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Sous-comité de l'éducation postsecondaire au Canada

 

Délibérations du sous-comité de l'enseignement postsecondaire
du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 11 - Témoignages du 20 mars


OTTAWA, le jeudi 20 mars 1997

Le Sous-comité de l'enseignement postsecondaire du comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 9 h 05, pour poursuivre son étude de l'enseignement postsecondaire au Canada.

Le sénateur B. Lorne Bonnell (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous accueillons aujourd'hui Lenore Burton, directrice exécutive de la Commission canadienne de mise en valeur de la main-d'oeuvre.

Madame Burton, je vous souhaite la bienvenue. Vous avez la parole.

Mme Lenore Burton, directrice exécutive, Commission canadienne de mise en valeur de la main-d'oeuvre: Je vous remercie, monsieur le président. Dans mon exposé, je reprendrai les grandes lignes d'un document que j'ai rédigé à votre intention. Je mentionnerai aussi certaines parties de la documentation qui avait déjà été envoyée au comité.

Monsieur le président, je tiens tout d'abord à vous remercier de m'avoir invitée à témoigner devant le comité. Au début, lorsque j'ai commencé à parler avec votre greffière de ma comparution et d'éventuels sujets de discussion, consciente de votre intérêt pour l'enseignement postsecondaire, je souhaitais revenir sur une question qui m'avait été posée, la dernière fois que j'ai témoigné devant un comité sénatorial permanent. Je parle de mon témoignage dans le cadre des audiences sur la nouvelle loi d'assurance-emploi, c'est-à-dire du projet de loi C-12. On m'avait entre autres demandé quel effet aurait, selon nous, le projet de loi sur le système d'enseignement postsecondaire. Nous avions répondu qu'il serait draconien.

Peu de temps après ce témoignage, nous avons fait un sondage auprès des collèges communautaires, des établissements communautaires de formation et des établissements privés du Canada en vue d'évaluer l'impact qu'auraient les changements découlant de la nouvelle Loi sur l'assurance-emploi. Nous avons questionné 48 établissements. Dès octobre 1996, nous avions les premiers résultats. Ainsi, 40 p. 100 de ces établissements nous ont signalé qu'ils avaient déjà commencé à sentir les effets de la baisse des fonds disponibles en raison de cette loi, et 90 p. 100 d'entre eux ont dit avoir observé une baisse de l'accès qu'auraient habituellement eu les stagiaires à leur établissement. Le sondage représentait pour nous une première tentative en vue d'évaluer l'impact de la loi sur notre système d'enseignement postsecondaire. Nous reprendrons le sondage chaque année, et je serai ravie de continuer à en partager les résultats avec vous.

Ce matin, j'aimerais vous faire un exposé légèrement différent de ce que vous avez entendu jusqu'ici. Des personnes beaucoup plus au courant que moi de ce qui se passe dans le monde de l'enseignement postsecondaire canadien sont venues vous en parler. Vous avez aussi entendu des exposés du comité des organismes d'éducation nationale, qui est membre de notre commission, des collèges communautaires et du secteur universitaire. Par conséquent, j'aimerais ce matin vous présenter un nouveau concept parrainé par la commission. Nous le voyons comme un outil mis à la disposition du client, du consommateur de services, pour provoquer une réforme de notre système d'enseignement postsecondaire. Je parle de l'évaluation et de la reconnaissance des acquis (ERA), processus sur lequel portera l'essentiel de mon exposé.

J'espère que mon organisme ne vous est pas tout à fait inconnu. La Commission canadienne de mise en valeur de la main d'oeuvre se compose essentiellement de représentants patronaux et syndicaux. En fait, ils en assument ensemble la présidence. Ainsi, un des vice-présidents exécutifs du Congrès du Travail du Canada, M. Jean-Claude Parrot, est le coprésident représentant le syndicat, alors que le patronat est représenté, à la présidence, par Gary Johncox, vice-président des Ressources humaines chez MacMillan Bloedel. Notre conseil d'administration compte aussi des représentants des services de formation et d'éducation et des groupes prônant l'égalité.

Lorsque nous avons examiné le système d'enseignement postsecondaire, nous nous sommes rendu compte que nous en représentions surtout les clients. Nous nous sommes donc demandé par quel moyen nous pourrions obtenir le genre de changements que nous souhaitions. C'est ainsi que nous en sommes venus à adopter la notion d'évaluation et de reconnaissance des acquis.

Nous savons qu'au Canada, l'enseignement postsecondaire a pour tâche première d'aider les Canadiens, y compris les travailleurs canadiens, à acquérir des connaissances et des compétences. Cependant, le système est morcelé et déroutant. Il compte de nombreuses composantes différentes, des niveaux distincts et divers genres de fournisseurs qui s'arrachent tous les dollars des étudiants et gardent jalousement leur territoire.

Il y a quelque chose qui cloche quand l'apprentissage fait dans un collège communautaire est qualifié d'enseignement terminal parce qu'il ne permet pas de s'inscrire à l'université ou de se faire reconnaître des acquis pour étudier en génie. Le système ne tourne pas rond quand les crédits ou titres de compétence acquis dans une province ne sont pas reconnus dans une autre, quand on s'attend que des apprenants individuels paieront des cours censés leur donner des connaissances ou des compétences qu'ils ont déjà parce que ces cours sont offerts comme un tout à prendre ou à laisser qui comprend des cours obligatoires et des matières facultatives. Il y a un problème quand de nombreux établissements d'enseignement postsecondaire s'attendent que les employeurs paieront un programme de formation complet à leurs employés alors que ces travailleurs ont déjà certaines des compétences et des connaissances qu'ils sont censés acquérir. En d'autres mots, le système actuel est trop rigide; il ne répond aux besoins ni des consommateurs, ni des apprenants adultes et encore moins des employeurs.

L'ERA -- il est bien connu qu'à Ottawa, il faut avoir un sigle pour attirer l'attention -- donne l'illusion d'être simple. C'est un processus qui permet de cerner, d'évaluer et de reconnaître ce que sait une personne et ce qu'elle est capable de faire. En d'autres mots, il porte sur les connaissances et les compétences.

Pendant mon court exposé, j'aimerais que vous gardiez à l'esprit un des principes fondamentaux qui nous a guidés, soit notre conviction que les connaissances et compétences d'une personne ainsi reconnues sont tout aussi valables que le genre de titres de compétence que vous pouvez obtenir dans un cadre plus formel et traditionnel. En somme, il n'est pas question de créer un système à deux niveaux.

Tous sont susceptibles d'être touchés par ce concept. Il représente un excellent moyen de convaincre les apprenants d'assumer eux-mêmes la responsabilité de leur apprentissage. Il représente aussi un important incitatif au changement pour les organismes d'éducation et de formation qui seront les principaux fournisseurs du service, un outil qui pourrait leur donner accès à un tout nouveau bassin de clients éventuels. Quant aux employeurs, il peut leur permettre de bien cibler les ressources affectées à la formation en vue d'éviter d'inutiles dépenses. Les syndicats qui représentent les travailleurs souhaitent que soient reconnues les connaissances et les compétences de leurs membres et que ces travailleurs soient donc rémunérés en conséquence. De nombreux syndicats offrent eux-mêmes beaucoup de cours. Ils se serviront de l'ERA ou l'intégreront à leur formation. Le concept prend une importance toute particulière pour les groupes prônant l'égalité. Beaucoup de leurs membres, surtout ceux qui appartiennent à des minorités visibles, ont, à leur arrivée au Canada, des titres de compétence qu'ils ont acquis à l'étranger. Cet apprentissage, ces connaissances et ces compétences ne sont pas reconnus au Canada. Quel ghtmillage de ressources humaines!

L'ERA est un concept extrêmement important parce qu'il fait une utilisation efficace des ressources ... tant des ressources de tous ceux qui sont admis dans le système que des ressources de l'employeur à la recherche de formation pour ses employés.

Le fait que ce concept représente un excellent moyen de créer une culture de l'apprentissage permanent est ce qui m'enthousiasme le plus. Dans le monde actuel, où l'on cumule les emplois et change souvent d'employeur, on entend parler du besoin pour les travailleurs d'être souples et de continuellement s'adapter. Cela peut représenter un défi de taille qui exige beaucoup de responsabilité et d'investissement de la part des travailleurs. L'ERA avantage l'apprenant adulte, l'employeur et toute l'économie, en ce sens qu'il réduit les obstacles et le ghtmillage causé par la redondance.

L'ERA fait aussi entrer en jeu certains éléments de justice sociale, en raison de son caractère égalisateur. Rien ne va plus au Canada quand le meilleur indice de la réussite personnelle, dans notre système d'enseignement postsecondaire, est le revenu des parents. L'ERA peut s'avérer un outil efficace pour gérer le changement, car il aide à faire le saut de l'école au milieu de travail et vice versa.

La Commission canadienne de mise en valeur de la main-d'oeuvre y a contribué parce que, en tant que groupe représentant des consommateurs, elle y voyait un moyen de changer le système d'enseignement postsecondaire. Nous aimerions croire que nous contribuons à le favoriser. Nous avons effectué beaucoup de recherche à ce sujet. De nombreux pays membres de l'OCDE qui sont nos concurrents s'en servent. Nous avons donc formé un groupe de recherche composé de représentants du patronat, des syndicats, du milieu de l'éducation et de la formation et des groupes prônant l'égalité qui s'est penché sur ce qui se fait ailleurs au sein de l'OCDE.

Notre plus grande contribution a été d'ajouter l'élément «reconnaissance», une contribution significative. Dans certains pays, par exemple en Australie, on appelle cela la reconnaissance de l'apprentissage antérieur. Au Canada, avant l'arrivée au sein du groupe de la commission, il était toujours question d'évaluation des acquis professionnels. Rien ne sert d'évaluer les connaissances de quelqu'un si on ne lui reconnaît pas ces connaissances. C'est ici qu'entre en jeu la notion de reconnaissance. Non seulement on évalue l'apprentissage, mais on y accorde aussi une valeur.

Nous essayons de créer une culture d'apprentissage permanent dans l'énorme bassin de travailleurs qui n'ont jamais fait d'études postsecondaires et dont l'expérience scolaire officielle tend à avoir été négative. L'évaluation évoque immédiatement l'idée de tests et de jugement. La commission s'est rendu compte que le mot «reconnaissance» avait une connotation beaucoup plus favorable. On vous reconnaît l'acquisition de certaines connaissances et compétences durant les 15 années où vous avez fait de la tenue de livres. On veut vous encourager à retourner aux études pour obtenir votre agrément ou votre diplôme en tant que C.G.A. Grâce à ce processus, plutôt que de vous obliger à passer trois ans sur les bancs d'un collège communautaire, on vous accordera des crédits correspondant à votre expérience en tenue de livres. Il ne vous faudra peut-être que 18 ou 12 mois d'études dans un établissement de niveau postsecondaire pour obtenir votre diplôme.

Le fait que les méthodes d'évaluation des acquis professionnels varient tellement d'une institution à l'autre et d'une province à l'autre préoccupait aussi vivement la commission. En fin de compte, nous nous serions retrouvés avec de multiples méthodes d'évaluation. Il fallait fixer des normes. Nous avons consacré beaucoup d'énergie à l'élaboration de 14 normes consensuelles. Vous en trouverez la liste dans la documentation. Nous ne les appelons pas des normes. Ce terme semble avoir une connotation péjorative pour bien des personnes, semble évoquer des images de règlements et d'autorité.

La commission n'a certes pas le pouvoir d'imposer ces normes à quelque établissement que ce soit. Nous avons souligné dans notre document que c'est ainsi que nous concevons un bon processus d'ERA. Nous sommes en train d'élaborer un outil de vérification dont pourront se servir notamment les apprenants individuels qui essaient d'obtenir une évaluation de leurs acquis professionnels afin de pouvoir juger de la valeur du processus auquel ils se soumettent. De plus, l'établissement en train d'élaborer un processus pourra se demander s'il correspond à ce qu'un groupe comme la Commission canadienne de mise en valeur de la main-d'oeuvre considère comme un processus valable.

La commission fait actuellement de la publicité pour faire connaître l'ERA. Elle a fait distribuer le document que vous avez en main d'un bout à l'autre du pays. Je dois prendre la parole demain à Fredericton. Nous visons un double objectif. D'une part, il faut faire la promotion de ce concept à l'intérieur même de nos établissements d'enseignement postsecondaire ... et je vous parlerai un peu de la résistance à laquelle nous nous sommes buté et des difficultés que représente pour ces établissements l'adoption de cette notion. D'autre part, il faut en faire la promotion dans le milieu de travail. Ce saut n'a pas encore été fait au Canada. Nous en sommes aux toutes premières étapes.

Dans la documentation, j'ai inclus deux études de cas. L'une concerne Cotton Ginny, que vous connaissez tous, j'en suis sûre. Il s'agit d'un vendeur national de vêtements que l'on retrouve dans tous les centres commerciaux du pays. L'autre porte sur Nortel, un genre d'entreprise très différent. Nortel et son syndicat, c'est-à-dire les Travailleurs canadiens de l'automobile, ont adopté le concept de formation ERA pour leurs travailleurs. Nous aimerions voir beaucoup d'autres employeurs canadiens l'adopter et en faire la promotion. C'est la forme que peut prendre la contribution de la commission.

Vous concentrez vos travaux sur le milieu de l'éducation et de la formation du Canada, ce qui représente un changement assez draconien pour eux. Grâce à l'ERA, nous disons que l'apprentissage dans d'autres milieux est tout aussi valable que les études et nous reconnaissons ces acquis. Il est impossible de le faire sans déborder du cadre traditionnel d'évaluation qui est actuellement en place.

Cela signifie aussi qu'ils doivent offrir des services axés sur le consommateur. Je n'emploie pas le mot «étudiant» dans ce contexte; je préfère parler d'«apprenant adulte». Quand il est question d'apprentissage permanent des travailleurs, il faut parler d'apprenants adultes. Ils chercheront à obtenir des services des établissements en tant que particuliers, non pas en tant que groupes de diplômés d'études secondaires anonymes. Il faudra leur offrir les moyens de réaliser des objectifs d'apprentissage très différents. Le système doit donc s'assouplir. Un tel assouplissement ne vient pas facilement et il sous-entend beaucoup de changements.

L'ERA offre d'énormes avantages aux étudiants ou aux apprenants adultes. Ils peuvent se faire accorder des crédits pour de l'apprentissage non scolaire. Je vous ai parlé du teneur de livres. Cela signifie que l'on utilise plus efficacement l'apprentissage et qu'on a un meilleur accès aux établissements d'éducation et de formation. Si on offre ce genre de processus aux travailleurs, ils seront encouragés à retourner aux études, à leurs propres frais. C'est une façon pour eux d'améliorer leurs projets de carrière et d'assumer personnellement la responsabilité d'acquérir toutes les compétences voulues. L'ERA offre la possibilité de favoriser la responsabilité individuelle. Si nous nous y prenons bien au Canada, si nous nous servons de normes, notre main-d'oeuvre y gagnera en mobilité et en employabilité.

Nous croyons que les établissements d'enseignement y trouvent aussi des avantages réels. Ils feront une meilleure utilisation de leur temps, de leurs ressources humaines et de leurs moyens financiers. Ils peuvent offrir beaucoup plus de souplesse à leur clientèle. Fait intéressant, s'ils sont suffisamment innovateurs, ils peuvent se servir de l'ERA pour faire du recrutement et du marketing, car il rendra leur établissement beaucoup plus attirant à un bassin élargi d'apprenants éventuels, particulièrement aux travailleurs que l'idée de fréquenter ces établissements intimide. Un bon exemple de cela est le Collège universitaire du Cap-Breton. Mme Jacquelyn Thayer Scott vous a fait un exposé. C'est une éducatrice extrêmement d'avant-garde. Quand on vit à Cap-Breton et qu'on dispose de peu de ressources, on se sert de toutes les idées et de tous les concepts que l'on peut pour attirer des clients dans son établissement. Le collège universitaire a réussi à le faire. Nous estimons également que, sur le plan de l'éducation, l'ERA offre une gamme beaucoup plus vaste de moyens d'évaluation.

Toutefois, comme je l'ai déjà dit, l'ERA est litigieuse. Elle l'est pour les établissements d'enseignement postsecondaire, particulièrement en contexte universitaire, parce qu'elle accorde une valeur égale à l'apprentissage non scolaire. En un certain sens, elle sape leur essence même. Actuellement, ils détiennent la quasi-exclusivité de délivrer des titres de compétence et, fait encore plus important, de dispenser l'enseignement nécessaire pour les obtenir. Quand on admet que l'apprentissage dans un cadre traditionnel n'est pas le seul apprentissage valable, on est obligé de revoir sa raison d'être.

L'ERA exige aussi que les résultats anticipés de l'apprentissage soient clairement énoncés dès le départ et, qui plus est, qu'ils le soient en termes de compétences et de connaissances acquises. Voilà un défi de taille. La tâche à abattre est énorme. Plutôt que de supposer, comme nous le faisions, qu'au bout de quatre ans d'études universitaires et dix cours de biologie, vous savez quelque chose ou que vous avez acquis des compétences, on énonce avant que vous ne vous lanciez dans cet apprentissage les résultats exacts prévus ... ce que l'on prévoit que vous saurez et que vous aurez à faire. Cela requiert tout un changement d'attitude.

Nous avons tous eu probablement à lire un curriculum vitae pour décider si le postulant est apte à occuper le poste vacant. Nous supposons d'office que, si vous faites un travail pendant cinq ans, vous avez les connaissances et les compétences voulues pour le faire. Nous faisons cet acte de foi. C'est une mutation profonde de notre pensée. Il faut voir les choses autrement maintenant. Nous cherchons le moyen d'énoncer non pas ce que nous avons fait, les emplois occupés ou les études suivies dans un établissement de niveau postsecondaire, mais bien d'énoncer autrement, en termes de résultats précis, ce que nous savons et ce que nous pouvons faire.

Aussi, les universités et les collèges communautaires ont raison d'être sur leurs gardes. Ils ne sont pas convaincus de cet apprentissage, ont l'impression que ces crédits sont en quelque sorte des cadeaux et que les apprenants adultes veulent tout simplement obtenir un diplôme ou un crédit sans valeur. Ils ont raison de s'en inquiéter; en effet, il faut prévoir le contrôle de la qualité; nous ne le contestons absolument pas.

Il faut également que ces établissements prêtent davantage attention aux besoins de l'apprenant particulier. Les apprenants adultes ne veulent pas d'un horaire étalé entre septembre et mai et ne veulent pas être dans l'obligation de suivre quatre cours, deux au premier semestre et deux autres au second.

Si l'on reconnaît qu'ils possèdent déjà certaines de ces connaissances, il faudrait leur proposer une approche modulaire et souple leur permettant de suivre des cours et d'obtenir des crédits. Étant donné que cela ne correspond pas à l'organisation traditionnelle de nos écoles, il va falloir des ressources et de l'attention si nous voulons que cette notion soit un succès ou soit adoptée à grande échelle. Au bout du compte, cela signifie des fonds. Les établissements en cause se demandent où ils vont pouvoir trouver les ressources financières nécessaires.

Je vous présente une possibilité de changement dans nos établissements. Ces demandes pressantes de changement viennent de l'extérieur des établissements, non de l'intérieur.

Je dois me rendre à Fredericton demain pour rencontrer des représentants d'universités et de collèges communautaires. Certains parmi nous qui sommes des jusqu'au-boutistes essayeront de vendre cette idée à ces établissements. La conférence a lieu à l'Université du Nouveau-Brunswick. Ces demandes pressantes viennent des apprenants adultes, des employeurs, des syndicats et des gouvernements. Il est naturel de résister au changement, lequel est difficile et coûte de l'argent. Toutefois, on retrouve des poches d'activités très positives dans tout le pays, le Nouveau-Brunswick étant en tête. En Nouvelle-Écosse comme au Nouveau-Brunswick, des personnes dévouées au sein du gouvernement et dans certains des établissements parlent de ce changement. On retrouve également une certaine activité dans le système québécois des cégeps. Le gouvernement de Colombie-Britannique a également adopté l'ERA et a essayé de s'en servir pour instaurer le changement dans son système postsecondaire. Nous pensons qu'il faut assurer la cohérence et la coordination de ces activités dans tout le pays de manière que les apprenants adultes puissent facilement circuler entre la Colombie-Britannique, l'Ontario, le Québec ou le Nouveau-Brunswick.

J'ai déjà parlé des normes qui figurent à la dernière page de la brochure. Il y en a 14 et j'aimerais en souligner quelques-unes.

La reconnaissance égale est un concept important. Il ne s'agit pas d'un système à deux niveaux. En d'autres termes, sur votre bulletin, vous ne voulez pas que les crédits acquis à la suite d'un processus ERA soient indiqués différemment des crédits obtenus à la suite de cours en salle de classe dans le cadre du système scolaire traditionnel calculé en temps.

Nous pensons qu'il est important qu'un mécanisme d'appel soit en place. Si l'apprenant adulte n'est pas satisfait du résultat de l'évaluation, il devrait avoir accès à un processus d'appel pour faire réexaminer tout son dossier.

Nous souhaitons souligner que nous parlons ici d'apprentissage, non d'expérience. Nous ne parlons pas du fait que vous avez été comptable pendant 15 ans; nous parlons de ce que vous avez appris et de ce que vous pouvez faire.

Il est important que ces crédits ou titres de compétence soient transférables d'un établissement à l'autre, puisque cela témoigne d'une utilisation efficace des ressources.

Nous avons publié ce rapport sur l'évaluation et la reconnaissance des acquis il y a quelques semaines, conjointement avec le Conseil des ministres de l'Éducation du Canada. Avec le directeur exécutif, j'ai donné une conférence de presse au bureau du Conseil. Les ministres de l'Éducation ont adopté l'ERA. Nous leur avons présenté deux exposés sur notre travail. C'est l'un de leurs objectifs stratégiques. En tant que ministres, ils reconnaissent qu'ils se lancent dans une bataille difficile avec leurs établissements. Nous faisons la promotion du concept et espérons augmenter les pressions exercées par les consommateurs qui veulent faire des études postsecondaires et qui demandent avec insistance l'instauration des processus ERA.

Cette année, nous préparons un outil de vérification. Nous sommes en train de concevoir un relevé de compétences et essayons de trouver une solution de rechange à nos curriculum vitae traditionnels.

Conjointement avec des représentants du gouvernement fédéral et de toutes les provinces, nous organisons un deuxième Forum national sur l'évaluation et la reconnaissance des acquis. Il se déroulera cette année à Montréal du 6 au 8 octobre; la carte-annonce se trouve dans la brochure. Faire entrer l'évaluation et la reconnaissance des acquis sur les lieux de travail et s'en servir pour faire le pont entre employeurs et système postsecondaire: tels sont les principaux thèmes de la conférence.

Nous avons quelques bons exemples de travail novateur effectué par des employeurs et des collèges communautaires, mais ce n'est qu'un début au Canada. On trouvera également une ambiance internationale au forum en raison de la concurrence de certains pays de l'OCDE qui sont beaucoup plus en avance que nous à cet égard.

Je vous remercie de votre attention, mesdames et messieurs les sénateurs, et je serais heureuse de répondre à toute question que vous souhaiteriez poser.

Le président: Il arrive que nous apprenions à mal travailler. L'évaluation des acquis permettra-t-elle de déterminer si nous travaillons bien ou mal?

Mme Burton: Il faut tout d'abord commencer par fixer les résultats attendus. Je vais prendre l'exemple du comptable. Quelles connaissances doit-il avoir? Ces attentes doivent être axées sur les résultats. Quelles compétences doit-il avoir? Une fois les attentes définies de cette manière, on peut déterminer par le processus d'évaluation si le comptable a atteint les normes de compétence attendues. Il pourrait ne pas avoir atteint ces normes, alors même qu'il a suivi un cours en salle de classe et qu'il a obtenu 51 p. 100 à un examen.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool: Je n'ai pas encore consulté ce document. Les réponses à mes questions s'y retrouveront peut-être. Ma question porte sur l'évaluation et la reconnaissance des acquis. Vous nous avez parlé, au début de votre présentation, d'un conseil qui découle de la Commission canadienne de la main-d'oeuvre. Est-ce un dossier que la Commission canadienne de la main-d'oeuvre a à étudier ?

[Traduction]

Mme Burton: La première fois que j'ai entendu parler de ce concept et que je l'ai adopté, c'était au moment du groupe de travail sur la transition. Nous avons réuni des employeurs et des syndicats pour examiner le mécanisme de la transition entre le chômage et l'emploi et entre l'école et le travail. On a examiné ce qui se passait dans d'autres pays. On a vu que ce concept d'évaluation des acquis pouvait faciliter la transition au milieu de travail ou à l'école. On a recommandé que la Commission fasse plus de recherches à ce sujet et que, si de l'avis de la Commission cela en valait la peine, on entreprenne ce travail et on commence à en faire la promotion.

Le sénateur Losier-Cool: Avez-vous créé une autre structure? Il me semble que la transition dont vous parlez se fait par le truchement de l'enseignement. Je suis traditionaliste et crois que l'apprentissage se fait à l'école. On acquiert des compétences en milieu de travail, mais c'est d'abord à l'école que l'on apprend. Je crois que si nous affectons plus de ressources financières au système d'enseignement public, du niveau élémentaire au niveau postsecondaire, nous pourrions peut-être diminuer le nombre de groupes que nous avons mis en place pour faciliter cette transition. Je reconnais toutefois que ce que l'on apprend en milieu de travail est très important.

[Français]

La reconnaissance des acquis n'est pas un nouveau concept. À l'Université de Moncton dans les années 1988-1989, je me souviens de personnes qui parlaient de reconnaissance des acquis. On faisait des gros portfolios et on y mettait tous nos vécus. Est-ce que cela a servi à autre chose qu'à améliorer votre curriculum vitae? De quelle façon reconnaît-on les acquis? Est-ce que vous avez des exemples tangibles?

[Traduction]

Mme Burton: Je vais vous donner un exemple du Sud de l'Ontario. Lorsque la société Algoma a mis à pied de nombreux travailleurs, elle a offert un programme d'aide à l'adaptation de la main-d'oeuvre comportant une formation payée par elle de manière que les travailleurs puissent acquérir de nouvelles compétences afin de travailler ailleurs, puisqu'ils ne seraient plus métallurgistes.

Le sénateur Losier-Cool: Cela pourrait-il donner lieu à une augmentation de salaire?

Mme Burton: Bien sûr. Par exemple, deux ouvriers de l'aciérie s'intéressaient aux ordinateurs. Ils étaient devenus assez spécialisés grâce à un auto-apprentissage à la maison. Ils voulaient suivre des cours de technologie informatique dans un collège communautaire. Par suite de l'évaluation des acquis, on s'est aperçu que ces hommes avaient suffisamment de connaissances pour terminer le cours en un an au lieu de deux. Ils ont gagné du temps et de l'argent et l'employeur a gagné de l'argent. On a encouragé ces hommes à suivre cette voie.

Le sénateur Losier-Cool: Je sais que les travailleurs qui ont une formation technique sont toujours en demande. Toutefois, est-ce que votre étude a permis de cerner d'autres domaines sur lesquels nous devrions nous concentrer? Ce n'est pas tout le monde qui s'intéresse à la technologie. De plus, la coiffure et le droit sont des domaines saturés. Quels seront les domaines d'emploi de l'an 2000?

Mme Burton: Il m'est difficile de répondre à cette question. Il y a toutefois certaines constatations qui se dégagent de notre étude. Mentionnons, entre autres, l'importance indéniable de l'enseignement postsecondaire et le fait que les variables du marché du travail jouent en votre faveur lorsque vous comptez un grand nombre d'années de scolarité. Vous gagnez plus, vous êtes moins susceptible de vous retrouver au chômage, et la transition d'un emploi à l'autre se fait plus facilement si vous avez fait des études collégiales ou universitaires.

Il faut bien faire comprendre cela aux jeunes, parce qu'ils occupent une place de moins en moins importante sur le marché du travail. Il y a actuellement un grand nombre de travailleurs qui, au cours des 10 à 15 prochaines années, auront besoin de formation. Ils devront se recycler, retourner sur le marché du travail et se recycler à nouveau. L'apprentissage est un processus qui se poursuit tout au long de la vie.

Le sénateur DeWare: J'ai trouvé votre exposé fort intéressant. Vous reprenez certains des arguments que nous avons entendus. Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il devrait y avoir des normes nationales et que les gens devraient pouvoir transférer leurs compétences d'une province à l'autre.

En 1980, nous étions à la recherche d'un inspecteur en plomberie au Nouveau-Brunswick. Le titulaire devait posséder une douzième année et 15 années d'expérience. Nous avons reçu très peu de candidatures. Nous avons essayé de voir pourquoi ce poste ne suscitait pas plus d'intérêt, et nous nous sommes rendu compte que les gens qui possédaient 15 années d'expérience en 1980 n'avaient pas de diplôme d'études secondaires. Lorsque nous avons modifié les exigences et demandé que le titulaire possède une 10e année, nous avons reçu de nombreuses candidatures. L'expérience est donc importante.

J'aimerais vous poser une question au sujet du passeport-formation. Avez-vous envisagé d'établir un passeport qui ferait état de vos titres de compétence, de votre expérience et de tous les cours que vous avez suivis, qu'il s'agisse d'un cours d'une journée ou de trois semaines?

Mme Burton: Nous en parlons à la dernière page de notre mémoire. Nous appelons cela un carnet de formation. Lorsque nous entreprenons un projet, nous réunissons des représentants du monde des affaires, des syndicats, du milieu de l'enseignement et de la formation, des groupes d'équité et aussi des experts. Nous avons commencé à examiner le concept d'un carnet de formation ou d'un passeport-formation, et à élaborer des critères. Le groupe, lui, préférait parler d'un profil des connaissances et compétences plutôt que d'un carnet de formation. Nous allons mettre au point des versions informatisées et des variantes du passeport. Nous comptons proposer des modèles dès cette année. Nous voulons avoir un autre moyen que le curriculum vitae de faire état de nos connaissances et compétences.

Nous avons tendance, au Canada, à présumer que la personne qui possède un diplôme d'études secondaires et qui a exercé le métier de plombier pendant 15 ans sait ce que doit faire un inspecteur en plomberie. Nous tenons cela pour acquis. Nous pourrons, en vertu de cette formule, préciser quelles sont les connaissances qu'un inspecteur doit avoir et quelles sont les tâches qu'il doit accomplir. Si la personne a appris son métier sur le tas, qu'elle ait ou non un diplôme d'études secondaires n'aura pas grande importance.

Le sénateur DeWare: Je trouve cette idée d'un passeport-formation intéressante. Peu importe le nom que vous lui donnez, il est important que les gens aient ce passeport et qu'ils puissent le transférer d'un employeur à un autre, d'un établissement d'enseignement à un autre, d'une université à un collège communautaire. Je suis très heureuse d'en entendre parler.

En 1985, j'ai prononcé un discours devant un groupe de finissants d'un collège communautaire de St. John. J'expliquais dans mon discours que l'éducation est un processus qui se poursuit tout au long de la vie. Nous voilà en 1997, toujours en train de parler de la même chose.

Mme Burton: J'ai été très emballée quand un jeune dessinateur nous a proposé le slogan «L'apprentissage est sans limites» et qu'il a utilisé l'image d'un alpiniste pour l'illustrer. Nous employons toujours ce slogan.

Le sénateur Forest: Je vous remercie de votre exposé. Je l'ai trouvé fort intéressant.

Je connais bien le milieu universitaire, et il n'est pas aussi rigide que vous le laissez entendre. Il y a 20 ans, l'Université de l'Alberta a mis au point des programmes d'enseignement coopératif en administration des affaires, en génie, ainsi de suite. Les étudiants complétaient un semestre et ensuite allaient travailler dans une entreprise. Ils effectuaient une sorte de stage. La formule fonctionne très bien et la plupart des universités l'ont adoptée.

Vous avez parlé de la Colombie-Britannique. Lorsque nous sommes allés là-bas, nous avons appris que les étudiants passaient de l'université au collège, et non pas du collège à l'université, pour acquérir des compétences. Vous avez tout à fait raison de dire qu'on doit évaluer les connaissances et les compétences. Toutefois, il y a des connaissances qui sont difficiles à évaluer dans le domaine des arts, des sciences humaines, ainsi de suite.

Depuis combien de temps travaillez-vous là-dessus et depuis combien de temps ce concept est-il appliqué au Canada?

Mme Burton: Vous voulez dire depuis combien de temps le comité travaille-t-il sur ce dossier?

Le sénateur Forest: Oui.

Mme Burton: Le groupe de travail s'est réuni l'année dernière. Il a tenu de longues consultations. Nous avons rencontré les représentants d'environ 600 établissements et associations. Nous avons produit un document qui a été adopté par le comité en juillet 1996, il y a moins d'un an de cela.

Le document ressemble davantage à un rapport de recherche. Il est très volumineux. Le comité a dit, «Lenore, personne ne va être en mesure de lire ou de comprendre ce document. Adressez-vous à des experts en communications et en marketing. Il faut préparer un document compréhensible qui attirera l'attention des gens.» Voilà le résultat. C'est une version abrégée du document original. Nous l'avons rendu public il y a trois semaines, à Toronto.

Le sénateur Forest: En Alberta, j'ai participé à un programme intitulé «Learning Link»? En avez-vous entendu parler?

Mme Burton: Oui.

Le sénateur Forest: Ils viennent tout juste de créer une bourse en mon nom. Ils s'intéressent de près à ce que font les employeurs et les divers établissements. Deux universités ont mis sur pied, il y a une vingtaine d'années, un programme pour les étudiants adultes. C'est une très bonne initiative. J'espère que les autres établissements vont leur emboîter le pas. Vous aurez peut-être de la difficulté à convaincre les universités, mais il y en a qui l'ont adopté. En Alberta, les collèges et les universités sont membres d'une association. Ils sont beaucoup plus ouverts à ce genre d'initiative qu'il y a 25 ans.

Mme Burton: J'aimerais organiser, au cours de la conférence du mois d'octobre, une tribune où les établissements d'enseignement pourront discuter ouvertement des obstacles -- et les obstacles financiers sont très importants --, qui les empêchent d'adopter ce concept. Il faudra ensuite voir comment ils peuvent surmonter ces obstacles. Ce n'est pas facile pour eux, pour de nombreuses raisons.

Le sénateur Forest: Est-ce que le milieu syndical serait prêt à fournir une aide financière? Les universités ont, elles aussi, des problèmes budgétaires. Cette initiative doit sûrement intéresser les syndicats.

Mme Burton: Oui, mais ils ont eux aussi des problèmes. Ils doivent agir avec prudence. Pour bon nombre d'entre eux, l'avancement et le traitement, dans le cadre d'une convention collective, sont fonction de l'ancienneté et non pas des compétences et des connaissances.

Le sénateur Forest: J'aurais dû dire les employeurs et les syndicats.

Mme Burton: Dans les études de cas que nous avons effectuées, nous avons constaté que c'était l'employeur ou le syndicat qui assumait les frais de l'évaluation des connaissances acquises. Il ne s'agit que d'une étape. L'université ou le collège doit, à son tour, modifier les horaires, les tranches de temps, les modalités d'affectation des enseignants. Tous ces changements sont coûteux.

Le sénateur Forest: Les facultés qui offrent des cours d'extension seraient plus ouvertes à ce concept.

Mme Burton: Oui. Au cours des dernières années, les écoles d'éducation permanente ont pris de l'essor et sont devenues plus actives.

Le sénateur Lavoie-Roux: J'aimerais savoir quel accueil vous ont réservé les divers syndicats. Je pense à la CSN ou à la FTQ.

Les collèges évaluent les étudiants avant de les accepter dans leurs programmes, surtout s'ils ont travaillé pendant quelque temps. De nombreux établissements le font. Bien que cette formule soit très utile pour les employés qui ont été mis à pied et qui souhaitent se recycler, je n'ai pas l'impression que les établissements utilisent ce processus d'évaluation de manière générale.

Comment réagissent les établissements? Après tout, ce concept n'est pas nouveau.

Mme Burton: Non, ce concept n'est pas nouveau. Je ne prétends pas non plus que c'est nous qui l'avons inventé ou découvert. Seulement quelques établissements ont recours à ce processus. Il s'agit toutefois d'un concept nouveau pour les employeurs.

Le sénateur Lavoie-Roux: Ce processus pourrait s'avérer utile en milieu de travail. Certains établissements ne sont pas prêts à appliquer ce concept parce qu'ils ont déjà leurs propres outils d'évaluation.

Mme Burton: Jusqu'ici, ils ont tenu compte des crédits que les étudiants obtiennent dans les autres établissements. Si vous quittez le Manitoba pour aller vous installer au Québec, les crédits que vous avez obtenus de l'Université du Manitoba ou du Collège Red River seront évalués au Québec et on vous accordera un certificat d'équivalence. Ce concept-ci va plus loin. Les crédits ne comptent plus. Seules les connaissances acquises au travail seront reconnues.

Le sénateur Lavoie-Roux: Sont-ils prêts à l'accepter?

Mme Burton: Non.

Le sénateur Forest: Nous avons mis sur pied des programmes spéciaux pour les étudiants autochtones. Dans ces cas, nous avons évalué l'expérience qu'ils ont acquise et nous leur avons accordé des crédits en fonction de celle-ci. Les universités commencent à accorder des crédits aux étudiants qui ont une expérience de travail.

Nous avons vécu la même expérience que celle qu'a décrite le sénateur DeWare, c'est-à-dire que nous avons essayé de recruter des enseignants dans les écoles secondaires. Ils avaient suivi des ateliers et acquis des compétences, mais ils n'avaient pas de brevet d'enseignement.

Le sénateur Lavoie-Roux a raison de dire qu'il sera difficile d'amener les établissements d'enseignement à accepter ce concept, mais certains ont commencé à le faire. Les collèges sont plus souples que les universités.

Mme Burton: Vous avez raison, sénateur Forest.

Le sénateur Lavoie-Roux: Ils craignent peut-être d'être obligés d'abaisser leurs normes s'ils n'effectuent pas leurs propres évaluations.

Mme Burton: Exactement. Le contrôle de la qualité est important. Nous ne le nions pas.

Le sénateur Lavoie-Roux: Comment les gros syndicats réagissent-ils à ce concept? C'est là qu'il serait le plus efficace ... sur le lieu de travail.

Mme Burton: C'est un concept nouveau pour les syndicats. Le Congrès du travail du Canada tiendra, en juin, sa première conférence sur la formation. Il sera question du système ERA.

Le Congrès nous a aidés à préparer ce document. Il s'agit d'un document que tous les intervenants ont appuyé. Ils sont donc d'accord avec son contenu. D'une part, ils appuient le concept, parce que cela veut dire que les connaissances et les compétences des travailleurs vont être reconnues et qu'ils vont pouvoir, espérons-le, être rémunérés en conséquence. D'autre part, ils ont des inquiétudes au sujet de l'ancienneté. Habituellement, dans une convention collective, un employé est rémunéré en fonction du nombre d'années de service qu'il a à son actif, non pas en fonction de ses connaissances et de ses compétences. De plus, les syndicats craignent que les employeurs n'utilisent ce concept pour réduire les dépenses consacrées à la formation au lieu de prévoir un budget fixe et de former un plus grand nombre d'employés. Ce concept pose également des problèmes dans ce milieu.

Les syndicats qui représentent les enseignants au niveau postsecondaire et collégial sont également inquiets. Quel impact le fait de remplacer les tranches de temps par des horaires flexibles aura-t-il sur les conventions collectives des enseignants? Ces enseignants vont être obligés de changer la façon dont ils négocient leur convention.

Le sénateur DeWare: Les collèges communautaires semblent délaisser cette formule. Comme bon nombre des cours sont donnés par des contractuels, ils recrutent des enseignants pour des tranches de temps précises. Cela pourrait simplifier les choses.

Mme Burton: Ces travailleurs contractuels ne sont pas syndiqués.

Le sénateur DeWare: Il faut que les syndicats, les employeurs et les employés soient tous du même côté pour que cela fonctionne.

Certains membres du comité aimeraient bien assister à votre réunion.

Mme Burton: Mon but ici est double: je veux d'abord vous amener à appuyer ce concept, et ensuite vous inviter à assister à la conférence à Montréal.

Le président: Je vous remercie de votre excellent exposé.

Mme Burton: Merci de nous avoir donné l'occasion de comparaître devant le comité.

Le président: Honorables sénateurs, nous accueillons maintenant M. Mercredi, chef national de l'Assemblée des Premières nations. Il est accompagné de Rose McDonald, directrice du programme d'éducation pour l'Assemblée des Premières nations. Nous allons écouter avec plaisir votre exposé, après quoi nous vous poserons quelques questions.

M. Ovide Mercredi, chef national, Assemblée des Premières nations: Bonjour, monsieur le président et membres distingués du sous-comité. Votre mandat précise que vous devez faire rapport sur l'état de l'enseignement postsecondaire au Canada et, par le fait même, d'examiner l'importance de l'enseignement postsecondaire au Canada sur les plans social, culturel, économique et politique. Je suis heureux d'avoir l'occasion aujourd'hui de vous exposer certaines préoccupations des Premières nations concernant l'enseignement postsecondaire au Canada. J'aimerais d'abord vous faire un bref historique du système d'éducation des Premières nations et vous parler, de façon plus précise, de l'enseignement postsecondaire dans le contexte de l'autonomie gouvernementale.

Les Premières nations préconisent un système d'éducation holistique qui repose sur un profond respect de la nature et sur le développement physique, moral, spirituel et intellectuel de l'individu. Nous savons que la langue et les valeurs culturelles sont transmises par le biais de l'enseignement, d'où notre détermination à ce que cet enseignement ne nous soit pas uniquement dispensé dans les langues des colonisateurs, c'est-à-dire le français ou l'anglais.

La famille et la communauté devraient, idéalement, participer activement au processus d'éducation tout au long de la vie. L'éducation, pour les Premières nations, n'est pas un simple droit ancestral ou un droit issu de traité. Nous avons entrepris des démarches en vue d'amener les gouvernements à réaffirmer et à reconnaître nos droits pour que nous puissions assurer notre renouveau collectif et notre épanouissement personnel.

Le gouvernement fédéral, qui représente la Couronne, a l'obligation légale, en vertu de divers traités et de l'article 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1867, de fournir des ressources et des services adéquats en matière d'enseignement préscolaire, primaire, secondaire, postsecondaire, de même qu'en matière d'éducation permanente et de formation professionnelle. Le gouvernement fédéral est tenu d'offrir aux Premières nations des programmes d'enseignement de qualité, des installations, des modes de transport, de l'équipement et du matériel. La Couronne a légalement accepté, par voie de traité, de pourvoir à l'éducation et au bien-être des Premières nations. Bien entendu, vous n'êtes pas sans savoir que votre société a négligé de respecter les droits à l'éducation des Autochtones, droits qui sont confirmés par traité.

Nous considérons l'éducation de nos jeunes comme étant essentielle à la reconnaissance de notre droit à l'autodétermination et à l'autonomie gouvernementale. De nos jours, l'égalité d'accès à l'éducation et à l'acquisition continue du savoir est un droit fondamental qui revient à tous les peuples ... sauf que les Blancs vont s'adjuger la plus grosse part des richesses du pays pour financer leurs besoins en matière d'éducation. Notre peuple n'a jamais été satisfait des services qu'il a reçus en matière d'éducation. Le gouvernement fédéral continue de nous traiter comme des citoyens de seconde zone. Il faut mettre un terme à cette iniquité et à ces injustices et permettre à notre peuple d'avoir accès aux mêmes avantages que les autres Canadiens en matière d'éducation.

Étant donné les principes dont j'ai parlé, l'objectif des Premières nations consiste à changer les conditions suivantes: 50 p. 100 des enfants d'âge préscolaire des Premières nations n'atteignent pas la douzième année, 283 des 633 collectivités des Premières nations n'ont aucune école de quelque nature que ce soit, les taux d'analphabétisme chez les Premières nations atteignent entre 65 et 75 p. 100 dans certaines régions, l'utilisation de la langue vernaculaire dans 69 p. 100 des collectivités des Premières nations est à la baisse, menacée ou dans une situation critique. Enfin, 66 p. 100 de la population adulte des Premières nations n'ont pas fait d'études secondaires, comparativement à la moitié de la population du Canada.

Nous devons tous convenir que la colonisation et l'établissement des Européens ont modifié l'environnement socio-économique de nos collectivités, supplantant et modifiant les économies traditionnelles de même que les conditions de survie de tout notre peuple. Les principes des droits de la personne et des relations internationales exigent de la part de cette société qui introduit des changements unilatéraux et intéressés qu'elle fournisse à ceux dont les sociétés et les économies ont été perturbées un soutien approprié, adapté et équivalent qui leur permettra d'acquérir les connaissances et les compétences spécialisées et de pointe dont ils ont besoin pour participer à part entière à la nouvelle société et pour y survivre en tant que nation. Lorsque vous avez des torts envers quelqu'un, vous devez être prêt à les réparer. Le Canada a fait énormément de torts envers notre peuple. Ses dettes à notre endroit sont légion et s'accumulent depuis plus d'un siècle.

À l'heure actuelle, pour remédier à la situation, le Canada devra fournir aux Premières nations, en tant qu'individus et en tant que nations, les compétences et les connaissances dont elles ont besoin pour se remettre du génocide physique et culturel.

L'ouvrage Tradition and Education: Towards a Vision of Our Future, publié par les Premières nations en 1988, a défini leur philosophie et leur position en matière d'éducation. Les questions de compétence, qui incluent la gestion, l'affectation adéquate des ressources et un enseignement de premier choix, doivent faire partie intégrante de la définition de ce lien entre les Premières nations et l'État. Les auteurs de ce rapport demandent aussi un financement plus fiable des programmes et des étudiants.

Cette position tire son origine dans l'esprit et l'intention des traités conclus par notre peuple et les gouvernements et qui tiennent toujours. Il faut tenir compte de ces engagements pour que les programmes de scolarisation reflètent les connaissances traditionnelles et y correspondent. L'application et l'acceptation de ces principes sont essentielle si nous voulons réussir à exercer nos droits à l'autonomie gouvernementale et à l'autodétermination. L'image et l'honneur du Canada dépendent aussi de l'entière réparation des torts subis par notre peuple et nos nations.

Comme nous l'avons dit, l'éducation est un des pivots du développement de saines collectivités autonomes chez les Premières nations. Étant donné le grand besoin de professionnels et de spécialistes pour assurer le soutien socio-économique particulier des collectivités des Premières nations, l'accès de nos étudiants à des programmes d'enseignement postsecondaire et l'appui financier de ces derniers revêtent une importance particulière. Même si nous considérons l'enseignement postsecondaire comme un droit inhérent, ancestral et issu des traités, le gouvernement fédéral interprète purement et simplement ses obligations comme étant une question de politique sociale. C'est ainsi qu'au cours des dernières années le ministère des Affaires indiennes a restreint son engagement et son appui à l'égard des programmes d'enseignement postsecondaire pour les Premières nations, même si la demande à ce dernier égard a sensiblement augmenté. Même si c'est un fait bien établi qu'une personne scolarisée contribue grandement au fonctionnement et au bien-être économique de n'importe quel pays, le Canada n'est toujours pas convaincu qu'en investissant dans la scolarisation de notre peuple il garantirait un meilleur avenir et de meilleures relations.

À la fin des années 80, le ministère des Affaires indiennes a pris des mesures pour limiter l'accès et l'appui au financement de l'enseignement postsecondaire en resserrant les critères d'admissibilité et en plafonnant le montant de l'aide financière offerte. Une série de gestes politiques posés par les étudiants des Premières nations -- y compris un jeûne -- de même que par les dirigeants et par les intervenants du milieu de l'éducation, ont permis de freiner légèrement les restrictions imposées par le gouvernement mais n'ont pas donné lieu à d'importants changements à la politique gouvernementale.

Étant donné que le gouvernement considère l'enseignement postsecondaire comme un programme non essentiel et discrétionnaire, ce secteur pourrait être la cible un jour de compressions budgétaires. La majoration annuelle apportée au budget de l'enseignement postsecondaire, y compris les exigences administratives, le Programme d'aide aux étudiants indiens et le programme de soutien aux étudiants est plafonnée à 3 p. 100. Il est possible que dans le cadre des transferts de responsabilités du gouvernement, le programme fasse l'objet de compressions ou que les Premières nations finissent par administrer un programme sans budget fiable. En outre, sans l'assurance de niveaux budgétaires soutenus à long terme, les Premières nations ne pourront pas planifier adéquatement l'avenir en ce qui a trait à la participation et à l'autonomie des collectivités.

Je vais maintenant parler d'un autre htmect de l'éducation postsecondaire des Premières nations: l'établissement d'établissements postsecondaires des Premières nations. Comme le gouvernement n'a pas reconnu les droits inhérents, ancestraux et issus de traités, en ce qui a trait à l'autonomie gouvernementale et à la compétence en matière d'éducation, le budget des Premières nations en ce qui concerne l'enseignement postsecondaire ne permet pas de mettre en place des programmes complets et de nouveaux établissements. Le Programme d'aide aux étudiants indiens prévoit de l'argent à ce titre, mais l'affectation des fonds à ce programme demeure inchangée depuis plusieurs années et aucun fonds n'a été distribué pour atteindre la parité régionale.

Ce ne sont pas tous les élèves des Premières nations qui fréquentent des établissements disposant de chartes provinciales, mais les provinces refusent d'attribuer une partie des paiements au titre du FPE aux établissements des Premières nations. Le Financement des programmes établis consistait en des ententes conclues entre le gouvernement fédéral et les provinces qui disposaient que ces dernières obtenaient pour l'enseignement postsecondaire et le financement des établissements un montant fondé sur leur population. Ces montants incluaient les collectivités des Premières nations. Bien sûr, cela a été remplacé par un nouveau régime mis de l'avant par Paul Martin il y a environ un an et demi, mais ces fonds sont toujours mis à la disposition de la population entière et cela inclut nos populations également.

L'enseignement postsecondaire pour les élèves des Premières nations est une absolue nécessité si ces dernières veulent atteindre l'autonomie gouvernementale. L'enseignement postsecondaire englobe à la fois les maisons d'enseignement supérieur et les universités. Les élèves des Premières nations doivent se voir offrir la possibilité de développer leur potentiel intellectuel dans un large éventail de disciplines. Cela permettra de doter les collectivités des Premières nations de gens bien résolus et compétents qui pourront appuyer des administrations autonomes efficaces.

L'enseignement postsecondaire doit être entièrement financé par le gouvernement fédéral qui s'est engagé à cet égard auprès des Premières nations. Le ministère des Affaires indiennes doit considérer l'enseignement postsecondaire comme un élément non discrétionnaire du programme d'éducation. Il faut corriger les lacunes tant dans la loi que dans les règlements ministériels pour intégrer l'enseignement postsecondaire au programme d'éducation régulier.

À l'heure actuelle, l'admissibilité des étudiants aux ressources relève de critères rigides du ministère des Affaires indiennes s'y rapportant et limite le montant que les conseils des Premières nations et les autorités scolaires peuvent verser aux étudiants. Ces critères ne tiennent pas compte du besoin financier réel de chaque étudiant et du coût de la vie dans la région où est situé l'établissement postsecondaire.

Les Premières nations jugent ces critères inacceptables et tout à fait contraires aux principes de leur compétence en matière d'éducation. Le ministère des Affaires indiennes, au moyen de ses politiques, nuit à l'éducation postsecondaire des élèves des Premières nations plutôt que de la faciliter. Toutes les décisions concernant les montants qui devraient être remis aux élèves et le contrôle de leurs progrès doivent incomber aux Premières nations.

Il faut remarquer que les Premières nations exercent très peu d'influence dans les établissements postsecondaires provinciaux. Il faut s'efforcer de trouver des moyens pour que les choses se passent autrement.

Il faut encourager les collèges et les universités à offrir des cours qui tiennent compte des problèmes culturels et des langues vernaculaires des Premières nations. Il faut mettre en place un mécanisme qui permettra d'établir le dialogue entre les Premières nations et les conseils des gouverneurs des collèges et universités de manière à se pencher ensemble sur les préoccupations des Premières nations.

Tandis que les provinces ont compétence en matière d'éducation, le gouvernement fédéral a joué un rôle important, surtout pour aider les provinces à financer l'enseignement postsecondaire. Le gouvernement fédéral reconnaît qu'il faut élargir l'accès à l'apprentissage, non seulement pour les jeunes adultes, mais aussi pour les gens tout au long de leur carrière. Pour de nombreux Canadiens qui travaillent, les possibilités d'apprentissage sont essentielles pour l'avancement professionnel et, dans certains cas, pour la sécurité d'emploi.

À l'heure actuelle, le gouvernement fédéral ne parvient pas à évaluer les besoins uniques et les limites des peuples autochtones en ce qui a trait à l'accès à l'éducation postsecondaire. L'entente de financement à cet égard est un accord de contribution directe conclu entre le gouvernement fédéral et les Premières nations. La viabilité des nouveaux accords en ce qui a trait à l'éducation postsecondaire dépend d'une hausse des niveaux actuels de financement.

Si nous nous fondons sur les obligations fiduciaires du gouvernement fédéral à l'égard de la scolarisation des Premières nations, nos citoyens continueront d'avoir accès aux études postsecondaires grâce à un financement direct versé par l'entremise du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Cela ne veut pas dire que les Premières nations sont satisfaites des niveaux de financement actuels en ce qui a trait aux dépenses individuelles des élèves ou à la mise sur pied et au fonctionnement des établissements d'éducation postsecondaire des Premières nations.

Les données sur l'éducation révèlent que les populations des Premières nations sont de loin moins scolarisées et possèdent, par tête, moins de compétences les rendant aptes à l'emploi que d'autres secteurs de la population canadienne. Dix-sept pour cent des citoyens adultes des Premières nations ne sont pas scolarisés ou n'ont pas leur neuvième année, à comparer à 6 p. 100 pour la population canadienne. Cinquante pour cent de la population d'âge scolaire des Premières nations n'atteint pas la 12e année.

Étant donné ces conditions et les efforts que nous déployons pour atteindre l'autonomie gouvernementale, le gouvernement fédéral doit s'engager fermement à appuyer la création d'établissements postsecondaires des Premières nations. Il faut pour ce faire un financement de base et des ressources adéquates. Des établissements comme le Saskatchewan Indian Federated College et le First Nations Technical Institute offrent d'excellents programmes pour les élèves des Premières nations. Ils doivent être assurés d'obtenir des crédits du gouvernement fédéral pour continuer à offrir des programmes culturellement pertinents de même qu'un enseignement technique au niveau postsecondaire.

Nous nous réjouissons aujourd'hui des changements qui s'annoncent dans un monde d'ordinateurs et de progrès technologiques qui profiteront par la suite au système d'éducation de même qu'à l'apprenant des Premières nations. La nature du travail évolue et exigera une main-d'oeuvre hautement spécialisée qui utilisera une technologie de pointe. A l'heure actuelle, nous utilisons les ordinateurs pour communiquer par l'entremise d'Internet. Les Premières nations deviennent de plus en plus visibles dans le cyberespace par l'entremise de la commercialisation, de la recherche et du développement économique. Étant donné cette présence, le besoin d'une main-d'oeuvre techniquement qualifiée s'accroît.

La société et la population active doivent reconnaître la diversité des peuples et des cultures. À mesure que la société évolue, la population active doit reconnaître la richesse des langues et des cultures de ses peuples. Cela inclut les peuples des Premières nations qui ont un lien unique avec cette terre. La population évolue. Il en va de même en ce qui a trait à la proportion de femmes et de minorités ethniques chez les travailleurs. D'ici l'an 2000, la minorité deviendra la majorité. Les tendances démographiques indiquent à l'heure actuelle que les minorités visibles représenteront alors 60 p. 100 de la population.

La concurrence s'accentuera pour des employés bien formés à mesure que progressera la technologie. Lorsque nous arriverons sur le marché du travail, on exigera de nous des compétences plus techniques et la concurrence pour les emplois s'intensifiera.

Comme l'éducation contribue au développement des Premières nations, nous recommandons:

Premièrement, que les niveaux de financement du programme d'enseignement postsecondaire soient relevés de manière à tenir compte du coût de l'inflation et de l'augmentation des inscriptions des étudiants autochtones dans les établissements de haut savoir. Que de nouvelles sommes soient affectées pour satisfaire à la demande des étudiants qui s'inscrivent à des programmes d'éducation postsecondaire.

Deuxièmement, que l'éducation postsecondaire et la formation professionnelle soient financées à titre de programmes non discrétionnaires du gouvernement fédéral afin de garantir la formation de professionnels et de dirigeants des Premières nations qui contribueront au développement social, politique, culturel et économique de notre peuple.

Troisièmement, que les Premières nations, non pas le gouvernement fédéral, élaborent les politiques et les lignes directrices en matière d'éducation postsecondaire et d'éducation des adultes.

Quatrièmement, que des partenariats soient établis avec les établissements postsecondaires et les collectivités des Premières nations pour la prestation de programmes sur les réserves et pour le partage de l'information. De nouveaux établissements postsecondaires des Premières nations sont aussi nécessaires afin d'offrir des services d'éducation plus directement aux Premières nations.

Cinquièmement, il est nécessaire de prévoir des fonds suffisants pour le tutorat, le transport, les garderies, les livres et les fournitures pour les étudiants adultes et de niveau postsecondaire. Cela comprend également des ressources pour les installations, le matériel, les bibliothèques et les laboratoires.

Sixièmement, il faut offrir une aide pour l'élaboration de programmes d'études pertinents sur le plan culturel, le développement des langues ancestrales, le développement des bibliothèques, les besoins internes en formation et des projets de recherche supplémentaires destinés à améliorer les programmes offerts aux étudiants des Premières nations. Il faut trouver de nouveaux fonds fédéraux pour recruter des instructeurs, des conseillers, des administrateurs, des paraprofessionnels et des spécialistes en ressources, en embauchant de préférence des pédagogues qui appartiennent aux Premières nations.

Septièmement, établir une université internationale de peuples autochtones, comme l'a recommandé la Commission royale sur les peuples autochtones, en étudiant la possibilité d'établir parallèlement un institut de langues pour les Premières nations. Ces deux initiatives permettraient de répondre aux besoins des Premières nations du Canada et de créer un institut spécialisé en linguistique.

Huitièmement, mettre sur pied une bibliothèque virtuelle pour les Premières nations destinée à répondre aux besoins des Premières nations partout au Canada. Cette initiative répondrait aux besoins de notre peuple tant sur le plan de l'information que de l'autonomie gouvernementale. La capacité de cette bibliothèque virtuelle dépendrait considérablement des ressources qui seraient allouées pour soutenir sa mission.

Enfin, les Premières nations tiennent à ce que leur système d'enseignement englobe les droits suivants en matière d'éducation: la présence d'un milieu culturel dans tous les établissements d'enseignement, qui respecte et renforce l'histoire et les traditions des peuples autochtones; l'accès aux technologies éducatives, aux systèmes d'information et à une formation qui en permet une utilisation efficace, l'accès à un système d'éducation permanente qui offre à tous les étudiants la possibilité de donner leur pleine mesure et de transmettre leurs compétences à d'autres; un milieu scolaire sûr et enrichissant qui incite chacun à contribuer à sa communauté; et le droit d'hériter d'un monde sans hostilité, en harmonie avec l'environnement.

Je suis très heureux d'avoir eu l'occasion de prendre la parole devant vous ce matin et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions. À cet égard, j'inviterais mon collègue à m'aider.

Le président: Je vous remercie beaucoup, chef Mercredi.

Le sénateur Andreychuk: Comme M. Eber Hampton et les représentants de l'IFC, je suis convaincue que l'enseignement autochtone comporte un élément positif. Nous avons également entendu les témoignages de représentants de l'Alberta qui nous ont donné certaines lueurs d'espoir.

Appuyez-vous de façon générale l'orientation que la Commission royale a adoptée en ce qui concerne l'éducation et les questions qui s'y rattachent? Je suis fermement convaincue que les Autochtones ont besoin de systèmes de soutien avant d'aller à l'université. Lorsque vous tenez compte de toutes les difficultés auxquelles ils se sont heurtés, tant sur le plan social que culturel, il est injuste qu'ils héritent d'une institution qui n'est pas la leur. Par conséquent, il est absolument nécessaire de combler cette lacune.

Il a été difficile de convaincre le Canadien moyen qui s'estime défavorisé du bien-fondé de ce genre de mesures. Nombre d'entre eux sont des réfugiés et des immigrants qui sont venus au Canada et ont dit: «Je ne parle pas la langue, je ne connais pas la culture et pourtant je n'ai pas obtenu ce type d'aide.» Je sais ce que vous répondrez à ce genre de déclaration, à savoir que la situation dans laquelle vous vous trouvez est le résultat direct des mesures prises par les gouvernements fédéraux au fil des ans; tandis que les difficultés qu'ont peut-être connues les gens en provenance d'autres pays étaient dues à d'autres facteurs.

Comment pouvons-nous convaincre le public de la nécessité de cette aide à l'heure actuelle compte tenu de la rareté des ressources? Lorsque je faisais partie de SFIC, c'était le plus grand obstacle à la promotion de ces programmes. C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles le gouvernement fédéral, lorsqu'il a décidé de réduire ses dépenses, a décidé de réduire ses services dans ce secteur, puisqu'il réduisait ses services de soutien ailleurs. Je suis heureuse de constater qu'il a en rétabli certains.

Avant d'arriver au niveau postsecondaire, il faut d'abord surmonter toutes les difficultés qui existent aux niveaux primaire et secondaire, où le taux de décrochage est le plus élevé. Comment prévoyez-vous modifier certaines attitudes des Autochtones à l'égard des études supérieures? Je sais qu'on parle de la nécessité d'avoir accès à des ressources juridiques et à une aide financière pour assurer le respect des droits ancestraux et issus de traités. Vous avez besoin de logements et de services sociaux. Comment vendons-nous l'éducation comme un élément clé de motivation, même au sein de la collectivité autochtone? Existe-t-il des arguments que nous pourrions présenter dans notre rapport qui pourraient être utiles à cet égard?

Je sais à quel point il est difficile de persuader qui que ce soit de la nécessité de faire des études. Je me rappelle qu'à une occasion un chef a dit: «Mes ressources doivent servir à aider les gens à se sortir de la situation dans laquelle ils se trouvent.» J'ai répondu: «Mais il y a ce jeune homme devant moi. Même si nous visons le long terme, accordons un peu d'attention et de ressources au court terme.» Comment conciliez-vous vos besoins à long terme, qui sont très importants, et les besoins à court terme des jeunes pour leur permettre de faire les études dont ils ont besoin? Autrement dit, comment procéderez-vous si vous recevez les fonds dont vous avez besoin?

M. Mercredi: Que tous les Libéraux démissionnent et qu'on recommence à zéro.

En ce qui concerne la Commission royale sur les peuples autochtones, le gouvernement libéral n'a pas été très honnête avec nous sur cette question. En fait, son absence de réaction a été assez inquiétante. Il a fait preuve d'un manque de respect total pour le peuple que je représente.

Il faut que le ministre des Affaires indiennes et du Développement du Nord modifie son attitude à notre égard, autrement il faudra qu'il soit remplacé. Il serait préférable qu'il soit remplacé.

En ce qui concerne la Commission royale sur les peuples autochtones, le gouvernement fédéral dit: «Nous n'avons pas les fonds nécessaires pour mettre en oeuvre ces recommandations.» Ce n'est pas ce qu'il dit dans son Livre rouge. Le Livre rouge est rempli de promesses à l'intention des peuples autochtones. En fait, il renferme 22 promesses dont il n'a rempli qu'une seule.

Il serait bon que le Sénat indique qu'il faut que les promesses du Livre rouge soient tenues. Il faudrait alors que le gouvernement libéral ou le prochain gouvernement nous fournisse les ressources financières dont notre peuple a besoin pour son éducation et son développement économique. Le Livre rouge promet de nous fournir des ressources éducatives suffisantes, même au niveau postsecondaire pour que personne ne soit privé de la possibilité de faire des études supérieures.

Trop de gouvernements par le passé ont trop souvent manqué aux promesses qu'ils nous ont faites. Si les Blancs cessaient de manquer à leurs promesses, ce serait une bonne façon de commencer à remédier à certains de ces problèmes.

Un de ces problèmes concerne les traités. Nous avons les traités 1 à 11 qui visent les provinces des Prairies et certaines régions des Territoires du Nord-Ouest. Ils prévoient un engagement de la part du gouvernement fédéral de répondre aux besoins de notre société en matière d'éducation. Lorsque notre peuple a négocié avec les commissaires, leur intention était claire ... transmettre les connaissances et l'éducation de l'homme blanc. Ils voulaient préparer notre peuple à la société qui allait manifestement nous remplacer et nous déplacer. En fait, historiquement, c'est ce qui s'est produit.

Cependant, la promesse prévue par les traités de répondre à nos besoins en matière d'éducation n'a jamais été entièrement mise en oeuvre. Le gouvernement fédéral -- et je ne parle pas uniquement des gouvernements libéraux mais aussi des gouvernements conservateurs -- refuse régulièrement de reconnaître que le droit à l'éducation comprend l'octroi de ressources financières aux écoles et toutes ces choses dont j'ai parlé dans mon mémoire.

En ce qui concerne la Commission royale sur les peuples autochtones, nous avons déclaré que nous acceptons en principe ses recommandations. Nous ne voulons fournir aucun prétexte au gouvernement fédéral lui permettant de dire: «Les chefs n'appuient pas le rapport.»

La Commission des droits de la personne déposera son rapport annuel aujourd'hui. Dans son rapport, elle dit au gouvernement du Canada: «Mettez en oeuvre les recommandations du rapport de la Commission royale.» Il n'a pas écouté le gouverneur général qui a dit la même chose en janvier. Il n'a pas écouté les chefs qui le répètent depuis la publication du rapport en novembre. Il n'a pas écouté les présidents d'universités, ni les participants aux tribunes organisées par les différentes universités qui ont toutes recommandé la mise en oeuvre des recommandations de la Commission royale. Peut-être écoutera-t-il la Commission des droits de la personne; nous ne le savons pas. Nous ne sommes pas sûrs que les Libéraux écoutent qui que ce soit.

Quant aux recommandations, nous considérons qu'elles offrent une base de discussion avec le gouvernement et nous avons insisté pour la tenue d'un processus bilatéral entre nous et le gouvernement fédéral. Nous leur avons dit: «Nous nous organiserons sur le plan interne pour nous assurer d'avoir des représentants de tous les secteurs de notre société, qui traiteront avec votre gouvernement et votre société, et de votre côté vous vous organiserez en conséquence. Autrement dit, si vous devez constituer un sous-comité du Cabinet, très bien, mais organisez-vous à l'interne pour que nous puissions travailler de façon bilatérale à la mise en oeuvre du rapport de la Commission royale.»

Les services de soutien sont d'une importance capitale. Il s'agit de services essentiels qui devraient faire partie intégrante de tous les établissements d'enseignement et non uniquement de ceux destinés aux Premières nations. Nous avons l'avantage, dans notre société, d'avoir une catégorie de gens instruits. Si certaines personnes n'ont pas le niveau de scolarité nécessaire pour faire des études postsecondaires, on devrait leur offrir automatiquement des cours de rattrapage pour qu'ils puissent accéder au niveau postsecondaire sans que cela soit fondé sur une évaluation des besoins. Il devrait s'agir d'un droit. Le droit à l'enseignement postsecondaire ne signifie rien s'il est impossible de l'exercer.

Comme vous l'avez indiqué d'après vos questions, il existe de nombreuses raisons pressantes qui militent en faveur de services de soutien aux étudiants, entre autres le taux élevé de décrochage. Il y a beaucoup d'adultes parmi ceux qui font des études postsecondaires. Ce ne sont pas des gens qui viennent de terminer leurs études secondaires. Ceux qui viennent de terminer leurs études secondaires ne connaissent pas les problèmes qui nécessitent cette aide supplémentaire. Ce sont des gens comme moi qui ont besoin de cette aide. J'ai moi-même été décrocheur et je suis allé à l'université comme étudiant adulte. Comme ma connaissance de l'anglais était rudimentaire, j'ai passé bien des heures à consulter le dictionnaire simplement pour parvenir à comprendre le sens d'un texte de sociologie et de mots que je ne connaissais pas bien.

À l'époque, ces services de soutien ne nous étaient pas offerts à nous, étudiants autochtones. Par la suite, on s'est rendu compte que nous avions besoin de services de soutien aux étudiants. Nous nous sommes organisés pour les obtenir. Nous avons organisé politiquement nos étudiants à l'Université du Manitoba pour obtenir un programme d'études autochtones, ce que nous avons obtenu, un salon pour étudiants autochtones, ce que nous avons obtenu, et un groupe d'aide entre pairs pour les étudiants autochtones, ce que nous avons obtenu, et dont je suis d'ailleurs devenu l'un des conseillers. Nous avons mis en place les éléments d'un service de soutien pour ceux qui allaient nous suivre.

Ces services devraient entre autres permettre aux étudiants de perfectionner leurs connaissances linguistiques. Tout l'enseignement est dispensé en anglais au Manitoba et en français à McGill. Il faut donc que les étudiants puissent perfectionner leurs connaissances de ces langues pour pouvoir fonctionner au niveau postsecondaire. Il s'agit d'éléments essentiels, surtout pour les décrocheurs.

Vous avez raison lorsque vous dites que nous devons nous occuper de la situation au niveau primaire. Nous avons apporté un changement. Dans les années 70, le ministère a modifié sa politique. Il a retiré la responsabilité de l'éducation aux écoles résidentielles, aux églises, à l'Église unie et à l'Église catholique et a adopté une nouvelle politique de contrôle local de l'éducation. Grâce à cette politique, les Autochtones ont commencé à administrer leurs propres programmes d'éducation et à exiger d'avoir leurs propres écoles dans leurs propres collectivités. Cependant, comme vous l'avez constaté d'après les chiffres que j'ai cités, nous n'avons pas d'école dans chaque collectivité. Nous administrons effectivement les programmes d'éducation et nous avons réussi à faire baisser le taux de décrochage. Nous avons réussi à faire augmenter le nombre de personnes qui terminent leurs études secondaires. Cela n'est toutefois pas suffisant et il reste encore beaucoup à faire. Nous devons suivre les conseils que nos éducateurs nous répètent depuis un certain temps, à savoir qu'il faut adapter l'école à la réalité de l'étudiant.

Cependant, d'autres facteurs doivent entrer en ligne de compte lorsqu'il s'agit d'un Autochtone. Cet étudiant doit comprendre qu'en restant à l'école, il aura un avenir au Canada. Le problème à l'heure actuelle, c'est qu'il n'y a pas d'avenir au Canada pour nos jeunes. Un étudiant du niveau secondaire à Attawapiskat dans le Nord de l'Ontario sait que le taux de chômage dans sa communauté est de 80 p. 100 ou peut-être plus et il connaît les conditions socio-économiques qui y existent et il est confronté chaque jour à la pauvreté. Ou peut-être s'agit-il d'un jeune qui va à l'école le ventre vide parce que ses parents vivent de l'aide sociale et n'ont pas toujours les moyens d'acheter de la nourriture au prix élevé où elle se vend dans les magasins de ces collectivités. Qu'est-ce qui incite cet étudiant à rester à l'école? Quelles sont les informations qu'on lui transmet à propos de la réussite de notre peuple dans la société canadienne? Ce sont toutes des informations négatives. Il n'y a pas d'emploi pour nous. Même dans les villes, il n'y a pas d'emploi pour nous.

Le Parti réformiste me demande régulièrement lorsque je comparais devant les comités permanents: «Pourquoi ne voulez-vous pas être nos égaux?» C'est ce que veulent tous ceux qui vont s'établir dans les villes mais cela ne veut pas dire qu'ils auront droit à un traitement égal. Il n'y a pas d'emploi pour notre peuple dans les villes. Il ne faut pas simplement s'intéresser à ce qui se passe dans le système scolaire mais aussi à ce que signifie le fait de rester à l'école et à ce qui se passe dans la société canadienne, comment nous sommes traités dans la société canadienne et si nous avons un avenir ou non. En tant que sénateurs, vous pouvez apporter une contribution importante en ce sens.

Pourquoi, par exemple, dans un pays reconnu comme le meilleur au monde, ayant le niveau de vie le plus élevé, où apparemment tout le monde veut immigrer, vivons-nous dans la pauvreté? Pourquoi le chef national est-il obligé de se rendre en Europe du 2 au 4 avril, accompagné de deux délégations, pour expliquer aux Européens comment notre peuple est traité dans ce pays? Notre délégation du Québec se rendra en France, en Autriche et en Suisse. Ma délégation se rendra en Allemagne, en Écosse, en Angleterre et en Autriche. Pourquoi? Parce que nous ne constatons pas les changements voulus dans la situation générale qui existe dans ce pays.

Il n'existe aucun débouché pour notre peuple dans ce pays ... aucun. Pourquoi les jeunes à l'école secondaire devraient-ils croire qu'ils ont un avenir? S'ils croient qu'ils n'ont pas d'avenir, c'est parce que cet avenir n'existe pas. C'est aussi simple que cela.

Tout ce que nous obtenons du gouvernement, ce sont promesses après promesses, Livre rouge après Livre rouge, mais ces promesses sont vite oubliées dès que ces gens parviennent au pouvoir. Quelle est la solution? Nous ne considérons pas le Parti réformiste comme une option pour nous parce qu'il veut se débarrasser des Indiens et nous assimiler dans votre société sans s'occuper des injustices commises. Il veut que nous oubliions le passé. Nous ne le pouvons pas.

Le Parti conservateur a récemment annoncé sa plate-forme électorale à Toronto. Que dit-il? Il veut réduire de 20 p. 100 les dépenses consacrées aux affaires autochtones. D'où sort donc M. Charest? Ne connaît-il pas la situation de notre peuple? Que faut-il faire pour que les gens comprennent? Les matraquer? Que devons-nous faire en tant que chefs autochtones pour faire comprendre que la solution n'est pas de réduire de 20 p. 100 les dépenses consacrées à l'éducation et à la formation?

Le président: Chef Mercredi, nous vous écoutons attentivement. Nous ferons rapport au gouvernement. Dites-nous quels sont vos projets, et nous tâcherons de faire des recommandations pour favoriser l'éducation des Autochtones du Canada.

M. Mercredi: Je suis chef national depuis six ans et depuis six ans je comparais devant les comités sénatoriaux. J'ai présenté des observations sur l'éducation, la pauvreté, les questions constitutionnelles et la loi sur le contrôle des armes à feu ... tous les sujets qui intéressent mon peuple. Le Sénat n'a tenu aucun compte de mes observations. J'ai comparu à maintes reprises devant les comités de la Justice et des Affaires autochtones de la Chambre des communes. J'ai présenté une multitude de mémoires sur tous les sujets qui préoccupent notre peuple et aucune de nos recommandations n'a été suivie. Pour nous, comparaître devant le Sénat et la Chambre des communes est une perte de temps. Cela ne donne aucun résultat.

Le président: Vous avez souvent présenté des mémoires après que le gouvernement se soit prononcé sur un projet de loi. Cette fois-ci, vous nous communiquez votre point de vue avant que le gouvernement soit au courant de nos recommandations. Nous espérons que nous pourrons appuyer certaines de vos recommandations. Nous avons eu l'occasion d'en constater de première main les avantages à Regina.

Le sénateur Forest: Vous avez comparu devant nous au sujet de la clause 17 et le Sénat a approuvé vos recommandations; cependant ces recommandations n'ont pas été suivies. J'ai travaillé longtemps dans le secteur des droits de la personne et de l'éducation et je sais exactement ce que vous ressentez.

Nous avons été très impressionnés par le Collège fédéré de Regina. Je sais que les enfants doivent d'abord faire des études primaires et secondaires, mais croyez-vous que le climat autochtone qu'offrent les collèges fédérés sur les campus universitaires soit le meilleur moyen d'assurer un enseignement postsecondaire? Est-ce la meilleure formule en matière d'enseignement postsecondaire?

M. Mercredi: Je fais partie du conseil consultatif du Collège fédéré, chargé de recueillir des fonds pour l'établissement. J'appuie de toute évidence cet établissement. Cependant, nous voulons pouvoir mettre sur pied plus d'établissements de ce genre partout au pays, plutôt que de les limiter à une région.

Qu'il s'agisse d'établissements affiliés à une université ou d'établissements autonomes, ils devraient pouvoir se prévaloir de toutes les options possibles. Je ne dirais pas que c'est la formule idéale. Comme l'a dit le président du collège, l'idéal serait d'avoir le statut d'université. Les chefs et les pédagogues des Premières nations qui ont participé à l'évaluation de ces développements au cours des dix dernières années, ont tous tâché d'obtenir plus de ressources du gouvernement pour développer ces établissements de manière à ce que nous puissions avoir nos propres collèges.

Par exemple, dans la ville de Winnipeg, nous avons le collège communautaire Red River. J'ai été invité à une conférence là-bas il y a environ quatre ans. J'ai recommandé qu'un groupe de travail examine comment les Premières nations peuvent participer à l'administration de ce collège et à l'élaboration d'un programme d'études mieux adapté à la réalité des membres des Premières nations qui vivent en milieu urbain, de manière à favoriser chez eux un sentiment d'appartenance à cet établissement et à éviter qu'ils aient l'impression d'être uniquement de passage. Ils ont ainsi réussi à élaborer des programmes d'études uniques au collège communautaire Red River.

Cela dit, nous tenons toujours à avoir notre propre collège communautaire. Les données démographiques pour le Manitoba, la Saskatchewan et l'Alberta indiquent que d'ici l'an 2000, un employé éventuel sur quatre sera Autochtone. Cela ne signifie pas qu'un Autochtone sur quatre aura un emploi. Il est plus probable qu'ils seront au chômage. L'argument que j'ai voulu avancer au sujet des collèges communautaires, c'est qu'on ne peut pas négliger ces statistiques. Si nous ne prenons pas de mesures immédiates pour assurer l'instruction de notre peuple au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta, il y aura de plus en plus de gens sans emploi dans les villes.

L'avenir de chaque établissement est entre les mains de ceux qui exercent le contrôle. Pour nous, cela est important. Lorsque nous parlons de «juridiction», nous voulons dire «contrôle.» C'est notre peuple qui devrait décider de l'attribution des ressources. Nous serons ainsi mieux en mesure de déterminer la rapidité des développements institutionnels.

Le sénateur Forest: Personne ici ne le conteste. Nous comprenons la situation.

M. Mercredi: Je suis heureux que vous ayez eu l'occasion de visiter le collège fédéré. Nos enseignants sont très impressionnants.

Le sénateur Forest: Nous remercions le sénateur Andreychuk d'avoir insisté pour que nous y allions.

M. Mercredi: Ce ne sont pas uniquement les Autochtones qui profitent du collège fédéré. Il y a beaucoup de gens qui veulent mieux connaître notre peuple. De nombreux étudiants non autochtones espèrent avoir l'occasion d'apprendre à mieux nous connaître et de se mêler à nous. C'est pourquoi je ne suis pas encore entièrement pessimiste. Malgré la conduite passée du gouvernement, je considère que la population canadienne est différente de ses gouvernements. C'était ma conviction au moment où je suis devenu chef national et c'est toujours ma conviction. J'ai vu qu'il était possible de modifier nos relations et d'améliorer nos conditions socio-économiques parce que j'ai vu des jeunes non autochtones s'intéresser à notre peuple.

Le sénateur Forest: C'est une question qui m'intéresse personnellement. L'homme à qui je suis marié depuis 50 ans est Cri et canadien-français.

Le sénateur Lavoie-Roux: L'échange précédent a permis de répondre à un grand nombre de mes questions.

À la page 3 de votre mémoire, vous dites que 283 collectivités des Premières nations au Canada n'ont absolument pas d'écoles. Cette situation est-elle particulière à certaines provinces ou est-elle uniforme partout au Canada? Cela fait beaucoup de gens privés d'école primaire dans leur propre collectivité.

M. Mercredi: Là où le problème est le plus grave, c'est en Colombie-Britannique et dans les Maritimes. Cela est surtout dû à la proximité des réserves et des collectivités blanches. Cette situation est attribuable en grande partie à la politique fédérale en vigueur à l'époque, qui visait à démanteler les écoles résidentielles et à opter pour le contrôle local. Le gouvernement a également commencé à négocier des ententes générales sur les frais de scolarité avec certaines provinces. Le gouvernement s'est servi de ces ententes pour prendre des décisions pour nous, sans nous consulter, c'est-à-dire que notre argent a servi à financer les systèmes scolaires provinciaux. Un grand nombre d'écoles pour Blancs que nos jeunes fréquentent ont été construites avec l'argent des Autochtones. Un grand nombre de ces écoles ont ainsi eu la chance d'obtenir une bibliothèque ou un gymnase. Des dépenses en capital ont donc été consacrées à ces écoles. Un grand nombre de ces situations n'ont pas fonctionné parce que notre peuple n'a pas eu son mot à dire dans le système scolaire.

Par exemple, il y a deux ans, je suis allé à Eriksdale où j'ai parlé à des étudiants de l'école secondaire de l'endroit. J'y suis allé à la demande des réserves voisines parce qu'elles n'avaient pas de représentant au sein du conseil scolaire. Cependant, on y prend des décisions qui ont des incidences sur le programme d'études de l'école. Ils n'avaient qu'un coordonnateur de l'enseignement à domicile. Un tel système laisse à désirer.

Plus récemment, à Shubenacadie, en Nouvelle-Écosse, le chef et le conseil de l'endroit ont retiré tous leurs enfants de l'école blanche parce qu'on y fait preuve de racisme. Ils ont complètement boycotté l'école et ont refusé d'y retourner. Cela a obligé le ministère des Affaires indiennes à trouver des mesures provisoires. S'ils avaient eu leur propre école dans leur collectivité, ils n'auraient pas eu à s'occuper du problème de racisme dans le système scolaire. Cela faisait partie de la politique fédérale de l'époque.

La signature d'un accord par Ron Irwin en Nouvelle-Écosse il y a trois semaines environ a fait beaucoup de bruit. Cet accord indique en fait à la Nouvelle-Écosse: «Vous pouvez suivre l'exemple du Manitoba, de la Saskatchewan et des autres provinces et leur donner leurs propres écoles dans leurs communautés». Cela n'a rien de nouveau. Ils se trouvaient à modifier une décision de principe qui avait été prise d'utiliser les écoles pour Blancs au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse. Ils ont déclaré: «Nous n'agirons plus ainsi. Désormais, nous allons tâcher d'assurer l'éducation dans les collectivités mêmes.» C'est là la différence.

Le sénateur Lavoie-Roux: Vous parliez des Maritimes. En ce qui concerne Restigouche, ont-ils leur propre école?

M. Mercredi: Je ne suis pas au courant pour Restigouche.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je trouve cette situation difficile à accepter.

M. Mercredi: Nous pouvons vous fournir des précisions.

Le sénateur Lavoie-Roux: Où se trouvent les écoles et quels sont les endroits où la situation est la plus grave? C'est bien beau de parler de l'enseignement postsecondaire mais il faut d'abord que les gens puissent y avoir accès. S'ils n'ont même pas d'écoles primaires, je trouve cela tragique et je n'arrive pas à comprendre comment une telle situation peut exister. S'il s'agit de négligence de la part des provinces, il serait peut-être temps de les rappeler à l'ordre.

Le sénateur Andreychuk: Je propose que le comité approuve le budget.

Le président: Êtes-vous d'accord, chers collègues?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Lavoie-Roux: Vous avez soulevé le problème de la pauvreté mais la pauvreté est partout. Il y a de la pauvreté dans les collectivités blanches aussi. Je vous remercie et bonne chance.

Le président: Je vous remercie. Derrière moi se trouvent de jeunes étudiants qui portent des épinglettes. Ils appartiennent au Forum pour jeunes Canadiens. Ils sont venus entendre vos commentaires en tant que chef de l'Assemblée des Premières nations. Ils ne vous ont jamais vu en personne. Ils vous voient à la télé comme certaines grandes vedettes de cinéma mais ils ne vous ont jamais vu en personne.

Le sénateur Cools: Je tiens à remercier le chef Mercredi d'avoir été des nôtres ici ce matin.

À la page 3 de votre mémoire, vous nous dites que 50 p. 100 des enfants d'âge scolaire des Premières nations ne se rendent pas à la douzième année. Vous nous dites que dans certaines régions, le taux d'analphabétisme atteint 65 ou 75 p. 100. S'agit-il d'analphabétisme réel ou fonctionnel?

Mme Rose-Alma J. McDonald, directrice de l'éducation, Assemblée des Premières nations: Monsieur le président, je dirais qu'il s'agit d'analphabétisme réel.

Le sénateur Cools: Ils sont incapables de lire et d'écrire.

Vous nous dites aussi que l'utilisation des langues dans 69 p. 100 des collectivités des Premières nations diminue. Voulez-vous dire 69 p. 100 des langues parlées par les Premières nations?

M. Mercredi: Oui.

Le sénateur Cools: Vous indiquez également que 66 p. 100 de la population adulte des Premières nations n'a pas fait d'études postsecondaires.

Je connais un peu ce type de problèmes sociaux. Inutile de dire que nous compatissons tous à ce genre de problèmes sociaux.

J'ai lu attentivement vos recommandations. Je vous ai écouté pendant que vous nous les présentiez. Cependant, je constate qu'aucune de vos recommandations ne porte sur les problèmes dont vous venez de parler. Peut-être pas aujourd'hui mais plus tard lorsque vous en aurez l'occasion, vous pourriez aborder ces problèmes particuliers, que je décrirais comme les influences sociales, personnelles et psychologiques que subissent les gens dans leur enfance et qui les découragent de faire des études.

C'est un sujet complexe car une fois qu'on a abordé les grandes questions d'autonomie gouvernementale, d'autodétermination, de droits de la personne et ainsi de suite, les véritables problèmes sont ces facteurs sociaux qui influent sur l'enfant ou l'adolescent et qui le découragent de faire des études. On a fait beaucoup d'études à ce sujet aux États-Unis, particulièrement dans les ghettos.

Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet? Aucune de vos recommandations ne traite de ce problème. Je maintiens que c'est à ce niveau-là que se situe le problème, qui est beaucoup plus fondamental que la nécessité d'avoir une université internationale.

M. Mercredi: Je pense que vous vous trompez. Il est important pour mon peuple de savoir qu'il a ses propres établissements, sa propre université tout comme aux États-Unis les Noirs ont leurs propres collèges et universités. Il est important pour le bien-être psychologique des Noirs aux États-Unis de savoir qu'ils ont leurs propres établissements.

Les Premières nations au Canada éprouvent la même chose à propos de leurs rapports avec les Blancs au Canada. Nous ne voyons pas pourquoi nous devrions toujours être obligés de nous adapter à leurs institutions et à leur culture. On devrait nous permettre en tant que peuple libre de développer nos propres établissements d'enseignement, y compris des établissements d'enseignement postsecondaire comme des universités ou collèges des Premières nations. Il est important pour le bien-être psychologique de nos jeunes qu'ils sachent qu'ils ont leurs propres spécialistes, leurs propres professeurs, leurs propres philosophes et qu'ils ne sont pas obligés pour devenir quelqu'un de se tailler une place dans la société blanche.

Tous les enfants autochtones, lorsqu'ils grandissent, subissent une importante influence sociale. Ils se demandent: Qui suis-je? Pourquoi mon peuple est-il comme il est? Pourquoi le traite-t-on ainsi? Que ferai-je quand je serai grand pour remédier à la situation? Pourquoi ne fait-on rien pour y remédier maintenant?

Un Autochtone développe très tôt une conscience raciale. Il devient également conscient de la disparité qui existe entre les membres de sa race et les membres de l'autre société, au niveau de sa richesse, de sa réussite et de ses institutions. Il développe un sentiment de ressentiment envers ce développement unilatéral surtout si ses ancêtres et ses parents lui ont enseigné que ces terres et ces ressources appartiennent à son peuple mais qu'on les lui a enlevé. C'est une influence puissante qui imprègne toutes nos collectivités et qui marquera la plupart de nos jeunes pour le reste de leur vie.

Le principe de l'autodétermination est important pour eux. Pourquoi les Blancs devraient-ils être les seuls à avoir leur propre gouvernement et pas les Indiens? Pourquoi les Blancs devraient-ils être les seuls à avoir un Parlement et pas les Indiens? Pourquoi seule la loi des Blancs devrait-elle s'appliquer et pas celle des Indiens? Ce sont des questions que nous considérons importantes et c'est la raison pour laquelle nous insistons pour qu'on y donne suite.

Quant à savoir pourquoi nous avons encore des problèmes dans le système d'éducation, je tiens à vous dire que nous avons examiné cette question dans un document intitulé Tradition and Education: Towards a Vision of our Future, un projet de recherche effectué par l'Assemblée des premières nations en 1988. Le rapport est assez détaillé et porte sur les besoins des jeunes enfants au niveau primaire. Il s'intéresse également aux besoins fondamentaux des jeunes enfants, c'est-à-dire qu'ils aient suffisamment à manger pour pouvoir aller à l'école et comment s'en assurer. Nous avons donc déjà étudié cette question. Cependant, dans cette présentation-ci, ce n'est pas sur cet htmect qu'on nous a demandé de nous concentrer. On nous a invités à présenter des observations sur l'enseignement postsecondaire, et nous avons tâché d'accéder à la demande du Sénat à cet égard. Je vous recommande la lecture de ce rapport pour votre propre édification. Je suis sûr que le Sénat en a un exemplaire dans sa bibliothèque. Apparemment, le comité l'a déjà. Vous constaterez d'après ce rapport que nous avons déjà abordé toutes ces questions.

Pour moi, le grand problème reste l'argent. Comment se fait-il qu'on trouve de l'argent pour les écoles des Blancs et pas pour les écoles des Indiens? Comment se fait-il qu'on trouve de l'argent pour les établissements d'enseignement postsecondaire des Blancs et pas pour nous? Quelle en est la raison? C'est là la question à laquelle le Sénat et le gouvernement doivent répondre. Ces terres sont toujours nos terres et le pays tire sa richesse de nos terres. C'est de cette injustice dont je traite dans mon mémoire. Nous subissons cette injustice depuis plus d'un siècle et nous ne voulons pas qu'elle se poursuive jusqu'au siècle suivant. C'est là le problème.

Le sénateur Cools: Je vous remercie.

Le président: Je vous remercie.

La séance est levée.


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