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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 51 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 20 mars 1997

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-71, Loi réglementant la fabrication, la vente, l'étiquetage et la promotion des produits du tabac, modifiant une autre loi en conséquence et abrogeant certaines lois, se réunit aujourd'hui à 10 h 32, pour en faire l'examen.

Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Bonjour, sénateurs. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-71.

Je suis particulièrement heureuse d'accueillir ce matin, en plus de nos témoins, certains délégués du Forum pour jeunes Canadiens. Je crois qu'il est particulièrement approprié qu'ils observent les audiences sur ce projet de loi ce matin.

Nous avons invité le professeur Gerald Gall de la faculté de droit de l'Université de l'Alberta et le professeur Hester Lessard, de la faculté de droit de l'Université de Victoria, à nous donner une idée des questions constitutionnelles que soulève ce projet de loi en particulier. À propos de l'article 17, nous avions demandé à deux professeurs de nous donner un aperçu de ses incidences sur les plans juridique et constitutionnel, surtout sur le plan constitutionnel. Nous avons donc invité aujourd'hui deux professeurs pour qu'ils nous fassent profiter de leur vaste expérience qui nous aidera à évaluer le projet de loi et pour qu'ils formulent pour nous le genre de question que nous devrions peut-être nous poser dans le cadre de nos délibérations.

Nous vous souhaitons la bienvenue à tous deux. Mme Lessard, si vous voulez bien commencer.

Mme Hester Lessard, Faculté de droit, Université de Victoria: Madame la présidente, d'après ce que je crois comprendre, vous voulez que nous abordions certaines incidences du projet de loi C-71, relativement à la Charte. Une loi de ce genre soulève deux questions très générales relatives à la Charte.

La première concerne les aspects qui ont fait l'objet de l'arrêt RJR-Macdonald, à savoir l'étendue de la liberté d'expression et l'acceptabilité, sur le plan constitutionnel, des restrictions apportées par le gouvernement au droit à la liberté d'expression.

La deuxième concerne la notion d'application régulière de la loi en ce qui concerne les mécanismes d'enquête et d'application prévus par le projet de loi, plus précisément les dispositions relatives à l'inversion du fardeau de la preuve et aux perquisitions sans mandat, qui, à première vue, semblent être contraires à la Charte.

J'aborderai très brièvement le premier aspect, à savoir les questions que soulèvent les restrictions à la liberté d'expression. Le professeur Gall poursuivra en ce sens et abordera également la notion d'application régulière de la loi.

Comme vous le savez, la Cour suprême a défini la liberté d'expression de façon très générale. Cette garantie protège toute activité expressive, y compris des activités strictement commerciales, telles celles prévues ici. Les contestations de lois de ce genre en vertu de la Charte ne visent pas tant à déterminer si des droits sont en jeu mais s'il est acceptable que le gouvernement restreigne l'exercice de ces droits. Notre Charte prévoit que le gouvernement peut apporter des restrictions aux droits, tant qu'elles sont raisonnables et peuvent se justifier dans le cadre d'une société libre et démocratique. J'aimerais me concentrer particulièrement sur le sens de cette phrase.

La Cour a établi deux directives d'interprétation très importantes, en ce qui concerne notre façon d'aborder les limites prévues à l'article 1, surtout lorsqu'on examine une loi de ce genre.

La première directive prévoit qu'il incombe au gouvernement d'en justifier le caractère raisonnable. C'était l'élément clé dans l'arrêt RJR. Le gouvernement doit prouver pourquoi, en fait, il s'agit d'une restriction raisonnable.

Selon la deuxième directive d'interprétation, qui revêt une importance particulière dans le cas des contestations concernant l'expression commerciale, la Cour se fondera sur le contexte pour établir un équilibre entre les droits individuels et la valeur sociale de la loi.

Autrement dit, lorsqu'elle examinera une loi comme le projet de loi C-71, la Cour n'opposera pas le principe abstrait de la liberté d'expression à la valeur sociale très générale de la santé des Canadiens. Elle examinera plutôt la demande de façon beaucoup plus concrète et spécifique, en tenant compte de son contexte et de ses caractéristiques prédominantes, à savoir l'activité commerciale.

C'est un aspect important lorsqu'on traite de l'expression commerciale car généralement on considère qu'il est tout à fait raisonnable dans une société libre et démocratique d'imposer des contrôles importants à l'activité commerciale. L'expression commerciale est protégée. Elle possède effectivement une valeur constitutionnelle. Pourtant, parallèlement, les sociétés démocratiques contrôlent raisonnablement le comportement du marché. C'est un aspect particulièrement important lorsqu'on étudie cette loi.

Par contre, la Cour procédera également à l'analyse contextuelle de l'objectif du gouvernement et examinera plus précisément l'objectif des dispositions attentatoires. En ce qui concerne la liberté d'expression, comme l'a déclaré la Cour dans l'arrêt RJR, l'objectif était en réalité de réduire les risques pour la santé de l'usage du tabac imputable à la publicité. C'est une notion beaucoup plus adaptée de la valeur sociale en question.

À la lumière de ces deux très importantes directives d'interprétation, la Cour analysera alors s'il s'agit d'une restriction raisonnable. Dans son arrêt, la Cour a divisé cette analyse en trois éléments fondamentaux. Les deux premiers éléments concernant cette loi en particulier ne sont pas si controversés que cela. Par conséquent, je les mentionnerai rapidement et je terminerai en mettant l'accent sur l'aspect le plus controversé de l'analyse.

La Cour doit d'abord déterminer s'il s'agit d'une restriction prescrite par la loi car si on accepte que le gouvernement apporte certaines restrictions aux droits, ces restrictions doivent prendre la forme de règles juridiques, claires et intelligibles. Comme ici il s'agit d'une loi, il s'agit clairement d'une prescription légale. Elle est prescrite par la loi. La Cour a toutefois déclaré que même s'il s'agit d'une loi, si cette loi renferme des dispositions -- des catégorisations, des notions, des pouvoirs discrétionnaires et des mécanismes de prise de décisions -- tellement vagues et générales qu'elles ne constituent pas des normes claires, intelligibles et légales, alors elle risque d'aller à l'encontre du principe selon lequel des restrictions peuvent être prescrites par la loi. Cela a été la grande question dans les causes d'expression commerciale. Cela se rattache généralement à la notion d'imprécision contraire à la Constitution en ce qui concerne les restrictions.

Même si on les mentionne à la première étape de l'analyse, la Cour a également déclaré qu'elle préférerait en traiter plus tard à la troisième étape. Par conséquent, je reviendrai dans un instant à cette question de manque de précision.

La deuxième étape de l'analyse porte sur l'objet de la loi. La Cour a déclaré que, bien qu'il puisse être acceptable pour le gouvernement de limiter les droits, lorsqu'il le fait, il doit avoir un objectif adéquat, important et convaincant. Cela n'a rien de controversé. La Cour, dans l'arrêt RJR-Macdonald concernant la loi précédente, l'a établi clairement. Même la juge McLachlin, qui a été la plus sévère dans les raisons qu'elle a invoquées, a établi clairement que même l'objectif modeste de réduire la consommation des produits du tabac imputable à la publicité était important et convaincant.

Cela nous amène à la troisième étape vraiment déterminante de l'analyse, c'est-à-dire l'analyse de la proportionnalité. La notion clé ici, c'est que bien que les gouvernements puissent restreindre les droits, tant que la restriction est prescrite par la loi et que l'objectif législatif visé par le gouvernement est important et convaincant, le gouvernement doit démontrer qu'il a été sensible à l'atteinte des droits. Il doit démontrer que la loi restreint le droit protégé aussi peu que possible et qu'il l'a conçue d'une manière qui témoigne qu'il s'est soucié des droits qu'il a restreints pour atteindre un important objectif législatif.

C'est la notion clé. L'accent porte sur la conception de la loi. C'est ce qu'on appelle souvent l'analyse de l'adaptation législative, c'est-à-dire si la loi a été correctement adaptée pour atteindre son objectif compte tenu des importants principes en jeu de la Charte.

Là encore, la Cour a divisé son analyse en trois volets. Elle s'est d'abord attachée à déterminer s'il existait un lien rationnel entre les moyens utilisés par les législateurs pour atteindre leurs objectifs, et les objectifs visés par les législateurs.

Dans l'arrêt RJR-Macdonald, la Cour suprême du Canada a examiné les moyens législatifs qui étaient utilisés, moyens que l'on retrouve dans le projet de loi C-71: interdiction de la publicité, restrictions relatives à la promotion et à la commandite des événements, usage des marques sur les articles autres que les produits du tabac et inscription de mises en garde. La majorité a statué qu'il existait, dans la plupart des cas, un lien rationnel, sauf pour ce qui est de l'interdiction relative à l'usage des marques. Toutefois, l'existence de ce lien a, de manière générale, été confirmée.

L'important ici, et la règle d'interprétation veut que l'on tienne compte du contexte, c'est que la juge McLachlin, dans sa décision majoritaire, a clairement indiqué qu'il n'est pas nécessaire de fournir des preuves scientifiques concrètes pour établir l'existence d'un lien causal. Autrement dit, les preuves scientifiques tendant à démontrer l'existence d'un lien entre la publicité et la consommation de tabac ne s'avèrent pas nécessaires dans ce cas-ci. Elles sont utiles, mais pas nécessaires. La Cour a laissé entendre que, ce qu'il importe avant tout de démontrer, c'est l'existence d'un lien causal fondé sur la raison et la logique. D'après la majorité des juges, la plupart des moyens législatifs satisfont à ce critère, sauf l'interdiction absolue quant à l'usage des marques sur des articles autres que les produits du tabac.

La Cour s'est ensuite attachée à déterminer, dans le cadre de l'analyse de la proportionnalité, si le critère de l'atteinte minimale avait été satisfait. Elle a essayé d'établir si, dans un premier temps, le gouvernement avait examiné d'autres mesures moins attentatoires pour atteindre l'objectif en question et, dans un deuxième temps, si la solution retenue restreignait le droit à la liberté d'expression aussi peu que cela est raisonnablement possible. Encore une fois, le mot clé ici est «raisonnable». C'est ce qu'on appelle souvent le critère des «mesures minimales». Il faut démontrer que des solutions de rechange ont été envisagées, et que la meilleure solution a été retenue.

Comme vous le savez, c'est sur point que le gouvernement a perdu sa cause dans l'affaire RJR-Macdonald, ce critère étant le plus difficile à satisfaire.

Dans l'arrêt RJR-Macdonald, la Cour a statué que le gouvernement n'avait pas présenté d'éléments de preuve pour justifier l'interdiction totale ou l'inscription de mises en garde non attribuées. Autrement dit, l'arrêt RJR-Macdonald laisse entendre que vous ne pouvez pas imposer une interdiction totale ou des restrictions globales sans fournir d'éléments de preuve en guise de justification. Il s'agit là d'un facteur important, car la Cour n'impose pas ici des règles qui sont rigides et irréalistes. Elle précise que les interdictions totales présentent des problèmes, mais elle ne ferme pas la porte à ce genre de solution. Elle exige tout simplement qu'on lui fournisse des preuves concluantes.

Les législateurs se sont manifestement inspirés du jugement de la Cour en rédigeant le projet de loi C-71. Ils ont apporté des adaptations au projet de loi et proposé des interdictions et des restrictions partielles en réponse directe à l'arrêt RJR-Macdonald. Le gouvernement essaie donc, en toute bonne foi, de ne pas empiéter sur les droits.

Par ailleurs, les interdictions totales ont ceci de positif qu'elles sont très claires. Tout le monde sait à quoi s'en tenir. L'activité en question est tout simplement interdite. Toutefois, lorsque vous essayez de remplacer les interdictions totales par des interdictions et des restrictions partielles, vous introduisez un élément nouveau qui risque de ne pas satisfaire au critère de l'atteinte minimale -- l'imprécision de la loi.

Lorsque vous adaptez une loi et que vous imposez des interdictions partielles, vous devez faire la distinction entre les différentes formes de publicité qui existent. Vous devez adapter les interdictions de manière à ce qu'elles s'attaquent à la publicité de style de vie, qui peut inciter les jeunes à fumer, ainsi de suite.

Lorsque vous adaptez une loi, vous devez faire en sorte que les distinctions sont fondées sur des normes claires et précises. La Cour a clairement laissé entendre qu'elle ne demandait pas au gouvernement de réduire ses attentes, mais tout simplement d'agir avec prudence.

Ce critère n'est pas rigide et impossible à satisfaire. Le gouvernement dispose d'un important «degré de latitude». Pour illustrer le réalisme dont fait preuve la Cour, il convient de se reporter à un autre arrêt-clé, l'arrêt Irwin Toy, qui portait sur l'expression commerciale et où l'on a contesté vigoureusement le caractère imprécis de la Loi sur la protection du consommateur du Québec, qui visait à interdire la publicité destinée aux enfants. Comme il s'agissait encore une fois d'une interdiction partielle, puisque seule la publicité destinée aux enfants était visée, le gouvernement devait définir ce qu'il entendait par la publicité destinée aux enfants, ce qui est très difficile à faire dans le domaine de la radiodiffusion. Il a déclaré qu'il y avait trois variables et qu'il était possible de définir de façon approximative la notion de publicité destinée aux enfants. La Cour a jugé cela acceptable, même si la loi n'était pas rédigée en termes précis. Voilà un autre exemple où interviennent les concepts de flexibilité et de caractère raisonnable.

De plus, la Cour examine non seulement le texte de loi, mais la loi elle-même, les règlements, l'interprétation judiciaire des textes réglementaires et les principes administratifs qui servent à définir l'activité qui est interdite et celle qui ne l'est pas. Ce sont le genre de questions que pourrait soulever le projet de loi C-71.

Enfin, la Cour s'est attachée à déterminer si l'équilibre entre les effets préjudiciables sur les droits et les objectifs importants et impérieux du gouvernement l'emportent sur les effets préjudiciables.

Dans d'autres affaires, la Cour a statué qu'il fallait tenir compte non seulement de l'importance de l'objectif de la mesure législative, mais également des avantages découlant de cette mesure. Autrement dit, même si l'objectif visé est important et impérieux, et même si le gouvernement a apporté des adaptations à la mesure législative, il peut y avoir des cas où les avantages ne justifient pas l'imposition de restrictions à l'égard des droits. Encore une fois, nous voyons à quel point il est important que les avantages escomptés se réalisent.

M. Gerald Gall, faculté de droit, Université de l'Alberta: Madame la présidente, c'est un plaisir pour moi d'être ici et surtout de revoir les sénateurs Beaudoin et Kinsella. Nous avons eu l'occasion de travailler ensemble à divers projets au cours des 25 dernières années -- dans le cas du sénateur Beaudoin, au sein de l'Association canadienne des professeurs de droit et de l'Association du Barreau canadien, et dans le cas du sénateur Kinsella, au sein de la Fondation canadienne des droits de la personne et d'autres groupes.

J'aimerais discuter de certaines questions que soulève le projet de loi et des problèmes d'ordre constitutionnel qui pourraient amener la Cour suprême du Canada à jeter un second regard sur la loi. Je voudrais aussi parler des principes de l'équité auxquels Mme Lessard a fait allusion.

Je tiens à dire dès le départ que le projet de loi C-71 ne met pas en cause le partage des compétences. Il est clair que l'ancien projet de loi constituait un exercice légitime de la compétence du Parlement en matière de droit criminel, au sens de l'alinéa 91(27). Même si deux juges de la Cour suprême du Canada, de même que la Cour d'appel du Québec, ont statué que cette mesure était justifiée pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement, tous les juges ont convenu qu'elle relevait de la compétence du gouvernement fédéral. Par conséquent, cette question est sans intérêt pratique. Toutefois, les arguments de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt RJR pourraient servir de guide au Sénat dans son étude sur le projet de loi C-47, qui porte sur les techniques de reproduction. Manifestement, cette mesure soulèvera des questions sur le partage des pouvoirs. C'est pourquoi les observations des juges dans l'arrêt RJR vous seront utiles.

Concernant la liberté d'expression en général, les conclusions de la Cour suprême du Canada se sont inscrites, au fil des ans, dans une suite logique. D'une part, la Cour a assimilé les enjeux dans diverses affaires à des intérêts contradictoires causant du tort aux groupes vulnérables de la société. Dans les cas mettant en cause les minorités, les femmes, les prostitués et les enfants, les tribunaux ont fait preuve d'une grande retenue à l'égard du choix du Parlement. Ce faisant, ils ont opté pour une application moins rigide du critère de la justification en vertu de l'article 1.

D'autre part, dans les affaires où les intérêts en jeu n'étaient pas contradictoires, ou ne causaient pas de tort aux groupes vulnérables, les tribunaux s'en sont tenus à une application stricte du critère visé par l'article premier. Par exemple, dans les affaires où le discours commercial était en cause, la considération première était la liberté de choix et d'expression des consommateurs par le biais de la publicité. Dans l'arrêt RJR-Macdonald, la majorité, dans sa décision, n'a pas tenu compte des effets préjudiciables de la publicité sur la consommation du tabac et a soumis les mesures législatives, sans faire preuve de retenue à l'égard du choix du Parlement, à une analyse stricte de la justification fondée sur l'article 1.

La Cour a choisi cette approche parce que le gouvernement avait négligé de démontrer, au moyen de preuves concrètes, que des mesures moins restrictives auraient permis d'atteindre le même objectif législatif qu'une interdiction totale de la publicité. Ainsi, le gouvernement n'a pas satisfait au critère de l'atteinte minimale.

Cette analyse soulève certaines questions. La retenue dont doit faire preuve la Cour suprême du Canada semble être fonction de la nature de la mesure prise. Si celle-ci a pour effet de causer du tort à un groupe vulnérable, le tribunal semble être disposé à faire preuve d'une plus grande retenue et de souplesse dans la justification au regard de l'article premier.

Si la mesure en question a pour effet de restreindre le choix du consommateur par le biais de la publicité, comme c'est le cas dans l'arrêt RJR, la Cour suprême fera preuve d'une moins grande retenue à l'égard du législateur et l'analyse fondée sur l'article premier sera plus rigoureuse.

Si l'on jette un coup d'oeil sur les affaires dont elle a été saisie au fil des ans, on constate que la Cour n'a fait preuve d'aucune retenue à l'égard du choix du Parlement dans les arrêts Keegstra, Butler et dans le Renvoi sur la prostitution. Elle a fait preuve d'une retenue modérée dans l'arrêt Irwin Toy, et d'une retenue encore plus restreinte dans l'arrêt Rocket. Elle n'a fait preuve d'aucune retenue à l'égard du choix du Parlement dans l'arrêt RJR.

Une grande retenue implique une analyse peu approfondie du critère de justification en vertu de l'article premier. Dans ce cas, très peu de preuves sont requises. D'autre part, l'absence de toute retenue de la part du tribunal implique un examen beaucoup plus formaliste de cette même justification.

Dans le cas de l'arrêt RJR, les preuves étaient insuffisantes, de sorte que la majorité n'a pas été convaincue. Contrairement à ce qui s'est produits dans les cas Butler et Keegstra, le gouvernement n'a pas démontré à la Cour que la violation du droit était raisonnable. Dans les affaires Butler et Keegstra, il fallait démontrer l'existence d'une «crainte raisonnable», sans fournir de preuve justifiant la violation du droit.

Pour ce qui est de la question de savoir si l'on doit accorder au discours commercial la même importance qu'aux formes de discours politique et autres, la juge McLachlin a donné raison, dans une certaine mesure, au juge La Forest, pour qui le discours commercial ne présente pas le même intérêt que les autres formes d'expression. Elle a formulé la même observation dans l'arrêt Rocket.

Toutefois, ce discours est toujours considéré comme une forme d'expression qui doit être protégée par la Constitution. La raison la plus souvent invoquée pour justifier une analyse moins approfondie de l'article premier, c'est l'écart qui sépare le discours commercial des valeurs fondamentales liées à la liberté d'expression.

L'ancien juge en chef Brian Dickson a décrit ces valeurs comme étant:

...la recherche de la vérité, la promotion et l'épanouissement personnel... la protection et le développement d'une démocratie dynamique qui accepte et encourage la participation de tous...

M. David Schneiderman, du Centre for Constitutional Studies, a décrit ces valeurs fondamentales comme étant:

...la recherche de la vérité, la participation à la vie sociale et politique, la réalisation et l'épanouissement de soi.

Le juge La Forest estime, dans son opinion dissidente, que le discours commercial s'écarte de ces valeurs et qu'il ne mérite donc pas la même protection que les autres formes d'expression.

En fait, la question ici n'est pas d'opposer le discours commercial au discours politique, mais plutôt de déterminer si les mesures restrictives visent à protéger des groupes vulnérables de la société.

En résumé, la Cour approuvera toute restriction imposée au discours commercial si cette restriction vise à protéger les groupes vulnérables. Toutefois, elle rejettera toute mesure qui vise à limiter la liberté de choix des consommateurs par le biais de la publicité, sauf si des preuves convaincantes justifient l'adoption d'une telle mesure.

En raison du fardeau de la preuve qui en résulte, il est nécessaire, dans toute contestation, que le gouvernement du Canada démontre que l'objectif du projet de loi C-71 est de protéger les groupes vulnérables contre le tort que cause à ces groupes toute forme de publicité non assujettie à des restrictions.

Manifestement, le projet de loi identifie les jeunes comme des victimes potentielles. On retrouve cette précision dans la disposition qui en définit l'objet, comme c'était le cas dans l'ancien projet de loi, et, de façon plus explicite, dans le corps du texte.

Jusqu'ici, j'ai soulevé des questions qui n'attireront sans doute pas beaucoup l'attention des tribunaux, comme le partage des compétences et la distinction entre l'expression commerciale et le discours interdit. Ce qui risque de susciter l'attention des tribunaux, s'ils sont saisis de cette affaire, c'est l'application du critère de justification en vertu de l'article 1 qui a été formulé dans l'arrêt Oakes, à savoir si le projet de loi constitue une limite raisonnable, même s'il porte atteinte au droit à la liberté d'expression.

Bien que l'on soit en présence d'un objectif législatif qui cible ou protège les jeunes, comment les tribunaux réagiraient-ils? Je n'essaie pas de me mettre à la place d'un des juges de la Cour suprême du Canada, mais qu'arriverait-il si la Cour, en examinant le projet de loi, procédait à une analyse approfondie du critère de justification en vertu de l'article 1? Les principaux critères de l'arrêt Oakes qui ont présenté des problèmes dans l'affaire RJR sont le lien rationnel au regard de l'interdiction de l'usage de marques sur les articles autres que les produits du tabac, et l'exigence de l'atteinte minimale au regard des messages non attribués relatifs à la santé et de l'interdiction de la publicité.

D'abord, la juge McLachlin a statué que la présence de logos sur les articles autres que les produits du tabac ne satisfaisait pas au premier volet du critère de la proportionnalité. Elle ne pouvait établir la présence d'un lien rationnel entre les objectifs de la loi et les moyens utilisés pour atteindre cet objectif.

Autrement dit, il n'existe pas de lien causal entre la présence d'un logo ou d'une marque sur un briquet, par exemple, et la décision de commencer ou de cesser de fumer. Personnellement, je pense qu'elle a tort. Je connais des personnes qui ont cessé de fumer et qui ont envie de reprendre cette habitude chaque fois qu'elles voient ces logos sur des produits du tabac ou sur d'autres articles. L'usage de logos pourrait, en fait, les inciter à recommencer à fumer. Toutefois, mon opinion ici ne compte pas. Ce qui compte, ce sont les preuves fournies au tribunal.

Le deuxième volet du critère formulé dans l'arrêt Oakes a eu pour effet, pour la majorité, d'invalider les dispositions du projet de loi qui avaient trait à l'apposition obligatoire de mises en garde et à l'interdiction de la publicité.

Est-ce que le nouveau projet de loi va satisfaire au critère de l'atteinte minimale? Je pense que oui. En fait, la plupart des dispositions ont été adaptées de manière à satisfaire les exigences de la Cour suprême du Canada. Le projet de loi n'impose qu'une restriction partielle sur la publicité et autorise les mises en garde attribuées. En fait, la Cour suprême du Canada a précisé que les interdictions partielles constituent des mesures moins attentatoires qui seront sans doute jugées acceptables.

Étant donné que le critère de l'atteinte minimale n'a pas été respecté, la Cour, dans l'arrêt RJR -- c'est-à-dire, la majorité -- n'a pas été obligée d'examiner la troisième partie du second volet du critère formulé dans l'arrêt Oakes, soit le critère de la proportionnalité. Ce critère a été défini dans l'arrêt Oakes, et resserré dans l'arrêt Dagenais. Si le projet de loi satisfait au critère de l'atteinte minimale, comment la Cour abordera-t-elle le troisième volet du critère de la proportionnalité, qui a été resserré dans l'arrêt Oakes? Habituellement, ce critère n'est pas difficile à satisfaire, mais cela reste à voir.

Je vais maintenant soulever d'autres questions à propos de la législation, mis à part celles soulevées dans l'affaire RJR. La nouvelle loi repose largement sur un régime de réglementation. Même si la loi répond au critère Oakes, les règlements vont-ils aussi passer l'étape de l'examen, compte tenu du fait que la loi est essentiellement sous contrôle réglementaire? Dans le cadre du processus d'examen, tel que le prévoit le paragraphe 42.1(2), le comité de la Chambre en tiendra peut-être compte au moment de la promulgation des règlements.

Le manque de précision et la trop grande ampleur de ce projet de loi pourraient également causer des problèmes. Plus particulièrement, des termes comme «manifestation», «activité», et «entité» dans l'article sur la commandite, ou des termes comme «prestige», «loisirs», «enthousiasme», «vitalité», «risque» et «audace» dans les articles sur le style de vie pourraient être trop vagues et trop vastes pour résister aux conséquences d'une contestation fondée sur la Charte.

Enfin, les aspects du projet de loi relatifs à la perquisition et à la saisie ainsi qu'à la procédure sont préoccupants.

Avec l'aide d'un collègue, je me suis penché sur ces questions. Nonobstant que certaines des dispositions sont semblables à la loi de 1988, les problèmes sont toujours là.

Le problème fondamental des dispositions de la loi sur la perquisition et la saisie, c'est qu'elles ne sont pas adaptées à l'enquête relative aux infractions. On peut justifier la perquisition et la saisie en invoquant l'objet général de l'administration et de l'application de la loi; c'est-à-dire que des personnes innocentes, qui ne sont même pas soupçonnées de crimes, peuvent être tenues d'ouvrir la porte de leur entreprise ou de leur maison à des agents de l'État.

L'article 35 traitant de la perquisition et de la saisie sans mandat envisage bien évidemment la perquisition et la saisie sans mandat, procédure qu'il faudrait toujours considérer avec méfiance ou au moins prima facie comme une ingérence déraisonnable dans la vie privée dont les intérêts sont protégés en vertu de l'article 8 de la Charte.

Les intérêts protégés en vertu de l'article 8 sont mis en cause. L'article 35 prévoit la perquisition et la saisie. La perquisition doit être faite par un agent de l'État et les résultats de la perquisition utilisés pour des poursuites intentées en vertu de la loi. Les personnes pourraient raisonnablement s'attendre au respect de la vie privée pour ce qui est de «tout lieu» dans lequel les inspecteurs peuvent pénétrer. Il est vrai que les entreprises réglementées s'attendent à un respect moindre de la vie privée pour ce qui est des dossiers ou de ce qui est conservé conformément aux règlements, particulièrement lorsque l'entreprise doit se soumettre périodiquement à des inspections de ses dossiers ou de ce qu'elle conserve. Il se peut également qu'il soit peu réaliste et déraisonnable d'exiger des mandats de perquisition et de saisie pour faciliter l'application de lois de réglementation. Néanmoins, l'article 35 accorde aux inspecteurs des pouvoirs extrêmement étendus, si étendus qu'ils pourraient être considérés comme des pouvoirs intrusifs déraisonnables et excessifs.

Avec l'aide d'un collègue, j'ai fait une analyse plus détaillée des articles 35 et 36, mais je ne suis pas sûr qu'il serait opportun d'en débattre ici. Si le comité est d'accord, je vous l'enverrai simplement par la poste. C'est une analyse de trois pages et demi qui ne soulève pas nécessairement des questions relatives à la Charte, mais des questions précises qui se rapportent aux pouvoirs étendus de perquisition et de saisie et qui en découlent, ainsi qu'au choix des mots employés dans la loi.

Cela nous amène aux deux derniers points de procédure, le premier étant la présomption d'innocence à l'article 53. La disposition de l'article 53 est semblable aux articles 794 et 115 du Code criminel. On pourrait prétendre que ces dispositions vont à l'encontre de la présomption d'innocence, puisque c'est à l'accusé qu'il incombe de prouver son innocence. Néanmoins, ces dispositions ou celles qui les ont précédées ont été jugées comme ne pas contrevenir à la Charte, soit sous prétexte qu'elles ne vont pas à l'encontre de la présomption d'innocence, puisque la Couronne doit démontrer hors de tout doute raisonnable que l'infraction a été commise avant de pouvoir déclarer l'accusé coupable, soit sous prétexte que l'article 1 de la Charte justifie l'imposition de limites raisonnables à la présomption d'innocence.

Plusieurs arrêts vont dans ce sens. En matière de jurisprudence, la disposition portant inversion du fardeau de la preuve, que l'on retrouve au paragraphe 53(2), est plus inadmissible que d'autres dispositions portant inversion du fardeau de la preuve que l'on retrouve ailleurs.

Enfin, nous en arrivons aux dispositions de l'article 54 relatives à la diligence raisonnable et à la responsabilité subsidiaire. L'inclusion d'une défense basée sur la diligence raisonnable empêche probablement l'annulation des dispositions relatives aux peines en vertu de l'article 7 de la Charte. En effet, les employeurs ne sont responsables que s'ils n'ont pas fait preuve de diligence raisonnable -- c'est-à-dire, s'ils ont fait preuve de négligence -- pour s'assurer qu'aucune infraction n'est commise. Ils sont responsables du fait qu'ils n'ont pas fait preuve de diligence raisonnable.

Dans l'affaire Ville de Sault Ste. Marie, la Cour suprême du Canada a reconnu la responsabilité de sociétés pour des infractions de responsabilité stricte en se fondant sur la maxime respondeat superior, sous réserve d'une défense basée sur la diligence raisonnable. J'ai une longue citation de cette affaire, mais je ne vais pas non plus en faire la lecture ici.

On pourrait peut-être améliorer la loi si l'on faisait mention des actes d'un employé ou d'un mandataire au cours de son emploi. Cela mis à part, cette partie de la loi n'est pas particulièrement inadmissible, pas plus que ne l'est la responsabilité subsidiaire en droit de la responsabilité civile délictuelle ou dans d'autres contextes de lois de nature réglementaire.

Le sénateur Beaudoin: Madame la présidente, c'est toujours un plaisir que de recevoir des professeurs de droit constitutionnel. J'ai une question à poser à M. Gall et une autre à Mme Lessard.

Monsieur Gall, vous avez fait mention d'un problème que l'on n'a pas examiné à fond, comme il aurait fallu le faire. Je veux parler du partage des pouvoirs. Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que, par suite de l'arrêt Macdonald, il est évident que le Parlement du Canada a le droit de proposer une loi de cette nature.

La jurisprudence est nette et précise au sujet de la compétence en matière de droit criminel, qui fait l'objet d'une interprétation très vaste. Puisque vous parlez de la production du tabac, certains ont soulevé le problème des droits de propriété et des droits civils. Je suis enclin à dire que puisque l'interprétation que l'on fait de la compétence du Parlement en matière de droit criminel est très vaste, ce projet de loi est solide à cet égard.

Certains articles de la loi visent bien sûr la production, ce que cela peut représenter ainsi que les produits ou éléments de cette production. Il se pourrait que certains avocats en arrivent à la conclusion qu'il s'agit d'une atteinte aux droits de propriété et aux droits civils. Toutefois, si l'on tient compte de la jurisprudence, c'est secondaire à la principale loi.

Si je soulève ce problème, c'est parce que certaines provinces où l'autonomie provinciale est peut-être plus importante que dans d'autres, pourraient avancer un tel argument. J'aimerais que vous en disiez un peu plus à ce sujet.

M. Gall: Je suis certainement d'accord avec ce que vous venez de dire. Certaines provinces considèrent que toute production d'un produit relève de la compétence provinciale. À mon avis, la question peut être posée de façon légèrement différente.

Si l'on qualifiait cette mesure législative de loi sur la santé, même si, selon la Cour suprême du Canada, la santé relève du paragraphe 91(27), il faudrait tenir compte de trois choses. Premièrement, les provinces ont également compétence en matière de santé. La Cour suprême du Canada a décrit la compétence en matière de santé comme un domaine quelque peu inconsistant.

À titre d'exemple, j'ai parlé du projet de loi C-47; certains ont soulevé des questions quant à la compétence à propos de la Loi sur les techniques de reproduction. La Commission Krever n'a certainement pas encore réglé la question de compétence à propos de l'approvisionnement du Canada en sang, entre autres choses.

Toutes ces préoccupations en matière de santé posent des problèmes car, de toute évidence, la compétence provinciale en matière de santé en vertu des paragraphes 92(13), 92(16) et 92(7), où la compétence appartient aux hôpitaux, n'est pas claire et nette. Ce n'est que depuis qu'il a été déclaré que la santé est un domaine d'intérêt public dans l'affaire de la margarine en 1949 qu'il est devenu plus évident que la santé relève de la compétence fédérale. La production du tabac relève certainement en partie de la compétence provinciale en matière de santé.

Deuxièmement, beaucoup de juges font référence à la compétence de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement. Si c'est ainsi justifié, cette question considérée comme question d'intérêt national, peut, dans un sens, l'emporter sur toute préoccupation des provinces en matière de droits de propriété et de droits civils. D'après la majorité, il s'agit du paragraphe 91(27), soit la compétence en matière de droit criminel.

Troisièmement, la publicité est une question qui relève généralement de la compétence provinciale.

Nous parlons de la santé, qui est une question inconsistante, et de la publicité qui relève essentiellement de la compétence provinciale. Toutefois, ces questions sont auxiliaires à d'autres. Comme conclusion générale, je dirais que nous avons la chance que la Cour suprême du Canada ait décrété que, lorsque la publicité vise la protection de la santé, il s'agit d'une question relevant de la compétence fédérale.

Je ne sais pas si ces explications vous sont très utiles. Bien évidemment, tout ce qui a trait à la santé est inconsistant. Ce n'est pas clair et net dans chaque cas. Comme je l'ai dit, on ne sait toujours pas quel palier de gouvernement a compétence en matière d'approvisionnement en sang du Canada ou quel palier de gouvernement a compétence en matière de techniques de reproduction. Ce ne sont pas des questions faciles. Toutefois, aux fins de la présente loi, à tout le moins, nous avons une déclaration de la Cour suprême du Canada à l'effet que c'est probablement constitutionnel en ce qui concerne le partage des pouvoirs.

Si vous vouliez dire que ce n'est pas clair et net, je suis certainement d'accord avec vous.

Le sénateur Beaudoin: La seule raison pour laquelle je soulève ce point, c'est que je n'ai jamais été partisan de la doctrine paix, ordre et bon gouvernement. J'accepte une compétence d'urgence qui est transitoire, bien sûr, mais cette loi est permanente. Elle ne peut se fonder sur cette théorie. Il s'agit de droit criminel et cela ne pose pas de problème en la matière, puisque cela a fait l'objet d'une interprétation très vaste.

La théorie de paix, ordre et bon gouvernement est discutable. Elle est valide en ce qui concerne la compétence en matière de droit criminel. Les provinces conservent, bien sûr, leur énorme compétence dans le domaine de la santé et des droits civils. Aux fins du compte rendu, je sais exactement ce que vous voulez dire.

Ma deuxième question s'adresse à Mme Lessard. Je suis sûr que mes collègues vont vous poser des questions au sujet du régime de réglementation, du manque de précision, de la perquisition et de la saisie et de la présomption d'innocence. Toutefois, pour en revenir à la Charte, je suis d'accord avec vous, lorsque vous dites que nous devons suivre l'arrêt Oakes. Les limites raisonnables sont en fait le principal problème. Tout le débat est centré là-dessus, à mon avis. Il ne s'agit pas d'une interdiction totale, mais d'une restriction partielle. Par conséquent, il faut décider s'il s'agit de limites raisonnables dans une société libre et démocratique. Tout est là.

Vous avez dit que le fardeau de la preuve incombe au gouvernement, ce qui est vrai. Toutefois, vous n'avez pas dit s'il s'agit de la prépondérance de la preuve ou de la preuve incontestable. Ce n'est pas sans aucun doute, nous sommes d'accord là-dessus. Je ne veux pas débattre de ce point, car c'est évident.

J'aimerais en savoir plus au sujet du fardeau de la preuve, car nous vivons dans une société très civilisée, malgré ce que l'on peut en dire. En ce qui concerne une loi comme celle-ci, il faut finir par clore le débat. Est-il raisonnable dans une société libre et démocratique d'imposer ce qu'impose la loi? Pensez-vous que le fardeau de la preuve est respecté dans ce cas?

Mme Lessard: Cette question a divisé les juges dans l'affaire RJR-Macdonald. Quelle est la norme? Compte tenu du contexte de l'expression commerciale et de l'importance des questions de santé, peut-on qualifier cette norme? Les avis ont été très partagés à la Cour, le juge La Forest ayant un avis minoritaire, disant que la norme est basse. Le gouvernement devait simplement démontrer qu'il avait choisi rationnellement cette solution par rapport à l'autre, l'interdiction totale par rapport à l'interdiction partielle.

Le sénateur Beaudoin: C'était un avis minoritaire.

Mme Lessard: La majorité a contredit le juge La Forest. La majorité a de nouveau confirmé l'arrêt Oakes, à savoir que la norme équivaut à la prépondérance des probabilités. Cela signifie à tout le moins que le gouvernement doit prouver non simplement que son allégation est également valable, mais que, dans un certain sens, il a la preuve que c'est la meilleure façon de procéder. L'arrêt Oakes a fixé un degré élevé de probabilité. Comme l'a dit la juge McLachlin, il ne suffit pas de faire des affirmations insignifiantes pour avoir recours à de tels procédés.

On ne peut pas donner le sens exact de «haut degré de probabilité». Il est clair qu'on y aura recours le plus énergiquement possible au moment de l'atteinte minimale.

Le sénateur Beaudoin: En anglais, c'est le terme «preponderance» qui est utilisé.

Mme Lessard: Oui, prépondérance de la preuve.

Le sénateur Beaudoin: Cela me convient.

Le sénateur Lynch-Staunton: Ce qu'a dit M. Gall au sujet de la partie de ce projet de loi sur la perquisition et la saisie m'a intéressé, car, si je comprends bien, en cas de contestation fondée sur la Charte, c'est précisément sur cette partie du projet de loi que je me pencherais.

En particulier, non seulement l'inspecteur peut-il entrer et saisir, ainsi que l'indique le projet de loi, s'il a des motifs raisonnables de croire qu'une saisie est justifiée -- et l'expression «motifs raisonnables» peut être définie comme on le veut -- mais il incombe à la personne dont les biens ont été saisis de prendre l'initiative de les récupérer. Il n'y a pas de disposition, autant que je sache, qui prévoit que la Couronne porte une accusation après la saisie. C'est facultatif pour la Couronne. Cela donne une latitude en matière d'application qui, à mon avis, est excessive. J'attends avec impatience de lire votre document à ce sujet.

J'aimerais savoir si ce projet de loi suit véritablement la directive de la Cour suprême à propos de l'interdiction partielle par opposition à l'interdiction totale, qu'elle a annulée. Je ne suis pas sûr que ce projet de loi pourra aboutir à une interdiction partielle. Je le sens intuitivement, car certaines de ces dispositions sont si vagues et se prêtent à tant d'interprétations, qu'une interdiction totale serait possible. Je vous renvoie à la définition de style de vie.

Mme Lessard et M. Gall en ont parlé. La publicité de style de vie associe un produit avec une façon de vivre, tels le prestige, les loisirs, l'enthousiasme, la vitalité, le risque ou l'audace ou qui évoque une émotion ou une image, positive ou négative, au sujet d'une telle façon de vivre. Je ne vois pas ce qui est exclu de cette définition.

J'aimerais connaître l'interprétation que vous faites de cet article. Qu'est-ce qui est exclu de la définition de «publicité de style de vie» qui permettrait l'application des autres articles, l'article 22 notamment?

Mme Lessard: Je crois que vous avez raison. Lorsque l'on parle de manque de précision, on vise ce genre de disposition et c'est la description d'événements qui sont associés aux jeunes, au risque, à la richesse, et cetera, qui est équivoque. Lorsque j'ai examiné cette disposition, je me suis posé des questions au sujet du discernement et de la réflexion. On ne les retrouve pas ici. Toutefois, il faut également se rendre compte que la Cour demande en fait si le gouvernement aurait pu aboutir à une définition plus précise et réalisable. Si l'exemple de Irwin Toy est utile, c'est parce que les tribunaux vont reconnaître qu'il peut être très difficile de classer de manière descriptive divers types de comportement. Par conséquent, la question relative au discernement et à la clarté nous amène à ce qu'il est raisonnable d'espérer en matière de clarté.

Je suis d'accord qu'il y a beaucoup de flou et que cela soulève des questions, mais vous devez comprendre que la clarté absolue, des distinctions claires et nettes ne peuvent être exigées, lorsqu'elles sont impossibles à réaliser. La Cour essaie d'être réaliste et de ne pas rendre la tâche impossible aux organes législatifs.

Le sénateur Lynch-Staunton: Cette définition est-elle une réponse directe à l'interprétation que fait la Cour de l'expression style de vie?

Mme Lessard: La Cour avait bien sûr l'avantage de ne pas avoir à entrer dans les détails. Elle a utilisé l'expression «publicité de style de vie», mais n'a pas donné d'explication très précise de ce que cela pourrait représenter. On pourrait par ailleurs se demander si les règlements apporteront des éclaircissements, si des directives administratives seront données pour ce qui est des activités envisagées dans cet article, car dans son interprétation d'un article comme celui-ci, la Cour prendra certainement tout l'ensemble en compte.

Le sénateur Lynch-Staunton: Convenez-vous que, selon la définition, la publicité de style de vie peut s'appliquer à n'importe quelle publicité de tabac; que toute publicité de tabac peut être décrite comme une publicité de style de vie, car elle associe une forme de style de vie à la consommation du produit lui-même?

Mme Lessard: J'ai de la difficulté, quand il s'agit de ce que l'on pourrait convenir d'appeler la publicité de style de vie, à départager la publicité préférentielle de la publicité informative. Je peux facilement concevoir de quoi a l'air la publicité informative et de quoi a l'air la publicité préférentielle, bien qu'elles puissent être assimilées à de la publicité de style de vie. C'est encore plus facile si l'on examine la question par l'autre bout de la lorgnette, en termes de ce qui est permis plutôt que de ce qui est interdit. Des questions demeurent, mais je crois que c'est faisable, étant donné la difficulté que pose la définition dans ce cas-là.

Le sénateur Nolin: Si j'ai bien compris, madame Lessard, vous êtes en train de dire que, parce qu'il est impossible de rédiger la loi en termes raisonnablement précis, on peut invoquer comme excuse l'importance du principe en jeu?

Mme Lessard: Oui. Il importe de prendre conscience que l'examen de cette question se fait dans le contexte des atteintes minimales aux droits. Les juges se demandent s'il y a moyen de procéder autrement, s'il n'existe pas un meilleur moyen de décrire ce que nous entendons par «publicité de style de vie».

Le sénateur Nolin: Cela va encore plus loin. En raison du critère des atteintes minimales, cela signifie que c'est une solution de dernier recours, la dernière option et qu'il est impossible d'être précis.

Mme Lessard: Oui.

Le sénateur Nolin: À cause de toutes ces exceptions, nous violerons deux droits fondamentaux. Une loi vague viole deux valeurs fondamentales de notre système de droit. Vous ne mentionnez que la première, selon moi. Il ne faut pas oublier la seconde. Tout d'abord, la loi ne donne pas la possibilité raisonnable de savoir ce qui est interdit et d'agir en conséquence.

Mme Lessard: Effectivement.

Le sénateur Nolin: On peut cependant le justifier par le fait qu'il était impossible de donner une description plus précise.

Second problème, la loi n'établit pas de normes claires à l'intention de ceux qui l'appliquent, de sorte que le contrôle d'application pourrait être arbitraire. C'est une préoccupation parmi d'autres.

Mme Lessard: Oui.

Le sénateur Nolin: Qui décidera qu'il n'y a pas moyen d'être plus précis? Ce ne sera pas le ministre ou les hauts fonctionnaires de Santé Canada qui trancheront. Ce sera la police. Il est question ici de compétence en matière de droit criminel.

Mme Lessard: Oui. Il en a déjà été question, et je conviens avec vous que c'est un problème. Cependant, à titre d'exemple utile, on peut citer le règlement sur le matériel obscène qui donne lieu au même genre d'interrogations. La question est importante encore une fois, en termes de ce dont les juges tiendront compte pour décider du manque de précision. Essentiellement, la Cour a dit, dans des causes importantes relatives à du matériel obscène, qu'elle tiendra compte non seulement des tentatives faites par le gouvernement pour préciser le libellé des lois et des règlements, mais aussi de l'interprétation judiciaire, entre autres. Donc, elle tiendra compte d'un nombre plutôt important d'interprétations de la disposition pour décider si le libellé est clair.

Vous avez parfaitement raison. C'est un point au sujet duquel il est difficile de trancher dans les affaires de violation des dispositions relatives au matériel obscène et aux propos haineux où l'on invoque la liberté d'expression commerciale. Il est fort difficile de cerner avec précision le genre de matériel visé.

Il importe de pouvoir bien répondre, en fin de compte, à l'ultime question que pose la Cour. Le gouvernement a fait un travail consciencieux; il a rédigé les dispositions avec le plus grand soin possible. Cependant, l'objectif visé par la loi prime-t-il sur les atteintes aux droits?

Le sénateur Nolin: Il est difficile de répondre à cette question. Cependant, le gouvernement a décidé que l'article 22 du projet de loi était la dernière option, la seule dont il disposait, c'est-à-dire d'imposer des contraintes minimales. J'ai parlé de taxes, hier. Les fonctionnaires du ministère viendront nous en parler. Elles ont suscité un vif débat dans l'affaire RJR-Macdonald.

Quand on lit l'article 22, on se rend compte qu'il s'agit d'une interdiction totale. Cependant, si l'on poursuit la lecture, l'article interdit autre chose, à la fin. On a l'impression qu'il s'agit d'une interdiction totale. Je comprends toutefois ce que vous dites.

Mme Lessard: En un certain sens, il serait ironique que la Cour dise: «Non, vous ne pouvez pas décréter une interdiction totale, vous pouvez seulement imposer une restriction partielle». Or, c'est impossible parce qu'il est si difficile de décrire la catégorie. La Cour est consciente, d'après moi, qu'il ne faut pas, par ce genre de décision, rendre toute réglementation impossible.

Le sénateur Nolin: Cela me rappelle l'interdiction faite aux avocats de faire la publicité. Le seul support publicitaire qui leur est permis est la carte d'affaire.

Le sénateur Lynch-Staunton: Que nous soyons d'accord avec les interprétations ou pas, je crois que le débat met en valeur le fait que le projet de loi à l'étude est très vaguement libellé.

Mme Lessard: Oui.

Le sénateur Lynch-Staunton: Nous aimerions éviter, en soulignant ce point et d'autres imprécisions du projet de loi, que ces arguments puissent être invoqués devant un tribunal et que la loi soit contestée avec succès. Je suis d'accord avec le sénateur Nolin pour dire que, de la façon dont nous interprétons l'expression «publicité de style de vie» au sens employé ici, on pourrait dire qu'elle autorise une interdiction totale, que ce soit directement ou indirectement.

Mme Lessard: Je n'ai pas de difficulté à concevoir ce qu'est la publicité strictement informative.

Le sénateur Gigantès: Ce serait plutôt de la publicité de style de mort.

Mme Lessard: Je ne conçois pas ces dispositions comme une interdiction totale. En fait, il y aurait moyen de le faire beaucoup plus facilement.

Le sénateur Nolin: La remarque du sénateur Gigantès au sujet de la publicité du style de mort est plutôt drôle. Tout bien pesé, le risque fait partie du style de vie. Prendre des risques est une façon de vivre.

Le sénateur Lynch-Staunton: Ma dernière observation concerne l'article 18 du projet de loi qui définit la promotion, soit la présentation d'un produit ou d'un service susceptible d'influencer et de créer des attitudes, croyances ou comportements. On prévoit ensuite trois exceptions très claires. Toutefois, il est exagéré de dire que cette promotion inclut des attitudes, croyances et comportements négatifs au sujet d'un produit. L'intention du législateur est certes bonne, mais on peut interpréter cet article comme désignant toutes les attitudes, croyances et comportements, tant positifs que négatifs.

Mme Lessard: C'est vrai. Cependant, cette disposition ne précise pas ce qui est interdit et ce qui ne l'est pas. En un certain sens, le manque de limitation est acceptable parce que les dispositions suivantes précisent le genre de promotion qui est interdit. C'est là que sont décrits en réalité les aspects négatifs de la promotion.

Si vous poussez votre examen de cette partie du projet de loi, vous constaterez que cette disposition introduit simplement le reste. C'est là qu'on se met d'accord pour dire que la promotion désigne une catégorie assez étendue d'activités, sans porter un jugement de valeur sur elles. Par la suite, on donne des précisions et on cerne le genre de promotion interdit. Viennent ensuite les aspects négatifs.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous m'avez un peu perdu. Selon l'article 18, toute communication, représentation et ainsi de suite susceptible d'influencer et de créer des attitudes, des croyances, etc., au sujet du produit sont interdites.

Mme Lessard: La disposition ne dit pas que vous ne pouvez pas le faire. Elle définit simplement la promotion. L'interdiction se trouve en réalité à l'article 19.

Le sénateur Lynch-Staunton: C'est pourtant ce que dit l'article 18:

Dans la présente partie, «promotion» s'entend de la présentation, par tout moyen, d'un produit ou d'un service -- y compris la communication de renseignements sur son prix ou sa distribution --, directement ou indirectement, susceptible d'influencer et de créer des aptitudes, croyances ou comportements au sujet de ce produit ou service.

Mme Lessard: En un certain sens, cette disposition appartient à l'article du début, où se trouvent toutes les définitions.

Le sénateur Lynch-Staunton: Il faudrait la lire à la lumière de beaucoup d'autres dispositions du projet de loi à l'étude. C'est ce qui m'échappe.

Mme Lessard: C'est un peu comme la définition donnée au début du projet de loi, où l'on précise simplement dans quel sens on utilise une expression.

Le sénateur Lynch-Staunton: Il aurait peut-être fallu l'inclure au début du projet de loi. Je ne m'y serais pas arrêté aussi longtemps.

Mme Lessard: Vous avez parfaitement raison. Je me suis souvent demandé pourquoi ceux qui rédigent les lois font cela, pourquoi ils éparpillent les définitions dans le texte.

M. Gall: Je conviens certes avec vous, sénateur, qu'il est difficile de faire la distinction entre une interdiction totale et une interdiction de la publicité de style de vie qui inclut la représentation de presque tous les styles de vie. Toutefois, il faut se reporter à la définition du style de vie. L'expression s'applique à tous les styles de vie susceptibles d'attirer les jeunes, les adolescents.

En fait, je ne suis expert ni du tabac, ni de la publicité. Cependant, la vie nous apprend parfois quelque chose. À mon avis, la plupart de ceux qui commencent à fumer le font non pas à cause de la publicité, mais parce qu'ils veulent faire comme les autres jeunes à l'école. C'est du moins mon impression.

La publicité de style de vie peut renforcer la pression exercée par les pairs. Je n'essaie pas de débattre de l'orientation choisie. Je dis simplement que la publicité du style de vie, lorsqu'elle se conjugue à la pression exercée par les pairs, pourrait inciter les jeunes à fumer. Parce que c'est le cas et parce que c'est un facteur contributif, bien que je sois convaincu que la pression exercée par les pairs est le principal facteur, il faut voir la définition du style de vie comme étant ce qui attire, en toute franchise, l'adolescent.

Je ne crois pas qu'une publicité m'attirerait si elle montrait un homme en train de faire du saut à l'élastique, une cigarette à la main; ce genre de publicité ne me dit rien. Quand vous parlez des jeunes, vous parlez, je crois, d'adolescents, peut-être même de préadolescents.

Pour ce qui est de la promotion, Mme Lessard a souligné à la fin un point qui, sans être d'une grande importance, est tout de même valable. Elle a dit qu'elle se demandait pourquoi les lois n'étaient pas toutes rédigées de la même façon. Il aurait peut-être fallu donner la définition de promotion au début du projet de loi, où se trouvent toutes les autres.

La façon de rédiger les lois a changé au fil des ans. Ainsi, on inclut maintenant une disposition de déclaration d'objet et on a de moins en moins recours à un préambule. Au niveau provincial, les définitions se trouvent parfois à la fin de la loi. Dans le Code criminel, on les insère un peu partout, dans différentes parties et dans différents articles.

Je déposerai mon document auprès du greffier pour qu'il le distribue.

Sénateur Lynch-Staunton, vous avez mentionné l'article du projet de loi où il est question de motifs raisonnables. À titre simplement indicatif d'une éventuelle préoccupation, il suffit que l'inspecteur ait des motifs raisonnables de croire qu'il y a, dans un lieu, quelque chose qui sert à la fabrication, à la mise à l'essai, à l'emballage, à l'étiquetage, à la promotion et à la vente de produits du tabac. Cela pourrait inclure du carton, de la colle ou du papier.

L'alinéa ne précise pas que les objets qui pourraient être utilisés pour les produits du tabac doivent en fait avoir servi à cette fin. Le libellé est effectivement source de préoccupations.

Je ne me suis pas vraiment attardé aux questions relatives à la Charte, sauf pour faire des remarques d'ordre général au sujet de l'article 8. J'ai préféré examiner toute la question des pouvoirs étendus de perquisition et de saisie.

Le sénateur Gigantès: Je n'ai pas très bien compris ce que vous avez dit au sujet des objets qui servent à la fabrication des produits du tabac.

M. Gall: L'inspecteur peut saisir n'importe quel objet qui a servi à la fabrication et à la mise à l'essai de produits du tabac. L'alinéa ne précise pas que les objets susceptibles de servir à la fabrication de produits du tabac doivent en fait avoir servi à cette fin. Il peut saisir des objets qui n'ont en réalité pas servi à cette fin, mais qui sont de la même nature que d'autres objets qui servent habituellement à cette fin.

Le sénateur Gigantès: Laissez-vous entendre, cependant, qu'un morceau de carton sur lequel rien n'est écrit peut faire l'objet d'une perquisition et d'une saisie aux termes du projet de loi à l'étude? Est-ce bien ce que vous laissez entendre ou ai-je mal compris?

M. Gall: Vous m'avez parfaitement bien compris. C'est effectivement ce que je laisse entendre. Cependant, je ne dis pas qu'il s'agit-là d'une préoccupation importante. Je tenais simplement à attirer votre attention sur ce point.

Le sénateur Gigantès: Je n'ai pas une haute opinion de l'intelligence des policiers, mais la vôtre est encore pire. Je doute que vous ayez raison.

M. Gall: J'ai simplement souligné la possibilité.

Le sénateur Lynch-Staunton: J'ai une dernière observation à faire au sujet de la publicité du style de vie. La loi est très précise. Elle parle de ce qui peut attirer les jeunes, soit des personnes de 18 ans et moins. Il semble plutôt étrange que l'on fasse une distinction, en la matière, entre la publicité qui attire le jeune de 18 ans et celle qui attire celui de 19 ans. Si on veut l'interdire, pourquoi ne pas prohiber toute la publicité ou, du moins, élargir la portée de l'interdiction?

Il est tout à fait inimaginable qu'un adolescent s'en tienne à son groupe d'âge immédiat et à ses intérêts étroits, qu'il ne voit pas ce que font les adultes et ne soit pas influencé par la publicité du style de vie s'adressant aux adultes. Voilà certaines des questions sur lesquelles nous devrons nous pencher.

Madame la présidente, les deux témoins nous ont beaucoup aidés à comprendre cet important projet de loi.

Le sénateur Lewis: Le débat de ce matin montre bien un des problèmes que soulève la rédaction. Quand on réunit un groupe de personnes qui ont chacune leur propre façon de s'exprimer, il faut en bout de ligne qu'elles s'entendent sur un certain libellé. L'arrêt RJR fait bien ressortir la différence dans la façon d'expliquer une décision. En fin de compte, bien sûr, la Cour a rendu une décision claire. Elle a dit qu'on ne pouvait faire une interdiction totale. Tous l'ont compris.

Mme Lessard a dit que la Cour suprême avait invalidé l'interdiction totale -- injustifiée selon la preuve présentée -- et que le projet de loi avait été rédigé en tenant compte de ce jugement. Elle a mentionné qu'un des critères appliqués par les juges, si le projet de loi à l'étude était contesté, serait le caractère vague du libellé. Elle a dit aussi que, naturellement, une interdiction totale était très claire, qu'elle ne comportait aucune ambiguïté.

Madame, quelle est votre opinion du projet de loi comme tel? Quel est le résultat essentiel?

Mme Lessard: En ce qui concerne l'ambiguïté?

Le sénateur Lewis: Oui.

Mme Lessard: Je mettrais des points d'interrogation à côté des dispositions mentionnées, par exemple celles qui visent la publicité du style de vie, la commandite et les événements auxquels on associe du risque et de l'audace. Elles donnent toutes lieu au même genre de préoccupations. Cependant, avant de me prononcer, j'insisterais pour prendre connaissance du règlement qui fera la lumière sur ces expressions et donnera en réalité une bien meilleure idée de ce qui est projeté. Ensuite, afin de combler les lacunes, je réfléchirais à la difficulté de trouver d'autres façons de le dire et à la possibilité de rendre les distinctions plus nettes.

De toute évidence, on s'est vraiment efforcé d'être vigilant. La portée de chaque interdiction faite dans le projet de loi à l'étude comporte des restrictions et des conditions. De toute évidence, le gouvernement a longuement réfléchi avant d'agir, ce qui a beaucoup de poids. Cela s'explique du fait que le gouvernement a perdu le procès non pas tant parce qu'il faisait une interdiction totale, mais parce qu'il n'avait pas réussi à prouver qu'il avait été vigilant et consciencieux.

À première vue, le fait que chaque étape ait fait l'objet d'une mûre réflexion milite beaucoup en faveur de cette loi. De plus, il faut tenir compte de l'important degré de latitude.

Le sénateur Lewis: Pourquoi ne pas considérer le projet de loi et son objectif comme un tout plutôt que d'en décortiquer les articles un à un?

Mme Lessard: Quand il est question par exemple d'ambiguïté, il faut examiner les interdictions une à une et tenir compte de tous les éléments du règlement et du texte comme tel qui pourraient contribuer à en faire une norme juridique intelligible. Je ne crois pas qu'il suffise, lorsqu'on examine des questions comme la constitutionnalité d'une loi vague, de dire que, dans l'ensemble, tout semble se tenir et que la loi semble claire. Il faut s'en tenir à un processus plutôt laborieux.

Le sénateur Lewis: J'en suis conscient, mais je réfléchis à l'interprétation. L'objet et la portée du projet de loi forment un tout.

Mme Lessard: Oui. En ce sens, comme l'a dit M. Gall, on s'est très visiblement efforcé de ne faire porter les restrictions que sur la publicité adressée à des jeunes, en règle générale, ce qui milite beaucoup en sa faveur.

M. Gall: J'aurais aussi quelque chose à dire à ce sujet. Vous pouvez examiner le projet de loi dans son ensemble pour en déterminer l'objet afin de voir s'il répond à la première partie du critère énoncé dans l'affaire Oakes, soit un objectif pressant et énoncé. Il est juste de tenir compte de l'objectif global d'un projet de loi. Cependant, quand on applique le critère de la proportionnalité, les tribunaux ont bel et bien dit qu'il fallait faire l'analyse, article par article. En fait, dans l'arrêt RJR, nous savons que l'interdiction de logos sur des produits qui ne sont pas des produits du tabac n'a pas résisté à la première partie du critère énoncé dans l'affaire Oakes, c'est-à-dire au critère du lien rationnel. L'interdiction de la publicité et les mises en garde non attribuées en matière de santé n'ont pas satisfait à la seconde partie du critère de proportionnalité. Il faut donc les examiner séparément.

La preuve qui sert à démontrer que le critère énoncé dans l'arrêt Oakes est respecté dans un article peut ne pas être utile pour refaire la démonstration au sujet d'un autre article. Heureusement, on peut dire: voici l'objet du projet de loi et il s'applique à la loi en entier; cela ne pose pas de problème.

C'est la seconde partie du critère fixé dans l'arrêt Oakes, soit l'exigence de la proportionnalité, qui requiert un examen, article par article ou interdiction par interdiction.

Le sénateur Lewis: Oui. De plus, je suppose que l'issue d'un procès sera fonction du point particulier en litige et de la preuve présentée.

M. Gall: Vous avez tout à fait raison.

Il ne faut pas oublier que certains articles de la loi antitabac de 1988 qui n'avaient pas été contestés n'ont pas été invalidés. Ce n'est pas parce que l'interdiction totale est invalidée que d'autres articles ne sont plus valides. L'analyse doit se faire interdiction par interdiction.

Comme je l'ai déjà dit, vous faites des observations légitimes en ce qui concerne l'objectif global de la loi. À mon avis, le tribunal accepterait un seul objectif global, si la loi en énonce un.

Le sénateur Kinsella: Notre réflexion au sujet de la dérogation en règle générale, de la dérogation à un droit, avant 1982 serait fort différente. On chercherait peut-être davantage à savoir si le principe est valable ou s'il s'agit d'une bonne décision politique. Il me semble que le critère doit s'appliquer même en ce qui concerne la Charte. Votre analyse du respect de la Charte a été fort utile.

Il existe toutefois d'autres critères relatifs aux droits de la personne. Il se trouve que j'ai ici le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La clause de dérogation établit un critère très précis et très strict. Elle dit:

[...] dans la stricte mesure où la situation l'exige [...]

Vous avez mentionné le faux raisonnement qui consiste à prendre pour cause ce qui n'est qu'un antécédent dans le temps. Sans entrer dans le détail, puisque vous êtes ici pour parler de la Charte, comment évalueriez-vous le projet de loi à l'étude, en termes de dérogation aux droits que reconnaît clairement le pacte? Si vous faisiez une évaluation en fonction des exigences de la situation, il faudrait que l'objectif social visé soit rigoureusement énoncé.

Mme Lessard: Je crois que la phrase «dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique» se rapproche beaucoup de ce que dit le pacte international. On a beaucoup débattu de cette question pendant que l'on rédigeait la Charte. On a tenté pour la première fois de fixer une norme rationnelle comme celle que prônait le juge La Forest. Par la suite, on l'a peaufinée. J'estime que les deux sont maintenant, en réalité, très analogues.

Dans la mesure où l'expression employée dans l'article 1 de la Charte donne peut-être un peu plus de flexibilité, la notion de «stricte mesure où la situation l'exige» ressemble beaucoup au critère des atteintes minimales. Voilà où naît le principe d'une concordance entre la fin visée et les moyens adoptés et d'une réelle sensibilité aux droits atteints.

Le sénateur Kinsella: Le deuxième élément précis dont j'aimerais parler est l'article 53 du projet de loi et toute cette question d'inversion de la charge de la preuve. Voici ma question: bien qu'il existe, semble-t-il, de nombreuses lois dans lesquelles s'applique le principe d'inversion de la charge de la preuve aux fins de la politique gouvernementale, si l'objectif est d'assurer une atteinte minimale aux droits de la personne, a-t-on constaté un recours plus fréquent à ce principe dans tous les genres de lois dont sont saisis les législateurs, qu'il s'agisse de lois provinciales ou fédérales, à tel point qu'il n'est presque pas contesté?

Un des explications données à l'égard de l'article 53 du projet de loi est que d'autres lois le font. Le phénomène se répand et il est presque admis. Comment réagissez-vous à cela?

M. Gall: Il y a effectivement une augmentation du nombre de dispositions portant inversion de la charge de la preuve. J'ai déjà donné l'exemple des articles 794 et 115 du Code criminel. L'article 794, relatif à la Loi sur le contrôle des armes à feu, porte une telle inversion.

Cette loi est plutôt récente. Voici un nouveau projet de loi. De toute évidence, ceux qui rédigent les lois et ceux qui voient à la politique gouvernementale sont disposés à y avoir recours plus souvent. On en compte au moins deux exemples durant la dernière année. Les tribunaux sont disposés à les accepter, mais il s'agit-là d'une conclusion sur une question de droit plutôt qu'une question de principe.

En principe, j'estime certes, comme vous-même -- c'est une opinion personnelle, je suppose --, qu'on y a recours trop souvent. Je ne veux pas me lancer dans un débat politique, mais il n'en demeure pas moins que c'est une question de principe. Il faudrait soulever la question. Il faudrait y réfléchir et se poser la question. Le faisons-nous trop fréquemment? Y a-t-on recours trop facilement?

Une fois que la porte est ouverte, il est beaucoup plus facile de le faire une deuxième et une troisième fois. C'est ainsi.

Pour ce qui est de votre première question au sujet du pacte international, Mme Lessard y a déjà répondu, fort bien d'ailleurs. Je ne suis pas étonné que vous vous trouviez à avoir un exemplaire du pacte sur vous.

Il faut que vous sachiez tous que le sénateur Kinsella est l'un des plus grands experts canadiens des pactes. Nous n'avons pas apporté notre exemplaire, mais j'aurais dû y penser.

Le sénateur Kinsella: J'aimerais aborder un autre sujet, celui de la réglementation. Le pouvoir de réglementation projeté non seulement dans le projet de loi à l'étude, mais aussi dans d'autres lois à l'étude, me préoccupe parce que le pouvoir d'examen des règlements et de réglementation du Parlement est quelque peu attaqué.

Une autre mesure, soit le projet de loi C-25, est à l'étude dans l'autre endroit. Je ne l'ai pas étudié en détail, mais il semble modifier le pouvoir d'examen du comité mixte d'examen de la réglementation de la Chambre des communes et du Sénat. Si l'État est appelé à assumer plus de pouvoirs dans le processus de réglementation, il me semble qu'il faudrait que nous renforcions, nous aussi, notre rôle dans le processus d'examen de la réglementation du Parlement, plutôt que de le diluer.

J'aimerais connaître vos réflexions sur cette question générale, de même que sur le règlement d'application du projet de loi à l'étude.

M. Gall: Si ma mémoire est bonne, d'après les journaux, le projet de loi a été retiré, n'est-ce pas?

La présidente: Non, il n'a pas été retiré, bien que certains d'entre nous le souhaitent ardemment.

M. Gall: Je me souviens avoir lu quelque chose dans le journal à ce sujet.

Le sénateur Beaudoin: À quel stade en est ce projet de loi?

La présidente: Il est toujours à l'étude dans l'autre endroit.

M. Gall: Ce projet de loi est assujetti à pas mal de contrôle réglementaire. En fait, il précise, aux articles 22 et 24, «sous réserve du règlement d'application et des paragraphes 1 et 2». L'article commence par cette expression: «sous réserve du règlement d'application».

À force de faire des déductions, nous finissons par contourner le problème. Même sur le plan de l'ambiguïté, il faut attendre de connaître le règlement avant de pouvoir être plus précis. Il se peut que le règlement soit encore plus vague que la loi. C'est difficile à concevoir, mais il faut les soumettre à un examen pour voir non seulement s'ils sont trop vagues, mais s'ils vont à l'encontre de la Charte.

Un autre témoin vous parlera du mécanisme qui servira à renvoyer le règlement à un comité de la Chambre des communes aux termes de l'article 42.1 du projet de loi. Ce mécanisme offre une certaine protection; cependant, j'en reviens à la question de la rédaction des lois. De plus en plus, les lois en sont réduites à leur plus simple expression; c'est dans le règlement qu'on trouve les modalités d'application.

J'ignore si c'est une bonne chose. Pour ma part, je préfère que les lois renferment le plus de détails possibles parce qu'il est trop facile de modifier un règlement. En effet, le règlement n'est pas soumis au même débat qu'une loi. Par exemple, un règlement ne fait pas l'objet d'un examen au Sénat. Si je comprends bien le principe d'examen, il suffit que le règlement soit étudié par un comité de la Chambre des communes.

Un examen complet d'un projet de loi doit se faire de la manière habituelle et ne pas laisser autant de place au contrôle réglementaire et ce, pour de nombreuses raisons. C'est une observation générale sur l'établissement des lois.

Je suis d'accord pour dire que le projet de loi C-71 est un bon exemple illustrant la décision des rédacteurs de laisser une large place à la réglementation. C'est probablement une tendance dans le domaine législatif, que l'on retrouve dans ce contexte.

Le sénateur Kinsella: Lorsqu'un projet de loi comme celui-ci empiète aussi directement sur les droits, n'est-il pas d'autant plus justifié d'avoir le moins de réglementation possible? Dans d'autres mesures législatives qui ne mettent pas les libertés des Canadiens en jeu, le manque de précision et les règlements porteraient moins atteinte à notre liberté.

M. Gall: Absolument. Dans le cas de règlements sur l'aéronautique ou le camionnage ou d'autres règlements techniques, un contrôle réglementaire plus important serait plus acceptable.

Lorsque nous parlons de dérogation aux droits contenus dans la Charte et la Constitution, il est important que la loi soit aussi complète que possible. Je suis entièrement d'accord avec vous. Toutefois, c'est une tendance dans le domaine législatif que l'on remarque ces dernières années.

Le sénateur Beaudoin: L'expression «sous réserve des règlements», que l'on retrouve au paragraphe 22(2), que signifie-t-elle à toutes fins pratiques? Cela veut-il dire que nous avons besoin de règlements ou peut-être que les règlements sont prépondérants? Je ne vois pas cette expression «sous réserve des règlements» très souvent. Je veux savoir exactement si cela veut dire que nous avons besoin de règlements dans ce cas précis, ou si cela signifie que les règlements sont prépondérants. Comment les règlements peuvent-ils être prépondérants? La loi est prépondérante. C'est tout un changement.

M. Gall: Dans cet article particulier, j'ai été bien sûr frappé par ces mots «sous réserve des règlements»; en effet, c'est comme si les règlements étaient prépondérants ou qu'ils vont être significatifs. Il n'y a pas grand-chose à dire, par exemple, au sujet d'une publication dont au moins 85 p. 100 des lecteurs sont des adultes. Peut-on être plus précis dans la loi d'origine? Cela étant dit, si ce n'était pas précisé, l'expression «lecteurs adultes» serait probablement la plus vague de toute la loi.

Prenez, par exemple, l'alinéa 22(2)c), soit la pose d'affiches dans des endroits dont l'accès est interdit aux jeunes par la loi. Cela vise sans doute les bars, les tavernes ou les bars-salons, puisque ce sont les seuls endroits dont l'accès est interdit aux jeunes par la loi. Même en Alberta, par exemple, les jeunes de plus de 14 ans ont accès aux salles de bingo. Cela ne s'appliquerait probablement pas à eux, parce que «jeune» désigne une personne de moins de 18 ans.

Je ne sais pas quel genre de règlement serait ajouté. Je suis d'accord avec ce que vous dites. Il est étrange d'indiquer «sous réserve des règlements»; c'est comme si cet article prévoyait énormément de contrôle réglementaire.

Le sénateur Beaudoin: J'espère pouvoir poser la question aux responsables.

La présidente: Ils suivent cette séance et prennent note de votre question, espérons-le.

Le sénateur Gigantès: Les règlements m'inquiètent énormément, car souvent ils donnent en quelque sorte aux fonctionnaires un «permis de tuer». Ils rédigent les règlements pour se faciliter la vie et non pas pour faciliter celle des Canadiens. Nous en avons vu de nombreux exemples.

Le pire exemple est sans doute le régime fiscal qui comporte non seulement des règlements, mais aussi des interprétations. Pendant des années, on a refusé de publier les interprétations. Un avocat d'Ottawa s'est battu pendant 10 ans pour obtenir l'interprétation des règlements.

La présidente: Je suppose que c'est une observation, plutôt qu'une question.

Le sénateur Gigantès: C'est une observation qui se transformera en question si les témoins veulent la commenter.

Le sénateur Doyle: Il est pratiquement indispensable maintenant que je vous dise ce que je pense de toute la question des règlements. J'allais dire qu'apparemment, les règlements sont tout ce que nous avons. Leur objet n'est pas défini, comme je l'ai dit hier lorsque le ministre était là, ni non plus les objectifs.

Mme Lessard a fait remarquer que lorsqu'ils sont arrivés à la question des règlements, ils ont déclaré forfait. Quel est le but visé? S'agit-il maintenant de diminuer la consommation de tabac de moitié? S'agit-il de récupérer 10 millions par an sur le nombre de décès? S'agit-il uniquement d'empêcher les enfants de commencer à fumer; peut-être, commenceront-ils alors à fumer à l'âge de trente ans.

Le mot le plus percutant que vous ayez utilisé n'est pas très courant; je veux parler du mot «flou.» Je comprends exactement ce que vous voulez dire et c'est la meilleure définition de la loi dont nous sommes saisis que je n'ai jamais entendue.

Je tiens absolument à ce qu'une loi empêche les gens de fumer. Je ne pense pas que nous y parvenions par décret ou par l'épée. Par conséquent, qu'essayons-nous de faire? Pouvez-vous me le dire?

Mme Lessard: Cela nous ramène au manque de précision des catégories et du choix de cette solution dans le but très important d'arriver à diminuer la consommation de tabac.

Tout en m'inspirant du pacte international, je pense qu'il s'agit ici d'une prise de conscience dans la stricte mesure où la situation l'exige, à savoir qu'une stricte interdiction de fumer, qui serait très satisfaisante, claire et nette, n'est simplement pas possible lorsque l'on parle d'une substance accoutumante si largement utilisée. Par conséquent, nous nous tournons vers ces solutions bien évidemment moins satisfaisantes et nous sommes confrontés aux problèmes dans ce contexte.

La Cour suprême a convenu que dans la stricte mesure où la situation l'exige, il est impossible d'adopter les solutions qui soient les plus satisfaisantes dans le cas d'une substance accoutumante si largement utilisée.

Il s'agit alors de savoir s'il est possible de préciser clairement les interdictions en question. Vous avez tout à fait raison de dire que certains concepts sont flous.

Le sénateur Doyle: Le flou est quelque chose qui nous tient à coeur à Ottawa. Nous savons, par exemple, que nous voulons nous débarrasser du déficit et de la dette. Nous ne savons pas quand cela va se produire -- chacun ayant une version différente -- mais il vaut la peine de s'engager sur ce chemin. Nous ne disons même pas que nous voulons un jour abolir la consommation du tabac. Nous avons peur de le dire. Cela revient à dire qu'un certain nombre de décès serait acceptable. Est-ce bien là ce que dit la loi?

Mme Lessard: Pour répondre à cette question, il faudrait se reporter à la documentation de base.

Le sénateur Doyle: Les lois sont faites pour les gens, non pour des groupes de parties intéressées comme nous-mêmes.

J'ai ici un exemplaire du projet de loi et il m'a fallu pas mal de temps pour le parcourir. Si je commençais à le lire à haute voix, cela durerait bien jusqu'à l'heure du souper, si pas plus, et on ne peut imposer une telle lecture aux Canadiens. Il est impossible d'espérer qu'ils le comprennent après l'avoir lu.

Je trouve que c'est formidable d'avoir un projet de loi qui nous permet de court-circuiter cette bonne vieille Cour suprême et de faire ce que Jake Epp a tenté de faire il y a quelques années. D'après le chef de mon parti, c'est pour cela même que nous sommes ici. Toutefois, je ne sais pas comment cerner la question. Il ne suffit pas simplement de débattre du «style de vie» et de ce que cela représente.

Lorsque j'étais jeune et que je me demandais quelle carrière embrasser, je savais qu'en fumant des cigarettes et en portant un chapeau mou, on avait d'assez bonnes chances de devenir journaliste. Une femme qui fumait des cigarettes en public passait pour très légère. Maintenant c'est tout le contraire. Les sociétés de tabac essaient d'associer la cigarette au sport. Je m'y perds et je vous remercie de votre aide.

Et si le gouvernement avait pris des mesures pour que le tabac soit désigné comme un stupéfiant ou une substance nocive? Nous n'aurions pas eu à craindre de violer des droits, ainsi de suite, parce que nous aurions reconnu que le tabac constitue, en fait, la substance la plus nocive qui existe dans ce pays. Serait-il préférable de définir carrément le tabac comme un stupéfiant, ce qui nous permettrait de prendre les mesures que nous voulons? C'est ce qu'il risque de devenir si nous n'en réduisons pas la consommation.

Mme Lessard: C'est quelque chose que l'on pourrait envisager pour l'avenir. Toutefois, je présume, compte tenu des circonstances, qu'on a décidé qu'il n'était pas possible de réglementer ce produit de cette façon. La solution que vous proposez serait beaucoup plus satisfaisante, dans une certaine mesure.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Gall et Mme Lessard, pour votre excellent témoignage.

Sénateurs, le comité de direction a convenu de se réunir le 1er avril, dans l'après-midi, et les 2 et 3 avril, pendant toute la journée.

Nous avons également convenu que si de nouveaux témoins manifestent le désir de comparaître et que, de l'avis du comité de direction, ils devraient être entendus, nous les inviterons à venir témoigner devant nous. Nous enverrons aujourd'hui des lettres à tous les premiers ministres provinciaux, au cas où leurs ministres de la Santé ou d'autres ministres responsables souhaiteraient comparaître devant le comité. Jusqu'ici, nous n'avons prévu entendre aucun témoin le 7 avril. Toutefois, je vous demanderais de ne pas prendre d'engagements cette journée là, au cas où nous jugerions bon de nous réunir pour approfondir certaines questions. Le 9 avril, nous accueillerons à nouveau des fonctionnaires du ministère et le ministre de la Santé. Si nous sommes prêts, nous pourrons procéder à un examen article par article du projet de loi le 10 avril. Toutefois, ce programme pourrait être modifié.

Le sénateur Haidasz: Je ne suis pas un membre régulier de ce comité, mais j'aimerais déposer, en anglais, trois amendements aux articles 2,5 et 21 du projet de loi. J'espère que, d'ici la prochaine réunion, ils auront été traduits en français.

Puis-je déposer ces amendements auprès du comité?

La présidente: Sénateur Haidasz, sauf votre respect, j'hésite à vous permettre de déposer des documents qui ne sont pas dans les deux langues officielles. Nous n'avons pas l'habitude de faire cela au sein du comité. Je propose que nous les fassions traduire, de sorte que lorsque nous nous réunirons le 1er avril, même si vous n'êtes pas présent, nous les accepterons comme ayant été déposés. Êtes-vous d'accord?

Le sénateur Haidasz: Oui. Merci beaucoup, madame la présidente.

La présidente: Est-ce que quelqu'un peut proposer que l'on dépose les amendements du sénateur Haidasz, une fois qu'ils auront été traduits?

Le sénateur Beaudoin: J'en fais la proposition.

La séance est levée.


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