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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 55 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 7 avril 1997

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, saisi du projet de loi C-71, Loi réglementant la fabrication, la vente, l'étiquetage et la promotion des produits du tabac, modifiant une autre loi en conséquence et abrogeant certaines lois, se réunit aujourd'hui à midi pour examiner ledit projet de loi.

Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Bonjour. Nous allons entendre aujourd'hui le témoignage de M. Wayne MacKay, qui en temps ordinaire est professeur à la faculté de droit de l'Université Dalhousie, mais qui actuellement est détaché auprès de la Commission des droits de la personne. Il a demandé à venir témoigner au sujet du projet de loi C-71.

M. Wayne MacKay, directeur général, Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse: Honorables sénateurs, même si je ne les ai pas tous lus, j'ai pris connaissance des comptes rendus des témoignages sur la question. Je vais tâcher de ne pas répéter ce que d'autres ont dit. Comme vous le souhaitez, je répondrai volontiers à vos questions. Vous êtes déjà très avancés dans vos travaux, et je présume que vous aurez des questions précises à poser.

J'ai préparé un mémoire rédigé à la main. J'y cite des extraits des arrêts des tribunaux, notamment l'arrêt RJR-Macdonald, que j'ai fait photocopier pour vous le distribuer, ce qui m'évitera de le lire entièrement.

À la page 2 de mon mémoire, je traite essentiellement des restrictions à l'expression commerciale. Je suis prêt à répondre à vos questions dans la mesure de ma compétence en matière constitutionnelle, mais on m'a demandé expressément de traiter de la question de l'expression et des restrictions, question sur laquelle portera essentiellement mon exposé. Je répondrai à vos questions sur d'autres sujets dans les limites de mon expérience.

D'emblée je dirais qu'il est manifeste d'après les témoignages que vous avez reçus que ce projet de loi vise l'expression commerciale. J'affirme cela parce que je présume que vous en avez conclu que la question du partage des pouvoirs ne se pose pas du point de vue du gouvernement fédéral, puisqu'il ne s'agit pas d'une affaire de droit pénal, d'autant plus que deux juges dans l'affaire RJR-Macdonald en ont conclu ainsi. Je ne vois pas pourquoi on modifierait cette conclusion.

Il est aussi manifeste qu'il y a atteinte à la liberté d'expression commerciale, en l'occurrence violation de l'article 2b), et que, par conséquent, les poursuites découlent des limites raisonnables prévues à l'article 1. Bien sûr, d'autres vous ont dit la même chose.

Je passe maintenant à mon deuxième point, qui porte sur les rôles comparatifs des assemblées législatives et des tribunaux dans le cas de l'article 1. C'est à l'article 1 de la Charte que l'on établit essentiellement la borne de ce qui constituera le domaine des tribunaux et celui des législateurs en matière de politique sociale.

À cette fin, je cite à la page 3 de mon mémoire ce qu'a dit le juge Sopinka concernant l'obscénité dans l'affaire Butler, qui a fait l'objet d'une décision majoritaire. Bien entendu, dans le cas qui nous occupe, il ne s'agit pas d'obscénité, mais d'un projet de loi sur le tabac. Il y a un point commun toutefois, comme en témoigne cette citation à la page 3, à savoir que tout comme dans le cas de l'obscénité, il n'y a pas ici de preuve scientifique concluante d'une relation de cause à effet.

On peut faire la comparaison avec l'affaire Butler, qui concernait l'incidence des représentations obscènes ou pornographiques sur la dégradation des femmes et la criminalité. Le tribunal en a conclu qu'on pouvait se passer de preuves scientifiques.

Le juge Sopinka, se référant à l'affaire Irwin Toy, affirme:

Dans cette affaire, on demande à la cour d'évaluer des preuves contradictoires dans le domaine des sciences sociales concernant la façon appropriée de traiter du problème de la publicité à l'intention des enfants. La question est de savoir si le gouvernement avait un motif raisonnable, étant donné les preuves fournies, de conclure que l'interdiction de toute publicité à l'intention des enfants portait atteinte de façon minimale à la liberté d'expression, étant donné l'objectif urgent et substantiel poursuivi par le gouvernement.

Il poursuit en disant:

... la cour reconnaît que le gouvernement disposait d'une marge d'appréciation pour établir des objectifs légitimes fondés sur des preuves non concluantes dans le domaine des sciences sociales.

Il applique ensuite cela à la pornographie dans le contexte de l'affaire Butler.

C'est un point de départ important pour toute réflexion sur la constitutionnalité de ce projet de loi. L'extrait que je vous ai cité a été appuyé par la majorité des juges de la Cour suprême du Canada, qui affirme par là, surtout quand il s'agit d'une question de politique d'importance en l'absence de preuves concluantes, que l'on comptera encore davantage sur les législateurs pour préserver l'équilibre.

Jusqu'à un certain point tous les juges dans l'affaire RJR-Macdonald se sont ralliés au même thème, en particulier La Forest, même si c'était dans un jugement dissident.

Je constate que le professeur Schabas, de l'Université du Québec à Montréal, a affirmé lors de son témoignage qu'il semble y avoir deux orientations pour ce qui est de l'article 1. Dans un cas, il s'agit de protéger les groupes vulnérables comme les femmes et les enfants, et en cela on peut citer la pornographie dans l'affaire Butler, l'affaire concernant la prostitution et l'affaire Irwin Toy, qui touche les enfants, et à cela il faut ajouter à son avis le projet de loi C-71 maintenant. Il faut bien faire remarquer que M. Schabas considère ce projet de loi, et je serais assez d'accord avec lui, comme un projet de loi de politique sociale visant à protéger un groupe en particulier -- en l'occurrence la jeunesse -- contre un type en particulier de publicité. Il pense que c'est encore plus manifeste dans le projet de loi C-71 que dans les mesures législatives annulées dans l'affaire RJR-Macdonald.

La citation de l'arrêt Butler que l'on trouve dans l'arrêt Irwin Toy est particulièrement appropriée, car dans ce cas-là également la cour s'inquiétait de l'incidence de la publicité sur les enfants.

Le bon critère à appliquer dans ce cas-ci est également la vaste marge d'appréciation. Autrement dit, étant donné les contradictions dans les preuves scientifiques, on s'en remet aux législateurs. Cela m'amène à mon troisième point.

Le sénateur Gigantès: Vous avez parlé de preuves «scientifiques sociales»?

M. MacKay: Oui, les preuves qui existent dans le domaine des sciences sociales.

Le sénateur Gigantès: Elles ne sont pas scientifiques.

M. MacKay: C'est juste. Le fait que les sciences sociales ne soient pas scientifiques ajoute au problème.

Le sénateur Gigantès: Absolument. Les sciences sociales sont mon domaine.

M. MacKay: La principale affaire dont je voulais parler est l'affaire RJR-Macdonald. Dans le cas de ce projet de loi, nous avons la chance de pouvoir nous reporter à un arrêt précis de la Cour suprême du Canada sur un projet de loi semblable, même s'il n'est pas identique. Très souvent, quand il s'agit de vérifier la constitutionnalité d'une mesure législative, on ne peut que conjecturer. C'est toujours le cas, mais notre hypothèse peut s'appuyer sur l'affaire RJR-Macdonald.

Je vais vous épargner toutes les citations, mais je vais quand même les rappeler. La juge McLachlin a rédigé l'arrêt majoritaire en l'occurrence. Je précise ici qu'il s'agit de la première affaire où on a annulé la Loi sur le tabac, ce qui a entraîné une nouvelle rédaction et le projet de loi C-71. On peut supposer que les rédacteurs législatifs ont pris connaissance de cet arrêt. C'est en fait un document incontournable dans votre évaluation de la constitutionnalité du projet de loi C-71.

Toute la preuve pouvait être faite dans l'affaire RJR-Macdonald, même en vertu des lois précédentes, et on peut dire qu'il s'agissait d'une interdiction totale plutôt que partielle, mais de cet aspect-là nous pourrions débattre. Cependant, à première vue, le projet de loi actuel constitue certainement davantage une interdiction partielle que celui qui a été annulé dans l'affaire RJR-Macdonald.

C'est la juge McLachlin qui a écrit le jugement majoritaire. Le jugement dissident du juge La Forest portait sur la norme, car lui-même et la juge McLachlin convenaient qu'il s'agissait manifestement d'une question de droit pénal et d'une violation évidente de la liberté d'expression commerciale. Toutefois, la question en suspens était celle de la norme à appliquer.

Je vais commencer par une citation de la juge McLachlin. En annulant cette loi en particulier, elle affirme que la norme n'avait pas été respectée. Elle ajoute que le gouvernement n'avait pas respecté la norme de preuve essentielle selon elle pour motiver la restriction de l'expression commerciale.

Je ne vais pas citer l'extrait tout au long, mais la juge McLachlin souligne particulièrement que même en l'absence de preuves formelles dans le domaine des sciences sociales, et même si on s'en remet aux législateurs, on ne peut pas aller au-delà de certaines limites. À son avis, le jugement dissident du juge La Forest va trop loin dans ce sens.

Sur cet aspect capital, la décision a été très serrée: cinq contre quatre. Quant à moi, j'estime que ce projet de loi est constitutionnel, mais il est important de signaler pour sa survie en vertu de l'article 1 qu'il suffirait de faire changer d'opinion un seul juge. En effet, quatre se sont prononcés favorablement précédemment. C'est un point important à prendre en compte.

À la page 5 de mes notes, je cite le juge Iacobucci, qui est du même avis que les juges McLachlin et Lamer dans les rangs de la majorité des cinq juges. Iacobucci donne certains conseils au Parlement, pour ainsi dire.

Il ne propose pas de tout simplement annuler la loi, mais il propose qu'il y ait suspension et donne un conseil d'ordre général au Parlement quant à la façon de restructurer cette loi pour la rendre constitutionnelle. Il propose de demander directement au Parlement de faire ce qu'il a fait précisément, c'est-à-dire étudier un projet de loi remanié. Toutefois, les juges ne se sont pas ralliés à cette suggestion. Ils ont adopté plutôt celle de la juge McLachlin, qui était d'annuler la loi. Le juge Iacobucci avait proposé une suspension d'un an pour permettre au Parlement de remanier la loi.

Le juge était prêt également à se prononcer sur la loi remaniée et à donner des orientations générales, notamment une interdiction partielle plutôt que totale, et un énoncé très clair des règles de mise en garde. De toute façon, il voulait faire profiter le législateur de ses conseils.

Nous en arrivons à la page 6, au point dissident du juge La Forest, auquel se sont ralliés trois autres juges. Il est encore plus catégorique pour ce qui est de saisir le législateur de questions de politique sociale.

Il est intéressant de constater que ce débat s'oriente vers une comparaison du rôle des tribunaux et du rôle du Parlement. Quand il y a des preuves contradictoires dans le domaine des sciences sociales, quel rôle incombe aux juges qui doivent deviner ce que le Parlement estime être nécessaire? Voilà le fond du débat dans cette affaire, et c'est ce qu'il sera sans doute chaque fois qu'il y aura contestation à l'avenir.

La Forest dit clairement que quand il y a des preuves contradictoires dans le domaine des sciences sociales, mais qu'il s'agit d'une loi importante en matière de politique sociale, le tribunal devrait céder son rôle au législateur et lui donner une vaste marge de manoeuvre.

Une question intéressante m'est venue à l'esprit au moment où je préparais mon témoignage. Je suppose que le Sénat donne d'emblée la préférence au Parlement naturellement, même si la distinction entre le rôle du Parlement et celui des tribunaux tient très souvent au fait que le Parlement est élu. Je suppose que dans le cas du Sénat, son rôle serait à mi-chemin entre celui des tribunaux et celui de la Chambre des communes. Je ne sais pas ce que vous en pensez.

Au haut de la page 7, je cite le juge La Forest, et ses propos très fermes reprennent certaines des questions que j'ai pu lire dans le compte rendu. Il dit:

Je commence par faire une observation renversante de bon sens. Tout simplement, il est difficile de croire que les compagnies canadiennes de tabac dépenseraient plus de 75 millions de dollars par année pour faire de la publicité si elles n'étaient pas convaincues que cette publicité augmente la consommation de leur produit. Devant cet argument, les appelants soutiennent que la publicité qu'ils font vise uniquement à fidéliser les consommateurs qui leur sont acquis et à en recruter d'autres parmi les fumeurs et qu'elle ne vise absolument pas à donner de l'expansion au marché des fumeurs en incitant des non-fumeurs à fumer. À mon avis, l'argument des appelants est intenable pour deux raisons essentiellement. Tout d'abord, ce n'est pas parce que des clients déjà acquis demeurent fidèles à une marque que les fabricants de cette marque peuvent maintenir le même niveau de bénéfices alors que le nombre des fumeurs diminue en général. Si le gâteau est plus petit, toute part proportionnelle sera plus petite forcément... Deuxièmement, même si la cour acceptait l'argument du maintien de la fidélité des clients acquis, il est un autre problème qui demeure non réglé, à savoir que si la publicité vise uniquement le maintien de la fidélité, elle peut aussi empêcher les fumeurs de s'arrêter de fumer.

Je cite cela parce que c'est précisément le coeur du débat que vous avez eu au sujet du projet de loi C-71, comme c'était le cas avec la loi précédente. On prétend que la publicité n'a rien à voir avec une tentative d'élargir le marché. La publicité ne vise pas à convaincre les jeunes de fumer, et, partant, le projet de loi n'a rien à voir avec l'objectif visé.

Le juge La Forest n'était absolument pas convaincu de cela et il le dit très vigoureusement. À la page suivante, il dit, poursuivant au-delà de ce qui tombe sous le sens, que les propres études des fabricants de tabac permettent de dire qu'il y a un lien entre la publicité et la consommation.

Je sais que lors de vos délibérations, on a beaucoup mis en doute l'existence de telles études de marché et on se demandait sur qui elles portaient, et je pense qu'il serait utile que je vous cite ce qui dit le juge La Forest là-dessus. On peut supposer que les même études de marché qui ont servi dans l'affaire RJR-Macdonald pourraient toujours s'appliquer s'il y avait contestation du projet de loi C-71.

À la page 8, le juge La Forest poursuit en abordant la question de la contrainte minimale. Il dit essentiellement qu'une loi n'a pas besoin d'être parfaite. Pour respecter les dispositions de l'article 1, une loi doit constituer une contrainte minimale, mais elle n'a pas besoin d'être parfaite, d'être la moins gênante possible. Bien entendu, cela va dans le droit fil de l'intervention du Parlement.

Au bas de la page 8, il rappelle que dans cette affaire-là, il s'agit de l'expression commerciale et de la promotion de valeurs qui gravitent de très loin autour de la valeur essentielle de la liberté d'expression. Il fait allusion à d'autres affaires où il s'agissait d'expression politique. Je vais vous en lire la première partie:

Ce genre d'expression sert à promouvoir une activité qui, contrairement à l'art dentaire, est fondamentalement dangereuse et ne comporte pas une once de valeur sur le plan de la santé publique.

Il fait allusion ici à une autre affaire, l'affaire Rocket, qui limitait la publicité des dentistes, et cetera. Il dit que cette affaire-ci est très différente, car il n'y a absolument pas de valeur sur le plan hygiène publique:

En effet, la différence avec l'affaire Rocket est renversante. Prendre une décision éclairée concernant les services d'un dentiste sert les intérêts de la santé, car ainsi les patients peuvent obtenir les meilleurs soins possible. Prendre une décision éclairée concernant une marque de tabac donne tout simplement aux consommateurs le choix entre des produits tout aussi dangereux les uns que les autres.

Le juge La Forest prend directement le contre-pied des arguments des divers manufacturiers de tabac, qui ont été exposés à maintes reprises dans les témoignages dont j'ai lu le compte rendu.

En conclusion, cela étant, et les dispositions du projet de loi C-71 étant ce qu'elles sont, je dirais que ces dernières sont constitutionnelles. En parcourant le projet de loi, on remarque à l'article 4 que l'objet, qui est de protéger la santé des jeunes, est énoncé de façon encore plus précise. Dans le premier projet de loi, il n'y avait qu'un seul paragraphe qui concernait les jeunes, alors que maintenant, il y en a deux à l'article qui énonce l'objet de la loi. Ainsi, le groupe vulnérable dont je parlais tout à l'heure est encore plus mis en relief.

Quant à l'étiquetage, à la promotion et aux commandites, on constate que dans ce projet de loi-ci les conseils du juge Iacobucci ont été retenus, et dans la forme -- en fait, sur le fond également -- les dispositions de la loi interdisent partiellement plutôt que totalement la publicité. C'était là le problème majeur auquel étaient confrontés les juges du jugement majoritaire dans l'affaire RJR-Macdonald. Sur ce plan, je présume que le projet de loi actuel sera jugé constitutionnel.

Quant aux mesures de contrôle d'application, comme les visites et l'inversion du fardeau de la preuve, nous pouvons en parler au moment des questions. À première vue, je ne vois rien dans ces dispositions qui soit offensant, contrairement à ce que d'autres témoins ont laissé entendre.

J'en conclus que ce projet de loi est donc conforme à l'article 1, et qu'en cas de contestation on se reporterait forcément à la décision rendue dans l'affaire RJR-Macdonald, et c'est pourquoi je vous fournis une photocopie de l'arrêt. Il est plus important de pouvoir consulter l'opinion de la Cour suprême du Canada que la mienne. Au bout du compte, c'est ce que l'on essaie de prévoir. Par conséquent, je pense que ce projet de loi serait jugé constitutionnel.

La question dont nous discuterons sera sûrement celle du manque de précision. M. Lessard en a très bien parlé. Si nous passons d'une interdiction totale, qui a à tout le moins le mérite d'être précise, à une interdiction partielle, il se peut qu'il y ait un manque de précision pour ce qui est de savoir quand l'interdiction s'applique. La question est de savoir quel est le degré d'imprécision qui est acceptable. J'ai tendance à dire, comme M. Lessard, que, dans ce cas-ci, le degré d'imprécision est acceptable et, par conséquent, constitutionnel.

Le sénateur Beaudoin: Je suis heureux de vous revoir devant notre comité. J'ai trois questions à vous poser. La première concerne l'interdiction totale ou partielle; la deuxième porte sur le règlement; et la troisième traite de la décision du tribunal.

Je suis d'accord avec vous pour dire que le partage des pouvoirs ne fait pas problème. Naturellement, le projet de loi est d'une portée très large, mais il reste que, au regard de la jurisprudence, c'est quelque chose qui relève du droit pénal, un point, c'est tout.

Du point de vue de la Charte, il s'agit bien entendu d'une restriction imposée à la liberté d'expression, de sorte que la question est de savoir si cette restriction est justifiable en vertu de l'article 1. Nous avons l'autre jour entendu des témoins nous dire que l'article 20 et l'article suivant sont l'équivalent d'une interdiction totale.

À priori, je dirais que c'est là une exagération. Il n'y a pas d'interdiction totale, mais bien une interdiction partielle. Je voudrais que vous nous en disiez un peu plus à ce sujet. Quand les articles d'une loi, qui sont déjà sévères, deviennent-ils l'équivalent d'une interdiction totale?

M. MacKay: C'est bien sûr là une question vitale, car pour faire reconnaître que la décision dans l'affaire RJR-Macdonald s'applique ici ils doivent laisser entendre qu'il s'agit essentiellement de la même chose, présentée sous une forme différente; qu'il s'agit d'une loi à laquelle on peut donner la couleur que l'on veut; que l'on a déguisé la chose, mais qu'il s'agit en réalité d'une interdiction totale.

Cette affirmation ne tient pas selon moi. Il se peut que, dans certains cas, la loi pourrait être appliquée de manière qu'elle soit presque l'équivalent d'une interdiction totale, mais le problème tiendrait alors, non pas à la loi en tant que telle, mais à la façon dont elle serait appliquée ou qu'elle serait définie par son règlement d'application. C'est là une autre question. Dans la pratique, le pouvoir de décision réside surtout dans le règlement.

À première vue et du point de vue pratique, il me semble qu'il s'agit d'une interdiction partielle. Il se peut que, dans certaines circonstances, il y ait un abus de pouvoir et que la loi soit appliquée comme étant l'équivalent d'une interdiction totale. Auquel cas il faudrait s'en prendre, non pas à la loi comme telle, mais à son application.

Le sénateur Beaudoin: Autrement dit, la marge est large.

M. MacKay: Effectivement large. Si j'ai cité des extraits de la décision Macdonald, c'est que l'interdiction totale a failli être acceptée. Même si la loi à l'étude peut à la limite s'apparenter à une interdiction totale, il n'en reste pas moins qu'elle permet beaucoup plus que la loi initiale, qui a failli être acceptée.

Le sénateur Beaudoin: Les juges qui ont statué dans l'affaire Macdonald siègent toujours aujourd'hui.

M. MacKay: C'est juste.

Le sénateur Beaudoin: Comme vous l'avez dit, les quatre qui étaient pour la marge ont déjà exprimé leur point de vue de façon très catégorique; il nous faut parler des autres. Comme il ne s'agit pas d'une interdiction totale, ces autres seraient prêts à reconnaître la constitutionnalité de la loi dans ce sens-là.

M. MacKay: J'irais même un peu plus loin que cela. Je crois que, dans leur décision, les juges Iacobucci et Lamer voulaient une déclaration suspensive. Ils invitaient à une nouvelle loi. Il s'agit ici de la majorité, même pas des quatre autres. Ainsi, six des neuf juges ont dit publiquement qu'ils étaient prêts à accueillir une loi reformulée. L'interdiction est sans doute assez partielle pour répondre aux attentes de ce groupe-là.

Le sénateur Beaudoin: Ma réflexion va dans le même sens que la vôtre.

Le règlement est très vaste, comme le règlement d'application de la Loi sur le contrôle des armes à feu et d'autres lois. On a tendance de nos jours à déléguer beaucoup de pouvoirs au Gouverneur général en conseil. Certains trouvent qu'on exagère vraiment dans ce sens-là. À partir de quel moment peut-on dire que la loi est anticonstitutionnelle?

Si je le compare à d'autres, le projet de loi demeure dans les limites de la tendance actuelle, qui est répandue. Vous n'avez pas insisté là-dessus. Je suppose que c'est parce que vous y attachez moins d'importance.

M. MacKay: Il convient de noter que certaines des dispositions du projet de loi prévoient qu'un pouvoir discrétionnaire considérable peut être exercé par la voie de la réglementation. Cela ne fait aucun doute. Ce pouvoir discrétionnaire se justifie toutefois en partie par le fait qu'il s'agit d'une interdiction partielle et qu'il faut établir des limites. Voilà la première partie de la réponse.

L'autre partie, c'est que tous les règlements doivent être soumis à la Chambre avant leur entrée en vigueur, de sorte que la question pourra être réexaminée à ce moment-là. Si le règlement proposé présente des problèmes, il faudrait s'y attaquer à ce moment-là.

Il semble que, par votre question, vous voulez demander si le législateur ne s'efface pas trop en faveur de ceux qui prendront le règlement et l'appliqueront. Il n'a pas renoncé à son pouvoir au point de permettre aux fonctionnaires de formuler la loi. C'est presque là le critère. Le pouvoir de prendre des règlements et d'établir les modalités d'application de la loi peut être très vaste, à condition toutefois qu'il découle de la loi et n'empiète pas sur le pouvoir du législateur.

Le sénateur Beaudoin: Ma dernière question porte sur l'affaire Laba de 1994. Quand on oblige l'inculpé à prouver son innocence au-delà de tout doute raisonnable, on viole manifestement la Charte des droits et libertés. Tout le monde s'entend pour le dire. Les tribunaux sont allés encore plus loin et ont dit que cela ne saurait être justifiable en vertu de l'article 1.

Dans le cas qui nous occupe, si l'inculpé peut présenter une explication, une excuse ou quelque autre motif de défense, il se peut, bien sûr, que cela soit justifiable en vertu de l'article 1. Alors, selon vous, dans quelle catégorie tomberait l'article 53, la seconde ou la première?

M. MacKay: Je crois qu'il tomberait dans la seconde catégorie. Je ne prétends pas en avoir fait un examen approfondi et avoir ainsi acquis une compétence particulière, mais la loi prévoit à divers égards ce renversement du fardeau de la preuve de la seconde catégorie.

Nul ne peut être tenu de prouver son innocence; cela est contraire à l'article 11d) et cela va sans doute à l'encontre des principes de justice fondamentale dont il est question à l'article 7. D'après moi, ce n'est toutefois pas là l'intention des articles 53 et 54. Ces articles ne vont pas jusque-là.

Il existe des dispositions semblables dans une foule de lois, comme le Code criminel, la Loi sur les stupéfiants et la Loi sur les aliments et drogues, et j'estime que les dispositions prévues dans la loi peuvent se justifier par comparaison avec ces autres lois, puisqu'il s'agit de questions criminelles et qu'il s'agit aussi, selon certains, d'aliments et drogues.

La question de savoir si le gouvernement devait démontrer que ce pouvoir était nécessaire pour que les dispositions soient viables a fait l'objet d'un débat -- j'oublie si c'était avec M. Schabas ou avec quelqu'un d'autre. Je ne sais pas si le gouvernement serait effectivement tenu d'en démontrer la nécessité, mais, dans l'affirmative, il présenterait vraisemblablement des preuves pour montrer qu'il serait essentiel d'avoir des dispositions de ce genre pour poursuivre les contrevenants.

Le sénateur Beaudoin: Autrement dit, le renversement du fardeau de la preuve est peut-être inconstitutionnel, mais il ne l'est pas forcément s'il peut être justifié.

M. MacKay: C'est ainsi que j'interprète la décision rendue dans l'affaire Oakes et celles qui ont été rendues par la suite. Le renversement direct du fardeau de la preuve n'est pas acceptable, mais le renversement plus indirect pourrait se justifier, du moins en vertu de l'article 1, où il pourrait n'être même pas inconstitutionnel dans certains cas.

Le sénateur Gigantès: J'appuie le projet de loi, mais je suis très préoccupé par son règlement d'application. Vous pourriez peut-être m'éclairer un petit peu. Si j'étais de l'autre côté, que pourrais-je faire au sujet du règlement?

J'ai à l'esprit le cas de ces fonctionnaires de Revenu Canada qui refusaient de divulguer les règles qu'ils appliquaient pour interpréter la réglementation. Un avocat d'Ottawa a dû se battre avec eux pendant des années pour obtenir ces règles, parce qu'ils disaient que, selon leur interprétation de la réglementation, une certaine déclaration de revenus était incorrecte. Ils refusaient toutefois de montrer les règles d'interprétation à ceux qui demandaient à les voir.

Il existe une tendance chez les fonctionnaires à rédiger et à interpréter la réglementation de manière à faciliter les choses, non pas pour les citoyens, mais pour eux-mêmes. Quel recours le citoyen, même s'il était pourvoyeur de cancer, aurait-il contre des abus pareils?

M. MacKay: Vous soulevez là un point important, car nous pataugeons ici dans l'inconnu. Nous savons que, aux termes du projet de loi, beaucoup des zones grises critiques devront être déterminées par la voie de la réglementation. C'est du moins l'interprétation que je fais du projet de loi. Les difficultés tiennent en grande partie à la façon de définir le terme «style de vie» et à la façon de définir plus précisément certains des termes pour lesquels le projet de loi ne donne qu'une définition minimale.

La réglementation, tout comme la loi, est susceptible d'être contestée en vertu de la Charte. La réglementation poserait un problème si elle n'était pas mise à la disposition du public et si elle était d'une portée trop vaste, elle violerait la Charte.

On ne peut pas donner à un fonctionnaire ou à un administrateur un pouvoir discrétionnaire sans limite pour ce qui est de déterminer les modalités d'application de la loi. Son pouvoir discrétionnaire se trouve limité de plusieurs façons. Tout d'abord, il est limité par la loi. Aucun règlement ne pourrait être pris qui serait incompatible avec la loi. Il semble que le débat ait porté notamment sur certaines des dispositions du projet de loi qui commençaient par les mots «sous réserve des règlements», formulation qui paraît assez curieuse, étant donné que les règlements sont tous, de par leur nature même, assujettis à la loi.

Premièrement, à la lumière de ce que je viens de dire, ce serait là un motif de contestation en vertu des principes constitutionnels fondamentaux, car tout règlement qui serait incompatible avec la loi serait ultra vires au sens non constitutionnel ou au sens du droit administratif.

Deuxièmement, tout comme les lois, les règlements doivent être compatibles avec la Constitution. Les règlements doivent rendre opérants les divers droits protégés par la Charte des droits. Il serait toujours possible de contester les règlements quand ils vous seront soumis. S'ils n'assurent pas l'équilibre voulu entre les droits individuels liés à la liberté d'expression commerciale et les objectifs de la loi, les règlements pourraient aussi être contestés comme allant à l'encontre de la Constitution.

Le sénateur Gigantès: Y a-t-il un libellé qui atténuerait quelque peu l'inquiétude que causent toutes ces dispositions de la loi qui commencent par «sous réserve des règlements»? Pourrions-nous modifier le libellé de quelque façon, par exemple en disant «sous réserve de la loi comme telle et de ses règlements d'application»?

M. MacKay: Ce serait là un amendement sensé, car c'est ce que veut de toute façon la règle de droit. Je ne crois pas que la loi puisse, de quelque façon, tenter d'accorder la préséance à la réglementation. Le libellé que vous proposez reflétera en tout cas la réalité juridique.

Le sénateur Gigantès: Si je vous ai bien compris, la réglementation ne peut pas avoir la préséance, mais il me semble que le texte de la loi ne devrait pas non plus donner l'impression à celui qui en ferait une lecture rapide et qui ne connaîtrait pas aussi bien le droit que vous ou que mon collègue d'en face que la réglementation a la préséance.

M. MacKay: Votre interprétation est juste. Je ne crois pas que le nouveau libellé que vous proposez ait quelque conséquence négative que ce soit pour la loi. Il serait compatible avec les objectifs de la loi, mais il serait plus précis en ce qui concerne le rôle de la réglementation, qui le céderait en importance au rôle de la loi.

La présidente: S'il n'y a pas d'autres questions de la part des sénateurs, je tiens à remercier M. MacKay pour son exposé clair et concis. Vous avez tout à fait raison de dire que, comme vous venez devant nous une semaine après le début, beaucoup des sénateurs ont déjà réglé certains des points que vous avez soulevés aujourd'hui. Les explications que vous nous avez données ont en tout cas précisé les choses un peu plus. Merci d'être venu aujourd'hui.

M. MacKay: Merci d'avoir bien voulu m'entendre. Je suis toujours ravi d'être des vôtres.

La présidente: Pendant qu'on installe le projecteur, je vous ferai part d'un autre avis dont vous n'êtes peut-être pas au courant.

Dans le cadre de l'examen que nous avons entrepris du projet de loi S-5, projet de loi d'initiative parlementaire du sénateur Haidasz sur le tabac, il y a un témoin que les sénateurs voudront peut-être entendre. Il s'agit du docteur Rick Frecker, vice-doyen, Enseignement médical universitaire, Université de Toronto. Le docteur Frecker se spécialise dans la recherche sur la dépendance, et il témoignera plus particulièrement sur la dépendance à l'égard de la nicotine devant le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Ce comité se réunira demain à 10 heures, dans la pièce 356-S de l'édifice du Centre. Je vous recommande son témoignage.

Les témoins suivants sont M. Pollay et M. Best. Vous avez la parole.

M. Richard Pollay, professeur, faculté de commerce, Université de la Colombie-Britannique: Merci de m'avoir invité à témoigner devant vous aujourd'hui. Je m'occupe de recherches sur les questions relatives à la commercialisation du tabac -- à savoir la publicité, le comportement des consommateurs, les relations publiques, l'emballage, et cetera -- depuis 10 ans, et je suis l'auteur de plus d'une dizaine de documents sur le sujet. J'ai joué le rôle d'expert-conseil auprès du Surgeon General des États-Unis et je figurais sur la liste des témoins experts de beaucoup de procès, y compris la poursuite importante qui a eu lieu aux États-Unis.

J'ai ainsi eu accès à beaucoup de documents d'entreprises. Je vous parlerai donc du point de vue de la direction dans mon exposé. Nous pourrons ensuite discuter de façon plus large du rôle de la publicité et de l'influence qu'elle a sur le comportement des consommateurs, à savoir si elle les incite à commencer à fumer, si elle les encourage à continuer à fumer, et le reste.

J'ai remis à la greffière des documents qui vous seront distribués. Vous y trouverez un tableau qui présente une vue d'ensemble du rôle de la publicité dans la dépendance à l'égard de la nicotine. Vous y trouverez aussi une photocopie d'un article que j'ai rédigé. Vous trouverez annexés au tableau quelques renseignements biographiques à mon sujet et, document qui vous intéressera plus particulièrement, une photocopie d'une publication savante où j'examine les preuves documentaires qui ont été produites lors du procès sur la constitutionnalité de la Loi réglementant les produits du tabac.

Je suis bien conscient de la position de l'industrie et de son attitude selon laquelle elle n'est pas sûre que le produit soit mortel et crée une dépendance, ses membres sont des entreprises responsables et respectueuses des lois, ils ont des normes déontologiques élevées et leurs efforts de publicité et de marketing ont pour but et pour conséquence, non pas d'inciter les gens à commencer à fumer ou de les empêcher de cesser de fumer -- c'est-à-dire de les rassurer de peur qu'ils ne renoncent au tabac --, mais uniquement d'influer sur le choix de la marque, fidélisant la clientèle ou amenant la clientèle existante à changer de marque.

J'enseigne les affaires à l'Université de la Colombie-Britannique depuis plus de 25 ans. En ma qualité de professeur, j'aimerais bien pouvoir vous dire que tout ce qu'affirment ces entreprises est vrai, à savoir qu'elles se comportent en bons citoyens. Malheureusement, ce n'est pas du tout ce qui ressort des documents que j'ai lus.

Je veux vous montrer des diapos pour illustrer ce qui m'a amené à cette conclusion, conclusion qu'a partagée la Cour suprême du Canada. La Cour suprême a statué, après avoir examiné les documents en question, que les preuves les plus irrésistibles quant aux liens entre la publicité et la consommation provenaient de ces documents parce qu'ils montraient que les entreprises s'inquiétaient du rétrécissement du marché et que la publicité jouait un rôle crucial dans le maintien de la taille du marché en renforçant l'acceptabilité sociale du tabac et en associant la consommation de tabac au prestige, à la richesse, à la jeunesse et à la vitalité. Vous trouverez une assez longue citation qui le montre bien.

Je veux prendre quelques minutes pour vous faire un petit cours et vous montrer quelques exemples de publicité sur la cigarette d'avant et d'après la Loi réglementant les produits du tabac, afin de vous aider à en comprendre les objectifs et le rôle stratégique pour l'industrie.

La première diapo s'intitule «Marketing 101: La publicité sur le tabac influence les enfants». C'est là la seule diapositive américaine dans tout le jeu de diapos. La manchette en question est parue l'an dernier à la suite de la publication de certains travaux de recherche auxquels j'avais participé avec des collègues. Nos recherches avaient permis de montrer de façon spectaculaire que l'effet de la publicité se fait surtout sentir chez les enfants. Les enfants se montrent trois fois plus influencés par la publicité sur le tabac que les adultes.

Le sénateur Nolin: Qui a fait cette photo?

M. Pollay: Un groupe de défense des consommateurs de Washington.

Le sénateur Nolin: Cette photo de jeune fille à la cigarette n'est donc pas l'oeuvre d'un fabricant de tabac?

M. Pollay: C'est exact. Elle est l'oeuvre d'un organisme de défense appuyant les règlements de la Food and Drug Administration américaine. Cependant, elle est tout à fait pertinente, puisque c'est l'âge, l'adolescence, auquel on commence généralement à fumer. L'âge typique, c'est 12, 13 et 14 ans.

Le sénateur Gigantès: Je suis en faveur du projet de loi et contre l'usage du tabac. Cependant, j'estime que nous montrer cette photo pour nous parler ensuite de la stratégie des fabricants est très contestable.

Le sénateur Nolin: Nous ne nous faisons plus d'illusions. C'est la raison pour laquelle j'ai posé cette question, pour que les choses soient parfaitement claires.

Le sénateur Jessiman: Quel est le rapport avec la publicité?

M. Pollay: Cet exemple de publicité et les recherches, montrent que, quelles que soient les intentions déclarées, la publicité touche principalement les adolescents. Les adolescents sont sensibles à la mode. Ils sont branchés sur la culture populaire. Ils cherchent à se former leur propre identité et à se choisir leur style de vie d'adulte. Ils réagissent d'une manière beaucoup plus intense à la publicité pour les cigarettes que les adultes, et c'est ce que démontre cette recherche.

Le sénateur Jessiman: Les publicitaires nous ont dit que la publicité n'incitait pas forcément les gens à fumer ou à fumer plus. Avez-vous des preuves, documentées, démontrant que cette publicité incite réellement les jeunes à fumer ou ceux qui fument déjà à fumer plus?

M. Pollay: Ces données permettent d'étudier les effets de la publicité sur les consommateurs de cigarettes. Elles permettent de mesurer la réaction des consommateurs à cette publicité. Elles ne permettent pas véritablement d'analyser le phénomène du passage de non-fumeur à fumeur.

Le sénateur Nolin: Cela fait une grosse différence. Votre recherche porte sur les gens qui fument déjà.

M. Pollay: Oui, elle s'intéresse aux adolescents qui sont tout prêts à se mettre à fumer.

La présidente: Sénateur Nolin, pourrions-nous permettre à M. Pollay de terminer son exposé?

Le sénateur Nolin: Nous essayons de gagner la guerre des images, et il y a beaucoup d'images sur cet écran, ce qui m'a incité à intervenir, avec votre permission.

M. Pollay: J'ai créé cette image pour essayer de cerner le problème stratégique de l'industrie. Vous pouvez y penser comme à une citerne ou un réservoir, un récipient d'eau avec des tuyaux d'arrivée et de sortie. Elle représente l'industrie canadienne du tabac, les tuyaux d'arrivée correspondant aux nouveaux fumeurs, les tuyaux de sortie à ceux qui ont décidé d'arrêter, et le récipient lui-même est subdivisé en plusieurs catégories.

Le problème stratégique de l'industrie repose sur quelques facteurs clés. La majorité des fumeurs ont peur pour leur santé et ont besoin d'être rassurés. Quatre-vingt pour cent des fumeurs sont considérés dans les recherches de l'industrie comme des non-fumeurs potentiels. Les gens qui changent de marque sont très rares. Non seulement il y en a peu, mais, par définition, ils ont des goûts très instables. Ils ont tendance à être plus âgés et plus fragiles. Ils ne représentent pas un segment très intéressant du marché. Les nouveaux clients sont presque invariablement des mineurs. Dans 80 à 90 p. 100 des cas c'est à cet âge qu'on commence à fumer.

En conséquence, les priorités stratégiques sont les suivantes: premièrement, rassurer les fumeurs inquiets pour ne pas les perdre; deuxièmement, recruter de nouveaux fumeurs; et, troisièmement, objectif uniquement tertiaire, faire changer de marque.

Les images de santé sont réservées aux fumeurs inquiets. Ces photos de la nature, de personnages en pleine santé, sont le prototype de la publicité pour le tabac.

Le sénateur Nolin: Jusqu'en 1987?

M. Pollay: Oui. Avant l'adoption de la Loi réglementant les produits du tabac. Je vous montrerai ensuite la transition.

Les formes classiques de publicité pour le tabac louaient la nature et la santé. Nous avons fait une petite analyse des supports de publicité pour le tabac au Canada, et près des deux tiers de cette publicité loue la nature et la santé.

Les documents des fabricants indiquent très clairement l'importance stratégique de la jeunesse. Non seulement ces documents de recherche discutent le comportement des 11, 12 et 13 ans, mais ils ajoutent aussi que:

L'industrie est dominée par les compagnies qui répondent de la manière la plus efficace aux besoins des jeunes fumeurs... Nos efforts [...]

... dans ce cas-ci ceux d'Imperial Tobacco --

[...] restent concentrés sur ces groupes plus jeunes malgré le risque d'effets négatifs sur les fumeurs plus âgés.

En langage plus simple, le but de nos opérations publicitaires, ce sont les jeunes, tant pis pour les vieux.

Les campagnes d'Imperial Tobacco visaient les jeunes à partir de 15 ans et les non-fumeurs.

Cette recherche a également montré que les non-fumeurs ne croient pas à la dépendance à l'égard du tabac. Les jeunes sont conscients de certains des dangers pour la santé, mais croient que personnellement ils pourront toujours s'arrêter s'ils le veulent. Une fois devenus dépendants, toute une série de rationalisations sont nécessaires aux fumeurs. Un autre document des fabricants indiquait que les nouveaux fumeurs pensent pouvoir s'arrêter facilement, alors qu'ils deviennent l'esclave de leurs cigarettes.

Le sénateur Gigantès: Qu'est-ce que c'est que ces documents?

M. Pollay: Ce sont les documents déposés lors de la cause concernant la Loi réglementant les produits du tabac, et les citations figurent dans l'article qui a été distribué.

La recherche sur les mineurs est très approfondie, utilisant la technique des caméras en circuit fermé, de longues entrevues, les tests psychologiques, et cetera.

Comment les publicités sont-elles conçues pour interpeller les adolescents? Celle-ci a été testée à Toronto et visait de manière explicite les jeunes. Celle-ci jouait sur l'approbation et la pression des pairs. Celle-ci a été rejetée par les adolescents pour cause de juvénilité avancée. Les jeunes ne veulent pas être pris pour des enfants. Ils veulent des symboles d'adultes, et non pas des symboles d'adolescents. Il faut leur communiquer quelque chose qui répond à leurs aspirations, et non pas quelque chose qui reflète leur réalité.

Par conséquent, cette campagne, très col bleu, reflet de la réalité de classe dans ce domaine, n'a pas remporté un très gros succès. Elle a échoué au niveau de sa compétition directe avec la marque Player's, encore une fois parce qu'elle ne répondait pas aux aspirations. À quoi aspirent les adolescents? Les adolescents ont un besoin psychologique pressant d'indépendance et d'autonomie que certains parents subissent à leurs dépens quand leurs enfants se révoltent contre l'autorité.

La campagne la plus réussie a été celle de Player's qui montrait des gens seuls. En plus de cette image de santé évoquée par cet environnement pur, vierge, et cette activité plus ou moins aérobique, ce qui importe, c'est la solitude de la personne, le caractère indépendant qu'elle est censée communiquer. Ce sont des images soigneusement conçues.

Quand cette image particulière d'un homme transportant une planche à voile a été diffusée, on s'est aperçu que certaines personnes se demandaient quel pouvait être le poids de cette planche. L'ignorant, elles ont commencé à se dire qu'elle était peut-être suffisamment lourde pour faire perdre le souffle: perte de souffle égale poumon, et poumon égale cancer du poumon. Et quand on vend des cigarettes, ce n'est pas bon. C'est le genre de processus de réflexion qu'il faut éviter de déclencher. L'image doit être vue, mais ne pas faire réfléchir. C'est ce que dans le domaine du comportement des consommateurs nous appelons la contre-argumentation. En conséquence, cette publicité a été revue d'une manière simple, mais élégante. Le porteur de planche était désormais assis, au repos, évitant la contre-argumentation.

Permettez-moi de vous signaler que ces images coûtent cher. Un photographe peut toucher 50 000 $ de frais et d'honoraires pour une telle composition ou pour celle de Matinée que nous avons vue tout à l'heure.

Quand l'interdiction est arrivée à la suite de l'adoption de la Loi réglementant les produits du tabac, il a fallu à l'industrie faire face à cette situation juridique. Elle l'a fait en exploitant de manière agressive les failles de la loi au niveau du parrainage. Pour faire sa nouvelle publicité, Player's s'est lancée dans le parrainage de courses automobiles.

Ce qui est intéressant dans cette scène de coureur automobile qui marche le long de la piste, c'est qu'il y a toujours cet individualisme héroïque, mais dans un contexte plus spectaculaire. Ce preneur de risques devient un héros, car il arrive à maîtriser les risques. Il est au premier plan, alors que la foule est loin derrière.

L'élément remarquable de cette campagne de publicité est la disparition des avertissements. Ce genre de publicité est efficace auprès des jeunes. Elle serait même plus efficace que celle où il y a ces avertissements spectaculaires précisément à cause de l'absence de ces avertissements.

Il y a maintenant d'autres genres de sports extrêmes qui servent de support publicitaire. Cette image vous montre un événement qui a eu lieu pendant le week-end à Whistler. C'est une course extrême parrainée par Export «A». Il y a un certain nombre d'autres événements sportifs. L'association que le parrainage et la publicité de ce parrainage donnent à l'industrie est la communication d'une bonne santé, liée à des activités sportives.

Il y a aussi le parrainage d'événements familiaux comme le festival des feux d'artifice de Benson & Hedges. Ce sont de nouveaux événements, tout du moins à Vancouver, qui ont été lancés après l'adoption de la Loi réglementant les produits du tabac en violation apparente de cette loi. Il n'y a pourtant jamais eu de poursuites. Cela leur procure une belle innocence par association et les fait passer à la télévision.

Il y a d'autres sortes de parrainages qui les font aussi passer dans les médias électroniques. Le parrainage de Craven «A» de la musique country lui permet d'être sur la liste nationale des stations de musique country.

Il y a plusieurs festivals de jazz qui sont parrainés. Le parrainage des arts, que vous n'ignorez pas, couvre tout un éventail de goûts musicaux.

J'ai pris moi-même cette photo quand j'étais en ville il y a quelques années.

Pour différents types de marchés, comme les femmes, il y a le parrainage d'événements de mode, pour associer certaines marques à la mode ou au style et viser certains groupes démographiques.

Ma conclusion est qu'il ne faut pas sous-estimer le rôle de la publicité. Malgré la difficulté pour les sociologues de démontrer sans conteste la force de l'influence d'une publicité sur des vocations -- tout comme il est aussi difficile de démontrer le lien de cause à effet entre le cancer du poumon et la cigarette -- il y a un effet environnemental qui est la conséquence de communications soutenues. Le succès de la publicité pour les cigarettes dépend de la fréquence et de la présence.

La publicité pour la cigarette, comme toute autre forme de publicité, vise à soutenir le marché. Elle vise à influer sur les jugements sociaux de la population portant sur le nombre de fumeurs, la santé des fumeurs, l'approbation sociale des fumeurs ou le genre de pression exercée par les groupes de fumeurs. C'est particulièrement le cas quand il y a omniprésence.

L'abondance de la publicité pour les cigarettes dans les magasins de détail crée ce que l'industrie appelle une «familiarité amicale», principe psychologique avéré: plus on voit un produit, plus on s'y habitue, et plus on le croit bénin.

Nous connaissons tous l'effet contraire. Si nous voyons quelque chose d'étrange et d'inhabituel pour la première fois, notre réaction est la suspicion. Plus nous voyons un produit, plus nous avons tendance à l'assimiler à notre quotidien et par conséquent à le croire relativement sans danger.

Les enfants qui grandissent dans un environnement où la publicité pour les cigarettes est omniprésente acquièrent des jugements sociaux faussés pour ce qui est des dangers du tabac.

Toutes ces ristournes promotionnelles versées aux détaillants pour qu'ils installent ces produits en tête de rayon, pratique commune à l'industrie non seulement pour les cigarettes, mais aussi pour d'autres produits, ont pour effet d'en faire des produits banals et relativement bénins. Plus nous voyons cette publicité dans les différents médias, plus la situation tend à se normaliser.

Je finirai par une caricature politique parue le jour du dépôt de la Loi réglementant les produits du tabac. Elle montrait que pour certains les trafiquants de cigarette n'étaient plus les bienvenus au Canada. Cela devrait toujours être le cas.

Je comprends les problèmes des organismes à but non lucratif. J'enseigne dans mon cours d'administration des affaires la gestion et la commercialisation du bénévolat. J'admets la difficulté de leur problème de transition. Je comprends aussi les détaillants qui doivent apprendre à se passer de ces ristournes promotionnelles.

Je sais que vous envisagerez vraisemblablement des modifications pour ménager ces intérêts. Je ne m'oppose pas à ce que vous ménagiez ces intérêts, mais je vous recommande, en ménageant ces détaillants ou ces organismes artistiques et sportifs à but non lucratif, de ne pas ménager la volonté des fabricants de tabac de promouvoir leurs produits.

Dr Allan Best, Institut national du cancer du Canada: Honorables sénateurs, j'apprécie d'être ici aujourd'hui. Je considère comme un honneur de pouvoir vous parler de la publicité pour le tabac et des jeunes.

Santé Canada a commandé à l'Institut national du cancer une analyse de la recherche sur la publicité pour le tabac et les jeunes. Nous avons réuni un groupe consultatif de quelque 25 spécialistes renommés du Canada, des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de l'Australie pour travailler avec nous à ce projet. Nous avons remis notre rapport final le 31 mars 1996. Depuis, l'Institut national du cancer lui-même a poursuivi l'analyse des nouvelles recherches. Un résumé de cette recherche a été présenté en décembre 1996 au comité permanent de la Chambre des communes, accompagné d'une documentation complète sur les différentes études analysées dans le cadre de cette recherche.

Vous devriez avoir en main un document intitulé «Overview», auquel je me référerai. En particulier, je me référerai au diagramme de la page 6 et aux tableaux qui suivent.

Notre exposé devant le comité de la Chambre des communes portait sur ce que je considère être la question clé, de mon point de vue de spécialiste, à savoir: quelle est la qualité des preuves démontrant que la publicité pour le tabac influence les jeunes et que penser de ces méthodes scientifiques et du rôle de la science?

Je suis venu vous voir pour poser une seule question: quelle est la validité des preuves du pouvoir d'influence de la publicité pour le tabac? Le problème, c'est que l'éthique nous interdit de mettre des enfants en situation expérimentale et que nous n'aurons donc jamais ce genre de preuves définitives. L'autre méthode scientifique, c'est d'étudier l'incidence de tous les différents morceaux du puzzle sur le contexte de croissance sociale des jeunes et de voir comment ils finissent par s'imbriquer pour le reconstituer.

Comme le ministre, M. Dingwall, et les témoins pour et contre cette loi l'ont déjà dit, il est impossible de démontrer dans une seule étude et de manière définitive que les techniques de vente de l'industrie du tabac influencent les jeunes. Nous essayons, étude après étude, de tisser une toile de preuves et d'assembler les morceaux du puzzle tout en déterminant si le poids et la constance des conclusions de ces études nous donnent les réponses nécessaires et suffisantes.

Dans le premier tableau de cette annexe, nous avons essayé de résumer toutes les différentes influences et de décrire tous les morceaux du puzzle. Au milieu de ce tableau, vous avez la description des techniques de vente elles-mêmes de l'industrie du tabac, en commençant par les quatre P familiers de la vente: produit, promotion, prix et placement.

Nous terminons par l'usage régulier du tabac à droite. Entre les deux, beaucoup d'autres choses arrivent. Il est impossible de faire des études qui lient directement les techniques de vente à des usages spécifiques du tabac, comme M. Pollay vous l'a dit, mais il est possible d'essayer de comprendre le processus. Il est possible d'étudier l'évolution des événements dans l'environnement parallèlement aux différentes phases de croissance des jeunes et de déterminer si ces différents morceaux du puzzle s'imbriquent.

Ce tableau a l'air compliqué. En fait, il pèche par simplicité. Il ne saisit que la complexité du processus qui entraîne la décision de fumer chez les jeunes. Cela nous permet de tester l'hypothèse de certains morceaux précis du puzzle et d'en déterminer la véracité. Lorsque notre équipe de spécialistes, canadiens et étrangers, a étudié ces preuves -- et elles sont résumées dans les tableaux qui suivent --, ils ont tiré toute une variété de conclusions différentes des morceaux du puzzle.

Par exemple, tout indique que la publicité sur le tabac attire les jeunes. Ils la trouvent intéressante et attrayante. Tout indique que les jeunes sont conscients de la publicité sur le tabac. Dès l'âge de six ans, ils connaissent la publicité. Ils peuvent la décrire. Tout indique que le fait de connaître et de percevoir la publicité est en fait lié à l'usage du tabac chez les jeunes. Tout indique que les campagnes de publicité sur le tabac font augmenter l'usage du tabac chez les jeunes. À titre de dernier exemple, tout indique que les jeunes ont particulièrement tendance à fumer des marques qui font beaucoup de publicité.

En résumé, si on examine les différents éléments du problème, le poids et l'uniformité des preuves permettent d'en arriver à la conclusion que la publicité joue un rôle important dans l'usage du tabac chez les jeunes.

J'aimerais résumer brièvement certaines des études les plus récentes qui ont été publiées depuis que nous avons présenté notre rapport initial. L'une a été publiée l'an dernier par le docteur David Altman, qui est responsable du rapport du Surgeon General américain sur le tabac et la santé, rapport qui paraîtra en 1997, et qui était membre de notre groupe consultatif. En novembre, il a publié une étude nationale sur la façon dont la participation des jeunes à la publicité sur le tabac influe sur l'usage qu'ils font de ce dernier. Il a fait un sondage national au hasard auprès de plus de 1 000 jeunes âgés de 12 à 15 ans. On leur a téléphoné pour leur demander s'ils étaient au courant des campagnes de promotion et s'ils y participaient, s'ils avaient des coupons d'épargne offerts pour les produits du tabac, si un de leurs amis avait un article promotionnel, s'ils avaient un catalogue de promotion, s'ils avaient eux-mêmes un article, et, enfin, s'ils avaient déjà reçu par la poste une publicité sur le tabac ou un échantillon gratuit.

Dans le cas des garçons en particulier, plus ils étaient engagés dans la promotion du tabac, plus ils étaient exposés au risque. Si un jeune est tout simplement au courant de la promotion du tabac, le risque double. S'il est au courant et s'il a un ami qui possède un article de promotion, le risque triple. Par ailleurs, s'ils ont participé eux-mêmes à la promotion du tabac, le risque est neuf fois plus élevé. S'ils ont en fait reçu un échantillon de tabac gratuit, le risque est 21 fois plus élevé. Il est clair qu'il existe un lien important entre la promotion et l'utilisation.

M. Pollay a résumé un certain nombre de nouvelles études que nous avons décrites pour la Chambre des communes, études qui montrent que les adolescents sont trois fois plus sensibles à la publicité que ne le sont les adultes.

Le rapport final, que je voudrais résumer, n'a pas encore été publié. Il sera présenté plus tard ce mois-ci à l'assemblée annuelle de la société de la médecine du comportement, mais nous avons accès aux données qui y seront présentées. Il est important de vous présenter ces données, car cela ajoute une nouvelle méthodologie. Il s'agit d'une étude qui a été effectuée par le docteur John Pierce, qui dirige l'unité de contrôle et de prévention du cancer à l'Université de la Californie à San Diego. En 1993, il a fait un sondage auprès de jeunes de cet État pour mesurer leur réceptivité à la promotion du tabac et il a fait un nouveau sondage trois ans plus tard. Cette étude renforce l'étude Altman que je vous ai décrite il y a quelques minutes en ajoutant un modèle de recherche prospective. On a donc étudié le cas de jeunes qui n'avaient jamais fumé en 1993 et essayé de prédire s'ils fumeraient en 1996.

On a constaté que les jeunes qui étaient le plus engagés dans la publicité initialement risquaient trois fois plus de fumer trois ans plus tard, même si au départ ils n'étaient pas fumeurs. Cet effet était encore plus fort que l'effet mesuré de l'influence des pairs sur l'usage du tabac.

En résumé, ces nouvelles études ajoutent considérablement au poids et à l'uniformité des preuves et appuient fermement la conclusion que la publicité joue un rôle important dans l'usage du tabac chez les jeunes.

Je vous remercie, madame la présidente. Je serai heureux de discuter de ces conclusions.

Le sénateur Milne: Docteur Best, où trouve-t-on les conclusions de la dernière étude effectuée par le docteur John Pierce?

La présidente: On les trouve à la toute dernière page, sous la rubrique «New Research Approaches».

Le sénateur Jessiman: Lorsque la loi a été introduite en 1987, loi au sujet de laquelle la Cour suprême du Canada a dit pratiquement qu'elle allait au-delà de la compétence du gouvernement fédéral, les commandites existaient à l'époque, et elles existaient auparavant également?

M. Pollay: Oui, il y en avait. Étant donné que les compagnies ne pouvaient plus recourir à d'autres formes de publicité, la Loi réglementant les produits du tabac a fait augmenter l'appui promotionnel qu'elles recevaient.

Le sénateur Jessiman: On a tenté désespérément de tout inclure à l'époque, si j'ai bien compris, et on n'a pas inclus les commandites. Y a-t-il une raison à cela? Je suis certain que vous ou des gens comme vous avez comparu devant les comités à l'époque. Je me rappelle le MacDonald Brier, par exemple, il y a maintenant 50 ans, qui faisait à l'époque de la publicité pour les cigarettes MacDonald.

M. Pollay: Je crois comprendre que ce processus législatif était semblable à celui que vous êtes en train de suivre à l'heure actuelle. Il y a eu des représentations importantes de ces groupes, qui auraient été gravement touchés par toute mesure. Le projet de loi initial a été modifié en vue de maintenir les activités de commandite existantes. La loi permettait la poursuite des activités déjà en cours, qui devaient cependant être gelées à la valeur en dollar actuelle, ne permettant aucune nouvelle activité, et la publicité devait se faire sous l'appellation légale uniquement, non pas sous le nom commercial. Ainsi on aurait pu avoir le Imperial Tobacco Brier, mais non pas le Player's Brier.

Donc, avant même que l'encre ne soit sèche, littéralement avant la fin de la semaine, les sociétés ont décidé de créer de nouvelles sociétés inactives, c'est-à-dire la Players' Limited Racing et la Players' Limited Tennis, pour élargir cette porte de sortie afin de permettre la visibilité de la marque dans la publicité, comme vous avez pu le constater.

Le sénateur Nolin: Savez-vous à quelles dates elles ont été constituées en sociétés?

M. Pollay: Je ne les ai pas avec moi, non.

Le sénateur Nolin: C'était en moins d'une semaine?

M. Pollay: C'est ce que je crois, oui.

La présidente: Sénateur Nolin, nous avons déjà entendu des témoignages à ce sujet.

Le sénateur Jessiman: Le tribunal n'examinait pas les commandites dans l'affaire RJR-Macdonald. Comme vous nous l'avez démontré, les commandites sont différentes de la simple publicité. Toutes les diapositives ont certainement donné l'impression que fumer était quelque chose de «cool». Maintenant qu'ils ont des commandites pour des événements comme le festival des feux d'artifice et divers matchs de golf et de tennis, êtes-vous convaincu que les tribunaux ne vont pas rejeter cette loi en particulier? Je suis inquiet.

À la page 99 des Dominion Law Reports, le juge McLachlin parle au nom de la majorité au sujet de briquets. Elle dit qu'il est difficile d'imaginer comment la présence du logo d'une compagnie de tabac sur un briquet, par exemple, ferait augmenter la consommation.

On a donc une juge de la Cour suprême du Canada qui parle au nom de la majorité et qui dit qu'elle n'est pas prête à accepter cela; d'autres l'étaient. Cela porte à confusion. On ne peut pas en avoir cinq sur neuf qui disent la même chose. Ils arrivent tous aux mêmes conclusions, mais pour des raisons différentes.

J'aimerais que tout le monde arrête de fumer, mais ce ne sera pas le cas, et vous êtes tous d'accord avec cela. Nous ne pouvons pas interdire le tabac, n'est-ce pas?

Le sénateur Gigantès: Nous le pourrions.

Le sénateur Jessiman: Est-ce possible sur le plan pratique? L'autre jour, nous avons parlé à des représentants de la Société canadienne du cancer, et ils nous ont dit qu'ils ne voulaient pas qu'une loi soit présentée à cet effet. Ma première question concerne cette loi en particulier, à la lumière de ce jugement et sachant ce que pensait ce juge. J'ai vérifié, et j'ai constaté que ces neuf juges sont encore là.

Le conseil des fabricants des produits du tabac a dit l'autre jour qu'il s'attaquerait à cette mesure. Je me demande si nous devrons passer encore une fois par le même processus. Dites-le-moi.

M. Pollay: Vous soulevez un certain nombre de questions et des préoccupations qui sont très valables.

Je ne suis pas un avocat de droit constitutionnel, mais si j'ai bien compris ce jugement, je pense que le projet de loi à l'étude résisterait à une attaque devant les tribunaux; c'est-à-dire qu'ils étaient inquiets au sujet de la publicité sociétale. La promotion de type commandite est essentiellement une publicité sociétale. Cependant, ils voulaient protéger les droits commerciaux de communiquer l'information d'une façon qui s'adressait aux adultes tout en protégeant les enfants. Ces dispositions signifient que la loi actuelle ne va pas aussi loin que l'autre loi. Personnellement, je pense que la loi qui est proposée serait avantageuse.

Je comprends la perplexité du tribunal et d'autres personnes lorsqu'on leur demande comment un briquet, un événement ou une publicité peut inciter quelqu'un à fumer. La question est appropriée, car ce n'est pas ainsi que la publicité fonctionne. Ce n'est pas en étant exposé une seule fois à certains éléments; cela prend des années d'exposition et d'association à divers types d'activités sociétales pour influencer l'attitude des gens par la persuasion persistante.

M. Best: Une des raisons pour lesquelles nous avons choisi de présenter ces nouvelles études qui ont été publiées au cours des 12 derniers mois, c'est qu'elles portent directement sur cette question. Dans la décennie qui a suivi l'introduction de cette mesure législative, il y a eu une augmentation significative de la qualité de la preuve qui examine des questions comme les promotions, les commandites, et cetera.

Par exemple, lorsque le docteur Altman constate que la participation à une campagne de promotion augmente le risque 21 fois, ou lorsque le docteur Pierce démontre que trois ans plus tard les enfants qui accordent déjà une certaine attention aux publicités risquent trois fois plus de fumer, il ne parle tout simplement pas de la publicité, mais de tous les types de commandite dont nous parlions.

Le sénateur Jessiman: Voulez-vous dire que si la preuve était présentée à Mme le juge McLachlin aujourd'hui, elle n'arriverait pas à la même conclusion qu'à l'époque? C'est ce qui me préoccupe.

Voilà donc un juge de la Cour suprême du Canada qui fait une pareille déclaration au sujet de la réclame sur un briquet; elle ne fait aucun lien. J'espère que vous avez raison de dire que la preuve présentée devant le tribunal à l'époque, n'était pas suffisante, mais aujourd'hui, les études sont si avancées qu'il faut espérer qu'elle changera d'avis.

M. Best: L'autre question essentielle, et c'est une question que nous devrions régler, est la qualité de la preuve que nous pouvons raisonnablement attendre des sciences sociales.

On vous a expliqué, par exemple, que nous devrions nous attendre au même type de preuve que dans le cas de la médecine fondée sur l'expérience clinique. Cela n'est pas vrai. On ne peut pas s'attendre à ce genre de preuve. Si on regarde ce chiffre, par exemple, on se rend compte qu'on ne peut pas faire d'expériences qui établissent un lien entre l'exposition et le résultat. Est-ce que nous comprenons la boîte noire au milieu? Nous pensons que nous la comprenons assez bien. Peut-être qu'il y a dix ans, la nature de la science qui aurait corroboré cette initiative n'a pas été pleinement discutée ou aussi bien présentée qu'elle aurait dû l'être. Aujourd'hui nous comprenons mieux.

Nous avons entendu des témoins qui disent qu'on ne peut pas s'attendre à ce qu'une seule étude permette de prouver de façon concluante que ce soit le cas. Il s'agit de regarder comment toutes les pièces s'imbriquent les unes dans les autres, et effectivement, il s'agit d'un tissu assez fort.

Le sénateur Kenny: Si je vous ai bien compris, monsieur Pollay, vous avez dit que la publicité visait principalement à rassurer ceux qui fumaient déjà, à recruter de nouveaux fumeurs et à limiter le changement de marques. Vous avez ensuite discuté d'une variété d'autres facteurs qui font en sorte que les gens commencent à fumer, notamment l'estime de soi, la pression des pairs, la rébellion contre les adultes et le désir d'émuler ces derniers. Vous avez parlé d'indépendance et d'autonomie. Vous n'avez pas mentionné la perte de poids, mais j'ai entendu dire que cela pouvait être un facteur qui incite les gens à fumer.

L'industrie du tabac nous dit qu'elle veut uniquement protéger sa part du marché. Elle semble mettre l'accent uniquement sur cet élément. À votre avis, est-ce que la publicité et la réclame devraient être considérées comme un facteur qui vient s'ajouter aux autres et que l'impact de ce facteur fait en sorte que nos enfants commencent à fumer?

M. Pollay: Vous voulez dire un facteur qui vient s'ajouter à l'estime de soi et à d'autres facteurs psychologiques?

Le sénateur Kenny: Oui.

M. Pollay: Il n'est pas facile de séparer tous ces facteurs et de les mettre ensemble de nouveau. La publicité répond à ces besoins psychologiques. La question classique ici, c'est le rôle de la pression des pairs par rapport à la publicité, comme si la pression des pairs existait isolément, indépendamment de la publicité, et qu'en l'absence de publicité, les gens avaient une idée des marques qui sont cool ou qui ne le sont pas, des marques qui sont masculines, de celles qui sont féminines et si fumer est cool ou non. La publicité contribue à toutes ces dynamiques à caractère psychologique.

Le sénateur Kenny: Lorsqu'on essaye d'en parler avec les compagnies de tabac, elles disent: «Nous ne voulons que protéger notre part du marché.» Lorsque nous parlons aux gens qui comprennent ou qui sont prêts à discuter de l'usage du tabac dans un contexte plus général et des facteurs qui motivent les gens, ils parlent de tous ces autres facteurs qui ont un impact sur le comportement des jeunes. Lorsque les compagnies de tabac répondent: «Écoutez, nous voulons seulement protéger notre part du marché», il est difficile de discuter avec elles. Cependant, on en parle dans le contexte de leur publicité, et on dit que la part du marché est le troisième élément, non pas le premier. On parle de la publicité et de la promotion dans le contexte de tous les autres facteurs qui ont un impact sur les jeunes. Voilà ce que je veux dire, lorsque je vous demande si vous considérez qu'il s'agit d'un facteur qui vient s'ajouter aux autres et qui doit être inclus. En d'autres termes, si nous ne prenons pas en compte tous les facteurs, y compris la publicité, alors l'argument des compagnies de tabac au sujet de la publicité n'a pas tellement de sens.

M. Pollay: Je suis certainement d'accord avec cela. Même dans la mesure où elles s'inquiètent de leur part du marché, comme le font sans aucun doute les chefs de produit, cette préoccupation se manifeste lorsqu'ils essayent d'attirer leur part des nouveaux fumeurs. De nombreuses personnes meurent, arrêtent de fumer ou choisissent un produit dont le contenu en goudron est moins élevé, croyant que cela améliore leur sécurité ou leur santé personnelle. Pour garder une part du marché stable, les compagnies de tabac doivent recruter des adeptes chez de nouveaux fumeurs.

Le sénateur Kenny: L'industrie du tabac a maintenu son marché malgré la perte de 40 000 usagers par an. Où vont-ils chercher des fumeurs pour compenser cette perte de leur part du marché?

M. Pollay: Eh bien, chez nos enfants. C'est là la question fondamentale. Le miracle de la publicité du tabac ce n'est pas d'avoir permis à l'industrie de continuer à croître. C'est plutôt d'avoir permis à l'industrie de se maintenir malgré les 30 ou 40 ans de connaissances médicales au sujet des conséquences de la cigarette pour la santé.

Le sénateur Kenny: Avez-vous examiné les publicités négatives présentées par les gouvernements? Je crois comprendre, par exemple, que la proposition 99 en Californie était très choquante. On disait des choses comme: «Voici un poumon rose; voici maintenant un poumon noir.» Avez-vous de l'information à donner à notre comité sur l'efficacité de la publicité négative et si les gouvernements ont du succès dans leurs efforts pour contrecarrer la publicité sur le tabac?

M. Pollay: Les messages très énergiques portant sur la santé ne sont pas aussi efficaces qu'on le voudrait ou qu'on serait assez naïfs de penser qu'ils pourraient l'être, en partie parce que les adolescents ne s'inquiètent pas des questions de mortalité. Cela semble être tellement loin pour eux, que cela n'a pas autant d'impact que la beauté, le prestige et l'identification.

Les campagnes les plus efficaces à l'heure actuelle sont celles qui tentent de capitaliser sur l'esprit de rébellion des jeunes pour qu'ils s'opposent à l'industrie. On dit aux jeunes: «Ne vous laissez pas avoir par l'industrie; ne la laissez pas vous manipuler.» Ces campagnes réussissent davantage sur le plan psychologique à mobiliser les inclinations naturelles des adolescents.

Une autre chose importante, c'est qu'on peut aller très loin avec très peu dans ce genre de campagne. Nous savons par expérience que lorsque les publicités sur la cigarette étaient présentées à la télévision et qu'on a permis à l'Association pulmonaire du Canada et à la Fondation des maladies du coeur du Canada de présenter des messages à la télévision dans un esprit d'équité -- même si on ne leur a pas accordé autant de temps -- en fait, elles n'ont reçu qu'environ un dix-septième du temps d'antenne -- tout à coup la question du cancer s'est retrouvée devant vous, dans votre salon. L'industrie a en fait offert elle-même de ne plus faire de publicité à la radio et à la télévision pour éliminer ce message.

Il n'est pas nécessaire d'avoir autant de munitions que l'industrie pour combattre cette dernière. Il est possible d'être très efficace avec la bonne publicité.

Le sénateur Kenny: Pouvez-vous démontrer que l'argument de l'industrie concernant la part du marché n'est en réalité qu'un prétexte pour présenter de la publicité qui s'adresse aux jeunes?

M. Pollay: C'est certainement un trompe-l'oeil. Cela présente sous un faux jour les intentions stratégiques des sociétés. Il est difficile de généraliser parce que certaines marques ont pour cible des fumeurs plus âgés soucieux de leur santé. De crainte qu'ils ne cessent de fumer, le message qu'on leur adresse cherche à être rassurant quant à l'innocuité du tabagisme. D'autres marques s'adressent aux nouveaux fumeurs. Elles sont conçues de façon à leur mettre le grappin dessus. On ne peut pas faire de généralisations sur toute la publicité.

Cependant, si on analyse le portefeuille des marques des fabricants de tabac et leurs stratégies d'ensemble, on constate qu'ils montrent depuis longtemps un intérêt stratégique dans la jeunesse. Nous voyons maintenant de plus en plus de documents des fabricants qui le démontrent très clairement et ces documents ont non seulement fait surface au Canada dans le contexte du procès antérieur mais apparaissent aussi aux États-Unis ou y apparaîtront dans les procès qui doivent débuter bientôt.

M. Best: Sénateur, j'aimerais revenir au début de votre question sur les éléments de preuve qui ont un rôle marginal. Je vous inviterais à vous reporter au graphique 1 que je vous ai présenté pour illustrer la façon dont les choses se passent. Je vais essayer d'expliquer ça aussi simplement que possible.

Si vous vous reportez au bas du graphique, à droite, nous voyons-là ce qu'implique le développement des adolescents. Ce sont les données confirmées dans les publications sur la psychologie et le développement des jeunes. Voilà ce que doivent faire les jeunes pendant les premières années de leur adolescence pour affirmer leur autonomie, leur affiliation et leur identité.

Le sénateur Milne: De quel graphique parlez-vous?

M. Best: Je parle du graphique 1. Voilà ce que recherchent les jeunes. Ils se demandent ensuite comment faire pour satisfaire à ces besoins. Les spécialistes du marketing se concentrent sur le message. C'est ce que l'on retrouve au milieu du graphique 1 où se trouve le message fonctionnel ou symbolique. Le message c'est que l'on peut être très à la page, donner l'impression d'être adulte et être mieux accepté quand on fume. Voilà une façon de satisfaire à vos besoins. C'est ainsi que le lien est établi.

Oui, «marginaux» qualifie bien les éléments de preuve. On ne crée pas ces besoins chez les jeunes. Ces besoins existent, mais les spécialistes du marketing montrent aux jeunes des façons très attrayantes de satisfaire à ces besoins.

La contre-publicité devrait adopter une stratégie identique. Il ne faut pas parler des conséquences du tabagisme pour la santé, mais dire qu'il y a d'autres modes de vie aussi attrayants et d'autres façons de donner l'impression qu'on est adulte. Le défi, c'est de créer des images vives et convaincantes qui ne s'appuient pas sur le tabagisme. Comment faire? Le défi d'une campagne de contre-publicité c'est de créer un message qui puisse être présenté directement aux jeunes pour leur offrir une autre façon de satisfaire à leurs besoins. C'est un véritable défi. Voilà en partie pourquoi cela s'est avéré plus difficile qu'on ne le croyait. C'est aussi pourquoi c'est si important d'interdire la réclame -- parce qu'elle est efficace.

Le sénateur Milne: Docteur Best, il me faudrait des éclaircissements quant aux résultats de cette nouvelle recherche, illustrée au graphique 2. Je n'ai pas de mal à comprendre le graphique 1, mais j'ai un peu de difficulté à comprendre le graphique 2.

J'imagine que dans chacun de ces trois groupes de tuyaux d'orgue, le groupe de gauche désigne les jeunes 12 à 14 ans et le groupe de droite désigne ceux de 15 à 17 ans.

M. Best: Oui. La photocopie est mauvaise. Vous avez raison.

Le sénateur Milne: Non, les couleurs ressortent mal.

Qu'entendez-vous par «pas susceptible», «susceptible, pas actuel» et «actuel»?

M. Best: Le docteur Pierce dont j'ai parlé plus tôt dans le contexte d'un autre article avait élaboré une série de questions. Il s'agit d'une échelle qui cote l'intérêt exprimé par les enfants aux efforts de commercialisation, laquelle échelle permet de convertir leurs réponses en cote de «réceptivité». Ces études essaient de déterminer quand et où une personne fume et si cette dernière trouve la publicité attrayante. Elles ont pour but de déterminer quels sont les facteurs motivationnels. Elles utilisent ces données ponctuelles pour prévoir le comportement à un moment ultérieur.

Le sénateur Milne: Comment ce graphique illustre-t-il des comportements ultérieurs? Nous dites-vous que s'ils se situent entre 0 et 5 p. 100 et qu'ils ne sont pas susceptibles entre 12 et 14 ans, alors cette proportion double pour atteindre 10 p. 100 lorsqu'ils ont 15 à 17 ans?

M. Best: Oui.

Le sénateur Milne: Le groupe «non susceptible» augmente ici.

M. Best: Non, c'est le groupe «susceptible». Le pourcentage de gens susceptibles augmente au fur et à mesure que vous vous déplacez.

Le sénateur Milne: Ainsi, le «pourcentage reçu» ne remonte pas le long de l'ordonnée du graphique? S'agit-il d'un pourcentage de ceux qui ont reçu quelque chose?

M. Best: C'est exact. Le pourcentage indiqué le long de l'ordonnée représente le pourcentage de répondants qui disent avoir reçu un article promotionnel. Cela concerne particulièrement les campagnes de promotion qui offrent des casquettes ou des sacs en échange de coupons d'un produit du tabac.

Le sénateur Milne: Je ne vois pas quel est le lien entre cela et une augmentation ultérieure de la consommation. Je ne vois pas en quoi ces chiffres illustrent un lien. Dois-je comparer ce graphique à un autre?

M. Best: Ce n'est pas illustré dans le graphique; c'est exact.

Le sénateur Milne: Cela se trouve dans le graphique 4, est-ce bien cela?

M. Best: Oui.

Le sénateur Milne: Je ne vois pas comment les fumeurs sont impliqués.

M. Best: Cela désigne la volonté de consommer. C'est dans l'article de Pierce que l'on décrit le mieux l'effet sur les fumeurs et vous avez un abrégé de cet article.

Le docteur Pierce montre, en utilisant ce barème de réceptivité, que les jeunes qui sont plus réceptifs ont trois fois plus de chances de devenir fumeurs trois ans plus tard.

Le sénateur Milne: Est-ce que c'est ce qui est indiqué ici?

M. Best: Oui. Cela signifie qu'une fois toutes les autres grandes variables contrôlées, le risque relatif -- c'est-à-dire le pourcentage de gens qui deviennent fumeurs par opposition au pourcentage de ceux qui ne le deviennent pas -- a triplé entre 1993 et 1996. S'ils ont une faible réceptivité à l'idée de fumer, ce pourcentage n'augmente pas du tout. S'ils présentent un risque moyen, le pourcentage passe à 1,4 puis à 1,9, et cetera. C'est un barème en cinq points.

Comme vous le voyez, les jeunes qui sont les plus réceptifs aux campagnes de marketing en 1993 sont trois fois plus susceptibles de s'être mis à fumer trois ans plus tard.

Le sénateur Milne: J'ai manqué deux séances la semaine dernière et il en a peut-être été question à ce moment-là. Monsieur Pollay, vous avez parlé de ristournes promotionnelles versées aux détaillants. Pourriez-vous m'en dire un peu plus? Les compagnies de tabac paient-elles les détaillants et pour quelle raison?

M. Pollay: Typiquement, elles payent pour ce qu'on appelle le frontal. Il s'agit de la surface du rayonnage où le produit est visible. Dans le cas du tabac, cela comprend d'autres sortes de banderoles, de publicité au-dessus et en-dessous du produit lui-même. Des ristournes peuvent aussi être versées pour des horloges, des poubelles, des sacs ou autres contenants, des décalques apposés dans les vitrines, des plaques de poussée pour ouvrir et fermer les portes. Pour chacune de ces sortes d'articles ou d'emplacement pour la publicité dans les points de vente, le détaillant est indemnisé du fait qu'il accepte d'offrir l'emplacement pour de tels étalages et pour la surface de présentation. Un fabricant qui veut obtenir autant de surface de présentation que possible payera ce privilège au détaillant.

Le sénateur Milne: Autrement dit, un détaillant qui vend des cigarettes touche non seulement un pourcentage sur chaque paquet de cigarettes vendu mais reçoit aussi un paiement direct des compagnies de tabac?

M. Pollay: C'est exact. Ce serait donc normal de considérer qu'un magasin de vente au détail est un moyen de publicité aussi bien que de mise en marché.

Le sénateur Milne: Tout à fait. Je trouve cela quelque peu décourageant. Vous avez parlé de contre-publicité et de campagnes de publicité négative. Y a-t-il un groupe au Canada qui fait ça à l'heure actuelle? Y a-t-il à l'heure actuelle une quelconque campagne de publicité négative?

M. Pollay: Je n'en ai vu aucune ni dans les journaux et revues, ni à la télévision.

Le sénateur Milne: Y a-t-il un exemple d'une campagne de ce genre qui ait cours actuellement en Amérique du Nord?

M. Pollay: Oui. Il y a aux États-Unis des exemples de pareilles campagnes très mordantes financées avec des fonds réservés à cette fin. Il y en a deux excellents exemples en Californie et au Massachusetts. Ces campagnes, de l'avis de ceux qui les administrent, portent fruit. Les sommes engagées rapportent des dividendes dans le contexte de l'hygiène publique.

Le sénateur Nolin: Monsieur Pollay, vous avez eu accès à des documents accumulés pendant plus de dix ans par les compagnies de tabac parce que vous êtes un témoin expert pour la Couronne. C'est ce que j'ai cru comprendre.

En lisant le document que vous nous avez distribué aujourd'hui, qui est un abrégé, je lis ceci:

Malgré les démentis véhéments de l'industrie, les documents des sociétés présentés dans le cadre du procès sur l'interdiction de la publicité du tabac au Canada démontrent amplement que l'on cible les jeunes. Des recherches poussées et très fines ont identifié des segments cibles, à partir de l'âge de 15 ans, et ont dirigé la publicité vers eux tout en admettant l'accoutumance au produit chez les adolescents.

J'aimerais savoir avant de vous poser mes autres questions si vous maintenez toujours cela?

M. Pollay: Oui. Les détails et la preuve à l'appui de cette affirmation sont présentés par la suite dans l'article.

Le sénateur Nolin: Nous dites-vous qu'il s'agit de documents auxquels vous avez eu accès après le procès?

M. Pollay: Non. Il s'agit de documents présentés dans le cadre du procès et des documents qui faisaient partie de la preuve, certains présentés par la défense et d'autres par le plaignant. Ce sont des documents qui provenaient des compagnies de tabac et de la Couronne.

Le sénateur Nolin: Voulez-vous que je vous lise votre témoignage quand vous avez été contre-interrogé par les avocats des plaignants? Admettez-vous avoir été contre-interrogé expressément sur l'affirmation que vous venez de faire et que vous avez répondu non à cette question alors que vous venez de nous répondre oui? Voulez-vous que je vous lise l'extrait? Je peux faire distribuer à tous mes collègues des copies de ce contre-interrogatoire.

M. Pollay: Je ne retire pas du tout cette affirmation. Je ne me souviens pas l'avoir contredite. Au moment du contre-interrogatoire, il se peut qu'en situation de stress je n'ai pu me souvenir de documents précis mais la preuve a été amplement faite au cours du procès.

Le sénateur Nolin: Des avocats vous ont demandé de vous expliquer et vous avez admis qu'il n'existait aucun document d'une compagnie de tabac où ces dernières auraient affirmé cibler leur action sur des jeunes de moins de 18 ans. Vous avez dit oui à cela à maintes reprises.

M. Pollay: Non, je ne crois pas avoir dit cela. J'ai pu le dire en parlant d'une société ou d'un auteur. Cet article présente des détails que vous pouvez mettre en doute. La compagnie Imperial Tobacco avait certainement des documents de recherche concernant des jeunes de 15 ans. Leurs campagnes médiatiques visaient des jeunes de 15 ans sans préciser qu'il s'agissait de fumeurs de sorte qu'elle était prête à acheter des non-fumeurs aussi bien que des fumeurs.

Le sénateur Nolin: N'est-il pas vrai que vous parliez de documents d'agences et non pas de documents des sociétés?

M. Pollay: Oui, c'est peut-être la distinction dont vous parlez. Cela fait partie des documents que la société a déposés comme preuve documentaire décrivant ses efforts de commercialisation. Dans certains cas il s'agissait de rapports sur la recherche de marché. Dans d'autres cas, il s'agissait de documents de l'agence de publicité.

Le sénateur Nolin: Quel âge avaient ces documents de recherche sur les marchés? Vous en souvenez-vous?

M. Pollay: Les dates précises seraient indiquées dans les notes en bas de page et dans le texte de l'article.

Le sénateur Nolin: Est-il vrai que, quand ces documents ont été présentés au tribunal, ils dataient de plus de 15 ans?

M. Pollay: Je crois que l'âge des documents variait. Quelques-uns remontaient aux années 70 et de nombreux documents dataient des années 80. Je ne crois pas que la situation stratégique des sociétés ait beaucoup changé. Elle est la même maintenant que dans les années 80 et 70.

Le sénateur Nolin: Vous continuez d'affirmer que leur stratégie de publicité cible des jeunes de moins de 18 ans?

M. Pollay: Elles souhaitent ardemment accrocher une bonne proportion des nouveaux fumeurs. Que cela nous plaise ou non, les nouveaux fumeurs ont moins de 18 ans.

Le sénateur Nolin: Je vous demande si elles ou non une stratégie visant des gens de moins de 18 ans, parce que c'est ce que vous dites.

M. Pollay: Les documents que je cite se passent d'explication. À la lecture des documents, j'en conclus que c'est le cas. Elles s'intéressent aux nouveaux fumeurs. Elles s'intéressent aux nouveaux consommateurs. Ce sont des gens qui n'ont pas l'âge de la majorité; ce sont des mineurs.

Le sénateur Nolin: Il y avait un acétate intitulé «L'importance stratégique des jeunes». On voyait entre parenthèses la mention «Documents confidentiels des sociétés». L'un de mes collègues vous a interrogé au sujet de ce document. Pouvez-vous me trouver la citation exacte ou la source?

M. Pollay: Oui.

Le sénateur Nolin: Où?

M. Pollay: Les numéros de page sont un peu difficiles à lire mais cela se trouve à la page 267 de mon article. La mention est tirée du plan de commercialisation de Imperial Tobacco pour l'exercice 1988.

Le sénateur Nolin: Où sur la page?

M. Pollay: Cela se trouve à peu près au tiers de la première colonne. La citation intégrale est la suivante:

Si nous avons appris une chose ces dix dernières années, c'est que l'industrie est dominée par les sociétés qui répondraient le plus efficacement aux besoins des jeunes fumeurs. Nous nous emploierons à faire en sorte que ces marques restent pertinentes pour les jeunes fumeurs de ces groupes, bien qu'elles enregistrent une (piètre) performance pour ce qui est des parts de marché parmi les fumeurs plus âgés [...]

Cela date de 1988. Vous trouverez ailleurs sur la même page des citations semblables de R.J. Reynolds.

Le sénateur Nolin: Avez-vous présenté cette citation lorsque vous avez témoigné en votre qualité d'expert devant le tribunal?

M. Pollay: Je ne me souviens pas si c'était dans le cadre de mon témoignage ou, sans que je n'y sois pour rien, si cela avait déjà été présenté parmi les preuves documentaires.

Le sénateur Nolin: À votre avis, qu'est-ce qui n'a pas marché devant la Cour supérieure à Montréal?

M. Pollay: La Cour supérieure était absolument d'accord avec l'interprétation des documents. Elle a dit que la preuve la plus convaincante du lien entre la publicité et la consommation se trouve dans les documents de commercialisation internes. Il est question un peu plus loin du rôle de la publicité du fait qu'elle rassure et garantit la part de marché en encourageant l'acceptation du tabagisme dans la société.

Ce qui n'a pas marché, c'est que la cour a jugé qu'il y avait excès. De fait, il s'agissait d'une interdiction totale malgré l'échappatoire protégeant la commandite, et les sociétés devaient être autorisées à continuer de fournir de l'information -- c'est-à-dire, dans la mesure où elles avaient de l'information à fournir -- aux consommateurs afin que ces derniers puissent faire des choix plus informés. Les sociétés devaient pouvoir communiquer avec les adultes consentants légalement responsables de leurs actes. La cour a semblé croire que la loi allait trop loin.

Le sénateur Nolin: Croyez-vous qu'il y avait amplement de preuves que les sociétés avaient pris la décision stratégique délibérée de cibler les jeunes non-fumeurs?

M. Pollay: C'est mon avis, oui.

Le sénateur Nolin: Vous avez soutenu cela pendant tout le procès et, depuis le procès, vous avez recueilli de nouveaux éléments de preuve; est-ce exact?

M. Pollay: Les nouveaux éléments de preuve recueillis depuis le procès proviennent essentiellement d'une source américaine. Depuis le procès, je n'ai pas recueilli d'autres preuves documentaires de source canadienne.

Le sénateur Jessiman: Vous avez parlé de la Californie et du Massachusetts. S'agit-il des deux meilleures juridictions au monde pour ce qui est de la lutte contre le tabagisme chez les jeunes? Y a-t-il un endroit au monde où l'on a réussi à empêcher les jeunes de se mettre à fumer?

M. Pollay: Je crois que ce sont là de bons exemples. Certains États australiens, dont l'État de Victoria, ont réalisé des progrès appréciables. Le docteur Best a peut-être d'autres exemples. Il y a certainement d'autres pays qui comme le Canada estiment que c'est un problème grave. C'est comme il se doit. La différence qu'il y a dans ces pays concerne le financement; dans les pays où les recettes fiscales sont réservées à des fins précises, les ministères de la santé ont les ressources voulues pour agir.

Le sénateur Jessiman: La commandite y est-elle autorisée à l'heure actuelle? On envisage de l'interdire aux États-Unis en 1998, mais à l'heure actuelle, la commandite est-elle autorisée en Californie et au Massachusetts, le savez-vous?

M. Pollay: Oui, elle l'est. La commandite nationale est autorisée, de telle sorte que les reportages télévisés de courses automobiles, qui annoncent diverses marques de cigarettes, sont transmis dans ces États.

Dans certains de ces États, ce qui est intéressant, c'est qu'on a réservé certaines recettes fiscales pour financer des programmes incitant à cesser de fumer aux mêmes événements culturels et sportifs, de telle sorte que les organismes culturels et sportifs continuent d'être commandités, sauf que c'est par le biais d'un programme de prévention ou d'abandon du tabagisme au lieu d'un programme de promotion.

Le sénateur Jessiman: Et l'emballage neutre? Y a-t-il quelque part des emballages neutres accompagnés d'une mise en garde au bas du paquet précisant que le tabac cause le cancer, ou quelque chose du genre?

M. Pollay: Pas à ma connaissance. Dans de nombreux États, il y a des mises en garde sur les paquets, mais pas d'emballages neutres.

Le sénateur Jessiman: Si vous en aviez le droit, recommanderiez-vous cela?

M. Pollay: J'ai déjà comparu devant le comité de la Chambre en faveur de l'emballage neutre. Nous avons déjà parlé de la façon dont l'industrie essaie de tirer parti des besoins psychologiques des adolescents. Dans le jargon du milieu, la cigarette est ce qu'on appelle un produit macaron. Chaque fois que je sors un paquet de cigarettes, je m'identifie. J'affirme mon identité personnelle et je la communique à mes pairs. La vivacité du design du paquet sert un but. Le paquet constitue la dernière étape de l'ensemble du processus de mitraillage publicitaire.

Le sénateur Jessiman: Y a-t-il un endroit où l'on a recours à l'emballage neutre?

M. Pollay: Pas à ma connaissance, du moins pour le moment.

Le sénateur Jessiman: Pensez-vous qu'une telle mesure serait efficace, pour autant que vous puissiez convaincre les pouvoirs publics de l'adopter?

M. Best: Il y a tellement d'échappatoires dans ce processus complexe. Si la mesure à l'étude s'inscrivait dans la stricte perspective de la santé, la réponse serait très simple. Nous devons faire obstacle au plus grand nombre de ces diverses portes de sortie car elles ont toute la possibilité d'exercer une certaine influence. Les jeunes ont un tel désir d'afficher ces macarons et partant, leur autonomie, leur indépendance et leur sentiment d'appartenance, qu'ils sont prêts à adopter l'option qui s'offre.

S'il s'agissait strictement d'une question de santé publique, il faudrait mettre un terme à toute cette publicité. Il ne faudrait laisser aucune échappatoire qui puisse avoir une influence sur les enfants. Un peu partout, nous perdons la bataille. Les jeunes commencent à fumer en nombre croissant, et nous ne pouvons pas nous permettre de perdre. Il va de soi qu'il faudrait tout interdire. Dans une perspective sociologique, c'est clair: il faut agir sur tous les fronts. Essentiellement, ces options sont interchangeables et c'était le seul moyen d'optimiser notre action.

Le sénateur Jessiman: Que fait l'Organisation mondiale de la santé? A-t-elle recommandé quoi que ce soit en ce qui a trait à l'emballage neutre?

M. Best: Je ne suis pas au courant.

M. Pollay: Je l'ignore.

Le sénateur Jessiman: Ce n'est pas un problème canadien, c'est un problème mondial très sérieux. D'après ce que j'ai lu, je ne suis même pas sûr que le fait de supprimer la commandite fasse beaucoup de différence, mais si tant est que cela en fasse une, alors je suis pour. Mais nous devons aller beaucoup plus loin.

Le sénateur Milne: Monsieur Pollay, la semaine dernière j'ai demandé à M. Parker s'il était au courant des études internes qui auraient été faites sur la commandite et la consommation. À cette occasion, il a catégoriquement nié que de telles études aient été effectuées.

Le juge La Forest a évoqué des documents de marketing internes présentés au procès qui révèlent sans l'ombre d'un doute que les compagnies de tabac considèrent la publicité comme la pierre angulaire de leur stratégie.

Je suis dans l'embarras à ce sujet. Je ne sais vraiment pas qui croire. Pouvez-vous m'aider à résoudre ce problème?

M. Pollay: Tout ce que je peux vous dire, c'est que M. Parker avait peut-être une interprétation précise de ce que vous entendiez par «commandite». Il croyait peut-être qu'il était question des études sur l'incidence, par exemple, du tournoi de tennis Player's Limited, et c'est pourquoi il vous aura dit en toute honnêteté qu'il n'était pas au courant.

Je pense que l'arrêt que vous avez mentionné examinait le domaine très vaste de l'ensemble des communications promotionnelles, c'est-à-dire la publicité au sens large du terme et qu'il était question de l'ensemble des documents soumis au tribunal. À mon sens, il est fort probable que les magistrats aient adopté une perspective plus large.

Le sénateur Milne: Je trouve horrifiant que les gens qui vendent des cigarettes fassent de l'argent en monnayant l'espace des présentoirs ou les instruments de promotion dont ils se servent pour vanter la cigarette. Je viens d'apprendre qu'ils font davantage d'argent en monnayant la taille des affiches et des autres outils de promotion qu'ils n'en font en vendant du tabac proprement dit. Avez-vous les statistiques à ce sujet?

M. Pollay: Je n'ai pas de renseignement à ce sujet. Je pense que cela varierait d'un magasin à l'autre. C'est sans doute davantage le cas chez les petits dépanneurs où l'on trouve habituellement énormément d'affiches et de présentoirs. Les supermarchés, qui ne souhaitent pas couvrir leurs vitrines d'annonces de cigarettes, auraient proportionnellement un revenu de promotion moindre. Il y aurait des écarts sensibles selon le genre de magasins en cause.

Le sénateur Nolin: Monsieur Pollay, êtes-vous au courant de l'existence d'une étude sur l'influence de la commandite?

M. Pollay: Vous voulez dire parmi les documents canadiens?

Le sénateur Nolin: Oui.

M. Pollay: Non, je n'en connais aucune.

Le sénateur Nolin: On a posé à M. Parker une question très précise à laquelle il a donné une réponse très précise. J'aurais cru que vous nous donneriez une autre réponse.

Considérez-vous être un témoin objectif, un expert neutre?

M. Pollay: Chose certaine, j'ai abordé ces documents avec objectivité. Je suis affligé moralement par les découvertes que j'ai faites lorsque j'ai examiné ces documents.

Le sénateur Nolin: Étant donné que vous avez été affligé par votre découverte, croyez-vous, à titre d'expert, être habilité à en citer des passages de façon sélective; autrement dit, à vous servir de certaines phrases et à en passer d'autres sous silence?

M. Pollay: Aucune des citations qui figurent dans le rapport que vous avez en main n'est prise hors contexte. Je pense qu'elles constituent une documentation extrêmement pertinente. Il n'est pas nécessaire d'en fournir toutes les ébauches. Cela relève du même genre de choix que ferait un historien chargé d'examiner des quantités de documents.

Le sénateur Nolin: Permettez-moi de reformuler ma question pour qu'elle soit plus précise. Au cours du procès RJR-Macdonald, vous avez présenté un rapport d'expert, et vous avez été interrogé à ce sujet. Dans le témoignage on dit que vous avez sciemment omis certains termes -- parce que vous citiez des extraits d'autres documents -- et vous en avez utilisé d'autres pour obtenir le résultat que vous souhaitiez. Or, cela n'était pas exact.

M. Pollay: Il va sans dire que ce sont les aléas du contre-interrogatoire.

Le sénateur Nolin: Je parle de rapports écrits, de documents signés de votre main que le tribunal n'a pas examinés parce qu'ils ne constituaient pas une preuve allant dans le sens que vous souhaitiez.

M. Pollay: Je ne comprends pas votre question.

Le sénateur Nolin: Avec votre permission, je vous la poserai en français.

[Français]

Vous avez, à l'occasion du procès qui opposait la compagnie RJR-Macdonald et le gouvernement du Canada, été questionné comme témoin expert. À l'appui de votre témoignage et à l'occasion de ce procès, votre document a été introduit en preuve par le gouvernement du Canada. Vous avez été questionné sur ce document. Lors de votre contre-interrogatoire, il fut démontré que ce document faisait référence à d'autres documents, principalement des compagnies productrices de tabac, et que vous aviez dans ce document rapporté des segments de phrases incomplètes qui amenaient le lecteur à conclure que vous aviez raison dans vos conclusions et que ceci était faux. Est-ce que vous pouvez faire des commentaires sur ce que je viens de vous dire?

[Traduction]

M. Pollay: Je ne pense pas avoir cité quoi que ce soit hors contexte. Il est vrai, comme vous le constaterez dans le rapport, que tous les mots, jusqu'au dernier, ne sont pas puisés des documents d'origine. Les faits saillants sont présentés pour illustrer le thème des documents d'origine.

Le sénateur Nolin: Avons-nous toutes les transcriptions de la preuve présentée devant le tribunal?

La présidente: Je ne suis pas sûr que nous l'ayons intégralement. On ne nous a jamais demandé de l'obtenir. Pour ce qui est des études, certaines nous ont été fournies la semaine dernière par la Société canadienne du cancer et d'autres par les fabricants de produits du tabac.

Le sénateur Nolin: J'ai en main le contre-interrogatoire de M. Pollay, qui fait 15 pages.

Le sénateur Gigantès: Un extrait.

Le sénateur Nolin: C'est pourquoi il compte 15 pages.

Le sénateur Gigantès: Je voulais simplement faire remarquer que nous citons tous des extraits.

Le sénateur Nolin: Très juste. Je présente cela comme preuve que M. Pollay ne reprend pas exactement ce que disent les documents auxquels il fait référence.

Merci, monsieur Pollay.

Le sénateur Gigantès: Monsieur Pollay, direz-vous que vous êtes plus consterné par les efforts que l'on fait pour inciter les jeunes à fumer que les fabricants de cigarettes ne le sont à la pensée de perdre des profits?

M. Pollay: Je ne saurais dire cela, mais je constate que les compagnies de tabac semblent avoir un penchant aussi fort pour leurs profits que leurs clients pour la nicotine.

Le sénateur Gigantès: Pensez-vous avoir été plus sélectif dans la façon dont vous avez présenté les faits ou vos opinions que ne l'ont été les fabricants de produits du tabac en ne mentionnant jamais le fait qu'ils sont directement responsables de la mort d'autrui étant donné que le tabac cause le cancer?

M. Pollay: Certainement pas.

Le sénateur Gigantès: Merci.

Le sénateur Kenny: Je comprends la positon du sénateur Nolin, et il a effectivement le droit de poser des questions de ce genre. Cependant, il convient de dire que nous nous attendons tous à ce que nos témoins expriment leur avis au meilleur de leurs connaissances lorsqu'ils comparaissent ici. Nous devrions être disposés à accepter le témoignage que nous venons d'entendre, tout comme nous avons volontiers accepté celui d'autres témoins. Ensuite, nous déciderons quel poids il convient de lui accorder.

La présidente: Merci. Je suppose que c'était là une observation et non une question.

Le sénateur Kenny: Exactement.

La présidente: Je rappelle aux sénateurs qu'à l'origine, nous avions souhaité entendre le docteur Best et M. Pollay en même temps que M. Luik, qui était ici la semaine dernière. Si tel avait été le cas, nous aurions eu le contraste que nous souhaitons. Les sénateurs se souviennent sans doute que M. Luik avait fait certains travaux pour l'Association canadienne des fabricants des produits du tabac. Quant à M. Pollay, il nous a dit clairement qu'il avait travaillé pour le Surgeon General des États-Unis. Nous sommes donc en présence d'un témoignage équilibré. Nous entendons des propos contradictoires que nous devrons filtrer pour prendre notre décision finale.

Le sénateur Gigantès: M. Luik est-il médecin?

La présidente: M. Luik est professeur de publicité.

M. Pollay: Il n'est pas professeur de publicité. En fait, vous n'avez convoqué aucun professeur de publicité ou de marketing. M. Luik fait partie du Niagara Institute, un groupe de réflexion. Je ne crois pas qu'il ait jamais publié de thèse ou détenu un poste dans le domaine du marketing, de la publicité ou du comportement des consommateurs.

La présidente: Nous n'allons pas nous lancer dans une discussion sur les titres et qualités de M. Luik. Il nous a fait un exposé.

Le sénateur Kenny: Pouvons-nous nous entendre sur bonnet blanc et blanc bonnet, madame la présidente?

La présidente: Oui, et d'ailleurs la plupart d'entre nous sommes des têtes grises.

Je vous remercie tous les deux de votre exposé.

Nous accueillons maintenant, de l'Association nationale des distributeurs de tabac et de confiserie, MM. David Crouch, Luc Dumulong et Mark Tobenstein. Vous avez la parole.

M. Luc Dumulong, vice-président exécutif, Association nationale des distributeurs de tabac et de confiserie: Madame la présidente, l'Association nationale des distributeurs de tabac et de confiserie remercie le comité de lui donner l'occasion d'exprimer son avis au sujet du projet de loi C-71 et de collaborer avec le gouvernement pour améliorer cette mesure.

Comme, nous le savons tous, le tabac est un produit légal et seuls les adultes devraient l'utiliser. L'ANDTC ne fait pas la promotion du tabagisme. Nous nous bornons à distribuer nos produits au Canada. Cela dit, nous encourageons vivement l'éducation des jeunes.

Dans le résumé du «Plan directeur pour protéger la santé des Canadiennes et des Canadiens», nous avons applaudi l'intention de la ministre de la Santé d'examiner chaque mesure:

... à la lueur des justifications existantes, afin d'évaluer leur efficacité et les implications qu'elles pourraient avoir en rapport avec les obligations en matière de commerce international, les lois sur le commerce, la compétitivité, l'emploi et la contrebande».

Les contribuables canadiens devraient s'attendre à ce qu'une approche semblable s'applique au projet de loi C-71.

Après examen attentif du projet de loi C-71, on ne peut qu'arriver à la conclusion que ce projet ne tient pas compte des intentions de l'ex-ministre de la Santé, Mme Marleau. Nous avons entendu à maintes reprises le ministre actuel, M. Dingwall, déclarer que le projet de loi C-71 est un projet de loi pour la santé. Nous n'avons cependant vu aucune preuve que les mesures proposées auront un impact sur la décision de fumer des jeunes ou sur la consommation au Canada. De plus, dans sa forme actuelle, le projet de loi ne tient aucunement compte des emplois menacés dans le réseau de la distribution, et ce, par manque de consultation avec les intervenants et les experts de l'industrie de la distribution.

Notre association approuve et appuie les principes du projet de loi, ainsi que plusieurs de ses mesures. Cependant, certains articles sont rédigés d'une façon qui pourrait amener des impacts économiques indésirables, tandis que certaines parties sont superflues.

Nous sommes heureux d'avoir vu l'adoption d'amendements, prévoyant un examen parlementaire des règlements avant leur adoption. Cependant, il est difficile de fournir les suggestions pertinentes requises quand on ne nous donne que 15 jours pour présenter nos commentaires. Pour votre information, nous n'avons reçu copie des règlements que le 1er avril, ce qui signifie que dès la semaine prochaine, je devrais présenter mes observations. Un projet de loi et des règlements qui ont une telle incidence sur nos membres auraient dû être présentés simultanément. Une période de consultation de 90 jours aurait été nécessaire.

L'ANDTC appuie l'interdiction de vendre par la poste pour plusieurs raisons, dont l'absence de contrôle quant à l'identité de la personne qui achète le produit. La distribution par la poste encourage la contrebande interprovinciale, ce qui nuit à nos membres opérant dans des provinces où les taxes sont élevées et incite à l'évasion fiscale.

Nous appuyons aussi l'exigence stricte d'une preuve d'âge aux points de vente. C'est la meilleure façon de contrôler l'accès des mineurs aux produits. En tant que membre de la Coalition canadienne pour une pratique responsable du commerce du tabac, nous avons pris nos responsabilités et avons participé au lancement de l'Opération carte d'identité dont vous avez entendu parler la semaine dernière. Jusqu'à maintenant, quelque 70 000 trousses d'information ont été distribuées aux détaillants, dont la moitié par les membres de l'ANDTC qui sont très en faveur de cette initiative. Nous appuyons sans réserve l'Opération carte d'identité.

Seules les distributrices équipées de télécommandes ou n'acceptant que des jetons devraient être permises. Ainsi, on peut savoir qui achète des cigarettes. Étant donné que ces mécanismes permettent de contrôler l'âge des acheteurs, il devient inutile d'interdire ces distributrices dans les lieux autres que les bars et les tavernes.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi stipule que le gouverneur en conseil peut déterminer les normes de fabrication du produit. En cas de différences marquées entre les produits permis selon ces normes, encore inconnues, et les goûts des consommateurs, les contrebandiers auront l'occasion idéale d'approvisionner le marché en produits au goût des clients.

Selon le libellé actuel du projet de loi, les distributeurs pourront être tenus de présenter des rapports exhaustifs, sans que l'on sache encore précisément de quoi il s'agit. On créerait ainsi inutilement un fardeau administratif supplémentaire coûteux pour le réseau de la distribution. Étant donné que les manufacturiers font déjà rapport de leurs ventes par marque et par province, et qu'ils continueront de le faire après l'adoption du projet de loi C-71, nous voyons mal quel résultat aura le fait de forcer les distributeurs à faire des rapports de vente par magasin, sinon celui d'ajouter à la paperasse déjà abondante imposée aux petites entreprises. Étant donné la nature extrêmement concurrentielle de ce commerce, il faudra faire des mises à jour très fréquentes, ce qui exigera que l'on consacre à cet exercice des ressources et une énergie considérables. Étant donné que le Canada compte des milliers de détaillants de produits du tabac, le gouvernement devra lui aussi consacrer des ressources volumineuses pour traiter ces données.

Dans la section définition du projet de loi, le sens donné au mot «fournir» peut donner lieu à des abus. Selon l'article 8.(1), sera-t-il permis aux distributeurs et aux détaillants d'embaucher des employés mineurs? Si ce n'est pas l'intention du gouvernement, une précision devrait être apportée au projet de loi.

Une clause arbitraire, est probablement illégale, du projet de loi sous sa forme actuelle, 18.(2)b), interdit aux représentants d'associations, ainsi qu'à toute personne ou organisme qui reçoit une contrepartie d'un manufacturier ou détaillant la communication de renseignements, directement ou indirectement. Nous avons attiré l'attention du gouvernement à trois reprises sur ce point et avons proposé un amendement pour faire en sorte que la disposition n'aille pas à l'encontre de la Charte des droits et libertés, mais jusqu'à maintenant, cet article est resté tel quel.

L'utilisation des présentoirs actuellement sur le marché assure la supervision des ventes par les employés du magasin. Cela représente pour les détaillants une importante source de revenu qui est appelée à disparaître, selon la forme actuelle du projet de loi C-71 (articles 22 et 24). Ces mesures frapperont surtout les petits magasins familiaux ainsi que les distributeurs indépendants.

Interdire les rabais pour paiement comptant (article 29.a)) à l'intérieur du réseau de distribution se traduirait en pertes financières considérables pour les entreprises et n'atteindrait aucun des objectifs du gouvernement. L'article 29.a) devrait cibler le consommateur et non l'acheteur. Il y a une différence entre les deux.

Le projet de loi C-71 interdit effectivement dans les magasins le matériel faisant la promotion de produits ou d'événements commandités. La preuve qu'en interdisant ce matériel ou en réduisant sa visibilité on peut diminuer la consommation reste à faire. Cette interdiction aura cependant un impact financier sérieux sur les détaillants et les distributeurs. Encore une fois, les plus durement frappés seront les petits commerces familiaux qui dépendent de chaque dollar généré par cette pratique commerciale commune à d'autres gammes de produits.

L'étalage des paquets sera déterminé par des règlements encore inconnus -- en fait, nous venons de les recevoir. Le potentiel négatif d'un étalage restreint est très sérieux pour les détaillants et les distributeurs. Ici aussi, les petits exploitants indépendants en souffriront le plus. Les 60 millions de dollars versés en location aux détaillants par les manufacturiers représentent une source importante de revenu. Pour beaucoup de petits détaillants, la perte de ce revenu affectera considérablement leur rentabilité et en placera plusieurs dans une situation financière intenable, tout cela, sans aucune assurance d'atteindre l'objectif du gouvernement de réduire la consommation par les mineurs ou la vente à des mineurs.

Les planographes spécifiés par règlement forceront les détaillants à modifier leurs étalages à leurs propres frais. Les limitations d'espace, contrôlées par des règlements encore inconnus mais clairement décrits dans le «plan directeur», entraîneront l'augmentation des coûts de main d'oeuvre ainsi qu'une augmentation de la criminalité si l'employé doit quitter sa caisse.

Le fait d'interdire les présentoirs de comptoir n'a aucun effet prouvé sur la décision de fumer. Cette mesure a peu de chances de réduire la consommation du tabac. La décision d'acheter un produit du tabac ne dépend pas de l'emplacement du présentoir. Le positionnement de ces présentoirs en magasin assure une vente supervisée par un employé. Le but de ce projet de loi est d'assurer la supervision de chaque transaction et non d'imposer des pertes financières aux entreprises canadiennes honnêtes.

Dans le contexte actuel du marché, nous estimons que de 3 à 6 p. 100 de nos détaillants fermeraient à cause du projet de loi C-71.

Des pénalités inutilement élevées, allant jusqu'à 50 000 $, selon les articles 15 et 46, peuvent menacer la survie d'une entreprise, créant ainsi d'autres pertes d'emploi. Une loi raisonnable devrait prévenir les infractions plutôt que de fermer des commerces. Il y aurait lieu de considérer des amendes plus réalistes.

Les pouvoirs accordés aux inspecteurs d'entrer dans tout entrepôt ou magasin entreposant des produits du tabac, de fouiller les lieux et de saisir produits et documents commerciaux sans mandat sont injustifiés. Le projet de loi C-71 doit respecter la Charte canadienne des droits et libertés.

En conclusion, le gouvernement canadien a le droit de prendre toutes les précautions nécessaires, comme on le dit dans le plan directeur, en étudiant l'impact financier sur les entreprises ainsi que l'efficacité des mesures proposées pour déterminer la consommation, avant d'approuver le présent projet de loi. Ces aspects essentiels n'ont pas encore été présentés. Il est primordial pour le gagne-pain de milliers de Canadiens que le gouvernement prenne le temps d'examiner attentivement tous les aspects des problèmes soulevés.

Au cours du débat actuel, peu a été dit à propos de l'impact sur les petits entrepreneurs. Il y a quelques années, nos membres ont subi les conséquences désastreuses d'une politique de surtaxation irréaliste. Alors que plusieurs de nos membres ont fait faillite, les autres se remettent encore de la contrebande des produits du tabac.

Honorables sénateurs, nous vous prions respectueusement de vous allouer le temps nécessaire au juste examen des réelles inquiétudes que nous venons d'exprimer.

La présidente: Vous avez bien présenté votre argument cet après-midi -- comme l'ont fait la semaine dernière les représentants de vos organismes, et je suis persuadée que M. Joseph Chung fera de même tout à l'heure -- au sujet de la disposition concernant le fait de «fournir» un produit du tabac. Le libellé qu'on y trouve ne diffère pas tellement de celui du projet de loi sur le tabac adopté en 1993 et qui mettait l'accent sur les jeunes. J'aimerais savoir si vous avez eu de la difficulté à appliquer cette disposition. Des jeunes de moins de 18 ans ont-ils été poursuivis depuis pour avoir vendu des cigarettes dans l'un de vos magasins?

M. Dumulong: Non. Nous ne vendons pas à des usagers comme tels -- c'est-à-dire à des consommateurs. Nous vendons à des détaillants et nous sommes donc des grossistes. C'est un peu à cause de cela que ce projet de loi nous pose un problème. On parle tellement des fabricants et des détaillants, mais il n'y a pas grand chose au sujet des grossistes. Cela indique peut-être que l'on ne comprend pas comment la distribution des produits du tabac fonctionne.

Pour répondre à votre question, je dis que nous n'avons pas fait l'objet de poursuites et que nous n'avons pas entendu dire que quelqu'un avait fait l'objet de poursuites parce qu'il fournissait des produits du tabac à des employés mineurs. Cependant, à cause de l'élément criminel qu'on introduit maintenant dans ce projet de loi et de la lourde amende de 50 000 $ qui pourra faire fermer des entreprises -- et plusieurs de ces détaillants sont mes clients et aussi des membres de notre organisation, ne savent pas ce que représentent 50 000 $ -- la situation est maintenant complètement différente. Si le gouvernement n'a pas l'intention d'empêcher les jeunes de 18 ans et moins de travailler dans ces commerces, il devrait le spécifier clairement dans le projet de loi.

La présidente: La loi actuellement en vigueur ne vous a cependant pas posé de problèmes depuis quatre ans et l'on y utilise presque la même phraséologie.

M. Dumulong: Non.

Le sénateur Gigantès: Selon vous, où les jeunes achètent-ils des cigarettes?

M. Dumulong: Ils les achètent n'importe où. Ils peuvent acheter des cigarettes à leurs amis ou en obtenir de n'importe quelle autre façon.

Le sénateur Gigantès: Si un jeune achète des cigarettes à l'un de ses amis, où cet ami les achète-t-il?

M. Mark Tobenstein, président du conseil d'administration et propriétaire de Distribution Regitan Ltée, Association nationale des distributeurs de tabac et de confiserie: Lorsque des jeunes veulent fumer, ils n'ont pas de difficulté à trouver des cigarettes. S'ils ne peuvent pas les acheter dans un magasin -- c'est-à-dire si l'on refuse de leur en vendre parce qu'ils sont mineurs -- ils vont demander à une autre personne qui est majeure ou a l'air d'être majeure d'acheter les cigarettes ou ils demanderont à leurs parents de les acheter, et cela se produit très fréquemment. Des parents achètent des cigarettes pour leurs enfants.

Le sénateur Gigantès: De nombreux faits démontrent que des jeunes achètent des cigarettes chez des détaillants qui ne leur demandent pas de prouver leur âge.

M. David Crouch, c.a., président (directeur des finances, Allind Distributors Limited), Association nationale des distributeurs de tabac et de confiserie: Il y a lieu d'apporter une précision. Nous approuvons la partie de la loi qui porte sur la vente à des mineurs. Nous l'approuvons et notre association aussi. Nous ne voulons pas vendre à des mineurs. Nous n'avons pas d'objection aux dispositions du projet de loi concernant cette question.

Le sénateur Gigantès: Si l'on met complètement fin à la vente aux mineurs, les ventes de cigarettes diminueront.

M. Tobenstein: Je ne le crois pas du tout.

M. Dumulong: Pourquoi?

Le sénateur Gigantès: Si ce sont des mineurs qui fument un tiers des cigarettes vendues, et si l'on ne vend plus de cigarettes aux mineurs, les ventes diminueront d'un tiers.

M. Tobenstein: Je pourrais peut-être vous expliquer. J'estime que les problèmes des mineurs qui fument se situent au niveau de la vente au détail. Si l'on appliquait au niveau du détail une disposition selon laquelle les mineurs ne peuvent pas acheter de cigarettes, je serais aussi tout à fait d'accord.

Le sénateur Gigantès: Oui, monsieur Tobenstein, mais on nous a dit que nous devrions tenir compte des pertes résultant de la diminution des ventes. Vous avez dit que des gens souffriraient de la perte de ventes.

M. Dumulong: Je ne parlais pas de perte de ventes, je parlais de perte de frais de location de présentoirs et de sommes payées par les fabricants pour louer de l'espace chez des détaillants. Je n'ai jamais mentionné les ventes.

Le sénateur Gigantès: Les fabricants cesseront de payer ces frais de location et les ventes diminueront?

M. Dumulong: Non, les ventes ne varieront pas à cause de ce projet de loi.

Le sénateur Gigantès: Les détaillants continueront de vendre des cigarettes comme d'habitude.

M. Dumulong: C'est exact. Les affaires continueront, bien qu'ils ne touchent plus d'argent des fabricants pour la location des présentoirs.

Le sénateur Gigantès: Vous avez dit également que vous approuviez l'idée de trouver un moyen de mettre fin aux ventes à des jeunes.

M. Dumulong: Oui, nous sommes tout à fait en faveur d'une telle idée.

Le sénateur Gigantès: Si l'on met fin aux ventes à des jeunes, les ventes diminueront. Vous parliez de perte de profits et de perte d'emplois résultant de la baisse des ventes.

M. Dumulong: Si le marché se rajuste et si les ventes diminuent, c'est-à-dire si le gâteau rapetisse, nous nous adapterons. Nous nous sommes adaptés depuis 30 ans à une baisse des ventes. Et le marché n'est pas en expansion, il diminue graduellement. Ce n'est pas un problème.

Si nous pouvons avoir la preuve absolue que les programmes concernant la vente aux mineurs fonctionnent, nous en serons ravis et nous les appuierons totalement. Il n'en reste pas moins que nous n'arriverons jamais à un succès total. Il faut être réaliste. On ne peut pas réussir totalement dans le cas de la vente d'alcool, par exemple.

Le sénateur Gigantès: Vous voulez une preuve absolue que les ventes aux mineurs diminueront en raison d'une mesure particulière et je suppose que vous voulez également une preuve absolue que le tabac peut être cancérigène.

M. Crouch: Non. Nous concédons qu'il y a certaines préoccupations concernant la santé. Comme je l'ai dit, nous appuyons le projet de loi en ce qui concerne l'interdiction de vendre à des mineurs. J'ai deux adolescents et ni l'un ni l'autre ne fument, je le mentionne en passant, mais on commence à fumer probablement vers 12 à 14 ans et même parfois bien avant cet âge. La plupart de ces enfants n'obtiennent pas leurs cigarettes d'un dépanneur ou d'un supermarché ou d'une pharmacie. Ils les obtiennent d'une personne majeure, de 18 à 20 ans, qui apporte ces cigarettes dans les cours d'école et les vend aux jeunes. Vous ne mettrez pas fin à cette pratique, qu'il les vende à l'unité ou au paquet. C'est ce qui se passe et c'est ce qui se passait lorsque j'avais 19 ou 20 ans. La même chose se produit dans le cas des spiritueux et de la bière.

Nous appuyons cette mesure législative, mais le simple fait que vous adoptiez des règlements stipulant que dans un dépanneur ou un supermarché on ne peut pas vendre de cigarettes à des jeunes de moins de 18 ans, n'empêchera pas un jeune de 17 ans de fumer. Nous n'avons donc pas d'objection à cet égard.

Le sénateur Gigantès: Vous êtes des grossistes. Vos ventes ne diminueront pas, alors qu'est-ce qui vous inquiète?

M. Crouch: Ce n'est pas cet aspect de la loi, en effet. Cependant, il y a d'autres aspects de la mesure qui sont répréhensibles.

Le sénateur Gigantès: Nous avons entendu dire qu'il y aurait une baisse des ventes, ce qui diminuerait les emplois et les profits, que certains magasins devraient fermer et que des gens feraient faillite ici et là.

M. Crouch: Une chose qui nous préoccupe est le fait que cette mesure semble faire de la discrimination contre les petits dépanneurs familiaux, les petits entrepreneurs pour lesquels la vente de tabac représente encore 30 à 40 p. 100 de leur chiffre de ventes, les dépanneurs indépendants. Leurs ventes vont diminuer et ils perdront les revenus qu'ils tiraient de la promotion, s'ils ne peuvent pas exposer les produits dans leur étalage.

Le sénateur Gigantès: Attendez un instant. Les ventes baisseront peut-être s'ils perdent les sommes versées pour la promotion?

La présidente: Sénateur Gigantès, pour être juste envers ceux qui nous ont présenté un exposé, je signale qu'ils n'ont pas attribué leur baisse de profits à une baisse des ventes. Ils l'ont attribuée à l'absence des sommes versées pour les présentoirs et la promotion, qu'ils reçoivent actuellement.

Le sénateur Gigantès: Mais la commercialisation n'est pas leur affaire, ce sont des grossistes. Ils ne présentent rien en étalage. C'est ce qu'ils nous ont dit.

M. Crouch: Nous représentons également nos clients.

M. Tobenstein: Nous sommes des grossistes, mais le problème ne vient pas de ce que nous perdrons des ventes. Si le projet de loi est adopté sous sa forme actuelle, nous ne perdrons pas de ventes. Le seul problème vient de ce que plusieurs de nos clients souffriront et fermeront leur entreprise parce qu'ils dépendent énormément de cet argent supplémentaire.

Nous estimons qu'il s'agit en moyenne de 5 000 $ à 6 000 $ par année par magasin. Le marché est très concurrentiel et les profits ne sont pas très élevés pour les détaillants. Cet argent les aide à payer leur loyer.

Nous craignons non seulement d'avoir moins de clients mais aussi d'avoir plusieurs mauvaises créances. C'est cela qui nous inquiète. Il y aura de nombreux problèmes pour nous.

Le sénateur Gigantès: Pouvez-vous penser à une mesure concrète qui rendra plus difficile l'accès des jeunes aux cigarettes sans avoir de mauvaises conséquences pour vos détaillants ou vos clients?

M. Tobenstein: Écoutez, mes enfants ne fument pas non plus. J'ai trois filles et elles ne fument pas. Les gens ne devraient pas fumer. Cependant, je travaille dans ce secteur. J'y travaille depuis maintenant 28 ans. C'est un commerce légal dans lequel je gagne ma vie et je n'ai rien fait de mal. J'ai répondu à une demande. Je ne m'oppose pas à des mesures visant à décourager les gens de fumer au moyen de programmes d'information et d'application au niveau du détail, si ça peut fonctionner. Cependant, si nous prenons cette direction, il faudra du temps. On espère qu'il y aura des résultats et nous nous y adapterons également.

Le sénateur Gigantès: Êtes-vous prêt à ce qu'on fasse certaines tentatives et à attendre de voir quels en seront les résultats?

M. Tobenstein: Oui.

Le sénateur Gigantès: En quoi vous opposez-vous à ce projet de loi, dans lequel on propose certains moyens pour voir quels résultats ils donneront? On ne peut pas les prévoir.

M. Dumulong: Nous nous opposons au projet de loi parce qu'il ne change rien à la décision de fumer ou de ne pas fumer. Il semble qu'il aura une incidence considérable sur des entreprises. Étant donné la façon dont les réseaux de distribution fonctionnent -- et nous parlons de frais de location de présentoirs, de rabais pour paiement comptant et d'autres questions de cette nature -- la mesure ne traite pas vraiment de la question de choisir de fumer ou non. J'étais ici la semaine dernière et j'ai entendu certains des témoins, en particulier M. Luik, parler des facteurs qui permettraient de prédire que quelqu'un fumera. Dans ce projet de loi, il n'y a rien à cet égard. Je suis porté à être d'accord avec lui lorsqu'il dit que ce projet de loi ne propose rien au sujet des facteurs précis qui amènent les gens à commencer à fumer. Il me semble que c'est une mesure purement symbolique plutôt qu'autre chose. En outre, elle nuira à des entreprises qui font partie du réseau de distribution et qui n'ont absolument aucune influence sur la décision des jeunes ou d'autres de commencer à fumer.

Le sénateur Gigantès: La distribution des produits du tabac n'a aucune influence sur la décision de commencer à fumer, est-ce bien ce que vous avez dit?

M. Dumulong: Fumez-vous, sénateur?

Le sénateur Gigantès: J'ai déjà fumé, mais je ne fume plus.

M. Dumulong: Si je vous donnais gratuitement un paquet de cigarettes, l'accepteriez-vous?

Le sénateur Gigantès: Non, pas après que mon frère ait subi une opération pour un cancer du poumon et certainement pas après que ma femme soit décédée du cancer.

M. Dumulong: Ce que je veux dire, c'est que si vous ne voulez pas utiliser un produit, même s'il est gratuit, vous ne le prendrez pas.

[Français]

Je n'ai pas besoin d'acheter une moissonneuse-batteuse, si j'en n'ai pas besoin. Même si on me donne une moissonneuse-batteuse, je n'en ai rien à faire. Je ne veux pas m'en servir parce que je n'en ai aucun besoin. Pourquoi en prendrais-je? C'est la même chose pour n'importe quel produit. Chaque fois qu'on m'offre quelque chose dont je n'ai pas besoin, je ne le prends pas.

Le sénateur Gigantès: Il ne faut alors absolument rien faire pour tâcher de rendre plus difficile l'achat de cigarettes par les jeunes.

M. Dumulong: Où il faut travailler, je crois, c'est sur l'éducation. Ce sont les facteurs qui font en sorte que les gens se mettent à fumer sur lesquels il faut se pencher aujourd'hui. Si on ne fait rien à ce niveau, sénateur Gigantès, on aura mis en place des mesures qui auront des impacts considérables sur les entreprises et surtout sur les petites entreprises familiales, sans jamais avoir un impact sur la décision des gens de fumer ou pas. C'est cela qu'on veut régler aujourd'hui, je l'espère. Si c'est ce qu'on veut régler, ce sont ces facteurs qu'il nous faut travailler et non pas des facteurs qui n'ont rien à voir avec la décision de fumer.

Le sénateur Gigantès: Supposons qu'on arrivait à convaincre les jeunes par toutes ces méthodes de ne plus fumer, cela aurait un impact sur ces petites entreprises.

M. Dumulong: Oui, tout à fait. Comme on le remarque depuis 30 ans, il y a eu une diminution du taux de consommation. On a remarqué ce qui s'est passé au cours des dernières 10 années, on a mis toutes sortes de moyens en place, on s'est lancé dans des campagnes de surtaxation des produits du tabac qui a générée des problèmes énormes pour le Canada comme nation, comme pays. Le crime organisé est en train de prendre le contrôle de tout le réseau, 70 p. 100 au Québec et 40 p. 100 dans le reste du Canada. Cela n'empêchera pas les gens de fumer. On disait que le prix était un facteur, oui, il l'est sur l'accessibilité au produit mais jusqu'à un certain niveau. Aussitôt qu'on passe la barrière des 40 p. 100 plus cher au Canada qu'aux États-Unis, on retombe dans la contrebande automatiquement.

Le problème que l'on a aujourd'hui et qui n'existait pas auparavant, c'est qu'il n'y avait pas le réseau de contrebande structuré que l'on retrouve actuellement. Le réseau n'a pas disparu. Les gens qui travaillaient à l'intérieur de ce réseau parallèle et qui ne payaient pas de taxes attendent de voir le gouvernement faire la bévue de se lancer dans des campagnes de surenchères de taxation pour qu'ils puissent par la suite ramasser les profits.

Le sénateur Gigantès: On ne parle pas de taxation ici.

M. Dumulong: Je parle des mesures qui avaient déjà été mises en place. Est-ce que ces mesures ont une incidence sur la réduction de consommation chez les jeunes? Non, elles n'ont pas d'incidence. En fait, les jeunes ont recommencé à fumer même un peu plus parce que l'accessibilité au produit a augmenté de façon significative étant donné que les jeunes n'avaient plus besoin d'aller chez le détaillant pour acheter leurs cigarettes. On livraient les cigarettes à la maison, on les vendaient même aux professeurs d'écoles dans les cours d'écoles, et bien entendu ce sont les jeunes de moins de 18 ans qui étaient beaucoup sollicités par les réseaux parallèles de distribution parce que ces jeunes n'encouraient pas les mêmes pénalités. Un garçon de 16 ans qui vend des cigarettes ne recevra pas la même pénalité que celui de 21 ans. On recrutait les jeunes dans ce réseau de distribution parallèle contrôlé par le crime organisé, et on leur faisait vendre ces produits. Est-ce qu'on est plus avancé en ayant des moyens qui ont donné de tels résultats? Non.

Si on veut vraiment travailler de façon efficace à réduire la consommation chez les jeunes et leur initiation au tabac, on doit travailler sur l'éducation. Mais cela ne se fait pas en criant ciseau !

[Traduction]

Il n'y a là rien de magique. Le problème du tabagisme et la façon dont le gouvernement s'y est pris pour essayer de l'enrayer, c'est que son attaque a été très concentrée alors que le problème est en fait beaucoup plus vaste. Ce n'est pas simplement la démarche «pharmacojuridique» qui est actuellement adoptée par le gouvernement. C'est quelque chose qui transcende de beaucoup le simple problème de société. Il faut en analyser l'aspect psychologique, l'aspect économique, les disparités socio-économiques ainsi que les pressions exercées par l'entourage. Tout cela permet de produire un programme bien bâti, un programme qui marche, mais ce n'est pas ce programme-là qui arrêtera les gens de fumer. Cela n'arrivera jamais. Soyons réalistes. Si on s'attaque au problème avec réalisme et si on tient compte de toutes les variables qui font qu'on commence à fumer, à ce moment-là il est possible de bien réussir en fanfare. À ce moment-là, vous pourrez allez n'importe où dans le monde en affirmant: «Nous sommes arrivés à quelque chose parce nous nous sommes attaqué au problème avec sérieux». Lorsqu'on prend un problème à sa racine, on perd du temps. On se contente de poser des emplâtres.

Le sénateur Gigantès: Dois-je conclure de vos propos que vous êtes d'accord pour que nous limitions ce genre de publicité qui valorise un genre de vie, celle-là même qui pousse les jeunes gens à fumer la cigarette?

M. Tobenstein: Que je sache, nous ne faisons aucune publicité de ce genre, vraiment pas.

Le sénateur Gigantès: Vous ne parlez pas uniquement de votre association avec les fournisseurs de cigarettes et avec ceux qui les vendent aux jeunes gens.

M. Dumulong: Non, nous ne sommes pas favorables aux publicités qui rappellent un genre de vie.

Le sénateur Gigantès: Vraiment?

M. Dumulong: Vraiment.

Le sénateur Milne: Monsieur Dumulong, vous avez évoqué dans votre exposé la confusion qui semble régner dans le cas des mineurs d'âge qui travaillent dans les magasins où l'on débite des produits du tabac. Vous voulez que le projet de loi soit plus précis.

Permettez-moi de vous renvoyer au paragraphe 8.(1) qui est assez clair me semble-t-il. Le projet de loi ne cherche pas à réglementer le côté vendeur: il s'adresse uniquement au côté client.

M. Dumulong: Le problème tient à la définition du terme dans la clause interprétative. Je pense que le même argument a été évoqué la semaine dernière. Si l'intention n'est pas là, alors il n'y a pas de problème. Mais précisons bien dans le projet de loi qu'il est interdit aux mineurs de travailler dans des magasins de détail ou chez des grossistes. C'est tout ce que nous disons. Nous voulons que la loi soit claire.

Le sénateur Milne: Que proposeriez-vous au juste?

M. Dumulong: Il faudrait un amendement qui ferait une exception. S'il y avait une exception à l'effet que la loi ne s'applique pas à l'employé d'un détaillant ou d'un grossiste et que les cigarettes ne sont pas destinées à un usage personnel, à ce moment-là le problème est réglé. Cela ne représente pas grand-chose.

Nous avions déjà posé la question. Nous avons présenté plusieurs fois des propositions d'amendement au ministre Dingwall, mais on aurait dû y penser. Ce n'est pas difficile à faire.

Le sénateur Milne: Je ne vois pas où cela pourrait figurer. Vous voulez redéfinir le terme «détaillant»?

La présidente: Le problème pour ces gens tient à la définition du terme «fournir» donnée par le projet de loi, en ce sens que c'est une définition très large. C'est la raison pour laquelle j'avais précisément demandé si l'utilisation du terme «fournir» leur posait également problème dans le cas de la Loi sur la vente de tabac aux jeunes.

Le sénateur Milne: Le mot «fournir» veut dire vendre, prêter, confier, donner ou transmettre.

Le sénateur Nolin: Dites-nous le mot qui vous pose problème.

Le sénateur Milne: Ces gens ne font pas de cadeaux.

La présidente: Si vous me permettez une mise en contexte dans leur perspective à eux, supposons qu'un grossiste arrive chez un dépanneur et remette la commande à un jeune de 17 ans, peut-on interpréter cela comme l'acte de fournir? Le ministère de la Santé a été très clair et a répondu: «Non», tout en se demandant si ce ne serait pas possible étant donné les définitions qu'on trouve actuellement dans le projet de loi.

M. Dumulong: Certains conseillers juridiques pensent qu'effectivement ce serait possible et qu'il faudrait utiliser un mot de tous les jours, «interprété» dans ce sens.

Le sénateur Milne: Même s'il est tout à fait évident que vous ne donnez pas ce produit, mais que vous le vendez?

M. Dumulong: Nous le vendons, mais lorsque nous demandons à un employé d'aller ranger la commande dans l'arrière-boutique ou de garnir les étagères, nous prêtons ce produit à la personne en question. Étant donné le caractère pénal du projet de loi, nous risquons des poursuites -- peut-être pas aujourd'hui ou l'an prochain, mais qui sait, peut-être dans 10 ans.

Les gens qui seront ici alors ne feront peut-être pas la même chose, mais ce qui est écrit restera écrit. La loi demeurera en l'état, de sorte que nous vous demandons d'apporter cette précision.

[Français]

Tout ce dont nous avons besoin, c'est d'une précision. Si nous avons une précision, vous serez en mesure de soulager nos inquiétudes à cet effet.

[Traduction]

Le sénateur Milne: Qui donc au juste est représenté par l'Association nationale des distributeurs de tabac et de confiserie? Représentez-vous des détaillants? Vous avez laissé entendre que vous représentiez également vos clients. Quelles sont les compagnies que vous représentez?

M. Crouch: Ma propre compagnie s'occupe de la vente en gros de produits du tabac, entre autres, en Ontario. Les membres de l'association sont principalement des grossistes. Nous achetons chez les fabricants et nous vendons aux détaillants. Certains de nos membres possèdent des magasins et font donc aussi du détail, mais, pour l'essentiel, nous représentons les distributeurs.

Cela étant, nous sommes également ici aujourd'hui, c'est évident, pour représenter nos clients parce que si nous n'avons pas de clients, nous ne resterons pas en affaires très longtemps. Nous regardons donc en quoi ce projet de loi touche nos clients comme il nous touche nous-mêmes.

Le sénateur Milne: Quel est le pourcentage de votre chiffre d'affaires qui est représenté par les produits du tabac par opposition aux produits de confiserie? Je vous demande simplement un chiffre approximatif pour l'ensemble du groupe.

M. Dumulong: En moyenne, le tabac représente 50 p. 100. D'un point de vue historique, de la façon dont l'association s'est constituée, notre spécialité est essentiellement la distribution des produits du tabac et des produits de confiserie. Vous trouverez les mêmes produits en magasin. Il y avait donc en quelque sorte une spécialité, de sorte que les grossistes se sont regroupés sous cette bannière pour défendre leurs intérêts.

Dans les années 50, au lieu d'avoir 10 000 ou 15 000 produits différents distribués, comme c'est le cas actuellement par nos membres, il n'y en avait peut-être que 2 000 ou 3 000. Mais depuis lors, le marché a évolué de telle façon que les distributeurs vendent désormais davantage de produits d'épicerie, de produits de beauté, de services alimentaires, de produits d'hygiène personnelle et ainsi de suite.

M. Tobenstein: Nous sommes essentiellement des compagnies indépendantes, à l'inverse des grosses chaînes. Nous sommes des compagnies indépendantes et, bien souvent, des entreprises à caractère familial. Nous fournissons plutôt les petits magasins, alors que les grosses chaînes fournissent leurs propres magasins, ainsi que les grands magasins. Elles ne s'intéressent en fait pas aux petites boutiques.

Nous fournissons toutes sortes de magasins de détail, mais ce sont surtout les petites boutiques à caractère familial qui s'approvisionnent chez nous.

Le sénateur Milne: Environ 50 p. 100 de votre chiffre d'affaires est donc représenté par des produits du tabac. Si la consommation diminue, c'est la moitié de votre chiffre d'affaires qui en souffre, n'est-ce pas?

M. Tobenstein: C'est exact.

M. Dumulong: C'est le cas depuis 30 ans.

Le sénateur Milne: Vous vous êtes habitués à vous adapter à ce genre de choses?

M. Dumulong: Effectivement, et nous essayons de nous diversifier. C'est cela que nous pouvons faire.

Le sénateur Milne: Vous avez également parlé de primes, et ce n'est qu'aujourd'hui que j'ai pris connaissance de cela. Est-ce que vos membres reçoivent des primes publicitaires?

M. Tobenstein: Non.

Le sénateur Milne: Et les rabais dont vous avez parlé? Encore une fois, c'est la première fois que j'en entends parler.

M. Dumulong: Tous les fournisseurs offrent des rabais, ce n'est pas exclusif aux fabricants de tabac. N'importe quel fournisseur vous offrira un meilleur prix si vous achetez au comptant plutôt qu'en consignation.

Le sénateur Nolin: Lorsque vous parlez de payer comptant, vous ne parlez pas du marché noir?

M. Dumulong: Pas du tout.

Le sénateur Gigantès: Loin de nous cette pensée!

Le sénateur Nolin: Nous voulions simplement vous l'entendre dire.

Le sénateur Milne: Vous avez dit que les fabricants remettaient 60 millions de dollars aux détaillants. Lorsque je discutais avec le dernier groupe de témoins, je les ai entendus dire que pour beaucoup de détaillants, ces primes publicitaires représentaient beaucoup plus d'argent que le bénéfice qu'ils tiraient de la vente proprement dite des produits du tabac. Est-ce là qu'interviennent ces 60 millions de dollars?

M. Dumulong: C'est possible.

M. Tobenstein: Mais il faut qu'ils vendent pour pouvoir toucher cela. S'ils n'ont pas le chiffre d'affaires, les compagnies ne leur donnent rien.

Le sénateur Milne: Quelle est la compagnie qui paie le plus?

M. Crouch: La plus grosse paie le plus selon sa part du marché, mais tout dépend de ce que le détaillant peut obtenir de chaque fabricant. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'une compagnie paie plus qu'une autre.

M. Tobenstein: Toutes les compagnies se disputent une place de choix sur les tablettes.

Le sénateur Milne: Y en a-t-il qui paient plus que d'autres pour cette place de choix?

M. Tobenstein: Elles font signer des contrats. Je n'en sais pas beaucoup moi-même, mais j'imagine qu'il s'agit de contrats pour une durée déterminée. Si Rothmans arrive avant Imperial Tobacco et parvient à faire signer un contrat par le détaillant, ce contrat vaut peut-être pour deux ans ou pour cinq ans.

Le sénateur Milne: De sorte que la compagnie profite d'un auditoire captif.

M. Tobenstein: C'est tout à fait cela. La compagnie mobilise alors l'emplacement de choix sur les tablettes.

M. Crouch: Les fabricants essaient sans cesse d'accroître leur part du marché. Pour le consommateur qui fait un choix, cela donne l'impression que la compagnie a une part du marché plus importante que ce n'est réellement le cas.

Le sénateur Milne: Avez-vous des membres qui obtiennent des conditions spéciales s'ils parviennent à persuader certains de vos détaillants?

M. Tobenstein: Nous n'avons absolument rien à voir avec cela.

M. Dumulong: Effectivement.

Le sénateur Milne: Quel est le pourcentage de vos membres qui possèdent également des magasins de détail?

M. Dumulong: Il y en a environ 15 p. 100 qui sont davantage intégrés.

Le sénateur Milne: Environ 15 p. 100 donc qui font à la fois la distribution et la vente?

M. Crouch: C'est cela. Ils ont également des magasins de détail, en plus de vendre à des magasins indépendants.

M. Dumulong: Nous comptons également des entités plus importantes comme Sobeys.

M. Tobenstein: Sobeys a un service de distribution qui est membre de notre association. Ce service fait exactement ce que nous faisons, quoiqu'il fasse partie d'une grosse compagnie.

Le sénateur Milne: Tout en étant membre de votre association?

M. Tobenstein: Une des divisions de cette compagnie est effectivement membre.

Le sénateur Beaudoin: J'étais présent la semaine passée lorsque nous avons discuté du terme «fournir», mais je voulais simplement rappeler pour mémoire que chacun des termes dont parle le projet de loi et qui y est défini, comme c'est le cas du mot «fournir», doit être interprété par rapport à la fois au français et à l'anglais. La définition du mot «fournir» est très vaste en français.

[Français]

Le sénateur Nolin: Au moins, il essaie d'être bilingue et on doit le féliciter pour cela.

Le sénateur Gigantès: Je n'ai pas de problème avec son français et ce n'est pas le cas avec tous les législateurs de ce pays.

[Traduction]

Le sénateur Beaudoin: Mais cela est une autre question. M. Dumulong a peut-être quelque chose à répondre à cela, mais il n'empêche que la traduction française de «furnish» est très large.

M. Dumulong: Trop large, mais pour quelle raison? Pour commencer, je pense qu'elle devrait être plus précise.

[Français]

Cela comprend tellement d'autres mots à part le mot que l'on comprend comme étant «fournir», on peut donner la définition que l'on veut à «fournir» à l'intérieur de cette définition opérationnelle. Nous croyons que cela peut laisser à interprétation. Nous craignons les avenues que l'on peut trouver à l'extérieur. Elles ne cherchent qu'à asticoter les gens qui font partie du réseau de distribution.

On le voit souvent et on a eu un cas en or avec la surtaxation. Nous n'avons eu aucun impact malgré le fait que nous avions de la contrebande à un niveau élevé, ces gens ont continué à crier à tue-tête qu'il ne fallait pas réduire les taxes. Cela n'a aucun sens. Dans ce sens, ce sont ces excès qui sont dangereux avec tous les éléments de criminalité à l'intérieur du projet de loi.

Le sénateur Beaudoin: Dans le texte on retrouve le mot «give» et en français, «donné à titre gratuit ou onéreux», vous ne pouvez pas vous tromper, c'est vraiment un don.

Le sénateur Gigantès: «Without consideration», c'est la même chose en anglais. Où est la différence entre les deux?

Le sénateur Beaudoin: Un don à titre onéreux ou gratuit. En anglais, c'est «with or without consideration».

Le sénateur Gigantès: Non, «with or without consideration» veut dire la même chose en anglais, en échange de pécule ou non.

Le sénateur Beaudoin: C'est plus vaste en français.

Le sénateur Gigantès: Non absolument pas, c'est la même chose.

Le sénateur Beaudoin: Je suis en désaccord profond.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, occupons-nous des témoins.

Le sénateur Gigantès: J'aurais cru qu'un aussi éminent juriste se serait abstenu de tripoter le libellé d'un texte.

Le sénateur Beaudoin: Je ne tripote rien du tout.

Le sénateur Gigantès: Mais ici, oui. Cela revient au même.

Le sénateur Beaudoin: Mon argument est très simple. Si vous regardez le texte français...

[Français]

«À titre onéreux ou gratuit» et au mot «donné», ma conclusion est qu'en français, le texte est plus considérable qu'en anglais.

[Traduction]

Voilà qui clôt mon argument. On a toujours droit à l'erreur. En l'occurrence, c'est vous qui êtes dans l'erreur.

[Français]

Le sénateur Nolin: Pour rendre votre proposition très claire, vous nous proposez d'amender le texte de l'article 8 et d'ajouter à la fin de l'article, du paragraphe 1 de l'article 8. Pour préciser l'intention du législateur, afin que cela soit très clair dans l'esprit de tout le monde que nous ne visons pas un de vos employés ou un des employés de vos membres, vous nous suggérez et vous le dites à la page neuf de votre document que l'on ajoute les mots: «à moins que le jeune ne soit employé d'un distributeur ou d'un détaillant», et que ce n'est pas pour consommation personnelle. Je comprends bien votre point. Ce que vous voulez, c'est que l'on éclaircisse le mot «donné», à savoir que cela n'inclut pas un de vos employés en autant que ce n'est pas pour sa consommation personnelle. C'est ce que vous voulez?

M. Dumulong: Tout à fait, c'est ce que l'on veut uniquement. Un point d'éclaircissement, lors de la présentation de ce projet de loi, j'ai reçu copie de ce projet de loi le jeudi. Tout de suite, immédiatement après, le jeudi après-midi, j'ai appelé le gouvernement pour que l'on puisse se faire entendre devant le comité permanent de la Santé. Le vendredi après-midi, on me rappelle et je n'ai pas eu le temps de laisser les documents à personne ou à nos avocats. Le vendredi après-midi, on nous appelle pour nous dire que l'on était attendu le lundi à 13 heures. Comment voulez-vous que l'on donne quelque chose de substantiel ou de positif?

Le sénateur Nolin: C'est pour cela que le Sénat existe.

M. Dumulong: Merci de votre présence.

Le sénateur Nolin: C'est pour rattraper les petites erreurs. Le processus législatif étant ce qu'il est, cela nous fait plaisir de vous entendre et de vous donner tout le temps nécessaire pour exprimer vos préoccupations.

Vous avez participé à l'opération carte d'identité. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez participé parce que certains de vos membres sont des détaillants. Comment cela a-t-il fonctionné auprès de vos membres?

M. Dumulong: Suite aux rencontres qui ont été tenues et avec les autres de la coalition qui regroupent tout le monde qui s'occupe du commerce du détail au Canada, nous nous sommes mis d'accord avec l'action à entreprendre. Nous avons fait imprimer toute la documentation. Il fallait quand même la distribuer. Comme je me souviens, cette documentation avait été présentée et elle était assez volumineuse. Comme nos membres desservent environ 43 000 détaillants au Canada, nous avons un niveau de pénétration dans le marché tout à fait extraordinaire. Étant donné que nos membres visitent leurs clients qui sont les détaillants sur une base quotidienne, presque journalière dans certain cas, c'était plus facile pour nous de faire passer le programme via nos distributeurs.

Nous envoyions des quantités X chez chaque distributeur qui eux ajoutaient cette documentation à leurs détaillants à chaque livraison qu'ils effectuaient chez leurs détaillants. C'est comme cela que nous avons réussi à disséminer assez rapidement et assez efficacement le projet carte d'identité. Les vendeurs de nos distributeurs ont des contacts un peu plus réguliers avec les détaillants.

Il y a même une relation de confiance entre les deux. Quand on voit toujours les mêmes personnes, toute les semaines ou deux fois la semaine, on se dit bonjour, comment allez-vous et tout cela. On était à même de donner l'information et de faire une présentation assez intégrale de la façon que ce programme devait être mis sur pied au niveau d'expliquer aux détaillants mais aussi au personnel qui travaille chez le détaillant comment se comporter, ce qu'il devait faire, quelle était la meilleure façon d'adopter une politique face à la vente des produits du tabac quand les mineurs se présentaient au magasin et de bien faire comprendre au personnel que les enjeux étaient sérieux, que ce ne serait pas toléré si des gens vendaient à des mineurs de toute évidence. À cet effet, nous avons accompli quelque chose de bien.

Je me souviens avoir vu sur Internet un communiqué de presse émis par le ministre de la Santé, M. Dingwall, à l'effet qu'il se disait, mon Dieu, pas soulagé et pas surpris, mais satisfait du niveau d'augmentation du respect de la loi que l'on retrouvait maintenant chez les détaillants quand l'on parle de la vente de produits de tabac aux mineurs. On est passé de 47 p. 100 à 63 p. 100. Cela ne fait pas longtemps que l'on a mis le projet en branle. Ces chiffres vont continuer d'augmenter de façon efficace et significative. Il ne faut pas se leurrer cependant. Cela sera difficile d'atteindre 100 p. 100. Nous allons tendre vers 100 p. 100, je peux vous l'assurer.

Le sénateur Gigantès:. Vous me dites, si je comprends bien, que vous avez tenu des sessions avec vos clients détaillants et avec leur personnel pour leur expliquer l'importance de ne pas vendre aux mineurs. C'est cela que vous me dites.

M. Dumulong: Nous n'avons pas eu de session avec le client et le personnel. Il y en a beaucoup. Je parle de mes membres qui ont 3 000 clients qu'ils doivent desservir par semaine. C'est quand même un nombre considérable de visites à faire. Il y a le personnel pour appuyer cela, bien entendu. Les gens ont été contactés de façon directe par les représentants des distributeurs pour s'assurer que ce programme ne soit pas mis dans la filière 13, comme on dit communément ou passé à la poubelle.

À partir de ce moment, une explication a été faite sur le programme et le pourquoi du programme et les raisons pourquoi tout le monde devrait joindre l'effort à ce programme.

Il ne faut pas oublier, quand même, que ce programme a été mis au point par les associations de distributeurs, de détaillants et même les manufacturiers, bien entendu, comme vous le savez.

C'est un programme qui vient du réseau de distribution. C'est notre programme à nous. C'est nous qui prenons nos responsabilités. Nous savons avoir des responsabilités face à la distribution des produits comme le tabac. Nous prenons nos responsabilités. Nous avons créé ce programme qui est tout à fait très intégral ou très systématique dans sa façon d'approcher tous les différents aspects de la vente des produits du tabac au détail, de la façon que cela se pose au niveau d'une rencontre entre un détaillant et un client qui n'a pas l'âge, en passant par l'établissement d'une politique de vente, par la visibilité des articles qui font la promotion de la loi?

Il y a même des panneaux de plastique collés, sur lesquels un logo est très visible.

[Traduction]

La présidente: Si vous me permettez, monsieur Dumulong, nous en avons des exemplaires dans les deux langues. Comme je le disais la semaine passée, nous allons en envoyer copie aux sénateurs qui le désirent, dans la langue de leur choix, directement à leur bureau.

[Français]

Le sénateur Nolin: M. Dumulong, en réponse à une question d'un collègue, vous avez fait allusion à des rabais consentis en échange d'un paiement effectué au comptant par un de vos membres. Je voudrais que vous m'expliquiez l'annexe 1 de votre mémoire. En terme de pourcentage, comment cela fonctionne-t-il? S'agit-il d'un rabais de 2 p. 100, 3 p. 100 ou 5 p. 100?

M. Dumulong: Je crois qu'il s'agit de deux et demi pour cent.

Le sénateur Nolin: Alors, deux et demi pour cent de la valeur de la facture, cela représente beaucoup d'argent?

M. Dumulong: Énormément d'argent.

Le sénateur Nolin: J'ai été absent pour une partie de votre présentation. Avez-vous expliqué l'annexe 1?

M. Dumulong: Non, je ne l'ai pas expliquée.

Le sénateur Nolin: J'aimerais que vous m'expliquiez l'annexe 1 de votre mémoire.

[Traduction]

Cela représente 2,5 p. 100 de la facture. Si le paiement se fait sur livraison, j'ai cru comprendre qu'ils recevaient automatiquement un rabais de 2,5 p. 100.

M. Tobenstein: Nous obtenons un rabais de 2,5 p. 100 des fabricants. Dans certains cas, nous devons payer la facture dans les 12 ou 14 jours. Si vous ne prenez pas le rabais, je ne pense pas que vous puissiez obtenir votre prochaine commande. Tout cela fait partie du système. Personne ne paie à tempérament. Tout est pris en compte dans le prix. Dans notre secteur, où la concurrence est très vive, ces 2,5 p. 100 représentent parfois plus que votre marge bénéficiaire brute à la vente.

Le sénateur Nolin: C'est exactement ce que j'essayais de faire valoir auprès de M. Dumulong.

M. Tobenstein: Sans ces 2,5 p. 100, vous n'aurez pas votre prochaine commande parce que tout cela est automatique et fait partie du prix.

M. Crouch: C'est la même chose avec les autres fournisseurs. Il est évident que cette loi ne concerne que le tabac, mais il n'en reste pas moins que nos autres fournisseurs nous accordent un escompte si nous payons la facture avant l'échéance. C'est chose courante dans notre secteur.

Le sénateur Milne: Je pense que ces messieurs m'ont dit qu'ils ne touchaient pas de rabais.

M. Tobenstein: Mais nous parlons ici des modalités de paiement.

M. Crouch: Il s'agit d'un rabais qui nous est accordé si nous payons notre facture avant l'échéance.

Le sénateur Milne: Vous touchez donc des rabais?

M. Crouch: Nous n'appellerions pas cela un rabais. Si j'ai utilisé ce terme, je me trompais.

Le sénateur Milne: Je vois.

Le sénateur Nolin: Même si vous n'appelez pas cela un rabais, il n'empêche que vous nous avez recommandé de modifier l'article 29 qui dit ceci:

Il est interdit au fabricant et au détaillant

a) d'offrir ou de donner, directement ou indirectement, une contrepartie pour l'achat d'un produit du tabac, notamment un cadeau à l'acheteur ou à un tiers, une prime, un rabais ou le droit de participer à un tirage, à une loterie ou à un concours;

Pour vous, ce n'est peut-être pas un rabais, mais cela correspond néanmoins à la description, non?

M. Dumulong: C'est exact. Nous considérons que les rabais et autres offres de ce genre devraient s'appliquer au niveau du consommateur et non pas à celui du distributeur. Le gouvernement n'a pas le droit de légiférer à ce niveau tant et aussi longtemps que nous ne poussons pas les gens à fumer. Il s'agit d'un projet de loi contre le tabagisme. Pourquoi le gouvernement voudrait-il intervenir à ce niveau? Ce genre de choses se passe dans bien d'autres secteurs.

Pourquoi le gouvernement voudrait-il intervenir au niveau des grossistes parce qu'ils profitent d'un rabais de 2,5 p. 100 lorsqu'ils paient dans les 10 jours? Nous ne voyons pas pourquoi le gouvernement voudrait empêcher les distributeurs de profiter de ce genre de choses. En quoi cela a-t-il à voir avec la question du tabagisme? Cela n'a rien à voir du tout. Pourquoi donc cette disposition?

[Français]

Le sénateur Nolin: M. Dumulong, pouvons-nous retourner à l'annexe 1? M. Tobentein vient de nous informer que le rabais est inclus dans le prix du carton de cigarettes.

M. Dumulong: Oui, oui.

Le sénateur Nolin: Si nous examinons l'annexe 1, le prix minimum de 16,67$ ou le prix maximum de 20,47$ incluent ce rabais?

M. Dumulong: Ce qu'il faut comprendre avec ces chiffres...

Le sénateur Nolin: Plutôt que de vous poser plusieurs questions, pouvez-vous nous faire la démonstration de comment, à partir de ce document, ce modèle économique, nous en arrivons à la conclusion qu'il y aura perte d'emplois? Est-ce cela votre point?

M. Dumulong: En fait, nous voulons soulever deux choses. L'an passé, nos membres ont distribué la moitié de toutes les cigarettes vendues au Canada. 231 millions de cartouches de cigarettes ont été distribuées par les membres NATCD, il s'agit donc de la moitié du marché.

Le sénateur Nolin: Dites-nous donc cela en anglais. Cela va aller mieux.

[Traduction]

L'an dernier, nos membres ont assuré la distribution pour la moitié du marché du tabac au Canada, ce qui représente approximativement 46 milliards de cigarettes ou 231 millions de cartouches de 200 cigarettes.

Le sénateur Moore: Qui a distribué le reste?

M. Dumulong: Nous avons parlé des grossistes et des détaillants en tant que tels, mais il s'agit pour le reste des chaînes de magasins d'épicerie, des pharmacies, et ainsi de suite.

Le sénateur Moore: Fort bien.

M. Dumulong: La moitié environ du chiffre d'affaires concerne les magasins de détail indépendants, c'est-à-dire les petites boutiques familiales. Ce sont eux qui risquent de perdre beaucoup à cause du projet de loi.

Aux lignes 7 et 8, je parlais du prix de vente brut repère. Je n'ai pu donner qu'une moyenne parce que je n'ai pas eu le temps d'engager des comptables pour calculer un chiffre précis étant donné que le prix varie d'une province à l'autre. Ce sont donc des chiffres approximatifs, mais ils vous donnent néanmoins une bonne idée de ce qui est en jeu ici pour nos membres.

Le prix de détail moyen qui figure à la ligne 12 est de 24 $. Nous savons qu'en Colombie-Britannique et à Terre-Neuve, il est beaucoup plus élevé que cela. À Terre-Neuve, le prix de détail moyen est de 58 $ la cartouche et, en Colombie-Britannique, de 50 $ la cartouche.

L'Ontario représente environ 40 p. 100 du marché et le Québec entre 28 et 29 p. 100. Toutefois, le gros du marché se trouve quand même dans le centre du pays et la moyenne est de 24 $ et 24 $. Cela représente la moitié du chiffre d'affaires des grossistes et l'on distribue pour 5,6 milliards de dollars de produits. Toutefois, à la ligne 18, nous voyons que le bénéfice net est de 1 p. 100. La ligne 16 représente 1 p. 100 de la ligne 13 parce que la marge bénéficiaire des grossistes pour les produits du tabac est de 1 p. 100. Ils ne touchent qu'un pour cent sur la cartouche de cigarettes. Ce n'est pas beaucoup.

Le sénateur Nolin: Quand vous dites 1 p. 100, c'est sur le prix de vente de 24 $?

M. Dumulong: Oui.

Le sénateur Nolin: Ils font donc 24 cents de bénéfice sur 24 $?

M. Dumulong: Approximativement, oui. Certains des membres de mon association dans la région de Toronto touchent 7 cents la cartouche mais ils doivent assurer la livraison, offrir des notes de crédit, accepter les rendus, et cetera.

Le sénateur Moore: Est-ce que l'incitatif de 2,5 p. 100 est inclus?

M. Crouch: Oui.

Le sénateur Nolin: En sus?

M. Crouch: Non, ce montant inclut les 2,5 p. 100.

M. Dumulong: Oui, c'est inclus.

M. Tobenstein: Les remises dont on peut bénéficier pour paiement rapide, par exemple, que nous incluons dans notre prix, ne profitent pas aux consommateurs. C'est l'usage dans notre secteur. Je ne vois pas pourquoi il faudrait modifier cela, ou ce que ce changement va apporter. C'est cela l'important. Ça n'incite pas les gens à fumer ou à acheter plus de cigarettes. Ce n'est que la pratique dans notre secteur.

Le sénateur Nolin: Ce n'est pas tout ce que vous dites dans votre exposé. Il n'est pas uniquement question de bénéfices, mais aussi d'emplois qui vont disparaître.

M. Dumulong: Oui, exactement.

Le sénateur Nolin: Vous en dites plus.

[Français]

L'intention de votre document, c'est de nous démontrer que par une série de mesures qui nous semblent très anodines, il en résultera des pertes d'emplois au Canada. Je voudrais que vous nous expliquiez cela.

M. Dumulong: Il va y avoir plusieurs pertes d'emplois au Canada. Nous avons mentionné plus tôt que 35 à 40 p. 100 des ventes totales de certains détaillants étaient de la vente de produits du tabac, il y en a d'autres où c'est 65, 70 p. 100. Ce sont les plus petits détaillants qui vont souffrir davantage s'ils recevaient une visibilité accrue des produits du tabac dans leur dépanneur ou dans leur commerce et que cela disparaît.

[Traduction]

Par exemple, si le détaillant dépasse à peine le seuil de rentabilité et si on lui enlève cet argent, il va faire faillite. S'il fait faillite, tous les vendeurs devront éponger les créances irrécouvrables, de l'ordre de 20 000 $ en moyenne. S'il y a 50 détaillants pour chaque grossiste qui fait faillite, vous pouvez vous imaginer les conséquences que cela aura pour eux. Cela fait rapidement boule de neige. Et en quoi cela influe-t-il sur la décision de fumer? Nous ignorons la réponse à cette question. Voilà la difficulté.

Je me souviens d'une conversation que j'ai eue avec un fonctionnaire de Santé Canada après avoir lu le projet de loi pour la première fois, le jour dont j'ai parlé tout à l'heure. Je lui ai dit: «Écoutez, regardez ce projet de loi. Ça va créer beaucoup de chômage dans le commerce de détail et du gros. Vous savez qui va écoper? Encore une fois, ce sera la petite entreprise familiale indépendante.» Vous savez ce qu'il m'a répondu?

Le sénateur Nolin: Dites-le-nous.

M. Dumulong: «Nous le savons.» «Quoi?», je lui dis. Il me répond: «Oui, nous le savons». «Vous savez que les plus durement touchés seront les entreprises indépendantes». «Oui, nous le savons». Alors je lui ai demandé: «Et vous pouvez tolérer ça?» Il me répond: «Oui».

Le sénateur Milne: Il a bien dit: «Tolérer».

M. Dumulong: Allez dire ça à ceux qui vont perdre l'entreprise que la famille fait marcher depuis des générations.

Le sénateur Milne: Ou qui y ont passé leur vie.

M. Dumulong: Qui va s'occuper de ces gens-là?

Le sénateur Gigantès: Qui va s'occuper de ceux qui meurent du cancer au coût de 3,5 milliards de dollars?

M. Dumulong: Personne n'est obligé de fumer. C'est leur décision.

La présidente: Nous avons une demi-heure de retard, chers collègues. Vos interventions pourraient-elles être plus courtes?

M. Crouch: À notre avis, le projet de loi n'a rien à voir avec l'adoption du tabagisme. Examinez la situation des pays où ce genre de loi a été adoptée, et vous verrez que cela semble n'avoir eu aucun effet sur le nombre de ceux qui se mettent à fumer. Ce n'est pas cela que nous contestons. Nous trouvons cependant que cela nous impose quantité de règlements, à nous distributeurs-grossistes et à nos petits clients indépendants qui n'ont pas vraiment les moyens financiers de s'adapter à cette réglementation, contrairement aux clients nationaux, aux grosses boîtes, faute de meilleur terme, comme le Club Price. Nous allons nous retrouver avec une montagne de règlements qui ne serviront à rien. C'est ce que nous pensons. Si cela faisait renoncer les gens au tabac et corriger les problèmes de santé, nous serions peut-être d'un autre avis, mais ce n'est pas le cas. Notre association voudrait que les sénateurs examinent ce qui s'est passé dans les pays où une loi de ce genre a été votée. D'après le peu que j'ai lu -- et je n'ai pas lu grand-chose, je le reconnais -- cela a eu très peu d'effet, voire pas du tout, sur l'adoption du tabagisme. Cela ne règle pas vraiment le problème. Vous ne faites que tripoter la réglementation en périphérie.

Je viens de l'Ontario -- mais je suis certain que c'est la même chose dans les autres provinces -- et ces dernières années, j'ai vu les petits détaillants se ressentir de l'ouverture des magasins le dimanche. Ils ont dû faire concurrence aux grands magasins d'alimentation. Ils ont subi les effets des bas prix pratiqués par les compagnies comme le Club Price. L'épicerie du coin est en train de disparaître. C'est un autre coup dur pour elle. Je ne pense pas que le gouvernement veuille s'en prendre à ces magasins, mais c'est ce qui va arriver, et pour rien. Parce que pour moi, cela n'apporte rien. Les enfants se mettent à fumer à cause de l'effet d'entraînement de leurs copains, non pas parce qu'il y a un présentoir de cigarettes dans l'épicerie du quartier. De toute façon, il n'y a plus de grands présentoirs de cigarettes dans les dépanneurs.

M. Tobenstein: Dans le poste d'essence Esso où je vais, il y a un petit kiosque à l'entrée. Il y a des cigarettes, des friandises, et cetera. Un jour, après avoir fait le plein, j'ai demandé à la jeune préposée qui devait avoir à peu près 18 ans si je pouvais lui poser quelques questions. «Bien sûr», qu'elle me dit. Je lui ai demandé ce qu'elle pensait des étalages publicitaires dans le magasin, si à son avis cela amenait les jeunes à fumer. Elle m'a répondu que non. Elle m'a dit qu'à son avis, le vrai problème ce sont les parents qui achètent des cigarettes pour leurs enfants. Je lui ai répondu qu'il y avait toutes ces cigarettes dans le magasin et elle m'a dit: «Écoutez, je travaille ici toute la journée. Je ne fume pas parce que je fais beaucoup de sport et je sais que c'est mauvais pour la santé. Alors je ne fume pas. Je passe toute la journée ici devant les cigarettes et ça ne me donne pas envie de fumer.» J'ai trouvé ça très louable de sa part.

C'est mon sentiment. Je ne fume pas non plus. Je suis entouré de cigarettes toute la journée. Si je vais dans un magasin, je ne vais pas en acheter parce que l'emballage est agréable à regarder. Je ne bois pas non plus. Je ne vais pas acheter une caisse de bière. Je pense que l'on décide d'acheter un produit avant d'entrer au magasin, pas sur place. Tout ce qui peut arriver à l'intérieur, c'est que vous changiez d'avis et que vous achetiez un paquet de Rothman's plutôt qu'un paquet de du Maurier parce que vous avez vu une affiche quelque part, mais je ne pense pas que cela vous incite à commencer à fumer.

Le sénateur Milne: Je vous recommande de lire le compte rendu des témoignages précédents.

La présidente: Comme vous le savez, nous avons entendu une grande diversité de points de vue. Soyez certains que nous accorderons à votre témoignage la même attention que nous avons accordée aux précédents. Je vous remercie d'être venus et de nous avoir présenté vos arguments.

M. Dumulong: Merci.

M. Tobenstein: Merci.

Le président: Nous entendrons maintenant l'Association ontarienne des entrepreneurs coréens, représentée par M. Joseph Chung. Soyez le bienvenu, monsieur Chung. Veuillez commencer votre exposé.

M. Joseph Chung, directeur des services aux membres, Association ontarienne des entrepreneurs coréens: Mesdames et messieurs les sénateurs, je voudrais d'abord réclamer votre indulgence car c'est la première fois que je comparais devant un comité comme le vôtre.

Je vous remercie de m'avoir invité pour présenter le témoignage des détaillants coréens à propos de ce projet de loi. J'aimerais d'abord vous décrire notre association.

L'OKBA est une association de service à but non lucratif fondée en 1973 et regroupant à l'origine une poignée de points de vente au détail et qui, près d'un quart de siècle plus tard, rassemble plus de 2 500 magasins de détail. De ce nombre, 1 900 environ sont des dépanneurs ou de petites épiceries. Cela représente 10 p. 100 au moins de tous les dépanneurs, ainsi que plusieurs fois toutes les chaînes de magasins réunies.

Le mandat de l'association est de protéger les intérêts commerciaux des membres en centralisant les achats et en effectuant des démarches auprès des autorités et d'autres organisations. Le chiffre de vente annuel des magasins de l'association s'établit à environ 600 millions de dollars. Soixante pour cent de ce montant procède directement des ventes des produits du tabac. Vous avez peut-être déjà entendu le chiffre de 40 p. 100, mais nos détaillants sont plus petits et dépendent davantage des ventes du tabac. Si le projet de loi C-71 est adopté sous sa forme actuelle, nos détaillants connaîtront des difficultés financières exceptionnelles.

Le ministre de la Santé a répété à plusieurs reprises que le projet de loi C-71 est un texte sur la santé. L'une des missions du ministère de la Santé est de protéger les jeunes contre les incitations à la consommation du tabac et de limiter l'accès à ces produits. Nous n'avons rien à redire contre cette mission, à preuve l'appui sans réserve que nous accordons à Opération identification. Quelque 90 p. 100 de nos membres appuient ce programme. Sous peu, la proportion passera à 100 p. 100.

Nous ne contestons pas le fait que le gouvernement veuille protéger la santé des citoyens. Nous appuyons sans réserve les dispositions du texte destinées à interdire la vente de produits du tabac aux mineurs et à imposer des peines sévères en cas d'infraction.

Non, les préoccupations du l'OKBA portent sur les dispositions suivantes du projet de loi. La première concerne les employés de moins de 20 ans. Aux termes du texte, il est interdit de fournir des produits du tabac à un jeune. Selon notre interprétation, ça signifie que le détaillant ne pourra pas embaucher des jeunes de moins de 20 ans puisqu'il est illégal pour un jeune de vendre des produits du tabac. Le ministre de la Santé nous a assurés que cette disposition ne doit pas être interprétée de la sorte. Le bulletin d'information du ministère publié en février de cette année déclare que les jeunes auront le droit de vendre des produits du tabac. Si c'est bien le sens du projet de loi, la logique commande de modifier le texte pour éclaircir ce point de manière à ce qu'il n'y ait aucun risque d'interprétation fautive. Sans autre précision, un ministre de la Santé ou un gouvernement futur pourrait dénaturer le sens de la loi. C'est pourquoi nous estimons que le texte devrait être précisé sur ce point.

La deuxième question qui nous préoccupe est celle des restrictions imposées à l'étalage. En vertu des nouvelles règles, un seul paquet par marque de produit du tabac pourra être mis en étalage. Cela obligera le détaillant à faire d'énormes dépenses pour modifier son aire de stockage et ses stocks. Ici encore, le ministre de la Santé nous a assurés qu'il ne serait pas possible dans la pratique de limiter l'étalage des produits du tabac à un seul paquet par marque. Toutefois, le même bulletin d'information publié par Santé Canada affirme ceci:

Cela ne signifie pas, cependant, que les détaillants seront implicitement autorisés à conserver ces pratiques d'étalage [...]

En l'absence de règlements, il est encore très possible que soient imposées des restrictions paralysantes aux étalages. À nouveau, le texte devrait être modifié pour préciser l'esprit de la loi de manière à éviter toute interprétation erronée.

Notre troisième sujet de préoccupation porte sur la perquisition et la saisie arbitraires. L'application de cette loi porte atteinte aux libertés garanties par la Charte des droits et libertés. En effet, elle autorise les perquisitions arbitraires et la saisie sans mandat. Le texte doit être modifié pour protéger ces droits naturels.

Le quatrième sujet de préoccupation de l'OKBA est le tarif de location de l'espace publicitaire. La publicité interne et certains étalages sont interdits. En tout, les détaillants reçoivent environ 60 millions de dollars par année des fabricants de produits du tabac. Les membres de notre association en reçoivent environ 8 millions de dollars. Les dépanneurs indépendants comme les nôtres sont essentiellement des entreprises familiales montées par des bâtisseurs qui y ont consacré toute leur vie. Ces entreprises ont besoin de cet argent pour survivre. Leur enlever ces tarifs de location leur causeront des difficultés financières très graves qui obligeront beaucoup d'entre eux à fermer boutique. C'est une erreur pour l'État d'empêcher le commerçant de recevoir de l'argent parce qu'il vend un produit légal. C'est fouler aux pieds l'esprit de la petite entreprise.

L'État devrait pouvoir justifier comment le fait d'empêcher le versement d'un paiement pour l'étalage d'un produit du tabac protégera les jeunes contre les incitations à fumer. Le tabac est légal. C'est la vente aux mineurs qui est illégale. Pour nous, il n'existe aucune justification à cela. Il faudrait donc modifier le texte pour supprimer cette disposition punitive.

De plus, le texte ne prévoit aucune période de transition pour le détaillant. En effet, il entrera en vigueur dès son adoption et pourra donc faire l'objet de mesures d'application. Le détaillant a besoin de temps pour apporter les changements nécessaires dans son commerce.

Nous croyons que l'esprit de ce projet de loi peut être préservé sans créer de difficultés financières exagérées pour les commerces indépendants à condition de travailler ensemble. Ce n'est pas en détruisant la petite entreprise que l'État remplira l'objet du projet de loi.

Je rappellerai en terminant que les membres de l'OKBA sont en majorité des immigrants d'origine coréenne de première génération. L'anglais n'est pas leur première langue. Il est donc difficile pour eux de comprendre les textes, même s'ils sont clairs, et encore moins lorsqu'ils sont ambigus. Nous ne sommes pas des experts en rédaction juridique, et il nous semble qu'on s'y perd dans ce texte. Nous voulons poursuivre notre activité commerciale légale. Grâce aux amendements que nous proposons, nous croyons que c'est chose possible.

Nous implorons le Sénat de nous aider à créer un texte qui protégera véritablement la santé de tous les citoyens sans obliger les détaillants à pratiquer leur commerce sous des restrictions inutiles. Nous vous promettons notre appui sans réserve en faveur d'un texte de loi qui nous le permettra.

La présidente: Merci, monsieur Chung. Il s'agit peut-être de votre première comparution devant le Parlement, mais si tous les témoins étaient aussi clairs et directs que vous, je peux vous assurer que nous tirerions encore plus de plaisir à entendre les exposés.

Le sénateur Beaudoin: J'aimerais poser une question à propos des dispositions relatives à la perquisition dans le projet de loi. Vous dites que cela va à l'encontre de la Charte des droits et libertés. Pourriez-vous étayer votre affirmation?

M. Chung: Du peu que je sais de la loi, le texte autorisera les inspecteurs à faire des visites du moment qu'ils soupçonneront qu'il y a infraction. Ils pourront saisir la marchandise sans questions. Il reviendra au détaillant de faire une demande pour récupérer son bien, sans qu'il y ait eu audience ou procès pour déterminer si le détaillant a effectivement violé la loi. Il me semble que le détaillant n'a pas le moindre choix. L'inspecteur peut arbitrairement faire tout ce qu'il veut dans la boutique.

Le sénateur Beaudoin: Il y a évidemment dans la Charte un critère: la décision doit être fondée sur des motifs raisonnables. Notre société repose sur les deux principes de la liberté et de la démocratie. Selon vous, le droit d'inspecter et de perquisitionner à l'article 8, est inadmissible dans une société libre et démocratique. Premièrement, il y a le droit de procéder à une inspection. Ce n'est pas forcément le droit de saisir la marchandise.

M. Chung: Les inspecteurs peuvent intervenir sans avoir d'information solide ou de preuve. Pour entrer, ils n'ont qu'à croire qu'on a contrevenu à la loi. Sans mandat, peuvent-ils opérer une perquisition et une saisie? Je ne suis pas d'accord. S'ils ont assez de preuves, ils devraient pouvoir obtenir un mandat. Avec le libellé actuel du projet de loi, les détaillants n'auront absolument aucun choix en la matière.

À l'heure actuelle, pour ce qui est des agents chargés d'exécuter la loi et de la vente des produits du tabac aux mineurs, nous pensons qu'on ne porte pas suffisamment attention aux intérêts des détaillants. Ces agents peuvent intervenir parce qu'ils pensent qu'on a contrevenu à la loi et agir en conséquence. Si cette loi leur permet de faire des perquisitions et de saisir des choses sans mandat, on va tout simplement beaucoup trop loin.

Le sénateur Milne: Je vous rappelle à titre d'information, monsieur, que plusieurs lois du Parlement permettent à des inspecteurs d'intervenir dans certains lieux. J'aimerais vous citer un passage de la Loi portant réglementation des engrais, que doit respecter tout fermier, et qui dit:

[...] l'inspecteur peut, à toute heure convenable

a. pénétrer dans tout lieu où il croit, pour des motifs raisonnables, que se trouve un article visé par la présente loi;

b. ouvrir tout emballage qui s'y trouve...

c. examiner l'article et en prélever des échantillons.

Ce n'est pas une disposition qui tombe du ciel. On la retrouve fréquemment en droit canadien. Les fermiers se prêtent à cela tout le temps, tout comme les pêcheurs. Il ne s'agit pas d'un droit du gouvernement ou d'un inspecteur auquel on a recours à la légère. Si l'inspecteur croit qu'une activité criminelle quelconque a lieu, il doit alors avoir un mandat. Ce n'est qu'une question de clarification.

Le sénateur Nolin: Dans votre mémoire, vous mentionnez des restrictions à l'exposition, à l'article 33. Pouvez-vous nous dire quel amendement vous souhaitez au projet de loi?

M. Chung: Nous aimerions qu'on ajoute au projet de loi une disposition indiquant que le détaillant ne devra payer que des frais minimes. Même si la restriction ne s'appliquait qu'à deux paquets, les détaillants seraient quand même obligés de modifier tout leur étalage.

Le sénateur Nolin: Où voyez-vous dans le projet de loi une restriction à un seul paquet?

La présidente: Il s'agit en fait d'une possibilité. On ne dit pas cela expressément. L'alinéa 33f) dit ceci:

régir l'exposition des produits du tabac et des accessoires dans les établissements de vente au détail

M. Chung: C'est exact. On ne dit jamais «un». Il s'agit d'un potentiel. Même si l'on dit «cinq» ou «six», il y a quand même restriction à l'exposition. Cela nous préoccupe.

Le sénateur Nolin: Vous mentionnez un document d'information de Santé Canada. L'avez-vous devant vous?

M. Chung: Je l'ai annexé au mémoire.

Le sénateur Nolin: Oui, mais je veux que vous vous y reportiez.

M. Chung: J'en ai un exemplaire.

Le sénateur Nolin: On trouve la phrase suivante au second paragraphe, «au cours des consultations avec les détaillants au sujet de l'ébauche».

Avez-vous été consultés?

M. Chung: Non, nous n'avons pas du tout été consultés. On ne nous a pas entendus. J'ai l'impression que tout le monde a été entendu sauf nous.

La présidente: Merci, monsieur Chung. Comme je l'ai dit au début, votre exposé était très clair, et nous vous remercions d'être venu cet après-midi.

Notre dernier témoin cet après-midi est le docteur Brian Smith du département de psychologie de l'Université Concordia. Bienvenue, docteur Smith. Nous vous écoutons.

M. Brian Smith, département de psychologie, Université Concordia: Ayant écouté le témoin qui m'a précédé, je crains de ne pouvoir être aussi concis que lui, mais je ferai de mon mieux.

Je vous remercie de m'avoir invité à vous parler aujourd'hui des questions relatives à la tabacomanie et à l'initiation au tabac. C'est un domaine que je connais assez bien.

Je suis psychologue clinicien et je pratique dans la région de Montréal. J'y travaille depuis dix ans. Le gros de ma pratique se compose d'adolescents qui doivent vivre avec une foule de difficultés -- problèmes de motivation, toxicomanie et alcoolisme. Le tabac est l'un des nombreux produits que ces jeunes consomment. D'un autre côté, je dispose aussi d'une certaine expérience universitaire, ayant été quelque temps professeur agrégé auxiliaire à l'Université Concordia où je faisais des recherches fondamentales sur des questions relatives à l'initiation à l'alcool et à la drogue. Je peux donc apporter à ces questions des connaissances spéciales rattachées à la science fondamentale. Je ne suis pas seulement un habitant de la fameuse tour d'ivoire, il m'arrive aussi de descendre dans les tranchées et de me salir les mains.

Cela dit, je ne crois pas qu'il y ait quoi que ce soit de nouveau dans ce que j'ai à dire. Vous avez entendu plusieurs personnes qui vous ont présenté des faits et des informations relatives à l'initiation au tabac. Vous avez entendu les tenants et les opposants. Je pense qu'on a parlé de chapeaux blancs et de chapeaux noirs. Il me plaît de penser que le mien est un pâle très gris, que ma position se situe sans aucun doute dans le milieu, mais je vous laisse seul juge de sa couleur.

Vous avez entendu parler de divers éléments qui amènent une personne à commencer à fumer. Vous avez entendu parler de la pression de l'entourage, quoique je préfère personnellement l'expression «affiliation à l'entourage». On vous a parlé de ces gens qui sont enclins à se rebeller et de ces personnes en quête d'identité. On vous a aussi parlé de publicité. Dans ma perspective à moi, les faits pouvant prouver que la publicité, dont on dit qu'elle favorise l'initiation au tabac, sont bien ténus.

Vous avez entendu un exposé plus tôt. Il me déplaît d'en parler parce que ces gens-là ne seront pas en mesure d'engager le débat avec moi, mais c'est l'un des avantages qu'il y a à parler le dernier. Quand on considère l'ensemble des faits, on voit que l'essentiel de ceux-ci portent sur la question de savoir si les jeunes sont conscients de la publicité. Est-ce qu'ils savent que la publicité existe? Ont-ils de l'information sur les produits qu'ils consomment? Autrement dit, est-ce qu'ils sont au courant des classes de produits? Ce sont les termes qu'on a employés la semaine dernière. La réponse à cette question est très nette, oui, les jeunes ont ces informations. Non seulement ils ont ces informations, ils les connaissent, ils peuvent même les réciter assez spontanément, et ils acquièrent ces informations à un âge relativement jeune.

Cependant, c'est vrai des non-fumeurs aussi. Chez les personnes qui sont au courant, les taux dépassent les 80 p. 100, comme on l'a dit plus tôt. Mais les fumeurs sont loin de représenter 80 p. 100 de la population. Il n'existe aucun fait -- du moins pour l'instant -- qui démontre qu'il y a des liens entre la connaissance de la publicité, sa présence et les informations qu'elle contient relativement à l'initiation au tabac. Plusieurs études ont tenté de démontrer qu'il y avait des liens entre une personne ou un groupe qui a un certain niveau de connaissances et le fait que ces gens soient fumeurs ou non. Le gros des études que vous allez voir sont appelées transversales.

Des études transversales, c'est essentiellement ça. Vous prenez un échantillon dans un groupe de personnes. Leur âge peut varier, mais vous prenez un échantillon. Lorsque vous considérez cet échantillon, vous tenez compte de deux variables simultanément, et vous tâchez de voir s'il y a un rapport entre les deux. Le problème, c'est que les études transversales ne font jamais état de la directionalité. On ne vous dit jamais si l'exposition à la publicité a commencé en premier et si elle a ensuite favorisé l'initiation au tabac, ou si les personnes qui songent déjà à faire l'expérience du tabac se trouvent simplement à accorder davantage d'attention à la publicité. On ne vous en parlera probablement jamais parce que vous avez reçu des mémoires qui passent en revue tous ces documents, mais lorsqu'on lit les textes eux-mêmes, on s'aperçoit que les auteurs de ces études mentionnent en fait cette disposition restrictive dans leurs arguments lorsqu'ils disent que les études transversales ne se penchent pas sur les liens de causalité. Ces études montrent que deux éléments peuvent varier lorsqu'ils cohabitent, mais elles ne nous disent pas s'il y a un lien entre eux, et c'est le cas de la vaste majorité de ces études.

On ne trouve même pas dans la publicité d'information sur les classes de produits. Prenez par exemple la marijuana. Si l'on en croit les sondages qui ont été faits, entre un tiers et 50 p. 100 des jeunes auraient essayé de la marijuana au moins une fois. Même si je n'ai aucune information ou donnée concrète à vous offrir, j'imagine que la vaste majorité des adolescents savent que la marijuana existe. Ils savent ce que c'est et ce que ça fait. C'est une classe de produits. Pourtant, on ne fait aucune publicité sur la marijuana. On ne voit pas de panneaux annonçant de la marijuana. À moins que je l'ai manqué, je n'ai pas vu de festival des arts de la marijuana. Pourtant, il y a sûrement des informations à ce sujet qui circulent parmi les jeunes. De même, entre 16 et 19 p. 100 des jeunes consomment de la marijuana régulièrement. Il n'y a même pas de publicité dans ce cas particulier; pourtant, il y a des personnes qui consomment ce produit, dont les effets sont considérablement différents de ceux du tabac. Le fait est que l'on connaît ce produit.

Il vous faudra prendre une décision selon le poids de la preuve. Nous disposons d'informations scientifiques limitées. Nous disposons aussi de données longitudinales qui sont censées nous donner une représentation temporelle. Les données longitudinales récentes n'ont pas réussi à prouver quoi que ce soit, cependant elles nous ont permis d'entrevoir des éléments qui sont fort complexes. Les données dont on a fait état ici auparavant, comme je l'ai dit, mentionnent la quête d'identité, le désir d'établir son indépendance, l'affiliation à l'entourage et le reste. La science comportementale a pu éclaircir ces aspects, mais les études longitudinales n'ont pas pu établir l'effet de la publicité du tabac.

Deuxièmement, on a peut-être disputé des cas suivants ici, mais je vais les mentionner surtout pour en faire le résumé. L'examen des effets de divers types de restrictions dans d'autres domaines n'a pas réussi à dégager des preuves prévisibles montrant qu'elles ont un effet quelconque. De manière générale, la publicité antitabac ne réussit pas à opérer de changements, et elle a été singulièrement inefficace jusqu'à ce jour. Lorsqu'on pose aux jeunes des questions précises pour savoir s'ils croient ou non que la publicité joue un rôle, ils répondent «non». Quand on combine tout cela, on se retrouve avec une situation qui montre qu'à l'heure actuelle, nous ne disposons pas d'information solide. Il se peut que l'on publie de nouvelles études. Nos prédictions sont fondées sur les données que nous avons réunies jusqu'à ce jour. Si l'on en croit les études des chercheurs, ces dispositions seraient inefficaces.

Il y a d'autres parties du projet de loi qui ont trait à l'accessibilité et aux restrictions à l'obtention du tabac. Il y a quelques petits éléments de preuves qui montrent que cela peut jouer un rôle, mais j'hésite à dire que ce sera le cas parce qu'au bout du compte, tout dépendra de la façon dont ces dispositions seront mises en oeuvre.

On a déjà parlé des endroits où les jeunes achètent du tabac et de qui ils achètent. Si je me souviens bien, si j'en crois des informations qui ont abouti sur mon bureau, près de 29 p. 100 des jeunes qui commencent à fumer se procurent leur tabac au magasin, et les autres l'obtiennent ailleurs. De tous les adolescents qui reconnaissent être des fumeurs invétérés, seulement 65 p. 100 d'entre eux achètent du tabac au magasin. Ils l'obtiennent aussi ailleurs. J'ignore où, mais chose certaine, les jeunes ont d'autres sources d'approvisionnement. Ce qui me ramène à la question de la marijuana. Ces sources n'ont pas besoin d'être des commerces de détail.

Cela dit, je suis prêt à répondre à vos questions.

Le sénateur Gigantès: Ne pourriez-vous pas alors convaincre les fabricants de tabac qu'ils gaspillent leur argent à faire de la publicité?

M. Smith: Je pourrais le faire si quelqu'un m'en donnait le mandat, mais je n'ai pas reçu ce mandat.

Le problème, c'est que je ne suis pas en mesure de dire ce que les fabricants de tabac vont faire ou ne pas faire. Je me prononce sur ces questions uniquement selon ce que je crois ou ce que j'ai lu.

Permettez-moi de redire cela en vous donnant plus de détails. Ce que je vois dans la recherche, ce sont des éléments qui semblent liés à l'initiation au tabac. Si tel est le cas -- et comme je l'ai dit, pour le moment, il semble que la publicité ne joue pas de rôle --, je ne peux pas me prononcer sur les motifs des fabricants de tabac, des responsables de la publicité ou de tous les autres qui décident où ils veulent investir leur argent.

Le sénateur Gigantès: L'affaire Liggett Meyers aux États-Unis a révélé des documents selon lesquels un fabricant de tabac, nommément Liggett Meyers, pense que sa publicité doit être axée sur les jeunes. On peut donc penser que ces gens, qui gagnent beaucoup d'argent, ne gaspillent pas leur argent en pure perte. Ils ont dû avoir recours à des psychologues.

M. Smith: Permettez-moi de répondre à cette question sous plusieurs angles. D'abord, ce n'est pas parce que les gens ont de l'argent à jeter par les fenêtres qu'ils ne savent pas à quoi ils le dépensent. Moi qui suis les sports en amateur et non en expert, je vois souvent de gros contrats consentis à des joueurs, et je me demande pourquoi on leur en donne tant. Permettez-moi de reprendre mon sérieux un instant.

Dans les sciences comportementales, l'une des choses qui reviennent souvent -- et on voit ça souvent dans des domaines qui ont trait à la consommation de drogue, et c'est quelque chose qu'on a mentionné ici -- c'est l'idée que ça répond tellement à l'intuition que ce doit être vrai.

Dans mon domaine, on voit souvent que c'est l'idée qui fait la conviction. Cependant, lorsqu'on étudie la preuve scientifique, on s'aperçoit que les données ne disent pas la même chose.

Je vous donne un exemple: le cas des toxicomanes qui font des rechutes -- et ces toxicomanies comprennent le tabac. L'une des idées qui correspondent tellement à l'intuition, c'est que ces personnes font des rechutes parce qu'elles ont des fringales ou le désir intense de consommer, et que ce désir les amène à consommer. Un scientifique expert de ce domaine a dit que lorsque le désir de consommer est plus grand que la détermination d'arrêter, la rechute se produit. C'est une idée pleine de bon sens.

Le sénateur Gigantès: C'est une tautologie.

M. Smith: Le problème, c'est que lorsque l'on examine les données, que l'on interviewe les personnes qui ont fait des rechutes, l'on s'aperçoit que seulement 7 à 11 p. 100 des alcooliques en rechute disent que le désir de consommer de l'alcool a joué un rôle important dans leur rechute. Quand on interroge les fumeurs, seulement 23 p. 100 disent que le désir de fumer a joué un rôle. Lorsqu'on interroge les héroïnomanes -- et l'on dit que c'est le prototype de toutes les toxicomanies -- aucun d'entre eux ne fait état de ce désir.

Je le mentionne parce que nous nous retrouvons ici devant un cas où nos idées correspondent à notre intuition, et nous croyons que ces idées sont vraies. Cependant, quand on examine les données, on s'aperçoit que ce n'est pas le cas.

Le sénateur Gigantès: Quelle cause invoquent-ils?

M. Smith: Très franchement, la plupart du temps, ils disent qu'ils ne le savent pas.

J'ai eu un client récemment qui avait un problème avec la marijuana, qui avait fait une rechute, et qui disait: «Je n'y pensais pas du tout. Un ami m'a demandé de lui en trouver. Je lui ai dit «non,» puis je lui ai dit «oui» parce que c'était un ami. Quand j'en ai acheté pour lui, j'en ai acheté pour moi sans vraiment penser aux conséquences.» Puis il est entré chez lui, il en avait et il s'est dit: «Bon, puisque j'en ai, aussi bien en prendre.»

Il s'agit d'une personne qui avait des difficultés dans la mesure où elle voulait arrêter. Il n'y avait aucune préméditation dans son cas, et elle n'avait pas non plus longuement songé à ce qui lui arriverait. Je mentionne ce cas parce qu'il illustre le fait que la vérité ne correspond pas nécessairement à l'intuition fondée sur le bon sens. Il ne faut croire que les preuves que l'on voit. En l'absence de telles preuves, il faut attendre de les voir, mais pour le moment, il n'y en a pas. Il est vrai que les responsables de la publicité et les fabricants de tabac consacrent de l'argent à la publicité, mais ce ne serait pas la première fois que les gens commettent des erreurs. Je ne dis pas qu'ils se trompent, mais si j'en crois la preuve scientifique, il me semble que oui -- du moins, si telle était leur intention.

Le sénateur Pearson: La capacité humaine pour se faire des illusions est énorme. On sait qu'on ne peut se fier aux rapports pour ce qui est de savoir pour quelle raison une personne a rechuté ou non.

M. Smith: Cela n'est pas exactement un nouveau domaine dans les sciences du comportement et dans l'étude des drogues. Plus particulièrement, lorsque nous avons beaucoup d'information concernant l'auto-évaluation et l'exactitude de cette évaluation lorsqu'il s'agit de personnes qui se faisaient traiter pour alcoolisme et toxicomanie et leur capacité de fournir des renseignements exacts au sujet de la situation, cela varie. Il n'en fait aucun doute.

Il s'avère que si la séance-bilan est bien faite, l'auto-évaluation n'est pas aussi inexacte qu'on pourrait le croire. C'est ce que semble indiquer du moins les sciences du comportement.

Je ne suis pas en désaccord avec vous lorsque vous dites qu'il y a une certaine marge d'erreur et que le fait que les gens se fassent des illusions joue un rôle. Cependant, il existe des données qui prouvent que les auto-évaluations ne sont pas nécessairement aussi inexactes qu'elles semblent l'être.

Le sénateur Pearson: J'ai entendu beaucoup de choses au sujet de l'état de besoin, mais c'est une autre question.

Je voulais aborder la question de la publicité sur le tabac en général et le problème de l'élaboration d'études dans le domaine des sciences sociales pour examiner la question avec l'exactitude nécessaire. Comme Mme le juge McLachlin l'a dit, il est effectivement difficile d'établir un lien causal entre un briquet et le fait qu'un enfant commence à fumer. C'est quelque chose que nous devons accepter. Il est presque impossible d'établir ce genre de lien causal.

J'ai soulevé la question la semaine dernière également, mais c'est quelque chose qui m'a frappée car, ayant vécu dans d'autres cultures, j'ai eu l'occasion de constater les différents impacts que pourraient avoir les images des médias. Je m'intéresse particulièrement aux jeunes et à la question de l'image du corps. Dans l'ex-Union soviétique, où j'ai vécu pendant un certain nombre d'années, l'anorexie n'était pas un problème tandis qu'en Amérique du Nord, c'était quelque chose qui était en train de devenir un problème majeur.

À mon avis, aucune industrie ne dépend davantage de la publicité et de l'image des médias que l'industrie de la mode. Personne, plus particulièrement aucune femme ici dans cette salle, ne nierait une telle chose. Si vous avez vécu dans d'autres pays, vous savez jusqu'à quel point votre oeil est formé par les images que vous voyez.

J'ai de la difficulté à accepter l'argument que si on ne peut trouver un lien causal entre A et B, c'est qu'il n'y en a pas. J'accepte beaucoup plus facilement cette question d'image globale et le fait que les jeunes deviennent des fumeurs invétérés à cause des images qui sont utilisées. Je trouve cet argument beaucoup plus convaincant que l'argument opposé selon lequel il n'y a pas réellement de lien causal. La publicité fait une différence.

M. Smith: Je ne peux certainement pas répondre aux questions concernant la mode, car je ne connais pas ce domaine.

Le sénateur Gigantès: Vous devriez peut-être examiner cette question, plutôt que celle des sports.

M. Smith: Cela serait certainement plus intéressant sur le plan visuel.

Permettez-moi de soulever un élément qui, je crois, n'a pas encore été évoqué ici. On fait certaines suppositions quant à l'information que les gens voient dans une image, ce qu'ils voient dans une prétendue publicité. On fait toutes sortes de suggestions et de déclarations au sujet de ce que les jeunes voient dans ces publicités et ce que nous croyons qu'ils y voient.

Il y a un document -- et j'admets volontiers qu'il s'agit d'un document -- qui remet en doute les simples questions d'ordre général au sujet du message transmis par ces images et la totalité de cette imagerie. Lorsque les adolescents voient ce qu'ils perçoivent comme étant leurs pairs dans une publicité sur le tabac, ils ont tendance à dire que ces personnes sont moins adultes. Pourtant, nous entendons continuellement dire que les adolescents perçoivent les fumeurs comme des adultes, comme des personnes qui font une activité d'adultes. Pourtant, ils décrivent les images de leurs pairs comme étant moins adultes, ce qui semble aller tout à fait à l'encontre de l'autre point de vue.

Le sénateur Gigantès: Y a-t-il une étude là-dessus?

M. Smith: Oui, et elle est mentionnée dans cinq ou six documents que vous avez reçus. Le premier auteur est Pechmann. Vous devez lire le rapport au complet. Parfois, les gens ne regardent que le résumé ou lisent une partie de la discussion. Vous devez regarder les différentes cotes accordées par les adolescents pour voir qu'ils ont tendance à considérer que de telles images font preuve d'une moins grande maturité chez leurs pairs. Cela semble aller tout à fait à l'encontre de l'idée habituelle selon laquelle nous savons exactement ce que les adolescents retirent de ces images publicitaires.

Je ne dis pas que nous soyons tout à fait dans l'erreur, mais on ne peut accepter automatiquement leurs perspectives et leurs interprétations à moins d'avoir la documention à l'appui.

Le sénateur Pearson: Les sénateurs et les témoins précédents comprennent tous qu'il s'agit d'une question extrêmement complexe. Il y a un autre élément que vous, en tant que psychologue, pourriez aider à éclaircir. Parmi les caractéristiques de l'adolescence qui les prédisposeraient à se mettre à fumer, nous n'avons pas parlé des questions qui, à mon avis, les prédisposeraient le plus à la cigarette. Je pense par exemple à l'anxiété et à l'ennui chez l'adolescent.

Si j'ai bien compris, la nicotine est le genre de drogue qui peut être calibrée selon l'état d'âme dans lequel on se trouve, c'est-à-dire que si on s'ennuie vraiment, cela peut vous remonter le moral. Si vous êtes anxieux, cela peut vous calmer. Dès qu'on prend cette habitude, ça y est, on est accroché. On est alors prédisposé à maintenir ce genre de chose.

Je cherche maintenant des réponses. Vous diriez sans doute comme moi que fumer est mauvais pour la santé.

M. Smith: Absolument.

Le sénateur Pearson: En fin de compte, nous cherchons des réponses. En tant que citoyens, comment pouvons-nous nous attaquer à ce problème? Pourrez-vous nous éclairer là-dessus?

M. Smith: Oh, oui. Je regarde moi aussi la télévision. Je suis abonné au câble et je regarde la chaîne parlementaire. Je me doutais bien que la question serait soulevée.

J'aborderais la question de plusieurs façons. L'un de mes nombreux rôles est celui d'éducateur. Je pense que l'éducation joue un rôle important. Cependant, ce n'est pas au sujet du tabac comme tel qu'on devrait éduquer les gens, mais on devrait plutôt leur apprendre à être bien dans leur peau.

Je sais que cela semble vague. Cependant, nos programmes d'enseignement comprennent souvent des cours sur les modes de vie. Dans les programmes communautaires qui sont donnés dans les écoles ou dans les organisations communautaires, ces cours sur les modes de vie ont eu un certain succès lorsqu'ils traitent des questions concernant la confiance en soi et un sentiment d'identité qui est défini par notre propre soi plutôt que par un groupe avec lequel on veut s'associer. Dans le cas qui nous intéresse, nous parlons des fumeurs. Ces personnes utilisent peut-être d'autres drogues, selon le cas. Ces programmes communautaires et scolaires sont efficaces pour réduire la toxicomanie et l'alcoolisme. Je n'ai pas d'information comme telle, mais je suppose qu'ils seraient également efficaces pour ce qui est de l'usage du tabac.

C'est une orientation qu'il faudrait adopter. Il conviendrait sans doute de libérer des fonds pour encourager les gens à suivre de tels cours.

J'ai mentionné dans mon bref exposé que les questions concernant les restrictions avaient une certaine valeur ici, en supposant qu'elles puissent être mises en oeuvre.

Vous avez mentionné tout à l'heure que les gens s'habituent à un effet particulier et qu'ils cherchent ensuite à la reproduire constamment. Cependant, si vous faites en sorte qu'il est difficile ou peu commode pour les gens d'obtenir le produit, ils décideront peut-être que cela ne vaut pas la peine de s'y mettre. Les questions concernant les restrictions et l'éducation ont de bonnes chances de succès car elles s'attaquent aux principaux problèmes. Elles s'attaquent aux problèmes qui ont déjà été décelés dans les études longitudinales qui ont été faites et qui examinent les raisons pour lesquelles une personne décide de commencer à fumer.

C'est comme aller à la base. C'est un terme que la plupart des gens connaissent et je n'ai pas besoin de l'expliquer. Lorsqu'on va à la base, on a de meilleures chances d'apporter des changements significatifs plutôt que des changements superficiels qui ne règlent pas les vrais problèmes.

Si nous parlons de questions concernant le mode de vie personnel, l'esprit de rébellion, l'identification de soi, et cetera, une des raisons pour lesquelles les campagnes antitabac sont relativement inefficaces, c'est qu'il est difficile de transmettre ce message en 30 secondes.

Le sénateur Jessiman: Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre travail à l'université? Est-ce que vous enseignez à temps partiel?

M. Smith: Oui.

Le sénateur Jessiman: Avez-vous un cabinet également?

M. Smith: J'ai un cabinet privé et, à titre de professeur adjoint auxiliaire, je participe à un programme de recherche avec d'autres personnes à l'Université Concordia. Je supervise des étudiants et je dirige des étudiants de premier cycle et je donne des cours sur la motivation, l'alcoolisme et la psychologie de la toxicomanie. J'ai fait la même chose à l'Université McGill et au collège Vanier à Montréal.

Le sénateur Jessiman: Vous dites que vous avez travaillé avec des adolescents?

M. Smith: Les adolescents représentent une grande partie de ma clientèle, oui.

Le sénateur Jessiman: Depuis combien de temps faites-vous cela?

M. Smith: Je suis membre de l'ordre professionnel au Québec depuis 11 ans.

Le sénateur Jessiman: Vous avez utilisé un bon exemple au sujet de la marijuana.

M. Smith: Je suppose que c'est également une blague d'initiés.

La présidente: Notre comité a examiné également le tout récent projet de loi sur les stupéfiants, les aliments et les drogues. Bon nombre de sénateurs ici étaient d'avis que des changements importants devaient être apportés relativement à la décriminalisation de la marijuana. Le sénateur Jessiman, en particulier, s'est tout récemment converti à l'idée.

Le sénateur Jessiman: C'est vrai.

Vous dites que c'est semblable en ce sens que les enfants commencent lorsqu'ils sont jeunes. Commencent-ils d'abord par fumer la cigarette, la marijuana, ou les deux en même temps? On nous a dit qu'il y avait des enfants qui commençaient à fumer à l'âge de six à huit ans.

M. Smith: Tout cela se fait en même temps.

Le sénateur Jessiman: Ils fument de la marijuana également?

M. Smith: Peut-être pas aussi jeunes. Je dirais qu'il y a des enfants qui commencent à fumer la marijuana dès l'âge de 12 ans.

Le sénateur Jessiman: Et ils commencent à fumer la cigarette encore plus tôt?

La présidente: Nous avons entendu des témoignages à l'effet qu'ils commençaient dès l'âge de huit à dix ans.

Le sénateur Jessiman: Dans les deux cas, ils commencent donc très jeunes.

Avez-vous des statistiques, afin de vérifier si les pourcentages concordent?

M. Smith: Non. Les seules statistiques que nous avons concernent ce que l'on peut appeler la prévalence pendant la durée de vie. En d'autres termes, dans ce cas en particulier, il s'agit de dire si quelqu'un l'a déjà essayé. Les autres informations que nous avons portent sur l'utilisation régulière, et «régulière» est définie comme étant au moins une fois par mois et peut-être plus fréquemment.

Dans ces cas en particulier, un peu moins de 20 p. 100 des personnes l'utilisent régulièrement. Chez les jeunes, les taux d'utilisation pour le tabac sont plus élevés que pour la marijuana.

Le sénateur Jessiman: J'ai lu quelque part que la cigarette crée davantage d'accoutumance que la marijuana. Vous avez parlé d'une personne qui avait un problème de marijuana, alors de toute évidence cette personne était toxicomane.

M. Smith: Je savais qu'on me poserait également des questions au sujet de l'accoutumance.

Le terme «accoutumance» n'est pas utilisé dans le domaine des sciences du comportement et chez les professionnels de la santé mentale et ce, pour deux raison, l'une étant moins importante que l'autre, mais elle s'applique cependant tout autant.

La première raison, c'est que c'est devenu un terme péjoratif, ce qui signifie qu'il a une connotation négative, et ceux qui travaillent dans le domaine de la dépendance estiment qu'il est alors difficile pour les gens de s'attaquer à leur problème d'une façon plus appropriée ou plus saine.

On estime également que le terme «accoutumance» n'est pas exact, qu'il ne décrit pas la situation.

L'Organisation mondiale de la santé a produit et révise périodiquement un document qui s'intitule, je crois, le Compendium international de diagnostics. Il en est actuellement à sa 10e édition. L'American Psychiatric Association produit un document intitulé The Diagnostic and Statistical Manual. Ce document est préparé à la suite de réunions avec des professionnels de la santé mentale, des psychiatres, des psychologues, des éducateurs, et cetera, pour rassembler de l'information sur la façon de diagnostiquer les troubles mentaux. Il s'agit d'une véritable bible contenant tous les déséquilibres mentaux qui existent, et la 4e édition vient tout juste d'être publiée. Le terme «accoutumance» n'est mentionné dans aucun de ces deux documents. On voit plutôt le terme «dépendance».

Cela étant dit, vous devez comprendre que lorsque nous parlons de dépendance, nous parlons de personnes qui ne peuvent s'empêcher de continuer à avoir un comportement particulier, et ce peut être n'importe quoi, il peut s'agir de l'usage de la marijuana, de l'héroïne; il peut s'agir d'un comportement sexuel, il peut s'agir de la passion du jeu. Les gens peuvent développer des dépendances dans tous ces domaines. J'ai vu un document présenté à l'assemblée de l'American Psychological Association à Toronto l'été dernier où l'on parlait de la dépendance à Internet.

Les gens peuvent développer une dépendance pour toutes ces choses. Si vous me demandez si l'utilisation du tabac crée une dépendance, je dois répondre oui, de la même façon que les gens peuvent développer une dépendance à l'égard de toutes sortes d'autres comportements, incluant la marijuana, l'alcool, le jeu et le sexe. Les manifestations comportementales de ce que les gens font sont souvent indiscernables.

J'espère que j'ai répondu à votre question.

Le sénateur Jessiman: Je ne sais pas si vous étiez ici plus tôt cet après-midi lorsqu'on nous a montré des publicités qui étaient permises sous l'ancienne loi et qui ne l'étaient pas en 1987. On nous montrait des athlètes qui fumaient des cigarettes. Tout cela a été éliminé. Ils ont dit que c'était vraiment une porte de sortie pour les commandites.

Les compagnies de tabac commanditent plus de 300 organismes au Canada. Elles financent des feux d'artifice, des théâtres et toutes sortes d'événements sportifs et les montants de leurs commandites sont beaucoup plus élevés que ceux que n'importe qui d'autre est prêt à offrir. Nous sommes tous d'accord pour dire que les événements qu'elles appuient sont de bons événements.

Ces événements vont soit faire faillite, soit avoir énormément de difficulté à trouver d'autres sources de financement. Les gouvernements n'ont pas d'argent pour les aider. Allons-nous perdre toutes ces bonnes choses que financent ces sociétés en éliminant le nom de ces dernières de ces événements? En fin de compte, est-ce que nous faisons la bonne chose?

M. Smith: En toute honnêteté, monsieur le sénateur, je ne pense pas qu'il soit juste de me poser cette question. C'est une question politique qui relève de votre domaine.

Le sénateur Jessiman: Vous êtes un expert. Vous êtes le seul qui nous ait donné cet exemple. Vous avez dit qu'il n'y avait pas eu de publicité au sujet de cette autre drogue et que pourtant les jeunes en faisaient usage. Voici ce que nous disions: «Il faut éliminer complètement l'image d'un joueur de tennis qui fume une cigarette.» Cette image n'existe plus. On a maintenant le conducteur automobile. Il a toujours le nom de Rothman écrit sur sa veste, sur sa voiture, sur son bateau ou autres. Il y a aussi le championnat de golf du Maurier ou le championnat de tennis. Je pose la question suivante aux gens de mon âge: «Lorsque je dis le mot "du Maurier", qu'est-ce que cela évoque pour vous?» Ils répondent: «Le golf ou le tennis». Lorsque je demande à des jeunes ce que cela signifie, ils me répondent: «Cigarettes». Je leur pose ensuite la question suivante: «Croyez-vous que cela vous incite à fumer la cigarette?» Ils répondent: «Non».

De toute évidence, vous avez fait beaucoup plus de travail auprès des enfants et concernant les conséquences de ce type de publicité. Nous allons éliminer les noms de ces sociétés qui mènent une activité légale. Voilà le problème.

M. Smith: Encore une fois, je ne peux faire de commentaires concernant les questions d'équilibre. À l'heure actuelle, je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de preuves à l'effet que de telles dispositions feront une différence. Je ne crois pas qu'il y ait suffisamment de preuves à ce moment-ci pour nous permettre de faire une telle prédiction.

Le sénateur Jessiman: Je m'attendais à cette réponse de votre part. Si c'est le cas, c'est dommage. Nous allons provoquer une foule de problèmes dans le pays au cours des trois ou quatre prochaines années car ces gens-là n'auront pas assez d'argent pour faire ce qu'ils veulent.

Le sénateur Nolin: Merci, docteur Smith, de nous faire profiter de vos compétences. Je serai très bref.

En tant qu'universitaire, vous avez fait allusion à une étude de documentation. Pourriez-vous nous expliquer de quoi il s'agit? Lorsque vous parlez de preuves, c'est ce dont vous tenez compte. Le reste est moins important.

M. Smith: Lorsqu'on examine divers documents, on vérifie leurs sources et leur provenance. Là encore, je suppose que vous êtes également submergés de documents.

Les comportementalistes se fondent en général sur ce que l'on appelle «l'examen par les pairs». Autrement dit, nous prenons moins au sérieux les documents qui n'ont pas fait l'objet d'une étude scientifique par les pairs car il est dans ce cas-là impossible à quiconque de faire une évaluation relative à la validité scientifique de la méthodologie suivie.

Lorsqu'un document est proposé aux fins de publication à une revue scientifique quelconque, il est en général transmis à des personnes qui travaillent dans ce secteur et qui supprimeront le document en fonction de sa validité scientifique après avoir établi, en premier lieu, si les auteurs ont fait du bon travail. Ont-il fait un travail scientifique? Les données qu'ils ont recueillies émanent-elles d'un bon travail scientifique?

Le deuxième élément qu'ils examinent est le suivant: a-t-on tenu compte du contexte dans lequel cette étude a été effectuée compte tenu de la documentation déjà existante? En d'autres termes, ont-ils tenu compte de tout ce qui est susceptible de se trouver dans cette documentation? Ont-ils tenu compte de tous les documents possibles déjà publiés susceptibles d'influer sur leur travail?

Enfin, le processus d'examen par les pairs consiste à examiner les données et ensuite à déterminer si les conclusions auxquelles est arrivée la personne à partir de ces données étaient justifiées. En d'autres termes, ces conclusions tiennent-elles compte d'autres interprétations possibles? Dans bien des cas -- après avoir vu bon nombre de mes articles revenir après avoir été examinés par des pairs, ce qui n'est pas toujours agréable --, lorsque le document revient, ceux qui l'ont examiné diront souvent: «Nous ne partageons pas votre interprétation mais nous pensons que vous devriez tenir compte du fait qu'il existe les possibilités «X», «Y» ou «Z». Il aurait fallu en parler dans votre discussion.»

La présentation des documents doit également répondre à des critères très stricts. Le problème, dans ce cas-là, est qu'il existe un grand nombre d'études confiées à des gens de l'extérieur et de travaux alloués par contrat. Je ne critique pas la qualité des personnes qui font ce genre de chose. L'inconvénient, malheureusement, c'est qu'il n'y a pas d'examen par les pairs dans ce cas-là. Il vous incombe de décider si, à votre avis, les données scientifiques sont valables et si elles découlent d'une série d'expériences pertinentes. Il vous faut décider si les conclusions tirées de ces études sont exactes.

Dans bon nombre des documents dont on dispose, il n'est même pas possible de le faire car ce que l'on reçoit correspond à la conviction profonde de quelqu'un d'autre. En toute franchise, il en va de même pour les données que vous recevez de moi car je ne m'exclus pas de cette situation. Toutefois, lorsqu'on invoque divers documents produits par des entreprises de consultants qui ont fait ce travail à contrat, ou par un gouvernement ou même par les fabricants de tabac, ce ne sont pas des documents qui ont fait l'objet d'un examen par les pairs. En tant que comportementaliste, j'accorde plus d'importance à l'examen par les pairs tout simplement parce qu'il se fonde sur un processus d'évaluation intrinsèque qui fait déjà partie intégrante du système.

Le sénateur Nolin: Vous serait-il possible, à brève échéance, de nous fournir une liste des documents soumis à l'examen des pairs sur lesquels vous avez fondé votre opinion?

M. Smith: Oui.

Le sénateur Nolin: Dans combien de temps?

M. Smith: Vous voulez simplement la liste des titres?

Le sénateur Nolin: Oui.

M. Smith: Je pourrais sans doute le faire avant la fin de la semaine.

Le sénateur Nolin: Oui, au moins une bibliographie.

M. Smith: Les documents qui n'ont pas fait l'objet d'un examen par les pairs figureront également sur la liste. Je tiens une base de données dont il est difficile d'extraire certaines parties. Cela me prendra plus de temps, mais je pourrais vous fournir une liste de tous les documents en rapport avec la question.

Le sénateur Nolin: Nous avons reçu des tonnes de documents. Vous nous l'avez très bien expliqué. Comment faire le tri?

Le sénateur Kenny: Je pense que le sénateur Nolin souhaitait obtenir la liste des documents ayant fait l'objet d'un examen par les pairs.

M. Smith: Cela me prendra plus longtemps.

Le sénateur Kenny: On nous a proposé une liste de tous les documents.

Le sénateur Nolin: Non, je rappelle ce qu'il nous a dit au début de son témoignage. Il dit que la publicité n'atteindrait pas l'objectif visé.

Le sénateur Kenny: Sénateur Nolin, vous avez demandé qu'on vous fournisse uniquement les documents qui ont fait l'objet d'un examen par les pairs. Le témoin a répondu qu'il pouvait nous fournir une liste exhaustive de tous les documents et que cela prendrait un peu de temps pour l'obtenir.

M. Smith: Je peux vous fournir la liste complète assez rapidement. Ce qui me prendra plus de temps, c'est pour fournir une liste des documents ayant fait l'objet d'un examen par les pairs car je vais devoir extraire ces documents de ma base de données.

Le sénateur Kenny: C'est ce que veut le sénateur Nolin.

M. Smith: Je peux le faire, mais il me faudra plus de temps.

Le sénateur Kenny: Vous voulez uniquement les documents ayant fait l'objet d'une évaluation par les pairs, n'est-ce pas?

Le sénateur Nolin: Oui, les documents sur lesquels nous pouvons fonder notre décision, c'est-à-dire la liste des examens par les pairs.

M. Smith: Je pourrai sans doute vous fournir cette liste au début de la semaine prochaine.

Le sénateur Gigantès: Les documents qui représentent l'examen par les pairs seront très divers.

M. Smith: Très divers mais concernant toutes les conditions dans lesquelles on commence à fumer.

Le sénateur Gigantès: Il y aura certainement énormément de contradictions véritables et justifiées, et sur le plan scientifique, entre tous ces documents, n'est-ce pas?

M. Smith: Oui.

Le sénateur Gigantès: Pour nous simples mortels, cette liste n'est guère utile, puisque nous ne faisons pas partie du groupe qui a participé à cette évaluation par les pairs.

Le sénateur Nolin: Nous pouvons au moins laisser tomber le reste et nous concentrer sur cette liste.

Le sénateur Milne: Cette liste ne représente qu'un avis sur la question.

La présidente: Il est tout à fait normal que le sénateur Nolin demande les documents si le Dr Smith peut les lui fournir et le plus tôt sera le mieux. Le comité apprécierait beaucoup recevoir ces documents.

[Français]

Le sénateur Nolin: Est-ce que le ministère de la Santé a déjà fait appel à vos services?

M. Smith: Non.

Le sénateur Nolin: Avez-vous été consulté récemment par le ministère de la Santé?

M. Smith: Non.

Le sénateur Nolin: Est-ce que vous avez offert vos services au ministère de la Santé?

M. Smith: Non.

[Traduction]

Le sénateur Moore: Docteur Smith, dans vos observations liminaires, vous avez dit que la publicité antitabac n'est pas efficace. Ces propos m'ont surpris car je pensais que cela était sans doute utile. Sur quoi fondez-vous ce constat? Est-ce indiqué dans ces documents examinés par des pairs? S'agit-il d'une étude? Est-elle à jour?

M. Smith: J'en ai deux ou trois cas où cela a été utilisé, et notamment au Canada, on n'a pas constaté un changement fondamental dans le nombre de gens qui commencent à fumer, qu'il y ait eu ou non une campagne agressive antitabac. Des campagnes de grande envergure entreprises par les médias en d'autres endroits n'ont pas entraîné des modifications importantes. Il ne s'agit pas de documents scientifiques ayant fait l'objet d'une évaluation par les pairs. Ce ne sont que des constats où l'on établit un lien entre le lancement de ces campagnes et les taux de consommation pendant la même période.

Le sénateur Moore: Ces études sont-elles actuelles?

M. Smith: Non.

Le sénateur Moore: À quand remontent-elles?

M. Smith: Celles qui portent sur les taux de tabagisme au Canada par rapport aux campagnes entreprises par Santé Canada datent sans doute de trois ou quatre ans.

Le sénateur Milne: Docteur Smith, vous avez mentionné l'absence d'études longitudinales sur l'efficacité de la publicité par rapport au nombre de gens qui commencent à fumer. Étiez-vous présent quand le docteur Best a fait son exposé?

M. Smith: Oui, j'en ai entendu une partie.

Le sénateur Milne: Il a parlé de l'étude longitudinale effectuée par un certain docteur Pierce en Californie. L'avez-vous lue?

M. Smith: J'ai lu une partie de ses travaux. Je ne connais pas l'étude précise dont il a parlé.

Le sénateur Milne: Nous pourrions peut-être faire faire une copie de l'endos du document pour le docteur Smith car, en tant que spécialiste dans le domaine, j'aimerais obtenir votre examen de la documentation disponible.

Le sénateur Gigantès: Faites une évaluation par les pairs à notre intention.

Le sénateur Milne: C'est cela.

M. Smith: Je dois admettre que je suis quelque peu défavorisé car l'examen par les pairs me permet généralement d'examiner le document en détail. Je ne sais pas si j'en aurais l'occasion. Étant donné que ce document n'a pas encore été publié, je n'ai pas eu l'occasion d'y jeter un coup d'oeil. Je ne sais pas si je suis en mesure de vous fournir ce que vous demandez.

Le sénateur Milne: Vous vous défilez.

M. Smith: Je vous dis la vérité.

Le sénateur Milne: C'est vrai. Avez-vous déjà entendu parler de M. Pierce?

M. Smith: J'ai eu l'occasion de lire certains de ses travaux antérieurs. Il a fait certaines études sur les taux de consommation au cours d'une période donnée, en se fondant sur des données nationales recueillies lors de sondages téléphoniques aux États-Unis. Il a publié un certain nombre de documents qui visaient à examiner la consommation passée. Je pense notamment à une étude qui porte sur l'initiation à la cigarette chez les jeunes femmes et couvre une période de 1944 environ jusqu'à la fin des années 70 ou le début des années 70 ou le début des années 80. Je ne me souviens pas de la date exacte. Il fait état d'une augmentation de la consommation de tabac vers 1967-1968 et prétend que c'est dû à toute la publicité, surtout la publicité sur le tabac qui visait précisément les femmes. C'est en tout cas sa conclusion.

Malheureusement, lorsqu'on examine le nombre total de femmes qui s'adonnent au tabagisme, on constate qu'au cours de la même période, elles ont également été plus nombreuses à consommer de l'alcool et des drogues, ou à se livrer à d'autres comportements. On ne peut guère attribuer l'augmentation de la consommation d'alcool à une publicité pour les cigarettes Virginia Slims, et pourtant ces choses-là se produisent simultanément. Ce n'est qu'une seule étude. Il a fait d'autres analyses historiques également, en se penchant sur diverses questions relatives à la sensibilisation aux publicités sur le tabac. Quant à l'étude particulière dont vous parlez, il me faudrait du temps pour l'examiner en détail.

Le sénateur Milne: Autrement dit, à votre avis, il y a un peu de tout dans les travaux du docteur Pierce?

M. Smith: Non, je ne dirais pas cela. Je pense que lorsqu'on examine les données, il est possible d'en faire diverses interprétations différentes et d'accorder du poids à des interprétations différentes. D'autres sont peut-être tout aussi valables, mais on accorde du poids à l'une plutôt qu'à l'autre.

Le sénateur Beaudoin: J'aimerais revenir à la question des commandites. Bon nombre de témoins ont dit que celles-ci vont disparaître lorsque le projet de loi entrera en vigueur, mais ce n'est pas vrai puisque l'article 19 prévoit ce qui suit:

Il est interdit de faire la promotion d'un produit du tabac ou d'un élément de marque d'un produit du tabac, sauf dans la mesure où elle est autorisée par la présente loi ou ses règlements.

Ce projet de loi vise à réglementer et à limiter dans une grande mesure les commandites, la promotion, et cetera.

Cela dit, j'aimerais en revenir à la question du Grand Prix et du Festival de jazz. Je ne suis pas un expert en la matière, mais je suis porté à croire que ces événements ne disparaîtront pas, car il n'y aura pas une interdiction totale. Il s'agit d'une interdiction partielle, une restriction. J'aimerais qu'un spécialiste me dise quel effet auront ces restrictions. Si cette promotion ne peut pas figurer sur la première page, elle peut se trouver à la deuxième page. Si la publicité ne peut pas être en grosses lettres, elle peut être inscrite en petits caractères. À mon avis, le débat est beaucoup plus subtile à l'heure actuelle. Après avoir siégé quelques jours au comité, j'en suis venu à la conclusion que les généralisations qui sont faites sont le plus souvent très exagérées. Il faut considérer ce projet de loi pour ce qu'il est vraiment.

Je ne sais pas quelle influence la promotion, la publicité et les annonces exercent sur les jeunes, mais si elle n'est pas très forte -- comme vous semblez le croire --, le projet de loi ne changera pas grand-chose. Qu'en pensez-vous?

M. Smith: J'abonde dans le même sens que la deuxième partie de votre question. Les données disponibles à l'heure actuelle n'indiquent pas que ce soit un facteur important dans la décision de commencer à fumer.

Le sénateur Beaudoin: Ah non?

M. Smith: Non. En conséquence, les modifications apportées aux règlements à ce sujet ne seront vraisemblablement pas pertinentes. Là encore, je me fonde exclusivement sur les données dont nous disposons actuellement.

Le sénateur Beaudoin: Disons que cette influence ne soit guère forte. Nous savons qu'il y aura certaines restrictions, mais pas d'interdiction totale. L'influence ne sera pas très forte.

M. Smith: Déjà qu'elle ne l'est pas au départ, sénateur -- du moins d'après les données dont nous disposons jusqu'ici.

Le sénateur Beaudoin: Il est possible que cela ne débouche pas sur des changements considérables.

M. Smith: Si je devais faire une prévision en fonction des preuves dont nous disposons actuellement, je dirais que je ne pense pas que ça fasse une énorme différence. Nous partons du principe que cela continuera d'exister d'une certaine façon. Il y aura toujours des personnes en situation d'autorité, des groupes de parents ou autres qui diront: «Faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais.» Je ne prétends pas que cela aura une incidence. Je n'en sais rien, mais en tout cas c'est directement en rapport avec le principe de la rébellion contre l'autorité. Là encore, je ne sais pas si cela posera un problème, mais c'est possible comme bien d'autres choses.

Le sénateur Kenny: Quelle est l'influence exercée par l'entourage?

M. Smith: Là encore, j'utilise l'expression «affiliation à l'entourage», ce qui est un facteur important dans la mesure où il n'y a pas vraiment de pression exercée auprès des jeunes pour les inciter à fumer. Je ne pense pas qu'il arrive qu'un adolescent fasse l'objet de pression énorme pour fumer, faute de quoi il risque d'être exclu du groupe.

Le sénateur Kenny: Quelle incidence a la rébellion?

M. Smith: D'après les données que nous avons étudiées, je crois savoir qu'elle est importante.

Le sénateur Kenny: Et le fait de vouloir faire comme les adultes?

M. Smith: Je n'en sais rien. Il ne s'agit pas de vouloir faire comme les adultes, mais plutôt de vouloir s'affirmer. Ce n'est pas la même chose.

Le sénateur Kenny: Dans quelle mesure cette recherche de soi-même est-elle un facteur important?

M. Smith: D'après mes renseignements, c'est assez important.

Le sénateur Kenny: Voilà ce que je cherche à savoir. Divers témoins qui ont comparu devant le comité nous ont dit qu'il existe toute une série de facteurs qui influent sur le tabagisme et qui incitent les jeunes à commencer à fumer. Je suis surpris de vous entendre dire au sénateur Beaudoin que la promotion ou la publicité n'aura pas d'influence. Est-il possible que, combinée à ces autres facteurs dont nous avons parlé, la promotion ou la publicité ait un effet cumulatif et influe donc dans le processus décisionnel global?

M. Smith: Oui, c'est tout à fait possible. Je dois toutefois préciser une chose. À l'heure actuelle, pour ce qui est de l'influence de la publicité, j'en reviens à ce que j'ai dit au sénateur. Mes prévisions se fondaient sur les preuves disponibles que nous avons pu découvrir dans la documentation pertinente.

Cela dit, le problème vient de ce que nous n'en savons rien encore. Nous ne disposons d'aucune donnée concrète présentée dans le contexte de la documentation scientifique qui affirme que la publicité exerce cette influence.

Le sénateur Kenny: Les fabricants de cigarettes essaient de jouer au plus fin avec nous. Ils viennent ici et nous disent: «Notre publicité ne vise pas les jeunes. Nous essayons d'accaparer une part du marché.» Pourtant, nous savons que 40 000 Canadiens meurent chaque année de maladies liées au tabagisme. Ils sont remplacés par des jeunes dans tous les cas. Ce sont des gens intelligents qui dépensent intelligemment leur argent pour le compte de leurs actionnaires. Ils convainquent les jeunes d'une façon ou d'une autre. Nous savons qu'un bon nombre de facteurs ont une incidence. Nous savons que c'est une question complexe.

Dans le cas de ce seul élément, le fait est que vous ne pouvez établir clairement un lien de cause à effet. Mais vous ne pouvez nous démontrer non plus qu'un tel lien n'existe pas. Vous nous dites aussi qu'il y a plusieurs facteurs de ce genre qui influent sur la décision.

Cela m'inquiète parce que vous avez dit essentiellement au sénateur Beaudoin qu'il ne faut pas prendre trop au sérieux la publicité et la promotion. Même si ces dernières n'ont une influence que de 10 p. 100 sur les décisions, c'est quand même important.

M. Smith: Je suis prêt à reconnaître que la publicité et la promotion représentent une partie du processus décisionnel pour la simple raison qu'elles existent. Les recherches des 20 dernières années ne permettent pas de préciser l'importance relative de ces éléments. Les stratèges doivent donc décider s'ils veulent adopter des lois fondées sur des facteurs inconnus.

Le sénateur Kenny: Pourriez-vous éclairer le comité sur l'importance relative de l'influence des camarades ou de l'affirmation de soi?

M. Smith: Non, sauf pour dire que ces facteurs semblent jouer un rôle assez considérable. Les recherches effectuées dans divers pays au cours d'une période de 20 ans indiquent systématiquement la présence de facteurs tels l'affiliation à l'entourage, l'esprit de rébellion et l'affirmation de soi. Ces conclusions ne sont pas isolées; elles ressortent de toutes les recherches réalisées. L'autre élément a été plus difficile à saisir.

Le sénateur Kenny: J'accepte cela. Pourriez-vous le chiffrer pour nous?

M. Smith: Non.

Le sénateur Kenny: Est-ce qu'on améliorerait le projet de loi si l'on y incluait une partie pour tenir compte de l'influence des camarades, de l'image de soi ou des autres points que vous avez soulevés? Est-ce qu'il y a des lacunes dans le projet de loi en ce sens qu'il ne prévoit pas de programmes communautaires, de sensibilisation, ou de mesures pour aider les jeunes à résister à la pression de commencer à fumer?

M. Smith: Dans le cas des jeunes qui pourraient commencer à fumer, je crois qu'on a démontré que ces programmes auraient un effet.

Le sénateur Kenny: Est-ce que vous accueilleriez ce projet de loi avec plus d'enthousiasme s'il comportait ces éléments?

M. Smith: Je ne suis ni enthousiaste, ni indifférent. Il y a des dispositions dans la loi qui auront vraisemblablement un effet. Est-ce que le projet de loi dans l'ensemble changera quoi que ce soit? Dans le cas des dispositions restrictives, je crois que oui. Si l'on y apporte d'autres modifications pour financer des programmes communautaires ou scolaires, elles pourraient avoir un effet, simplement parce que nous savons déjà que ces facteurs expliquent essentiellement pourquoi les gens commencent à fumer.

Le sénateur Kenny: Vous pensez qu'il est important d'aborder le problème de plusieurs points de vue et non pas se concentrer uniquement sur la promotion et la publicité. Est-ce exact?

M. Smith: Il y a deux façons d'aborder la question. Si vous me demandez ce qu'un programme contre le tabagisme doit comporter, je peux dire sans le moindre doute que ma position n'a pas changé.

Le sénateur Beaudoin: Nous siégeons depuis plus d'une semaine. Nous avons posé ces questions à chacun des témoins. Jusqu'à présent, vous êtes le seul à arriver à ces conclusions. Il se peut que vous ayez raison. Je ne suis pas spécialiste en la matière. J'aimerais savoir pourquoi vous êtes arrivé à cette conclusion. Tous les autres témoins ont dit: «Nous ne connaissons pas le lien de cause à effet. Nous ne pouvons le définir.» J'aimerais savoir pourquoi vous en êtes si certain.

M. Smith: Je ne vous dis pas que je suis sûr qu'il n'y a aucun lien. Je crois avoir toujours dit que nous n'avons pas encore de preuve qui démontre clairement ce lien.

Le sénateur Gigantès: Le comportement de Descartes représente l'ultime examen par les pairs. Quand il était assis, il mettait ses pieds sur un tas de livres. Un de ses étudiants lui a demandé: «Maître, pourquoi mettez-vous vos pieds sur ces livres?» Il a répondu: «Ce sont des livres d'autres écrivains. S'ils ne sont pas d'accord avec moi, ils se trompent, alors à quoi bon les lire? S'ils sont d'accord avec moi, cela ne sert à rien de les lire.»

Si la publicité n'a pas beaucoup d'effets, est-ce que l'État a tort d'interdire la publicité de la marijuana?

M. Smith: Monsieur le sénateur, la marijuana est un produit illégal.

Le sénateur Gigantès: Elle est illégale parce que nous avons décidé que c'est un produit illégal. Il y en a qui prétendent qu'elle n'est ni plus ni moins nocive que le tabac, que le tabac est un produit cancérigène alors que rien ne prouve que la marijuana soit cancérigène. Pourquoi interdire la publicité de ce produit illégal?

M. Smith: Si, après l'avoir légalisé, vous me demandez mon opinion, je serai très heureux de vous la donner. Vous reconnaîtrez en toute justice que j'ai le droit de ne pas répondre à cette question.

Le sénateur Gigantès: Oui, je suis d'accord. J'ai été doyen de faculté, et les professeurs les plus injurieux sont des historiens. D'ailleurs, j'en suis un moi-même. Viennent ensuite les psychologues, mais vous faites exception à la règle.

Avez-vous jamais réalisé une étude commandée par une compagnie de tabac?

M. Smith: Non.

Le sénateur Gigantès: Je suis heureux d'entendre cela. Merci.

La présidente: J'aimerais terminer par vous poser une question moi-même, docteur Smith.

Est-ce que votre opinion sur la publicité du tabac s'étend à la publicité dans son ensemble? Je vous explique pourquoi je pose cette question. L'an dernier on parlait pendant des semaines à Noël de la poupée Elmo. Bien qu'elle soit laide et ait un rire hystérique, des parents dépensaient 500 à 1 000 $ pour acheter ce petit objet affreux que, paraît-il, leurs enfants voulaient avoir. Tout ce qu'ils en savaient venait apparemment de la publicité et des articles dans les journaux qui insistaient sur l'importance de cette poupée pour la vie de leurs enfants. Quand mes deux filles avaient cet âge, elles réagissaient de la même façon aux poupées Bout de Choux que je trouvais également laides et refusais d'acheter pour elles.

Avez-vous la même opinion sur tous les produits qui font l'objet d'un battage publicitaire?

M. Smith: Si ce n'est pas la poupée Elmo, ce sera un autre produit. Le point essentiel est que les enfants veulent des poupées à Noël. Il y a une distinction importante à faire ici: je sais que je veux une poupée et je déciderai quelle poupée particulière je veux avoir.

La présidente: Accepteriez-vous ce que soutiennent les fabricants des produits du tabac, soit que toute leur publicité n'est acceptable?

M. Smith: Ce n'est pas à moi de dire si c'est acceptable ou non. Choisissant mes mots avec soin, je dirai qu'à l'heure actuelle, il n'y a aucun fait qui démontre que cela est vrai.

Si les compagnies de cigarettes cherchent à être inefficaces -- si c'est effectivement ce qu'elles font --, je ne sais pas si elles y arrivent. Je ne peux porter un jugement là-dessus. Si elles le font à l'interne, elles ne sont pas très efficaces. Si elles ne le font pas, cela ne change rien.

Actuellement rien n'indique que la publicité joue un rôle très important dans la décision des consommateurs. Pour reprendre votre expression: «je crois que je veux un jouet.»

La présidente: Quand j'étais dans l'enseignement, j'ai vu des jeunes voler les chaussures de course de leurs camarades de classe parce qu'ils voulaient avoir celles qu'ils considéraient la bonne marque. C'était simplement la bonne marque parce que c'était ce que disait la publicité. Ces étudiants n'avaient pas besoin de ces chaussures de course; ils n'avaient sûrement pas besoin de chaussures de course de cette marque. D'une façon ou d'une autre, la publicité avait un effet sur ces jeunes gens.

M. Smith: Il ne s'agit pas de prétendre que la publicité est totalement sans résultats. La question qu'il faut poser est: à quoi sert-elle? Il ne s'agit pas de dire qu'elle ne sert à rien du tout.

Je suis loin d'être expert en matière de publicité, alors je parle en tant que profane, mais je suppose que les différents genres de publicité s'adressent à des clientèles différentes. Si on sait que les gens s'intéressent à une activité particulière, on peut y accrocher la publicité pour attirer les clients -- je suppose qu'elle fonctionne de cette façon.

La présidente: Je pensais à la question du sénateur Pearson. Il s'agit d'une situation où une jeune femme veut devenir mince. La plupart des jeunes femmes à qui j'ai enseigné voulaient être extrêmement minces, c'était leur désir.

Je vois ensuite une compagnie de tabac qui fait la publicité d'un secteur de mode qui encourage aussi ces jeunes femmes à être extrêmement minces. Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il existe un lien entre le fabricant de cigarettes faisant la publicité de la mode qui exalte la sveltesse et la décision de ces jeunes femmes de fumer parce qu'elles veulent être très minces et deuxièmement, elles vont peut-être choisir la marque Matinée Light.

M. Smith: Je ne suis pas en désaccord avec votre description. Elle me paraît bien raisonnable. Intuitivement, on dirait qu'elle correspond à la situation réelle. L'ennui, c'est que nous ne sommes pas plus avancés.

La présidente: Exactement, nous ne pouvons pas trouver de preuve absolue.

M. Smith: Nous ne pouvons pas trouver des preuves qui s'appliquent à toutes les situations.

La présidente: Merci beaucoup, docteur Smith. Nous avons beaucoup apprécié votre témoignage.

La séance est levée.


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