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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 26 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 19 mars 1997

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères et le comité des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes se réunissent aujourd'hui à 15 h 30 pour tenir des discussions avec le Comité mixte des affaires européennes du Parlement de l'Irlande.

Le sénateur John B. Stewart et M. Bill Graham (coprésidents ) occupent le fauteuil.

[Traduction]

Le coprésident (le sénateur Stewart): Mesdames et messieurs les sénateurs, au milieu de notre horaire ordinaire normalement très chargé, nous faisons aujourd'hui relâche. Nous accueillons en effet le président du comité des affaires étrangères de la Chambre des communes accompagné de députés.

Nous recevons également une délégation du Parlement d'Irlande: le président du comité mixte des affaires étrangères, M. Michael Ferris, M. David Andrews, M. John Browne, le sénateur Michael Calnan, M. Liam Canniffe, M. Noel Davern ainsi que le sénateur Joe O'Toole.

Monsieur Graham, l'an dernier, le comité sénatorial permanent des affaires étrangères a effectué une étude poussée des rapports du Canada avec l'Union européenne. Nous nous sommes rendus dans plusieurs capitales européennes, dont Dublin. Nous avons été ravis de l'excellente réunion que nous avons eue là-bas et nous avons tous conclu qu'il serait avantageux et salutaire de maintenir d'excellents rapports d'amitié avec les parlementaires irlandais.

Hormis le fait que beaucoup d'Irlandais sont venus s'établir au Canada, il existe entre nos deux pays une similitude de structures. Le Canada, par exemple, a un immense voisin. Nous nous entendons très bien avec lui, mais nous aimons maintenir notre identité distincte. J'imagine que la population irlandaise dirait que ses rapports avec un ou plusieurs de ses voisins sont de nature analogue quoique, à l'occasion, d'une nature moins amicale. Nous sommes donc en présence de deux pays qui se trouvent aux côtés de voisins au poids considérable. Cela signifie que beaucoup des problèmes que nous connaissons sont apparentés. J'ai aussi constaté que nous pouvons discuter avec la plus grande franchise avec nos homologues du Parlement de l'Irlande.

Cet après-midi, j'ai pensé que nous pourrions mutuellement nous poser des questions sur des points qui intéressent nos populations et qui sont actuellement à l'avant-scène de l'actualité, si ça vous convient.

Le coprésident (M. Graham): Volontiers.

Le coprésident (le sénateur Stewart): J'inviterais le président de la délégation du Parlement de l'Irlande à dire quelques mots, histoire de mettre en train la discussion.

M. Michael Ferris, président, Affaires européennes: Merci beaucoup, monsieur le président. Je constate qu'il s'agit ici d'une occasion tout à fait spéciale puisque nous avons le privilège de siéger en comité en compagnie de deux présidents, l'un du Sénat et l'autre de la Chambre des communes. Notre délégation est elle aussi composée de parlementaires des deux Chambres puisque notre comité est organisé de manière à faciliter les échanges entre le D<#00E1>il et le Sénat.

C'est un privilège pour nous de venir ici, puisque c'est l'occasion de refaire connaissance avec vous et de poursuivre le dialogue interparlementaire entre nous, ainsi que le définit le Plan d'action lorsqu'il parle des rapports de peuple à peuple. Il est important pour nous, en tant que parlementaires qui proposeront des lois ou qui participeront, par l'intermédiaire du Conseil des ministres et de la commission comme membres de l'Union, de mettre en oeuvre, nous l'espérons, le plan d'action que notre gouvernement, occupant la présidence de l'Union, s'est vu confier lors du sommet de Dublin. Nous espérons que le Plan d'action, maintenant en place, sera mis en oeuvre dans les nombreux domaines qui ont déjà fait l'objet de discussions. Des membres de mon comité voudront sans tarder étoffer ces idées et ces principes.

Comme vous l'avez dit, des liens solides unissent nos deux pays: l'amitié, la compréhension et le désir de s'entraider. Petit pays en périphérie de l'Europe, nous sommes néanmoins un membre très influent de l'Union européenne. Nous sommes un pays neutre et indépendant sous bien des rapports, mais nous tenons à apporter une contribution à l'entreprise du maintien de la paix. Notre peuple connaît des difficultés, puisque nous habitons une île divisée, mais nous collaborons avec nos collègues du gouvernement britannique pour instaurer la paix de manière à entretenir un dialogue le plus tôt possible à la condition que nous puissions établir un cessez-le-feu. L'expert dans le domaine est M. Andrews, lui qui a déjà occupé le poste de ministre des Affaires étrangères. Il voudra sans doute vous en parler.

En ce qui concerne les rapports commerciaux, beaucoup d'entreprises canadiennes commercent avec beaucoup de succès avec l'Irlande, et nous les accueillons à bras ouverts. Elles tirent avantage de notre régime fiscal, mais je crois également que leur présence a été bénéfique pour nous. Vous avez une vision à long terme et l'expérience a été positive. C'est une réalité que nous voulons encourager et c'est pourquoi il existe des mécanismes réciproques dans ce domaine également.

Le domaine de l'enseignement a également été mis en exergue dans le Plan d'action et c'est un domaine où nous voulons réaliser des progrès. Le spécialiste dans le domaine est le sénateur Joe O'Toole, mais la délégation compte également des enseignants de formation ainsi que des hommes politiques de carrière. Il s'agit en majorité d'hommes politiques, mais qui ont appris au cours de leur carrière à mettre à contribution leur savoir.

Sans vouloir trop m'étendre, je dirai que notre vision des choses et nos perceptions sont souvent semblables. Espérons que ce sera longtemps le cas. Notre présidente est censée venir au Canada, à un moment qui dépendra de la tenue des élections ici et au pays. C'est d'ailleurs elle qui a signé en décembre dernier le Plan d'action au nom de l'Union européenne, à titre de présidente de l'Union. Nous avons beaucoup contribué à l'élaboration de ce plan. À titre de membre de la troïka, nous nous sommes également engagés à concrétiser ce plan sous la présidence des Pays-Bas.

Quant à notre comité, il continuera de participer aux travaux du groupe COSAC des Comités des affaires européennes et au Comité du Parlement européen dans la préparation des lois en consultation avec le conseil des ministres, grâce à l'accès direct dont nous bénéficions avec eux dans chaque Parlement national. Nous tenons à nous assurer que tous les projets de loi dans ce domaine, avant qu'ils ne soient adoptés, font l'objet de débats par nous-mêmes au nom du Parlement. Nous sommes sensibles au dilemme des parlementaires qui se sentent distancés du centre de pouvoir et de prise de décisions. Nous espérons combler ce déficit démocratique par nos consultations avec les membres du conseil des ministres.

J'espère que nous aurons des échanges riches et vifs, aussi vifs que ceux que nous avons vus à la période des questions et qui, je crois, ont impressionné tous les membres de ma délégation. Tous ont vraiment pris plaisir à cet échange de vues spontané. Nous avons bien senti que le Canada est vigoureux et démocratique, il ne craint pas de s'exprimer, de part et d'autre de la Chambre.

Le coprésident (M. Graham): C'est un grand privilège pour moi d'être ici. J'ai toujours plaisir à participer aux réunions mixtes avec le Sénat puisqu'il s'agit ici d'une des plus belles salles de l'hôtel du Parlement. C'est toujours un privilège que d'y être invité. Je vous remercie beaucoup, sénateur Stewart. C'est l'occasion idéale d'en profiter pour rencontrer la délégation.

Si je suis particulièrement heureux de faire la connaissance de nos collègues du D<#00E1>il, il y a des raisons à la fois politiques et personnelles à cela. Les raisons politiques sont que, à mon avis, nous avons beaucoup à apprendre de l'Union européenne. Pour notre part, il y a ici l'ALÉNA, les problèmes d'intégration économique et nous venons de signer l'Accord de libre-échange avec le Chili. Auparavant, nous avons signé un accord semblable avec Israël.

Vous avez parlé du Plan d'action entre l'Union européenne et nous-mêmes. Ceux d'entre nous qui ont participé aux négociations de l'OMC savent qu'un irrésistible processus d'intégration économique est en marche et c'est avec beaucoup d'intérêt que nous observons l'Europe traiter de la dimension politique de cette intégration. Divers membres de notre comité ont eu l'occasion de se rendre en Allemagne en novembre et ont rencontré des représentants allemands du Comité de la Communauté européenne. J'ai trouvé très intéressant le fait qu'on trouve dans leur groupe non seulement des représentants du Parlement fédéral mais également des représentants des Länders. Nous avons été très impressionnés par l'ampleur de leur programme de travail.

Il va sans dire que vu la rapidité de l'intégration économique et politique de l'Europe, votre comité doit avoir beaucoup de besogne à abattre. Quand on voit le nombre de directives et de règlements qui tombent de Bruxelles, vos comités doivent être surchargés de travail. Il sera intéressant pour nous de voir quels enseignements nous pourrons tirer et dans quelle mesure ils peuvent s'appliquer à nous, dans le cadre de l'ALÉNA.

Je m'empresse de féliciter le Sénat pour le rapport qu'il a produit sur l'Union européenne. Il nous a été d'une grande utilité.

Je tiens également à exprimer toute notre reconnaissance aux représentants irlandais pour l'aide qu'ils ont apportée à l'adoption du Plan d'action. Nous avions nourri certaines inquiétudes à cet égard, comme vous vous en souviendrez. Nous avions eu un léger désaccord avec l'un des pays de l'Union européenne à propos d'un peu de poisson, ce qui a semblé ralentir le processus. Toutefois, nous savons que le gouvernement et les parlementaires irlandais n'ont rien négligé pour favoriser l'adoption de cet important Plan d'action. Acceptez toute ma gratitude.

La raison personnelle pour laquelle je suis ravi de vous accueillir c'est que si je suis moi-même en partie Irlandais, mon épouse, elle, est Irlandaise à 100 p. 100 et ancienne présidente du Ireland Fund of Canada. Beaucoup de liens personnels nous lient à l'Irlande. Ce pays a toujours été une partie importante de notre famille et de notre parentèle. L'un des plus grands moments de la vie de mon épouse fut lorsqu'elle a fait office de massier au moment où la présidente de l'Irlande, Mary Robinson, a reçu un diplôme honorifique de l'Université de Toronto. Mon épouse en a tiré une grande fierté. J'en ai moi conçu la plus grande inquiétude car je venais à ce moment-là d'être élu député. Après le discours de votre présidente, le recteur de l'université s'est tourné vers moi et m'a dit: «Si jamais elle revient, je vais lui offrir votre poste.» Il m'aurait donc ainsi enlevé ma chaire de droit européen, de droit de la Communauté européenne et de droit commercial à l'Université de Toronto! Maintenant que j'ai entendu votre présidente, j'espère que l'ONU lui offrira vite un poste avant que le recteur essaie de la rafler.

Je vous remercie beaucoup d'être venus. Nous attendons avec impatience d'avoir des discussions avec vous.

Le coprésident (le sénateur Stewart): Je pourrais peut-être commencer par parler du Plan d'action. C'est un document volumineux et très diversifié dont toutes les questions ne peuvent pas être prioritaires. En ce qui concerne le Canada et l'Irlande, qu'est-ce qui devrait être le plus important selon vous?

M. Ferris: En Irlande, nous avons tendance à privilégier ce qui est réalisable dans l'immédiat. Les éléments réalisables du plan devraient être mis en place le plus rapidement possible pour que la population voie que nos intentions sont sérieuses. Autrement dit, il faut faire preuve d'ingéniosité, de compréhension et de bonne volonté de part et d'autre.

Je sais qu'en Irlande les enseignants s'intéressent beaucoup à ce plan. Je vais demander au sénateur O'Toole de vous en parler. Nos universités sont parmi les meilleures au monde. L'Université Trinity est sans doute la plus célèbre.

Le sénateur Joe O'Toole: Il y a une ou deux choses qui devraient être faites à mon avis. Ce qui me semble le plus immédiat dans le Plan d'action, c'est la mention dans le Plan d'action des rapports de peuple à peuple. Le danger avec ce genre de plan c'est que des gens se demandent trop longtemps comment il pourrait être mis en oeuvre et comment l'on pourrait réaliser le plus de choses possible. Moi je pense qu'il faut commencer par les choses les plus simples. Voyez d'abord combien il est difficile pour vous de vous rendre en Irlande et pour nous de nous rendre au Canada.

Nous reculons dans ce dossier. Dans le cas de Grosse-Île, nous commémorons l'arrivée de gens qui sont venus directement d'Irlande. Or, la plupart des Irlandais n'ont jamais entendu parler de Grosse-Île, même s'ils ont tous entendu parler de Ellis Island. Pourquoi? C'est là qu'il faut commencer.

Chaque année, quelque 60 000 Canadiens vont passer leurs vacances en Irlande. La situation est sans doute semblable en sens inverse. Les deux pays ont une compagnie aérienne nationale et si 2 000 ou 3 000 personnes par semaine voyagent dans les deux sens, pourquoi n'y a-t-il pas de liaisons régulières? Les politiciens que nous sommes doivent monter une campagne de pression pour obtenir ce genre de service, sans quoi nous y perdons tous s'il faut passer par les États-Unis pour se rendre au Canada. Il en va de même pour les Canadiens qui doivent se rendre d'abord au Royaume-Uni pour aller en Irlande. Cela nous ramène à nouveau au thème de la proximité du Grand Frère. Pour communiquer, il faut pouvoir établir facilement le contact. Cela soulève aussi un grand nombre de questions relatives à la diaspora.

Je suis au Canada depuis une semaine et j'ai rencontré beaucoup de Canadiens. Je suis allé à beaucoup d'endroits. J'ai eu un long entretien avec votre vice-première ministre plus tôt cette semaine à propos de la mise sur pied éventuelle d'un programme d'échanges scolaires. Nous étions réunis pour inaugurer un monument aux immigrants à Hamilton. Moi-même, et mes collègues sans doute, nous inquiétons de l'image de l'Irlande qui est véhiculée au Canada. Ici, on célèbre la Saint-Patrick en consommant de la bière verte. Personne en Irlande ne boirait jamais de la bière verte!

Il y a bien une musique et une langue irlandaises, mais aujourd'hui la culture irlandaise c'est Seamus Heaney, U2, Van Morrison et Sinéad O'Connor, tout autant que les grands moments culturels qui ont ponctué notre histoire. Nous n'arrivons pas à communiquer ce message. C'est pourquoi il faut des liens au niveau des gens et je pense que cela doit se faire dans le cadre des études.

L'instruction au Canada relève des provinces et non du gouvernement fédéral, ce qui crée des difficultés. Je pense néanmoins que l'on devrait exercer des pressions pour faciliter le travail des éducateurs dans nos structures respectives pour qu'un enseignant irlandais, de quelque niveau que ce soit, puisse venir passer une année scolaire au Canada et échanger son poste avec un enseignant canadien.

Il y a deux façons de s'y prendre. Nous pouvons confier la chose aux bureaucrates qui mettront quatre ans à déterminer comment cela peut se faire ou alors les deux gouvernements peuvent reconnaître réciproquement leurs titres et qualités et continuer à payer les enseignants qui vont dans l'autre pays. De cette façon, nous n'aurions pas à nous préoccuper des pensions de retraite, de l'assurance sociale et des promotions. Ce serait un arrangement tout simple qui leur permettrait de passer d'un pays à l'autre pour un an. De cette façon, les gens apprendront davantage sur la culture de l'autre pays et c'est la façon la plus rapide qui soit de leur apprendre à se respecter.

Cela se fait dans une certaine mesure dans les maisons d'enseignement supérieur, aux États-Unis en particulier. Mais cela doit se faire plus souvent avec les universités canadiennes. Cela doit se faire aussi à l'école élémentaire, au cours moyen, à l'école primaire et secondaire. Cela peut se faire avec le minimum de bureaucratie. Il suffit de prendre la décision.

Pour que le Plan d'action se réalise, il faut d'abord s'occuper des considérations pratiques. Voyons ce qui peut être fait à chaque niveau. Cela touche tout un ensemble de questions, comme les échanges culturels. Voyons d'abord ce que l'on peut faire sans y affecter des fonds, uniquement en faisant disparaître les obstacles et en facilitant les contacts et la communication.

On a parlé de technologie et de la nécessité de créer des liens. Cela peut se faire par le système d'éducation. Il n'y a aucune raison que nos deux pays n'aient pas toute la gamme des contacts voulus, et ce, à tous les niveaux. Il me semble qu'il serait très facile de créer ce genre d'accès, avec la collaboration des diverses industries des communications.

Je pourrais discourir longuement là-dessus, mais je me contenterai de dire que j'ai bien l'intention de faire des propositions à cet égard. Je suis secrétaire général d'un syndicat d'enseignants, et je me suis entretenu avec plusieurs groupes différents au Canada au cours de la dernière semaine. En notre qualité d'hommes politiques, nous savons que, dès qu'on propose une solution, quelqu'un trouve un problème correspondant. Voilà d'où vient la difficulté. Je crois toutefois que des arrangements pourraient facilement être conclus, et j'estime qu'il faut simplement prendre les mesures voulues à cet égard.

M. Ferris: L'établissement d'un programme d'échanges pour les études du deuxième cycle serait un élément très important de la démarche qu'il serait très facile de mettre en place. Il suffirait de désigner l'université et le programme.

Le sénateur Kinsella: Je tiens à faire remarquer, en guise de préface, que, selon moi, et je le dis avec tout le respect que je vous dois, c'est le Collège universitaire Ollscoil Na heireann qui est la meilleure université. J'ai étudié au Collège universitaire de Dublin de 1957 à 1960.

Le sénateur O'Toole: Vous êtes donc un de mes électeurs. J'espère que vous exercez votre droit de vote.

Le sénateur Kinsella: Mes ancêtres paternels sont partis avant la famine de la pomme de terre, et le sénateur Corbin et moi-même représentons la province du Nouveau-Brunswick au Sénat. Nous sommes impatients de souhaiter la bienvenue à votre présidente, qui doit se rendre dans notre province plus tard ce printemps à l'occasion du 150e anniversaire de la famine de la pomme de terre.

Quelle est la surtaxe que les universités irlandaises imposent à leurs étudiants non irlandais?

Le sénateur O'Toole: La formule est à peu près la même dans tous les pays du monde occidental. Les non-ressortissants, ou pour nous, les non-Européens, paient à peu près le double. Voilà le genre d'arrangement qui pourrait être pris par les gouvernements. Il suffirait d'adopter un règlement disposant que les étudiants en provenance du Canada se trouveraient, en fait, à payer les mêmes droits que ceux de pays de l'Union européenne. Ce serait assez facile à faire.

À preuve, cette situation dont j'ai eu connaissance l'an dernier. Ma fille fréquentait un collège à Belfast, qui se trouve bien entendu au Royaume-Uni. Elle avait pour colocataire une normalienne de Mississauga, à l'extérieur de Toronto, et les deux paient les mêmes frais de scolarité. C'était donc déjà le cas dans l'Île d'Irlande l'an dernier. Si cela peut se faire dans le nord de l'Irlande, cela devrait aussi pouvoir se faire dans la République. Il s'agit simplement de prendre une décision en ce sens et de l'appliquer.

Le sénateur Kinsella: Vous avez aussi évoqué les questions relatives à l'équivalence et à la reconnaissance des titres et diplômes. Ai-je raison de croire qu'il y a quelques années, les Irlandais sont passés par là avec leurs collègues de la Communauté européenne, en ce qui concerne toute cette question de la reconnaissance des titres et diplômes?

Le sénateur O'Toole: Oui, mais les discussions n'ont pas abouti. Ce qu'il faudrait, et je vous assure que j'ai beaucoup réfléchi à la question, c'est que les autorités scolaires locales vérifient que la qualification de l'enseignant qui propose l'échange en question, qu'il s'agisse du niveau élémentaire, postprimaire ou encore du troisième niveau, soit acceptable aux yeux de l'établissement concerné. S'il faut passer par le processus de la reconnaissance réciproque des compétences, on n'y arrivera jamais. Comme le disait le président, c'est ce que nous essayons de faire au sein de l'Union européenne, et nous avons fait certains progrès.

L'Irlande et le Canada ont tous deux une langue prédominante, mais des systèmes d'éducation bilingues. Nous avons dû lutter d'arrache-pied pour que les enseignants formés dans le nord de l'Irlande soient agréés dans la République d'Irlande, car ceux qui sont formés dans le Nord ne sont pas qualifiés pour enseigner la langue irlandaise. C'est une question qui ne vous est pas étrangère, et si nous nous engageons dans tout ce débat-là, les problèmes ne seront jamais réglés. Pour organiser un échange, il devrait suffire que les autorités scolaires concernées s'entendent, un point c'est tout.

Le sénateur Kinsella: Je m'intéresse notamment aux droits de la personne. Aussi, je suis toujours curieux de voir la place que la politique étrangère canadienne réserve à un de ses principes fondamentaux, à savoir la promotion et la protection des droits de la personne, à l'échelle tant internationale que nationale.

Dites-moi, étant vous-même passés par le processus d'adhésion à la Communauté européenne et étant maintenant appelés, en tant que membres actifs de cette communauté, à vous prononcer sur les demandes d'adhésion d'autres pays qui veulent se joindre à la communauté, dans quelle mesure la question des droits de la personne est-elle un facteur important dans l'élaboration de votre politique étrangère?

M. Ferris: Au minimum, notre politique exige le respect de la convention sur les droits de la personne. En Irlande, cette question ne pose pas de problème. L'adhésion éventuelle de certains États, comme la Turquie et d'autres qui ont effectivement un problème de droits de la personne, mais qui tentent de le régler, nous cause toutefois des préoccupations. Il ne fait aucun doute que c'est là une question sur laquelle nous prenons fermement position à l'échelle internationale. Au sein des Nations Unies, nous avons joué un rôle très actif à cet égard. Nous avons été témoins des atrocités commises sur le continent africain, atrocités qui tenaient à un manque de respect de la population et à des pratiques discriminatoires au regard des droits de la personne.

Notre présidente déploie des efforts pour donner une certaine proéminence à cette question et amener la population à reconnaître les problèmes relatifs aux droits de la personne. Ses efforts s'étendent même à notre politique étrangère et à toute la question des mines terrestres. C'est là une question qui confine au respect des droits de la personne. Nous savons que le Canada s'est prononcé très énergiquement sur cette question, comme nous d'ailleurs. Notre gouvernement et notre Parlement ont décidé de jouer un rôle très actif pour tenter de favoriser l'entente sur les mines terrestres. Au sein de l'Union européenne -- les membres de l'Union pourront le confirmer -- nous avons des États qui continuent à fabriquer des armes de destruction, depuis les mines terrestres jusqu'aux armes les plus destructrices, et ce, à cause des intérêts qui sont en jeu. Nous tentons continuellement d'user de notre influence en tant qu'État neutre. Nous participons comme vous à des opérations de maintien de la paix, et nous admirons le rôle que vous jouez à cet égard. Nous participons très activement aux efforts pour tenter d'éliminer certaines de ces sources de conflits sur la scène politique internationale.

Comme je l'ai indiqué, notre île est toujours divisée. David Andrews a déjà été ministre des Affaires étrangères, et il aurait, lui aussi, une bonne idée du sentiment que suscitent ces questions à l'échelle internationale.

M. David Andrews: J'ai été ministre des Affaires étrangères quand la situation en Somalie était au pire. Je suis allé en Somalie en septembre 1992, et notre présidente s'y est rendue deux mois plus tard, en novembre. Je crois pouvoir affirmer que les États membres ne semblaient pas prêts à l'époque à reconnaître la gravité de la situation en Somalie. Comme l'a dit le président, certains membres de l'UE se livrent toujours à des comportements obscènes. Certains pays continuent à fabriquer des armes dont ils inondent les États africains, alors même que des pays comme le nôtre tentent de maintenir la paix.

Quand j'étais ministre de la Défense, portefeuille que j'ai occupé après celui des Affaires étrangères, j'ai envoyé deux bataillons faire deux séjours de six mois dans un endroit appelé Baidoa. Nous avions pour tâche d'amener des provisions alimentaires de Mogadishu à Baidoa, et nous étions tantôt couverts par les Canadiens, tantôt par les Indiens, et parfois aussi par les Français. Il ne fait aucun doute que votre contribution en Somalie à ce moment-là a été très importante. Je suis au courant des difficultés que cela vous occasionne maintenant, mais ce n'est pas de mes affaires. Je vous présente mes meilleurs voeux de succès à cet égard.

Malgré sa petite taille, notre pays joue un rôle important dans les opérations de maintien de la paix. Nous participons à ces opérations depuis 1957. Nous avons perdu 15 ou 16 des nôtres au Congo belge, qui est maintenant le Zaïre. Nous sommes au Liban depuis bien des années. Nous sommes aussi allés en Bosnie. Nous sommes finalement allés dans toutes les régions du monde. Quel que soit le point de vue, notre contribution aux Nations Unies à cet égard, et plus particulièrement à l'égard des opérations de maintien de la paix, soutiendrait le plus minutieux examen, et je crois que nous avons toutes les raisons d'en être fiers.

Je voudrais aborder brièvement une ou deux questions qui pourraient vous intéresser. Il se trouve que j'étais ministre des Affaires étrangères à l'époque où les pourparlers de paix Nord-Sud ont commencé, à la fin de 1992. Nous étions en discussion avec des gens comme Ian Paisley et Dennis Trimble, M. McGinnis et d'autres, bien sûr, avec dans un camp le SDLP, représenté notamment par MM. Hume et Mallin, et ces autres types dans l'autre camp, et les pourparlers ont duré six mois. Malheureusement, ils se sont toutefois enlisés et, de quelque point de vue qu'on l'examine, la position prise par les unionistes était pour le moins intransigeante et laborieuse, de sorte que les discussions piétinaient. Il a donc été convenu d'interrompre les pourparlers. Ces pourparlers contenaient déjà, à mon sens, le germe du processus de paix qui vient maintenant d'être engagé par les nationalistes, les unionistes et le gouvernement irlandais, d'un côté, et le gouvernement britannique de l'autre.

Tragiquement, après six ou 18 mois de paix, il y a cette bombe qui a explosé au Canary Wharf, et l'IRA était de nouveau dans la rue et s'adonnait de nouveau au terrorisme si dévastateur. Heureusement, toutefois, le CLMC, le Combined Loyalists Military Council, maintient assez bien le cap. Il s'agit, bien entendu, du conseil unioniste qui dirige les organisations terroristes qui se trouvent de ce côté-là.

Tragiquement, cependant, les pourparlers de paix sont maintenant arrêtés en raison de l'imminence des élections générales en Grande-Bretagne. Nous nous réconfortons à l'idée que, dès qu'il y aura un nouveau gouvernement britannique en place, que ce soit celui de Blair ou celui de Major -- et il semble que ce sera M. Blair et que ce sera Mo Mowlam, sa porte-parole actuelle sur l'Irlande du Nord qui sera la nouvelle secrétaire d'État pour l'Irlande du Nord -- les efforts entrepris par M. Major reprendront. Soyons justes envers M. Major; il a été très bien sur la question du Nord et il a pris un risque énorme en adoptant l'orientation qu'il a prise. Comme vous le savez, il avait à composer avec un groupe de Conservateurs des États du centre qui feraient honte à n'importe quel régime démocratique, et je le dis respectueusement. Voilà essentiellement quel était le problème de M. Major.

J'ai eu l'occasion de rencontrer M. Major à plusieurs reprises, et j'ai trouvé en lui un homme vraiment très bien qui avait l'instinct à la bonne place et qui avait de bons sentiments à l'endroit de l'Irlande du Nord, mais comme je l'ai dit, il semble que ses jours soient comptés, et nous aimerions penser qu'aussitôt après les élections générales qui s'en viennent, le processus de paix reprendra et que nous pourrons de nouveau avancer dans cette voie.

Voilà donc la situation, monsieur le président. Je ne crois pas avoir grand-chose d'autre à ajouter, si ce n'est pour dire que nous vous sommes extrêmement reconnaissants de votre contribution au Fonds international de l'Irlande. Il s'agit du fonds d'aide aux localités d'Irlande du Nord qui sont divisées par la terreur et par les différences religieuses, et nous vous sommes très reconnaissants de cette contribution.

En conclusion, permettez-moi de dire, en ce qui concerne Grosse-Île, que nous savons que vous avez fait de cette île un monument aux tragiques événements de 1847. Nous vous sommes aussi reconnaissants de cela. Nous avons été heureux de recevoir votre aide à ce moment-là, et nous sommes heureux de la recevoir maintenant. Au cas où certains n'en seraient pas conscients, encore aujourd'hui en 1997, 150 ans après le fait, la famine demeure toujours très présente dans l'esprit du peuple irlandais. Nous avons des sentiments très profonds à ce sujet, et nous en ressentons une énorme tristesse. Oui, nous sommes prêts à pardonner, mais pas à oublier.

Le coprésident (M. Graham): Je veux simplement dire très rapidement au sénateur O'Toole que, en ce qui concerne l'éducation, si vous avez l'occasion de vous rendre à Toronto, vous constaterez que l'Université de Toronto offre un programme complet en études irlandaises, qui est principalement centré sur la littérature irlandaise. Le programme a été fondé par le professeur Robert O'Driscoll il y a de cela plusieurs années, et on y fait toujours de l'excellent travail. Je sais que Seamus Heaney et bien d'autres éminents Irlandais sont venus à l'Université de Toronto dans le cadre de ce programme, et c'est peut-être là le type de programme à partir duquel nous pourrions multiplier les efforts en ce sens dans d'autres régions du Canada aussi. Le programme a effectivement contribué à enrichir la vie culturelle torontoise; cela ne fait aucun doute.

Le coprésident (le sénateur Stewart): Je devrais vous dire que les sénateurs canadiens sont d'excellents orateurs. Nous avons toutefois parmi nous aujourd'hui des membres du comité des affaires étrangères de la Chambre des communes que j'invite à participer à la discussion. N'hésitez pas.

La sénateur Andreychuk: Je devrais remercier les députés de ne pas prendre la parole et d'accorder ainsi plus de temps aux sénateurs.

Je veux revenir à la question de l'éducation. Je suis membre d'un sous-comité sénatorial qui se penche sur l'éducation postsecondaire et sur le phénomène de la mondialisation, qui nous obligera tous à modifier la formation et l'enseignement que nous dispensons. La façon de faire la commercialisation à l'étranger de nos services d'enseignement est justement une question qui fait l'objet de discussions intéressantes au Canada, et quand nous avons entrepris notre étude, je croyais que c'était quelque chose qui recueillerait un appui unanime. Or, de plus en plus, on se demande si l'on devrait effectivement s'engager dans cette voie et, le cas échéant, de quelle façon s'y prendre? Nos universités, par exemple, sont en train d'établir des succursales dans d'autres pays. Nous faisons la commercialisation, la vente et la publicité de services d'enseignement ainsi que des moyens à prendre pour acquérir les compétences nécessaires pour se lancer dans le domaine de son choix.

Si nos universités canadiennes demandaient à l'Irlande de pouvoir aller s'installer là-bas et d'y vendre leurs services, pensez-vous que cela serait souhaitable ou est-ce que ce serait mal vu? Autrement dit, la commercialisation des services d'enseignement devient de plus en plus une question d'échanges commerciaux.

Le sénateur O'Toole: Il y a une façon très simple d'aborder cette question. J'ai récemment eu des rencontres avec l'autorité responsable du développement industriel en Irlande, à qui j'ai proposé de créer un établissement d'enseignement sur Internet. Le monde industrialisé pourrait ainsi offrir au monde en développement, moyennant des frais minimes, un service d'enseignement extraordinaire qui serait offert à tous sur des sites Internet. Autrement dit, cette université ouverte à tous pourrait être offerte gratuitement au monde entier s'il existait une volonté en ce sens. Ce n'est pas tout à fait ce dont vous parliez, mais ce serait peut-être là un point de départ. Au lieu de faire sortir des autocars pleins de gens des pays en développement pour les amener dans les pays soi-disant industrialisés et de leur imposer plus ou moins notre monde, il y aurait moyen de partager notre monde avec eux et d'assurer aussi l'interaction entre les deux mondes: le Worldwide Web serait un moyen très efficace de réaliser cet objectif.

Le Plan d'action fait expressément mention de l'élaboration de l'inforoute. Je préfère dire pour ma part, surtout quand je m'adresse à des universitaires, qu'ils auraient avantage à commencer par bien maîtriser la technologie et l'exploiter au maximum de ses possibilités avant même de tenir une rencontre. Autrement dit, je partirais du principe que, si les participants à une rencontre doivent, tous ensemble, se déplacer sur une distance totallisant cent mille milles pour décider de quelque chose qui pourrait être décidé au moyen d'une vidéoconférence ou d'une communication sur Internet, il n'est pas nécessaire qu'ils se rencontrent en personne. Ils sont en retard sur leur époque; ils ne se sont pas rendu compte que le monde a changé. Je n'aurais absolument aucune pitié pour ces gens-là. La technologie existe; il suffit de s'en servir pour échanger. Le fait est que, si je me rends au site Internet ou au site Web de la plupart des universités, il est très difficile d'obtenir de l'information. Je peux y trouver des biographies, des listes d'ouvrages et des thèses de doctorat, mais j'y trouve peu de documentation originale mise là par les chefs de départements, ou je ne sais qui.

Je crois que c'est ainsi que je répondrais à votre question. Je crois que nous pourrions facilement échanger ainsi. Il n'y a aucune raison de ne pas se partager les divers éléments menant à un diplôme. Je ne comprends pas pourquoi quelqu'un qui étudie en psychologie ne pourrait pas faire un module par l'entremise de McGill ou de Dublin ou encore faire un module en génie. Il me semble qu'il devrait être possible de faire ce genre de choses. Il suffit d'avoir la volonté de le faire et de vouloir faire entrer les gens de plain-pied dans l'ère de l'information. Pour ce qui est de vendre nos services, nous voudrions nous aussi pouvoir faire cela et nous voudrions avoir cet avantage.

M. Ferris: Nous avons constaté que l'éducation est la clé de l'emploi pour les jeunes à condition d'orienter correctement les programmes notamment au niveau des études supérieures. En Irlande, nous en avons constaté la réalité et les avantages. Le problème du chômage chez nous c'est que c'est un chômage à long terme, mais il ne touche plus aussi durement les jeunes qu'il le faisait au début. M. Browne qui est enseignant pourra probablement vous confirmer ce changement et les conséquences avantageuses qu'il a eues pour les jeunes d'Irlande.

Le député John Browne: Je crois qu'il faudrait cultiver beaucoup plus les échanges d'enseignants pour plusieurs raisons. Les enseignants sont en première ligne. Je disais tout à l'heure à quelqu'un que pendant des années j'avais dit à mes élèves de douze quatorze ans que l'Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba étaient les plus grosses régions productrices de blé du Canada, ce que j'avais appris dans des livres de géographie. Quelqu'un m'a dit depuis que le paysage agricole en Alberta avait changé, mais nous continuons à nous fier à des livres qui, pour l'essentiel, sont dépassés.

Je leur parle aussi du Saint-Laurent qui est pris par les glaces et fermé à la navigation pour l'hiver. Pour la première fois de ma vie, hier soir, j'ai survolé le Saint-Laurent. À mon avis, en plus de l'aspect culturel, ces échanges d'enseignants sont vitaux et devraient être absolument encouragés.

Les enseignants qui se rendent dans les pays du tiers monde y gagnent une nouvelle perspective en voyant de leurs propres yeux ce dont ils parlent et pour cette raison j'appuierais toute initiative allant dans ce sens. Comme vient de le dire le sénateur O'Toole, il faudrait des accords bilatéraux réduisant au strict minimum les formalités administratives.

Ce qui me ramène à l'éducation. Quand j'ai vu le rapport «The Dublin Summit: Progress or Procrastination?» (Le sommet de Dublin: Progrès ou procrastination?) écrit par un certain docteur B. Jeffrey, j'en ai conclu que ce ne devait pas être un professionnel de la politique. Si les politiciens canadiens pensent qu'il est facile d'aboutir à des accords lors de sommets européens, ils se font de douces illusions -- je dois cependant avouer n'avoir que parcouru ce rapport. Il semble équilibré, mais il laisse l'impression qu'il s'agissait simplement de se débarrasser du problème.

La question du veto, la question d'un commissaire par pays -- ce sont des questions qui ne se régleront pas en un tournemain. Tant que des progrès sont faits, il importe que la présidence suivante continue à être positive et prévienne tout blocage. Pour être juste, que la Grande-Bretagne se décide ou non -- et on a déjà parlé de John Major -- mais si la moitié de son équipe l'avait suivi nous pourrions déjà avoir une Europe plus forte. Quoi qu'il en soit, il a ses propres problèmes. Le fait qu'il y aura bientôt des élections en Grande-Bretagne -- et ce rapport le mentionne simplement en passant -- est un facteur très important au niveau des décisions qui sont prises à l'heure actuelle en Europe. Il est possible que les résultats des prochaines élections soient un facteur déterminant.

Par conséquent, à mon avis, l'éducation est importante. Je crois aussi important que les universitaires n'assument pas à eux seuls cette initiative car parfois l'objectivité d'appréciation peut être facile, mais il en va tout autrement des solutions concrètes.

M. Jesse Flis: Il y a tellement de spécialistes des affaires étrangères réunis ici que je tiens à parler de l'expansion de l'Union européenne vers les pays d'Europe centrale et d'Europe de l'Est ainsi que de Chypre et de Malte qui demandent aussi à adhérer à l'Union européenne. En même temps, on nous parle beaucoup en Amérique du Nord de l'élargissement de l'OTAN, et je sais que votre pays n'est pas membre de l'OTAN, mais vous êtes membre de l'Union européenne. Est-ce que cet élargissement de l'OTAN gênera l'expansion de l'Union européenne? Est-ce que cette expansion et cet élargissement devront se faire en parallèle, à votre avis, ou nombre de ces pays pourront-ils adhérer à l'Union européenne sans appartenir à l'OTAN, et vice versa? Ensuite, quel est le rôle joué par la Turquie qui bloque peut-être l'expansion de l'OTAN parce que certains pays s'opposent à son entrée dans l'Union européenne?

M. Ferris: Nous sommes un membre neutre de l'Union européenne et notre neutralité n'est peut-être pas comprise, mais elle est certainement appréciée et respectée. Nous ne sommes pas membres de l'OTAN; nous ne sommes pas membres de l'UEO, mais nous y avons le statut d'observateur. Nous débattons du concept de partenariat pour la paix. Nous ne faisons qu'en débattre car aucune décision n'a été prise et nous le mentionnons dans notre Livre blanc sur la politique étrangère qui vient tout juste d'être publié.

Il n'est pas nécessaire d'adhérer à l'OTAN pour adhérer à l'Union européenne. Plusieurs nations neutres ont adhéré dernièrement, certaines étaient membres de l'OTAN et d'autres non, ce n'est donc pas obligatoire. Les pays du bloc de l'Est ont certes déclaré préférer devenir membres de l'OTAN avant même de devenir membres de l'Union. Vous avez parlé de l'obstruction de la Turquie ou de ses réserves. En fait, nous avons constaté que c'est aux Russes que l'adhésion des pays du bloc de l'Est à l'OTAN pose un réel problème. Ils nous l'ont dit en comité bien qu'ils commencent à assouplir légèrement leur position et à dire qu'ils ne s'y opposeront plus catégoriquement.

Nous avions supposé que d'ici cette échéance ces pays auraient tous obtenu leur propre indépendance et que s'ils voulaient adhérer à l'OTAN, ce devrait être leur droit à condition de remplir les conditions nécessaires. Cela ne nous pose pas de problème. Nous acceptons le principe suivant lequel si l'on veut que cette communauté ait un sens quelconque, il lui faut absolument s'élargir. Nous n'y voyons aucun inconvénient. Je pourrais également ajouter que nous avons accepté la demande de Chypre et de Malte bien que depuis, comme vous le savez, Malte ait changé d'avis.

À la Conférence des comités des affaires européennes du Parlement de l'Union européenne et des Parlements européens, que nous avons présidée pendant notre présidence, nous avons accepté le principe que les États membres demandeurs aient le statut d'observateurs à cette conférence avant que les négociations n'aient commencé car plus tôt ces gens sont mêlés à nos travaux plus vite ils en comprennent les principes et la procédure.

M. Flis: J'aimerais une précision à propos de Malte. Malte a changé d'avis depuis les élections d'octobre car le parti qui a gagné s'opposait à cette adhésion?

M. Ferris: Oui. Nous devons accepter cette décision démocratique. Personne n'oblige quiconque à adhérer à l'Union. Le gouvernement précédent avait fait une demande officielle et nous l'avions acceptée comme une demande légitime. Nous pouvons aussi discuter avec vous de toute la question des changements structurels.

M. Speller: Je tiens à vous dire combien je suis heureux de rencontrer votre délégation. Vous avez raison. C'est une occasion d'échanger des idées et jusqu'à présent je n'avais pas eu l'occasion de rencontrer des parlementaires de votre pays.

J'aimerais m'écarter du sujet de discussion actuel et en aborder un nouveau qui devrait de toute évidence vous tenir à coeur puisque vous êtes un pays agricole. En fait, je crois que votre premier ministre est agriculteur ou vient d'une région agricole. Je viens moi-même d'une région rurale et j'ai trouvé intéressants un ou deux de vos commentaires. Il y a d'abord une Union européenne. Ensuite, il y a eu le traité de Maastricht et j'aimerais savoir quelles en ont été les conséquences pour vous sur le plan commercial. L'Accord de libre-échange nord-américain nous a posé quelques problèmes pour protéger notre agriculture des Américains et des Mexicains. J'aimerais que vous nous fassiez part de votre expérience dans ce domaine.

Deuxièmement, dans la perspective de la prochaine ronde de négociations de l'Organisation mondiale du commerce, il semble être beaucoup question du sort réservé aux organismes commerciaux d'État. Nous en avons un certain nombre que nous considérons comme très importants. J'aimerais savoir quelle est votre expérience à ce sujet. Certains souhaitent l'élimination de ces organismes. Quelle est votre position?

M. Ferris: Parler d'agriculture à des parlementaires irlandais est un sujet très délicat car très important. Une très grande partie de notre économie repose sur nos produits agricoles dont la majorité sont exportés. Cependant, nous sommes liés par une politique agricole commune conçue par la Commission de l'Union européenne qui compte un commissaire irlandais, M. MacSherry, qui a participé à la restructuration de la politique agricole commune pour l'adapter en vue des négociations du GATT. Les objections et les protestations n'ont pas manqué.

Cependant, avec le recul, si ces changements n'avaient pas eu lieu, l'agriculture en Irlande s'en serait retrouvée beaucoup moins bien lotie qu'à l'heure actuelle. Le respect de certains quotas nous pose quelques problèmes, qu'il s'agisse des quotas de production de lait ou de viande de boeuf, et cetera, mais nous pouvons produire de meilleurs aliments et à bien meilleur marché que n'importe quel autre pays car nous bénéficions d'un climat extraordinaire. Nos bovins sont presque tous élevés en pâturage, ce qui nous rend extrêmement inquiets à propos de l'épidémie d'EBS qui est généralement associée à une alimentation intensive. Malheureusement, à cause d'une certaine restriction, d'aucuns ont estimé qu'à condition de produire soi-même sa viande et sa farine d'os, par exemple, pour alimenter en partie les animaux, il n'y avait aucun risque d'épidémie à condition de prendre les précautions nécessaires. Malheureusement, elles n'ont pas été prises et nous en subissons certaines des conséquences. Cependant, l'occurrence de l'EBS est minime en Irlande et nos clients sont des pays du tiers monde. Nous croyons honnêtement avoir mis au point un nouveau test qui permet de garantir que nos carcasses sont complètement saines.

Pour revenir à votre commentaire: vous avez tout à fait raison, l'agriculture est importante pour nous. Il y a d'autres changements en vue et il nous faut nous y adapter. Certains de ces changements concerneront le prix, la demande pour les produits et cela influera sur l'élimination éventuelle des quotas, la disparition éventuelle des prix planchers dont profiteront les consommateurs. Les agriculteurs irlandais devront s'adapter à ces changements, comme tout le monde, et c'est un exercice dans lequel ils sont bien meilleurs que les agriculteurs de la majorité des pays membres de l'Europe.

Le sénateur O'Toole: Les Européens pensent que les prix de leurs produits agricoles devront finir par s'aligner sur ceux du marché mondial. En Irlande pour le moment nous commerçons avec le tiers monde. C'est un commerce faux et artificiel qui ne durera pas. Ce sont les contribuables européens qui le financent. En Irlande, si nous exportons de la viande de boeuf vers les pays du tiers monde, c'est parce que ces exportations sont subventionnées. Le prix du boeuf en Irlande à l'heure actuelle tourne aux alentours de 90 pence la livre. Ce prix importe peu; ce qui importe, c'est qu'il est supérieur d'environ 50 p. 100 au prix mondial.

C'est la même chose pour le lait. Il n'y a aucun doute sur la question: en Europe aussi bien qu'en Amérique du Nord, nous nous dirigeons vers un nivellement global des prix qui sonnera le retour de la productivité et de la concurrence dans le domaine agricole. La situation est telle que dans de nombreux pays d'Europe occidentale -- et il est possible que mon opinion soit minoritaire -- les agriculteurs n'ont plus intérêt à être productifs. Les systèmes de quotas interdisent toute initiative et tout développement. Il y a d'excellentes industries en Irlande dans le secteur de la viande qui travaillent, hors quotas, qui achètent des produits et qui les transforment en leur ajoutant de la valeur et qui les vendent sur le marché mondial, hors quotas. Cependant, il ne fait aucun doute que d'ici sept ans, le prix du lait et le prix du boeuf en Europe seront alignés sur le prix mondial. C'est inéluctable.

Tout a commencé avec le commissaire MacSherry il y a six ou sept ans. Le prix du boeuf a plongé l'année dernière avec la crise de l'EBS. L'année dernière a probablement été la pire année pour les producteurs de boeuf. Il faudra les aider. Ces subventions au niveau européen sont telles qu'elles font monter les prix à un point où il leur faut emprunter pour acheter puis vendre pour rembourser les banques. C'est un système totalement artificiel et je ne vois pas de solution. Il est fort possible que mon opinion soit minoritaire.

M. Noel Davern: Un des problèmes de l'Union européenne et c'est un gros problème, c'est que les petites exploitations finiront par ne plus être viables. Le choc culturel va être énorme. Cela va bouleverser toutes les traditions -- dans toute l'Europe -- les sociétés rurales des pays de l'Union européenne et ce sont justement ces collectivités rurales qui préservent et qui transmettent la culture, la langue, tout ce qui fait ces pays.

Nous avons créé un système d'assistanat en vertu duquel la Communauté européenne subvient directement aux besoins des agriculteurs parce que nous considérons essentiel de maintenir l'équilibre. Subventionner sur place un agriculteur revient quatre fois moins cher que de l'envoyer en ville. Non seulement cela, mais on conserve tous les autres avantages qu'on peut imaginer venir des régions rurales. Nous allons à la rencontre de problèmes majeurs.

La prochaine ronde de négociations du GATT sera extrêmement délicate. Le prix du lait sera fixé à celui des prix du marché libre comme vient de le dire le sénateur O'Toole ainsi que le prix de la viande de boeuf. L'onde de choc sera énorme. Malheureusement, cela signifie que le cours des choses que nous avons réussi à créer depuis notre séparation de la Grande-Bretagne sera diamétralement inversé. Les exploitations deviendront plus grandes, il y aura moins de ruraux et, en conséquence, des communautés entières disparaîtront. L'énorme effet de changements analogues a déjà été ressenti dans certaines régions du Canada, et surtout dans le Midwest américain où des villes ont tout simplement disparu.

C'est la raison pour laquelle je dis qu'il faut s'attendre à un choc culturel majeur et je crois que nous n'en saisissons pas encore vraiment toutes les conséquences. Cependant, beaucoup d'entre nous, à l'exception du sénateur O'Toole, se battront de toutes leurs forces pour assurer la survie des petites communautés agricoles.

M. Speller: Il n'y a aucune comparaison entre les agriculteurs américains et les agriculteurs canadiens. Nous nous occupons beaucoup mieux de nos agriculteurs qu'eux.

M. Davern: Une des choses qui arrivent, par exemple, c'est que dans la Communauté européenne, les terres peuvent rester en jachère pendant trois ou quatre ans. Je crois que moralement c'est une grossière erreur. Il n'y a aucune justification. Même si les récoltes devaient être produites organiquement, ou sans engrais, cela n'aurait pas d'importance, mais laisser des terres en jachère est moralement inacceptable. Il y a quelque chose qui ne va pas.

Le sénateur Calnan: Pour commencer, j'aimerais dire que s'il y avait eu un représentant du comité canadien dans mon comté, le comté de Cork dans le sud de l'Irlande, à Castletownbere, quand il y a eu des difficultés sur la côte est du Canada, ce quelqu'un aurait été fait roi ou reine d'Irlande -- et de Castletownbere -- ce soir-là car il y avait plus de drapeaux canadiens déployés qu'il y en avait dans tout le Canada. Il y avait des drapeaux sur les bateaux, sur les maisons et sur les édifices publics de Castletownbere. La ville ressemblait plus au Canada qu'à l'Irlande et c'est le genre de soutien que les pêcheurs irlandais offraient au gouvernement canadien pour la position qu'il avait adoptée malgré que les plaignants fussent membres de l'Union européenne.

Nous avons cruellement besoin d'accords internationaux sur la conservation, en particulier en ce qui concerne les stocks de poisson, parce que beaucoup d'entre eux se situent à un niveau dangereusement bas. En Irlande, à l'heure actuelle, il y a beaucoup de navires étrangers qui pénètrent dans nos eaux; dernièrement, il est survenu un incident dramatique où un jeune patron de pêche a trouvé la mort. La police est en train d'établir les faits et les circonstances pour déterminer s'il s'agit bien d'un accident, survenu par temps clair et ensoleillé, ou si cela s'inscrit dans le cadre d'autres incidents où des navires plus gros éperonnent les navires plus petits et foncent sur leurs filets.

Il faut des accords internationaux pour lutter contre ce genre de choses et assurer la conservation, sans quoi les stocks de poisson vont disparaître en bordure de notre littoral. Dans un pays comme l'Irlande, où beaucoup de gens vivent en périphérie, sur la côte, et où les villages côtiers dépendent de la pêche pour vivre, tout comme les îles au large des côtes, il faut pouvoir conserver le poisson. C'est quelque chose qu'il faut revendiquer avec beaucoup de vigueur.

Il faut aussi bien comprendre les villages de pêche. Les habitants ont acquis un mode de vie au fil des années et il est inadmissible que les navires commerciaux viennent tout détruire. Il faut préserver nos stocks et assurer des patrouilles adéquates. Voilà certaines choses que je tenais à dire.

Le coprésident (le sénateur Stewart): Comme vos propos seront versés au compte rendu, je ne vais pas vous demander la nationalité du gros navire. Disons seulement qu'il ne s'agit pas d'un navire irlandais.

M. Andrews: Le nom du pays commence par un «E», mais je ne peux pas vous en dire davantage.

Le coprésident (le sénateur Stewart): J'aimerais en savoir davantage sur la nature de l'activité de pêche dans la partie de l'Irlande dont vous venez. Au Canada, nous faisons une distinction entre la pêche côtière, la pêche au chalut pélagique et la pêche à grande distance. Y a-t-il beaucoup de pêche côtière en bordure de littoral?

Le sénateur Calnan: Dans le comté de Cork, nous faisons beaucoup d'aquiculture et de mariculture. On pêche le long de la côte, on pêche des coquillages, et on pratique aussi la pêche hauturière. On capture toutes sortes de poissons au large, qu'il s'agisse de pêche côtière ou de pêche hauturière.

Le sénateur O'Toole: Lorsqu'on a construit la flottille de pêche irlandaise, on s'en tenait aux petits chalutiers d'une soixantaine de pieds de longueur au maximum, il y a 15 ou 20 ans. J'ai grandi dans le village de pêche de Dingle, et même à cette époque, on disait que les pêcheurs allaient jusqu'à Terre-Neuve. C'est ce qui se faisait à l'époque. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Au cours des cinq dernières années, ce qui a pris de l'expansion, c'est la pêche au poisson non contingenté. Pour cela, toutefois, il faut un navire plus gros. Nous essayons de relancer notre industrie de la pêche pour pouvoir capturer, au milieu de l'Atlantique, des poissons comme le maquereau bleu et d'autres espèces de poisson dont on n'avait jamais entendu parler quand j'étais jeune. Ce sont des espèces qui nous étaient inconnues. Il se déploie énormément d'activité à propos de ces poissons actuellement, et on commence à peine à le faire en Irlande.

Mais il y a le problème des bateaux dont on ne peut pas parler qui viennent à l'intérieur de notre zone et raclent le fond de la mer, ce qui fait disparaître la quasi-totalité des stocks et où la protection de l'environnement est peine perdue. De plus, cela contraint les pêcheurs qui voudraient protéger l'avenir à long terme de l'industrie à abandonner leur métier. Ils voient ce qui arrive à leurs stocks de poisson et c'est leur avenir qui s'en va en fumée.

La pêche côtière a toujours été en bon état, si vous voulez dire par là la pêche à une dizaine de milles de la côte. Ce qui a du succès aujourd'hui, c'est le poisson hors contingent. On les capture en grands nombres à de très grandes profondeurs, là où on ne pêchait pas auparavant. Le Canada fait la même chose. C'est là où il y a de l'expansion. Ce sont les gros navires qui s'y adonnent, et cela leur réussit.

M. Ferris: Le problème, c'est d'équiper les pêcheurs irlandais de bateaux suffisamment gros pour couvrir des distances de plus en plus grandes. Il faut aussi que notre marine patrouille nos fonds de pêche. Elle doit être sur le qui-vive en tout temps autour de l'île pour s'assurer que les prétendus membres de l'Union comprennent bien là où il est permis et là où il est interdit de pêcher, n'enfreignent pas les règles et ne se rapprochent pas trop. C'est difficile pour une nation insulaire comme la nôtre.

Le coprésident (le sénateur Stewart): L'Union européenne vous aide-t-elle à appliquer les normes de pêche qu'il faut?

M. Ferris: Oui.

M. Andrews: Il m'est arrivé de participer aux négociations. Si la politique commune de l'agriculture profite aux agriculteurs, ce n'est pas le cas de la politique commune de la pêche pour les pêcheurs irlandais. Le drame c'est que la pêcherie irlandaise couvre des fonds de pêche immenses et, pour cette raison, nous devons en accorder l'accès aux quatorze États membres. Comme je l'ai dit, 16 p. 100 des pêcheries de l'Union se trouvent dans notre territoire ce qui, du point de vue de la politique commune de la pêche, ne nous avantage pas du tout.

Nous avons aussi un certain nombre de problèmes qui nous sont propres, à commencer par l'âge de notre flottille. Près de 80 p. 100 de notre flottille a plus de 30 ans et 4 p. 100 de la flottille a entre cinq et dix ans. Voilà une partie du problème. Mais il y en a d'autres, comme la pêche des pays dont on ne peut pas parler, qui ont recours à des compartiments secrets ou à des filets aux mailles trop serrées et qui capturent trop de poissons en sus de leurs contingents.

Il y a aussi l'attitude de certains États membres. Comme mes confrères l'ont dit, nous essayons de lutter contre cela en renforçant notre marine. Notre marine est excellente, mais malheureusement elle manque d'équipement. L'actuel ministre des Pêches, M. Barrett, mon collègue et même mon ami, fait de son mieux pour trouver de nouveaux navires pour la marine pour qu'ils puissent protéger nos fonds de pêche. Nous essayons d'ajouter un certain nombre d'hélicoptères supplémentaires pour notre aviation, elle aussi de premier ordre, mais qui malheureusement manque d'équipement.

C'est pourquoi nous nous tournons vers l'Europe pour qu'elle nous donne les moyens d'ajouter des navires de qualité à notre flottille de pêche et des navires supplémentaires pour la marine et un certain nombre d'hélicoptères pour l'aviation. Une fois que ce sera fait, nous serons en mesure de protéger la pêche et d'assurer sa conservation au profit de l'Union.

L'un dans l'autre, je dirais que l'Union européenne ne nous a pas été très avantageuse. Nos collègues ne nous ont pas soutenus. C'est la leçon que je tire de mon expérience de ministre de la Marine et des Pêches depuis deux ans et demi. Ils ont beaucoup de mal à comprendre que lorsque l'on parle de pêche internationale, la conservation est un facteur essentiel. C'est extrêmement important. Malheureusement, c'est un message que nous n'avons pas réussi à faire comprendre aux pays dont on ne peut pas dire le nom.

Le coprésident (le sénateur Stewart): C'est un problème avec lequel nous nous débattons. Nous savons que même dans notre flottille de pêche à nous, il y a des problèmes. Ailleurs, dans les eaux où il y a d'autres flottilles -- qui ne viennent pas toutes d'Europe -- et en particulier dans le nez et la queue des Grands Bancs, il est très difficile de faire de la conservation l'objectif primordial.

M. Andrews: J'aimerais faire une brève observation. Lorsque vous avez eu à en découdre avec le pays en question, ou lorsqu'on vous examinait à la loupe... je n'étais pas ministre à l'époque; c'est M. Barrett ou Coveny qui était ministre, je crois, et il a fallu faire preuve d'esprit communautaire. Nous faisions partie du club et nous ne pouvions pas faire bande à part et déclarer que les Canadiens avaient raison et que nos collègues avaient tort. Toutefois, comme l'a dit mon collègue sénateur dans son excellente intervention, le drapeau canadien flottait sur tous les rafiots, navires et bateaux de la flottille de pêche irlandaise. C'est ainsi que nous avons réagi à la façon dont l'Union européenne nous traitait et continue de nous traiter. Nous avons compris quel était votre problème, mais malheureusement, nous ne pouvions pas nous ranger à vos côtés en public par solidarité pour la communauté et toutes ces sottises, à mon avis, de la communauté.

M. Ferris: C'est la population qui a réagi plutôt que le gouvernement.

Le coprésident (le sénateur Stewart): Nous comprenons. Il y a peut-être matière ici à garder le contact entre nous parce que ce serait une catastrophe, non seulement pour la population canadienne de cette région mais aussi pour la population européenne, si ces stocks de poissons essentiels depuis des siècles à la vie de tant de villages et même de tant de pays devaient disparaître. Dans certains cas, je pense que le danger est réel. On me dit que la morue du Nord n'est pas en train de se reconstituer au point où l'on espérait. Voilà un exemple de ce qui peut arriver.

Je pense que les députés ont dû se retirer pour aller voter.

Le sénateur Grafstein: J'aimerais tout d'abord exprimer moi aussi ma gratitude à nos collègues irlandais. Lorsque nous avons sollicité des alliés à l'Union européenne, nous avons été déçus de constater que les pays amis traditionnels du Canada comme la France et le Royaume-Uni brillaient par leur absence. Nous avons toutefois été ravis de découvrir que l'Irlande et l'Allemagne s'étaient rangés aux côtés du Canada et avaient tenté de nouer un dialogue constructif avec l'Union européenne. Je tenais à vous exprimer ma gratitude. Nous en avons pris acte dans nos rapports. Nous le disons aujourd'hui sans ambages à nos collègues anglais et français, et je le fais avec beaucoup de plaisir. Ils disent tout ce qu'il faut, mais il est rare que dans le concret...

Le coprésident (le sénateur Stewart): Vous parlez évidemment en votre nom propre, sénateur.

Le sénateur Grafstein: En mon nom propre, comme toujours. Mon président m'invite à la prudence diplomatique, je crois.

Deux questions nous intéressent. Il y en a une avec laquelle nous nous débattons, qui a été mentionnée par notre collègue de l'autre Chambre, Jesse Flis. Comme pays neutre -- et l'Irlande est l'un de ces pays -- qui a évidemment à coeur la stabilité de l'Europe, comment percevez-vous le mécontentement et les objections de la Russie à l'élargissement de l'OTAN? C'est ma première question.

La question numéro deux, si vous me le permettez, monsieur le président, est la suivante: hier, les journaux nous ont appris que les Allemands semblent vouloir se raviser en ce qui concerne l'adoption de l'euro. Une dépêche annonce que lors de la rencontre des ministres des Finances de l'Union européenne hier à Bruxelles, le ministre de l'Allemagne a déclaré pour la première fois qu'il se pourrait que son pays ne puisse atteindre les prévisions gouvernementales de croissance acceptée -- 2,5 p. 100, je crois -- ce qui est nécessaire pour que son pays puisse respecter les exigences relatives au déficit pour pouvoir obtenir la devise unique. Il a poursuivi en disant que c'est la première fois que l'Allemagne demandait qu'on fasse preuve de compréhension face à son endettement, qui est légèrement supérieur au plafond pour la devise unique. Immédiatement après cette déclaration, il semble que la lire italienne et la peseta espagnole aient considérablement chuté.

Quelle est la position de l'Irlande à propos de l'établissement de l'euro? Les délais sont-ils respectés? Je sais que l'Irlande répond aux critères, mieux que les autres, mais que pense-t-on actuellement de ce qui pourrait arriver et, deuxièmement, que se produira-t-il si les eurosceptiques du Royaume-Uni décident de ne pas participer? Dans quelle situation l'Irlande se trouverait-elle, parce que les liens commerciaux sont étroits tout comme les liens entre la devise irlandaise et la devise britannique? Qu'arrivera-t-il si le Royaume-Uni ne participe pas?

M. Ferris: Je vais répondre à la question de l'attitude des Russes face aux pays du bloc de l'Est qui veulent se joindre à l'OTAN. Lorsque des représentants de la Douma sont venus en visite en Irlande l'an dernier, ils ont bien fait comprendre qu'ils avaient des réserves, non pas à propos de l'adhésion de ces pays à l'OTAN, mais plutôt parce qu'eux-mêmes ne veulent pas être isolés. Il est essentiel pour l'évolution et l'élargissement naturels de l'Union européenne que l'OTAN et l'Union européenne aient de bons rapports avec la Russie. Après tout, la Russie est dorénavant membre du Conseil de l'Europe. Elle fait partie de la structure des nations européennes et il est important qu'elle ne soit pas isolée.

Pour des raisons historiques, cela les ennuie que les pays du Pacte de Varsovie se joignent à l'OTAN, maintenant que le Pacte a disparu tout comme la guerre froide et le mur de Berlin. C'est ce qu'ils pensent, et je vous rapporte ce que je leur ai entendu dire. Depuis, ils ont dit que même s'ils ont des réserves, ils ne feront pas obstacle aux négociations et c'est évidemment une question qui doit être négociée entre l'OTAN et les pays candidats. S'ils respectent les conditions d'adhésion de l'OTAN, alors cela va se faire, quel que soit l'avis des Russes. Toutefois il est important, je crois -- et c'est la position de l'Irlande -- de ne pas isoler la Russie parce qu'elle constitue une entité commerciale importante et est en train d'évoluer vers la démocratie.

Notre deuxième question porte sur l'euro. Le Traité de Maastricht a fixé la date. Nous avons, à l'heure qu'il est, répondu aux exigences formulées, mais comme on l'a dit ce matin, cela ne sert à rien d'adopter l'euro tout seuls, et c'est pourquoi nous nous tournons vers le plus grand nombre de pays membres possible pour faire partie de la quatrième tranche.

Nous sommes déçus de l'attitude du Royaume-Uni. Nous ne sommes pas convaincus qu'un changement de gouvernement y changerait quoi que ce soit ou que son économie, qui semble sur le point de prendre un virage, pourra atteindre les normes voulues, à condition que la volonté politique y soit. Cette volonté existe en Allemagne, mais la situation financière a changé. Elle s'est détériorée.

Nous sommes confiants, dans les discussions qui ont eu lieu entre notre ministre des Finances et ses vis-à-vis européens, que l'Allemagne veut toujours de l'euro. Évidemment, c'est à la population allemande de décider. Quoi qu'il en soit, la date a été fixée et je crois que s'il y a dérogation sur ce point, c'est tout le principe de la devise commune, l'euro, qui se volatilisera à jamais.

À mon avis, il faut se donner des objectifs et essayer de les atteindre. Nous savons que vous-mêmes avez tenté de réaliser une réforme monétaire, si vous me passez l'expression. Vous avez rencontré des difficultés et cela a été douloureux pour vos citoyens mais vous devez quand même aller de l'avant. Cela nous est arrivé à tous. Nous, en Irlande, avons dû le faire, même avec un gouvernement minoritaire à une certaine époque, parce que l'opposition principale avait décidé que, dans l'intérêt du pays, les mesures prises par un gouvernement minoritaire étaient celles qui convenaient en matière financière.

À l'heure actuelle, tout va extrêmement bien, Dieu merci, et je touche du bois. Nous sommes l'exception. Même par rapport à la Belgique et aux autres pays européens qui avaient de l'avance sur nous. Nous aimerions pouvoir dire que cela tient à notre sagesse politique plutôt qu'à la chance. Je ne saurais vous le dire. Tout ce que je peux vous dire c'est que notre situation est bonne et que nous ne voulons pas revenir en arrière. Nous voudrions que tous les pays se joignent à nous, en particulier le Royaume-Uni. Des études ont été faites sur le sujet, et ils ne se joindront pas à l'euro en même temps que nous. Des chiffres montrent que si le Royaume-Uni l'adoptait en même temps que nous, l'adoption de l'euro se traduirait par la création de 40 000 emplois en Irlande. En l'absence du Royaume-Uni, le chiffre ne serait plus que de 10 000. Ces études ont été réalisées par des économistes et divers professionnels qui ont essayé de mesurer les conséquences possibles.

Le sénateur Grafstein: Uniquement en Irlande, sur le plan des emplois?

M. Ferris: Oui.

Le sénateur Grafstein: Quelles sont les conséquences pour le Royaume-Uni de sa participation?

M. Ferris: Les conséquences sont de nature politique, plutôt qu'autre chose. L'absence de débat avec la population sur ces questions a créé des difficultés au Royaume-Uni. La devise commune a toujours fait l'objet de débats politiques entre les deux camps, le gouvernement et l'opposition. Je pense qu'un nouveau parti au pouvoir ou un nouveau gouvernement disposant d'une confortable majorité pourrait prendre des décisions qu'il est actuellement impossible de prendre. Cela devrait se faire peu après les élections, quel que soit le parti victorieux.

Le sénateur Corbin: J'aimerais parler de la question du chômage chez les jeunes. C'est un phénomène que l'on retrouve aussi dans certains pays du continent. La France, par exemple, compte un grand nombre de jeunes gens qualifiés qui sont au chômage, des centaines de milliers. En quoi votre situation se compare-t-elle à celle des autres membres de l'Union européenne? Les choses mettront-elles du temps à se tasser? Quels sont les problèmes structurels? Quels sont les chiffres, les pourcentages et les tendances actuels et quelle sera la solution, d'après vous?

M. Ferris: Comme nous l'avons dit à plusieurs reprises aujourd'hui, il a été avantageux pour nous de former nos jeunes d'une certaine façon. Cela n'a pas réglé le problème des chômeurs de longue durée, mais cela a permis aux jeunes d'acquérir la formation nécessaire pour profiter du décollage économique actuel. Cela s'explique évidemment par le fait que nous sommes une porte d'entrée de l'Europe pour beaucoup de compagnies américaines et canadiennes qui profitent de nos incitatifs fiscaux et de notre régime fiscal pour venir s'établir chez nous. Pour cette raison, nous bénéficions d'une population active jeune et instruite capable de répondre à ces besoins, surtout dans les domaines de la technologie, et dans beaucoup d'autres. Le sénateur O'Toole voudra peut-être vous en dire un peu plus, lui qui est enseignant de métier en su de ses fonctions de législateur.

Le sénateur O'Toole: En Irlande, on a d'abord essayé de s'occuper -- comme c'est le cas au Canada, je crois -- du type d'emplois qui attirent les gens. Un grand nombre d'emplois ont été délocalisés vers le Proche et l'Extrême-Orient; il s'agit de ce que l'on appellerait dans la plupart des sociétés occidentales d'emplois subalternes. Les emplois qui ne sont acceptables qu'aux gens qui n'ont aucune formation. À une certaine époque, cependant, ces emplois étaient à la disposition de ceux qui n'avaient qu'une instruction partielle ou qui pouvaient s'adapter. Maintenant que ces emplois ont été délocalisés en Extrême-Orient surtout, notre taux de chômage, comme le vôtre, s'est mis à grimper. Partout en Europe, nous avons vu le lien évident entre l'instruction, l'emploi et le recyclage.

Ça été le point de départ. En Irlande, nous avons réussi à créer un nombre énorme d'emplois dans les dix dernières années. Pourtant, notre taux de chômage se situe à plus de 12 p. 100 aujourd'hui, ce qui dépasse de beaucoup le vôtre, qui s'établit à 9 p. 100, je crois. Cela s'explique en partie par le fait que nous faisons face à une irrégularité du profil démographique; en effet, notre système doit accueillir depuis 1980 le nombre le plus élevé de toute notre histoire de nouveaux venus sur le marché du travail. Cela signifie que même en créant de très nombreux emplois, nous avons à peine réussi à soutenir le rythme de progression de nouveaux venus sur le marché du travail.

La dernière enquête auprès des chômeurs a été réalisée en 1994. La moitié des chômeurs à long terme n'avaient fait que des études élémentaires. C'est un problème que nos deux sociétés connaissent, je crois. À l'époque, le taux de chômage s'établissait à 18 p. 100 et était l'un des plus élevés d'Europe. Aujourd'hui, il dépasse à peine les 10 p. 100 et passer sous cette barre sera sans doute notre prochain objectif.

Dernièrement, tous ces emplois ont été décrochés soit par des jeunes qui viennent d'arriver sur le marché du travail ou par des femmes qui le réintègrent après être restées au foyer, et aussi par des immigrants qui reviennent au pays après avoir acquis leur expérience à l'étranger. À peine un sur quatre ou cinq quittaient en fait les rangs des chômeurs, au moment où augmentait le nombre de ceux qui entraient sur le marché.

Ces dix dernières années ont été difficiles et nous verrons les résultats de ce que nous avons accompli uniquement dans les prochaines années. Nous avons consacré des sommes immenses, pour l'Irlande, à la formation et au recyclage et à essayer de faire comprendre aux gens ce qu'il leur faut et qu'ils doivent s'adapter.

Par contre, si je devais revenir ici dans trois ans, et si le chômage était inférieur à 10 p. 100, je devrais vous répondre que je ne saurais comment passer sous cette barre, parce que les chômeurs qui ont 30, 35 ou 40 ans n'ont que leurs études primaires; moi, comme syndicaliste, je ne pourrais pas vous dire qu'ils ont des chances de trouver un emploi. Je ne sais pas comment régler ce problème.

M. Ferris: Nous avons été très surpris d'apprendre qu'au Canada il y a un problème de chômage chez les jeunes. C'est un problème que nous avons réglé grâce à la scolarisation. L'an dernier, nous avons créé 1 000 nouveaux emplois chaque semaine mais nous sommes toujours aux prises avec l'intraitable problème du chômage de longue durée.

Nous nous servons des crédits européens pour le recyclage, les programmes sociaux et les problèmes environnementaux. Nous nous servons également de ces fonds pour sortir du chômage ceux qui disent être à la recherche d'emploi. Essentiellement, nous leur demandons de faire du travail communautaire et, grâce à une partie de ces fonds, nous leur montrons à faire des travaux qui sont bons pour l'environnement, comme construire des murs d'enceinte et d'autres ouvrages qui profitent à la communauté, ce qui leur donne le sentiment être à nouveau au travail.

Il y a un programme en particulier, appelé le programme des possibilités d'emploi à temps partiel, conçu de telle sorte que les travailleurs touchent le salaire réglementaire pour leur travail mais ne peuvent travailler qu'un certain nombre d'heures pour y avoir droit. Un sondage a révélé que 40 p. 100 de ceux qui participent au programme arrivent à trouver un emploi à temps plein grâce à l'expérience ainsi acquise et au changement d'attitude qui survient lorsqu'on retourne travailler au lieu de rester à la maison à se plaindre de tout, sans sortir ni rencontrer de gens. L'Union européenne nous a énormément aidés en finançant ce genre de programmes de recyclage et de formation.

Ces fonds de recyclage servent aussi à former des personnes souffrant de handicaps physiques ou mentaux, dans des ateliers. Il s'agit -- j'en conviens -- d'ateliers protégés, mais il n'en demeure pas moins que de tels programmes permettent à ces personnes de se sentir utiles dans la société et les aide à apporter une contribution valable.

Le sénateur Stollery: Je faisais partie du groupe qui s'est rendu à Dublin, et je tiens à vous dire à quel point cette visite a été rafraîchissante. Elle a été des plus intéressantes. Les membres de votre comité se sont montrés très affables à notre endroit. En fait, j'ai trouvé très enrichissante toute notre tournée de la Communauté européenne.

La Communauté européenne est aux prises avec de nombreux problèmes et continuera de l'être à l'avenir. Mes questions s'adressent à vous à titre d'ex-président, la présidence irlandaise venant tout juste de prendre fin. Il me semble que cette communauté comporte de nombreuses caractéristiques, l'une d'entre elle étant qu'il s'y exerce divers «poids». Par là, j'entends qu'il y a le poids de ce que j'appellerais les pays méditerranéens ou du Sud, celui de l'Union monétaire européenne, de l'Allemagne, de la France et des pays du Benelux, et aussi celui des petits pays, comme l'Irlande, ce qui est quelque peu inhabituel, puisqu'il se situe en périphérie.

Nous avons abordé les problèmes liés à la pêche et à la politique agricole, et à cet égard, j'estime que bon nombre de personnes ne comprennent pas comment s'exercent ces influences, en particulier entre les pays de l'Europe du Nord et les pays de la Méditerranée, soit l'Italie, l'Espagne, et dans une certaine mesure, le Portugal. Cela est important, particulièrement aux yeux des Allemands, car jusqu'à maintenant, ils ont payé une bonne partie de la note... ou, en tous cas, c'est ce qu'ils pensent.

Comment l'entrée de la Pologne et de la Tchécoslovaquie dans l'Union européenne transformera-t-elle la politique agricole commune et le sens de l'appartenance à une communauté qui existe à l'heure actuelle? En tant qu'étranger, j'imagine que cela ne peut manquer d'avoir un certain effet sur votre politique agricole. Par exemple, quels effets auront les importations massives de produits agricoles polonais sur le marché irlandais? À cet égard, n'est-ce pas l'une des raisons pour lesquelles la Pologne souhaite entrer dans la Communauté européenne? Déjà, si l'on se fie à M. Delors, quelque 13 ou 14 p. 100 de la surface arable française a été abandonnée.

Tous les pays occidentaux font face aux mêmes pressions: la communauté doit s'agrandir; les habitants quittent les villages agricoles et de façon générale, on constate l'abandon de la campagne, avec toutes les répercussions que cela suppose. Vous qui venez d'assumer la présidence et qui par conséquent avez été intimement lié à ces négociations, pouvez-vous nous dire ce qui va se passer, à votre avis? Je prends l'exemple de la Pologne, car c'est un pays que j'ai visité une fois ou deux et qui a une production agricole énorme. Quel sera l'effet d'une telle évolution sur la communauté?

M. Ferris: Tout d'abord, l'Union européenne, telle qu'elle est présentement constituée -- même sous sa forme élargie -- fonctionne de façon efficace. Évidemment, il y a des compromis à faire et les pays qui aspirent à en devenir membre doivent apporter des ajustements. Nous avons dû faire énormément d'ajustements, et, somme toute, la plupart d'entre eux ont été bons pour nous. En fait, ils ont été avantageux à de nombreux égards. Je sais pertinemment que nous sommes des bénéficiaires nets dans ce domaine en particulier.

Cela dit, nous avons eu des discussions avec les Polonais et les Hongrois et ils nous ont donné l'assurance que ce n'est pas dans l'intérêt de leur secteur agricole qu'ils souhaitent se joindre à l'Union européenne. En fait, pour eux, ce n'est pas le volet le plus important. Ce qui importe davantage à leurs yeux, c'est de faire partie d'un bloc commercial, et de faire partie, parallèlement, de l'OTAN.

Nous savons que l'expansion ne manquera pas de créer des difficultés pour les membres actuels, mais si nous souscrivons au principe de l'élargissement -- principe que nous avons accepté à titre de nation, de Parlement, et de comité --, alors il faudra faire certains ajustements. Les pays intéressés devront payer un prix pour leur adhésion. Ce prix a été payé au début par les pères fondateurs qui ont vu dans le simple fait de commercer les uns avec les autres la possibilité de créer une zone économique qui déboucherait sur la paix et, de façon générale, ils ont eu raison. Le conflit yougoslave a été une exception, et bien que ce pays n'était pas membre de la communauté, il était suffisamment près de nous sur le plan géographique pour que nous comprenions la nécessité d'apporter des ajustements dans un domaine comme celui-là et d'être en mesure d'intervenir.

L'adhésion à la communauté est assortie de la nécessité de faire des compromis, et les Irlandais sont très doués pour dégager des consensus et des accords. C'est sans doute notre grande force, comme nous l'avons montrée au cours de notre présidence. Au début de notre présidence de six mois, des désaccords nombreux existaient dans bien des secteurs. Nous le savions d'ores et déjà à la suite de la série de réunions du groupe COSAC. Il y avait une multitude de choses à faire, notamment des choses extraordinaires que les Français, en particulier, réclamaient, mais qui était impossible à réaliser. Cependant, grâce à la négociation, nous avons dégagé, à la fin de notre présidence, un consensus qui permettra de restructurer l'ensemble des groupes de comités du COSAC et qui nous donnera le pouvoir de prendre des décisions, sans avoir le mandat des parlements, mais dans la perspective de rallier les divers intervenants.

Il est difficile d'expliquer la situation en termes de noir et blanc, mais d'après notre expérience, nous pouvons affirmer que l'Union fonctionne et qu'elle continuera d'être une réussite grâce à la capacité d'effectuer des compromis. C'est la vie, nous ne devons pas transiger sur certains principes existants du Traité de Rome, pour lesquels nous avons lutté d'arrache-pied et auxquels nous avons aspiré. Nous ne pouvons céder sur toute la ligne uniquement pour faciliter l'entrée d'autres pays. Par conséquent, l'assimilation prendra un certain nombre d'années.

Certains fixent des dates pour l'entrée de divers pays, et lorsque nous rencontrons les dirigeants des États candidats, ils ont tous la même question brûlante aux lèvres, que ce soit la Lituanie ou d'autres: quand cela se fera-t-il? Dans deux ans? À la fin du millénaire? En l'an 2010? À mon avis, il faudra compter de nombreuses années; peut-être moins pour certains pays, mais chose certaine, il faudra attendre 7, 8 ou 9 ans pour voir l'adhésion définitive de la plupart des pays candidats.

D'ici là, de nombreux changements auront eu lieu; changements qui nous ont été expliqués par le député Davern particulièrement en ce qui concerne l'évolution des prix, la production, la production naturelle et la subsistance des habitants de la campagne. En effet, les régions agricoles ne sauraient se dépeupler sans que cela ne se traduise par des coûts économiques. Dans la mesure du possible, il faut permettre aux gens de subsister grâce à la terre. Ils produiront sur la terre, et cette activité est génératrice d'intrants dans l'économie; c'est le cas de la production d'aliments qui n'est pas subventionnée, ainsi que des nouvelles pratiques agricoles, notamment l'agriculture biologique.

Les Irlandais sont très aptes à s'adapter au changement. Nous nous sommes adaptés à des changements conformément à la politique agricole commune. Nous avons notamment adhéré à des changements qui ont révolutionné tout le concept de la production laitière. Si vous voyiez les installations que nous avons en Irlande maintenant, et notre niveau de production laitière, nous pourrions assumer la production laitière de l'ensemble de l'Europe sans qu'il en coûte un sou de plus, parce que l'infrastructure est là.

Le coprésident (le sénateur Stewart): Nos invités ont été des plus généreux. À Dublin, nous leur avons posé énormément de questions, et voilà qu'ici, à Ottawa, nous les bombardons encore une fois de questions!

Trois domaines en particulier m'intéressent: toute la question des liens aériens, la question de l'éducation et la nécessité de collaborer pour assurer la conservation des ressources halieutiques. Cela me semble les trois domaines où une collaboration immédiate s'impose. Je suppose que vous vous intéressez toujours au problème du trafic des stupéfiants?

M. Ferris: Bien entendu. Il s'agit là du troisième pilier, dont nous n'avons pas encore parlé. Vous connaissez notre position à ce sujet. Nous connaissons la vôtre, et nous l'apprécions. Nous essayons de promouvoir ce troisième pilier dans le cadre de l'examen du traité. Peut-être cela a-t-il un rapport avec le premier pilier -- nous ne savons pas exactement qu'elle est la décision finale -- mais il faut reconnaître que les ministres de l'intérieur et les ministres de la justice n'ont guère réalisé de progrès à l'égard de ce troisième pilier en raison des différences entre tous les États membres. Cependant, nous avons une position très ferme relativement à ce pilier et l'Irlande a réussi à faire inscrire dans l'une des déclarations du nouveau traité qu'il est impératif de régler les problèmes de trafic de stupéfiants et de terrorisme. En effet, à moins de nous y attaquer de front, ces problèmes continueront de saper nos institutions.

Le coprésident (le sénateur Stewart): Nous ajouterons cela à la liste des sujets prioritaires. Ce sont les sujets qui font surface.

M. Andrews: Monsieur le président, je pense que toute la question de l'aide humanitaire aux Nations Unies est très importante. Autrement dit, nous avons une position commune avec la vôtre au sein des structures que nous partageons, notamment les Nations Unies.

Le coprésident (le sénateur Stewart): Notre comité des affaires étrangères examine nos relations avec l'Asie-Pacifique, et toute la question des droits de la personne revient constamment sur le tapis. Je ne peux parler au nom de notre comité à ce sujet, car je sais que nous n'avons pas encore formulé d'opinion collective. Lorsque vous parlez de collaboration humanitaire, parlez-vous des droits de la personne dans la perspective du commerce, ou d'autre chose?

M. Andrews: Il s'agit de collaboration humanitaire au sens large. Comment définir les droits de la personne? Il s'agit du droit des personnes de vivre de façon pacifique et décente dans leurs propres pays, pour le plus grand avantage de tous et de tous les autres pays. Voyez ce qui se passe en Afrique centrale à l'heure actuelle, et la façon dont la Communauté internationale a refusé d'intervenir. Dans ce domaine, le Canada était disposé à aller de l'avant par lui-même, tout comme l'Irlande d'ailleurs. Il s'agit là d'un domaine ressortissant aux droits de la personne où notre position est commune. Je parlais en fait d'aide internationale, d'aide aux réfugiés, d'un domaine très vaste. Je ne limiterais pas cela au commerce.

M. Ferris: Je suis d'accord avec vous.

M. Andrews: Personnellement, je trouve que le commerce et l'économie sont des sujets ennuyeux, parce que je ne m'y connais absolument pas, et je le dis en toute humilité et avec un certain manque de respect. Par ailleurs, je considère tous les aspects humanitaires terriblement importants. Comme le sénateur O'Toole l'a dit, si nous pouvions en discuter plus souvent sur une base individuelle, je pense que le monde s'en porterait mieux.

Le coprésident (le sénateur Stewart): Voilà qui est utile. Honorables sénateurs, nous sommes très reconnaissants envers nos invités. Nous avons su tirer parti de leur présence. Nous vous remercions beaucoup d'être venus et j'espère que nous garderons ouvertes les lignes de communication entre nous.

M. Ferris: Avant que nous partions, je tiens à vous remercier de nous avoir accueillis et en guise de remerciement pour votre hospitalité, je désire vous faire cadeau d'une figurine de cristal de Tipperary faite à la main. J'espère que vous l'apprécierez.

Le coprésident (le sénateur Stewart): Je vous remercie beaucoup. La séance est levée.

La séance est levée.


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