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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 60 - Témoignages - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 21 avril 1997

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit, ce jour, à 14 h 03 pour étudier le projet de loi C-55, Loi modifiant le Code criminel (délinquants présentant un risque élevé de récidive), la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur les prisons et les maisons de correction et la Loi sur le ministère du Solliciteur général.

Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, nous sommes cet après-midi chargés de l'examen du projet de loi C-55, Loi modifiant le Code criminel (délinquants présentant un risque élevé de récidive), la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur les prisons et les maisons de correction et la Loi sur le ministère du Solliciteur général.

Vous avez sous les yeux un exemplaire de l'exposé liminaire des deux témoins. Vous avez également le mémoire de l'Association du Barreau canadien portant sur le projet de loi C-55. Le Barreau comparaîtra demain matin. Vous avez également le résumé législatif de l'attaché de recherche de la Bibliothèque du Parlement.

Nous recevons David Whellams, conseiller juridique, section de la politique en matière de droit pénal, et du Solliciteur général du Canada, Jennifer Trottier, analyste principale des politiques, Direction des politiques correctionnelles. Nos témoins vont d'abord faire un exposé. Ils vont également nous parler du résumé des recommandations du Barreau canadien, et nous dire ce qu'ils en pensent.

Vous avez la parole.

M. David Whellams, conseiller juridique, section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Merci, sénateur Carstairs. Je vais d'abord faire quelques remarques d'ordre général, et commenter ensuite le mémoire de l'Association du Barreau, suite à quoi nous pourrons répondre aux questions.

Je remercie le comité de nous avoir invités à comparaître pour débattre du projet de loi C-55.

Ce projet de loi, il faut le dire tout de suite, est le résultat d'une collaboration entre le ministère de la Justice et celui du Solliciteur général du Canada. Bien que ce soit le nom de M. Rock qui apparaît sur le projet de loi, la contribution de M. Gray est tout aussi importante.

Ce projet de loi est au centre des efforts du gouvernement pour combattre le crime sous ses aspects les plus violents. Les Canadiens nous ont dit, comme j'en suis sûr ils vous l'ont également dit, que les crimes violents, et plus particulièrement ceux dont sont victimes les enfants, étaient pour eux une source d'inquiétudes graves. Lorsque la violence vient s'ajouter à la pédophilie, vous vous retrouvez dans le pire des cauchemars pour tout le monde.

Le projet de loi C-55 s'attaque au crime violent en suivant trois grands axes qui sont plus ou moins nouveaux, qui correspondent à des amendements au Code criminel, ainsi qu'à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Le premier de ces axes prolonge l'application réussie, depuis 20 ans, des mesures visant les délinquants dangereux, soit la partie XXIV du Code criminel. Comme vous le savez, cette procédure spéciale permet au procureur de demander une peine à durée indéterminée contre les criminels coupables de «sévices graves à la personne», selon les termes de l'article 752 du code.

Dans ce genre de situation, il s'agit de délinquants qui ont une histoire et des antécédents confirmés de comportement violent, avec une probabilité de récidive avérée. De fait, notre expérience a montré que la notion de délinquant dangereux, et la procédure correspondante, avaient été appliquées avec succès aux cas des agresseurs sexuels les plus dangereux, auxquels il faudrait ajouter les délinquants violents n'appartenant pas à cette dernière catégorie. Une étude récente du solliciteur général montre que 92 p. 100 des demandes d'application de cette procédure concernaient des agresseurs sexuels.

Le projet de loi C-55 essaye d'améliorer cette procédure de diverses façons. Tout d'abord, et lorsqu'on aura affaire à un délinquant dangereux, une peine à durée indéterminée ou indéfinie sera automatique. Le droit en vigueur permet d'appliquer une peine à durée déterminée, même si cela a été l'exception.

Deuxièmement, le délinquant dangereux peut, selon le droit en vigueur, demander un examen de sa demande de libération conditionnelle après trois années d'incarcération. Avec le projet de loi C-55 cette période est portée à sept ans, avec une possibilité ensuite de représenter une demande tous les deux ans. Il est important de pouvoir présenter une demande de libération conditionnelle lorsque la peine prévue est de durée indéterminée ou indéfinie; cependant, il est peu probable que ce genre de criminels puissent obtenir une libération au bout de trois ans d'incarcération. En rédigeant les nouvelles mesures, nous avons estimé que sept ans constituaient une période d'attente justifiée avant le premier examen en libération conditionnelle.

Ensuite il y a, en troisième position, la création de cette période de six mois pour corriger le tir après la condamnation, permettant à la Couronne de demander que le délinquant soit déclaré dangereux, si nécessaire. On se dote de moyens plus étendus, et il s'agit d'une innovation à la fois importante et limitée. Dans certains cas, de fait, la Couronne, sans qu'il s'agisse d'une faute, n'a pas pu obtenir toute l'information nécessaire pour pouvoir demander que l'on déclare le délinquant dangereux. Ainsi, il peut arriver que l'on n'ait pas disposé de tous les dossiers portant sur d'anciens crimes, et il arrive même dans certains cas que certaines anciennes victimes prennent contact avec les autorités après que la peine a été prononcée. Il est donc important que l'on puisse utiliser certains nouveaux éléments de preuve, lorsqu'ils sont devenus disponibles, et qu'en cas de comportements délinquants répétitifs, on puisse déclencher la procédure s'appliquant aux délinquants dangereux. Cette modification donne six mois de plus au ministère public, mais uniquement lorsque certains nouveaux éléments d'information peuvent être utilisés. La Couronne doit également émettre un avis, au moment du procès, de son intention de présenter une requête à cet effet.

Je vais passer maintenant aux dispositions du projet de loi sur les délinquants à contrôler. C'est quelque chose de nouveau. Il y a des agresseurs sexuels qui n'entrent pas dans la catégorie des délinquants dangereux, et qui n'ont pas fait preuve de violence ou de brutalité au moment où l'infraction a été commise. Il s'agit de crimes de l'ordre de l'attouchement ou de l'exhibitionnisme. C'est suffisamment grave, mais il n'est pas question de brutalité, et il n'est pas question ici de délinquants dangereux comme c'est prévu dans le code.

Le projet de loi C-55 crée une nouvelle procédure spéciale pour cette catégorie d'agresseurs sexuels. En l'occurrence, le tribunal peut demander jusqu'à 10 années de surveillance intensive du prévenu, en plus de la peine normale d'incarcération. Les infractions qui peuvent donner lieu à l'application de la mesure sont énumérées au paragraphe 753.1(2) du projet de loi.

Les critères d'application de ces nouvelles dispositions visant les délinquants à contrôler sont énumérés dans le projet de loi. D'une part, le tribunal doit constater qu'il y a «risque élevé de récidive», et que, d'un autre côté, «il existe une possibilité réelle que ce risque puisse être maîtrisé au sein de la collectivité». C'est ce que vous trouvez au paragraphe 753.1(1) du projet de loi.

Il s'agit donc d'une nouvelle possibilité en matière de sanction. Il sera intéressant de voir comment les tribunaux en feront usage.

Le troisième pilier du projet de loi C-55 est un nouveau type d'assignation judiciaire. Vous le trouverez au paragraphe 810.2, tel que modifié. Si vous voulez, il s'agit d'une obligation de ne pas troubler l'ordre public et d'observer une bonne conduite. Il s'agit d'une mesure préventive. De façon générale, ce genre d'assignation est une ordonnance du tribunal imposant à l'accusé de respecter les normes collectives de comportement. Dans ce cas-ci, il s'agit d'une ordonnance qui fait suite aux motifs raisonnables que peut avoir le tribunal de craindre que le condamné ne se livre à nouveau à des voies de fait. Le tribunal peut alors imposer ce type d'astreinte, assortie de conditions, et portant sur une période allant jusqu'à 12 mois.

Il s'agit de conditions tout à fait semblables à ce que l'on trouve par ailleurs dans le Code criminel en matière d'obligations de ne pas troubler l'ordre public. En l'occurrence les pouvoirs du tribunal sont également tout à fait comparables. Il y a donc d'abord un article de portée générale quant à ce que le tribunal peut exiger, et ensuite un certain nombre de précisions que l'on trouve au paragraphe proposé 810.2. On exige par exemple que le condamné se présente régulièrement à la police, ou devant les autorités correctionnelles provinciales. Vous n'aurez pas manqué de remarquer que toute mention de surveillance électronique a été supprimée de la version du projet de loi que vous avez sous les yeux.

Ce nouveau type d'ordonnance n'est pas une panacée, nous le reconnaissons. C'est-à-dire qu'il n'y a pas d'incarcération, mais si l'ordonnance n'est pas respectée c'est une infraction, et elle est définie dans le projet de loi C-55. Notons par ailleurs que la police connaît très bien les conditions d'application de ce genre d'ordonnance que l'on trouve ailleurs dans le Code. Je vous renvoie notamment au paragraphe 810.1 du Code, ce que l'on appelle l'ordonnance de non-communication anti-pédophile. On peut donc dire que les droits des citoyens respectueux du droit sont respectés.

Finalement, il faut aussi rappeler dans quelles conditions le projet de loi tient compte de l'existence d'un faible risque pour certains délinquants. Le gouvernement a dit publiquement, et notamment dans le dernier discours du Trône, qu'il fallait d'abord utiliser les ressources des services correctionnels pour lutter contre les délinquants les plus dangereux, qui commettent des crimes violents, et qui sont un danger pour la société. Mais, et là où le risque est plus faible, il faut trouver des moyens moins coûteux de garantir la sécurité publique.

Le projet de loi C-55 ne reprend pas toutes les propositions du gouvernement concernant ces délinquants moins dangereux, mais il y en a une qui est importante. On modifie en effet la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, et on permet que les délinquants non violents dont c'est la première infraction au Code criminel puissent bénéficier plus tôt d'une semi-liberté. Cela permettra à un certain nombre de détenus des prisons fédérales de profiter plus tôt du programme de semi-liberté, lorsqu'il s'agit d'une première condamnation et qu'ils ne constituent pas un risque grave pour la société.

J'en resterai là. Mme Trottier et moi-même serons ravis de répondre aux questions et, si vous le désirez, nous pourrions également passer au mémoire de l'Association du Barreau canadien. À première vue, il s'agit du même mémoire que celui qui a été présenté au comité permanent de l'autre endroit. J'étais présent à cette séance, et nous sommes donc prêts à commenter leur position.

La présidente: Le sénateur Corbin et le sénateur Jessiman ont déjà demandé la parole. Lorsque toutes les questions auront été posées, nous pourrons effectivement discuter point par point du mémoire du Barreau.

Le sénateur Corbin: Vous avez parlé de «brutalité» en ce qui concerne les délinquants dangereux. S'agit-il seulement de brutalité physique? À quel type de brutalité pensiez-vous plus particulièrement?

M. Whellams: Lorsque nous parlons de «brutalité», nous parlons surtout de ces crimes odieux où des sévices graves sont commis. Mais le code, lorsqu'il fixe des critères permettant de déclarer dangereux un délinquant, ne se limite pas à cette notion de brutalité. On y fait mention d'une conduite d'infractions graves et violentes, et notamment de préjudice psychologique grave.

De façon générale, les demandes du tribunal -- lorsqu'on voudra déclarer dangereux un délinquant -- qui pourront être retenues porteront probablement sur des cas d'agression grave, ou d'agressions sexuelles graves. Comme je l'ai dit, 92 p. 100 des demandes qui ont été reconnues portaient sur des crimes sexuels. Dans la majorité des cas il s'agissait d'agressions sexuelles graves, et dans certains cas à main armée. Pour bien insister sur la gravité de ces infractions, le code précise que l'on peut exiger jusqu'à l'emprisonnement à vie.

Dans la majorité des cas, oui, il s'agit de violence physique, mais l'on fait aussi une place au préjudice psychologique grave, et cela est tout à fait important lorsqu'il s'agit notamment du cas des enfants. Alors, oui, il en serait tenu compte.

Le sénateur Corbin: C'est à dessein que je pose la question, et je pensais à ces situations de préjudice psychologique ou de violence qui n'est pas forcément reconnu tout de suite, mais qui peut au fil des ans avoir des effets tout à fait graves sur la personne. Est-ce que l'on pourrait effectivement vérifier qu'il y a eu préjudice psychologique grave au fil des ans? Les dispositions actuelles du droit, ou les règlements, permettent-ils que ce genre d'information soit consignée au dossier de l'accusé?

M. Whellams: Certainement. Permettez-moi d'énumérer un certain nombre de facteurs qui seraient certainement pris en considération par le tribunal, s'il s'agit d'une procédure de délinquants dangereux.

L'agresseur sexuel, le pédophile, par exemple, a en général un dossier où sont consignés toute une série d'antécédents. Il n'y aura peut-être pas eu à chaque fois une condamnation, mais il y en aura eu au moins quelques-unes. Sans vouloir donner ici un profil typique du pédophile, disons qu'il s'agit en général de délinquants qui commencent par des attouchements, sans violence physique ni brutalité avérée, et lentement les choses s'aggravent. C'est précisément ce qui ressortirait lors d'une audience pour délinquants dangereux. Le dossier, avec tous les antécédents délictueux, sera remis au ministère public et au tribunal. En général on retrouve un certain schème de comportement, les choses commençant à un niveau relativement bénin, pour lentement s'aggraver jusqu'à la violence physique et psychologique.

Il y a encore autre chose qui peut vous intéresser, c'est la procédure d'évaluation, qui vient s'articuler sur la procédure des délinquants dangereux, et que nous proposons ici. Nous espérons qu'il y aura une évaluation approfondie, comportant un examen psychiatrique, psychologique et autres. Il est important que l'on ait l'avis d'un psychologue ou d'un psychiatre sur le caractère de l'individu. Nous avons dit dans le nouveau projet de loi que cette évaluation doit faire partie du dossier de la preuve, et qu'il en soit question à l'audience. Toute cette information psychiatrique et psychologique sera prise en considération, y compris une analyse des préjudices subis par la victime.

Le sénateur Corbin: Y aura-t-il également un suivi, en supposant que certains traumatismes psychologiques ne se manifestent au grand jour qu'après plusieurs années?

Aussi bien intentionné que soit le projet de loi, si vous n'avez pas de suivi portant sur la santé mentale de la victime, le dossier de l'accusé n'en portera aucune trace.

M. Whellams: Les groupes de défense des droits de la victime se font de plus en plus entendre. Ils ont exigé que leurs demandes soient prises en considération, et elles l'ont été.

La procédure où le délinquant peut être déclaré dangereux est suivie de l'application d'une peine. Il y a déjà eu un procès. Nous espérons qu'à ce moment-là, tout ce qui concerne le préjudice psychologique et le profil psychiatrique de l'accusé aura été consigné au dossier. Comme nous l'avons fait remarquer, le critère pris en considération est celui d'un comportement agressif récurant, et du préjudice psychologique. Les rapports présentenciels, les déclarations de la victime, sont parmi d'autres éléments une occasion supplémentaire de permettre à ce genre d'information d'être repris à l'audience. Sans pouvoir garantir de façon absolue les résultats, je pense que les dispositions sont supérieures à ce qu'elles ont jamais été. J'espère réellement que cela permettra d'améliorer la procédure d'évaluation également.

Le sénateur Jessiman: Selon l'article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés, toute personne accusée a le droit d'être informée, dans des délais raisonnables, de la nature de l'infraction dont elle est accusée.

Selon certains spécialistes du sujet, les nouvelles mesures proposées sont contraires à l'esprit de la Charte. Qu'est-ce que vous leur répondez?

M. Whellams: Sur la nécessité d'informer l'accusé de la nature de l'infraction invoquée?

Le sénateur Jessiman: Je veux parler de cette période de six mois. Voilà quelqu'un qui a été accusé, condamné, et la peine a été prononcée. Et six mois plus tard, vous voulez lui imposer une peine différente. Au moment où la peine est prononcée, on pourrait dire que l'article 11 de la Charte n'a pas été respecté, car il n'a pas été informé dans des délais raisonnables de ce qu'il en était.

M. Whellams: Il y a une disposition en ce qui concerne cette «fenêtre d'opportunité» prévoyant qu'un avis soit donné. En vertu de cette disposition, et vous avez certainement lu l'article, cela doit être fait avant le prononcé de la peine. Autrement dit, nous avons affaire à quelqu'un déclaré coupable de sévices graves. On attend que la peine soit prononcée. La Couronne doit alors donner avis qu'elle ne va pas demander que le délinquant soit déclaré dangereux à ce moment-là, ni demander le renvoi pour réévaluation, mais s'en réserve le droit dans les six mois.

Le sénateur Jessiman: La Couronne doit alors prouver, lorsque la requête est présentée, que certains éléments de preuve n'étaient pas disponibles au moment où la peine a été prononcée la première fois. Il y a donc deux choses.

M. Whellams: Il y en a plus que deux, en réalité. La marge de manoeuvre du procureur de la Couronne est assez étroite. Et notamment elle est limitée par le fait qu'il doit annoncer ses intentions, sous forme d'avis. Nous en avons déjà parlé. Il faut aussi qu'il y ait une nouvelle information, qui n'était pas disponible au moment du procès, et cette information doit être connue dans les six mois. C'est une période de temps assez limitée.

Le sénateur Jessiman: Parlons maintenant de ces nouvelles ordonnances judiciaires. Elles peuvent s'appliquer à des gens qui n'ont jamais été condamnés pour quoi que ce soit. En réalité, on s'inquiète de gens qui ont déjà payé leur tribut, et purgé leur peine d'incarcération. Ces personnes sont relâchées, et il s'agit de gens qui ont été condamnés, mais qui ont payé réparation. Or, l'article tel qu'il est rédigé, pourrait s'appliquer à quelqu'un qui n'a jamais été condamné pour quoi que ce soit, si quelqu'un d'autre craint que la personne en question puisse constituer un risque sur le plan criminel, auquel cas une telle ordonnance pourrait être demandée.

Cette ordonnance demandant que l'on ne trouble pas l'ordre public a toujours existé, il s'agissait de personnes ou même de propriétés, lorsque par exemple le mari et la femme se séparent et veulent s'assurer que ni l'un ni l'autre ne pénétrera sur la propriété de l'ex-conjoint. Voilà ce qu'était l'engagement à ne pas troubler l'ordre public. On est en train d'en étendre considérablement la portée. Est-ce que cela pourra également résister aux contestations possibles?

M. Whellams: Vous posez une question importante, et j'avouerai franchement que la rédaction de cet article a posé quelques difficultés. Je peux être très franc, M. Rock s'étant montré lui-même extrêmement franc sur les difficultés que l'article nous réservait.

Vous demandez d'une part pourquoi on ne limite pas l'application de cette mesure à celui qui a été déclaré coupable, c'est-à-dire au criminel. Il y a problème si la personne a déjà fait l'objet d'une condamnation au criminel. La marge de manoeuvre est étroite, mais c'est sans doute la raison pour laquelle nous avons décidé de rédiger cet article en termes assez généraux.

Si la personne a déjà été déclarée coupable d'un crime, a purgé sa peine et est en liberté, vous ne pouvez pas invoquer le fait qu'elle ait déjà été condamnée pour lui imposer ce genre de mesure. Il ne s'agit pas ici d'un châtiment. Les tribunaux ont toujours bien dit que ces ordonnances n'étaient pas une sanction. C'est une ordonnance du Code criminel, et simplement une restriction imposée à la personne. On se retrouverait sinon en cas de double sanction, ce qui poserait des problèmes du côté de la Charte.

Nous avons mis l'accent sur le dossier de la preuve. Celui qui dépose une plainte, et qui fait une demande, doit prouver devant le tribunal que ses craintes ou appréhensions, selon lesquelles l'individu risque de commettre un crime grave, sont fondées en fait. Effectivement, on pourrait raisonnablement s'attendre à ce que les antécédents délictueux soient l'élément déterminant, mais ça ne serait pas le seul facteur à prendre en considération.

Votre question pose un problème de rédaction, mais est également une référence à la Charte. Que cette disposition ne s'adresse qu'à d'anciens criminels, comme vous le demandez, serait une invitation pour les tribunaux à réfléchir longuement avant de décider s'ils ne vont imposer une double sanction. Nous préférons donc un libellé assez général, avec des garanties, afin d'en faire une mesure préventive.

Lorsque M. Rock a annoncé cette mesure, il a parlé de l'affaire R. c. Boudreo, ordonnance d'un type un peu différent mais rentrant dans le cadre du paragraphe 810.1. Il s'agit d'un cas de figure assez comparable et l'on a conservé l'idée du Code criminel, selon laquelle ces ordonnances sont utilisées à des fins préventives.

La deuxième partie de votre question concerne la Charte et les contestations possibles. On peut s'y attendre. L'affaire que j'ai citée suit son cours dans les tribunaux, et il y aura probablement une contestation.

Le sénateur Jessiman: J'ai d'autres questions à poser, mais je vais attendre la discussion du mémoire du Barreau.

Le sénateur Beaudoin: Si vous modifiez la loi en donnant plus de pouvoirs d'application d'une peine à durée indéterminée, l'article 12 de la Charte sur la punition cruelle et inhabituelle ne risque-t-il pas de s'appliquer? Cela dépend du cas, mais le fait qu'il s'agisse d'une peine à durée indéterminée pose un problème. Peut-être est-ce tout à fait justifié. Nous n'avons pas beaucoup de jurisprudence sur l'article 12. Qu'en pensez-vous?

M. Whellams: Il y a un petit peu de jurisprudence, qui ne va peut-être pas jusqu'au fond de la question. En tous les cas, cela ne répond pas à toutes les questions que pose ce nouveau projet de loi.

Le sénateur Beaudoin: Et il y a l'affaire Lyons.

M. Whellams: Ce que tout le monde aime à dire, à propos de cette affaire Lyons, est que le processus sur les délinquants dangereux a été soigneusement adapté. On a prévu des garanties, il y a un certain nombre d'exigences en ce qui concerne la preuve, et les critères appliqués sont bien définis.

Comme vous l'avez dit, nous avons supprimé la peine à durée déterminée, et le tribunal doit imposer une peine à durée indéterminée. Dans sa première recommandation, le mémoire de l'Association du Barreau en traite, je propose donc que nous passions à cette question.

En fait, il est très rare qu'on impose une peine pour une durée déterminée à un délinquant dangereux. Au plus six délinquants dangereux sur 186 se sont vu imposer ce genre de peine. Dans l'affaire Lyons, le tribunal a statué qu'il fallait prendre des précautions particulières, notamment en ce qui touche la preuve et l'examen de la demande de libération conditionnelle, dans le cas d'une peine de durée indéterminée. La demande de libération conditionnelle présentée par un détenu purgeant une peine de durée indéterminée continue de faire l'objet d'un examen. Le premier examen n'a plus lieu après trois ans, mais après sept ans, et un examen a ensuite lieu par la suite tous les deux ans. Nous croyons ainsi protéger les droits individuels des détenus.

Vous avez parlé de peines cruelles et inhabituelles. Dans l'affaire Lyons, la Cour suprême du Canada a statué que dans le cas des délinquants dangereux assujettis à la partie 25 du Code criminel, une peine de durée indéterminée ne pouvait pas être considérée comme une peine cruelle et inhabituelle qui serait contraire aux droits de la personne. Tout dépend cependant de la façon dont on administre cette peine. Étant donné que les délinquants dangereux ne sont pas libérés très rapidement, il est possible de reporter l'examen de libération conditionnelle.

J'anticipe maintenant ce que l'Association du Barreau canadien dira demain, mais en obligeant les tribunaux à imposer une peine d'une durée indéterminée, nous créons une autre peine à durée minimale obligatoire. C'est une façon de voir les choses, mais d'autres options s'offrent aux tribunaux s'ils jugent que le détenu peut être réhabilité. Dans l'un de ces arrêts, la Cour suprême demande si le détenu peut être réhabilité dans une période donnée. Si c'est le cas, je ne pense pas qu'un tribunal déclarera qu'un délinquant est un délinquant dangereux. Il statuera plutôt qu'il peut s'amender ou qu'il ne sera pas dangereux indéfiniment. Le tribunal déclarera peut-être plutôt que le détenu est un délinquant à contrôler, ce qui est une nouvelle catégorie de détenus. Le juge pourrait aussi décider que le détenu n'est ni un délinquant dangereux, ni un délinquant à contrôler et lui imposer une peine normale comme le prévoit la loi actuelle.

Il est possible que l'article 12 présente un léger risque de porter atteinte à la Charte, mais nous avons maintenu la plupart, voire toutes, les garanties en ce qui touche la preuve, la libération conditionnelle et l'audience en bonne et due forme. Très peu de détenus purgeant une peine à durée indéterminée seront libérés très rapidement. La Loi sur les contrevenants dangereux repose sur le concept même de la peine à durée indéterminée.

Le sénateur Beaudoin: Il est évidemment toujours possible qu'il y ait une contestation en vertu de la Charte. Une première décision a été rendue dans 330 cas depuis 1984. C'est beaucoup. Et ce n'est qu'au niveau de la Cour suprême.

Êtes-vous raisonnablement sûrs d'avoir atteint un juste équilibre?

M. Whellams: Si l'article 12 était contesté devant les tribunaux, c'est l'arrêt Lyons qui ferait référence. Il y en a peut-être d'autres. Je vous ai donné mon interprétation de l'arrêt Lyons, et les mesures que nous proposons ne contreviennent pas à cet arrêt.

La présidente: Passons maintenant au résumé des recommandations. Vous nous avez expliqué la première. Passons maintenant à la recommandation no 2 voulant que le projet de loi C-55 soit modifié de manière à ce que tant la Couronne que la défense continuent de pouvoir proposer un psychiatre, comme c'est le cas actuellement.

M. Whellams: Je n'ai pas mentionné la recommandation no 2 dans ma déclaration liminaire. À l'heure actuelle, la loi exige que deux psychiatres témoignent, l'un pour la défense et l'autre pour la poursuite, lors de l'audience au cours de laquelle on déterminera si un délinquant doit être déclaré délinquant dangereux. Il ne sera plus obligatoirement nécessaire de faire appel à deux psychiatres, mais rien n'empêche la défense de présenter toutes les preuves à sa disposition au moment de l'audience. Je ne peux pas imaginer qu'on refuse à la défense le droit de pouvoir présenter ses propres éléments de preuve de nature psychiatrique.

On ne se fonde pas toujours sur l'expérience pour concevoir les lois, mais l'expérience démontre cependant -- et je crois que cela mérite que je le souligne -- qu'on manque de psychiatres médicaux légaux dans bien des régions du pays.

En prévision d'une audience visant à faire déclarer un délinquant dangereux, la poursuite et la défense s'entendent sur le témoignage psychiatrique, autrement dit, pour décider quels psychiatres témoigneront. On procède ainsi pour plusieurs raisons. D'une part, il y a pénurie de psychiatres, et d'autre part, comme on aura déjà procédé à une évaluation, les psychiatres qui l'auront mené à bien sont sans doute les mieux placés pour témoigner. Ce ne sera pas toujours le cas. Nous n'avons pas interdit que l'on ait recours à un rapport psychiatrique supplémentaire.

Je constate que la recommandation précise «à moins que les deux parties n'acceptent de n'avoir recours qu'à un seul rapport psychiatrique.» En fait, il arrive qu'il en soit ainsi. Cet élément a été couvert.

Pendant plusieurs années, un groupe de travail fédéral-provincial s'est penché sur ces deux questions, celle de la peine d'une durée indéterminée et celle du témoignage psychiatrique. Le groupe de travail a recommandé vigoureusement que l'on prenne des dispositions dans les deux cas.

Un des aspects est la place du témoignage psychiatrique lors de l'audience. Comme je l'ai dit en réponse à une question du sénateur Corbin, le rapport d'évaluation doit être déposé comme élément de preuve et il s'agira fort probablement d'une évaluation psychiatrique. Autrement dit, l'évaluation psychiatrique interviendra à l'audience sous diverses formes. S'il n'y a pas d'autres remarques, je répondrai volontiers à vos questions.

La présidente: La recommandation no 3: que la possibilité d'entreprendre des procédures pour faire déclarer un délinquant dangereux une fois la peine imposée soit supprimée du projet de loi C-55.

M. Whellams: J'ai l'impression que l'Association du Barreau ne prise guère quoi que ce soit dans le projet de loi. Mais je vais vous répondre de façon pondérée, méthodiquement. L'essentiel était contenu dans la réponse à la question du sénateur Beaudoin. Je ne voudrais m'appesantir sur cette question-là.

Nous espérons que les garanties contre les excès existent. Je m'attends à ce que l'on ne s'en serve pas trop souvent. En de rares occasions, les victimes d'autres crimes fournissent de nouveaux éléments de preuves.

La présidente: Vous avez dit que le Barreau ne prisait pas particulièrement ce projet de loi. Qu'en disent les provinces?

M. Whellams: Je vous ai parlé du groupe de travail. Il s'agissait d'un groupe de travail formé de fonctionnaires mandatés par les ministres de la Justice et les solliciteurs généraux fédéraux, provinciaux et territoriaux. En effet, les ministres ont reçu son rapport en janvier 1995. Le groupe de ministres responsables des portefeuilles judiciaires a souscrit aux recommandations de ce rapport, du moins celles qui portaient sur les questions dont nous avons parlé, voire toutes les questions traitées dans le projet de loi. On peut donc dire que tout le projet de loi a reçu un solide appui, sur ces aspects-là assurément.

La présidente: Passons à la recommandation no 4, celle qui porte sur le délai de trois ans imposé avant que le dossier d'un délinquant dangereux ne soit examiné de nouveau après un premier refus de libération conditionnelle. Ce délai est passé de trois à sept ans, et tous les deux ans par la suite.

M. Whellams: Vous avez raison. Mme Trottier pourra m'aider à répondre à cette question car il s'agit du rôle de la Commission des libérations conditionnelles et du Service correctionnel.

Le sénateur Beaudoin: Est-ce la seule modification, la prolongation de trois à sept ans?

M. Whellams: Pour ce qui est de l'admissibilité à la libération conditionnelle des délinquants dangereux, oui.

Le sénateur Beaudoin: Je serais porté à croire que c'est un délai raisonnable étant donné qu'ils sont dangereux et qu'ils comportent des risques. De prime abord, je ne vois pas d'inconvénient à ce que le délai passe de trois à sept ans.

Mme Jennifer Trottier, analyste principale des politiques, Direction des politiques correctionnelles, Bureau du solliciteur général du Canada: Très peu de détenus sont mis en liberté au bout de trois ans et quelques-uns seulement sont mis en liberté une fois que sept ans se sont écoulés.

Le sénateur Jessiman: Ce n'est pas tellement le moment de la mise en liberté qui pose un problème, mais le fait, si je ne m'abuse, que l'on n'envisage pas de donner à ces détenus-là un traitement quelconque avant que trois années ne se soient écoulées. Trois années doivent donc s'écouler et ce n'est qu'à la fin de la troisième année que l'on commence à offrir un traitement afin de déterminer si on peut envisager de relâcher ces détenus-là. Il ne faut donc pas l'oublier qu'il s'écoulera sept années avant que l'on songe à venir en aide à ces détenus-là. À ce moment-là, ils seront peut-être irrécupérables.

La présidente: Si donc les délais passent de trois à sept années, et si actuellement ces détenus-là ne reçoivent pas de traitement avant le dernier mois de la troisième année, cela signifie-t-il qu'ils n'obtiendront pas de traitement avant le dernier mois de la septième année?

Mme Trottier: Je ne le pense pas.

Le sénateur Jessiman: C'est une question d'argent et de ressources.

Mme Trottier: Dès que les détenus arrivent dans un pénitencier fédéral, ils suivent une procédure d'évaluation. Il faut parfois attendre un an pour que les diverses évaluations permettent de déterminer le genre de traitement approprié. Ensuite, le nom de ces détenus-là est inscrit sur une liste d'attente en vue d'une participation au programme qui leur convient.

Je ne voudrais pas donner l'impression que les détenus sont laissés à eux-mêmes et qu'on ne se soucie pas d'eux parce qu'ils resteront de toute façon incarcérés.

La présidente: Par le passé, le comité a entendu des témoignages indiquant par exemple que si l'on savait que tel détenu allait rester incarcéré plus longtemps qu'un autre, c'est lui qui demeurait sur la liste d'attente. Je trouve inquiétant que quelqu'un puisse attendre sept ans avant de recevoir un traitement quelconque.

Sénateur Jessiman, le comité recommande quelque chose là-dessus, n'est-ce pas?

Le sénateur Jessiman: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Quel genre de traitements sont offerts? Qu'est-ce que cela signifie concrètement?

M. Whellams: Comme je vous l'ai dit, la majorité de ces détenus sont des délinquants sexuels, et par définition, ils ont commis des crimes graves, d'habitude avec violence également.

Le sénateur Beaudoin: Voilà pourquoi ils sont dangereux.

M. Whellams: Précisément. Le traitement est nécessairement à long terme. Comme ma collègue l'a dit, les évaluations sont faites dès le début de l'incarcération. Je ne voudrais pas parler en leur nom, mais je pense que le Service correctionnel du Canada ou la Commission des libérations conditionnelles doivent envisager un régime de traitement qui serait plutôt à long terme.

Je ne vais pas décrire le genre de traitements que l'on offre aux délinquants sexuels, mais j'imagine qu'il est plutôt intensif.

Le sénateur Beaudoin: Parlez-vous d'un traitement médical ou d'un traitement psychologique? Les traitements devraient être entrepris dès le premier jour d'incarcération.

Mme Trottier: On veille à ce que tous les détenus reçoivent le traitement qui s'impose d'après les évaluations au moment qui convient le mieux pendant qu'ils purgent leur peine. S'il s'agit de détenus qui feront l'objet d'un examen en vue d'une libération conditionnelle après sept ans, il est logique qu'on ne commence pas trop tôt le traitement d'un délinquant sexuel qui pourrait en avoir besoin au cours de la deuxième année de sa détention. Il pourrait s'avérer plus profitable qu'on attende la quatrième année pour garantir que le traitement aura produit les effets escomptés émanant de l'examen en vue d'une libération conditionnelle.

Le sénateur Jessiman: L'Association du Barreau canadien cite l'affaire la Reine contre Yanoshewski, et je cite:

[...] les délinquants dangereux qui purgent des peines d'une durée indéterminée figurent très bas dans la liste des priorités pour ce qui est des traitements car l'administration les considère comme des prisonniers à long terme...

Le sénateur Pearson: À ce propos, serait-il acceptable qu'un délinquant sexuel dangereux obtienne un traitement privé?

Mme Trottier: Je ne peux pas répondre à cette question.

Le sénateur Pearson: Vous avez dit qu'il fallait que le traitement soit administré au moment pertinent, et je suppose que vous faisiez allusion aux thérapies par aversion et à ce genre de traitement. Il s'agit de traitements qui conditionnent au dégoût. Je ne pense pas qu'il s'agisse ici de soins psychiatriques à long terme.

Mme Trottier: Il s'agit assurément des soins psychiatriques inhérents au programme de traitement et non pas de confier ces détenus à des services psychiatriques en milieu hospitalier.

Le sénateur Pearson: Je me suis intéressée particulièrement à l'affaire de Joseph Fredericks, en partie parce que ma fille a écrit un article là-dessus dans la revue Saturday Night. Les antécédents de cet homme le prédisposaient aux actes qu'il a commis. Il est probable que seul un traitement psychiatrique à long terme, c'est-à-dire une psychothérapie, assorti d'un autre traitement, auraient donné dans son cas des résultats positifs. Que je sache, il n'en a jamais bénéficié. Nous savons tous le long processus que représente toute tentative pour surmonter un traumatisme subi dans l'enfance.

Dites-moi cependant, même si cela n'a rien à voir avec le projet de loi, si quelqu'un reconnaît souffrir d'un problème grave -- et c'est manifestement le cas de ces détenus-là puisque c'est la cause de leur incarcération -- et qu'il souhaite obtenir une aide psychiatrique, est-il possible pour lui de l'obtenir?

Mme Trottier: Vous me demandez s'il peut l'obtenir par ses propres moyens? Je n'en suis pas sûre. Je vais me renseigner.

Le sénateur Pearson: Cela m'intéresse au plus haut point.

Le sénateur Corbin: Vous avez dit tout à l'heure qu'il y a une pénurie de psychiatres médico-légaux. À Miramichi, il existe un pénitencier à sécurité maximale, dans les bois, isolé de tout. Y a-t-il là des psychiatres à demeure? Qu'est-ce qui est prévu dans une situation comme celle-là? Comment fait-on pour la prestation de services, si vous voulez?

M. Whellams: Faites-vous allusion aux tests psychiatriques qui font partie de l'évaluation?

Le sénateur Corbin: Oui.

M. Whellams: Cela varie selon les régions du pays. Les provinces les plus peuplées disposent d'une gamme plus variée dans les divers centres. À l'occasion, les pénitenciers font appel à des établissements psychiatriques comme l'institut Pinel, au Québec.

Le sénateur Corbin: Ce genre de contrevenant ne se retrouverait pas nécessairement dans un établissement comme Miramichi, n'est-ce pas?

M. Whellams: C'est possible. En vertu de la procédure de renvoi sous garde, un délinquant en détention peut être transféré au centre d'évaluation.

Le sénateur Corbin: J'ai parlé de Miramichi, mais il s'agit de Renous.

M. Whellams: À ce stade-là de la procédure, il faut garantir l'impartialité et l'objectivité. Nous n'avons pas affaire ici à quelqu'un à qui on a déjà imposé une peine et qui est incarcéré, qui reçoit le traitement que l'on offre à un détenu.

Les provinces ont un rôle important à jouer quand il s'agit de structurer les établissements d'évaluation et de prévoir la procédure d'évaluation. Le tribunal également. La défense pourrait présenter des objections si l'évaluation se faisait dans un établissement fédéral où pourrait tôt ou tard aboutir le détenu.

Maintenant, pour ce qui est de la période postsentencielle, effectivement, il existe des centres psychiatriques dans toutes les régions où le Service correctionnel du Canada a des établissements. Je ne connais pas bien Renous et la région de Miramichi, mais le centre de Saskatoon est impeccable. Le centre psychiatrique régional là-bas fait un travail remarquable. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

Le sénateur Corbin: Oui, mais au Nouveau-Brunswick?

M. Whellams: Je ne travaille pas dans le service correctionnel de la région, si bien que je ne peux pas vous parler de Renous.

La présidente: Passons à la recommandation no 5 du Barreau.

M. Whellams: J'interprète la recommandation no 5 comme préconisant de remplacer la procédure prévue pour les délinquants à contrôler pour lui substituer de plus grosses possibilités de probation.

Il y a deux aspects à cette recommandation. Il est intéressant de constater que l'Association du Barreau, comme d'autres qui se sont prononcés sur le projet de loi C-55, considère les délinquants à contrôler comme une catégorie de détenus dans les institutions fédérales qui pourraient être mis en probation tout simplement grâce à une prolongation de dix années de surveillance. À la vérité, nous n'envisagions pas par là d'élargir le champ d'utilisation de la probation. La notion de probation telle qu'elle est comprise actuellement est une prolongation du temps d'incarcération dans un établissement provincial. Ce n'est donc pas du tout à cela que nous songions, car nous avons créé une procédure spécifique pour déclarer un délinquant à contrôler. Nous aurions pu emprunter une avenue différente. Nous aurions pu déterminer une catégorie de délinquants sexuels ayant commis des infractions graves et laisser au tribunal le soin d'ajouter cinq ou dix ans de probation. Essentiellement, le Barreau recommande que l'on ajoute automatiquement cinq années à la peine imposée à ces délinquants-là.

J'ai des critiques assez sérieuses à adresser dans le cas de cette recommandation. Le Barreau la critique par ailleurs car il prétend que nous durcissons la loi, ce qui multipliera le nombre de contrevenants. Un peu comme si nous nous gardions de les enfermer à perpétuité mais tout en préconisant une prolongation des peines. Si, au palier fédéral, la liberté surveillée est introduite, la surveillance n'incombera pas aux autorités provinciales. Ainsi, si la surveillance était exercée par la Commission des libérations conditionnelles ou par le Service correctionnel du Canada, il y aurait certainement une multiplication du côté des coûts.

Le sénateur Gigantès: Qu'entendez-vous par «multiplication du côté des coûts»?

M. Whellams: Actuellement, la liberté surveillée est de ressort strictement provincial. S'il y avait une liberté surveillée exercée par le fédéral, c'est-à-dire l'administration que cela implique pour cinq années ou plus, les coûts seraient plus élevés et plus de criminels ordinaires se verraient imposer une peine assortie d'une liberté surveillée de cinq ans. Ainsi, il y aurait multiplication des cas où on imposerait une liberté surveillée de cinq ans, alors qu'actuellement, une longue peine méritée est imposée mais il y a automatiquement admissibilité à la liberté conditionnelle.

La question est théorique, et je ne suis pas sûr de pouvoir en débattre. Il s'agit de déterminer si l'on veut remplacer le régime imposé aux délinquants à contrôler par des ordonnances d'office de probation. Comme je l'ai dit, nous n'avions certainement pas l'intention de préconiser cela.

Le régime prévu pour les délinquants à contrôler est à mon avis préférable à l'ajout d'une probation de cinq ans, car il fait intervenir l'obligation d'avoir recours à une procédure et à une évaluation spéciales. Ainsi, le tribunal doit imposer une peine qui allie une surveillance intensive et un temps d'incarcération.

La présidente: Il y a quelque chose que je ne comprends pas, manifestement. Qui s'occupera de cette surveillance, sinon le système de probation?

M. Whellams: Permettez-moi de préciser. Les délinquants à contrôler relèvent strictement des autorités fédérales. Il n'y a que ce groupe sélect qui bénéficie de cette appellation spéciale.

Le Barreau, en l'occurrence, même s'il ne le dit pas explicitement, envisage que l'on ajoute cinq années de probation chaque fois qu'une peine pour infraction grave est imposée, et non pas seulement aux délinquants à surveiller. Le Barreau ne dit pas clairement si cette probation relèvera des autorités provinciales ou fédérales. Il faudrait que nous ayons des discussions avec les provinces si cela devait se faire. Je ne sais pas si c'est mon interprétation, mais si cela devait se faire, ce sont les autorités fédérales qui devraient s'en occuper.

La présidente: C'est ce que propose le Barreau. Que proposez-vous?

M. Whellams: Tout d'abord, nous rejetons cette idée-là.

La présidente: Précisément. Vous préconisez une période de surveillance de dix ans. Je suppose qu'elle serait imposée une fois que l'on aurait procédé à une évaluation spéciale, pour déterminer le genre de surveillance qui s'impose dans le cas d'un individu. Cela entraînerait des coûts que notre système correctionnel n'avait pas à assumer auparavant dans le cas des délinquants à contrôler.

Songez-vous particulièrement aux pédophiles? Nous pourrions discuter de la possibilité de traiter ou non les pédophiles. Nous savons qu'un grand nombre d'entre eux choisissent de purger toute leur peine, car ainsi ils n'ont de comptes à rendre à personne. S'ils sont mis en probation, cela dure un certain temps. S'ils purgent toute leur peine, ils sortent de prison, et on ne les revoit plus.

Le sénateur Gigantès: Tant qu'ils ne récidivent pas.

La présidente: Comme le dit le sénateur Gigantès, tant qu'ils ne récidivent pas. Cette mesure vise à imposer une certaine surveillance, adaptée aux besoins de ces délinquants.

M. Whellams: C'est tout à fait cela.

L'ordonnance de surveillance pour les délinquants à contrôler, valable pour dix ans, ne commence qu'une fois la peine d'emprisonnement purgée. Pour le détenu qui veut se contenter de rester derrière les barreaux, ou même demander une libération conditionnelle, cette ordonnance vaut quand même, car une fois qu'il a purgé la totalité de sa peine on lui impose quand même cette surveillance obligatoire.

Voici un exemple tout à fait hypothétique. Disons qu'on impose huit années à un délinquant pour agression sexuelle et qu'il purge ces huit années. C'est seulement à la fin de cette période-là que la surveillance intervient pour huit années supplémentaires. Autrement dit, le contrôle est prolongé sans toutefois qu'on prolonge la durée de la peine. C'est ajouté à la fin.

Nous prévoyons que le coût de cette surveillance à long terme en vertu des ordonnances qui seront rendues sera plus élevé que le coût moyen de la libération conditionnelle d'un contrevenant. J'hésite à donner des chiffres précis, mais je pense qu'un détenu en liberté conditionnelle coûte en moyenne annuellement 9 000 $ environ. Dans le cas de ces ordonnances, ce serait le double. Nous espérons que la structure de surveillance sera plus resserrée, car nous avons affaire à des criminels assez dangereux. Beaucoup de délinquants sexuels requièrent un contrôle intensif à long terme, et cela fait grimper le coût.

Il est difficile de prévoir combien de cas nous aurons dans cette catégorie. La procédure est toute nouvelle.

Le sénateur Jessiman: Dans le cas de beaucoup de ces crimes, il y a une peine maximale, par exemple dix ans. Les juges imposent-ils un an, deux ans? Tenez-vous compte de la longueur de la peine dans vos évaluations de coût? Présumez-vous qu'il s'agira de trois, quatre ou cinq ans?

M. Whellams: Dans nos calculs, nous avons fait intervenir une période de six à huit années, mais c'est pure conjecture de notre part. Nous n'en savons rien. Si le délinquant a un bon comportement, il est prévu qu'il puisse demander au tribunal de réduire cette période.

L'autre facteur intervenant dans le coût, sénateur, est hypothétique, car nous ne savons pas combien de détenus feront l'objet d'une telle ordonnance. Tous les ans, il y a environ 500 nouveaux détenus dans la catégorie des délinquants sexuels. On peut donc prendre 10 p. 100 de ce chiffre, ce qui représente 50 détenus par année. Vingt pour cent, c'est 100. Vous pouvez faire le calcul. Je me bornerai à dire que parmi toutes les mesures qui entraîneront un coût cette surveillance est celle qui grèvera les budgets du Service correctionnel du Canada et de la Commission des libérations conditionnelles.

La présidente: Si je comprends bien, certains délinquants, prêts à purger la totalité de leur peine, refusent d'être traités en prison. Prévoit-on au cours de cette période de surveillance obligatoire de les obliger à subir un traitement?

Le sénateur Jessiman: On peut ordonner que le délinquant soit surveillé pour une période ne dépassant pas dix années.

Mme Trottier: La Commission des libérations conditionnelles peut assortir l'ordonnance de surveillance de longue durée de certaines conditions, notamment le recours à des séances de counselling, ou encore l'exigence d'adhérer à un groupe de prévention de récidive ou à un traitement pour délinquants sexuels.

Le non-respect de ces conditions constitue une autre infraction. Le contrevenant pourrait alors être accusé de contrevenir à l'ordonnance de surveillance de longue durée, ce qui constitue une nouvelle infraction en vertu du Code criminel, et il pourrait risquer d'être emprisonné de nouveau.

Le sénateur Beaudoin: Je ne vois pas comment cela pourrait être confié aux autorités provinciales. Les gens à qui on impose une peine de sept ans relèvent des autorités fédérales. Les prisons sont provinciales, mais les pénitenciers sont fédéraux. C'est la Constitution qui le veut. Je vous avouerai que je ne comprends pas très bien la discussion qu'on a voulu faire, mais il y a sûrement une raison. Toutes les peines de plus de deux ans relèvent des autorités fédérales.

M. Whellams: À vrai dire, cette démarcation de deux ans est une convention constitutionnelle à peu près aussi bien fixée que toute autre convention constitutionnelle, et peut-être même davantage. Je n'ai pas pris le soin de faire la différence entre ce que dit la loi et la possibilité de négocier.

Logiquement, on peut supposer que cela sera de ressort fédéral. Dès le départ, on en parlera comme de la «probation fédérale». Il s'agira donc de cinq ans, et ces années s'ajouteront aux peines qui d'ordinaire seraient purgées dans un pénitencier.

Le sénateur Beaudoin: Quand on sait que l'administration de la justice relève des provinces, on se dit que c'est l'article 92.14 qui interviendra ici, mais dans la Constitution elle-même il y a une distinction.

M. Whellams: Vous avez tout à fait raison, et je n'ai rien à redire à ce que vous dites. L'administration d'une peine d'emprisonnement peut être considérée comme différente de l'administration de la justice.

Le sénateur Beaudoin: Nous reprendrons cela en temps utile.

Le sénateur Gigantès: Feriez-vous allusion ici au prochain problème fédéral-provincial qui opposera Ottawa et Québec? La province voudra avoir la compétence exclusive sur les délinquants sexuels.

Le sénateur Jessiman: Laissons-la-lui.

Le sénateur Gigantès: Vous avez dit «si les détenus se comportent bien». Que voulez-vous dire? Comment pouvons-nous nous en assurer? Ils peuvent faire semblant.

M. Whellams: Il y a diverses façons d'aborder ce problème. Il y a la procédure devant le tribunal. Nous ne donnons pas à la Commission des libérations conditionnelles le pouvoir de mettre un terme à la période de surveillance. La Commission des libérations conditionnelles peut adoucir les conditions, mais elle ne peut pas raccourcir une peine. Il faudra que le délinquant se présente au tribunal. La Couronne, le procureur général de la province, c'est-à-dire la poursuite, et la Commission des libérations conditionnelles elle-même auront alors l'occasion de témoigner.

Pour la norme, la difficulté est plus grande. De façon générale, avec le temps on cernerait facilement les facteurs de risque et on pourrait faire l'évaluation des risques dans le cas d'un détenu qui aurait purgé une peine assez longue dans un pénitencier et qui se serait bien comporté pendant une grande partie de la période de surveillance. À ce moment-là, on devrait pouvoir évaluer à coup sûr le risque qu'il représente.

Je le répète, il s'agit d'une nouvelle procédure, et nous ne pouvons pas dire avec certitude ce qu'elle donnera.

Le sénateur Gigantès: Combien de fois a-t-on vu des délinquants sexuels dangereux relâchés parce qu'on estimait qu'ils ne récidiveraient pas et qui pourtant, une fois libérés, ont commis une autre infraction?

M. Whellams: Si vous songez à des délinquants dangereux, je m'empresse de vous dire que très peu d'entre eux ont été relâchés au fil des ans. Autrement dit, nous n'avons pas un groupe imposant de détenus de ce genre sur lequel on pourrait faire un calcul de récidive. Je ne pense pas qu'il y ait eu beaucoup de récidive parmi ceux qui ont bénéficié d'une libération conditionnelle totale ou d'une semi-liberté.

Le cas des délinquants sexuels est épineux. Je ne connais pas le taux de récidive dans leur cas.

Mme Trottier: Je connais le cas d'un délinquant sexuel dangereux à qui l'on a accordé exceptionnellement une libération conditionnelle. Nous parlons ici plutôt de la réduction de la surveillance de longue durée. Ce délinquant sexuel dangereux dont je vous parle était un malade en phase terminale qui devait aller régulièrement dans une maison de santé où éventuellement il allait passer plusieurs mois, car il était très malade.

Voilà le genre de cas où l'on peut envisager que quelqu'un demandera que la durée de l'ordonnance de surveillance de longue durée soit réduite. Il pourrait y avoir des cas, par exemple, où il y a une ordonnance de surveillance de 10 ans, et où, au bout de huit années, constatant que le délinquant se comporte extrêmement bien, on accorde le droit de faire la demande de réduction. Cela se ferait au tribunal. Ce n'est pas la Commission nationale des libérations conditionnelles qui déciderait.

Le sénateur Gigantès: Ce n'est pas la question que je posais. Je ne parle pas ici des délinquants sexuels qui sont sur le point de mourir. Je voudrais savoir quel est le pourcentage de récidive parmi les délinquants sexuels libérés?

Mme Trottier: Il y a eu un grand nombre d'études de suivi des délinquants sexuels. Pour ceux qui ont reçu une forme quelconque de traitement en prison ou dans la collectivité, il semble que le taux de récidive pour infraction sexuelle se situerait entre 8 et 15 p. 100. Quant à ceux qui n'ont pas été traités, le taux de récidive est de 22 à 38 p. 100. L'écart est vaste.

Maintenant, les chiffres changent du tout au tout si l'on fait une ventilation suivant le type de délinquants sexuels. Les délinquants coupables d'inceste ont un très faible taux de récidive, tandis que les pédophiles mâles, les agresseurs sexuels d'enfants, ont un taux de récidive plus élevé que n'importe quelle autre catégorie de délinquants sexuels.

Le sénateur Milne: Monsieur Whellams, vous représentez le ministère de la Justice, et quand vous dites qu'il s'agit d'une nouvelle procédure et que vous ne savez pas exactement ce qu'elle donnera, je m'inquiète. Nous sommes bien avancés dans le processus législatif. Je ne peux pas croire que le ministère n'ait pas une idée de la façon dont ce projet de loi sera mis en application s'il est adopté.

Le ministère doit savoir s'il va remettre l'administration de ces mesures aux autorités provinciales. Si ces mesures coûtent cher, et vous semblez le laisser entendre, le ministère va-t-il remettre la responsabilité de ces délinquants à contrôler aux autorités provinciales pour ce qui est de la surveillance, ou le gouvernement fédéral va-t-il s'en occuper? On doit bien avoir prévu quelque chose.

M. Whellams: Oui. Permettez-moi d'apporter une précision à ce que j'ai dit tout à l'heure. Je voulais tout simplement dire que nous ne savions pas quels seraient les chiffres exactement. Nous voulons croire que la mesure concernant les délinquants à contrôler, qui constitue une nouvelle procédure d'imposition d'une peine, constituera une forme de stratégie. Nous espérons qu'elle sera utile à la poursuite. Actuellement, il y a de 10 à 15 délinquants dangereux qui sont condamnés chaque année. Depuis 20 ans, il y en a eu 186. Tout porte à croire que l'appellation «délinquant à contrôler», qui exige un niveau de preuve inférieur, qui met en cause une brutalité moindre, et cetera, constituera une notion plus souple que celle de «délinquant dangereux» et que cette notion sera utile à la fois à la poursuite et au tribunal qui imposera la peine.

Je n'ai pas voulu laisser entendre qu'il s'agissait d'une mesure incontrôlable. Il s'agit là d'un nouvel outil, et nous avons toutes les raisons de croire qu'il sera utile.

Le sénateur Milne: S'agit-il d'un outil fédéral ou d'un outil provincial?

M. Whellams: Étant donné que l'administration de la justice relève des provinces, ce sont presque exclusivement des procureurs provinciaux qui engagent les poursuites judiciaires.

Le sénateur Milne: Je parlais de ce qui se passe après.

M. Whellams: C'est effectivement le gouvernement fédéral qui est ensuite responsable des délinquants à contrôler.

Le sénateur Milne: Comme il s'agit d'une nouvelle catégorie de délinquants, on crée donc un nouveau service au sein du ministère.

M. Whellams: Ce sera la Commission des libérations conditionnelles, qui relève du Service correctionnel du Canada, qui sera chargée de la surveillance. On fera appel au même type de compétences que pour la libération conditionnelle. Nous espérons que le Service correctionnel et la Commission des libérations conditionnelles concevront un mécanisme qui répondra aux besoins de ce groupe cible.

On pourrait s'inspirer de ce qui se fait actuellement aux États-Unis dans le domaine de la probation à surveillance intensive, qui s'accompagne d'un counselling intensif, de certains traitements et de l'établissement de rapports. Le mécanisme est donc nouveau dans ce sens, mais la Commission des libérations conditionnelles et le SCC sont en train de le mettre au point.

Si une personne qui fait l'objet d'une surveillance de longue durée commet une nouvelle infraction, elle purgera sa peine dans un pénitencier fédéral même s'il s'agit d'une infraction mineure. On ne pourra pas éviter la surveillance fédérale. Si cette personne fait du vol à l'étalage afin de mettre fin à la surveillance de longue durée, elle revient dans un pénitencier fédéral. Cette disposition continue de s'appliquer. J'espère avoir répondu en partie à votre question.

Le sénateur Milne: C'est intéressant.

Le sénateur Corbin: L'article 4, à la page 7, renvoie à (3), où il est dit: «... ordonne qu'il soit soumis... à une surveillance au sein de la collectivité...». Cela ne signifie pas que le contrevenant est tenu de demeurer dans sa collectivité. Il peut toujours aller où il veut au pays, n'est-ce pas?

Mme Trottier: Pas vraiment, du moins pas sans l'autorisation du Service correctionnel du Canada et de la Commission nationale des libérations conditionnelles. En vertu des conditions de sa libération, le délinquant est tenu de faire rapport directement à son agent de liberté conditionnelle et à habiter à un certain endroit.

Si cette personne souhaite déménager, on lui demandera quelles sont les raisons qui l'incitent à le faire et on évaluera son cas ainsi que la collectivité où il souhaite s'installer. Si sa demande est acceptée, on confiera la gestion de son cas à un agent de liberté conditionnelle dans cette collectivité.

Le sénateur Corbin: Utilisez-vous les mots «au sein de la collectivité» de façon délibérée au lieu de «lieu de résidence» parce que le délinquant doit répondre à certaines conditions, comme vous venez de l'expliquer?

Mme Trottier: Oui.

M. Whellams: Nous utilisons couramment les expressions «surveillance communautaire» pour qu'on comprenne bien qu'il ne s'agit pas de la résidence personnelle du libéré.

La présidente: Passons maintenant à la dernière recommandation du Barreau canadien, qui est de ne pas adopter l'article 810.2.

M. Whellams: sénateur Carstairs, je suis heureux que vous ne m'ayez pas posé de question au sujet de la recommandation 5B).

La présidente: Je le fais maintenant.

M. Whellams: Nous ne finançons pas pour l'instant la probation, et je ne sais pas si nous voulons innover dans ce domaine. La question de la santé mentale est délicate, et beaucoup de problèmes se posent pour ce qui est du traitement. Nous avons abordé le sujet.

Le Service correctionnel du Canada a grandement augmenté ses mécanismes d'évaluation des besoins des détenus en matière de santé mentale, ainsi que ses programmes de traitement et le nombre de ses lits dans des institutions de traitement. Je n'ai pas de chiffres précis à vous donner, mais je vous confirme que la situation s'est améliorée.

La présidente: Puis-je vous interrompre? Je ne m'y retrouve plus entre la question du sénateur Beaudoin, la réponse que vous lui avez donnée et maintenant cette réponse-ci.

Qui finance la probation dans le cas des délinquants fédéraux? Quelqu'un qui se voit infliger une peine d'emprisonnement de plus de deux ans est incarcéré dans un pénitencier. Une fois qu'il a purgé sa peine, il est en probation. Qui assume la dépense?

M. Whellams: Le gouvernement provincial.

La présidente: C'est ce qui explique ma confusion.

M. Whellams: On veut que la probation relève du gouvernement fédéral.

Le sénateur Beaudoin: Lorsque la peine est de plus de deux ans, le délinquant ne relève pas du gouvernement provincial.

La présidente: La probation relève dans tous les cas des gouvernements provinciaux.

Le sénateur Beaudoin: Voulez-vous dire qu'un homme qui est emprisonné à perpétuité parce qu'il a commis un meurtre relève du gouvernement provincial?

M. Whellams: Non. Dans ce cas, ce serait une libération conditionnelle. J'aimerais faire une précision. La probation est accordée essentiellement à ceux qui ont commis des infractions régies par les provinces. On propose maintenant d'accorder la probation dans des cas où des peines d'incarcération de plus de deux ans ont été infligées.

On boucle la boucle, sénateur Carstairs. La probation s'applique dans le cas de détenus qui purgent une peine provinciale.

La présidente: J'aimerais qu'il n'y ait pas de confusion dans les termes. La probation est accordée aux détenus qui purgent des peines de moins de deux ans, et la libération conditionnelle à ceux qui purgent des peines de plus de deux ans. Le coût de la probation est assumé par le gouvernement provincial, et le coût de la libération conditionnelle par le gouvernement fédéral.

M. Whellams: Je vous remercie. Dans le cas d'un délinquant à contrôler, on ne parle pas de probation ou de libération conditionnelle, mais d'ordonnance de surveillance de longue durée.

Le sénateur Beaudoin: On s'entend au moins là-dessus.

Le sénateur Jessiman: Et cette surveillance relèvera du gouvernement fédéral.

Mme Trottier: Oui. On a délibérément décidé de faire en sorte que les coupables d'agressions sexuelles présentant un risque de récidive élevé relève du même palier de compétence, pour qu'un cas comme celui de Joseph Fredericks ne se reproduise pas. On saura très bien de qui relève la surveillance. Voilà pourquoi les délinquants à contrôler relèveront du gouvernement fédéral. Comme M. Whellams l'a précisé, ces délinquants demeureront dans un pénitencier fédéral s'ils commettent une nouvelle infraction, même s'il s'agit d'une infraction mineure comme le vol à l'étalage, pour qu'on puisse vraiment les garder à l'oeil.

La présidente: Est-il possible qu'on ait voulu utiliser les mots «libération conditionnelle» et qu'on ait plutôt utilisé le mot «probation»?

M. Whellams: Je ne le pense pas. Nous parlons de façon assez générale, sénateur, mais d'aucuns pensent que la probation devrait être de toute façon une responsabilité fédérale. C'est un peu notre faute s'il y a confusion parce que nous avons créé une nouvelle catégorie de délinquants, les délinquants à contrôler, et, à première vue, c'est comme si on ajoutait dix ans à la probation. Nous disons qu'il s'agit d'une surveillance intensive seulement après qu'il y a eu une audience spéciale.

La présidente: Je vous remercie. Passons maintenant à la recommandation no 6.

M. Whellams: Le sénateur Jessiman a déjà demandé au sujet de la recommandation 6A) pourquoi nous ne proposons pas de mesure plus précise. Je ne sais pas si vous voulez revenir là-dessus.

La question logique suivante à se poser est de savoir qui va faire l'objet d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public ou d'une ordonnance restrictive. La récidive est parfois prévisible selon le type d'infraction qui a été commise, et voilà pourquoi un certain nombre de gens qui ne purgent plus de peine sont visés par cet article. Si ces personnes commettent une nouvelle infraction, on intentera des poursuites contre elles. On ne se donnera même pas le mal d'émettre à leur endroit une ordonnance restrictive.

Pour ce qui est de la recommandation 6B), je crois que le mémoire a été présenté au comité de la Chambre des communes lorsqu'on envisageait toujours la possibilité de recourir au bracelet. Nous avons éliminé par la suite toute référence à la surveillance électronique.

Quelques précisions au sujet des mots «nécessaire et raisonnable» que le Barreau souhaite voir inclus dans le projet de loi.

La disposition 810.2 a été rédigée de la même façon que la disposition 810.1 pour éviter le problème. Nous avons utilisé le concept général. Comme le sénateur Jessiman l'a souligné, il existe divers types d'engagements de ne pas troubler l'ordre public. Ces engagements comportent tous certaines indications pour que le tribunal sache ce qui est nécessaire. Je crois qu'on devrait conserver le libellé actuel.

Le paragraphe 810.2(6), rejeté, qui figure à la page 13 du projet de loi, demande au tribunal de considérer -- mais ne lui ordonne pas de le faire -- s'il est souhaitable que le défendeur se présente devant une autorité correctionnelle d'une province ou une autorité policière compétente. Si l'on ajoute à cela l'interdiction habituelle de ne pas posséder d'armes à feu, on retrouve les trois types de conditions sur lesquelles nous voulions attirer votre attention. Autrement, l'expression «respecter toute autre condition raisonnable» me satisfait.

Le Barreau a peut-être des raisons de nature juridique pour réclamer ce libellé. Je ne me suis pas reporté dernièrement au texte principal, mais le Barreau craint peut-être que les tribunaux ne s'en tiennent à une liste de conditions types. Ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose, pourvu que parmi ces conditions figure la condition de demeurer au même endroit.

Le sénateur Jessiman: J'ai lu qu'en Colombie-Britannique, on a recours au bracelet pour les gens en probation.

M. Whellams: Vous avez raison. C'est dans le cas de la probation et lorsque l'on donne au détenu le choix de purger autrement sa peine.

Le sénateur Jessiman: A-t-on recours à cette méthode seulement en Colombie-Britannique?

M. Whellams: Non, plusieurs provinces y ont recours. C'est une méthode dont la popularité augmente au lieu de diminuer.

Le sénateur Jessiman: À mesure que la technologie s'améliore.

M. Whellams: Je crois que vous avez raison. Les fonctionnaires de la Colombie-Britannique qui administrent ce programme ont, si je ne m'abuse, présenté un mémoire au comité de la Chambre. Ils chantaient les louanges de cette méthode, alléguant qu'elle est peu coûteuse et qu'elle réduit le taux de récidive. Comme vous le faites remarquer, la technologie évolue constamment, et le coût de ces mesures est toujours pris en compte.

En Colombie-Britannique, environ 400 contrevenants purgent leur peine sous surveillance électronique.

Le sénateur Jessiman: Avez-vous dit que d'autres provinces ont aussi recours à cette méthode?

M. Whellams: Oui. L'Ontario, je crois. C'est à Terre-Neuve, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique que le programme est sans doute le plus avancé. D'autres provinces, comme le Nouveau-Brunswick, s'y intéressent beaucoup.

Le sénateur Milne: Prenons la page 33 du mémoire du Barreau. Si nous acceptions ces six recommandations, resterait-il quelque chose dans le projet de loi?

M. Whellams: Non.

La présidente: Le Barreau n'aime pas le projet de loi, sénateur Milne. Que pouvons-nous dire d'autre?

Nous avons demandé aux représentants du Barreau de comparaître demain matin. Nous aurons peut-être des questions supplémentaires à vous poser si vous êtes disponibles tous les deux. Si les sénateurs n'y voient pas d'inconvénients, nous passerons ensuite à l'étude article par article. On voudra peut-être vous poser des questions. Si vous pouviez revenir demain matin, nous vous en saurions gré.

Le sénateur Jessiman: Quelqu'un a posé la question suivante aux représentants du Barreau lorsqu'ils ont comparu devant le comité de la Chambre: «Après avoir examiné le résumé de vos recommandations, peut-on dire que vous êtes d'avis que le projet de loi C-55 devrait être abandonné?» Ils ont répondu: «Oui.»

La séance est levée.


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