continuent à donner la priorité au droit public.

Comme exemple, je citerais l'enseignement du droit économique dans les facultés de droit et son utilisation dans les tribunaux spécialisés, les chambres de droit économique.

J'ajouterais également que si vous consultez les archives des chambres de droit économique des tribunaux populaires, la grande majorité des dossiers concernent les affaires de corruption et de pots-de-vin, ce qui vous donne une petite idée de la signification de ce «droit économique».

J'ai demandé à de nombreux juristes, économistes et décideurs chinois ce qu'ils entendaient par «économie de marché socialiste», et la diversité des opinions montre que c'est un terme très souple. La législation appuyant la politique d'économie de marché socialiste est utilisée comme preuve de la réalité d'une économie de marché. Je me permettrais simplement de vous renvoyer aux documents préparés par le ministère du Commerce international et des Relations économiques et accompagnant la demande d'adhésion de la Chine au GATT, et maintenant à l'OMC.

En même temps, les modifications à la loi sur les contrats économiques en 1993 donnaient la priorité à l'économie de marché socialiste; essentiellement, on a supprimé toute référence à la «planification d'état», qui figurait dans la version de 1991 de cette loi, et on a remplacé ces références par la «politique d'État». On a interprété cela comme un indice ou des preuves que la Chine se dirigeait vers une économie de marché. Si vous avez une politique d'État qui est fondée sur la planification d'État, le fait de simplement mettre «politique» à la place de «planification» ne change pas la réalité économique. Cependant, présenter la loi sur les contrats économiques comme preuve de l'émergence d'une économie de marché semble suggérer l'existence d'un formalisme. Je pourrais vous donner bien d'autres exemples, notamment en matière de droit et de procédure pénale, de droits de la personne et de droits de la femme, en particulier.

Quelles en sont les conséquences? Une grande conséquence découle du fait que cette loi, comme dans beaucoup de sociétés, est entourée de politiques gouvernementales; que des intérêts politiques opposés cherchent à contrôler le processus employé dans le cadre de cette loi pour établir des normes politiques. Cela a des conséquences au niveau de la cohérence et de la stabilité de la loi.

Par exemple, lorsque les révisions de la Constitution ont été adoptées en 1993, elles visaient à énoncer les idéaux d'une économie de marché socialiste. Pour cette raison, les débats sur la Constitution ont été très passionnés au plan des préférences politiques.

La loi sur la faillite de 1986 en est un autre exemple. Elle a été retenue au comité permanent du Congrès national populaire par le président du comité, Peng Zhen, car Peng Zhen et ses collègues s'opposaient aux conséquences de la loi sur la faillite au plan de la responsabilité générale et économique des entreprises d'État. Par conséquent, dans le processus législatif, et comme bien d'autres sociétés, comme la loi est perçue comme étant principalement l'énoncé d'un idéal, on lutte pour contrôler le processus qui vise à énoncer cet idéal.

Par conséquent, les organismes gouvernementaux en Chine se disputent le pouvoir d'émettre des règles, car, en faisant ainsi, l'organisme gouvernemental a le pouvoir d'interpréter la règle, et donc de contrôler la façon dont l'idéal est énoncé. Il est assez courant en Chine de voir des ministères émettre leurs propres règles sur la même activité, qu'il s'agisse de contrats économiques ou de propriété intellectuelle. Il y a des institutions rivales qui veulent contrôler ce processus pour énoncer des idéaux et qui émettent des règlements contradictoires. Le dilemme pour les gens d'affaires ou les juristes étrangers consiste à savoir quel règlement suivre. Cela dépend du ministère avec lequel on fait affaire, et les règlements gouvernementaux ainsi que les lois ne peuvent pas servir à assurer l'aspect prévisible des relations d'affaires.

La deuxième question porte sur la mise en application, où l'on met l'accent sur l'application formaliste, pro forma, au lieu de mettre l'accent sur l'application effective, où les campagnes ont la priorité sur les règlements institutionnalisés. Je dirais que les campagnes contre la corruption en Chine constituent un exemple parfait. À ma connaissance, la Chine a adopté au moins une dizaine de grands règlements pour lutter contre la corruption. Je ne vois pas de preuves que ces règlements sont mis en application au niveau local, et encore moins au niveau national, et le traitement de l'ancien maire de Beijing, Chen Xi Tong, est un exemple parfait de cette politisation par les campagnes à la place de l'institutionnalisation du processus par les organismes et la loi.

Deuxièmement, comme je l'ai mentionné plus tôt, le fait de mettre l'accent sur le recours public et punitif plutôt que privé et compensatoire est une caractéristique de l'idéal de droit public. Cela augmente le coût politique de l'application des lois, de sorte que lorsque le gouvernement central adopte des règles sur la propriété intellectuelle et demande ensuite aux provinces de les mettre en application, l'outil utilisé pour faire respecter ces règles, c'est le châtiment. Les leaders politiques des provinces ont des liens personnels, institutionnels et économiques avec ceux qui violent les lois; donc, imposer ce châtiment entraîne des coûts politiques très élevés. D'après moi, les coûts pourraient être moins élevés si on mettait l'accent sur le recours compensatoire, car en réalité il soutient le marché, et c'est plus facile à faire accepter au plan politique.

Enfin, la mise en application dépend des priorités politiques et bureaucratiques, et c'est précisément là que l'on peut trouver une jonction importante entre les questions des droits de la personne et la conjoncture commerciale. Les membres du comité voudront sans doute développer cet aspect-là. Si l'on met en regard le comportement de la Chine en matière de droits de la personne et son comportement pour ce qui est de la conjoncture commerciale, on constate que les choses s'améliorent ou s'enveniment simultanément dans un cas comme dans l'autre. Cela s'explique du fait que ce sont ses relations commerciales qui dictent à la Chine la norme de comportement politique et juridique en matière de droits de la personne, et c'est ce qui pousse la Chine à passer outre à la procédure pénale que lui dictent ses propres lois ou à violer les traités internationaux sur les droits de la personne auxquels elle choisit elle-même d'adhérer. Dans les relations commerciales, la corruption, des décisions intempestives et arbitraires de la part du gouvernement et le manque de transparence constituent le pendant de ce genre d'abus. Selon moi, les priorités politiques et bureaucratiques qui gouvernement la mise en application ont une incidence dans le domaine commercial comme dans les autres.

En outre, l'instrumentalisme, le formalisme et l'idéal de droit public constituent les principaux obstacles au manque de transparence dans les décisions du gouvernement. Comme je vous le disais, ces idéaux créent une culture politique et juridique selon laquelle le gouvernement a la responsabilité de ses administrés, mais n'est pas responsable devant eux. Malheureusement, s'agissant des décisions prises par le gouvernement, la transparence ne va pas pour les Chinois jusqu'à permettre une participation significative au processus de formulation des règles. Depuis quelques années, tous les efforts de la Chine pour se conformer aux exigences de transparence imposées par l'OMC se sont bornés à la publication des lois et des règlements. Les parties concernées ont eu très peu à dire dans l'élaboration des règles. En guise d'exemple, je citerais les limites que l'on se propose d'imposer à l'embauche d'avocats par des firmes étrangères. Le dossier a circulé au ministère de la Justice fort longtemps, et la proposition a été annoncée à la fin de l'année dernière. Personne ne s'est étonné quand le dossier a été mis au rancart, même si l'on constate un effort pour lancer l'idée lors du processus de réglementation au cours duquel les interventions sont très minces.

Autre exemple: le ministère de l'Industrie électronique détenait le pouvoir de prendre des règlements visant à protéger le droit d'auteur dans le cas des logiciels informatiques. Même s'il y a eu certaines réunions pour la forme avec les représentants d'entreprises étrangères, on s'est borné à y annoncer comment les choses se passeraient, et on n'a pas sollicité l'opinion des participants.

Selon moi, la corruption que l'on rencontre au niveau du gouvernement s'explique précisément par le fait que les décisions qu'il prend ne sont pas transparentes -- aucune participation extérieure à l'élaboration des règlements et aucune responsabilisation des fonctionnaires -- et à cela s'ajoute l'appât du gain. Depuis 15 ans, le gouvernement chinois a reconnu cela à maintes reprises, et en fait cela fait des centaines d'années que cela dure.

Pour qu'il y ait transparence, les papiers de financement et ce qu'ils contiennent sont nécessaires. Au fur et à mesure que l'économie de la Chine se développe, on met d'avantage l'accent sur les bilans financiers et sur les papiers de financement dans le but de mesurer la puissance économique et de cerner les conditions financières des entreprises chinoises. Selon moi toutefois, le but est loin d'être atteint sur le plan de la transparence.

De plus, nous devons pouvoir compter sur des dispositions institutionnelles nous garantissant notamment des mécanismes de règlement des différends efficaces et gérables. En voici un exemple. Depuis quelques années, il existe en Chine une loi qui donne aux administrations locales le pouvoir d'établir des comités d'arbitrage locaux au palier provincial. Ces comités font partie d'un vaste plan de concurrence institutionnelle visant la mainmise sur un marché, et il leur appartient de résoudre les différends et d'accaparer les droits afférents. Les tribunaux s'en mêlent également, et cette concurrence institutionnelle pourrait très bien déboucher sur une amélioration de ces institutions. Néanmoins, le fait que ces organismes d'arbitrage soient parties intégrantes des mêmes gouvernements qui approuvent les transactions commerciales suivant le cadre général de réglementation de l'économie de marché permet de douter de leur impartialité et de leur indépendance politique.

En matière de règlement des différends, il nous faut pouvoir compter sur des institutions prévisibles et transparentes au moment de l'exécution des décisions judiciaires et arbitrales. Songeons en particulier au respect et au développement des accords internationaux arbitraux conclus en conformité avec la Convention de New York à laquelle la Chine adhère. Je me bornerai à dire que la Chine n'a pas été très assidue à cet égard. Nous pourrions en parler plus en détail, l'affaire Revpower présentant un intérêt particulier.

Cela m'amène à parler d'une dernière conséquence de cette dynamique entre l'instrumentalisme, le formalisme et l'idéal de droit public. Il s'agit en effet de la façon dont la Chine s'est conformée aux accords internationaux, comme les conventions fiscales, les traités sur les investissements, la Convention de l'OMC, et cetera. Le fait que la Chine s'attache tant au formalisme entraîne une fracture entre le texte et la mise en oeuvre des accords.

Dans le cas de l'OMC, il est important de reconnaître qu'étant donné les conditions particulières de la Chine il peut être difficile, voire impossible, qu'un gouvernement central puisse même songer à mettre en oeuvre cet accord. Le gouvernement central n'a qu'un pouvoir très limité dans les régions. En outre, il faut dire que le GATT et l'OMC s'appuient sur l'idéal européen de l'État-nation, qui, tant s'en faut, est tout à fait étranger à la Chine, l'a toujours été, et le sera encore sans doute pour longtemps. S'agissant des traités internationaux auxquels la Chine adhère, on devrait s'interroger pour savoir si la Chine a vraiment les moyens de les mettre en oeuvre.

Il y a certaines conséquences qui découlent des caractéristiques générales de la culture juridique chinoise.

Que peut faire le Canada? Vous ne trouverez pas grand-chose là-dessus dans mon texte, car les moyens sont limités. Tout d'abord, il faudrait une meilleure compréhension de la Chine. Je pense sincèrement que le contact et l'ouverture sont des éléments cruciaux pour la promotion des intérêts du Canada et de ses relations avec la Chine. Nous n'aiderons pas les Chinois, nous n'aiderons pas les Canadiens, si nous nous fermons à la Chine, si nous ignorons la Chine. La Chine est une puissance mondiale, et il est essentiel de faire preuve d'ouverture et de compréhension à son endroit.

À ce propos, permettez-moi d'opposer la situation de la Birmanie et celle de la Chine. À cause de violations des droits de la personne, le monde extérieur s'est essentiellement détourné de la Birmanie, et la situation ne s'y est pas améliorée. Depuis la fin des années 70, la Chine est ouverte sur le monde extérieur, assurément, et on constate que l'évolution de la qualité de vie des gens et l'ouverture du pays lui-même sont substantielles, et il faut reconnaître à la Chine ce mérite-là.

L'ouverture du pays est capitale, mais au Canada, il nous faut avoir les outils nécessaires pour saisir l'occasion qu'elle offre, pour mieux comprendre la société chinoise.

D'abord et avant tout, il y a la langue. Pour étudier la Chine, la connaissance de la langue est incontournable. Elle est primordiale. Il est capital d'enseigner le chinois dans les écoles secondaires et les collèges, de prévoir des programmes permettant à des étudiants canadiens d'étudier la langue en Chine, si nous voulons constituer une masse critique de gens qui comprendront la Chine et pourront servir les intérêts du Canada.

En deuxième lieu, il y a la recherche sur la Chine. L'essentiel de ce que nous connaissons sur la Chine provient de recherches auxquelles on se livre dans certaines grandes villes chinoises et dans un certain nombre de comtés modèles. Nous connaissons très mal ce qui se passe en Chine, et notre ignorance est d'autant plus déplorable que nous sommes inondés de renseignements. Nous sommes très renseignés, mais nous n'avons pas les outils voulus pour utiliser ces informations. Nous devons donc mettre l'accent sur une meilleure compréhension de la Chine grâce à une intensification de la formation linguistique et grâce à une recrudescence d'intérêt pour la recherche.

En même temps, il faut que nous souhaitions avoir des contacts avec la Chine. Je reconnais d'emblée que nous ne devrions pas nous ériger en moralisateurs. Je ne pense pas que nous devrions exiger que la Chine se démocratise immédiatement, mais il faut s'empresser de reconnaître que quand elle adopte des lois annonçant que désormais, en matière pénale, en matière des droits de la personne, de droits des femmes, ses citoyens pourront compter sur des règles de droit de procédure, la Chine pourra très bien respecter ses engagements.

Il devrait y avoir une volonté de rejeter le principe de deux poids, deux mesures. La Chine est un pays important. Elle a une culture unique. Par contre, la Chine a convenu de respecter certaines obligations et certaines normes, et il n'est pas déraisonnable ni inopportun de s'attendre à ce que la Chine s'y conforme.

S'il y a une tendance à faire la distinction entre la vertueuse Chine et la Chine démoniaque violatrice des droits, c'est vraiment la faute des Chinois, qui forcent les sociétés et gouvernements étrangers à ne pas poser de questions et à ne pas critiquer la Chine pour son manque de respect des droits de la personne. Prenons l'exemple récent de l'affaire Disney, qui a trait au tournage d'un film sur le bouddhisme tibétain. Le gouvernement dit: «Vous ne pouvez pas faire cela, car c'est faire preuve d'hostilité envers la Chine.» Ce sont les Chinois qui nous imposent cette dichotomie.

Il faut admettre que la Chine et les Chinois ont fait des contributions majeures sur le plan mondial; par contre, il n'est pas vraiment avantageux de continuer d'avoir deux poids, deux mesures. Il doit y avoir une combinaison de respect pour la souveraineté et de respect pour la culture chinoise -- ce qui a, d'ailleurs, piqué mon intérêt -- mais aussi des attentes en ce qui concerne l'observation des normes internationales. Cela inclut l'application des ententes signées par la Chine, par exemple, la Convention de New York pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères et les ententes sur les droits de la personne.

Il faudrait apporter des précisions. Il ne s'agit pas d'imposer à la Chine des normes occidentales. Il s'agit de lui rappeler qu'elle a conclu des traités internationaux et qu'on aimerait que ces traités soient respectés. La Chine a adopté une loi sur les droits des femmes dont le but est de mettre en oeuvre la convention sur l'élimination de toute forme de discrimination contre les femmes; il n'est donc pas déraisonnable, en fait il est important, de s'assurer que des institutions soient créées pour veiller au respect de ces lois et normes.

Nous voulons appuyer les institutions qui pourraient s'occuper des questions entourant la mise en application des mesures. Ces questions ne sont pas entièrement étrangères à l'élite chinoise ni aux groupes intellectuels, chinois qui ne sont pas identiques, mais semblables.

À la fin de l'époque impériale chinoise, on a créé des institutions juridiques. On a constaté la même chose pendant les années 30, à l'époque de la Chine républicaine. Le tribunal mixte de Shanghai a eu ses problèmes impérialistes, mais a fait la preuve que les juristes chinois avaient la capacité et l'intérêt voulus pour continuer sur la voie des normes juridiques institutionnelles et officielles.

Ce n'est rien de nouveau. En effet, ils semblent prêts à aller de l'avant sur ces questions.

Si on veut établir des liens avec la Chine, il est important de tenir des dialogues, d'éviter de leur faire des leçons de morale, mais il faut quand même s'attendre à ce que la Chine respecte ses obligations nationales et internationales et s'attendre à ce qu'elle appuie les institutions susceptibles de régler ces problèmes.

Je m'excuse si j'ai dépassé le temps qui m'était accordé. J'ai essayé d'aborder plusieurs questions générales concernant la culture politique et juridique de la Chine, l'idéal de droit public, la priorité des obligations sur les droits privés, les conséquences des changements juridiques en Chine, sur les plans national et international, et aussi certains enjeux bien précis que le Canada pourrait étudier à fond pour améliorer ses relations avec la Chine.

Le président: Nous passerons maintenant à M. Patrick Brown.

M. Brown: Monsieur le président, c'est un honneur pour moi d'être à la même table que M. Lin et M. Potter. Les journalistes sont censés en savoir un peu sur tout, et aujourd'hui je me sens un peu intimidé d'être entouré de gens qui en savent beaucoup sur beaucoup.

Je voudrais parler un peu de mon expérience en Chine. Les journalistes sont accusés dans une certaine mesure de continuellement attirer l'attention de la population sur les droits de la personne en Chine. Je ne crois pas que nous le ferions si ce n'était pas une question importante. À mon avis, il n'est pas question de dire qu'une entreprise devrait traiter ou non avec la Chine à moins qu'il n'y ait des engagements en matière de droits de la personne. Ce ne sont pas des questions qui s'excluent l'une l'autre, comme l'ont dit plusieurs participants.

Un homme très intéressant de Hong Kong, M. John Kamm, a fait des affaires avec la Chine pendant 25 ans, d'abord à titre de représentant d'une entreprise pétrochimique, et ensuite pour son compte. Il a contribué à attirer l'attention du gouvernement chinois sur la nécessité de faire attention à certaines de ces questions, sans toutefois compromettre ses intérêts commerciaux, et il a fait des constatations très intéressantes concernant les moyens de faire avancer une société civile en Chine sans avoir recours à des confrontations qui seraient toujours inefficaces en Chine.

J'ai passé beaucoup de temps avec Wei Jing Sheng, le principal dissident en Chine. Il est de retour en prison pour purger une peine de 14 ans, après avoir déjà purgé 14,5 ans d'une peine de 15 ans pour avoir dit aux gens où ils pouvaient mettre des affiches et des lettres, au moment où Deng Xiaoping consolidait son pouvoir et permettait la liberté d'expression par l'entremise d'une institution qu'on appelle le Mur de la démocratie. Toutes sortes de personnes ont exprimé leurs points de vue en disant que si on voulait moderniser des domaines tels que l'agriculture, l'industrie et la technologie, il fallait aussi tenir compte des facteurs démocratiques, sinon on était condamné à l'échec, et que Deng Xiaoping -- et il a nommé Deng Xiaoping par son nom, et c'est probablement le crime pour lequel il est encore puni -- risquait de devenir un dictateur. S'il était emprisonné, cela en vaudrait la peine. Eh bien, il a été envoyé en prison. Je l'ai rencontré le soir où il a été libéré et je lui ai demandé s'il avait changé d'opinion; il a dit non, et a répété ses propos, et c'est pourquoi il est encore en prison aujourd'hui.

Ce qu'il ne dit pas, c'est que la Chine devrait avoir une démocratie immédiatement. Il ne dit pas que la Chine devrait tenir demain des élections libres et équitables qui se feraient conformément au modèle parlementaire et qu'il devrait y avoir des députés pour Shanghai et les îles au Palais du peuple. Ce n'est pas pour cela qu'il lutte. Comme l'a si bien dit M. Lin, la Chine a toute une histoire et une civilisation, et si on veut aller de l'avant d'une manière non chaotique, il faudrait être prudent.

Je ne crois pas que la Chine veuille désespérément une démocratie. Ce n'était pas mon impression lorsque j'y suis allé la première fois en 1989, au début du mouvement étudiant; le peuple ne réclamait pas des élections pour le lendemain. En fait, le but de la plus grande manifestation de mai 1989 était la rétractation d'un éditorial paru dans le journal People's Daily, qui dénonçait les étudiants comme étant des contre-révolutionnaires, et des citoyens de Beijing en très grand nombre, deux ou trois millions, sont venus appuyer les étudiants, car ils trouvaient injuste que les étudiants soient considérés comme des contre-révolutionnaires pour avoir réclamé qu'on mette fin à la corruption, à la malhonnêteté des autorités et aux politiques économiques qui négligeaient de larges secteurs de la population tandis que les cadres du parti s'enrichissaient.

On retrouve les mêmes circonstances aujourd'hui. Il existe une soif d'équité et de justice, et, comme le disait M. Potter, les Chinois veulent la justice plutôt que la démocratie. Les gouvernements au cours des derniers millénaires ont fait preuve de si peu de justice que la population est excessivement sensible à l'injustice.

La Chine s'ouvre et change, et l'un des phénomènes que l'on constate est celui des lignes ouvertes. Bon nombre d'établissements mettent en place des lignes ouvertes pour les gens. Il y a à Beijing une organisation féminine qui a créé une ligne ouverte pour les femmes. Je me suis rendu sur place lorsque cette ligne a été inaugurée. Le numéro de téléphone est publié dans les journaux; les gens peuvent téléphoner de façon confidentielle et discuter de leurs problèmes avec des conseillers. J'étais là, j'écoutais les appels; les gens qui appelaient ne savaient pas qu'il y avait parmi les auditeurs un journaliste étranger et des représentants du parti. Les femmes téléphonaient de façon anonyme à d'autres femmes. J'aurais payé pour y être tous les jours pendant des semaines, car j'ai rarement eu l'occasion d'entendre des Chinois exprimer leurs opinions de façon aussi entièrement franche. Normalement, les gens sont toujours sur leurs gardes lorsqu'ils me parlent, à cause de mon apparence ou de ce que je semble représenter.

J'ai été abasourdi d'entendre les gens parler ouvertement de leurs problèmes personnels, des problèmes que leur posent la société, les autobus ou les fonctionnaires du comté. Les gens estiment que la justice et l'administration du pays sont exercées de façon totalement arbitraire par des particuliers au lieu d'être régies par un système de droit. C'est d'ailleurs ce que prouve la popularité dans toute la société chinoise de l'émission télévisée Justice Pao, que l'on peut voir ici à Vancouver sur la chaîne Fairchild Television. Cette émission montre un juge impartial et incorruptible, et elle est encore plus populaire que Baywatch.

Si je vous dis cela, c'est pour montrer que les gens ne réclament pas tant la démocratie parlementaire que la justice, dans ce pays où le revenu annuel d'un paysan est d'environ 100 $ et où le policier de la localité se déplace dans un véhicule à glaces teintées pour lequel ce même paysan devrait économiser la totalité de son revenu pendant environ deux millénaires et demi.

On a également mentionné la question de la légitimité. Parce qu'il s'était emparé du pouvoir au moyen de la révolution, Mao Zedong jouissait d'une certaine légitimité. On applique également ce principe du mandat divin, de la succession apostolique, à Deng Xiaoping parce qu'il a participé à la longue marche; ce n'est pas pour rien qu'il a été nommé leader suprême. Pourtant, il n'a aucun titre. Il est président honoraire de l'Association chinoise de bridge. Il est maintenant âgé de plus de 90 ans et ne s'occupe plus du tout de l'administration régulière du pays. C'est lui, ou la dernière personne crédible à lui avoir parlé, qui est le dernier arbitre de tout. C'est comme si, au Canada, on ne pouvait rien faire sans l'approbation de John Diefenbaker, s'il était encore vivant.

Ce pouvoir extraordinaire se justifie du fait que Deng Xiaoping a succédé à Mao, et lorsqu'on parle de Li Peng et de Jiang Zemin, l'homme de la rue vous demande qui sont ces gens. Ils ont des diplômes d'universités chinoises ou soviétiques. Je ne parle pas de ces deux personnes, mais plutôt des leaders du pays en général; ils ont gravi les échelons en s'appuyant sur le secret qui règne au sein du Parti communiste et en faisant tout ce qu'il fallait pour arriver au sommet. C'est déjà révélateur en soi. Mais tout cela s'est fait dans l'ombre, et ces gens-là n'ont rien sur quoi asseoir leur légitimité.

C'est un problème grave. L'une des raisons pour lesquelles le régime actuel est si fermé, c'est que ces gens-là se sentent menacés. Je pourrai vous en dire davantage si vous avez des questions à ce sujet.

M. Lin a également fait valoir un autre argument important au sujet de l'histoire. Pour comprendre l'importance du retour de Hong Kong, il faut se rappeler que la Grande-Bretagne a créé l'accoutumance à l'opium en Chine pour payer sa propre accoutumance au thé, et a même fait la guerre pour cela. Il est essentiel de comprendre l'attitude de la Chine à l'égard de la souveraineté lorsque l'on parle de Hong Kong ou de Taïwan. Comme étranger, il faut se rappeler que les Chinois ont la conviction absolue de l'importance de la souveraineté sur chaque centimètre carré de leur territoire historique. C'est pour eux quelque chose de fondamental, et ils éprouvent encore un sentiment profond de honte du fait que leur grande civilisation ait été démantelée par la «petite Belgique» et tous ces autres pays.

Un des seuls moyens réguliers de déterminer l'attitude officielle de la Chine, c'est la conférence de presse tenue tous les 15 jours par le gouvernement chinois. Pendant longtemps, la conférence se tenait en anglais et en chinois, mais depuis l'année dernière elle se tient seulement en chinois. Cela a déçu beaucoup de mes collègues. Dans la plupart des cas, on dénonce l'ingérence étrangère et les violations des cinq principes de la coexistence pacifique, notamment la non-ingérence dans les affaires d'autres États. À entendre les porte-parole chinois, on dirait que chaque Chinois passe toute sa vie dans un état d'indignation perpétuelle au sujet de ce que le reste du monde pense, dit et fait relativement à la Chine. Ici nous ne parlons pas seulement de paroles; nous parlons d'une attitude complètement différente qui doit être prise en considération. Je ne recommande aucune mesure. J'attire simplement votre attention sur cette attitude.

Il y a quelque temps, j'étais en Corée du Nord. J'ai remarqué qu'ils ont des autobus de tourisme. Aujourd'hui, les Chinois peuvent faire toutes sortes de choses qui ne leur étaient pas permises avant. Ils peuvent voyager dans leur propre pays, et ils peuvent voyager en Corée du Nord. C'était intéressant d'entendre les touristes chinois parler de leurs expériences en Corée du Nord. C'était comme une sorte de capsule historique. Je n'ai vu rien de pareil depuis les années 70: la Corée du Nord a imité -- et continue à imiter -- le culte de la personnalité, mais la Chine a tellement changé que les touristes chinois visitant la Corée du Nord sont ahuris par ce qu'ils voient là. Voilà un exemple démontrant combien la Chine a changé, malgré tous ses problèmes.

Je suis ici en tant que journaliste. Je ne parle pas au nom de Radio-Canada. Je parle en tant que journaliste, et j'ai un dernier commentaire à faire. Il est déplorable que le Canada ait si peu de journalistes qui résident en Asie -- ou même dans le reste du monde. Je n'entrerai pas dans les détails des difficultés financières de Radio-Canada. Que l'on travaille -- comme moi -- pour le contribuable canadien ou pour Conrad Black, la situation est la même. Cette question de la présence journalistique du Canada dans le reste du monde est cruciale; j'ai entendu en effet plus d'un sinologue dire: «Ce n'est pas que l'Orient est mystérieux, c'est que l'Occident est ignorant.»

Donc, tout ce que nous apprenons chaque jour sur les choses qui se passent dans cette région énormément importante vient de deux ou trois personnes. Même si nous sommes très bons, même si j'ai été bon, cela ne suffit pas. Si le film vient d'une source américaine ou britannique, alors c'est une autre vision des choses. Prenez des pays comme la Norvège et la Suède; comme ils n'ont pas de gros voisins faisant des reportages dans leur langue, ils ont beaucoup plus de journalistes à l'étranger que nous. Nous, les Canadiens, sommes devenus quelque peu paresseux à cet égard.

Le sénateur Jack Austin, président du Conseil commercial Canada-Chine: Merci, monsieur le président. Je suis ici en tant que président du Conseil commercial Canada-Chine. Ce matin, j'aimerais vous décrire le rôle du Conseil et vous expliquer pourquoi il faudrait plus de collaboration entre le secteur privé et le gouvernement pour élargir les débouchés pour les entreprises canadiennes, pour conclure des contrats pour des entrepreneurs canadiens, et, à long terme, pour maintenir les relations commerciales entre le Canada et la Chine. Si le temps le permet, j'aurais aussi quelques commentaires à faire sur l'évolution politique actuelle et future de la Chine, mais je laisserai cela de côté pour l'instant.

Ce matin, vous avez entendu trois exposés remarquables. Vous avez eu un excellent survol de la Chine et une excellente description du pays avec lequel nous essayons d'établir et de développer des relations commerciales, politiques, sociales et juridiques à long terme.

Le Canada a une bonne image de marque en Chine. Nous avons une excellente réputation auprès des Chinois en tant que pays ami et partenaire commercial. Vous savez tous que le Canada a été le premier pays à établir des relations diplomatiques avec la Chine à l'époque moderne. Le gouvernement Trudeau a conclu une entente à ce sujet le 13 octobre 1970, deux ou trois ans avant les efforts des Américains visant à établir des relations diplomatiques, et nous avons réussi à trouver la formule permettant un rapprochement entre la Chine et les pays occidentaux, c'est-à-dire la simple phrase précisant: «Nous prenons note de la position de la Chine concernant Taïwan.» La question de Taïwan n'est pas encore réglée; c'est encore une question importante pour les Chinois, comme l'a mentionné Patrick Brown.

C'est en 1960 que le gouvernement Diefenbaker a repris les relations commerciales avec la Chine pour la vente de céréales à ce pays, et encore une fois il s'agissait de trouver une formule acceptable. On vous a déjà expliqué le contexte de cette affaire. Les Chinois ne voulaient pas accepter de crédit pour ces ventes. Ils ne voulaient pas se trouver dans une situation de dette envers un pays occidental; alors il a fallu parler de paiement différé au lieu de dette, et grâce à cette façon de procéder la Commission canadienne du blé a pu occuper une position dominante sur le marché chinois de l'importation du blé, une position qu'elle a maintenue jusqu'à ce jour.

Bien entendu, les Canadiens et les Chinois connaissent très bien le rôle joué par Norman Bethune; cela fait partie du programme d'enseignement dans les écoles primaires en Chine. Il représente l'étranger dévoué aux intérêts chinois, et, étant Canadien, je pense que cela contribue à l'excellente image de marque du Canada.

Il y a un autre Canadien très connu en Chine, même s'il n'a pas la même réputation au Canada. Il s'appelle Dashen, ou Grande Montagne, autrement connu à Toronto sous son vrai nom de Mark Roswell. Sa célébrité est attribuable à son rôle dans un feuilleton de la télévision chinoise qui joue depuis des années. Il ne joue pas le rôle d'un étranger, mais plutôt le rôle d'un Chinois; il parle la langue à la perfection, de sorte que si l'on ferme les yeux, on ne sait pas que ce n'est pas un Chinois. C'est un roux au teint très clair, qui mesure six pieds quatre pouces.

Le Conseil commercial Canada-Chine a été créé en 1978, au début de la période de réforme économique de Deng Xiaoping. C'était l'initiative de plusieurs personnes, Paul Desmarais, Maurice Strong, Paul Lin et quelques autres, afin d'encourager les relations commerciales avec la Chine. Aujourd'hui, le conseil regroupe plus de 200 entreprises canadiennes et a un effectif de 20 personnes. Le siège social se trouve à Toronto, où nous avons huit employés, et nous en avons deux à Vancouver, dont Alison Winters, à ma droite, qui est la gérante du bureau de Vancouver et dont l'efficacité est telle qu'elle accomplit à elle seule presque autant de travail que le bureau de Toronto.

Depuis 1983, nous avons aussi un bureau à Beijing, qui compte sept employés, dont la plupart sont des ressortissants chinois. Le gérant est canadien. Nous avons deux employés à Shanghai, pour une vingtaine en tout.

Nous essayons d'offrir à nos membres tous les services qu'il leur faut. J'ai déposé auprès du comité mon exposé intitulé: «Assurer la place du Canada sur le marché chinois: arguments en faveur d'un nouveau partenariat entre les entreprises et le gouvernement». J'espère que vous l'annexerez au compte rendu.

Essentiellement, nous offrons des renseignements sur les conditions commerciales et les créneaux qui se présentent en Chine, nous offrons un soutien logistique aux entreprises canadiennes en Chine et nous faisons connaître aux Chinois les capacités canadiennes dans divers secteurs. Nous offrons des conseils en matière de politique aux gouvernements de la Chine et du Canada et nous organisons des manifestations pour les principaux décideurs des deux pays.

L'une des activités principales du Conseil commercial Canada-Chine, c'est notre réunion annuelle et congrès d'orientation, qui se tient alternativement au Canada et en Chine. La réunion la plus connue est sans doute la réunion Beijing-Équipe Canada en novembre 1994. À ce propos, je voudrais vous donner quelques exemples de l'efficacité du Conseil.

Lorsque le gouvernement actuel a été élu, le premier ministre Chrétien a fait savoir que l'une de ses principales priorités économiques était la question des échanges commerciaux, de même que la réduction du déficit, et que lui-même comptait jouer le rôle du premier ministre du Commerce canadien. Avant-hier, vous avez entendu l'ex-premier ministre Harcourt expliquer comment les premiers ministres des provinces ont proposé l'idée d'accompagner le premier ministre fédéral. Il faudrait ajouter que le premier ministre Chrétien a proposé aux premiers ministres provinciaux l'idée d'une mission commerciale, qui a été acceptée tout de suite. Il faudrait dire qu'avant cela, le Conseil commercial Canada-Chine avait fait avec des fonctionnaires du ministère du Commerce l'analyse d'une visite en Chine du chancelier Kohl en 1993 avec un groupe de 100 hommes d'affaires allemands. Nous avons fait une évaluation de l'incidence de cette visite sur la Chine et nous avons conclu que le Canada pouvait s'inspirer de cette formule en l'améliorant.

Comme d'autres l'ont fait remarquer, il faut comprendre que la Chine fonctionne selon un modèle hiérarchique où le sommet commande, et cela a toujours été ainsi. Le gouvernement central administre une économie planifiée qui est en train maintenant de se transformer en économie mixte où le secteur d'État continuera à rester très fort dans les activités économiques que les Chinois estiment être d'importance stratégique. L'économie chinoise est donc administrée à partir du sommet de la pyramide. Il s'agit d'une économie planifiée avec des plans quinquennaux. C'est une économie très bien organisée, qui en est maintenant à son neuvième plan quinquennal, le plan de 1996-2000. C'est donc une économie de marché, une économie socialiste selon la définition chinoise, et il ne faut pas sous-estimer ce concept d'une économie socialiste. La planification reste encore très importante dans leur économie, et là où le marché intervient, c'est généralement lorsque le plan prévoit que les entreprises ont un rôle à jouer dans les secteurs en question.

Jusqu'ici le Canada a joué un rôle modeste sur le marché chinois. Même si nous avons une très bonne réputation, il y a seulement deux ans et demi le ministre du Commerce chinois, Wu Yi, lors d'une visite au Canada, a mentionné que les investissements chinois dans une seule entreprise au Canada, ici en Colombie-Britannique, dans l'usine de pâte Castlegar, dépassaient tous les investissements canadiens en Chine, qui à l'époque étaient inférieurs à 200 millions de dollars canadiens. Cela fait deux ans et demi ou trois ans.

Les Canadiens, fidèles à eux-mêmes, ont voulu surtout minimiser leurs risques, puisque nous sommes des investisseurs très prudents. Nous voulons faire du commerce, mais nous ne voulons pas que notre capital coure un risque. Cela explique donc le rôle minime que nous jouons en Chine en tant qu'investisseurs étrangers directs. C'est grâce aux investissements que le commerce se crée. À une époque, c'était la création de colonies qui stimulait le commerce; maintenant ce sont les investissements, et pour que le Canada joue un rôle d'envergure dans l'économie chinoise, comme l'a fait remarquer Mme Wu Yi, il nous faut augmenter notre niveau d'investissement et montrer en même temps que nous accordons une priorité politique sérieuse au marché chinois, ce qui me ramène à l'expérience d'Équipe Canada.

L'objet d'Équipe Canada, c'était de faire comprendre un message politique capital aux dirigeants de la société chinoise. L'arrivée du premier ministre du Canada accompagné de neuf premiers ministres provinciaux et de plus de 400 dirigeants d'entreprises à Beijing a réussi à capter l'attention des Chinois. Le Conseil commercial Canada-Chine a organisé l'aspect commercial du programme, y compris le banquet de 1 700 personnes dans la Grande Salle du peuple, où le premier ministre Li Peng et le premier ministre Chrétien ont pris la parole. C'était une sorte d'entrée en matière pour les entreprises canadiennes. Cela a servi les intérêts des Chinois en créant une nouvelle impression de légitimité pour le régime, confirmée par la présence des dirigeants d'entreprises canadiennes.

Nous voilà donc en Chine; c'est la confirmation évidemment que nous voulons une relation aux plus hauts échelons avec le régime actuel. Le secteur commercial chinois reçoit le message que les Canadiens sont des alliés, qu'ils ont l'approbation de leur gouvernement, que l'on peut traiter avec les entreprises canadiennes sans susciter de problème politique. Donc, qu'il faudrait faire un effort pour accroître la participation canadienne en Chine. Cette attitude a été très bien démontrée par les Chinois qui ont travaillé diligemment pendant plusieurs mois avant notre arrivée en novembre 1994 pour conclure des ententes et amorcer de nouvelles négociations.

On avait annoncé à l'époque que la valeur totale de ces initiatives -- les nouveaux contrats et les nouvelles négociations -- atteindrait 8,6 milliards de dollars. L'un des contrats les plus importants pour le Canada était la vente de deux réacteurs nucléaires de 700 mégawatts chacun à la Chine. Les négociations, qui ont duré deux ans, furent conclues à Shanghai, à notre réunion annuelle de novembre 1996.

Le Conseil veut travailler avec le gouvernement du Canada et avec les gouvernements provinciaux pour élargir ces débouchés. L'une des difficultés auxquelles nous nous heurtons est que le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international est en train de réorganiser ses priorités. Il y a moins de fonds, et le service de commerce canadien devra donc être restructuré, et la conception de son rôle doit être revue. Le conseil est donc convaincu qu'il peut jouer un plus grand rôle dans les activités commerciales canadiennes en Chine, du côté livraison de systèmes.

Nous sommes un conseil commercial particulier. Nous ne recevons aucun fonds du gouvernement du Canada. Nous sommes financés entièrement par le secteur privé. J'aimerais qu'on s'attarde un peu sur un document qui porte le titre «Conseil commercial Canada-Chine». Nous publions ce document tous les deux mois; il renferme une mine d'informations sur les relations commerciales entre le Canada et la Chine. Le Conseil d'administration comprend 27 entrepreneurs canadiens, qui représentent tout le secteur des affaires canadien, y compris des grandes et petites entreprises.

Le sénateur James Kelleher est vice-président du Conseil, et participe très activement à son travail. Le Conseil publie des données économiques, que vous verrez dans ce document. Au dos du document, vous voyez des graphiques illustrant le Canada et la Chine. Je ne vais pas m'attarder sur des chiffres, sauf pour vous indiquer qu'ils vous donnent un profil excellent des deux pays.

Le total des échanges commerciaux entre le Canada et la Chine se chiffre à 8 milliards de dollars canadiens. L'objectif que le gouvernement canadien et le gouvernement chinois se sont fixé pour ces échanges d'ici l'an 2000, est de 20 milliards de dollars; il faudra faire pas mal d'efforts pour passer de 8 milliards à 20 milliards au cours des trois prochaines années. Le Conseil est financé par les cotisations que versent ses membres et par des réceptions. Six grandes entreprises canadiennes font beaucoup pour subventionner les petites et les moyennes entreprises qui essayent de faire des affaires au Canada. Ces six entreprises sont Bombardier, Barrick, NorTel, la Banque de Montréal, Power Corporation et Énergie atomique du Canada. Chacune contribue 50 000 $ par an au travail du Conseil. Elles ne retirent pas une valeur de 50 000 $ du Conseil chaque année, mais elles font cet apport dans l'espoir de renforcer les liens commerciaux entre le Canada et la Chine.

Honorables sénateurs, j'attire votre attention sur un troisième document, un article que j'ai écrit pour la prochaine édition du Conseil commercial Canada-Chine. Il s'intitule «China: Where Will its Leaders Lead?» C'est essentiellement un exposé sur les questions politiques et économiques en Chine. Je le résumerai simplement en disant que la Chine prend place à l'avant-scène du commerce international. Dans son rapport d'avril 1993, la Banque mondiale indiquait que le PIB de la Chine augmenterait en moyenne de 8 p. 100 par an pendant les prochains 20 ans, et que la Chine maintient le cap. Cela veut dire que la croissance annuelle du PIB chinois est équivalente au PIB entier du Canada.

Pour se moderniser, la Chine a besoin de capital et de technologies, mais elle a l'intention de garder la mainmise sur son économie. Elle n'a pas l'intention de défaire ses intérêts économiques stratégiques. La Chine veut de l'aide du reste du monde, mais elle n'est pas à vendre. Les entreprises canadiennes ont une excellente possibilité de prendre de l'expansion dans le cadre de ce marché. Il est vrai que la place que nous occupons sur ce marché augmente, mais pas aussi rapidement que celle de nos compétiteurs. Si vous comparez le Canada aux États-Unis, à l'Allemagne, la France, le Japon ou l'Australie, notre part du marché s'accroît moins rapidement que celle des autres. Ceux qui élaborent la politique commerciale du Canada doivent donc en rechercher la cause.

Je suis d'accord avec les remarques de M. Pitman Potter sur la transparence. Le plus grand problème auquel font face les entreprises canadiennes, c'est qu'elles ne comprennent pas les règles. Le système chinois n'a jamais été transparent. Je trouve que M. Potter a très bien expliqué la situation, qui donne lieu à beaucoup de conflits commerciaux. Le Canada a besoin d'une entente de protection des investissements étrangers avec la Chine. Cette entente n'existe pas; les négociations qui durent depuis des années n'aboutissent à rien.

J'ai une dernière remarque. Comme l'a expliqué M. Huntington, la Chine veut se moderniser, mais ne veut pas s'occidentaliser. Nous devons bien comprendre cela. Je suis d'accord qu'il faut faire affaire avec la Chine. En 1973, le président Nixon a dit que même les nations qui ont des valeurs très différentes doivent maintenir un dialogue, et collaborer dans les domaines où il y a unité de vues et de là s'attaquer à ceux où nous divergeons d'opinion.

La politique du Canada est bien illustrée dans un énoncé de Raymond Chan, secrétaire d'État canadien pour la région Asie-Pacifique, qui fut citée dans le Vancouver Sun du 28 janvier:

Le Canada ne discutera pas des droits de la personne quand les dirigeants des 18 nations du Forum de coopération économique Asie-Pacifique (APEC) se réuniront à Vancouver en novembre. Selon M. Chan cette décision a été prise parce que l'APEC fonctionne par consensus et qu'il est très difficile d'arriver à un consensus sur les droits de la personne.

Les droits de la personne et nos valeurs sont des sujets qui doivent rester une priorité. Mais nous sommes convaincus, tout comme le monde des affaires, que des échanges commerciaux vont rapprocher les deux pays et les deux systèmes, le système asiatique et le système occidental.

Le président: Nos témoins ont été très clairs. Nous allons maintenant passer aux questions.

Le sénateur Carney: Il sera difficile de nous discipliner et de ne pas nous écarter du sujet qui est la question des relations entre le Canada et la Chine. Les exposés des témoins étaient tellement fascinants, et tellement vastes, qu'il ne serait pas difficile de dévier de notre sujet.

Donc, pour ce qui est de nos relations avec la Chine, des relations qui sont largement mais pas exclusivement commerciales, et pour ce qui est de leur influence sur la population, j'aimerais demander à M. Lin et à M. Potter si on peut vraiment s'attendre à ce que la Chine accepte les formes de discipline exigées par l'OMC.

Comme vous l'avez indiqué, il y a la libéralisation du commerce, la transparence, la règle du droit, et les règles du commerce. Il me semble que le plus grand obstacle à l'adhésion de la Chine à l'OMC, c'est son hésitation, ou son incapacité, à s'engager et à se conformer à ces règles et à les appliquer, comme par exemple la règle sur la propriété intellectuelle. Je sais que le Canada déploie beaucoup d'efforts au niveau bureaucratique et politique pour encourager la Chine à accepter ces règles. Mais s'agit-il d'un objectif réaliste ou sommes-nous en train de nous leurrer?

Pour atteindre les objectifs dont parlait le sénateur Austin, pour résoudre les problèmes qu'ont les petites entreprises qui essayent de faire affaire avec la Chine, pour ce qui est des contrats -- demandons-nous l'impossible?

M. Lin a soulevé certaines questions en ce qui a trait à l'histoire de la Chine. M. Potter a parlé de l'application des règlements imposés par le gouvernement central aux provinces. L'OMC ne fonctionne qu'au niveau central; elle ne tient pas compte des règlements des États ou des provinces. La Chine peut-elle l'accepter?

M. Lin: Il est très difficile de donner une réponse simple à cette question. Je crois que M. Potter a signalé à plusieurs reprises en ce qui a trait aux questions juridiques que souvent, les lois ne semblent pas être obligatoires du point de vue de la Chine. Le fait est que la Chine ne reconnaît pas encore l'importance sacrée du droit, et c'est en fait dans une certaine mesure toujours ce que les Chinois disent, ren zhi et non pas fa chu, soit que ce sont les préoccupations des intérêts du peuple qui ont préséance sur la loi. Comme M. Potter l'a signalé, il y a beaucoup d'instrumentalisme dans l'attitude qu'on a à l'égard de la loi et du droit.

L'OMC est un organisme énorme caractérisé par une réglementation massive, et je crois qu'à ce stade, les Chinois s'y intéresseront probablement uniquement dans la mesure où cette organisation peut leur être utile. Je crois qu'il est assez facile d'adapter certains des règlements. Par exemple, l'ouverture du marché prend beaucoup de temps, mais c'est une chose qui se produira car les Chinois deviendront conscients de l'importance d'être équitable; et d'ailleurs certains membres de l'OMC semblent croire que la Chine fait déjà suffisamment d'efforts à cet égard.

Le sénateur Carney: Il existe cependant des problèmes au niveau des ententes dans le domaine des télécommunications et des communications.

M. Lin: Ça, c'est plus compliqué, mais le Canada peut jouer un rôle plus important que pratiquement n'importe quel autre pays parce que son point de vue est plus facilement acceptable aux yeux de la Chine. À l'Université de la Colombie-Britannique nous avons un programme chinois d'études juridiques qui relève M. Potter. Lorsque ces questions sont abordées dans le cadre du programme, très souvent les représentants chinois sont des fonctionnaires et ils ont souvent l'impression dans ces discussions qu'il n'y a pas du tout esprit de confrontation, ils ont l'impression que des amis les aident à mieux comprendre l'importance à long terme de l'observation des règlements. Cependant, à ce stade, les changements importants escomptés ne se sont pas encore produits.

Le sénateur Carney: Il n'existe pas la capacité nécessaire de respecter les engagements? Ou s'agit-il simplement de l'absence de volonté?

M. Potter: J'aimerais ajouter quelque chose; pour une nation commerçante comme le Canada, l'inclusion d'une économie aussi importante que celle de la Chine dans l'OMC est certainement dans notre intérêt; cependant, nous devons être réalistes en ce qui a trait aux problèmes à court terme que pose une observation totale des règlements. Cependant, il importe de ne pas légitimer la violation des règles de l'OMC dans le contexte du choix d'un nouveau leader dans ce pays.

Au cours des dix prochaines années, la Chine aura une des plus grandes économies du monde. Les zones côtières de la Chine, qui sont les plus importantes quand on parle de commerce, ont déjà connu une expansion dans le sens utilisé par l'OMC-GATT. Il y aura des problèmes, et dans nos commentaires politiques et dans nos projets nous devrons nous y préparer. Cependant je ne crois pas qu'il faille aller au-devant des problèmes en autorisant des mesures spéciales en raison du changement de chef dans ce pays. À mon avis, il ne faudrait pas accorder de concessions pour cette simple raison.

Une question plus générale qui se pose c'est de savoir comment on crée une culture juridique institutionnalisée. Pour y répondre j'étudierais les forces militaires chinoises, sur lesquelles j'ai rédigé des rapports lorsque j'étais plus jeune. Les militaires, comme l'a signalé M. Lin, se sont toujours trouvés tout au bas de l'échelle sociale en Chine. Ils n'avaient aucun statut, aucun prestige. Cela vaut autant pour la période républicaine que pour la période Qing. Aujourd'hui les forces militaires chinoises représentent une des institutions les plus puissantes de la Chine et peut-être même la seule institution qui permettra d'assurer l'unité du pays s'il traverse une période de bouleversement au cours des 20 prochaines années. Comment cela s'est-il produit?

Des intérêts politiques ont qualifié l'APL d'institution importante, et même s'il a fallu plusieurs décennies, cet intérêt institutionnel a suscité un intérêt personnel. Nous y percevons un modèle. Si nous utilisons ce modèle de création d'institution, il est possible de croire que l'OMC pourra imposer au gouvernement central la création d'institutions qui seraient compatibles avec les visées et l'orientation du GATT et de l'OMC. Il y aura sans doute des problèmes au début; il ne faut pas se faire d'illusions. Mais progressivement, les intérêts personnels et politiques s'uniront autour de ces institutions auxquelles ils finiront par s'identifier. Ainsi, si nous voulons que la Chine devienne un participant coopératif au régime commercial international, que symbolise l'OMC, il faut intégrer ce pays dans le système et encourager la création d'institutions qui favoriseront l'observation de ces règles plutôt que de dire que nous savons que cela sera un problème et qu'on accordera toutes sortes d'exceptions et de concessions.

Je crois personnellement qu'il ne devrait y avoir aucune concession. Nous devrions être patients, réalistes, et nous devrions prendre les mesures nécessaires pour assurer la création d'institutions qui développeront progressivement leurs propres intérêts politiques et personnels qui permettront à l'OMC d'être une organisation encore plus utile. Cependant, je ne me fais pas d'illusions, je sais qu'il y aura des problèmes.

Le sénateur Carney: J'aimerais poser une question générale à laquelle il sera peut-être difficile de répondre. À votre avis, le système commercial international vaut-il tous les efforts qu'on devra déployer? Le système commercial international ou l'OMC pourront-ils survivre sans la Chine? C'est une question que nous devrons nous poser compte tenu du fait que les Américains semblent chercher à créer des conflits avec la Chine. Quelles seront les répercussions si nous excluons la Chine de ces institutions internationales parce qu'elle ne peut pas répondre à nos attentes et respecter les règlements qu'imposent ces institutions?

M. Potter: Des puissances intermédiaires comme le Canada n'ont pas l'autorité économique ou politique nécessaire pour influer sur les décisions prises par le gouvernement chinois. Les Américains l'ont, pas nous. Nous dépendons donc plus de la participation des États-Unis au sein d'institutions multinationales.

À mon avis, du point de vue canadien, nous aurions intérêt à ce que la Chine fasse partie de l'OMC. Elle a déjà des liens directs et indirects avec divers pays grâce à une série d'ententes commerciales qui comportent les clauses de la nation la plus favorisée et des dispositions relatives au traitement national -- en fait, bon nombre des principes qui sont incorporés à l'OMC; ainsi cette série de traités bilatéraux assurent déjà certains avantages, mais il ne faut pas oublier que puisque l'OMC insiste sur la transparence en matière de services commerciaux, de propriété intellectuelle et, tout particulièrement, de mécanismes de règlements des différends exécutoires, qui n'existaient pas auparavant -- même les décisions des comités du GATT n'étaient pas exécutoires -- cela force les parties à participer à un cadre institutionnel qui assure une plus grande responsabilisation et une plus grande prévisibilité. Il est donc certainement dans l'intérêt de nations intermédiaires comme le Canada que la Chine fasse partie de telles institutions parce que nous n'avons pas vraiment les mécanismes politiques ou économiques qui nous permettent d'imposer nos volontés, ce qui est le cas des Américains.

Le sénateur Carney: J'aimerais faire quelques commentaires sur le Conseil commercial Canada-Chine, parce que sous la gouverne de son directeur actuel, il a accompli de très grandes choses. Cependant, je constate qu'aucune femme ne fait partie de notre conseil d'administration.

Le sénateur Austin: Nous avons une représentante de Peat Marwick.

Le sénateur Carney: Les femmes qui s'intéressent à la question m'ont dit qu'elles ont noté l'existence de ce qu'on pourrait appeler le club des vieux copains; je voulais simplement vous signaler ce problème.

Le sénateur Austin: Je vous en remercie. Nous avons demandé à quatre femmes depuis 12 mois de faire partie du conseil d'administration, mais elles ont refusé pour diverses raisons. Je serais très heureux qu'on me suggère le nom de femmes d'affaires qui oeuvrent dans le domaine des relations commerciales entre le Canada et la Chine à n'importe quel niveau.

J'aimerais ajouter quelque chose à ce qu'a dit M. Potter. D'après ce que je sais des discussions qui se déroulent entre les États-Unis et l'OMC, le problème est l'application progressive des privilèges que la Chine cherche à obtenir à titre de «pays en voie de développement». J'espère que la question n'est pas une dichotomie: la Chine devient membre ou ne devient pas membre, parce que s'il y avait deux systèmes commerciaux différents, le monde entier en souffrirait. Le marché de la Chine est si important qu'il pourrait bouleverser de façon dramatique le système commercial international. Tout comme M. Potter, je crois qu'il serait dans notre intérêt que la Chine devienne membre, mais elle devra respecter les règlements établis par l'OMC.

Le sénateur Carney: Comme vous le savez, la position du Canada a été que nous appuyions la participation de la Chine à l'OMC dans la mesure où elle peut respecter ses engagements et les règlements. Compte tenu de ce que vient de nous dire M. Lin et M. Potter, est-il peu réaliste de s'attendre à ce que cela se produise? C'est ce que je me demande.

M. Lin: Je crois qu'il s'agit là d'une question qu'a également abordée le sénateur Austin. Les États-Unis exercent des pressions pour que la Chine devienne membre à titre de nation industrialisée. Au chapitre du revenu par habitant, la Chine ne se classe certainement pas comme nation industrialisée et si l'on pouvait mettre au point une procédure qui permette à ce pays de demeurer un peu plus longtemps un pays en voie de développement, cela ne causerait aucun tort. Je crois que c'est là un des grands obstacles à la participation de la Chine à l'OMC.

Le président: Sénateur Bacon.

[Français]

Le sénateur Bacon: Monsieur Brown, vous avez parlé de l'ignorance de l'Ouest par rapport au mystère de l'Est. Nous avons tous à plaider un peu cette ignorance. J'aimerais en discuter au niveau de l'individu, de la personne de la race chinoise.

On veut transiger des affaires avec la Chine. Des gens sont venus et ont mentionné que la démocratie commence un peu à se faire sentir au niveau des villages, par exemple. C'est un signe qu'au niveau des individus, il y a un désir non seulement de justice mais il me semble, un peu aussi, de la démocratie, même si vous ne sentez pas cette grande soif de la démocratie.

Quel est le meilleur conseil que vous pourriez donner à votre successeur pour nous faire connaître, par le biais de Radio-Canada, les désirs et les rêves -- parce qu'ils doivent rêver comme nous -- de ces individus?

M. Brown: Je pense que M. Walls a parlé assez éloquemment au sujet de la démocratie. Je n'exagérerai pas le niveau de ce processus expérimental d'instaurer des sociétés et des institutions démocratiques au niveau des villages parce que ce sont surtout des expériences. C'est aussi souvent une question de légitimer la direction d'un plan ou d'un autre individu qui est actuellement en charge des affaires du village. Ce n'est pas vraiment une démocratisation, comme l'a voulu M. Thom. Je pense qu'il a été un peu plus positif que je ne le serais.

Je le répète, il y a une soif pour la justice au niveau le plus élémentaire. Les chefs de villages et les secrétaires du parti du village ne profitent pas de leur position. Il serait idéal que l'on instaure, au lieu de ce système, comme M. Lin l'a dit, un système de règles de droit civil basé sur la personne.

Au sujet des conseils pour mon successeur, c'est difficile de le dire. Mais cela touche un peu ce qu'ont dit beaucoup de témoins ici, c'est: apprenez le plus vite possible le chinois. Le chinois est la clef à la porte de la compréhension de tout ce qui est là.

Je pense appuyer tout ce qui a été dit sur l'importance dans nos écoles, dans nos collèges, dans nos universités, de promouvoir les programmes linguistiques, surtout qu'au Canada nous avons beaucoup de citoyens qui parlent plusieurs langues, comme les témoins qui ont comparu devant vous.

Je ne pense pas que l'on insiste assez sur ce point au niveau de la formation de nos jeunes. J'appuierais beaucoup ce qui a été dit par plusieurs universitaires hier et aujourd'hui à ce sujet.

Le sénateur Bacon: Je vous remercie

[Traduction]

Le sénateur De Bané: Êtes-vous d'accord avec certains des commentaires que fait M. Huntington dans son livre au sujet des conflits de civilisation, où il fait ressortir que le régime qui existe après l'affaire de la place Tienanmen est clairement anti-américain, anti-occidental, et il fait ressortir non seulement que la culture chinoise est différente de la culture occidentale mais qu'elle lui est également supérieure? Il a fallu un demi-siècle aux États-Unis pour doubler ses activités économiques alors que la Chine y parvient tous les 10 ans. M. Huntington dit qu'il existe un conflit inévitable; il signale que le régime après la crise de la place Tienanmen a adopté une politique nationaliste très forte. Il s'agit de certaines des choses qu'il a dites. Êtes-vous d'accord avec lui ou croyez-vous qu'il se trompe royalement?

M. Lin: Je ne sais pas si dire qu'il se trompe royalement exprime vraiment mon opinion. J'ai beaucoup de respect pour M. Huntington et nombre de ses merveilleux ouvrages sur la gestion. Cependant, je ne crois pas qu'il saisisse bien les tendances internationales quand il fait de tels commentaires.

L'affrontement des cultures, des civilisations, est une position dangereuse parce qu'il pourrait s'agir là en fait d'une prédiction qui se réalise. Il existe suffisamment d'orthodoxie religieuse, culturelle et ethnique pour que cela se produise. À mon avis, nous sommes rendus à une étape dans l'histoire du monde où cela pourrait se produire, mais pas nécessairement comme Kipling le disait: «L'Est est l'Est et l'Ouest est l'Ouest», qui est complètement l'autre extrême. Je crois que M. Huntington est encore plus extrémiste que Kipling qui semblait avoir l'esprit plus ouvert que lui. Évidemment, il y a des différences. Et à plusieurs égards, elles deviennent de plus en plus marquées. La culture islamique nous intéresse actuellement plus particulièrement en raison de l'attitude violente qu'elle encourage à l'égard des autres cultures, des autres civilisations et des autres religions. À mon avis, les intellectuels et les universitaires chinois avec qui j'ai été en contact ces dernières années depuis en fait que M. Huntington a fait de telles déclarations dans un article sur les affaires étrangères -- et il vient de rédiger un nouvel ouvrage sur la question -- sont d'avis qu'une attitude absolument contraire est nécessaire. Les Chinois semblent être très sensibles à la question soulevée par M. Huntington, et en ce qui a trait à l'activité géopolitique, ils s'orientent actuellement dans la direction opposée.

Ils proposent le rétablissement la route de la soie. En d'autres termes, ils désirent créer un nouveau corridor entre l'Est et l'Ouest qui pourrait servir de pont continental entre la Chine et l'Europe, de la côte est de la Chine jusqu'à la côte ouest de l'Europe, un pont entre l'Europe et l'Asie, et on a déjà établi des liens avec les pays de la zone centrale de l'Asie, des pays qui faisaient jadis partie de l'Union soviétique, jusqu'au Moyen-Orient et les Balkans jusqu'à la France. Ce ne serait pas simplement un pont continental, comme une voie ferroviaire transcontinentale, mais un pont de développement qui inclurait des échanges économiques et culturels.

La proposition est fondée sur le concept selon lequel les cultures peuvent être différentes et parfois même en conflit, mais nous devrions être rendus à une étape dans la mondialisation de l'économie où une symbiose est possible. Il ne s'agit pas nécessairement d'une convergence des cultures, mais d'une symbiose grâce à laquelle deux cultures et deux civilisations complètement différentes peuvent s'adapter l'une à l'autre et apprendre l'une de l'autre. Je crois, et je suis peut-être trop optimiste, qu'il nous faut désespérément une symbiose des valeurs, des valeurs de développement.

Il peut s'agir d'un système mondial. Les différences qui existent entre les méthodes chinoises en matière de commerce et d'investissement qui ont été soulevés par l'OMC sont des problèmes qui peuvent être surmontés, parce que très souvent les Chinois préfèrent souvent le consensus. L'établissement d'un consensus peut être un fondement solide qui permettra de surmonter les tensions, qui d'après M. Huntington, seront une source de conflit importante entre l'Est et l'Ouest. À mon avis, il n'y a pas lieu de croire qu'il existe quelque complot entre certaines civilisations. Il nomme six ou sept civilisations qui, d'après lui, sont opposées à l'Ouest. Je n'en ai vu aucun signe.

Il est exagéré que de dire que l'islam et le confucianisme s'unissent pour créer une menace. C'est un peu ridicule de parler du confucianisme comme s'il s'agissait d'un génie dominant qui a donné naissance aux «petits tigres» et qu'on se retrouve maintenant avec le «grand tigre». En raison de certains des éléments fondamentaux que j'ai décrits plus tôt, le confucianisme et une croissance économique rapide sont absolument incompatibles. À mon avis, blâmer le confucianisme ne donne absolument rien; il s'agit simplement d'une idéologie qui chapeaute plusieurs nations de la région.

Le confucianisme est peut-être vrai dominant dans la région sur le plan de la cohésion sociale; je pense par exemple aux valeurs familiales, au code déontologique du travail, à la loyauté envers ses amis. C'est peut-être vrai, mais cela ne découle pas nécessairement du confucianisme. Cela vient de la culture chinoise en soi, et tout ça n'est pas entaché d'agressivité. Il me semble ainsi qu'il n'y a aucune preuve empirique ou théorique qui puisse appuyer de tels propos.

Le président: Je crois que M. Potter veut ajouter quelques mots.

M. Potter: Sam Huntington a joué le rôle de la mouche du coche dans le domaine des sciences politiques depuis au moins 30 ans. Il faut donc interpréter certains chapitres de son livre en ce sens. Il aime bien provoquer la discussion.

Il importe de reconnaître que lorsqu'un pays fait des choses qui ne conviennent pas aux Américains, on parle toujours d'une attitude nationaliste. Cet élément entre donc en ligne de compte dans les propos que tient M. Huntington. Cependant, il est évident, et les preuves ne manquent pas, que le gouvernement chinois central essaie de régler la crise qui existe dans ce pays en optant pour le nationalisme. C'est évident. On ne saurait en douter. Lorsqu'on voit les livres qui ont été publiés comme China Can Say No, China Through the Third Eye, on constate que les auteurs ne sont pas des intervenants du secteur culturel qui décident simplement de rédiger un ouvrage. Il s'agit là d'efforts sanctionnés par le gouvernement. Ça, c'est l'aspect nationaliste. Il est évident que c'est l'option qu'a choisi le régime.

Mais Huntington ne semble pas comprendre qu'il existe plus qu'une Chine. À mon avis, les différences culturelles entre Beijing et Guangzhou sont plus importantes que celles qui existent entre le confucianisme et l'islam, par exemple, ou entre le confucianisme et l'Occident. Nous devons reconnaître qu'il existe plusieurs Chine et plusieurs différences subculturelles, et on aurait tort de soutenir qu'un régime politique qui opte pour le nationalisme pour régler sa crise intérieure est emblématique de la culture chinoise. À mon avis, nombre d'intellectuels en Chine s'inquiètent énormément des propos nationalistes du gouvernement, parce qu'à leur avis, c'est improductif et qu'en fait, cela crée des problèmes.

Huntington a raison entre autres choses de dire qu'il faut reconnaître la grande difficulté qu'il y a à construire un consensus normatif dans le monde, que la guerre froide a imposé un consensus bipolaire normatif et a essentiellement subordonné tous ces autres conflits culturels, et nous les voyons aujourd'hui émerger avec la fin de la guerre froide. Ce fait a également été amplement prouvé. On se demande alors ce qu'on peut faire, et il semble que la création d'institutions fait partie de la réponse. Cependant, celle-ci doit s'accompagner d'une reconnaissance des intérêts que les parties ont dans ces institutions.

J'aimerais maintenant qu'on revienne à la réunion de Lushan que mentionnait M. Lin. La réunion de Lushan et la purge de Peng De Hua après ce dernier ont révélé la désintégration du consensus dans le processus décisionnel parmi les hauts dirigeants chinois. Comment fonctionnait ce consensus? Les gens et les chefs, dans ce leadership consensuel, acceptaient de perdre dans le processus décisionnel parce qu'ils croyaient que ce processus allait leur permettre de marquer des gains à un autre moment. Ils étaient donc disposés à dire: «Oui, je n'ai peut-être pas remporté la bataille aujourd'hui, mais c'est là un système qui me permettra de l'emporter demain, et voilà pourquoi j'y adhère.»

Ce qui s'est passé à Lushan, c'est que Mao a refusé de perdre, et Mao a fini par liquider son adversaire et ainsi s'est amorcée la destruction de ce consensus élitiste. Il y a lieu d'en tirer une leçon dans le contexte international, à savoir, lorsqu'il y a des institutions internationales qui reconnaissent des normes différentes et créent un processus où les diverses perspectives peuvent adhérer à un processus décisionnel, et à plusieurs égards à un processus de concertation, il y a moyen de concilier certaines différences culturelles.

Les différences culturelles existent, et nous devons les reconnaître. Un très bon exemple, c'est la divergence d'opinions sur le droit au développement dans le discours international. Que veut dire «développement»? Les Chinois ont leur point de vue, les Australiens le leur, et les Canadiens en ont un troisième. Ils sont tous différents, et c'est fort bien, mais s'il existe des institutions qui permettent à ces points de vue de se concilier, et ce, dans le cadre d'un processus qui traite les parties avec une égalité relative de telle sorte qu'elles ont intérêt à jouer le jeu, il y a peut-être moyen ainsi de calmer les craintes de Huntington. C'est compliqué, évidemment, mais M. Huntington n'a pas tout à fait tort. Il ne fait que souligner quelques caractéristiques qui doivent être prises en compte dans un contexte plus large, particulièrement son optique américaine et la crainte qu'il éprouve vis-à-vis des propos essentiellement nationalistes que tient le régime. Chose certaine, je ne crois pas que cette optique soit partagée par beaucoup de gens en Chine, que ce soit au sein de l'intelligentsia ou dans les masses.

Le sénateur Stollery: La matinée a été fascinante. Il me faudra lire le procès-verbal et méditer sur certaines observations intéressantes qui ont été faites ici. À un moment donné, j'ai cru qu'il y avait une certaine confusion lorsqu'on a dit que les Américains voulaient propager la démocratie. Je ne crois pas que ce soit le cas au Canada. Ce n'est certainement pas mon cas. Il existe une vieille règle en politique internationale qui interdit qu'on impose un système à un pays.

Je ne suis pas particulièrement attaché à l'établissement d'une démocratie en Chine parce que c'est impossible. Nous, politiques, avons ceci de commun: nous savons que dans tous les systèmes, les personnalités sont très importantes, et qu'il y a des personnes derrière ces noms. Franchement, je ne sais pas qui sont ces gens, même si j'ai entendu les noms, et j'ai peut-être lu un peu plus qu'un autre sur la question. Ce qui était très intéressant, c'était de voir comment Mao Zedong a essentiellement déjoué tout le monde. On a beaucoup à apprendre de ces personnalités. C'est comme ça que la politique doit se faire en Chine, là comme partout ailleurs, parce qu'il y a des caractéristiques universelles dans la vie. Les différences culturelles et régionales peuvent avoir une influence considérable, mais il existe aussi des caractéristiques universelles.

Il a été question de nos rapports commerciaux avec la Chine, et nous avons entendu des témoignages intéressants de personnes très intéressantes, plus intéressantes que je ne l'aurais pensé lorsque je suis arrivé à Vancouver. Je ne comprends pas pour ma part comment un système peut fonctionner sans une forme quelconque d'appareil judiciaire indépendant. S'il y a un différend commercial entre deux parties, il devrait exister une forme quelconque d'autorité judiciaire indépendante pour entendre l'affaire. Comment le développement en Chine peut-il dépasser un certain niveau sans la création d'un appareil judiciaire indépendant?

Le président: Je pense que M. Brown a parlé de la distinction que signale maintenant le sénateur Stollery. Il s'agit d'une vieille distinction qu'on a toujours faite en philosophie politique. C'est la distinction entre la liberté civile d'un côté et la liberté politique de l'autre. Si je me souviens bien, les auteurs du XVIIIe siècle disaient que la liberté civile pouvait fort bien exister dans un régime de despotisme éclairé.

Monsieur Brown, vous avez dit que ce que les gens veulent, du moins dans certaines régions de la Chine, c'est le sentiment que le système est juste, que le citoyen ordinaire dans sa rizière, par exemple, n'est pas exploité pour maintenir le train de vie opulent du chef de la police locale. Il me semble donc que c'est la question que pose le sénateur Stollery. Ne parlez-vous pas à peu près de la même chose tous les deux? Veuillez être bref dans votre réponse, parce que je vais ensuite céder la parole à M. Potter et lui demander de répondre à cette question qui préoccupe le sénateur Stollery et vous-même.

M. Brown: La question était de savoir si la Chine peut se développer dans le sens que tout le monde veut, à savoir, si elle peut devenir une société plus prospère, plus raisonnable et plus heureuse sans grande instabilité, sans instituer une forme quelconque d'appareil judiciaire indépendant? À mon avis, probablement que non, et je pense que le gouvernement canadien reconnaît cela, dans la mesure où l'un des programmes de notre gouvernement vise à former des magistrats.

Les structures qui s'effondrent lorsqu'il y a des tremblements de terre, sont les plus rigides. Ce que nous avons, comme tout le monde l'a dit, c'est une société qui vit une transition extraordinaire, et toute transition suscite des pressions, des pressions qui ont l'ampleur d'un tremblement de terre, et si la société est rigide au point de considérer comme contre-révolutionnaire le fait d'exprimer son opinion, et contre-révolutionnaire le fait aussi de faire valoir ses droits économiques, par opposition au secrétaire du parti local qui veut tout avoir, ou contre-révolutionnaire même pour l'homme d'affaires étranger d'affirmer ses droits, il peut se produire alors un effondrement provoqué par des secousses semblables à un tremblement de terre.

Si l'on est d'origine chinoise et que l'on est un homme d'affaires étranger qui veut affirmer ses droits économiques, on se retrouve très souvent sans passeport et en prison. Donc, ce qui absout ce genre de détention et de châtiment arbitraire, c'est le fait qu'on accepte d'emblée que, dans une société comme celle-là, toute attaque ou critique contre un fonctionnaire devient une attaque contre le parti, qui est alors jugée contre-révolutionnaire, et c'est là un système très rigide. Je dis pour ma part que c'est là la cause première de l'instabilité en Chine, et le danger que je crains, c'est qu'on n'évolue pas aussi vite qu'on peut vers le genre de société civile dont on a besoin.

M. Potter: Je suis heureux que M. Brown ait mentionné le programme de formation des magistrats, parce que j'ai eu le privilège d'y prendre une part, et cela pose une question à laquelle je répondrai dans un instant. Il y a ici deux idées qui se rejoignent, qui ne sont pas identiques mais qui sont apparentées. La première, c'est l'indépendance; l'autre, c'est l'impartialité.

Le régime juridique chinois dérive essentiellement du modèle civil européen où les tribunaux font partie intégrante de l'administration. On n'y voit donc pas le genre d'indépendance structurelle que nous associons à la tradition anglo-américaine. Cependant, la magistrature demeure indépendante en Europe, et c'est attribuable à l'intégrité professionnelle et à la tradition d'impartialité des magistrats. Ce qu'on voit en Chine, c'est une situation où la magistrature fait partie intégrante de l'administration; les magistrats sont soumis à l'autorité d'organismes de surveillance étroitement reliés, dont l'administration et le ministre de la Justice. Cela peut poser un problème, mais sans aboutir inévitablement à des problèmes d'impartialité.

L'impartialité de l'arbitre d'un différend commercial est, comme vous dites, essentielle et elle est essentielle pour obtenir justice et pour avoir une procédure de règlement des différends prévisible. Je pense qu'on peut dire, compte tenu de tous les efforts que les Chinois ont déployés récemment pour améliorer la situation, que les tribunaux en Chine ont encore beaucoup à faire avant d'être indépendants ou impartiaux. C'est à mon avis un grave problème. Cependant, il y a lieu de voir ce qui se fait au niveau de l'avenir des services de règlement des différends. Les réformes commerciales en Chine ont créé une demande considérable pour les services de règlement des différends, et cette activité génère des revenus pour les institutions qui peuvent contrôler cette activité de règlement des différends et y participer, et les tribunaux le voient bien. Traditionnellement, les tribunaux manquent d'argent et de personnel, et c'est pourquoi ils voient des possibilités de ce côté. Il y a d'autres organisations qui sont présentes dans ce secteur, dont les organisations locales d'arbitrage qui sont créées dans les gouvernements populaires. À mon avis, il en résultera à long terme une concurrence institutionnelle visant à contrôler ces services de règlement des différends, et je pense que toutes ces institutions vont tâcher de devenir plus fiables et plus utiles pour les entreprises dans la mesure où elles rendront plus prévisible le règlement des différends.

J'ai de l'espoir pour le long terme, mais pour le court terme, c'est l'inconnu total. Il y a ce bon exemple de la Cour suprême populaire de Chine qui administre le système, et qui essaie de l'améliorer en participant à des programmes de formation judiciaire qui hausseront la compétence des juges, dont la plupart, jusqu'à récemment, n'avaient à peu près pas de formation juridique et provenaient de l'armée. Cela change graduellement. C'est de bon augure.

Le problème tient en partie à la compétence et en partie à la formation, mais c'est aussi une question de développement et d'efforts pour atteindre l'impartialité, mais nous n'arriverons à rien en disant simplement que les tribunaux doivent se montrer impartiaux. Ce qui va se passer, c'est que cette demande pour des services de règlement des différends va créer une concurrence institutionnelle, et pour faire concurrence dans ce milieu, les institutions vont essayer de se rendre plus attrayantes, plus fiables et peut-être plus impartiales. L'indépendance pose des problèmes de structure; l'impartialité pose des problèmes de comportement. Les deux posent des difficultés pour le moment, mais il y a peut-être lieu d'être optimiste.

Le sénateur Andreychuk: Cette séance a été excellente. À certains égards, j'aurais aimé qu'elle soit la première; nous aurions alors posé des questions plus succinctes aux autres témoins. Même si j'ai plusieurs questions, je me bornerai à deux.

D'après tout ce qu'on a dit et entendu ces trois derniers jours -- compréhension culturelle, formation linguistique, besoin d'information, et intervention rapide des Canadiens, non pas en deuxième place, mais en première --,, je me rappelle ce qu'on a dit maintes fois dans les discussions sur les échanges internationaux et le Canada. Lorsque nous nous sommes adressés à l'Union européenne, les règles du jeu étaient presque toutes déjà établies, et il nous a fallu alors transiger avec Bruxelles et pas seulement avec diverses capitales.

Évidemment, si l'on tenait compte de la différence colossale attribuable à la taille de la Chine, qu'y a-t-il d'autre qui soit tellement différent pour entraver l'entreprise canadienne et qu'on ne trouve pas dans d'autres pays?

Pendant que vous réfléchissez à votre réponse, je vais poser ma deuxième question, qui fait suite à ce qu'ont dit M. Lin et M. Potter. Leurs exposés et les nuances qu'ils ont données dans leurs explications m'ont beaucoup plu. Ce n'est pas le Canada qui a posé la question des droits de la personne. Celle-ci résultait d'une expérience collective et c'est surtout parce que nous avons compris que le multilatéralisme est l'avenir de la politique étrangère, et le fait que, si nous avons des normes universelles, alors tout le monde en profite, particulièrement étant donné notre taille.

Depuis l'époque du premier ministre Pearson, je n'ai jamais vu beaucoup de différence dans notre stratégie à l'égard des règles nationales qui doivent régir les droits de la personne, l'équité, la justice ou la bonne conduite des affaires publiques. Cependant, il me semble que nos relations avec la Chine ont changé récemment, et à mon avis, la question n'est pas «la Chine et les droits de la personne», mais «le Canada et les droits de la personne», parce que tout le problème est là. J'aimerais savoir ce que M. Brown en pense.

Il me semble que nous avons toujours dit discrètement ce que nous tenons pour vrai. Nous avons tenté de trouver des tribunes internationales pour le faire; lorsque nous avons ressenti le besoin de faire valoir notre point de vue, nous l'avons fait, non pas d'une façon moraliste ou arrogante, mais réaliste et franche. Toutefois un dilemme semble se poser actuellement au Canada. D'une part, pendant des années, nous avons adopté une position traditionnelle en ce qui concerne les droits de la personne; par ailleurs, nous affirmons ne pas vouloir lier le commerce aux droits de la personne. Cette politique crée un problème pour certains secteurs au Canada qui demandent: «Pourquoi pas?» Nous avons donc suscité un débat au Canada même sur le commerce et les droits de la personne, qui ne reflète pas nécessairement la façon dont le Canada, traditionnellement, a agi et réagi, et à l'intérieur et à l'extérieur de notre pays.

M. Raymond Chan a déclaré qu'il n'allait pas soulever la question des droits de la personne à l'APEC. Pourquoi s'est-il cru obligé de le dire? Pourquoi nous prive-t-il de la possibilité d'exprimer les opinions et les valeurs canadiennes? M. Axworthy par ailleurs, au cours de la même période, a déclaré aux Nations Unies que la protection et la promotion des droits de la personne constitue une des principales valeurs canadiennes et l'un des premiers objectifs de notre politique nationale et étrangère. Manifestement, certains secteurs au Canada vont réagir.

Ces messages sont-ils contradictoires ou complémentaires? Pourquoi avons-nous affirmé ne pas avoir l'intention de soulever la question des droits de la personne à l'APEC mais n'avons pas dit la même chose en ce qui concerne l'Organisation mondiale du commerce? Est-ce que cela ne sème pas la confusion au sujet des droits de la personne au Canada? N'est-ce qu'une réaction aux activistes des droits de la personne qui sont des moralistes? Ce n'est pas, je pense, le point de vue canadien à long terme, n'est-ce pas? Ne devrions-nous pas repenser notre politique nationale plutôt que notre politique étrangère en matière des droits de la personne?

C'est un long préambule pour dire que je pense que nous nous sommes un peu égarés et que nous ferions bien de repenser à nos propres valeurs, à ce que nous disons et à nos propres pratiques plutôt que de tenter de les justifier sur la scène internationale.

Le président: C'était deux questions. Je pense que la deuxième question du sénateur Andreychuk devrait plutôt être posée au leader du gouvernement au Sénat qu'à l'un de nos témoins.

En ce qui concerne la première question, est-ce que quelqu'un souhaite répondre?

Le sénateur Austin: Le Canada tente de forger des relations commerciales beaucoup plus solides avec l'Asie et d'autres régions du monde. Puisque aujourd'hui il est question de la Chine, nous avons déceler qu'elles étaient les portes d'accès à la prise de décisions en Chine. Équipe Canada l'a démontré d'une façon très efficace. L'entreprise canadienne ne représente qu'une petite partie du milieu mondial des affaires. D'après les critères canadiens, nous avons quelques-uns des principaux représentants des affaires dans le marché chinois -- notamment les membres de ce conseil. Sont représentés dans le marché chinois, NorTel dans les communications; Barrick dans les mines; Bombardier dans les transports; Power Corporation dans la finance; L'EACL qui vient de faire un gros investissement; Manulife dans les investissements et quatre banques canadiennes.

Nous avons su faire concurrence aux Américains, aux Japonais, et aux pays membres de la Communauté européenne. Leurs institutions sont beaucoup plus importantes que les nôtres et ils ont plus à offrir aux Chinois sous forme de capitaux et dans le cas de l'Allemagne, de technologie. Nous devons trouver notre niche. Nous devons voir où nous sommes les spécialistes et il y a des domaines où c'est le cas. Nous avons de l'expérience en génie, dans le développement des ressources et de l'électricité. SNC-Lavalin a remporté un succès fou dans les services de génie et Agromanenco, une autre entreprise canadienne de l'Ontario réussit extrêmement bien dans le domaine des services.

Le Canada peut faire concurrence dans les domaines qu'il maîtrise, c'est-à-dire dans les transports, les communications et le développement des ressources naturelles. Nous sommes également extrêmement compétents dans les technologies d'information et en agriculture. Ce sont les secteurs où le Canada fait une percée en Chine et ce avec beaucoup de succès.

Nous ne saurions comparer nos succès à ceux des Américains ou des Japonais ou des Européens sur le marché chinois, mais je considère que nous n'avons pas notre part de ce marché. À mon avis, il faut un effort plus intense de la part du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux ainsi que du milieu des affaires qui possède les compétences nécessaires. Je pense que le comité, dans ses propres discussions, doit s'interroger sur la façon de provoquer cette collaboration.

Le sénateur Andreychuk: Peut-être puis-je résumer tout ce que j'ai dit dans ma deuxième question en précisant que par le passé, notre politique étrangère était plutôt claire et n'a pas évolué beaucoup depuis l'époque Pearson; toutefois, plus récemment, des témoins nous ont affirmé qu'ils constataient que la politique étrangère du Canada était synonyme d'emplois, d'emplois et d'emplois -- en d'autres termes, une politique commerciale -- ce qui a créé un malaise dans certains secteurs au Canada où l'on se demande si l'on a abandonné les autres aspects de notre politique étrangère, surtout dans le domaine des droits de la personne? Par conséquent, nous avons une politique sur la scène internationale, mais à domicile, nous éprouvons de la difficulté à l'interpréter.

M. Brown: Je ne sais pas si je peux répondre, mais j'aimerais faire une remarque ou deux. Je ne pense pas que la discussion doive être à ce point tranchée, c'est-à-dire va-t-on refuser de commercer avec la Chine ou risquer d'être accusé d'encourager les bouchers de Beijing. Il n'y a pas que ces deux options incompatibles. Il faut chercher des moyens de promouvoir le commerce qui est tout à fait dans l'intérêt de la majorité des habitants de la Chine et du Canada, et de promouvoir une amélioration au niveau des droits de la personne et un meilleur régime juridique en Chine, ce qui est tout à fait dans l'intérêt de la grande majorité des Chinois. Comme je l'ai dit, un régime excessivement rigide est susceptible de s'effondrer ce qui est excellent pour la direction actuelle de la Chine. Il faut que les responsables à Beijing comprennent que l'insécurité de leur position augmente proportionnellement à leur désir d'édifier un système qui ne résisterait pas au désordre.

Tout comme les nombreux synonymes de neige, en Chinois, il y a de nombreux synonymes de désordre et de nombreux genres et types. Le désordre interne et externe qu'a vécu la Chine ce siècle-ci a donné lieu à une grande crainte. L'un des grands atouts du régime actuel, c'est justement que la population ne veut pas faire chavirer le navire; elle veut la justice.

Les Chinois ont raison de prétendre qu'on les juge selon des critères différents de ceux qu'on applique aux autres pays. En Inde par exemple, la police tire régulièrement sur les manifestants et personne ne dit rien. Il n'y a pas très longtemps, les soldats de la Garde nationale américaine ont ouvert le feu sur des étudiants de l'Université de Kent State, mais personne n'a proposé de boycotter les États-Unis. Nous semblons avoir une façon particulière d'envisager la Chine qui tient sans doute au fait que nous ne la comprenons pas très bien; nous ne sommes pas suffisamment bien renseignés à son sujet. En outre, les Chinois eux-mêmes encouragent dans une certaine mesure cette ignorance. Ils demandent d'être traités différemment, et c'est ce que nous faisons, mais du point de vue de la politique gouvernementale, c'est une véritable énigme.

Enfin, quant à savoir pourquoi Raymond Chan a dit ce qu'il a dit, c'est sans doute parce que quelqu'un lui a demandé: «M. Chan, allez-vous soulever la question des droits de la personne à l'APEC»? Et il aura répondu: «Non, ce n'est pas le lieu approprié». Je ne le sais pas avec certitude, je ne fais que supposer que c'est ce qu'on lui a demandé. Un dirigeant chinois ne se ferait pas poser cette question, parce que la presse n'a pas la liberté de poser ce genre de question en Chine. Cela, c'est un autre problème. Le pays ne possède pas la souplesse voulue pour faire face aux énormes changements qui s'y déroulent et nous devons vraiment l'encourager.

Le président: Sénateurs, nous avons environ 55 minutes de retard. Il y a deux autres témoins qui attendent. J'ai encore un nom sur ma liste, celle du sénateur Grafstein.

Le sénateur Grafstein: Je vais tenter d'être bref. J'aimerais tout d'abord vous dire, moi qui ai beaucoup voyagé en Chine, que la matinée a été fascinante et je vous remercie tous, car vous avez élucidé d'une façon brillante et succincte, plusieurs des questions d'actualité.

Monsieur le président, je tiens à remercier tous les membres du comité, y compris mon collègue, le sénateur Austin, qui a fait un travail remarquable pour renforcer en Chine, notre réputation comme quoi le Canada est un vieil ami de la Chine. Je pense que tous vos efforts ont resserré ces liens ce qui nous facilitera à tous la tâche de régler les questions de commerce qui nous intéressent.

M. Lin, j'ai emprunté avec ma famille vers le nord et vers le sud la route de la soie et donc je comprends ce qui s'est produit en Chine à notre époque. J'aimerais explorer avec vous toute la question de la stabilité et des règles, mais le temps ne me permet que de vous poser une question assez précise, sur les règles commerciales. Comme nation commerçante, nous voulons la stabilité et nous voulons des règles commerciales, ce qui est exactement ce que mon collègue le sénateur Stollery voulait dire. Comment pouvons-nous avoir des règles commerciales sans démocratie? Pour nous, les règles de commerce signifient la démocratie, le droit commun étant essentiellement fondé sur des règles commerciales qui se sont transformées en règles civiles. Notre objectif demeure de mettre en place des règles commerciales.

Il y a plusieurs mécanismes pour traiter de cette question; il y a l'ANASE et il y a l'APEC dont nous avons parlé, il y a les relations bilatérales par le truchement de notre plan d'action en Chine et il y a un mécanisme indirect ou imprécis, la Loi sur la protection des investissements étrangers. Dans ce contexte, quel moyen utiliser pour mettre en place un mécanisme bilatéral de règlement des différends avec la Chine? Vaut-il mieux miser sur l'ASEAN, l'APEC, ce qui est déjà prévu, ou sur nos propres relations bilatérales ou notre propre plan d'action? Quelle est la meilleure façon pour commencer, de façon rudimentaire, à élaborer ce mécanisme?

Évidemment, il y a toujours l'OMC, mais je ne pense pas que cela soit possible et je ne sais pas si cela fonctionnerait vraiment bien. D'un point de vue mécanique ou tactique, quelle est la meilleure voie à suivre?

M. Potter: L'an dernier, pour le compte de la fondation Asie-Pacifique, j'ai collaboré à la rédaction d'un document sur les différentes approches culturelles pour régler les différends dans les pays du Pacifique et plus particulièrement en Chine, et ce dans le contexte d'une initiative de l'APEC pour essayer de mettre en place un service volontaire de médiation commerciale. L'une des difficultés consiste justement à trouver le meilleur mécanisme puisqu'il y a l'Organisation mondiale du commerce, il y a le CIRDI pour le règlement des litiges ayant trait à des investissements; que faire donc? Les traités bilatéraux sur les investissements sont souvent une façon de prévoir soit le règlement des différends en ayant recours au CIRDI ou à une procédure alternative. La difficulté dans le cas du CIRDI, c'est que c'est volontaire, donc inconcevable.

Un mécanisme de règlement des différends dans un traité bilatéral sur les investissements qui engage les parties à participer à l'arbitrage obligatoire représente une approche utile. Là encore, il y a les problèmes de souveraineté. Par contre, puisque la plupart des partenaires chinois dans les coentreprises sont essentiellement, du moins publiquement, des entreprises privées, elles sont en fait contrôlées par l'état, mais souvent lancées à leur compte et sont considérées, du moins de nom, des entreprises privées. Donc, il faut tirer parti de cette nouvelle étiquette et déclarer que ce n'est plus une question de souveraineté mais une question d'arbitrage entre deux entités privées.

Ce serait un point de départ et les deux gouvernements s'engageraient ainsi à appuyer un processus qui permettrait à leurs entités privées de demander à soumettre des décisions à l'arbitrage d'un organisme choisi par les parties. C'est une façon de procéder.

Par ailleurs, on ne veut pas copier ce qui existe déjà, et on trouve déjà un réseau de centres privés d'arbitrage commercial internationaux partout au monde auxquels on peut soumettre les litiges qui portent sur le commerce et les investissements. Il y a également le système de l'OMC et du CIRDI.

J'y ai un peu réfléchi, mais j'aimerais y réfléchir encore. Il s'agit essentiellement de rendre les institutions actuelles plus efficaces en leur garantissant l'appui des gouvernements plutôt que de créer le plus grand nombre d'échappatoires possibles tels que le système du CIRDI, qui permet aux gouvernements de se soustraire à leurs obligations puisque c'est volontaire. Si l'on crée un trop grand nombre d'institutions de ce genre, il y a double emploi et plus particulièrement, on réduit le caractère prévisible des relations ce que veulent les gens d'affaires.

Je dirais que dans le contexte bilatéral, dans le cas de la Chine, il serait très utile d'avoir un traité bilatéral sur les investissements qui engage les gouvernements à encourager leurs entreprises à rechercher l'arbitrage de leurs différends auprès des mécanismes actuels.

Le président: Les témoins n'ont pas été avares de leur temps. Je tiens à remercier M. Potter, Lin, le sénateur Austin et M. Brown de leur présence ici aujourd'hui. Leurs propos nous ont été des plus utiles et nous avons beaucoup appris.

Nos prochains témoins sont prêts et le sénateur Carney a accepté d'assumer la présidence pendant la prochaine étape.

La vice-présidente: Nous nous excusons auprès de nos deux témoins, M. Darcy Rezac et M. John Hansen du retard. Toutefois, comme vous le savez, j'en suis persuadée, le groupe précédent nous offrait l'occasion merveilleuse de nous renseigner auprès d'excellents cerveaux de la Colombie-Britannique.

Je vais demander à Darcy Rezac de nous faire son exposé.

M. Darcy Rezac, directeur général, Chambre de commerce de Vancouver: Merci beaucoup, madame la présidente. Pour vous qui n'êtes pas de la Colombie-Britannique, j'aimerais, au nom de mon président, Brandt Louie, président de la Chambre de commerce de Vancouver, vous souhaiter la bienvenue et vous accueillir ici.

Nous sommes la Chambre de commerce de Vancouver. Nous existons depuis environ 110 ans. Ce n'est pas par hasard que notre mission est semblable à l'initiative Asie-Pacifique, c'est-à-dire qu'elle vise à améliorer, promouvoir et faciliter le développement de cette région et en faire le centre du Pacifique du commerce et du tourisme.

La Chambre de commerce de Vancouver a été créée dans le but de reconstruire la ville après sa destruction par le feu en 1887 et nos avons participé à plus ou moins tout ce que vous voyez autour de vous. Nous avons fait connaître nos opinions sur la plupart des grandes questions du jour, y compris la faculté de commerce à l'Université de la Colombie-Britannique. Nous avons participé à la reconstruction après les inondations de 1948 et nous avons aidé à instaurer l'heure normale et l'heure avancée en Colombie-Britannique, et cetera.

Plus récemment, nous sommes probablement mieux connus pour les pressions que nous avons exercées, comme le sait fort bien le sénateur Carney, elle qui a été l'un des principaux responsables de la cession de l'aéroport international de Vancouver et de sa transformation en administration aéroportuaire locale. C'est une initiative qui a été lancée ici en Colombie-Britannique et qui a fait boule de neige ailleurs au pays; c'est ici au centre-ville de Vancouver que l'idée est apparue pour la première fois.

Le 6 décembre 1986, le sénateur Carney et Mme Grace McCarthy de la Colombie-Britannique ont signé un document historique intitulé l'Initiative Asie-Pacifique, qui faisait suite à deux années de consultation avec les dirigeants de nos collectivités sur l'avenir de notre région après l'exposition mondiale de 1986 qui avait connu un tel succès. John Hansen et moi-même avons préparé l'initiative Asie-Pacifique et nous avons pu compter sur deux défenseurs des plus capables au gouvernement fédéral et au gouvernement provincial. Le sénateur comme principale ministre de la Colombie-Britannique et Grace McCarthy ont réuni une équipe de 250 bénévoles pour donner suite à de nombreuses initiatives qui allaient nous aider à définir cette vision et à la concrétiser.

L'élément principal a été l'aéroport international de Vancouver qui est devenu une porte d'accès au continent et une plaque tournante. Parmi les autres initiatives figurait le Centre financier international. Une autre institution qui n'est pas très connue mais qui a remporté des succès remarquables est le Centre maritime international. Il y a eu des initiatives en matière d'immigration, de culture et de tourisme. Tout le monde y a participé, notamment David Lam et des gens comme M. Y. Chan, qui a participé aux travaux de plusieurs comités, qui est membre de notre Chambre de commerce et continue à réaliser ces grands projets.

Je prendrai comme deuxième exemple le Centre maritime international. Vingt et une sociétés étrangères ont déménagé leur siège social en Colombie-Britannique grâce au fait que l'Initiative Asie-Pacifique a réussi à persuader le ministère fédéral des finances que dans cette industrie exposée à la concurrence mondiale, il ne fallait pas imposer les revenus de l'étranger, puisque les dirigeants et les gestionnaires de ces sociétés se trouvaient en Colombie-Britannique. Le ministère en a convenu, l'exemption a été consacrée dans la loi, ou du moins dans les règlements, ce qui a attiré des entreprises, auxquelles nous sommes redevables, je crois, d'environ 800 emplois. Cette initiative n'est pas très connue, malgré son succès remarquable.

L'initiative de l'aéroport a été particulièrement intéressante, car elle nous a donné l'occasion de faire un investissement majeur à l'aéroport, avec la construction d'un nouvel immeuble et d'une nouvelle piste, puis la conclusion d'un nouvel accord bilatéral avec les États-Unis pour faire de cet aéroport une porte d'accès au continent et une plaque tournante. Si on trace un trait partant d'Atlanta, Georgie et Miami jusqu'à Singapour, il passe juste au-dessus de Vancouver. Il va de Vancouver à Séoul avant de redescendre. Nous faisons donc partie de ce grand cercle.

Quel a été le résultat de cette initiative? Dans les trois mois qui ont suivi le transfert de l'aéroport à l'autorité locale, les travaux ont commencé à l'aéroport international. Cette année, on a inauguré le nouveau bâtiment et la nouvelle piste et récemment, un pilote d'Alaska Airlines qui arrivait de San Francisco a décrit l'aéroport à ses passagers en ces termes: «Mesdames et messieurs, bienvenue dans le plus bel aéroport au monde».

En plus de ces installations, nous avons désormais des correspondances. Depuis le début de l'Initiative Asie-Pacifique, nous avons 83 vols par semaine vers les principales destinations asiatiques, y compris Tokyo, Taipei, Séoul, Shanghai, Osaka, Nugoya, Manille, Jakarta, Hong Kong, Beijing et Singapour. En comparaison, notre principal concurrent, Seattle, a 37 vols vers ces destinations et Portland en a 21. Nous avons plus de vols vers l'Asie que Chicago. Nous sommes donc en excellente position.

Il y a un problème dont je voudrais vous faire part, c'est celui des formalités d'arrivée. Comme vous le savez, le gouvernement américain a des agents des douanes et de l'immigration au Canada pour faciliter les formalités d'arrivée des passagers qui se rendent aux États-Unis. Lorsque ces passagers montent à bord d'un avion ici, les formalités sont déjà terminées; ils n'ont pas à se présenter à la douane lorsqu'ils arrivent aux États-Unis. Imaginez les personnes qui arrivent d'Asie à Vancouver et qui prennent une correspondance vers les États-Unis. Actuellement, ils doivent passer à la douane canadienne puis se présenter à la douane américaine. Nous sommes en négociation avec les autorités américaines pour éliminer les formalités de douanes canadiennes. Pour cela, il faudrait une loi, et c'est ce que je voudrais vous demander. Si nous n'obtenons pas gain de cause, Seattle en profitera, je puis vous l'assurer. L'aéroport de Seattle a deux pistes parallèles actuellement, et il exerce des pressions pour en obtenir une troisième. Il a déjà tous les bâtiments nécessaires. Il pourrait nous livrer une concurrence très forte et s'approprier une partie de nos activités commerciales. C'est donc très important pour nous.

L'aéroport de Vancouver représente environ 3 p. 100 du produit intérieur brut de la Colombie-Britannique, et cette proportion est en croissance constante. Il en va à peu près de même pour le port, mais vous allez accueillir cet après-midi des témoins représentant le port et l'aéroport, et je ne veux donc pas en parler davantage.

Par l'intermédiaire de l'Association des centres de commerce international, notre chambre de commerce est en rapport avec des centres de commerce du monde entier. Du fait de notre situation géographique sur le grand cercle du pourtour du Pacifique, nous recevons un grand nombre de visiteurs internationaux et ces dernières années, la chambre de commerce s'est dotée d'un des programmes de conférence les plus remarquables en Amérique du Nord, sinon au monde. Ces dernières années, nous avons accueilli en tant que conférenciers le premier ministre Kai Fu du Japon, Lee Kuan Yew, Corazon Aquino et le premier ministre de la Thaïlande, pour n'en citer que quelques-uns.

Nous avons déposé une marque de commerce sur une série de conférences appelées «Pacific Canada Lectures». La première de ces conférences a été donnée par Lee Kuan Yew en 1992. Nous avons invité le président Clinton, le premier ministre Goh Chok Tom de Singapour, le premier ministre du Japon ainsi que C.H. Tung de Hong Kong à prendre la parole à ces conférences dans le cadre de l'Année Asie-Pacifique qui met l'accent sur les réunions de l'APEC.

Nous collaborons avec le Conseil économique des pays du bassin du Pacifique et avec le Conseil canadien des chefs d'entreprise pour accueillir le sommet des chefs d'entreprise de l'APEC, qui doit se tenir les 22 et 23 novembre, et auquel nous intégrerons les présentations des conférenciers que je viens de citer, s'ils acceptent notre invitation pour cette période. Le premier ministre de Singapour a accepté de venir et prendra la parole à Vancouver lors de son séjour l'automne prochain. Je l'ai rencontré récemment en compagnie de notre président Brandt Louie. Nous nous sommes rendus en mission commerciale en Malaisie et à Singapour, où nous avons assisté au Forum économique mondial de Hong Kong, et nous nous efforçons d'attirer d'autres visiteurs de marque à Vancouver.

La série de conférences Pacific Canada Lectures offre à tout moment une tribune aux visiteurs de marque. Nous n'avons pas besoin d'organiser de déjeuner conférence. Ils peuvent venir à tout moment du jour ou de la nuit pour présenter leur discours que nous diffusons ensuite à la télévision. C'est ainsi qu'au cours des dix dernières années, nous avons été consacrés en tant que partenaires à part entière de l'Asie-Pacifique. Nous sommes membres actifs du Forum économique mondial depuis 1989. Notre président Brandt Louie vient de revenir de Davos. Nous y allons tous les ans depuis 1989 et nous avons envoyé au sommet de Hong Kong du Forum économique mondial une délégation de 12 personnes en octobre dernier; nous allons y retourner.

La discussion que nous avons surprise John et moi ce matin était fascinante. L'attention mondiale se porte vers la Chine, pour des raisons évidentes. Évidemment, nous nous intéressons à la Chine. Les gens de Vancouver s'intéressent essentiellement à Hong Kong. Notre santé économique dépend avant tout de ce qui se passe à Hong Kong et notre prospérité des dernières années vient en grande partie de Hong Kong. C'est donc un partenaire important.

Avec les vols d'avions cargo, nous avons plus de 30 vols par semaine à destination de Hong Kong. Seattle en a quatre. Ces vols sont justifiés par l'intensité des échanges commerciaux dans les deux sens.

Notre chambre de commerce s'intéresse à d'autres régions de l'Asie. Nous nous intéressons beaucoup au Japon. Nous pensons que les Japonais sont d'excellents partenaires commerciaux. Ils payent rubis sur l'ongle, ce sont des gens de parole et ils comprennent le monde des affaires. À condition d'être patient, on peut faire d'excellentes affaires avec eux, et nos résultats commerciaux montrent bien l'importance du Japon dans notre économie.

Par exemple, notre chambre de commerce a établi des relations particulières avec la Chambre de commerce d'Osaka. C'est un organisme semblable au nôtre, mais il est dix fois plus important puisqu'il compte 48 000 membres. Dans un rayon de 50 kilomètres autour du centre-ville d'Osaka, on trouve la région de Kansai, qui comprend Kyoto et Kobe, où vivent 22 millions d'habitants. Le revenu annuel moyen par famille est de 78 000 $ américaine. Le PIB de cette région représente 3 p. 100 du PIB mondial. Dans un rayon de 50 km autour d'Osaka, on trouve 20 p. 100 de l'économie du Japon. C'est donc une partie extrêmement dynamique et très riche de ce pays.

Lorsque j'ai visité pour la première fois cette région il y a trois ans, 600 projets, tous plus importants que le projet de construction aéroportuaire de Vancouver, étaient en cours dans ce rayon de 50 kilomètres. Les Japonais veulent faire affaire avec nous. Un consul général très compétent nous représente dans cette région. Le poste a d'abord été occupé par Margaret Huber et c'est maintenant Peter Campbell qui est maintenant notre consul général. En collaboration avec Wilf Wakely, du Bureau de commerce de la Colombie-Britannique, nous avons établi des liens avec la Chambre de commerce d'Osaka, qui portent maintenant fruit. La Chambre de commerce d'Osaka organise chaque année une foire commerciale, le Congrès annuel sur les débouchés commerciaux mondiaux, à l'intention des petites et moyennes entreprises. Nous y avons envoyé 40 représentants l'an dernier, et nous en enverrons sans doute 60 cette année. C'est le lieu de rencontre des petites des moyennes entreprises. Ce qui distingue cette foire commerciale d'autres foires commerciales destinées aux petites et moyennes entreprises, c'est qu'il faut s'y inscrire six mois à l'avance, ce à quoi, j'ajouterai, les Canadiens ne sont pas habitués. Nous avons tendance à tout faire à la dernière minute. Lorsque nos délégués arrivent sur place, il est déjà prévu qu'ils rencontreront de six à douze personnes. Leur participation à cette foire est donc très fructueuse.

Nous avons évidemment invité des Japonais à nous rendre visite au Canada. Nous leur avons dit qu'il ne suffisait pas que nous allions au Japon, que nous voulions qu'ils viennent voir la Colombie-Britannique. Les chambres de commerce japonaises fonctionnent à peu près comme les chambres de commerce canadiennes, mais elles sont plus rigides. Le président bénévole de la chambre de commerce, issu de la base, reste en poste pendant de nombreuses années. Ce poste attire d'ailleurs les représentants les plus chevronnés du milieu des affaires. Ainsi, le président actuel de la Chambre de commerce d'Osaka, M. Ohnishi, est président de la Société gazière d'Osaka. Une autre chambre de commerce est présidée par le président de la Société Sanyo.

En juin dernier, nous avons invité sept chambres de commerce de la région de Kansai à envoyer des délégués au premier Forum pour entreprises Kansai-Canada tenu à Whistler. Nous avons aussi invité 200 délégués de Winnipeg-Ouest, dont Gary Filmon et Terry Matthews de Newbridge Networks ainsi que David McLean du CN. Au total, plus de 200 personnes se sont réunies pendant une demi-journée à Whistler. Nous espérions attirer 150 participants et nous en avons eu 300.

Nous avons emmené la délégation japonaise à Vancouver où elle a rencontré le ministre du Commerce et où on lui a fait visiter l'école de cinéma de Vancouver. Les Japonais sont émerveillés par notre technologie informatique. Ils ont d'ailleurs fait les éloges de notre technologie lors de la conférence de presse à laquelle ils ont participé à leur retour au Japon. Lorsqu'ils étaient au Canada, ils sont allés à Whistler où Raymond Chan les a accueillis. L'ambassadeur du Canada à Tokyo ainsi que l'ambassadeur du Japon à Ottawa ont participé à ces ateliers intensifs d'une durée d'un jour et demi. Le tout s'est terminé le mercredi par le tournoi de golf de rigueur, la Coupe Kansai-Canada, qui a été un franc succès. Nous nous sommes ensuite tous rendus à Squamish par autobus, et l'une de nos dernières frégates, le NCSM Vancouver, nous a ramenés à Vancouver.

Une réception à bord de la frégate a eu lieu à Place Canada. Le président japonais était à la barre qui faisait des huit au large de la Pointe Atkinson. Ayant fait partie de l'ancienne marine impériale, le président ne se contenait pas de joie. Après la réception à bord, les invités japonais sont allés dîner chez des Canadiens.

Le fait de rencontrer l'élite des milieux d'affaires du monde à Davos, au Forum économique mondial à Hong Kong ou en Malaisie permet de faire du réseautage. En l'occurrence, il s'agissait d'hommes d'affaires de haut niveau dont le président de Kobe Steel et le président de la Société Sanyo. La Colombie-Britannique les a complètement ravis et ils nous ont invités à retourner à Kobe. Le deuxième Forum pour les entreprises Kansai-Canada de l'Ouest aura donc lieu en octobre à Kobe. Gary Filmon y sera accompagné d'une importante délégation du Manitoba. Le gouvernement de la Saskatchewan souhaite également envoyer une délégation commerciale à Kobe. Notre groupe se composera donc de 60 à 80 personnes.

Si je me suis étendu sur le sujet, c'est que les perspectives d'affaires sont énormes. Les Japonais veulent acheter dans ce domaine. La politique étrangère du Japon vise à accroître les importations. Les Japonais ont de l'argent à investir. On nous invite trop souvent à des foires commerciales dans des pays où l'on nous demande d'investir. Nous n'avons pas d'argent à investir. Nous avons une dette de 600 milliards de dollars et ces pays ne semblent pas le savoir.

J'exagère peut-être un peu en disant que nous n'avons pas d'argent à investir. Nous avons en fait de l'argent à investir, mais ce que nous voulons vraiment, ce sont des commandes pour être en mesure de créer des emplois dans le domaine de l'exportation. J'incite donc le comité à ne pas oublier le Japon. Cette région du Japon a un tout nouvel aéroport, ce qui signifie qu'on peut y avoir directement accès. Nous sommes plus près de cette région que de Halifax. La dernière fois, je n'ai mis que sept heures et demie pour revenir chez moi.

On enregistrait l'an dernier au Japon 1,5 million de nouvelles mises en chantier. Il s'agit d'un nombre de mises en chantier plus élevé qu'aux États-Unis malgré le fait que le Japon a une population deux fois mois élevée et les Japonais veulent acheter nos produits de construction car ils aiment les deux par quatre. Il est évidemment nécessaire de construire des logements dans cette région. Il y a deux ans, le grand tremblement de terre d'Hanshin a tué 6 000 personnes, blessé 50 000 autres et détruit 200 000 immeubles. Quelqu'un qui visiterait Kobe aujourd'hui ne saurait cependant pas qu'il y a eu un tremblement de terre de cette ampleur récemment. Il y a bien quelques terrains vides là où il y avait autrefois des immeubles, mais tous les débris sont dans l'océan. On recommence maintenant à construire de nouvelles maisons. Il est évident que les perspectives d'affaires sont énormes dans cette région.

L'an prochain, à cette même époque, l'école de cinéma de Vancouver ouvrira une succursale à Kobe, et ce sera une réalisation qu'il faudrait attribuer à la visite qu'ont effectuée ici les Japonais. La même école ouvrira une succursale en Malaisie l'an prochain également où il y a une véritable explosion des médias. La Malaisie, qui vient de lancer son propre satellite, a maintenant quatre nouvelles chaînes de télévision et le pays se lance à fond de train dans le domaine des multimédias avec ce qu'on appelle là le corridor multimédia.

Certains membres du comité ne savent peut-être pas que Vancouver joue un rôle de chef de file en Amérique du Nord, et dans le monde entier, dans le domaine du cinéma et de la production multimédia. Walt Disney vient d'ouvrir un studio à Vancouver. Notre capacité post-production est déjà impressionnante, comme on a pu le constater dans des films comme The Rainmaker. Nos artistes sont parmi les meilleurs au monde et nous sommes reliés directement par un câble en fibre optique à Hollywood et Silicon Valley. Des gens du monde entier viennent consulter nos experts à Vancouver dans ce domaine et nous commençons à peine à exporter nos compétences.

Voilà certaines des initiatives intéressantes que nous prenons. La chambre de commerce organise plusieurs événements importants notamment dans le cadre de l'APEC. Cette année, notre banquet des gouverneurs annuel aura lieu en l'honneur d'Hong Kong. Nous nous attendons à ce que 800 personnes y participent. Nous espérons aussi organiser de nouveau une visite commerciale en Malaisie. Nous espérons envoyer une délégation à l'ouverture de l'école de cinéma de Vancouver en Malaisie.

Je fais du bénévolat dans la marine canadienne. Je pense qu'on ne peut pas s'imaginer à quel point nos marins sont de bons ambassadeurs du Canada lorsqu'ils visitent des pays du Pacifique, en particulier lorsqu'ils le font à bord de nos nouvelles frégates à la fine pointe de la technologie. Les Japonais ont visité tout le navire lorsqu'ils sont montés à bord du NCSM Vancouver et cette visite a confirmé dans leur esprit le fait que le Canada était un leader dans le domaine de la technologie informatique et de la haute technologie.

Nous accueillerons évidemment des délégations de l'étranger et nous irons nous-mêmes à l'étranger et nous participerons au Forum économique mondial.

John Hansen a quelques remarques à faire au sujet de l'immigration et d'autres questions, mais j'aimerais d'abord signaler qu'au cours des dix dernières années, soit depuis la signature de l'initiative Asie-Pacifique, le nombre de consulats de pays de cette région à Vancouver est passé à 12. Douze consulats et neuf organismes bilatéraux ont donc pignon sur rue à Vancouver. Il y a dix ans, la chambre de commerce était le secrétariat de l'Association des entreprises Hong Kong-Canada. Cette association comptait alors 100 membres. Cette association, qui est maintenant très active, compte de nos jours 600 membres.

M. John Hansen, économiste en chef, Chambre de commerce de Vancouver: La Colombie-Britannique a eu la bonne fortune, ces dernières années, d'accueillir beaucoup d'immigrants provenant de l'étranger ainsi que de Canadiens provenant d'autres provinces. C'est ce qui a vraiment stimulé l'économie de cette province. Dans d'autres parties du Canada, la presse a fait état du dynamisme et de l'économie florissante de la Colombie- Britannique; une bonne part de cette prospérité est due à l'afflux de personnes venant d'autres parties du Canada ainsi que de l'étranger.

En 1995, le Canada a accueilli 210 000 immigrants dont 44 000 se sont installés en Colombie-Britannique. Cela représente 20 p. 100 de l'immigration totale au Canada, ce qui revêt une grande importance pour nous. Le pourcentage des immigrants en provenance d'Asie qui ont décidé de s'installer à Vancouver est encore plus élevé. Parmi les 32 000 immigrants en provenance de Hong Kong qui sont venus au Canada en 1995, 37 p. 100 se sont installés en Colombie-Britannique. La plupart de ceux-ci se sont installés dans la région métropolitaine de Vancouver. Nous avons grandement profité du fait que ces immigrants possédaient des qualités d'entrepreneur ainsi que du fait que, pour des raisons familiales et commerciales, ils continuent d'entretenir des liens avec cette région du monde. Nous espérons qu'ils continueront de le faire à l'avenir.

Maintenant que les économies de l'Alberta et de l'Ontario s'améliorent, moins de Canadiens provenant de ces provinces viennent s'installer en Colombie-Britannique, mais notre province continue d'accueillir un grand nombre d'immigrants de l'étranger.

M. Rezac: À ce sujet, c'est la première fois cette année que plus de gens de la Colombie-Britannique sont partis s'installer en Alberta que l'inverse.

J'attire votre attention sur le fait, honorables sénateurs, que la chambre de commerce a pris position sur la divulgation des actifs détenus à l'étranger. Il s'agit d'une question très importante. Les Canadiens sont tenus, pour le calcul de l'impôt, de déclarer les revenus qu'ils gagnent à l'étranger, et la Chambre de commerce appuie cette politique. Nous nous opposons cependant à la politique qui exige que les Canadiens dévoilent tout ce qu'ils possèdent à l'étranger. On considère peut-être que c'est une question qui ne touche que la Colombie-Britannique et qui ne touche que les immigrants. Ce n'est pas le cas. C'est une question qui touche tous les Canadiens. Quiconque a une maison au lac Memphrémagog ou un condominium en copropriété en Floride, soit tout actif de plus de 100 000 $, est tenu de le déclarer. En fait, le formulaire d'impôt actuel demande qu'on énumère tous les actifs détenus à l'étranger qui valent plus de 100 000 $. Les formulaires sont complexes. Les renseignements qu'on demande aux gens de divulguer sont très complexes. Voici quelle est notre préoccupation à cet égard. Le gouvernement nous a assurés qu'il ne comptait pas imposer un impôt sur la fortune sur les actifs détenus à l'étranger -- et nous le croyons -- mais une fois que l'inventaire de ces biens existera, il sera facile à un gouvernement subséquent d'adopter cette mesure qui compromettrait l'immigration ainsi que les investissements au Canada.

À notre avis, les vérifications aléatoires que le gouvernement mène actuellement suffisent. C'est à ce moment que les vérificateurs devraient établir si les actifs que certaines personnes détiennent à l'étranger génèrent des revenus. S'il existait un inventaire des biens détenus à l'étranger, il serait très tentant pour les gouvernements qui cherchent à équilibrer leurs budgets d'imposer à un moment donné une taxe sur la richesse. Je demanderai à M. Hansen de vous citer l'expression qu'a utilisée notre président.

M. Hansen: Le modèle qu'on cite est celui de la pêche au filet dérivant. C'est comme si on étendait un énorme filet pour attraper les fraudeurs et qu'on attrapait beaucoup de contribuables canadiens qui devront inutilement remplir ces formulaires et fournir ces renseignements.

M. Rezac: Ce qui nous inquiète, c'est la possibilité qu'une taxe soit imposée plus tard. Nous avons eu une mauvaise expérience dans cette province. Le sénateur Carney et le sénateur Perrault s'en souviendront; c'était il y a quatre ans, si je ne m'abuse, que le ministre des Finances de la province a imposé une taxe punitive sur la fortune à tout domicile évalué à plus de 400 000 $.

La vice-présidente: Il est maintenant premier ministre.

M. Rezac: Exactement, il est maintenant premier ministre. En passant, aurait-il accès à cette base de données ou non? C'est une question à poser.

La Chambre de commerce a réagi en achetant une annonce d'une page entière dans le Vancouver Sun et le Province qui disait: «si vous êtes furieux et que vous n'en pouvez plus, joignez-vous à la Chambre de commerce; nous envoyons un message au premier ministre». Les gens ont rédigé leurs messages et les ont envoyés. Nous avions demandé une contribution volontaire, car nous n'avions pas de budget pour payer l'annonce de 25 000 $. Nous avons reçu 1 500 réponses tout de suite et nous avons ramassé 24 900 $ pour payer l'annonce. C'était à l'époque du sommet Clinton-Eltsine.

Nous avons fait parvenir des télécopies au premier ministre avec notre message. Le premier ministre a renvoyé le ministre des Finances une semaine plus tard, le public était si outré. Le ministre ne s'était pas rendu compte que le premier ministre de l'époque, M. Harcourt, était également mêlé à cela et que ses impôts allaient augmenter de façon dramatique.

Donc, nous avons des craintes particulières dans cette collectivité au sujet de cet impôt sur la fortune. C'est la nature de nos préoccupations quant à cet inventaire des avoirs étrangers, car la plupart des gens en Colombie-Britannique qui font partie de la classe moyenne ont une propriété de l'autre côté de la frontière ou d'autres biens comme des bijoux. Ils vont à Hong Kong et reçoivent des invités, ils laissent ces bijoux dans un coffre-fort là-bas, et je suis convaincu que la plupart d'entre eux se sentiront vexés d'être obligés d'inscrire cette information sur une liste et de voir le gouvernement s'en mêler.

M. Hansen: Je suis certain que le maire Owen en parlera cet après-midi, donc on en parlera davantage.

La vice-présidente: J'aimerais dire à mes collègues du Sénat que nous avons devant ce comité de très bons exemples de l'énergie qui motive le secteur privé ici en Colombie-Britannique. La Chambre de commerce a fourni un leadership dynamique et innovateur. Certains exemples vous ont été décrits. Je suis content qu'ils soient venus le dire pour les fins du compte rendu.

Messieurs, j'aimerais préciser quelque chose pour nos sténographes. Vous avez parlé de M. David McLean du CN. Vouliez-vous dire du CP?

M. Rezac: Non, David McLean, président de la Société des chemins de fer Canadien National.

La vice-présidente: Vous avez dit qu'on avait besoin d'une loi sur le prédédouanement. Comme nous élaborons des lois, pouvez-vous préciser la nature de cette loi?

M. Rezac: Selon ce que j'ai compris, le Canada devra déléguer des pouvoirs pour les fouilles aux agents de douanes américains pour qu'ils puissent dédouaner les gens qui arrivent au Canada et dont la destination est les États-Unis. C'est ma compréhension de la chose.

La vice-présidente: Merci. Nous attendrons cette loi.

Sénateur Perrault: J'aimerais féliciter M. Rezac et ses collègues pour le bon travail qu'ils font au Canada et surtout en Colombie-Britannique. Il est exceptionnel. Comment va la bataille que nous menons depuis plusieurs années sur les barrières non tarifaires? Pendant un certain temps, les Japonais refusaient de laisser entrer le bois de la Colombie-Britannique en raison d'un détail technique parce qu'il y avait un nématode mystère quelconque. Faisons-nous des progrès? Est-ce que certaines barrières ont été éliminées? Est-ce que vos membres ont un accès plus libre?

M. Rezac: Notre ambassade, surtout Don Campbell et son personnel, et nos consulats au Japon ont fait un excellent travail. Pour la première fois, par exemple, on me dit que les tomates de serre de l'Ontario auront accès au marché japonais, et j'espère que ce sera ensuite le tour des tomates de serre de la Colombie-Britannique. Donc, on fait des progrès. C'est plus lent que nous l'espérions; il ne s'agit pas des barrières tarifaires, mais des barrières non tarifaires.

Le sénateur Perrault: Mais c'est tout aussi nuisible que des barrières tarifaires à plein tarif, n'est-ce pas?

M. Rezac: Oui, mais je constate que cela change. Je remettrai au comité une liste des délégués du forum commercial Kansai-Ouest du Canada. Des cadres supérieurs comme ceux des sociétés Marubeni et Mitsubishi, qui participent à ce projet Kansai-Ouest du Canada, peuvent grandement influencer l'action des pouvoirs publics au Japon. Nous pensions reprendre ce projet tous les deux ans. Maintenant, on veut en faire un événement annuel, une année au Japon, l'année suivante ici. Nous pensons que les progrès réalisés jusqu'à maintenant continueront.

À l'heure actuelle, des centaines de Canadiens sont au Japon et construisent des maisons. Les normes de construction devront changer.

Le sénateur Perrault: Ces nouvelles constructions sont faites avec des deux par quatre?

M. Rezac: C'est exact. Les logements construits avec des deux par quatre ont résisté au tremblement de terre alors que les maisons japonaises traditionnelles, avec leurs lourds toits en tuile, se sont effondrées. La plupart des gens qui ont été tués étaient dans de telles maisons. Nous faisons donc des progrès bien réels. Plus tôt cette semaine, j'étais à Winnipeg. Au centre-ville de Winnipeg, on peut voir une maison destinée à l'exportation conçue pour le Japon. Ce projet est profitable pour tout l'Ouest canadien. Nous espérons que plus tard cette initiative Kansai-Ouest du Canada se transformera en initiative Kansai-Canada.

Le sénateur Perrault: La tragédie de Kobe pourrait ouvrir de bons débouchés pour les constructeurs canadiens.

M. Rezac: C'est déjà le cas. Des entrepreneurs envoient régulièrement au Japon des matériaux de construction en conteneurs.

Le sénateur Perrault: Je crois savoir qu'à ses débuts, le nouvel aéroport était débordé et qu'il y avait des retards dans l'expédition des bagages, et ce, dès le jour de son ouverture. On est en train d'y ajouter de nouvelles travées.

M. Rezac: Le nouveau terminal de Vancouver est déjà utilisé à pleine capacité et des travaux sont en cours pour agrandir l'aéroport.

Le sénateur Perrault: On ajoutera 14 nouvelles travées?

M. Rezac: Oui.

Le sénateur Bacon: Puisque je suis présidente du comité des transports et des communications, j'ai été très intéressée par vos propos. Nous étions ici en décembre pour étudier la sécurité des transports; nous avons visité l'aéroport et je vous avoue avoir été très impressionnée par les services de sécurité de l'aéroport. C'est avec plaisir que j'ai payé les 10 $ pour partir. À votre avis, quelle mesure législative devrait-on adopter pour aider Vancouver à conserver son influx de visiteurs et éviter que ceux-ci passent par Seattle?

M. Rezac: Eh bien, nous aimerions, par exemple, que le gouvernement, et par cela j'entends le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial, n'impose pas de taxe sur le carburéacteur. Au cours des dernières années, les gouvernements se sont ingérés dans cette question de la taxe sur le carburéacteur. Par suite des problèmes qu'on a eus avec les lignes aériennes Canadien international, les gouvernements provinciaux de l'Alberta et de la Colombie-Britannique ont déclaré qu'ils envisageaient d'appliquer une telle taxe. Nous travaillons dans un secteur très concurrentiel et il s'en faudrait de peu que tous ces visiteurs qui mettent pied ici sur le continent décident de passer au lieu par Seattle. À l'heure actuelle, la concurrence est féroce.

Je tiens à signaler que, parce qu'il ne gère plus l'aéroport, le gouvernement fédéral a environ 40 millions de dollars de plus dans ses coffres. Les 500 millions de dollars qui ont servi à la construction n'ont pas été ajoutés à la dette fédérale. Cet argent ne fait pas partie de la dette fédérale de 600 milliards de dollars et cette somme n'est pas non plus garantie par le gouvernement fédéral. Je dois avouer que le financement de ce projet était peut-être un peu scandaleux. Nous avons réussi à imposer un péage sur un pont qui n'était pas encore construit. Je ne sais pas s'il existe des précédents dans ce domaine de politique publique, mais cela a été accepté et c'était la seule façon de pouvoir entreprendre ces travaux de construction; comme vous l'avez dit, les voyageurs l'ont bien accepté.

Il y a donc d'une part cette question de la taxe sur le carburéacteur. D'autre part, on pourrait également prendre des mesures pour faciliter les formalités douanières et le dédouanement préalable.

Comme le sénateur Carney et le sénateur Perrault le savent, la chambre de commerce a également participé à l'application du programme PACE à la frontière. Lorsque Larry Bell était notre président, nous nous sommes rendus à Ottawa et à Washington, D.C., pour le réclamer. Les deux gouvernements ont accepté de mettre à l'essai ce programme à la frontière au moyen d'autocollants et de dédouanement préalable pour les passages en douane et les infractions criminelles. Les gens n'avaient plus à s'arrêter pour traverser la frontière. Le programme CanPass en a découlé et est maintenant appliqué dans tout le Canada.

Au bout du compte, nous aimerions avoir une vraie présélection et une autorisation qui soit bonne pour tout le continent pour que l'accès dans les deux sens par la frontière soit meilleur. Il faudrait une carte d'identité spéciale, sinon un passeport, mais je ne crois pas qu'un passeport serait nécessaire; ce serait une sorte de carte PACE. Il serait très utile de réduire les délais causés par Douanes et Immigration.

Le sénateur Bacon: Auriez-vous besoin de la coopération des lignes aériennes?

M. Rezac: Oui, si ce sont les douanes américaines qui donnent l'autorisation pour le Canada et les États-Unis lorsqu'ils se servent de Vancouver comme porte d'entrée et comme centre; on me dit que les États-Unis veulent avoir accès à la liste des passagers avant l'atterrissage de l'avion.

Un des rares problèmes à Vancouver, c'est que la Charte des droits confère un statut à tout le monde au Canada, quelle que soit leur origine. Avant la Charte des droits, les réfugiés et les autres ne pouvaient pas tout simplement venir et obtenir le statut de réfugié, ils devaient faire une demande de l'extérieur du Canada. Il y a maintenant un problème avec les gens qui montent dans l'avion, montrent leurs documents au personnel de l'avion, et jettent leurs documents à la toilette, et ensuite demandent un statut de réfugié à leur arrivée ici. Nous avons des problèmes avec cela. Il y a des choses que nous pouvions faire avant que nous ne pouvons plus faire.

Le sénateur Stollery: Qu'utilisent-ils au Japon, s'ils ne se servent pas de deux par quatre?

M. Hansen: Ils utilisent différentes grandeurs de matériaux de construction; il y en a qui sont des deux par quatre, d'autres qui sont de tailles différentes. La construction traditionnelle au Japon est la construction à poteaux et à poutres, où on utilise un poteau avec des poutres posées par-dessus les poteaux, contrairement à la construction à ossature en bois que nous employons ici, et pour laquelle nous utilisons des deux par quatre pour construire les murs.

Le sénateur Stollery: Donc ils ne se servent pas de montants?

M. Hansen: Ils commencent à utiliser des montants. Il y a une école japonaise de charpenterie à Vancouver et quelque 100 menuisiers viennent ici chaque année pour apprendre les techniques de construction dont on se sert ici; ensuite, ils retournent au Japon avec ces techniques et s'en servent. Il s'agit d'un domaine d'exportation fort intéressant.

Le sénateur Stollery: J'ai entendu parler de l'adoption de normes japonaises pour l'utilisation des deux par quatre et je n'ai jamais tout à fait compris ce que cela voulait dire.

La vice-présidente: Au cours des années, il y a eu beaucoup d'articles dans les journaux à propos du port de Vancouver et de la fiabilité du port pour l'envoi efficace de marchandises lourdes, surtout le blé. On en a parlé aux nouvelles récemment. Je ne sais pas si vous êtes les mieux placés pour répondre à la question, mais s'il y a un vrai problème, quelle en est la cause? Quelle est la cause du problème dans l'envoi du blé jusqu'au port et du port jusqu'au navire?

M. Hansen: Peut-être que je pourrais faire quelques commentaires. Ce n'est pas un problème simple, à solution simple. Par exemple, à cause du temps qu'il a fait récemment, les trains de blé ont eu beaucoup de mal à se rendre jusqu'au port. Évidemment, il s'agit d'un problème temporaire, mais il y a d'autres problèmes qui sont vraiment inquiétants, par exemple la façon dont le blé est envoyé et ensuite trié et nettoyé au port. Il existe un projet pour modifier tout le processus de nettoyage pour que différentes sortes de céréales ne soient pas traitées dans un même terminal; une sorte de céréale serait traitée dans un terminal et une autre sorte serait traitée dans un autre terminal. Actuellement, pour avoir une pleine cargaison de céréales, les navires doivent souvent changer de terminal. Chaque fois qu'ils changent de terminal, cela prend du temps, ils ont besoin de pilotes et d'être remorqués. Cela entraîne beaucoup de problèmes.

De façon plus générale, notre organisme s'active beaucoup depuis quelques années pour qu'il y ait restructuration des ports. Le projet de loi C-44 dont est saisi le Parlement à l'heure actuelle, contribuera à faire un grand pas dans la bonne direction pour donner aux ports régionaux, aux principaux ports, la liberté de gérer leurs propres affaires sans avoir à obtenir l'autorisation du Conseil du Trésor ou de la Société canadienne des ports avant d'agir.

Le capitaine Stark vous entretiendra plus précisément de ce genre de questions cet après-midi. Il vous en dira plus long. Nous voudrions que les ports aient un régime semblable à celui qui a été adopté pour les aéroports, ce qui permettrait de trouver du financement auprès du secteur privé, de réagir rapidement aux besoins du marché, des transporteurs et des usagers du port et de travailler plus efficacement avec les communautés locales.

La vice-présidente: Vous semblez dire -- et c'est probablement votre intention de le faire -- que les problèmes actuels concernant les expéditions de blé ne sont pas imputables aux sociétés de chemin de fer; il ne s'agit pas d'une question de mauvaise gestion, et vous avez parlé des conditions météorologiques. Ma conclusion est-elle la bonne?

M. Hansen: En effet.

Le sénateur Andreychuk: À la décharge du ministre de l'Agriculture, il a eu tout à fait raison de dire hier ou avant-hier qu'il aurait un petit entretien avec les sociétés ferroviaires. Les conditions météorologiques nous causent des problèmes au mois de janvier depuis toujours et cela ne peut donc pas être la seule explication. On maque tout simplement de wagons couverts au moment où il en faudrait pour transporter le blé qui est donc immobilisé là où il se trouve. Je crois même que cela a été dit aux nouvelles nationales. C'est donc une question de transport par rail, des promesses faites par les chemins de fer et de traitement prioritaire ou non qu'ils accordent au transport du blé. Vous ne pouvez pas prétendre que les conditions météorologiques en sont la cause parce qu'elles ont beaucoup varié, ces conditions. Je crois que le ministre a eu raison de dire que ce n'était pas là la seule et unique raison et qu'il va étudier toute la question.

Je me permets de vous relancer. Le problème du transport ferroviaire revient toujours au problème des wagons couverts, et c'est là une partie du problème, je vous le concède, mais la modernisation des ports et leurs besoins immédiats sont d'une priorité absolue si Vancouver doit servir de port, non seulement pour le transport du grain, mais aussi pour faire transiter les produits de nombreux petits manufacturiers par Vancouver parce que les gens des Prairies me disent qu'ils vont peut-être transporter leur blé par camion jusqu'à Seattle si les choses ne s'améliorent pas ici. Je suis heureuse de voir que cette question se trouve sur la liste de vos préoccupations.

M. Rezac: Ou ils le feront transporter par train jusqu'à Seattle. Il est question d'un port en eau profonde à Cherry Point qui servira peut-être au transbordement du charbon. La disparition du tarif du Nid-de-Corbeau signifie que nous n'avons plus rien de spécial à offrir. D'autres choix se présentent maintenant; vous avez tout à fait raison.

La vice-présidente: Deux questions en terminant: d'abord, la coopération et le secteur privé et ensuite, Hong Kong et les répercussions sur Vancouver. Nous avons beaucoup entendu parler du succès qu'a connu l'Équipe Canada au niveau des relations d'un gouvernement central à l'autre, et vous nous avez expliqué comment, au niveau interne, l'initiative Asie-Pacifique entreprise par le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial a créé énormément d'activité, ce qui a entraîné certains changements qui ont porté des fruits, y compris l'aéroport et le centre maritime. Ce genre de choses ne se fait pas beaucoup ailleurs au pays. Pourrait-on améliorer la situation? Il est évident que le secteur privé doit jouer un rôle dans nos relations avec l'Asie. D'après votre expérience, que pourrait-on faire pour encourager ce genre de collaboration entre les secteurs public et privé?

M. Rezac: Je crois que l'initiative Asie-Pacifique a connu ce succès parce que le gouvernement n'y a pas investi beaucoup d'argent.

La vice-présidente: Deux millions de dollars.

M. Rezac: Oui. Des broutilles, mais le secteur privé et d'autres encore y ont participé. Personnellement, je ne crois pas que cela vaille la peine de faire cela ici. Nous avons très bien organisé nos rapports avec l'Asie et grâce aux nouveaux aéroports, aux nouveaux accords aériens bilatéraux, sans oublier le formidable travail abattu par les organismes bilatéraux ici et le travail effectué par le sénateur Austin, le sénateur Carney et d'autres, nous n'avons qu'à continuer sur cette lancée et en faire encore davantage.

J'incite le gouvernement à étudier la formule de l'initiative Asie-Pacifique avec d'autres provinces. Vous vous y connaissez peut-être mieux que moi, mais je sais que le Manitoba s'intéresse de très près au Japon et, à cause du facteur géographique, le Manitoba a besoin de toute l'aide qu'on puisse lui offrir, mais le jeu en vaut la chandelle au niveau des exportations. Je crois qu'on pourrait passer à un accord de coopération fédéral-provincial à peu de frais avec le Manitoba et peut-être même avec la Saskatchewan parce que ces provinces s'intéressent sérieusement au Japon et à l'Asie. Je n'ai pas encore rencontré les représentants provinciaux de l'Alberta, mais je sais qu'il existe un accord de jumelage avec Sapporo et cette région du Japon.

Pour ce qui est de la Colombie-Britannique, c'est difficile. Nous ne sommes pas sûrs que notre premier ministre provincial comprenne l'importance du commerce parce qu'il a totalement démantelé son ministère du commerce. Il n'a fait subir ce traitement à aucun autre ministère provincial, mais il a démantelé ce ministère à une époque où les échanges commerciaux de la Colombie-Britannique baissent de 8 p. 100 chaque année; de plus, notre taux de chômage est élevé et les investissements ne sont pas élevés ou accusent une chute.

Madame, je ne sais pas si l'on entretient beaucoup d'espoir au niveau provincial ici, mais je crois que nos gens d'affaires pourront quand même s'en tirer. J'encourage cependant ceux de l'Ontario et du Québec, puisque c'est maintenant l'année de l'Asie-Pacifique, à participer à tout exercice qui ressemblerait à l'initiative Asie-Pacifique et qui ne coûte pas cher. La Fondation Asie-Pacifique a beaucoup d'expérience dans ce domaine et pourrait leur servir de modèle. Les membres de la fondation sont très occupés cette année mais pourraient certainement offrir un suivi.

La vice-présidente: Est-ce que la chambre de commerce a fait des études sur les répercussions que la cession de Hong Kong à la Chine pourrait avoir sur Vancouver et la Colombie-Britannique? Avez-vous fait une analyse des répercussions négatives ou positives?

M. Rezac: Non, mais d'après le consensus dégagé dans nos rangs, c'est le monde des affaires qui est le moteur de l'économie à Hong Kong et cela ne changera pas. Franchement, il y a beaucoup d'optimisme dans nos rangs pour ce qui est de la santé de l'économie de Hong Kong après la cession. Cette question ne nous préoccupe pas.

La séance est levée.


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