Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 34 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 6 novembre 1996
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 h 05, pour examiner le projet de loi C-45, Loi modifiant le Code criminel (révision judiciaire de l'inadmissibilité à la libération conditionnelle) et une autre loi en conséquence.
Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous accueillons cet après-midi, dans le cadre de notre étude du projet de loi C-45, des représentants de l'Association canadienne des policiers et de l'Association canadienne des chefs de police. Vous avez la parole.
Chef Julian Fantino (London (Ontario)), membre, Comité de modification des lois, Association canadienne des chefs de police: Madame la présidente, en raison des circonstances, le métier de chef de police figure parmi les plus difficiles au pays. Le travail du ministre de la Justice semble simple par comparaison.
C'est une déclaration qu'a faite M. Rock en août 1995.
Honorables sénateurs, je suis venu aujourd'hui vous communiquer le message que m'ont transmis mes collègues de toutes les régions du pays. Nous croyons également parler au nom des victimes de crimes et des citoyens respectueux des lois. Nous jugeons être en mesure de vous transmettre leur message. La protection de la population, la sécurité et la qualité de vie sont des considérations auxquelles les communautés attachent de nos jours une grande importance. Nous vous remercions de nous donner l'occasion de vous en parler.
Le 11 juin 1996, le ministre de la Justice a déposé un projet de loi qui visait à modifier l'article 745 du Code criminel. Pour l'Association canadienne des chefs de police, cette mesure, même si elle constitue un pas dans la bonne voie, n'est qu'une solution de fortune. Des mesures plus radicales s'imposent. Ce projet de loi ne répond pas de manière satisfaisante aux préoccupations soulevées par un très grand nombre de Canadiens, y compris les groupes de victimes, les policiers et les politiques.
Car il ne faut pas oublier qu'il est question ici de meurtriers qui ont été condamnés dans le respect des garanties prévues par la loi.
La personne déclarée coupable d'un meurtre au premier degré devrait devenir admissible à une libération conditionnelle dans le délai préscrit par la loi, c'est-à-dire pas avant 25 ans. Dans le cas d'un meurtre au deuxième degré, le délai devrait être d'au moins 10 ans ou plus, le juge pouvant fixer le délai qu'il estime indiqué, comme le lui permet de le faire le Code criminel.
Les modifications proposées n'entraînent pas l'abolition de l'article 745 qui, aux yeux de l'Association canadienne des chefs de police, constitue la seule solution logique. Les modifications proposées, à notre avis, tiennent du rafistolage.
M. Rock a déclaré que seules les personnes qui le méritent pourront se prévaloir de l'article 745. Cela veut dire ni plus ni moins qu'on procédera par décompte, si je peux m'exprimer ainsi. Le meurtrier qui n'a tué qu'une seule personne pourra se prévaloir de cet article, tandis que le meurtrier qui en a tué deux, ne pourra, lui, s'en prévaloir. Nous estimons que ni l'un ni l'autre de ces meurtriers ne devraient avoir droit à une libération anticipée. Ils ont perdu le droit d'obtenir un traitement spécial et des privilèges quand ils ont enlevé la vie à une personne. Le seul droit qu'ils devraient avoir en vertu de la loi, c'est celui de soumettre une demande de libération conditionnelle une fois écoulé le délai minimal prescrit au moment du prononcé de la peine.
L'Association canadienne des chefs de police estime que chaque vie est précieuse et qu'il est moralement injustifiable de récompenser un meurtrier tout simplement parce qu'il n'a commis qu'un seul meurtre. De plus, c'est une erreur que d'inclure les auteurs de meurtres multiples dans ce projet de loi. Nous craignons que les criminels moins notoires, mais tout aussi dangereux, ne réussissent eux aussi à obtenir une libération anticipée.
Prenons l'exemple du meurtrier qui a tué un policier ou un gardien de prison. En vertu du projet de loi, cette personne ne serait pas automatiquement exclue de l'application de l'article 745. D'après l'Association canadienne des chefs de police, cette personne ne devrait absolument pas avoir le droit de présenter une demande de libération avant d'avoir purgé 25 ans de sa peine.
Quelle est la raison d'être de l'article 745? Il vise à donner aux détenus la possibilité de contourner l'accusation originale portée par le juge, qui a fondé sa décision sur des témoignages de vive voix concernant la façon dont le meurtre a été commis et ses effets sur la famille de la victime et d'autres personnes. Cette disposition minimise la gravité du geste posé par le meurtrier condamné. Elle est illogique parce qu'elle accorde un traitement spécial aux criminels les plus dangereux qui ont été condamnés des crimes les plus graves que prévoit le Code criminel.
Le gouvernement envoie maintenant aux citoyens un message nouveau, qui demeure toutefois embrouillé. Il cherche par ce compromis à apaiser les défenseurs des libertés civiles et autres groupes qui, à notre avis, ne parlent sûrement pas au nom de la population canadienne. On affaiblit la portée de l'article 745 alors qu'on devrait carrément éliminer cette disposition.
L'Association canadienne des chefs de police est heureuse de constater que certaines des modifications proposées par le ministère de la Justice tiennent compte de nos préoccupations et de celles de nombreux autres Canadiens. Toutefois, le ministère n'a pas pris les mesures qui s'imposaient.
Nous nous opposons fermement au maintien de l'article 745, sous quelque forme que ce soit. Cette disposition est mal conçue et devrait être abrogée une fois pour toute. Il n'y a qu'une seule façon de garantir la sécurité du public: donner à la condamnation à perpétuité le sens qu'elle a, c'est-à-dire l'emprisonnement à vie.
J'aimerais commenter brièvement certaines déclarations que le premier ministre a faites en avril 1993. Il a déclaré que tous les Canadiens devraient avoir le droit de circuler et de vivre en toute sécurité, et qu'il s'agissait-là d'un droit fondamental. Il a ajouté que le nombre de crimes violents avait augmenté de 40 p. 100 depuis 1984, et que les demi-mesures ne suffisaient pas.
L'honorable premier ministre a ensuite parlé des armes à feu, des drogues, des couteaux et autres armes que l'on trouve dans les écoles. Il a aussi parlé de la violence qui règne dans nos communautés. Ce sont des situations, a-t-il dit, qui se produisent surtout dans les villes américaines, mais que nous vivons de plus en plus au Canada. Il a déclaré qu'il fallait éviter l'américanisation du Canada; nous ne voulons pas que nos communautés connaissent la même violence et le même sort que les villes au sud de la frontière. Il a conclu que les Canadiens voulaient que cette dégradation cesse, et qu'elle cesse dès maintenant.
Pour donner suite aux sages paroles de notre premier ministre, il suffirait tout simplement d'abroger l'article 745.
Constable Grant Obst, vice-président, Association canadienne des policiers: Madame la présidente, honorables sénateurs, je fais partie du corps policier de Saskatoon, et j'exerce mon métier depuis 13 ans. J'aimerais vous remercier, au nom des 40 000 policiers municipaux et membres de la GRC que l'association représente, de nous donner l'occasion de vous exposer nos vues sur l'article 745.
En tant que policier, je consacre une grande partie de mon temps à deux groupes de personnes. Je m'occupe dans l'ensemble de l'élément criminel, alors que je dois malheureusement nettoyer le carnage destructif que laissent les crimes commis dans nos communautés.
Je consacre aussi énormément de temps aux victimes de ces crimes.
J'entends sans cesse dire que les gens font de moins en moins confiance au système de justice pénal. Souvent, les gens vont dire: ne vous en faites pas. Il va s'en sortir de toute façon. Ne perdez pas votre temps; cela ne vaut pas la peine.
Nous avons de plus en plus de difficulté, mes collègues et moi, à faire comprendre aux communautés que nous desservons que notre système de justice pénal est le meilleur système qui existe et qu'ils devraient lui faire confiance.
Le problème avec l'article 745, c'est qu'il leur donne raison. L'article 745 constitue non seulement une gifle pour les victimes des meurtriers, mais également un coup énorme porté directement contre les citoyens respectueux des lois.
Lorsque les jurys imposent une peine à une personne qui a commis un meurtre au premier degré, ils partent du principe que la personne va être emprisonnée à vie et qu'elle ne pourra pas avoir droit à une libération conditionnelle avant 25 ans. C'est un fait qui est connu de tous les policiers et de toutes les communautés.
J'ai eu l'occasion de travailler, à Saskatoon, avec une famille qui a vécu un véritable cauchemar lorsqu'elle a appris que la personne déclarée coupable du meurtre au premier degré d'un policier en 1978 pouvait, après 15 ans, demander une révision judiciaire de son cas.
L'article 745 contredit en tous points l'article 742, qui précise qu'une personne ne peut avoir droit à une libération conditionnelle avant 25 ans. Le fait qu'une personne déclarée coupable d'un meurtre au premier degré puisse bénéficier d'un tel droit est répréhensible. Cette disposition, lorsqu'elle a été introduite à l'origine dans le Code criminel, avait pour but de donner un «faible espoir» aux détenus. Ce faible espoir s'est transformé en droit absolu.
Le projet de loi dont vous êtes saisis change tout. L'article 745, à notre avis, devrait être supprimé. Les victimes de meurtres ne sont plus, et elles n'ont pas droit à une deuxième chance ou à un espoir quelconque. Leurs familles non plus. Les cicatrices de ces dernières ne disparaîtront pas après 15 ou 25 ans, mais resteront vivantes jusqu'à la fin de leurs jours.
En tant que policiers, nous estimons qu'une peine de 15 ans ne suffit pas à effacer le pire tort qu'un être humain peut infliger à un autre être humain.
Je sais que vous ne pouvez pas abroger l'article 745 dans sa totalité. Je sais aussi que vous pouvez y apporter des modifications ou le renvoyer à la Chambre des communes pour qu'elle réexamine la possibilité de l'abroger.
Mon collègue, M. Newark, définira les principes de droit qui s'appliquent à l'article 745 et vous décrira certaines des modifications que propose l'Association canadienne des policiers.
Nous sommes d'avis que l'article 745 doit être supprimé. Il ne représente qu'une version diluée de l'article original. Nous vous demandons de nous aider à restaurer la confiance qu'a le public dans le système de justice pénal. Nous avons de plus en plus de difficulté à le faire.
La présidente: Merci, monsieur Obst.
Avant de donner la parole à M. Newark, je tiens à vous rappeler que nous examinons l'article 745.6. Les articles ont été renumérotés à la suite de l'adoption du projet de loi sur la détermination de la peine. Je tiens tout simplement à vous le rappeler, parce que vous allez devoir vous pencher là-dessus à nouveau. Il est question ici de l'article 745.6.
M. Scott Newark, directeur exécutif, Association canadienne des policiers: J'aimerais reprendre là où M. Obst a laissé, et vous parler des principes qui sous-tendent cet article-ci du Code criminel.
Peu importe la peine qui, selon vous, devrait être imposée à la personne qui commet un meurtre, la contradiction qui existe entre cet article et d'autres dispositions du Code criminel pose un problème.
Vous savez tous que le régime de détermination de la peine repose sur des principes bien établis. Ces principes sont énoncés par les tribunaux d'appel chaque fois qu'ils imposent une peine. Ils mettent l'accent sur la dissuasion spécifique, la dissuasion générale, la réprobation et la réinsertion sociale. Chaque peine imposée représente une combinaison de ces principes.
Nous avons, par l'entremise de notre Parlement, codifié certaines règles. Par exemple, les infractions mineures ne requièrent pas une condamnation à perpétuité. Nous avons donc créé ce que nous appelons des infractions punissables par procédure sommaire qui sont assorties de peines minimales fixées à l'avance. Ces peines représentent une juste combinaison des principes qui doivent être appliqués par les tribunaux. Dans de nombreux cas, des peines discrétionnaires plus vastes peuvent être imposées, chaque cas étant évalué séparément.
Pour les meurtres au premier degré, nous avons choisi une approche différente. Nous avons décidé qu'il fallait imposer une peine d'emprisonnement à vie, sans possibilité de libération avant 25 ans, conformément à l'article 42 du Code criminel. Nous avons également décidé que, aux termes de l'article 745 du Code criminel, la durée de la peine pourrait faire l'objet d'un examen.
Si vous jetez un coup d'oeil sur le libellé de l'article original et sur les modifications, vous allez constater que les principes de détermination de la peine ne sont pas les mêmes. L'approche adoptée ici -- du moins, à mon avis, -- va à l'encontre de la perception que nous avons du droit. On met uniquement l'accent sur la réinsertion possible du détenu. Dans le cas d'un meurtre au premier degré, le public dit, «Pendant les 25 premières années, vous allez être incarcéré à cause de ce que vous avez fait, non pas à cause de ce qu'on pense que vous êtes devenu». Si le Parlement ou le public change d'avis et décide que la peine imposée devrait être de 15 ans, il devrait alors avoir la possibilité de modifier l'article 742. Toutefois, le fait de maintenir cette contradiction dans l'article 745 a un impact très important: en effet, elle porte atteinte à la crédibilité du système de justice pénal.
Les gens ne cessent de répéter que le système de justice pénal impose une chose, conformément au Code criminel, et en fait une autre. Cet article est en train de détruire la confiance qu'a le public dans le système de justice pénal.
L'article 745 n'est pas le seul problème. Clifford Olson aura le droit de présenter une demande d'examen en août, même s'il n'a pas encore purgé 15 ans de sa peine, en raison de l'article 746. En vertu de cet article, le décompte pour la période de 15 ans se fait à partir de la date d'arrestation, si le suspect a été mis sous garde.
La condamnation à perpétuité ne correspond pas à une peine de 25 ans, mais à une peine de 15 ans. Et la peine de 15 ans ne correspond pas à 15 ans, mais à une peine moins longue.
La période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle dans le cas d'un meurtre au premier degré n'est pas de 25 ans, mais plutôt de 15 ans. Si le Parlement estime que cette période devrait être de 15 ans, il devrait se prononcer en termes clairs et sans équivoque et laisser les électeurs décider s'ils partagent ce point de vue.
Il s'agit là du principal défaut de l'article 745 et du projet de loi. Le chef Fantino l'a fort bien expliqué. Cette mesure tient du rafistolage.
J'ai dit dans le mémoire que cette mesure équivalait à donner de l'aspirine à quelqu'un qui souffre d'une maladie potentiellement mortelle. Bien que la maladie soit guérissable, nous avons choisi de ne pas la soigner.
Le projet de loi devrait faire l'objet d'un nouvel examen. Nous proposons dans notre mémoire des moyens de traiter les «cas exceptionnels» mentionnés par M. Rock. Je lui ai d'ailleurs demandé à quelques reprises de nous expliquer ce qu'il entendait par cela.
Il est important de bien comprendre que cet article ne s'applique qu'aux meurtres au premier degré. La définition est très claire. Ce ne sont pas ce qu'il appelle des «homicides», mais plutôt les pires types de crimes qui peuvent être commis.
Lorsque nous avons comparu devant le comité de la Chambre des communes, nous avons fait valoir que le projet de loi contenait une disposition qui semblait enlever aux victimes la possibilité de fournir des renseignements dans les cas de crimes commis avant l'entrée en vigueur du projet de loi. La présidente, Mme Cohen, a indiqué que plusieurs autres personnes avaient soulevé le même point.
J'ai soulevé la question parce que je n'étais pas sûr de comprendre l'article. J'ai toujours de la difficulté à saisir le sens des dispositions transitoires.
Si j'ai bien compris, les dispositions actuelles du projet de loi C-41, qui permet aux victimes de faire des déclarations, pourraient être réfutées. Ce qui équivaudrait à réfuter toutes les déclarations qu'a faites M. Rock au sujet de l'importance d'accorder un plus grand rôle aux victimes dans le processus.
Les fonctionnaires du ministère n'ont pas été en mesure de nous fournir une réponse claire et précise. L'article en question n'a pas été modifié. Je vous encourage à reconvoquer les fonctionnaires pour vérifier s'il l'a été ou non. Si vous décidez de ne pas apporter de modifications au projet de loi, je vous demande de faire en sorte que la promesse qui a été faite aux victimes soit au moins respectée.
J'aimerais maintenant vous parler d'une demande qui a été examinée aux termes de l'article 745. Le jury a demandé à savoir si l'on avait déjà décidé dans le passé de soumettre le cas à un jury. Aucune décision en ce sens n'avait été prise, parce que, comme l'a mentionné M. Obst, chaque détenu a le droit de demander une révision judiciaire. Il n'est pas nécessaire que son cas soit considéré comme un cas exceptionnel.
Ce ne sera plus le cas. Dans le cadre du nouveau processus, le juge se prononcera en fonction de critères tout à fait absurdes; je crois que l'expression utilisée est: «s'il existe une possibilité réelle que la demande soit accueillie». Il faudrait à tout le moins insérer un bout de phrase grâce auquel il serait interdit d'informer le jury que, selon un juge, il existe une possibilité réelle que la demande soit accueillie, sans quoi vous pouvez vous imaginer comment réagiront les jurés.
C'est là une lacune fondamentale du projet de loi. Dans le peu de temps dont nous disposions pour préparer notre témoignage devant le comité de la Chambre des communes, il nous a été impossible d'étudier le projet de loi ligne par ligne. Cette lacune nous avait échappé. À mon avis, on s'apprête à commettre une très grave erreur, ici.
Mon dernier point concerne des modifications précises. Il en est question dans notre mémoire, aux pages 10, 11 et 12.
J'y vois trois grandes questions. Nous avons essayé de proposer un article de remplacement au ministère, dans l'espoir de lui montrer que c'est en fait possible. Au paragraphe 3, vous pouvez voir que la liste des critères utilisés pour décider, tout d'abord, si la personne a droit à une révision judiciaire, puis, sur quoi devrait porter la révision par un jury, en supposant qu'un jury est appelé à se prononcer, est différente.
C'est le point que je tentais de faire valoir au départ. Il faudrait tenir compte de tous les principes qui ont influencé la détermination de la peine, plutôt que de la simple évaluation des chances de réadaptation. Nous rétablirions ainsi l'équilibre initial de notre système pénal et connaîtrions la raison pour laquelle la personne a été condamnée au départ.
En ce qui concerne les exemptions, le chef Fantino a mentionné que la seule exception prévue est l'auteur de meurtres multiples. S'il faut maintenir le régime, nous sommes d'accord avec cette exemption. Par contre, il existe d'autres cas où le détenu ne devrait pas pouvoir demander une révision judiciaire, dans l'intérêt public. Notre mémoire en fait une énumération: n'aurait pas le droit de demander une révision celui qui, par exemple, tue un policier ou un gardien de prison, celui qui commet un meurtre pendant qu'il jouit d'une liberté anticipée ou de toute autre forme de liberté conditionnelle, celui qui tue plus d'une fois et celui qui tue sa victime durant une agression sexuelle. En d'autres mots, la possibilité de demander une révision judiciaire se limiterait fort probablement à des cas exceptionnels plutôt que d'inclure des cas où sont en jeu les principes de dissuasion et d'exemplarité de la peine. Le champ serait donc plus limité.
En troisième lieu, plutôt que de laisser la décision au juge, il vaudrait mieux, selon nous, confier ce pouvoir au ministre. La Loi sur l'extradition confère au ministre ce genre de pouvoir discrétionnaire. Lors de mes entretiens avec lui, M. Rock m'a laissé entendre que le ministre serait alors appelé à trancher dans de trop nombreux cas.
En toute sincérité, j'en doute. Vous pouvez vérifier vous-mêmes auprès du ministère de la Justice. Aux termes de l'article 6 de la Loi sur l'extradition, il faut que le ministre obtienne lui-même des assurances que l'État étranger n'imposera pas la peine capitale. Pareilles situations surviennent beaucoup plus souvent que le genre de situation prévue dans le projet de loi à l'étude.
Si l'on estime qu'une telle exception est essentielle, il faudrait alors confier le pouvoir de décision, comme il convient, à un ministre d'État élu plutôt qu'à un juge, qui a moins de comptes à rendre.
D'après nous, le projet de loi à l'étude comporte de graves lacunes et il ne règle pas le problème. Le principe sur lequel il repose mine encore plus la confiance de la population à l'égard du système judiciaire. Je vous assure que ce manque de confiance est très réel. Ce genre de mesure législative l'aggrave. Même si le projet de loi n'est pas retiré, il y aurait moyen, en dépit de modifications de fond, de permettre ce genre de révision dans des situations mieux définies. Il y aurait moyen de mieux protéger l'intérêt public et de mieux défendre les principes sur lesquels repose la justice pénale au Canada.
Le sénateur Jessiman: Monsieur Fantino, combien de chefs de police votre association représente-t-elle? Tous les chefs de police du Canada sont-ils membres de votre groupe? Existe-t-il une autre association de chefs?
M. Fantino: L'Association canadienne des chefs de police représente tous les chefs de police, dans toutes les provinces.
Le sénateur Jessiman: Cela inclut-il tous les chefs de sûreté provinciale, par exemple de l'Ontario?
M. Fantino: Oui.
Le sénateur Jessiman: Et les chefs de la GRC?
M. Fantino: Ils en font partie, eux aussi, oui.
Le sénateur Jessiman: Monsieur Newark, je vous pose la même question.
M. Newark: Notre association est la seule à représenter les simples policiers. Nous représentons approximativement 3 000 des 15 000 membres de la GRC.
Comme vous le savez peut-être, la Loi sur la GRC, cette force unique entre toutes, ne leur reconnaît pas de droits en tant qu'employés. Nous pourrions bien nous retrouver ici pour témoigner au sujet des modifications envisagées au Code canadien du travail. Un mouvement est en train de prendre naissance au sein de la GRC. Trois mille membres environ se sont regroupés en association. Ils sont membres de l'Association canadienne des policiers et de presque toutes les autres associations municipales, exception faite de celles d'Halifax et de Calgary. Notre règlement intérieur exige qu'ils soient membres de leur organisme provincial. S'ils ont un différend avec l'organisme provincial, ils ne peuvent faire partie de l'organisme national. Nous sommes une organisation cadre. Nous ne négocions pas de conventions collectives.
Le sénateur Jessiman: Parmi les autres qui ne sont pas membres de votre association, vous n'avez pas de raison de croire qu'ils épouseraient d'autres principes que les vôtres? Auraient-ils une position différente?
M. Newark: Loin de là, monsieur. En fait, en ce qui concerne les membres de l'Association de la police de Calgary, bien qu'ils ne soient pas membres en règle de la fédération albertaine et, par conséquent, de notre association, ils nous accompagnaient, l'an dernier, lorsque nous avons témoigné. Certains de mon groupe en particulier défendaient les mêmes positions. Nous n'avons jamais entendu des policiers qui n'étaient pas membres en règle de notre organisation émettre une opinion contraire.
Le sénateur Jessiman: Dans l'exercice de vos fonctions, vous rencontrez des procureurs généraux et des procureurs des provinces. Connaissez-vous leur position?
M. Newark: Je la connais. J'ai souvent eu affaire au procureur général et au solliciteur général de l'Ontario. Tant M. Runciman que M. Harnick ont publiquement demandé, tout comme les députés de Queen's Park, à M. Rock d'abroger l'article 745 du Code criminel.
Je sais que le procureur général de l'Alberta a une position analogue, bien que je ne sois pas sûr que l'assemblée provinciale a adopté une motion en ce sens. Le procureur général du Nouveau-Brunswick a aussi, je crois, adopté cette position, tout comme le gouvernement de la Colombie-Britannique. Je vous obtiendrai volontiers ces précisions, sénateur.
Le sénateur Pearson: Les différences entre le Québec et le reste du pays nous intéressent. Les deux organismes que vous représentez ont une forte composante québécoise.
M. Fantino: C'est exact, sénateur. Les dirigeants québécois de répression de la criminalité font partie de l'Association canadienne des chefs de police. Je parle donc aussi en leur nom, aujourd'hui.
M. Newark: Il en va de même pour notre association, sénateur. La seule exception est la Sûreté du Québec, qui n'est pas membre de la fédération québécoise. Selon ses membres, le règlement intérieur leur interdit de faire partie de notre association.
J'ai souvent témoigné en compagnie de M. Turcotte, de la Sûreté, concernant plusieurs questions. Je ne l'ai jamais entendu dire qu'il n'était pas d'accord avec notre position au sujet de l'article 745. La fédération québécoise est entièrement d'accord avec notre position.
Le sénateur Pearson: Est-elle représentée au sein de votre comité exécutif?
M. Newark: Un des vice-présidents vient du Québec. M. Obst vient de la Saskatchewan. Son homologue du Québec est un certain André Nadon.
Le sénateur Pearson: Pouvez-vous nous donner une idée de la raison pour laquelle leurs données statistiques sont si différentes de celles du reste du pays? Je parle des 175 détenus qui ont pu demander une révision judiciaire en vertu de l'article 745. Soixante-seize d'entre eux ont fait une demande, et 63 ont obtenu une audition. Il existe un grand écart entre les données québécoises et celles des autres provinces. En ce qui concerne les réductions de la période d'admissibilité, il y en a eu 28 au Québec, 7 en Ontario et une seule en Nouvelle-Écosse, par exemple.
M. Newark: Je crois savoir que c'est en réalité le cas en ce qui concerne les demandes de déclaration de délinquants dangereux. Je n'ai cependant jamais vraiment cherché à le vérifier.
Si cela vous intéresse, je pourrais demander les renseignements au cabinet du procureur général. Moi-même, j'ai déjà agi comme procureur de la Couronne. Une province a tenté l'expérience: la Couronne ne s'est pas opposée aux demandes présentées en vertu de l'article 745. Cela explique peut-être la différence entre le Québec et le reste du pays.
Le sénateur Pearson: Vous avez parlé de la méfiance des Canadiens à l'égard de leur système.
J'ignore si un sondage a été effectué en vue d'en vérifier l'existence. C'est certes ce qu'affirme la presse, et je suppose que cette méfiance n'est pas sans fondement. Cependant, je ne suis pas moi-même méfiante à l'égard du système canadien, et j'espère que je ne fais pas exception.
Le comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles aimerait bien aller au coeur du problème, savoir ce qui se passe réellement et qui sont ces gens. Qu'arriverait-il si nous n'apportions pas les modifications que vous demandez? Les juges prononceront-ils vraisemblablement des peines différentes, sachant que le condamné sera inadmissible à une libération conditionnelle, entre autres?
M. Newark: C'est la peine que prévoit la loi. Le juge n'a pas de pouvoir discrétionnaire à cet égard. Si la personne est jugée coupable d'un meurtre au premier degré, c'est le peuple du Canada qui, au moyen du Code criminel, fixe la peine.
Je proposerais, sans aller jusqu'à modifier la peine initiale, que l'on examine les autres moyens de l'appliquer. Par exemple, on peut revoir le classement du détenu selon le niveau de sécurité.
En principe, nous sommes opposés au fait qu'on ne joigne pas le geste à la parole. Si la peine prévoit une période d'inadmissibilité de 15 ou de 20 ans, il faudrait en respecter la durée.
Je répète que le processus mine la certitude qu'en théorie, la plupart d'entre nous tenaient pour acquise. Les principes en vertu desquels nous prononçons la sentence sont plutôt bien connus. Cependant, l'article 745 et le projet de loi à l'étude vont à l'encontre de ces principes.
La solution la plus limpide est d'abolir l'article 745 ou, du moins, d'en restreindre le champ d'application.
Le sénateur Milne: Je ne voudrais pas que vous nous quittiez convaincus que nous pouvons accéder à votre demande. Soit que nous sommes d'accord avec le libellé de l'article 745.6, soit que nous le modifions. Nous ne pouvons pas abroger l'article. Ce n'est pas de notre ressort.
Étant donné les choix concrets à notre disposition, lequel préféreriez-vous? Faut-il adopter le projet de loi à l'étude ou le rejeter en y laissant intact l'article 745?
M. Fantino: Si vous me permettez de répondre, ce n'est pas à prendre ou à laisser, particulièrement du fait que plusieurs arguments très probants sont constamment avancés depuis quelque temps déjà à ce sujet.
La façon dont la population canadienne perçoit l'administration de la justice au pays est cruciale.
Il est déraisonnable, au sein d'une société civilisée, de conférer des avantages à un tueur parce qu'il n'a tué «qu'une seule personne».
Quel message envoyons-nous aux terroristes, aux tueurs à forfait, à ceux qui tuent les membres les plus vulnérables de notre société, à ceux qui s'en prennent aux femmes, aux enfants et aux personnes âgées? Eux aussi, ils n'ont peut-être tué qu'une seule personne. Une victime demeure une victime. Elle a droit à la même protection. Si quelqu'un tue plus d'une fois, doublons la mise!
Les Canadiens sont connus dans le monde entier pour leur civilité, leur compassion, leur souci de la sécurité et la valeur qu'ils attachent à la vie. Partout dans le monde, des Canadiens sont présents pour maintenir la paix et l'ordre et pour aider d'autres pays à se démocratiser.
Il se fait aussi de la prévention au Canada. Nous adoptons des lois névralgiques. Certains commettent des crimes à caractère raciste. Nous sévissons maintenant contre ce genre de crime.
Que fait-on de ceux qui tuent gratuitement des policiers en devoir, ceux-là mêmes auxquels nous confions tant de responsabilités? Nous attendons de ces policiers qu'ils mettent leur vie en jeu. Or, être policer ne signifie pas qu'il faut s'attendre à être tué en devoir, loin de là! Pourquoi avons-nous retiré cette protection aux gardiens de prison et aux policiers, à ceux-là mêmes auxquels nous demandons de protéger nos collectivités?
Le sénateur Milne: Selon moi, l'article qui devait donner un mince espoir a été adopté à la demande expresse des gardiens de prison qui estimaient être en danger si les prisonniers n'avaient pas un espoir quelconque.
M. Newark: Le secrétaire parlementaire du solliciteur général a abordé cette question avec moi durant les audiences du comité de la Chambre des communes.
L'argument est illogique. Je rencontre souvent des syndiqués des services correctionnels. Selon moi, vous auriez intérêt à entendre le témoignage de ceux qui font réellement le travail. S'ils répètent ce qu'ils m'ont dit, ils vous diront de ne pas faire d'eux des boucs émissaires en adoptant cette mesure législative. La décision de fixer la peine d'emprisonnement à vie à 20 ou à 15 ans est discrétionnaire. Cet argument a été réfuté par ceux qui font le travail.
M. Fantino: J'aimerais vous donner un exemple anecdotique afin de ne pas nuire à l'issue du débat. Une personne qui a tué un policier de sang froid a été condamnée à 25 ans d'emprisonnement sans possibilité de libération conditionnelle. Cette personne vient de faire une demande de libération anticipée après avoir purgé 15 ans de sa peine. Durant sa détention dans un établissement de sécurité maximale, on a noté dans son dossier sept fois en deux ans qu'elle était intoxiquée. Le détenu a aussi eu en sa possession des articles de contrebande, il a refusé d'obéir à un ordre et il a refusé de donner un échantillon d'urine.
Cet homme a continuellement consommé des drogues pendant qu'il se trouvait dans une prison à sécurité maximale du Canada. Il lui faut des traitements à long terme.
Le sénateur Jessiman: Comment les obtient-il?
M. Fantino: Je n'ai pas fini. Son cas pose d'autres problèmes: il faut changer son comportement, son comportement criminel, sa façon de penser et son comportement ultérieur, et ainsi de suite.
Tout cela étant dit, voici l'opinion donnée par un haut fonctionnaire qui traite la demande de ce prisonnier.
L'agent d'évaluation indique que le comportement de ce détenu, anonyme, est entièrement satisfaisant.
Je ne connais pas d'exemple plus flagrant de tout ce qui va à l'encontre de ce qui est sacré et décent dans les principes de détermination de la peine et de tout ce qui cloche dans l'administration de la justice au pays. Voilà le genre de frustrations avec lesquelles sont aux prises tous les Canadiens et les policiers. S'il n'en tenait qu'à l'agent d'évaluation, ce détenu serait libéré dès demain. De toute évidence, on ne voit rien de mal au fait qu'il consomme des drogues alors qu'il se trouve dans un établissement à sécurité maximale. Cela m'effraie.
Le sénateur Milne: Je vous comprends. Moi aussi, je suis effrayée. Croyez-vous que cette personne obtiendra une libération anticipée?
M. Fantino: Je vous répondrai que le fait même que l'on examine sa demande m'effraie. Le coût pour les contribuables... toute cette affaire est une farce. Il faut que je vous dise que, pendant sa détention dans une prison à sécurité maximale, il a aussi engendré des enfants.
M. Newark: Pourquoi lui donner cette audience? M. Rock m'a posé la même question au sujet de Clifford Olson. Il m'a demandé pourquoi je faisais tant de chichis au sujet d'une audience puisque le prisonnier ne serait jamais libéré.
C'est vrai, mais, alors, pourquoi lui accorde-t-on une audience? Pourquoi engorgeons-nous notre système judiciaire et disons-nous que c'est ainsi que se font les choses? Sommes-nous à ce point incapables de rédiger des modifications plus pointues que nous nous sentons obligés de conférer un droit absolu ou un droit désormais édulcoré à ceux qui ne devraient pas l'avoir?
Le sénateur Milne: Êtes-vous en train de me dire que vous préférez cet amendement rafistolé aux dispositions prévues actuellement par le code?
M. Newark: Il ne fait aucun doute que cet amendement est préférable à la version actuelle.
Le sénateur Milne: C'est mieux que rien?
M. Newark: Ça ne veut pas dire grand-chose quand on y pense bien. Je pourrais vous raconter bien d'autres histoires à propos des audiences tenues en vertu de l'article 745. J'ai eu l'occasion de voir des rapports du Service correctionnel du Canada bien pires encore que celui-ci au niveau de la désinformation.
Les amendements que nous avons proposés dans notre mémoire -- nous préférerions que le projet de loi soit abrogé -- contribueront dans une très grande mesure à le rendre au moins tolérable, même si cet article continuera d'exister. Nous avons l'intention d'exercer des pressions pour qu'il soit abrogé. Nous pourrons alors revoir les peines pour meurtre s'il le faut. Ces amendements seraient au moins nettement préférables aux dispositions que renferme le projet de loi C-45 du gouvernement.
Le sénateur Milne: Revenons à la possibilité que la demande d'un détenu soit acceptée. On nous a d'ailleurs assurés qu'il ne s'agit pas en fait de 15 ans. Le détenu peut présenter une demande après 15 ans mais l'audience peut n'avoir lieu qu'après 18 ou 19 ans.
Si vous soustrayez le nombre de détenus au Québec qui se sont vu accorder une libération conditionnelle anticipée du nombre de libérations conditionnelles anticipées dans le reste du pays, c'est-à-dire si vous soustrayez 28 de 50, le taux dans le reste du pays semble très faible.
La présidente: Sénatrice Milne, nous avons des chiffres plus récents. Le 28 octobre 1996, 55 détenus ont vu leur période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle réduite par les tribunaux. Ce qui retient l'attention du sénateur Milne, c'est que 29 de ces 55 détenus se trouvent dans une seule province, c'est-à-dire au Québec.
M. Newark: Je suis au courant de cette anomalie statistique. Je suis d'accord. Je reconnais que j'ai probablement un parti pris mais je pense que cela corrobore notre argument. Quel gaspillage. Quel gaspillage de l'argent du contribuable, sans compter la victimisation tragique de tous ces gens.
Je suis également au courant des autres chiffres qu'on vous a fournis je suppose. On indique également un taux d'échec de 25 p. 100 chez les détenus qui ont été libérés.
Le sénateur Jessiman: Que voulez-vous dire par là?
M. Newark: Le président de la Commission nationale des libérations conditionnelles a fourni ces chiffres au comité de la justice. Vingt-six détenus ont été libérés. De ce nombre, un est mort. Il en reste 25. Trois d'entre eux sont retournés en prison pour avoir enfreint les conditions de leur libération. Un autre a été condamné pour vol à main armée. Quant au dernier, on ignore où il se trouve. Il a disparu dans la nature.
Pour nous, la question n'est pas de savoir si la libération conditionnelle est appropriée pour ce genre de personnes. Le problème porte plutôt sur la nature des actes qu'ils ont commis. Nous avons établi à 25 ans la peine qui doit être imposée pour ce crime. Or, le système s'est détraqué et affiche malgré tout un taux d'échec de 25 p. 100.
Le sénateur Jessiman: On nous a également indiqué qu'aucun de ces détenus n'a commis un autre meurtre une fois libéré.
M. Newark: Je ne trouve pas cela vraiment rassurant. Le prochain numéro de notre revue traite du service correctionnel et de l'industrie de la libération conditionnelle. Au cours des 10 ou 12 dernières années, si vous incluez les homicides et ce que le Service correctionnel du Canada définit comme des infractions graves -- tentative de meurtre, enlèvement, vol à main armée -- environ chaque jour et demi dans ce pays, au cours des 10 dernières années, des prisonniers fédéraux bénéficiant d'une libération anticipée ont assassiné, volé et agressé, violé ou dévalisé un citoyen canadien innocent.
Avec le plus grand respect, je considère que ce système est un échec.
Le sénateur Jessiman: Les présentations que vous avez faites ont été approuvées par votre comité exécutif, je suppose?
L'ensemble de vos membres est-il d'accord avec les propos que vous tenez ici? Il ne s'agit pas uniquement des comités exécutifs de vos associations? Est-ce que je me trompe?
M. Obst: En 1995, une révision judiciaire a eu lieu en vertu de l'article 745 à Saskatoon en Saskatchewan. Au cours de la semaine de la révision, tous les policiers de la province ont arboré un insigne sur lequel étaient inscrits les mots «article 745» entourés d'un cercle rouge, traversé d'une ligne rouge. Chaque policier municipal en portait un.
Il y a près de trois ans maintenant que nous débattons de cette question avec nos membres. La position que nous présentons est unanime.
Le sénateur Jessiman: Les chefs de police sont-ils du même avis?
M. Fantino: Oui, sénateur. Nous avons officiellement remis au ministère de la Justice une résolution il y a un certain nombre d'année pour l'abrogation de l'article 745. Notre position n'a pas changé depuis.
M. Newark: Nous avons officiellement proposé, lors de nos deux derniers congrès nationaux, une résolution réclamant l'abrogation de l'article 745. Chaque année, cette résolution a été adoptée à l'unanimité.
M. Fantino: Je laisserai au comité une copie de la résolution en question. Elle remonte à 1994, lors de la conférence de l'Association canadienne des chefs de police, et réclame expressément l'abrogation de l'article 745 du Code criminel. Je me ferai un plaisir de laisser ce document au comité.
Le sénateur Doyle: Avez-vous été invités par le ministère ou par les législateurs à participer aux consultations sur la rédaction de cette loi en particulier?
M. Newark: J'y ai participé d'assez près. Comme vous pouvez le constater d'après mes remarques, ils n'ont pas tellement tenu compte de mes conseils. Nous leur avons toujours conseillé d'abroger cet article.
Si par souci de pragmatisme, ils décidaient de ne pas abroger cet article, nous leur avons proposé une série de modifications.
J'ai dû faire des recherches pour mettre à jour ce mémoire à l'intention du Sénat. Les modifications qui figurent aux pages 10, 11 et 12 proviennent d'une note personnelle que j'ai envoyée aux collaborateurs de M. Rock lorsqu'ils m'ont demandé de leur soumettre des propositions sur la teneur de l'article 745 avant qu'il soit présenté à la Chambre.
M. Rock a procédé à des consultations. Ce n'est pas ce dont je me plains. J'aimerais simplement être plus persuasif parfois.
Le sénateur Doyle: Est-ce que vos collègues sont d'accord avec vous?
M. Fantino: Nous avons nous aussi participé aux consultations et nous avons toujours transmis le même message. Nous avons exercé des pressions, fait connaître les préoccupations de la collectivité et notre opinion professionnelle à ce sujet et nous avons constamment préconisé l'abrogation de l'article 745. Les seuls changements que nous avons appuyés concernent l'abrogation de l'article 745.
Pour être juste envers le ministre, je dois avouer que certains des changements proposés valent mieux que rien, comme on l'a indiqué plus tôt. Cependant, ils sont loin d'être complets et ne donnent même pas suite à certaines de nos préoccupations sur ces questions. Lors d'une importante conférence il y a deux ans, l'association des Canadiens contre la violence partout recommandant sa révocation, la CAVEAT, a présenté une résolution officielle demandant l'abrogation de l'article 745 du Code criminel. C'est le message que nous avons régulièrement transmis.
Le sénateur Doyle: Auriez-vous préféré qu'au lieu de s'en tenir à cet examen étroit de l'article 745, le gouvernement ait fait une enquête sur tous les aspects de la libération conditionnelle?
M. Fantino: C'est une bonne question, sénateur. Bien entendu, nous nous préoccupons des questions susceptibles d'avoir des répercussions, quelles qu'elles soient, sur la sécurité du public et la qualité de vie. Manifestement, nous vous avons présenté officiellement ainsi qu'à d'autres comités du gouvernement notre position sur l'abrogation de l'article 745. Nous avons également collaboré à toute une série d'autres initiatives -- sous forme de participation, de consultations, de recommandations -- visant à améliorer la sécurité des Canadiens et qui, nous l'espérons, donneront des résultats concrets.
M. Newark: L'ironie de la chose, c'est que l'autre projet de loi s'appelait aussi le projet de loi C-45, modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Votre comité a étudié ce projet de loi lorsqu'il a étudié le projet de loi C-41, et j'ai essayé alors de vous persuader de ne pas l'adopter. Il y a également le projet de loi C-53 qui se rapporte à la Loi sur les prisons et les maisons de correction. Le projet de Loi C-55 se trouve actuellement devant la Chambre et nous insistons depuis longtemps pour qu'un tel projet de loi soit adopté, en ce qui concerne les détenus à risque élevé.
Nous avions proposé au départ qu'on examine tous les aspects se rattachant à libération conditionnelle et aux peines imposées en cas de meurtre. Comme l'a déclaré le chef Fantino, il serait tout à fait possible d'envisager de changer la façon dont nous imposons des peines pour meurtre. Par exemple, nous pourrions avoir des périodes consécutives d'inadmissibilité en cas d'homicides multiples, au lieu d'essayer de bricoler des exemptions aux révisions prévues par l'article 745. Ces propositions n'ont pas été retenues.
Nous réagissons à ce que fait le gouvernement et nous le faisons de notre mieux. Parallèlement, nous continuons d'exercer des pressions. Nous avons procédé de façon plutôt segmentaire que générale. Nous sommes en train de faire certains progrès sur le plan de l'amélioration du système en général.
La présidente: Nous tenons à rappeler aux sénateurs que la séance de demain portera sur les victimes de violence. Les groupes Victimes de violence et le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes seront des nôtres. Malheureusement l'association CAVEAT ne pourra être présente.
Le sénateur Beaudoin: J'ai été tenté de lancer un débat philosophique mais nous serions encore ici dans trois semaines.
L'univers judiciaire et l'univers juridique sont gigantesques. Lorsque nous parlons du système, je déclare toujours que le droit pénal est un univers en soi. Nous avons le système judiciaire. Nous avons le Code criminel. Nous avons la détermination de la peine. Nous avons les questions de libération conditionnelle.
Est-ce que vous acceptez en principe le système de libération conditionnelle? Dans l'affirmative, quelles sont les limites que vous imposeriez à ce système?
J'ai l'impression que dans notre pays et dans certains pays étrangers, le public est partisan d'un système de libération conditionnelle mais que ce n'est pas le cas partout. Certains se situent peut-être entre les deux. Ils sont peut-être d'accord, mais trouvent que nous sommes trop généreux.
Quelle est votre position?
M. Newark: Ma plus grande crainte à propos du débat actuel, c'est que si nous n'améliorons pas le système de libération conditionnelle, de plus en plus de gens réclameront son élimination. Ce serait, à mon avis et de l'avis de notre association, une terrible erreur. Nous n'avons jamais réclamé, et je doute que nous le fassions, l'abolition de la libération conditionnelle. Manifestement, la meilleure façon d'assurer la protection du public, c'est de faire en sorte qu'une personne modifie son comportement criminel et devienne un membre productif de la société.
De même, la meilleure façon d'y parvenir, c'est de favoriser la réinsertion d'un détenu dans la société, c'est-à-dire ne pas se contenter de le laisser sortir. Il faut déterminer les détenus qui se prêtent à la libération conditionnelle et choisir les bonnes circonstances. C'est pourquoi nous n'avons cessé de formuler des recommandations axées sur les contrevenants les plus dangereux. Il s'agit de la série de recommandations axées sur les détenus à risque élevé.
Ce n'est pas un hasard si la criminalité dans notre pays -- les taux d'homicides et de crimes violents -- a diminué au cours des trois dernières années. Je ne veux pas faire de la publicité pour notre revue, mais vous pourrez constater dans notre prochain numéro des chiffres qui appuient cette déclaration. Au cours de cette même période, le taux de détention -- c'est-à-dire le processus par lequel nous nous assurons que les contrevenants les plus dangereux purgent la totalité de leur peine -- a quadruplé. Le taux de récidive violente par suite d'une libération conditionnelle a diminué. Nous sommes mieux en mesure de garder les contrevenants les plus dangereux en prison et de les priver de la possibilité de commettre de nouveaux crimes. Par conséquent, le taux des crimes violents est en train de diminuer.
Ce sont donc les principes qui nous guident. Cela a beaucoup de sens. Ce serait faire preuve d'un manque de vision que de ne pas avoir de système de libération anticipée. Cependant, il faut déterminer avec soin les détenus qui peuvent s'en prévaloir, en fonction de leur conduite passée, c'est-à-dire en fonction du crime qu'ils ont commis ou, plus probablement lorsqu'on traite de la libération conditionnelle en général, de leur conduite passée lorsqu'ils étaient en libération conditionnelle.
Ces cas ne sont pas difficiles à trouver. Nous pourrions vous donner des exemples de cas où notre système traite tous les détenus de la même façon même si certains ont commis une dizaine de crimes pendant qu'ils étaient en libération conditionnelle anticipée. Ils continuent à avoir droit, toujours aux frais du public, à la même admissibilité à la libération conditionnelle que des délinquants primaires. Notre loi est tellement loufoque que si un détenu commet un crime pendant qu'il est en libération conditionnelle, il a l'avantage, sur quelqu'un qui a commis une première infraction, de pouvoir déterminer sa prochaine date d'admissibilité à la libération conditionnelle. Je crois que nous avons discuté de cet aspect dans le cadre du projet de loi C-45, lorsque nous vous avons exhortés d'apporter un amendement pour modifier justement ce point.
C'est la loi qui est toujours en vigueur au pays. Si vous commettez un crime lorsque vous êtes en libération anticipée, vous pouvez avoir un avantage au niveau de l'admissibilité à la libération conditionnelle sur le type qui vient de commettre une première infraction.
Ce sont les aspects qu'il faut modifier pour que la libération conditionnelle continue à faire partie de notre système général.
Le sénateur Beaudoin: Est-ce que nous tirons une leçon de nos erreurs ou de nos réussites?
M. Fantino: Tirer une leçon de nos erreurs est une chose terrible car certaines de ces erreurs ont été coûteuses et même fatales.
Pour revenir à ce que M. Newark a dit, nous devons examiner la situation sous l'angle du criminel, car beaucoup d'entre eux considèrent qu'entrer dans le système judiciaire est le prix à payer pour faire ce qu'ils font.
À mon avis, la libération conditionnelle ne devrait pas être absolue et devrait toujours dépendre de nombreux facteurs, dont la volonté et la capacité du détenu de participer aux programmes qui, au bout du compte, en feront un citoyen productif. Savez-vous le nombre de gens que nous recyclons? C'est l'aspect que les policiers trouvent pénible. Nous avons toujours affaire aux mêmes individus.
On dirait que pour ceux qui veulent commettre des crimes, entrer dans le système de justice pénale, c'est comme fréquenter un magasin d'aubaines. Ils bénéficient d'un escompte à chaque étape du processus, depuis le moment où ils arrivent au poste de police jusqu'à celui où ils quittent la prison, s'ils vont en prison.
Nous avons parlé plutôt de la confiance dans le système. Il faut examiner ces questions sous l'angle des victimes ou des victimes possibles. Il existe des groupes vulnérables qui deviennent la proie des criminels. Il y a des gens qui n'arrêtent pas de manigancer toutes sortes de projets pour victimiser ces groupes. On donne toutes sortes de chances aux criminels, mais pas aux victimes, du moins pas encore.
Le sénateur Beaudoin: Pouvons-nous tirer une leçon des expériences d'autres pays ou s'agit-il d'une situation particulière à un pays? Il est évident que la violence est plus grave dans certains pays plutôt que d'autres. Nous pourrions peut-être faire des comparaisons entre notre système et celui en vigueur dans d'autres pays. Avons-nous appris quelque chose des autres systèmes?
M. Newark: J'étais en Nouvelle-Zélande récemment. J'ai été stupéfait par les similarités qui existent entre nos systèmes. À bien des égards, nous sommes à l'avant-garde sur le plan de l'administration des peines et de la libération conditionnelle. La seule amélioration que j'apporterais, si je le pouvais, ne concerne pas les dispositions du projet de loi, ni celles du Code criminel ou de la Loi sur les services correctionnels. Le changement que j'apporterais et qui contribuerait plus que toute autre mesure à améliorer la sécurité du public concerne la Loi sur la protection de la vie privée dans ce pays.
Vous m'avez demandé si nous pouvions tirer une leçon de nos erreurs, si seulement nous le pouvions. Je travaille aussi avec une organisation de victimes et je vois les mêmes erreurs se reproduire sans cesse. À mon avis, ces erreurs se perpétuent parce que nous avons un système qui préfère ne pas tirer de leçon de ses erreurs et refuse même de reconnaître ses erreurs. Si vous examinez n'importe quel rapport du Service correctionnel concernant une révision en vertu de l'article 745, ou concernant la libération conditionnelle même, et la situation s'est améliorée récemment, ou n'importe lequel des rapports publiés après ce que nous qualifions d'incidents sérieux, vous constaterez que beaucoup de renseignements ont été censurés.
M. Lee est en train de présenter une motion à la Chambre pour que les comités du Parlement soient autorisés à prendre connaissance de cette information. Je suis au courant car à l'époque où j'étais procureur, j'ai présenté un cas de ce genre au comité de la justice, présidé alors par M. Horner. Il s'agissait du cas de Daniel Gingras. Le comité avait examiné la question et demandé à consulter le rapport pour vérifier pourquoi on avait accordé à cette personne la permission de sortir temporairement. Il s'agissait d'un criminel professionnel qui avait commis un meurtre pendant qu'il était en libération anticipée à Montréal. Il avait été transféré en Alberta et s'était vu accorder la permission de sortir sous surveillance. On l'avait autorisé à choisir le garde qui l'accompagnerait pour magasiner au centre commercial d'Edmonton-Ouest, en récompense de ses services d'informateur. Après qu'il se soit échappé et ait tué deux personnes, on a fait une enquête. Lorsque les parlementaires ont reçu le rapport d'enquête, il était plein de grosses ratures noires faites par le censeur. Il a fallu plus d'un an au comité et un changement de ministre lors de la nomination de M. Lewis, pour obtenir les décisions voulues et une entente donnant aux parlementaires le droit de connaître la vérité sur les agissements du gouvernement. Ils ont alors pu consulter le rapport à huis clos. On en fait le suivi dans un autre cas qui comportait également une foule d'erreurs.
Sénateur, si nous pouvions tirer une leçon de nos erreurs, j'en serais très heureux. Cependant, il faudrait d'abord admettre nos erreurs.
M. Obst: Je ne voudrais pas que vous pensiez que les policiers d'un bout à l'autre du pays considèrent que l'emprisonnement à perpétuité est la solution au crime. Ce n'est certainement pas le cas.
Mes collègues et moi-même passons beaucoup de temps avec des délinquants primaires et même avec des récidivistes dans certaines circonstances, pour tâcher de favoriser leur réinsertion, sans même qu'ils fassent l'objet de poursuites dans certains cas, grâce aux nombreux processus de médiation et autres qui sont prévus.
En Saskatchewan, nous avons commencé à nous inspirer non seulement de l'expérience d'autres pays et d'autres provinces, mais également d'autres cultures en appliquant à la société blanche des méthodes autochtones de détermination de la peine. C'est ce que nous appelons les conseils communautaires de détermination de la peine. C'est une alternative aux poursuites. Je ne suis pas ici pour vous demander d'enfermer les criminels pour toujours car ce n'est pas la solution.
Pour revenir à l'article 745, il ne faut pas se méprendre, nous parlons en majeure partie de meurtre au premier degré. Au cours des 15 prochaines années, il y aura environ 600 détenus qui seront admissibles à ces révisions judiciaires. C'est un très petit pourcentage de l'élément criminel. Nous passons beaucoup de temps à parler d'eux. Nous leur consacrons beaucoup d'argent et d'effort. Ce sont les personnes sur lesquelles nous nous concentrons à l'heure actuelle. Ce sont les gens qui planifient, calculent et préméditent le meurtre d'un autre être humain.
Je veux éviter que l'on confonde ce crime avec une accusation d'homicide involontaire coupable, dans le cas de violence conjugale par exemple, dont je ne veux d'ailleurs absolument pas minimiser l'importance. Nous ne sommes pas en train de parler d'une querelle d'ivrognes où une personne reçoit un coup de poing, se cogne la tête et meurt. Ce n'est pas ce dont nous parlons. Nous sommes en train de parler de meurtre au premier degré.
Je ne veux pas qu'on se méprenne sur la gravité de l'infraction dont traite l'article 745. Lorsqu'il s'agit du meurtre prémédité et calculé d'un être humain, c'est là où les policiers considèrent que, même pour une seule vie humaine, 25 ans est la période minimale absolue pendant laquelle une personne devrait être incarcérée.
Dans ce genre de cas, nous convenons en général que l'emprisonnement à perpétuité est la solution. Une période de 15 ans est donc loin d'être suffisante.
La présidente: Chers collègues, j'ai demandé à des représentants du ministère de la Justice d'être présents pendant toutes nos délibérations afin que, s'il y a contradiction entre les renseignements qu'ils nous ont donnés et ceux fournis aujourd'hui, nous puissions obtenir des éclaircissements.
Monsieur Newark, vous avez cité un chiffre qui m'a étonnée. Pouvez-vous nous donner plus de précision? Je crois comprendre que sur le nombre de détenus qui ont obtenu une libération conditionnelle en vertu de l'article 745, c'est-à-dire les 55 détenus, seulement sept ont récidivé. Cela est loin de correspondre à 25 p. 100.
M. Newark: Les chiffres que j'ai cités proviennent du président de la Commission nationale des libérations conditionnelles, lorsqu'il a comparu devant le comité de la justice de la Chambre des communes en avril ou en mai. J'ai ces chiffres dans mon bureau et je me ferai un plaisir de vous les envoyer. J'ai également retrouvé l'extrait du hansard où se trouve ce témoignage.
Ces chiffres ne viennent pas de moi. J'ai été étonné lorsque je les ai entendus. La personne qui les a présentés a été interrogée soigneusement par un membre du Parti réformiste qui a fait le même calcul.
La présidente: Messieurs, je vous remercie d'avoir été des nôtres aujourd'hui.
La séance est levée.