Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 45 - Témoignages - Séance du matin
OTTAWA, le jeudi 30 janvier 1997
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 10 h 08 pour étudier l'ordre de renvoi conforme au paragraphe 18(3) de la Loi concernant les armes à feu, lui confiant l'étude des règlements rédigés conformément à l'article 118 de la même loi.
Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Nous poursuivons notre étude des règlements conformément à l'article 118 de la Loi sur les armes à feu. N'oubliez pas que nous devons nous contenter de formuler des recommandations au sujet de ces règlements. Nous ne pouvons pas les accepter, ni les rejeter.
Je demanderai aux témoins d'être aussi brefs que possible ce matin et de s'en tenir aux règlements mêmes et non au projet de loi original, pour éviter le problème qui s'est plus ou moins posé dans l'autre endroit. Nous ne voulons pas revoir le projet de loi. Nous voulons mettre l'accent sur les règlements découlant du projet de loi.
Ce matin, nous accueillons le professeur Wendy Cukier de la Coalition pour le contrôle des armes à feu, de la Ryerson Polytechnic University; Mme Marylou McPhedran, présidente de METRAC; et M. Arn Snyder, membre de l'Association canadienne de justice pénale. Nous vous souhaitons à tous trois la bienvenue.
Madame Cukier, si vous voulez bien commencer.
Mme Wendy Cukier (Ryerson Polytechnic University), présidente, Coalition pour le contrôle des armes à feu: Je suis heureuse d'avoir l'occasion de rencontrer à nouveau le comité sur la question de la réglementation.
Je crois que vous connaissez tous assez bien la Coalition pour le contrôle des armes à feu. Je tiens à vous rappeler que notre position est appuyée par 350 organisations d'un bout à l'autre du pays. Je crois que vous entendrez le témoignage de certains autres de nos membres au sujet de préoccupations particulières que soulève le projet de loi sur le plan de la santé et du maintien de l'ordre. Nous vous exposerons de façon générale les raisons pour lesquelles nous considérons ces règlements importants et, conformément à votre demande, nous tâcherons de nous en tenir aux règlements mêmes et aux raisons pour lesquelles nous les appuyons plus ou moins tels qu'ils sont libellés.
Je demanderai à Arn Snyder de commencer.
M. Arn Snyder, Association canadienne de justice pénale, Coalition pour le contrôle des armes à feu: Je suis président du comité de révision des politiques pour l'Association canadienne de justice pénale. Je crois que vous connaissez tous les objectifs de l'Association canadienne de justice pénale.
Nous appuyons la position de la coalition à propos du projet de loi et des règlements actuels sur les armes à feu. L'Association canadienne de justice pénale considère ces règlements comme une initiative de prévention du crime, que d'ailleurs nous appuyons.
Je n'ajouterai rien de plus pour l'instant mais j'aurai peut-être d'autres commentaires à faire plus tard.
Mme Marylou McPhedran, présidente, METRAC, Coalition pour le contrôle des armes à feu: Je suis ici à titre de bénévole et de citoyenne. Je préside une organisation qui s'appelle Metro Action Committee on Violence Against Women and Children, créée il y a plus de 12 ans et qui s'est taillé une réputation tant sur la scène nationale qu'internationale pour son travail de sensibilisation publique au phénomène répandu de la violence dans notre société et aux nombreuses façons subtiles et parfois invisibles dont on tolère la violence, cette violence dont les enfants et les femmes sont souvent les victimes.
METRAC est l'une des organisations qui appuie sans réserve la Coalition pour le contrôle des armes à feu. Ce matin, je me sens plus que jamais manitobaine. J'ai grandi dans une région rurale du Manitoba dans une famille de chasseurs qui possédaient des armes à feu. J'ai été membre pendant un certain nombre d'années du club de tir local. Je n'ai aucune objection à ce que les gens dans notre société possèdent des armes à condition qu'ils s'en servent de façon responsable et appropriée et s'en occupent correctement.
Les recherches dont nous disposons soulignent la nécessité de mettre en oeuvre des règlements détaillés.
En tant qu'avocate qui s'est occupée de réforme des politiques et de réforme législative pendant plus de 20 ans, j'ai pu constater à maintes reprises les problèmes qui peuvent surgir lorsqu'un projet de loi est adopté et que ses règlements ne fournissent pas les précisions voulues.
J'appuie en général les règlements. Je suis ici pour préconiser qu'on apporte les précisions voulues aux aspects signalés dans le mémoire de la coalition. Mme Cukier se chargera de vous en parler.
Le mois dernier, j'étais à Genève au siège social de l'Organisation mondiale de la santé à titre de conseillère temporaire auprès du nouveau groupe de travail sur la violence et la santé. Ce groupe a été mis sur pied par l'Organisation mondiale de la santé qui est, comme vous le savez, un organisme des Nations Unies. Il s'agissait de la toute première consultation mondiale sur la violence et la santé. Nous n'étions que deux Canadiens à cette réunion qui a d'ailleurs été très intéressante. Elle réunissait une cinquantaine de personnes représentant une vingtaine de pays. Comme il s'agissait de la première réunion, nous avons consacré la majeure partie de notre temps à simplement tâcher de trouver un moyen de traiter de la violence en tant que problème mondial.
Des collègues du Centre for Disease Control and Prevention à Atlanta étaient là, de même que des collègues des centres de collaboration sur la prévention des traumatismes. C'était la première fois qu'autant de personnes, qui travaillent principalement dans le secteur de la santé et qui ont régulièrement l'occasion de constater les résultats de la violence, se réunissaient pour mettre en commun leurs perspectives différentes.
Cette expérience m'a permis de faire deux constatations. Premièrement, le Canada continue d'être considéré par les autres pays comme un chef de file très important. Lors de la réunion, une représentante d'Afrique du Sud a d'ailleurs mentionné la Loi canadienne sur le contrôle des armes à feu. La communauté internationale s'intéressera de près aux règlements établis par le Canada et pourrait même s'en inspirer.
Cette conférence m'a également permis de constater comment les initiatives canadiennes en matière de lutte contre la violence, de façon générale et de façon particulière, ont coïncidé avec les discussions sur la législation sur le contrôle des armes à feu. Si le Centre for Disease Control and Prevention insiste tant sur le contrôle des armes à feu, c'est en raison de ses constatations et des conclusions de ses recherches. Il considère qu'il est nécessaire de réduire l'accès aux armes, la circulation et l'utilisation d'armes illégales et de faire en sorte que la loi incite les autres pays à moins tolérer la violence. Ce sont des armes très puissantes et dangereuses et nous devons les traiter très sérieusement, comme le fait ce projet de loi.
Mme Cukier: Le sénateur Carstairs nous a demandé de ne pas parler de la raison d'être du projet de loi. J'aimerais toutefois réitérer trois points fondamentaux et vous indiquer où ils sont abordés dans le mémoire.
Le premier argument que nous avons présenté dans notre mémoire précédent sur le projet de loi, c'est que les recherches faites partout dans le monde indiquent l'existence d'un lien entre l'accès aux armes à feu et les décès et blessures. Ce lien est très nettement établi non seulement par des études internationales mais aussi par les statistiques recueillies au Canada. Je tiens à vous rappeler le tableau où il est clairement indiqué que les provinces qui affichent les plus hauts taux d'accès aux armes à feu affichent également les plus hauts taux de mortalité.
Le deuxième argument que j'aimerais réitérer, c'est qu'au Canada les armes le plus souvent récupérées par suite de crimes ne sont pas des armes de poing mais des carabines et des fusils de chasse. Je vous renvoie ici encore au tableau qui indique les résultats de l'étude faite par le Groupe de travail sur la contrebande des armes à feu, selon laquelle la plupart des armes à feu récupérées à la suite de crimes sont des carabines et des fusils de chasse. Les carabines et les fusils de chasse représentent 47 p. 100 des armes récupérées à la suite de crimes. Les armes de poing représentent 20 p. 100 des armes. Même parmi les armes de poing, 40 p. 100 étaient des armes dont la possession avait déjà été légale. Par conséquent, les preuves dont on dispose n'appuient pas l'argument selon lequel la contrebande d'armes de poing est le principal problème au Canada. Je pense que nous ne le répéterons jamais assez.
Cela m'amène à expliquer pourquoi ces règlements sont importants. Si vous convenez qu'il existe un lien entre l'accès aux armes à feu et leur usage impropre, que des armes à feu légales tombent entre les mains de gens qui ne devraient pas y avoir accès et qu'elles sont également utilisées à mauvais escient par leurs propriétaires, il devient clair que dans le cadre de la mise en oeuvre du projet de loi, le gouvernement doit mettre l'accent sur la façon de contrôler l'accès légal à ces armes à feu par des exigences relatives à l'octroi de permis et sur la façon de contrôler l'accès à ces armes à feu par des particuliers une fois qu'ils en ont la possession légale. C'est pourquoi les règlements sur l'octroi de permis et l'entreposage sécuritaire sont d'une importance fondamentale pour la mise en oeuvre de la loi.
Notre mémoire expose les nombreux arguments qui militent en faveur de l'entreposage sécuritaire. Comme vous les avez déjà entendus, je ne les répéterai pas et d'ailleurs mes collègues en santé publique y reviendront.
Je veux simplement faire valoir que les règlements sur l'entreposage sécuritaire sont essentiels. Ils sont essentiels non seulement pour prévenir l'usage impropre et impulsif des armes à feu par leurs propriétaires mais pour empêcher que d'autres membres de la famille qui n'y sont pas autorisés, surtout les jeunes, y aient accès. Il existe de nombreux cas où des jeunes ont réussi à mettre la main sur des armes à feu qui n'étaient pas entreposées correctement, sans compter le problème du vol d'armes à feu.
À notre avis, les règlements déposés à l'origine en mai, qui faisaient suite aux recommandations de l'enquête du coroner David et exigeaient que les armes à feu soient munies de dispositifs de verrouillage et soient entreposées dans des contenants sécuritaires, offraient une solution solide et efficace au problème de l'usage impropre des armes à feu. Nous reconnaissons que les règlements qui ont été déposés représentent un compromis à certains égards mais nous croyons qu'ils peuvent être efficaces. Ils ne diffèrent pas tellement des règlements actuellement en vigueur. Nous avons demandé -- et nous aimerions réitérer ici notre demande -- que le ministère de la Justice prenne certaines initiatives à l'appui de ces règlements, entre autres sur le plan de l'information et de la sensibilisation.
La seule petite modification que nous demandons au comité d'envisager sérieusement consiste à préciser dans le règlement que la clé ou la combinaison du cadenas soit inaccessible. Nous formulons cette recommandation parce que le problème de l'entreposage sécuritaire est souvent un problème qui concerne les familles. Un propriétaire d'armes à feu peut entreposer ses armes en croyant qu'il les protège en cas d'introduction par effraction alors qu'en fait, il existe un risque plus grave, à savoir qu'un de ses enfants adolescents se servent de ces armes pour commettre des méfaits ou pour se suicider. Déclarer que l'entreposage sécuritaire est important sans pour autant préciser que la clé ou le cadenas ne doit être accessible qu'à la personne qui est autorisée à avoir accès à ces armes à feu dénote un manque de cohérence. C'est le changement que nous demandons au comité d'envisager.
En ce qui concerne l'octroi de permis d'armes à feu, il est important de comprendre qu'il existe deux catégories de permis, l'une pour les gens qui possèdent actuellement des armes et l'autre pour ceux qui font l'acquisition d'une arme à feu pour la première fois. Compte tenu des contraintes financières auxquelles nous faisons face, nous convenons que des normes différentes s'imposent pour ceux qui demandent des permis de possession seulement par opposition à ceux qui demandent des permis d'acquisition. Il est important de souligner la différence entre ces deux types de permis pour contrer l'argument selon lequel ce régime sera trop coûteux. Le fait est que le processus d'octroi de permis de possession seulement est rationnel, simple et peu coûteux. On pourra ainsi consacrer les ressources à ceux qui font l'acquisition d'armes pour la première fois. Nous estimons qu'il s'agit d'une stratégie légitime à adopter compte tenu des contraintes financières actuelles.
Nous tenons également à attirer votre attention sur le fait que ces projets de règlements sur l'octroi de permis font suite non seulement aux recommandations que nous avons présentées mais aux recommandations qui ont été formulées par suite d'une consultation auprès d'un vaste éventail d'organisations de femmes au pays. Certaines de ces recommandations sont présentées dans le mémoire.
On a exprimé la crainte que l'obligation d'aviser le conjoint risque de mettre les femmes en danger parce que s'il est indiqué qu'elles n'appuient pas une demande, elles risquent de faire l'objet de violentes représailles. C'est une crainte légitime. Cependant, dans le cadre de notre processus de consultation, les organisations de femmes et les travailleurs de première ligne qui s'occupent de violence familiale ont soutenu que, tout compte fait, il est beaucoup plus risqué ne pas aviser les conjoints. Par conséquent, nous appuyons la communication d'un avis au conjoint, comme le prévoit la législation.
À l'annexe 4, j'ai inclus les recommandations du coroner en chef de la Colombie-Britannique qui a enquêté sur les meurtres des membres de la famille Gakhal. Vous constaterez qu'au numéro 19, il recommande d'aviser le conjoint. Ces règlements font suite directement à cette recommandation.
Un autre point qui nous semble être une nette amélioration par rapport à l'ancien règlement pris sous le régime du projet de loi C-17 en matière d'autorisation d'acquisition d'une arme à feu est la responsabilisation accrue. On a élargi les catégories de répondants. Ainsi, il n'est plus nécessaire d'être médecin ou avocat pour signer une demande. Simultanément, il faut attester qu'il n'y a pas lieu de croire que le demandeur représente un risque pour lui-même ou pour autrui. Étant donné les risques de violence et de suicide, nous croyons qu'une telle exigence est justifiée. Il importe de se souvenir qu'on ne cherche pas ainsi à réduire simplement la violence familiale, mais aussi à prévenir les suicides.
Il convient aussi, d'après nous, d'imposer aux préposés aux armes à feu une plus grande obligation de rendre compte. Si les règlements ne le faisaient pas, nous les jugerions trop laxistes.
Dans notre mémoire, nous faisons aussi remarquer plusieurs points au sujet d'autres questions auxquelles je ne m'arrêterai pas.
Pour ce qui est du règlement établissant les droits, vous entendrez sans doute des gens se plaindre que les droits sont trop élevés. Il vous faudra comparer ces droits aux coûts de l'accès aux armes à feu et des privilèges qui sont consentis à la délivrance des permis. À notre avis, les droits sont raisonnables.
Le dernier point a trait au règlement d'adaptation aux armes à feu des Autochtones. Il n'y a pas de doute que certains Autochtones font une utilisation très différente des armes à feu. À notre avis, la disposition de non-dérogation prévue dans la loi se voulait un moyen de reconnaître les préoccupations légitimes des Autochtones. Nous ne sommes pas experts de la question. Toutefois, nous avons consulté plusieurs personnes. Les adaptations prévues dans le règlement nous semblent raisonnables. On semble y laisser suffisamment de marge de manoeuvre pour faire place à des préoccupations légitimes.
Par contre, il importe de dire que, lorsqu'on réclame l'autonomie gouvernementale, je ne vois pas très bien comment on pourrait y donner suite dans des règlements.
Après avoir consulté plusieurs groupes, je puis dire que, si l'on recommandait que l'on renonce à percevoir des droits des Autochtones en vertu de ces règlements, nous y serions favorables.
Madame la présidente, voilà qui met fin à notre exposé. Nous répondrons maintenant volontiers aux questions.
Le sénateur Beaudoin: Si j'ai bien compris votre position, vous appuyez les règlements, à condition qu'on y apporte une légère modification concernant l'entreposage. Que souhaitez-vous exactement? Nous devrons faire des recommandations. J'aimerais que me proposiez votre propre libellé à cet égard.
Mme Cukier: Je peux vous le communiquer par écrit. Essentiellement, il s'agirait simplement de faire un ajout dans la partie intitulée «Entreposage des armes à feu sans restrictions» et dans la partie intitulée «Entreposage des armes à feu à autorisation restreinte». Dans le cas des armes à feu sans restrictions, le règlement dit actuellement:
Le particulier ne peut entreposer une arme à feu sans restriction que si les conditions suivantes sont respectées:
a) elle est non chargée;
b) elle est
i) soit rendue inopérante...
Il faudrait ajouter ici «dont la clé ou la combinaison n'est accessible qu'au propriétaire autorisé». Il s'agit simplement de faire un ajout à l'article 3 de cette partie du règlement.
Pour être bien comprise, je précise que, si le comité décidait qu'il était trop difficile d'apporter une modification au règlement et qu'on nous demandait de l'appuyer sans proposition d'amendement, nous le ferions. Notre appui au règlement n'est pas conditionnel à cette modification. Toutefois, nous estimons qu'il s'agirait d'un ajout précieux.
Le sénateur Beaudoin: Vous êtes entièrement d'accord avec les principes énoncés dans les règlements.
Le sénateur Jessiman: Êtes-vous en train de proposer que la clé ou le bout de papier sur lequel est notée la combinaison soit rangé sous clé?
Mme Cukier: Non. Toutefois, si vous rangez vos armes dans un cabinet sous clé et que vous vous contentez de laisser la clé sur la commode, vous n'aurez pas accompli grand-chose.
La présidente: J'aimerais que nous en parlions un peu plus. Ayant moi-même eu des adolescents à la maison, je ne crois pas qu'il y ait eu un seul objet auquel ils n'avaient pas accès. Ils savaient où se trouvaient mes bijoux, s'ils voulaient les prendre. À quel point est-ce pratique d'exiger que la combinaison soit secrète ou que la clé soit inaccessible? Qu'est-ce que cela voudra dire exactement?
Mme Cukier: C'est le même principe que lorsque le règlement parle d'objets qui ne doivent pas se trouver à proximité et auxquels on ne peut raisonnablement avoir accès.
Il est certain que l'adolescent un peu futé réussira à trouver la clé cachée au bout d'une chaîne. Les gens raisonnables jugeraient que vous avez pris les précautions qui s'imposaient. Toutefois, il n'est pas raisonnable de laisser la clé sur la commode, d'écrire le numéro de la combinaison au mur ou de ranger des armes dans une pièce qui sert aussi de placard à balais, même si, dans sa forme actuelle, le règlement autorise ce genre d'entreposage. Si vous imposez comme norme que les armes ne doivent pas être raisonnablement accessibles, de toute évidence, ce genre de rangement serait insatisfaisant.
Vous êtes avocate, contrairement à moi. Par conséquent, il y a peut-être...
La présidente: Je ne suis pas avocate.
Mme Cukier: Vous ne l'êtes pas?
La présidente: Non.
Mme Cukier: Je m'excuse. Il n'empêche que certaines personnes le sont.
Le sénateur Beaudoin: Pourquoi vous excusez-vous? Quel mal y a-t-il à être avocat?
Mme Cukier: Certains sont avocats, ce que je ne suis pas, et ils peuvent peut-être y voir d'autres répercussions.
Le sénateur Beaudoin: Nous sommes conscients de ce qu'est la loi actuellement. Elle a été adoptée par le Parlement, et les règlements sont adoptés sous son régime. Nous ne pouvons pas modifier la loi. Toutefois, nous pouvons recommander des changements aux règlements.
Je crois savoir que les règlements vous semblent, en règle générale, satisfaisants, tout comme la loi d'ailleurs. Vous ne demandez pas qu'on change complètement le texte sur l'entreposage; vous recommandez simplement que nous examinions la question de l'entreposage sécuritaire, ce qui est fort logique.
Mme Cukier: Par contre, nous recommandons que, s'il y a des changements, on ajoute une phrase au règlement à cet effet.
Le sénateur Beaudoin: L'ajout qui améliorerait l'entreposage?
Mme Cukier: Oui.
La présidente: Je vous remercie d'être venue aujourd'hui.
Mme Cukier: C'est moi qui vous remercie, et je vous souhaite beaucoup de succès dans vos travaux.
La présidente: Nous accueillons maintenant les représentants de la Conférence des Régies régionales de la Santé et des Services sociaux du Québec. Vous avez la parole.
[Français]
M. Robert Maguire, président, Comité de prévention des traumatismes du Réseau de la santé publique du Québec, directeur régional, Santé publique du Bas Saint-Laurent: Tout d'abord, j'aimerais excuser M. Florient Saint-Onge, le président de la Conférence des régies régionales, qui n'est pas avec nous ce matin. Avant de laisser M. Chapdelaine vous présenter le mémoire, j'aimerais en quelques mots vous expliquer ce qu'est la Conférence des régies régionales, pour vous montrer quels peuvent être les intérêts qui nous préoccupent dans ce dossier.
La Conférence des régies régionales c'est le regroupement des régies régionales au Québec. Le gouvernement a divisé le territoire en 16 régies régionales, plus un conseil au niveau des Cris. Les conseils d'administration sont habituellement constitués d'une vingtaine de personnes. Ils ont la responsabilité d'assurer les services de santé et les services sociaux sur tout un territoire. Par exemple, pour nous, à Rimouski, il s'agit d'un territoire d'à peu près 200 000 habitants, où il y a 6 hôpitaux, 8 CLSC et un certain nombre de centres d'accueil. Les gens ont à composer avec un conseil d'administration, représentatif de la population, et à offrir des soins de santé à tout le monde.
À l'intérieur des régies régionales, il y a aussi des directions de santé publique, depuis 1913. Dans le cadre de ces fonctions ou dans le cadre des responsabilités que j'assume personnellement à la régie régionale, nous avons, en terme de responsabilités légales, à informer les gens des principaux problèmes de santé et aussi à essayer de trouver des solutions pour régler ces problèmes de santé.
Évidemment, quand j'ai commencé à travailler à Rimouski il y a quelques années, un des problèmes qui nous préoccupait beaucoup était celui des blessures de la route. Il s'agit d'une région rurale où il n'y a pas beaucoup d'autoroutes. Nous avons commencé à travailler pour essayer d'améliorer un certain nombres de choses au niveau des rues; par exemple, et de courbes dangereuses. Récemment, aux nouvelles, nous avons entendu parler de la région de Dorval, où il y a des gens qui meurent souvent dans une courbe. Conséquemment, les gens essaient de faire un certain nombre de choses, mais après des années il fut décidé d'améliorer la courbe et probablement que le problème sera réglé.
En Gaspésie, lorsque j'étais très jeune, beaucoup de gens qui mouraient dans une courbe. De ceux-là, j'en connais quatre qui sont morts avant que l'on se décide de changer la courbe et de couper l'arbre. On a finalement réglé bien des problèmes en améliorant l'environnement.
En terme des responsabilités, comme directeur de la santé publique et membre d'une régie régionale, nous avons cette responsabilité d'essayer d'identifier les problèmes et de trouver des solutions. Nous réalisons souvent dans le monde de la santé que nous sommes -- si je peux m'exprimer ainsi -- à l'autre bout de la chaîne de production de la maladie. Finalement, nous avons les conséquences d'un certain nombre de problèmes. Notre intérêt aujourd'hui est d'essayer de vous convaincre que vous pouvez jouer un rôle d'importance capitale par rapport à un problème qui nous préoccupe de plus en plus, à savoir le suicide chez toutes les catégories de personnes, mais aussi le suicide chez les jeunes.
Nous nous sommes déjà rencontrés à ce sujet, le sénateur Beaudoin et quelques autres. Nous désirons, en toute simplicité, vous encourager parce que vous êtes en train de donner aux Canadiens des mesures législatives, réglementaires qui vont permettre de diminuer un problème qui est extrêmement important.
Je vais passer la parole à M. Chapdelaine qui travaille depuis longtemps à la prévention des blessures, qu'elles soient intentionnelles ou non intentionnelles. Il travaille au Centre de santé de la région de Québec, qui est affilié au Centre universitaire de la région de Québec. M. Chapdelaine va vous entretenir sur certain sujets que nous vous avons déjà présentés par écrit.
M. Antoine Chapdelaine, directeur, Centre de santé publique de Québec, ancien membre, Conseil consultatif canadien sur les armes à feu: Au nom des groupes que nous représentons, je tiens à vous remercier. Comme M. Maguire vous le mentionnait, ce n'est pas la première fois que nous nous présentons devant vous, c'est la quatrième fois sur ce sujet. Il y a beaucoup de choses que je ne répéterai pas quant aux problèmes reliés aux armes à feu, vous les connaissez sans doute fort bien.
N'oublions pas qu'il y a environ 1 300 ou 1 400 morts par année causées par une arme à feu au Canada. Au Québec, nous retenons le chiffre de 400. Ce qui veut dire qu'au Québec, il y a un mort par jour, en moyenne, par balle. Au Canada, il y en a 3 par jour.
Comme vous le savez, 80 p.100 de ceux-ci sont des suicides et environ 10 à 15 p. 100 des homicides avec armes à feu. Le reste ce sont des accidents, ce que l'on appelle en anglais «unintentional injuries».
La Conférence depuis plusieurs années et les centres de santé publique depuis 1989, ont fait toute une série d'études pour mieux connaître la réalité du problème. Les spécialistes en santé publique au Québec ont surtout examiné toutes les recherches qui ont été faites dans le monde sur l'étiologie du problème, pour en arriver à des propositions qui soient aussi raisonnables et sensées que possible. C'est pour cela qu'aujourd'hui nous allons vous entretenir surtout de deux sujets. L'un est sur l'entreposage sécuritaire, les règlements que vous avez devant vous, et l'autre est sur le processus de dépistage -- il s'agit d'un terme très «santé publique» -- de dépistage de ceux qui désirent un permis de possession ou d'acquisition, surtout d'acquisition, d'arme à feu.
Plutôt que de vous décrire toute la mécanique qui nous a amenés aux recommandations que nous vous faisons, j'aimerais vous énoncer les principes qui guident nos recommandations et que nous souhaitons vous voir partager dans vos recommandations.
En matière d'entreposage, nous poursuivons quatre objectifs. Premièrement, la prévention de l'utilisation impulsive d'une arme à feu surtout chez les jeunes. Deuxièmement, la prévention de l'utilisation non autorisée. Troisièmement, le vol des armes à feu. Il y a à peu près 3 000 armes perdues ou volées ou manquantes au Canada par année.
Finalement, il faut que les règlements soit «inforceable and inforced». C'est ce qui guide nos recommandations.
Les prémices à cela, c'est la réalité du problème. Le fait que les études épidémiologiques les plus solides nous réitèrent à chaque étude que la simple présence d'une arme à feu à domicile augmente le risque de suicide 5 fois, d'homicides trois fois «three-fold» par rapport à une maison qui n'en a pas.
Les études ont aussi permis d'examiner les différences d'augmentation de risques selon la façon que l'arme est entreposée. Une arme qui, d'après une étude publiée dans le New England Journal of Medecine, n'est pas entreposée et qui est chargée, augmente le risque de suicide de neuf fois. C'est-à-dire par rapport à une maison qui n'a pas d'arme à feu où le risque est de un, et une maison où il y a une arme à feu chargée, cela augmente par neuf fois le risque qu'il y ait un suicide dans cette maison. Dans une maison où toutes les armes ne sont pas verrouillées le risque est de 5 fois.
À partir du moment où l'on met les armes à feu sous verrous, le risque descend à 2.4. Il est encore plus élevé qu'une maison où il n'y a pas d'armes à feu mais le risque est moindre.
Sur cette base et selon plusieurs autres études, nous sommes convaincus que l'accessibilité immédiate et facile à une arme lors d'une crise suicidaire surtout chez les adolescents qui ont une tendance impulsive, dans une crise de violence, sous l'influence de l'alcool ou non, très fréquemment l'alcool est impliqué, qui font des bêtises avec un objet aussi dangereux est la clé. Donc toutes les mesures qui peuvent réduire l'accès à des armes sont des mesure que l'on encourage.
C'est pour cela que nous avons soutenu le projet de loi C-68 en matière de permis, de possession et d'enregistrement, car c'est la base de nos propositions sur la réglementation parce que cela augmente à nos yeux la responsabilisation du propriétaire vis-à-vis son arme.
En termes simples, si son nom est attaché à l'objet, il se comportera avec l'objet d'une façon plus responsable que s'il n'y a pas de lien direct.
Bien sûr, on pense aux problèmes de suicide, d'homicide et d'accident. On pense aussi au vol, à l'utilisation criminelle des armes volées. Une autre raison qui nous incitait à encourager l'enregistrement et les permis de possession, c'est que l'on s'est aperçu qu'au Québec, et c'est pareil au Canada d'après les sondages qui ont été faits, une personne sur deux qui possède une arme ne l'a pas utilisée dans les 12 derniers mois.
Cela veut dire qu'il y a probablement, et je vais vous parler de l'enquête du coroner David tout de suite après cela, beaucoup de gens qui ont une arme, une vieille .22 qu'ils ont achetée il y a 15 ans, qu'ils n'ont pas utilisée et qui va servir la première fois le jour du suicide du fils. C'est ce que l'on veut éviter.
Les gens au moment où il devront venir s'enregistrer ou obtenir un permis de possession vont peut-être réfléchir et se dire: est-ce que j'en ai vraiment besoin? Si cela peut les encourager, parce qu'elle ne leur est d'aucune utilité, à la vendre à quelqu'un qui en a plusieurs et qui sera responsable, tant mieux. Elle sera responsabilisée par l'enregistrement et par les règlements. À ce moment, on réduit le nombre de maisons où il y a une arme et l'on réduit le risque d'autant.
Un autre point que je veux juste soulever en passant, avant de vous parler de l'enquête de Anne-Marie David qui a été réalisée au Québec, c'est la corrélation qu'il semble y avoir entre les taux de mortalité au Canada et le pourcentage des domiciles où il y a une arme.
[Traduction]
Il est fort étonnant de constater que c'est l'Ontario qui a le plus faible taux de mortalité au Canada. Dans cette province, 15 p. 100 des ménages possèdent des armes à feu. Le taux le plus élevé de mortalité est, comme vous le savez probablement déjà, mais je tiens à vous le confirmer, dans les Territoires du Nord-Ouest. Il est six fois plus élevé qu'en Ontario, en termes de décès par 100 000 habitants. Au Yukon, il est environ 2,5 fois plus élevé.
Vous savez quel est le pourcentage de ménages qui possèdent des armes à feu, dans ces deux territoires? Il n'est pas de 15 p. 100, mais bien de 67 p. 100. L'accessibilité et la disponibilité sont les éléments clé de nos propositions.
Par ailleurs, je tiens à vous faire part de ce qui suit. Nous avons eu beaucoup de chance, au Québec, qu'une enquête du coroner ait eu lieu, il y a environ 2 ans et demi. Elle a porté expressément sur une série de décès attribuables aux méthodes d'entreposage. Durant cette enquête, qui était publique, nous avons profité de l'occasion pour faire une étude détaillée des pratiques d'entreposage au Québec. Nous avons découvert qu'un ménage sur quatre possédait une arme à feu. Un tiers de ces armes était très mal entreposé. En d'autres mots, les armes à feu ne sont pas entreposées en conformité avec les règles d'entreposage qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 1993, sous le régime de la loi antérieure, soit du projet de loi C-17.
Pour simplifier le calcul, disons que presque un ménage sur dix au Québec a une arme à feu qui est mal entreposée. Par conséquent, dans un secteur qui compte 30 maisons, il est probable que dans trois de ces maisons où vos enfants vont peut-être jouer avec d'autres enfants, où votre famille visite peut-être des amis, il y a une arme à feu qui est entreposée -- vous me passerez l'expression -- un peu comme une tapette à mouches. Cependant, c'est loin d'en être une.
[Français]
Pour agrémenter le propos, l'expression m'est venue de la Beauce où j'ai une maison. Mes voisins ont tous des armes. Ce sont tous des chasseurs. Ils sont pas mal tous en faveur de la loi. Je peux vous le dire, j'ai fait mon petit sondage privé. Ils en connaissent les dangers. C'est mon voisin, M. Lessard qui m'a dit qu'il ne faut pas entreposer cela comme des tapettes à mouches. C'est de lui que vient cette expression, pour lui rendre justice.
Sur la base des trouvailles de cette enquête, nous regrettons seulement ceci.
[Traduction]
Dans cette étude, nous ne regrettons qu'une chose. Il n'y a pas eu dans le reste du Canada une étude analogue qui puisse servir de repère pour évaluer, dans trois ans, si les règlements sont efficaces. Pour l'instant, il n'existe une base de référence qu'au Québec. Une de nos recommandations est donc que l'on effectue cette étude le plus tôt possible.
Ces résultats, ainsi que les recommandations de la coroner, Mme David, qui a mené l'enquête, nous ont convaincus qu'il faut que les règles d'entreposage soient le plus simple possible. Il faut qu'on puisse facilement les comprendre et que les autorités puissent facilement les faire respecter. Il faut qu'elles multiplient le nombre de barrières, matérielles et spatio-temporelles, entre l'arme à feu et la personne poussée à la violence sous l'influence de l'alcool ou d'autres facteurs.
De plus, il faut que les règles soient rédigées de telle manière qu'elles empêchent ou retardent le vol. Beaucoup trop d'armes sont volées. Bien des Québécois ont suivi l'histoire de ce jeune homme de 14 ans qui a réussi à mettre la main sur une arme à feu à Longueuil, au sud de Montréal. Il l'a simplement volée dans la chambre de son ami de 13 ans, puis s'est rendu chez lui où il a tué son frère et ses deux parents. Cette arme aurait dû se trouver sous clé. Il aurait fallu que les autorités puissent facilement porter des accusations contre le propriétaire de l'arme qui ne l'avait pas bien entreposée. Elles ne l'ont jamais fait parce que la loi n'était pas en vigueur et parce qu'elle est aussi très compliquée.
Enfin, compte tenu de ces situations et des recommandations de la coroner David, nous avons proposé, il y a longtemps, que toutes les armes à feu soient rendues inopérantes soit par un dispositif de verrouillage ou par l'enlèvement de son verrou.
La coroner David tenait particulièrement à ce que tout demeure simple. C'est pourquoi elle a recommandé que toutes les armes à feu soient traitées de la même façon. Nous appuyons cette recommandation.
Le règlement d'entreposage à l'étude est acceptable. Il ressemble beaucoup à celui qui était prévu sous le régime du projet de loi C-17, exception faite de certains détails de nature juridique. De toute évidence, sous l'angle de la santé publique, nous préférions les règles déposées à la Chambre des communes, le 2 mai 1996, qui ont été retirées quelques jours plus tard.
Nous estimons que les Québécois sont prêts à se plier à des règles très sévères, même si le reste du Canada ne l'est pas. Dans les circonstances, nous recommandons que les règles à l'étude soient acceptées et qu'on y ajoute peut-être quelques «chicanes» comme on dit chez nous, soit des barrières à l'accès immédiat.
Passons maintenant au processus de filtrage. En résumé, nous sommes d'accord avec les règles à l'étude. Si vous le désirez, nous pouvons vous en donner les raisons.
Nous avions des recommandations à faire concernant les recherches. Je vous en ai donné une petite idée. Comme je l'ai dit, nous aimerions qu'il existe des données de référence pour pouvoir évaluer l'effet des règlements. Cependant, nous demandons aussi, en toute humilité, que vous acceptiez de refaire l'examen des règles d'entreposage sécuritaire avant l'an 2001 ou après une certaine période d'évaluation. D'ici là, le reste du Canada sera peut-être prêt à accepter des règles d'entreposage sécuritaire et à les appliquer. Nous verrons alors si elles sont efficaces.
Nous avons aussi une recommandation à faire concernant l'utilité des enquêtes de coroner. Chaque année, on mène environ 1 000 enquêtes sur des décès attribuables à des armes à feu au Canada. Les documents réunis par les médecins, les avocats ou les notaires qui agissent comme coroners sont extrêmement précieux, mais ils sont inutiles s'ils sont utilisés isolément. Il faut réunir toute cette documentation pour pouvoir repérer les facteurs de risque au sujet desquels nous pouvons faire des suggestions.
Enfin, non pas parce que nous sommes médecins, mais parce que nous savons comment travaillent les médecins, nous sommes aussi conscients de la difficulté de ces situations pour eux. Nous sommes très sensibles au fait que la plupart des personnes qui se suicident en avaient parlé à leur médecin dans les semaines ou les mois qui ont précédé. La plupart des conjoints victimes de violence ont fait part à leur médecin, à un travailleur social ou à d'autres membres de la profession médicale de leurs problèmes. Les personnes ainsi informées ne font rien pour faire sortir les armes des maisons où il ne devrait pas y en avoir durant la période de crise. Elles ne donnent même pas de conseils élémentaires aux malades.
À notre avis, il faudrait étudier la pratique qui a cours actuellement dans les cabinets de médecin, s'informer de ce qu'ils savent, de ce qu'ils font et de ce qu'ils pourraient faire pour sauver plus de vies.
[Français]
Le sénateur Beaudoin: Oui c'est très intéressant. Vous avez divisé votre exposé en deux parties, l'entreposage et le «screening process». J'ai cru comprendre que pour vous, les règlements devant nous sont acceptables, en principe. Votre recommandation porte sur deux points, la recherche et le réexamen, disons après une période de quatre ou cinq ans.
Je pense bien que l'on puisse faire ces recommandations. Ce ne sont pas des recommandations sur les règlements tels qu'ils existent, c'est-à-dire sur le libellé des règlements. Ce sont des recommandations sur l'administration de la législation sur les armes à feu. Est-ce que je vous comprends bien?
Il faut que nous nous prononcions sur les règlements. Mais vous ajoutez deux points. On devrait faire de la recherche et peut-être aussi que l'on devrait réexaminer l'application de la loi dans quatre ou cinq ans.
Je n'ai aucune objection. J'ai toujours été en faveur de la recherche, alors je le suis encore. J'ai toujours suggéré que les lois devraient être réexaminées après une mise en oeuvre. Est-ce bien ce que vous voulez?
M. Maguire: Tout d'abord, c'est une des propositions que nous faisons à la fin. Évidemment, durant les années précédentes, les 50 dernières années où j'ai participé avec plus ou moins d'importance à ce processus, par exemple, lorsque nous avons à traiter avec une bactérie ou un virus, idéalement, lorsque nous réussissons à l'identifier avec un microscope et à trouver le bon traitement, les choses sont plus faciles.
Lorsque l'on avance comme société avec un certain nombre d'autres problèmes qui diffèrent, je pense que le suicide au cours des années est en émergence, et que l'on ne comprend pas, nous, dans un premier temps, pourquoi on nous dit qu'il n'y a aucun problème.
On pense que les propositions faites, tant du point de vue du règlement que du point de vue de la loi, sont un pas dans la bonne direction. On se dit que c'est un problème que nous ne connaissons pas beaucoup. Un jeune homme va bien à l'école, il réussit, il est premier de classe, il a du leadership; ses amis l'aiment. Une bonne journée, il prend le fusil de son père, s'en va en arrière du cabanon et met fin à ses jours, pourquoi?
Dans ce sens, il va falloir se donner des moyens d'être capables de cueillir les données. On peut colliger ces données au bureau du coroner pour avoir des similitudes et des «patterns» qui peuvent nous aider à mieux comprendre. Dans ce sens, on se dit que nous avançons avec un projet de loi de règlement, avec une nouvelle loi. Finalement, nous n'avons pas d'autres outils pour prévenir ces décès. On propose d'autres moyens pour mieux les comprendre.
Je voudrais être clair aussi parce que nous ne voudrions pas, en aucune façon, parce que c'est un pas extrêmement important dans la bonne direction, que la loi soit remise en question. On veut se donner des moyens d'être capables de l'améliorer en comprenant mieux qui se passe. On se dit qu'un peu de recherche ne nuirait certainement pas.
Le sénateur Beaudoin: Autrement dit, les règlements sont acceptables. La loi est adoptée. Il faut procéder. Là, vous dites qu'il faut profiter de l'occasion pour souligner un aspect additionnel, c'est-à-dire la relation entre le suicide et le contrôles des armes à feu. On a tous vu ce qui est arrivé au Québec dernièrement. Cela a fait les manchettes. C'est une préoccupation. Maintenant, elle n'est pas seulement fédérale. Elle est aussi provinciale dans une certaine mesure. Les professions et la santé, c'est du ressort provincial dans une grande mesure. Seulement vous ajoutez un point additionnel, n'oubliez pas la recherche. C'est ce que vous suggérez.
M. Chapdelaine: Nous sommes conscients que les recommandations, normalement, auraient dû s'attacher juste au règlement. On essaie d'ouvrir d'autres perspectives et je suis sûr que si vous avez l'opportunité et que vous pensez qu'elle sera justifiée, vous trouverez sûrement le mécanisme pour les véhiculer à qui peut les entendre et agir en conséquence.
Mais essentiellement, lorsque vous disiez que l'on souhaiterait qu'il y ait un réexamen de la loi, j'ai cru entendre que l'on ne veut pas un réexamen de la loi. Pour nous, c'est une bonne loi que vous avez adoptée. Elle a toutes sortes de raisons d'être bonne. On peut élaborer sur cela ad nauseam.
On aimerait un réexamen des règlements en matière d'entreposage parce qu'à cause des circonstances qui ont eu lieu au Québec, de l'enquête du coroner et peut-être en raison de quelque chose qui nous distingue, il y a facilité à réglementer beaucoup plus sévèrement. Ils pourraient ou non être plus efficaces. On ne le sait pas.
Le reste du Canada n'a pas eu le bénéfice d'un tel sondage, d'une telle enquête, d'autant de publicité et peut-être que cela explique pourquoi les règlements qui étaient tout à fait à notre goût le 2 mai de cette année ont été retirés six jours plus tard. C'est seulement sur cela que l'on demande un réexamen.
Le sénateur Beaudoin: Je prends bien note de votre recommandation.
[Traduction]
Le sénateur Jessiman: D'après ce que vous avez dit, j'ai cru comprendre qu'au Québec, trois des 10 ménages où il y a des armes à feu ne les entreposent pas en conformité avec la loi. Est-ce que j'ai bien compris?
M. Chapdelaine: C'est ce qui a été constaté, au moment où a été faite l'étude.
Le sénateur Jessiman: Ces résultats sont-ils valables pour l'ensemble du Québec ou seulement pour certaines parties de la province?
M. Chapdelaine: Un ménage sur trois qui possèdent au moins une arme à feu ne l'entrepose pas en conformité avec les règlements.
Le sénateur Jessiman: Vous parlez des règlements actuels?
M. Chapdelaine: Des règlements actuels, effectivement, qui sont très analogues à ceux qui sont à l'étude. Ces résultats sont valables pour l'ensemble du Québec. Il s'agissait d'un sondage effectué sous notre direction et notre supervision scientifique par la maison Léger et Léger qui a interrogé environ 500 ménages où il y avait une arme à feu. Le sondage a été mené à l'échelle du Québec, en tenant compte des régions rurales et urbaines.
Le sénateur Jessiman: Tenait-il aussi compte des Autochtones?
M. Chapdelaine: Non, ils étaient exclus.
Le sénateur Jessiman: Que font les autorités pour faire respecter les règlements? Portent-elles des accusations? Si trois ménages sur 10 agissent ainsi, comme l'indique votre sondage, pourquoi les autorités ne font-elles rien?
M. Maguire: Je vous répondrai en vous donnant un exemple.
Il y a bien des années, la question brûlante était le port de la ceinture de sécurité. Pendant la période initiale d'entrée en vigueur de la loi au Québec, période qui a duré entre trois et cinq ans, la loi n'était pas vraiment appliquée, mais les gens étaient de plus en plus sensibilisés à la question. Enfin, le gouvernement a décidé d'appliquer la loi. Une fois qu'un nombre suffisant de personnes eurent entendu parler de la loi et en eurent discuté entre elles, 95 p. 100 de la population bouclaient leur ceinture. Il faut toujours prévoir une période d'adaptation.
Le sénateur Jessiman: Je sais qu'au Manitoba, on porte des accusations contre ceux qui ne portent pas leur ceinture de sécurité. Cela ne m'est jamais arrivé, mais j'en connais à qui c'est arrivé. Est-ce que la réaction est la même dans le cas des armes à feu? Porte-t-on des accusations?
M. Chapdelaine: Nous n'avons pas analysé cette question de manière scientifique.
Les nouvelles règles prévues à la partie III du Code criminel, après l'adoption du projet de loi C-17, ne sont entrées en vigueur que le 1er janvier 1993. L'expérience est encore trop nouvelle. Toutefois, la coroner David a constaté que ceux qui font respecter la loi, les policiers, avaient de la difficulté à bien comprendre les règles. Je vous en donne un exemple.
Des policiers appelés sur les lieux d'une entrée par effraction ont trouvé sur le sofa un fusil de calibre 22, sans dispositif de verrouillage et peut-être même chargé. Ils ne pouvaient pas porter d'accusation parce que la porte d'entrée était verrouillée, qu'on était entré par effraction. En vertu des règles, si l'arme se trouve dans une pièce qui est verrouillée, la police peut décider que l'arme était entreposée de manière sécuritaire. C'est là un des facteurs de confusion.
Vous avez un rôle unique, soit de recommander des changements aux règles en tenant compte des quatre critères que nous vous avons proposés: prévenir l'utilisation impulsive des armes, en prévenir l'utilisation sans autorisation par, entre autres, des enfants, en prévenir le vol, et rendre les règles applicables.
Le sénateur Jessiman: Au Québec, avez-vous constaté que la population urbaine appuyait la loi et la respectait, alors que la population rurale y était vivement opposée et ne s'y conformait pas?
M. Chapdelaine: J'ignore où habitent ceux qui sont opposés à la loi, mais nous avons analysé les sondages effectués au Québec et ailleurs au Canada depuis 1990. L'appui a toujours été plus ferme au Québec qu'ailleurs au Canada.
Le sénateur Jessiman: Même chez ceux qui cultivent la terre?
M. Chapdelaine: Oui. En réponse à une question au sujet de l'enregistrement et de la délivrance de permis, 94 p. 100 des Québécois interrogés se sont dits favorables. Ventilons les données en fonction de ceux qui ont des armes et ceux qui n'en ont pas. Parmi ceux qui n'en ont pas, 97,8 p. 100 étaient favorables à la loi, soit 98 p. 100, alors que les propriétaires d'armes continuent à l'appuyer à 82 p. 100. Il y a une légère différence entre les régions rurales et urbaines au Québec. Il existe aussi un écart entre les provinces où l'on possède plus d'armes et celles où il y en a moins. C'est normal. La résistance est à son maximum dans les provinces où l'on dénombre le plus d'armes.
Le sénateur Jessiman: Vous espérez qu'avec le temps, l'entreposage sécuritaire des armes s'améliorera, comme ce fût le cas du port des ceintures de sécurité. Est-ce ce que vous prévoyez?
M. Chapdelaine: Oui.
La présidente: Vous n'avez pas fait de recommandations précises, mais il me semble qu'une grande partie de votre témoignage comportait des recommandations implicites. Faut-il aussi qu'il y ait un programme intensif d'information afin de faire connaître les règlements actuellement à l'étude?
M. Chapdelaine: Absolument, mais je crois que M. Maguire a répondu à cette question d'une autre façon. L'un des principes sur lesquels repose la santé publique, c'est qu'il ne faut pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. Il faut adopter différentes stratégies simultanément. L'information publique, à elle seule, ne réglera pas tout. Si vous avez recours à une bonne technologie, par exemple à des dispositifs de verrouillage et à d'autres moyens faciles à utiliser, peu coûteux et bien acceptés par la population qui a besoin d'être protégée, si vous avez de bonnes lois, accompagnées de bonnes règles faciles à comprendre et à appliquer, l'information aura beaucoup plus d'impact, tout comme ce fut le cas des lois sur le port obligatoire de la ceinture de sécurité.
L'enquête du coroner nous a facilité la tâche de promouvoir l'information publique. Un des rôles du coroner consiste à informer. L'enquête, de même que l'attention qu'y ont portée les médias -- les revues de presse sont volumineuses -- ont probablement beaucoup aidé à changer les attitudes. Plus les renseignements communiqués sont bons, plus l'information est de qualité; il n'y a pas de doute. C'est pourquoi nous recommandons que l'on fasse plus d'études en vue de diffuser ces renseignements.
[Français]
Le sénateur Pearson: Merci beaucoup de votre présentation, je l'ai trouvée très intéressante. Je l'ai lue en anglais.
[Traduction]
Je ne trouve pas toujours le mot juste pour m'exprimer en français. Vous avez mentionné que vous aviez quelques réserves au sujet du filtrage. Vous n'en avez pas dit davantage, mais vous avez dit que vous donneriez des précisions si on vous le demandait. Je vous le demande donc.
M. Chapdelaine: Les précisions que vous désirez avoir concernent-elles un sujet en particulier?
Le sénateur Pearson: Vous avez dit que le filtrage vous préoccupait. Je vous demande quelles sont ces préoccupations.
M. Chapdelaine: Il s'effectue aussi du filtrage en hygiène publique. Il existe des règles à cet égard. De toute évidence, plus nous avons d'informations au sujet de ce que nous recherchons durant le filtrage, meilleur sera le lien entre ce facteur et le problème que nous cherchons à éviter. Il en résulte un meilleur processus de filtrage. Par exemple, sous le régime de l'ancienne loi, on posait des questions que nous estimions très à propos parce qu'elles nous renseignaient sur des problèmes personnels -- d'ordre financier, conjugal, et cetera -- avant de décider s'il fallait délivrer le permis.
Un facteur est la rupture du couple. Le divorce ou la séparation est suivi d'une longue période durant laquelle le conjoint pourrait être menacé. Nous préférons les règles telles qu'elles sont énoncées parce qu'elles prévoient l'envoi d'un avis au conjoint ou à l'ex-conjoint.
En termes simples, nous croyons que l'introduction d'une arme à feu dans un foyer est une importante décision qui concerne toute la famille. S'ils n'exigeaient pas que le conjoint ou l'ex-conjoint en soit informé, les règlements comporteraient une énorme lacune.
La présidente: Je vous remercie beaucoup de votre exposé.
La séance est levée.