Délibérations du sous-comité de l'enseignement
postsecondaire
du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 12 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 10 avril 1997
Le sous-comité de l'enseignement postsecondaire du comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 9 h 05 pour continuer l'étude de l'interpellation sur l'enseignement postsecondaire au Canada.
Le sénateur Thérèse Lavoie-Roux (vice-présidente ) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente: Nous avons le plaisir d'accueillir des représentants de trois excellentes universités que je connais bien.
Je vais demander à Mme Chantal da Silva de présenter les personnes qui l'accompagnent avant de prendre la parole.
Mme Chantal da Silva, vice-présidente, Affaires externes, Students' Society of McGill University: Je suis accompagnée aujourd'hui par Prachi Srivastava, de l'Université McGill, qui est la représentante en éducation de notre conseil étudiant. Deux messieurs qui représentent Bishop's sont également avec nous ce matin, tandis que le représentant de Concordia n'est pas encore arrivé.
Nous vous remercions de nous donner l'occasion de nous adresser au sous-comité sénatorial de l'enseignement postsecondaire au Canada. En notre qualité de représentants de la Students' Society of McGill University, nous nous proposons de préciser les pensées et les besoins de nos étudiants dans l'espoir que la consultation d'aujourd'hui permettra de résoudre bien des problèmes auxquels les universitaires sont confrontés. Ce faisant, nous souhaitons également remercier le sénateur Bonnell pour son intervention qui a facilité la tenue d'un débat pancanadien sur l'enseignement postsecondaire.
Je suis certaine que vous avez notre mémoire devant vous, mesdames et messieurs les sénateurs. Si vous préférez, vous trouverez à la page 8 un résumé de nos recommandations.
Selon nous, le gouvernement fédéral s'est clairement fixé des objectifs comme la réduction de la dette, la création de richesses et la création d'emplois, entre autres. Pour atteindre ces objectifs, notre pays a besoin d'une main-d'oeuvre hautement spécialisée, productive et flexible. La création de richesses ne peut plus dépendre des ressources naturelles ou de l'investissement dans le cadre d'infrastructures traditionnelles.
À l'avenir, il faudra compter sur les compétences et l'ingéniosité de notre main-d'oeuvre pour ajouter de la valeur aux secteurs -- tant traditionnels que novateurs -- de l'activité économique. L'enseignement postsecondaire représente donc un investissement dont l'importance est cruciale pour le bien-être économique de notre pays à long terme.
Seule une population bien éduquée peut favoriser la croissance économique et le développement sociétal. L'éducation donne aux Canadiens les connaissances, les compétences, les attitudes et les expériences qui leur permettent de prendre en charge leur propre avenir.
La vice-présidente: Puis-je vous interrompre un instant? Vous ne lisez pas le texte que vous nous avez remis.
Mme da Silva: Non, je m'arrête en fait sur plusieurs points que nous voulons souligner. L'éducation facilite la démocratie, puisqu'elle permet de produire une population instruite et bien informée, d'abaisser les taux de criminalité et de diminuer la dépendance par rapport aux programmes de santé et de bien-être. Plus important encore, l'éducation permet aux Canadiens d'apprendre à se connaître, d'interagir et de vivre ensemble dans la paix. L'éducation est un investissement pour notre avenir.
Plusieurs défis doivent être reconnus comme tels si l'on veut que le Canada soit en mesure de s'éduquer lui-même pour le prochain millénaire. C'est ce que nous essayons de faire aujourd'hui. Nous avons cerné quatre grands problèmes qui se posent aux étudiants dans tout le Canada.
Mme Prachi Srivastava, Students' Society of McGill University: Il s'agit de la dette des étudiants, des frais de scolarité, de la mobilité des étudiants, et du droit d'auteur -- l'amendement au projet de loi C-32. Je vais m'attarder davantage sur la dette des étudiants. Je vais lire la page 2 de notre mémoire. Nous pourrons alors débattre de quelques-unes de nos recommandations.
Au Canada, la dette des étudiants a atteint un sommet sans précédent. L'augmentation des coûts auxquels les étudiants doivent faire face, l'abandon de programmes provinciaux de bourses, d'une partie du PCPE, l'adoption d'un nouveau système d'aide aux étudiants fondé sur des prêts et le plafonnement des prêts hebdomadaires du PCPE à 165 $ par semaine en 1994, ont contribué à une forte augmentation des prêts étudiants. À la fin de leurs études, la dette moyenne des étudiants devrait tripler, passant de 8 700 $ en 1990 à 25 000 $ en 1998. Au Québec notamment, selon de récentes études, la dette moyenne à la fin des études est même plus élevée, puisqu'elle oscille entre 15 000 $ et 20 000 $. Cela signifie que les étudiants qui contractent des emprunts termineront leurs études en 1998 avec une dette correspondant en moyenne à 75 p. 100 de leur revenu deux ans après la fin de leurs études. Il faut également souligner qu'il s'agit simplement d'une moyenne et que l'endettement de très nombreux étudiants dépassera de beaucoup ce pourcentage déjà élevé.
Les effets de cet endettement sur l'accessibilité n'ont pas encore été précisés. Toutefois, selon une comparaison récente avec les États-Unis en 1993, l'endettement moyen des diplômés universitaires canadiens s'élève à 13 019 $ contre 11 000 $ pour les Américains. Malheureusement, au fur et à mesure que l'endettement augmente et que les programmes provinciaux de subventions diminuent, l'actuel système canadien d'aide aux étudiants ne fait que désavantager les étudiants.
Étant donné que les prêts étudiants continuent de représenter la principale source d'aide financière aux étudiants, la SSMU recommande que le gouvernement fédéral reconnaisse, premièrement, que l'aide aux étudiants est un facteur clé en matière d'accessibilité; deuxièmement, qu'il révise les programmes de prêts aux étudiants en finançant les programmes de bourses d'études de manière à plafonner la dette des étudiants qui ont besoin d'aide supplémentaire; troisièmement, qu'il assume ses responsabilités et aide les étudiants à rembourser leurs prêts au moyen d'incitatifs fiscaux, d'exonération de remboursement de prêt et d'exemption complémentaire d'intérêts.
Le deuxième point vise le financement des programmes de bourses d'études. Nous avons remarqué la tendance vers l'augmentation des frais de scolarité; cependant nous n'avons pas, pour l'instant, remarqué une baisse des inscriptions. Toutefois, nous sommes arrivés à un point où, selon nous, ce seuil va être atteint. Si les frais de scolarité continuent d'augmenter, les étudiants ne pourront plus avoir accès l'enseignement postsecondaire comme dans le passé. Beaucoup d'étudiants se tournent vers l'aide aux étudiants, mais nous avons remarqué ces dernières années que l'aide aux étudiants devient maintenant synonyme de dette.
Pour régler ce problème, il importe de reconnaître que les bourses représentent une forme de financement beaucoup plus importante ou précieuse pour les étudiants, car elles allègent le fardeau qu'ils doivent supporter à la fin de leurs études, lorsqu'ils doivent rembourser leurs dettes. Comme cela a été souligné plus tôt, cela représente 75 p. 100 du revenu de nombreux étudiants deux années après la fin de leurs études et c'est là le gros problème.
En ce qui concerne la troisième recommandation, il s'agit essentiellement de divers incitatifs fiscaux. Nous parlons ici de régimes enregistrés d'épargne-études qui ressembleraient aux REÉR. Les parents pourraient économiser en vue des études postsecondaires de leurs enfants dans le cadre d'un programme semblable aux REÉR.
Pour ce qui est de l'exonération de remboursement de prêt, nous avons parlé de la formule 80-20: si un étudiant est en mesure de rembourser 80 p. 100 de ses prêts à temps et qu'il a de bons antécédents en matière de crédit, le gouvernement pourrait alors décider de lui accorder une exonération de remboursement à l'égard de 20 p. 100 de sa dette.
Ce sont quelques exemples d'incitatifs qui pourraient être prévus pour que les étudiants aient le sentiment que le fardeau n'est pas aussi lourd à la fin de leurs études. Ma collègue va maintenant s'attarder sur notre deuxième point, les frais de scolarité.
Mme da Silva: C'est parce que le gouvernement fédéral a diminué ses paiements de transfert aux provinces que l'on parle depuis peu de frais de scolarité plus élevés. Les gouvernements provinciaux ont dû faire des pieds et des mains pour trouver des revenus supplémentaires. Ce faisant, ils ont radicalement réduit le financement des programmes sociaux dont l'enseignement, secteur le plus touché. Dans leur recherche de fonds supplémentaires, les gouvernements provinciaux ont réduit les subventions de fonctionnement, augmenté les frais de scolarité et diminué les prêts étudiants, compromettant toute possibilité en matière d'accessibilité. Globalement, le système d'éducation a considérablement souffert sur le plan financier. Les étudiants ont dû alors compenser les manques à gagner du financement de l'enseignement postsecondaire. Par conséquent, les étudiants, surtout à McGill, ont des frais accessoires plus élevés, des ressources en bibliothèque et laboratoires insuffisantes, des classes plus nombreuses, moins de professeurs permanents et font face à une baisse générale de la qualité de l'enseignement.
Par conséquent, comme les frais de scolarité représentent l'une des questions financières que doivent régler les étudiants avant de décider s'ils vont poursuivre des études postsecondaires, la Students' Society recommande que, dans le but de promouvoir l'accessibilité, le gouvernement fédéral reconnaisse l'effet nuisible des restrictions financières dans le domaine de l'enseignement sur le principe de l'accessibilité universel; ces restrictions conduisent à l'augmentation des frais de scolarité et de l'endettement; elle recommande également qu'il révise le programme actuel de paiements de transfert de manière à stabiliser le financement du gouvernement et les frais de scolarité à un niveau susceptible d'améliorer l'accessibilité et de permettre aux établissements de dispenser un enseignement postsecondaire de meilleure qualité; elle recommande aussi qu'il fasse en sorte que les frais de scolarité n'augmentent pas au-delà du taux d'inflation, tant qu'il n'aura pas terminé une étude complète et crédible de l'effet des augmentations des frais de scolarité sur l'accessibilité.
Je vais maintenant passer à la mobilité des étudiants, qui pose un gros problème au Québec cette année, surtout à McGill, étant donné que 40 p. 100 des étudiants viennent d'autres provinces et de l'étranger. Académiquement et financièrement parlant, la mobilité des étudiants est de la plus grande importance pour le système postsecondaire du Canada. Malheureusement, en ce qui concerne l'enseignement postsecondaire, la mobilité des étudiants est doublement menacée: par les diminutions des prêts étudiants hors province et par les frais différentiels en fonction de la province de résidence. Ces deux politiques minent les principes d'égalité et de mobilité tels que définis dans la Charte des droits et libertés. Néanmoins, elles ont été mises en oeuvre récemment par le gouvernement du Québec. La politique québécoise des prêts étudiants hors province empêche les étudiants de recevoir de l'aide financière pour étudier à l'extérieur de la province, à moins qu'ils ne fréquentent un établissement francophone. De même, la politique québécoise des frais différentiels calcule les frais de scolarité en fonction de la province de résidence. Par conséquent, tout étudiant d'une autre province qui fréquente une université québécoise doit payer des frais de scolarité plus élevés qu'un résidant québécois.
Étant donné que ces deux politiques établissent clairement une discrimination fondée sur la résidence, elles entravent la liberté de mouvement des étudiants d'une province à l'autre dans la poursuite de leurs études postsecondaires. À la lumière de cette réalité et compte tenu de l'existence de ces obstacles à la mobilité des étudiants, la Students' Society recommande que le gouvernement fédéral prenne deux mesures. Tout d'abord, il devrait refuser tout financement et transfert de prêts à toute province qui entrave la mobilité inter-provinciale en instituant des frais différentiels en fonction de la résidence ou en refusant d'accorder des prêts étudiants hors province. Il devrait reconnaître que ces politiques peuvent potentiellement saper les normes nationales en créant des disparités provinciales au sein du système canadien de l'enseignement.
Je vais m'arrêter maintenant et répondre à toute question que vous souhaitez poser, madame la vice-présidente.
[Français]
La vice-présidente: Je pense que l'on devrait permettre aux deux témoins de Bishop's et de Concordia de faire leur présentation. Ensuite nous passerons à l'étape des questions.
[Traduction]
M. Drew Leyburne, président désigné, Bishop's University Students' Representative Council: Nous allons parler plus précisément de la question de l'augmentation des frais de scolarité pour les étudiants d'autres provinces, car nous croyons que cela nous touche plus que toute autre question.
Ian Smith-Windsor et moi-même étudions à la Bishops' University, où près de 50 p. 100 des étudiants viennent de régions du Canada autres que le Québec.
Comme des milliers d'autres étudiants d'autres provinces dans cette province, nous injectons plus de 9 millions de dollars par an dans l'économie québécoise. Nous devenons des membres actifs de nos collectivités et, plus important, nous créons des racines dans une province qui n'est pas la nôtre.
Malheureusement, le fait que Mme Marois ait décidé d'imposer une augmentation des frais de scolarité encore jamais vue dans l'histoire des étudiants de premier cycle au Canada laisse entendre aux étudiants que leur temps, leurs efforts et leur argent ont peu d'importance. Au moment même où beaucoup de Canadiens sont prêts à tourner le dos au Québec, nous, les jeunes du Canada, sommes en fait rejetés par intimidation économique.
Ce qui est le plus frustrant, c'est qu'un étudiant du Sénégal, par exemple, ou de tout autre pays francophone, a autant de poids politique qu'un étudiant d'Ottawa. En plus, il peut fréquenter une université au Québec pour la moitié du coût.
Si les étudiants choisissent le Québec, c'est parce qu'ils pensent qu'ils y recevront le meilleur enseignement. À cause de la décision de Mme Marois, il semble que moins d'étudiants seront prêts à faire ce choix. C'est un précédent dangereux de la part du Québec qui peut compromettre l'accessibilité et la mobilité des étudiants dans tout le Canada.
L'enseignement postsecondaire devrait permettre d'élargir ses horizons. Sans la certitude d'un milieu accueillant, il semble que moins d'étudiants pourront élargir leurs horizons au Québec.
Nous avons remis au comité un résumé qui traite de la plupart de nos points. Nous sommes prêts à répondre aux questions.
M. Carl Kouri, vice-président, Affaires externes, Concordia Student Union: Madame la présidente, je vais aborder plusieurs thèmes, dont celui de l'augmentation des frais de scolarité. Chantal en ayant parlé de manière détaillée, je vais cependant passer tout de suite à un autre problème auquel sont confrontés les étudiants de Concordia, c'est-à-dire les compressions budgétaires prévues pour l'année prochaine.
Nous avons subi des compressions budgétaires de 20 millions de dollars ces deux dernières années. Pour l'année prochaine, 1997-1998, il est question de compressions de près de 17 millions de dollars à l'Université Concordia. Cela signifie qu'il faudra faire des rajustements massifs. Des départements entiers seront supprimés.
J'ai intitulé mon document: «Our Immediate Future», à l'instar du document de notre vice-recteur à l'enseignement. Toutefois, notre situation est beaucoup plus grave. Le vice-recteur propose l'élimination de programmes entiers et de nombreux cours. Un cours d'introduction de base accueillera maintenant de 80 à 90 étudiants au lieu de 40. Cela diminuera de beaucoup la qualité de l'enseignement.
Les étudiants de Concordia craignent pour la qualité de l'enseignement. Il ne s'agit pas d'une compression normale qui nous obligerait à nous serrer la ceinture. La qualité de l'enseignement à Concordia va changer. Elle va diminuer, ce qui nous inquiète beaucoup.
Bernard Landry est le ministre québécois des Finances. Dans son budget, il a expliqué le transfert social du gouvernement fédéral. Il a exposé trois points.
Premièrement, il a déclaré que la moitié des compressions du gouvernement fédéral touche les transferts aux provinces depuis 1993. En 1997-1998, les réductions des transferts sociaux se traduiront par une réduction supplémentaire de 1,4 million de dollars des services sociaux au Québec. Également, 60 p. 100 des compressions des dépenses au Québec en 1997-1998 seront faites par suite de la réduction des paiements de transferts sociaux.
Nous comprenons qu'il faut se débarrasser du déficit. Il faut commencer à l'éliminer. Ce dont nous ne sommes pas vraiment sûrs, c'est s'il faut l'éliminer en l'espace de trois ou quatre ans. C'est un laps de temps très court. Je ne crois pas que les banques mondiales feront les gros yeux au Canada s'il commence à éponger son déficit. Des compressions sont effectuées, mais pour l'instant ce sont des compressions radicales. Ce ne sont pas des compressions normales. En fait, nous assistons à la dégradation de la qualité de l'enseignement. Je ne crois pas que c'est ce que recherchent les sociétés. Celles qui sont prêtes à investir veulent le faire dans un pays où la main-d'oeuvre est spécialisée. La qualité de notre main-d'oeuvre se rapprochera de celle des États-Unis. Je préférerais personnellement aller dans l'autre sens.
La vice-présidente: J'aimerais remercier les représentants des trois universités pour leur exposé.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: Vous avez parlé de la mobilité reliée à la question financière, mais en ce qui a trait à la mobilité reliée à la reconnaissance des crédits et des cours qui sont pris dans d'autres provinces, cela m'embête que vous n'en parliez pas, parce que vos trois universités ont quand même passablement d'étudiants étrangers qui viennent d'autres provinces.
J'ai une fille qui est en Colombie-Britannique qui a dû refaire deux années universitaires parce qu'elle avait fait son université au Québec et elle a repris je ne sais plus combien de cours, donc elle a perdu deux ans plus les dépenses, les cours et les prêts. Je me pose la question de savoir quelle est la plus grande barrière. Est-ce la question de ne pas avoir la même structure financière, c'est-à-dire les mêmes taux, les mêmes coûts?
J'ai déjà écrit au premier ministre Davis pour lui dire que cela coûtait 500 dollars à l'université au Québec, et 2 000 dollars à l'Université d'Ottawa. À ce moment-là j'avais une fille en Ontario et une au Québec. Les frais sont encore plus bas au Québec qu'ils ne le sont dans le reste du Canada. Vous comprendrez bien que je ne suis pas la personne qui va défendre M. Landry, mais je peux défendre la structure d'avoir des coûts plus bas pour les gens du Québec quand, de toute façon, pour les étudiants québécois, ceux-ci sont les plus bas au Canada. Cela équivaudrait à subventionner un étudiant. J'aimerais qu'il y ait une structure de coûts qui serait que l'on paie le montant que l'on paierait dans notre province.
C'est la même chose quand nous avons des échanges internationaux avec l'Espagne et le Canada. L'étudiant espagnol s'inscrit à l'université à Madrid et, mettons, les HEC vont payer ses coûts aux HEC et ils sont échangés. Les inscriptions se font selon la base de résidence de l'étudiant. On ne peut pas, comme gouvernement fédéral, imposer une structure de coût à chaque université et à chaque faculté, mais il est important d'avoir un système qui soit juste. C'est comme cela que je vois votre proposition. Ma question sur la mobilité est très importante pour permettre aux jeunes Canadiens de pouvoir se promener et d'étudier dans différentes provinces et de connaître un autre monde, et en même temps apprendre une profession. Est-ce que la reconnaissance des crédits vous préoccupe? Est-ce qu'un système ou un mécanisme de paiement d'inscription à l'université ou de réciprocité serait préférable, étant donné que l'Université McGill est une grosse université et qu'elle accepte énormément de gens de l'extérieur? J'aimerais entendre votre réponse et connaître la proposition que vous faites à notre gouvernement.
[Traduction]
Mme da Silva: Si je vous comprends bien, vous voulez parler de la reconnaissance de crédits entre les diverses provinces et savoir si cette question revêt plus d'importance pour nous que le fait que la province limite la mobilité interprovinciale.
Pour nous, il ne s'agit pas de savoir laquelle de ces deux questions est plus importante. Les deux sont des obstacles à l'enseignement postsecondaire. Je suis d'accord avec vous dans ce sens.
À McGill, la plus grande question n'est pas de savoir si les frais de scolarité sont trop élevés. En fait, beaucoup des membres du corps professoral qui sont membres de notre conseil étudiant conviennent qu'il faudrait peut-être augmenter les frais de scolarité pour qu'ils correspondent à ceux pratiqués à l'échelle nationale. Le problème, c'est le message que transmet le gouvernement. À cause de la politique qu'il a adoptée, il est considéré comme très discriminatoire.
Une des raisons pour lesquelles les étudiants de l'Ontario et d'ailleurs au pays viennent au Québec, c'est parce que nos frais de scolarité sont parmi les plus bas au Canada. Oui, il semble que le Québec héberge les réfugiés canadiens de l'enseignement, ainsi qu'aimeraient le dire MM. Landry et Bouchard, mais en même temps, il ne faut pas oublier que lorsque les étudiants québécois vont dans ces autres provinces, ils paient également pour nos étudiants.
Il s'agit en fait d'une question d'échange interculturel, de mobilité interprovinciale et du droit à se déplacer et à étudier en tant que Canadiens libres dans notre pays, sans obstacles.
Le sénateur Hervieux-Payette: Quelle serait votre réaction si je proposais que vous payiez les frais pratiqués dans votre province, indépendamment de votre province d'origine?
[Français]
M. Kouri: Nous devons payer nos frais de scolarité du Québec pour aller en Californie, c'est une aubaine incroyable. Il s'agit de 30 000 $ par année. Je pense que c'est 30 000 $ par année. Ce qui est arrivé dans ce cas-là, j'ai mentionné que je voulais y aller. Quand j'ai voulu y aller, la Californie a barré les étudiants québécois parce qu'il y en avait trop. Cela serait peut-être une meilleure idée que tout le monde paie les frais de la province ou de l'État ou du pays, c'est quelque chose de beaucoup plus simple que d'avoir des problèmes comme cela. Il y a toujours de l'abus. Si tout le monde paie les frais de scolarité de la place où ils sont, c'est plus équitable. Si vous voulez rester en Californie, payez-vous le luxe. Sinon, c'est quelques chose de beaucoup plus équitable. Je vous donne un exemple de quelque chose qui est un peu similaire à cela.
[Traduction]
La vice-présidente: Pourriez-vous nous donner des précisions?
[Français]
Le sénateur Losier-Cool: Sur la question du coût, d'accord, vous y avez répondu, mais sur la question de reconnaître les acquis, nous avons parlé à ce comité d'avoir un genre de passeport en éducation. Je n'ai pas entendu. Est-ce que vous pourriez élaborer?
M. Kouri: Je ne comprends pas le sens de la question.
Le sénateur Losier-Cool: Ma collègue l'a expliqué. Celle qui avait fait des études au Québec, quand elle arrivait en Colombie-Britannique, elle devait recommencer et reprendre des cours, reconnaître les cours d'une province à l'autre.
M. Kouri: Je suis complètement d'accord. On commence à peine à faire cela au Québec. À cause des compressions fiscales, les universités sont finalement forcées de créer un réseau universitaire. Au moins, s'il y a une bonne chose qui ressortirait de ces compressions budgétaires, c'est un réseau qui est en train de se mettre en marche.
Le sénateur Losier-Cool: Cela serait bon que les universités le fassent avant que cela ne leur soit imposé.
M. Kouri: Il faut le faire chez nous avant de le faire ailleurs. Il faut se comprendre en premier avant de comprendre les autres. Cela viendra avec le temps. Il faut que toutes les provinces le fassent. Je ne sais pas comment cela fonctionne dans toutes les autres provinces.
Le sénateur Hervieux-Payette: Le système marche mieux entre le Canada et les États-Unis qu'entre la Colombie-Britannique et le Québec. C'est un peu aberrant.
On peut faire reconnaître ses crédits de Montréal à New-York mais pas en Colombie-Britannique. Quelque chose ne marche pas dans le système.
M. Kouri: La communication est un peu différente entre les institutions, entre les gouvernements. Ce ne sont pas toujours des échange qui sont ouverts, je pense.
[Traduction]
Mme da Silva: C'est aussi une question de programmes différents. La question n'est pas simplement qu'une université devrait être reconnue, mais cela dépend du programme.
Le sénateur Hervieux-Payette: Habituellement, elles ont mis de l'ordre dans leurs affaires et il est possible d'exercer sa profession dans divers pays et les diplômes sont reconnus partout. Cela vaut pour les médecins et les infirmières mais dans le domaine des humanités, il existe en général plus d'obstacles. Ces obstacles ne devraient pas exister car, au niveau fédéral, nous contribuons au financement des provinces et, si un étudiant est obligé de reprendre deux fois les mêmes cours, nous nous trouvons à payer deux fois.
Mme da Silva: Ce sont des questions qui ont été soulevées lors des états généraux du Québec l'été dernier. C'est également un problème que nous avons soulevé à la conférence du Conseil des ministres de l'Éducation du Canada à laquelle nous avons participé l'été dernier à Edmonton. Il y a des choses à améliorer mais, comme l'a dit M. Kouri, c'est un problème dans notre propre province. Nous devons d'abord mettre de l'ordre dans nos propres affaires avant d'étendre cela à l'ensemble du pays.
Le sénateur Hervieux-Payette: Que devient la qualité dans tout cela si tout le monde prétend être supérieur aux autres?
Mme da Silva: C'est également une question de financement. Certaines écoles se plaignent que la qualité de leurs cours diminue et d'autres écoles indiquent que la qualité de leurs programmes s'est améliorée. Cela dépend du montant de l'aide financière qu'elles reçoivent d'un gouvernement provincial. C'est un autre problème.
M. Kouri: Nous devons également voir les choses dans leur contexte. À Concordia, nous considérons que les départements des communications, de cinéma et des beaux-arts sont excellents et que la qualité de l'enseignement dans ces programmes en particulier se maintiendra. Ils continueront à recevoir un financement suffisant.
La vice-présidente: Je vous demanderais d'être brefs parce qu'il y a beaucoup d'autres gens qui veulent intervenir.
[Français]
Le sénateur Cogger: En vue d'accroître la mobilité et la reconnaissance aussi bien au niveau national qu'international, comment réagissez-vous à l'idée, par exemple, d'établissement de standards nationaux? M. Kouri dit, par exemple, qu'à Concordia la faculté de communication est numéro 1. On ne le sait pas, il ne l'a pas testée avec les autres. Il a probablement raison, c'est une réputation établie.
Toutefois nous n'avons pas de critères quasi objectifs pour vérifier cela. Comment réagissez-vous à l'idée de l'établissement de critères nationaux qui faciliteraient la mobilité? Nous saurions qu'un crédit obtenu à Concordia vaut celui de Simon Fraser.
M. Kouri: À quel point parle-t-on de normes nationales?
Le sénateur Cogger: Je vous pose la question. Voyez-vous de la possibilité ou de l'avenir là-dedans?
Mme da Silva: Oui, on voit réellement de la possibilité.
[Traduction]
Mme da Silva: C'est ce que nous réclamons depuis des années. Nous sommes membres de la Canadian Alliance of Students Associations, qui vous a présenté un mémoire. C'est une chose dont nous avons discuté à toutes nos séances plénières ouvertes et à toutes nos conférences. C'est une question que nous avons soulevée auprès du Conseil canadien des ministres de l'Éducation, lors des états généraux et au Conseil ontarien des ministres. Il s'agit d'une idée et d'une possibilité qui reviennent constamment.
Nous sommes ici aujourd'hui pour vous demander de faire de ce projet une réalité, de nous en donner la possibilité. Nous ne pouvons pas aller plus loin. Les gouvernements provinciaux demeurent inébranlables à ce sujet.
Je ne sais pas comment cette initiative sera mise en oeuvre mais je suis tout à fait d'accord avec le sénateur Cogger. C'est ce qu'il faut faire parce que le système actuel est tellement incohérent.
Comment pouvons-nous avoir un système d'éducation national lorsque, comme le sénateur Hervieux-Payette l'a dit, certains crédits sont reconnus à certains endroits mais pas ailleurs. C'est affreux et complètement ridicule. Il faudrait qu'un étudiant puisse aller n'importe où au pays et obtenir l'équivalence des ses crédits partout.
Mme Srivastava: Nous demandons l'équivalence des crédits à une condition toutefois: que cela ne prive pas les établissements de leur autonomie. Nous ne voulons pas d'établissements qui produisent des étudiants à la chaîne. Nous voulons que chaque établissement ait une certaine autonomie et une certaine indépendance.
Nous devons reconnaître qu'il est tout à fait nécessaire d'assurer l'équivalence des crédits et l'établissement de normes nationales. Le système actuel est un mélange de petites zones disparates ici et là, une université ici, un collège là-bas, des collèges en Colombie-Britannique, des universités ici et là et des cégeps au Québec. C'est un vrai méli-mélo.
Le sénateur Cogger: Dans une certaine mesure, cela existe déjà et cela est assez facile lorsqu'il s'agit de matières comme les sciences et les mathématiques. Mais, en ce qui concerne les matières plus subjectives, comme la littérature, les arts, le cinéma et les communications, est-ce que vous continueriez à prôner l'établissement de normes nationales?
Mme da Silva: Tout à fait, à condition de laisser une certaine marge de manoeuvre aux différents établissements en fonction de leur spécialité.
M. Kouri: Il faudrait prévoir une grande marge de manoeuvre dans des matières de ce genre, selon la province. La communication a tendance à se faire dans le sens nord-sud. Les gens de Vancouver ont beaucoup plus de choses en commun avec les gens de Washington tout comme les gens des Prairies ont beaucoup plus de choses en commun avec les gens du Montana. Il serait donc très dangereux de catégoriser de cette façon la libre expression de la pensée, que ce soit en sciences sociales ou en art. Nous avons tous notre propre façon de penser et c'est ce qui fait le charme du Canada. C'est pourquoi, je considère qu'il faut faire la distinction et que des normes nationales seraient dangereuses.
Le sénateur Perrault: La Students' Society de l'Université McGill dit que le gouvernement devrait assumer sa responsabilité et aider les étudiants à rembourser leurs prêts au moyen d'encouragements fiscaux, de remises de prêts et d'un plus grand allégement des intérêts. Que pensez-vous de l'idée de rembourser une partie du prêt en fournissant un service public, c'est-à-dire d'offrir aux jeunes la possibilité d'utiliser certaines compétences qu'ils ont acquises à l'université tout en remboursant une partie de leur prêt?
Mme da Silva: C'est une excellente idée. En mai dernier, nous avons présenté au gouvernement fédéral un document sur le programme travail-études au nom de l'Association canadienne des étudiants, qui traitait de cette question même.
Le sénateur Perrault: J'aimerais en avoir un exemplaire.
Mme da Silva: Nous l'avons avec nous.
Le sénateur Perrault: J'ai mentionné cette possibilité dans les Maritimes et les étudiants qui étaient présents ont très bien réagi.
M. Kouri: Et en plus, les étudiants pourraient acquérir de l'expérience dans leur domaine.
Le sénateur Perrault: Dans une discipline où ils ont reçu une formation.
M. Kouri: Exactement.
Le sénateur Perrault: En tant que membre du comité, je recevrais avec plaisir vos propositions sur la façon de mettre en oeuvre un projet de cette sorte. J'aimerais avoir certaines idées de votre part. Je pense que l'idée a du mérite et que nous pourrions y donner suite.
M. Kouri: Un projet est déjà en cours au Québec. Il ne porte pas sur les prêts et bourses mais sur un programme travail-études, où on reçoit des crédits pour travailler avec des étudiants dans son domaine d'études.
Le sénateur Perrault: C'est le genre de programme auquel je songeais.
M. Kouri: Il existe des problèmes au niveau de l'enseignement secondaire et primaire. Les étudiants ont un grand besoin d'aide et les enseignants sont débordés.
Le sénateur Perrault: On fait des compressions parmi le corps enseignant qui se trouve alors soumis à un grand stress.
M. Kouri: Ils ont besoin d'aide. C'est l'un des meilleurs moyens de les aider. Si ce projet est adopté, je pense que les autres provinces pourront s'en inspirer.
Le sénateur Perrault: Les membres du comité aimeraient beaucoup avoir vos idées sur cette question. Peut-être est-ce la voie à suivre.
Le sénateur Andreychuk: Vous dites tous avoir besoin d'acquérir une expérience de travail. Est-ce parce que vous avez besoin d'argent pour faire des études universitaires ou parce que vous considérez que la formation que vous recevez dans votre propre domaine n'est pas suffisante? À mon avis, il s'agit de deux choses différentes.
Lorsqu'on m'a encouragée, il y a une trentaine d'années, à trouver un emploi dans un domaine général, c'était pour me permettre de devenir une généraliste, de comprendre le monde et d'éviter de me cantonner dans un secteur en particulier. Il se trouve que j'ai décidé d'aller en droit. Je considère avoir acquis certaines de mes expériences les plus utiles en travaillant dans une compagnie de finance, dans un théâtre local et comme secrétaire. J'ai eu l'occasion de côtoyer des gens dans différents domaines.
Lorsque vous étudiez le droit en France, on vous encourage à consacrer un an à l'étude d'une autre discipline que le droit.
Vous semblez dire que vous voulez commencer à un certain stade professionnel, y rester et acquérir une expérience supplémentaire. Je ne comprends pas. Est-ce par besoin d'argent ou parce que vos cours et les matières que vous étudiez ne vous fournissent pas la formation dont vous avez besoin dans votre domaine?
Mme da Silva: Ces temps-ci, je pense que c'est probablement surtout une question d'argent, malheureusement. Je tiens à féliciter les universités. J'estime qu'elles s'acquittent très bien de leur travail de formation des étudiants, que ce soit en sciences politiques, en éducation ou en droit. Certains de ces programmes offrent des possibilités de travail-études, des programmes coopératifs, des stages ou des choses de ce genre.
C'est de plus en plus par besoin d'argent. Les coûts de l'éducation augmentent rapidement. Les étudiants ne cherchent pas un emploi d'été pour le simple plaisir de la chose, pour acquérir de l'expérience ou pour se familiariser un peu avec le domaine politique, par exemple. Ils ont besoin d'un emploi d'été pour acheter des livres, payer leurs frais de scolarité et leur loyer, sans compter la nourriture. C'est la situation à l'heure actuelle.
Le sénateur Andreychuk: Que demandez-vous, par conséquent?
Mme da Silva: Peut-être davantage de programmes de travail-études ou de programmes coopératifs.
Le sénateur Andreychuk: Afin d'augmenter votre revenu pour payer vos études?
Mme da Silva: Oui.
Le sénateur Andreychuk: J'aimerais revenir rapidement à la question du droit d'auteur. Vous en avez écrit plus que n'importe qui sur les incidences du projet de loi sur le droit d'auteur. Est-ce une question importante? Est-ce qu'il touchera uniquement certaines disciplines ou son influence sera-t-elle généralisée?
Mme Srivastava: Hier, juste avant de quitter le bureau pour venir ici, un étudiant nous a demandé si nous allions parler de la question du droit d'auteur et du projet de loi C-32. La raison pour laquelle cette question est si importante, c'est qu'elle touche les gens à un niveau très pratique. Nous avons entendu dire que nous n'aurons peut-être plus de photocopieuses dans nos bibliothèques. Les étudiants se demandent comment ils obtiendront les notes des classes qu'ils ont manquées ou la documentation dont ils ont besoin. Il arrive que les bibliothèques soient fermées. Je sais que dans ma faculté, la bibliothèque n'est pas ouverte le dimanche. Elle peut être ouverte le samedi pendant cinq heures. Si nous n'avons pas de photocopieuse et qu'il n'y a qu'un seul livre en réserve pour une classe de 150 étudiants, ce sera une situation extrêmement difficile sur le plan pratique. L'étudiant qui a soulevé cette question avait lu tout le rapport et c'est vraiment la question du projet de loi C-32 qui en ressortait.
Mme da Silva: C'est une situation qui nous inquiète beaucoup. Pour répondre à votre question, cela touchera chaque faculté et chaque programme universitaire.
Le sénateur Andreychuk: Avez-vous songé aux livres usagés? J'ai fait mes études grâce aux livres usagés. Nous n'en avons pas beaucoup entendu parler. Est-ce parce que la question du droit d'auteur a évolué tellement rapidement?
Mme da Silva: Il devient de plus en plus difficile pour des étudiants d'acheter des livres usagés parce que tous les ans ou tous les deux ans, une nouvelle édition est publiée et l'enseignant doit bien entendu utiliser la nouvelle édition. Parfois, l'enseignant décide d'écrire un nouvel ouvrage et le précédent n'est plus valable. Cela ne fait pas partie de la classe. Parfois, il peut être difficile, voire impossible, de se procurer un ouvrage usagé si on fait partie d'une classe de 800 étudiants.
Le plus important pour nous maintenant, c'est la question des manuels usagés, c'est-à-dire les manuels usagés que les étudiants retournent à la bibliothèque ou pour lesquels ils peuvent être remboursés s'ils n'arrivent pas à les vendre.
La vice-présidente: Dans le mémoire de la Students' Society de l'Université McGill, vous dites que les étudiants au Québec sont plus menacés que ceux des autres provinces. Cela m'étonne un peu pour deux raisons. La première, c'est que les frais de scolarité sont moins élevés au Québec. La deuxième, c'est que le Québec est la seule province, je crois, qui offre des prêts et des bourses. Pouvez-vous justifier cette déclaration?
Mme da Silva: Oui. Le chiffre de 15 000 $ à 20 000 $ était une moyenne. C'est malheureusement une réalité. Le coût de la vie n'est peut-être pas aussi élevé que dans les provinces maritimes mais le fait est que le coût de la vie au Québec est plus élevé et que le gouvernement a commencé à réduire les prêts et bourses.
La vice-présidente: Le coût de la vie au Québec est plus élevé que dans quelle autre province?
Mme da Silva: Je dirais qu'il est plus élevé qu'en Ontario, définitivement.
La vice-présidente: Nous ne nous lancerons pas dans ce genre de débat.
Mme da Silva: Je suis désolée. Le coût de la vie au Québec n'est pas plus élevé qu'en Ontario mais le niveau d'endettement est plus élevé. C'est ce que je voulais dire. Je n'ai pas les chiffres avec moi pour l'instant. Je voulais remplir trois pages afin d'expliquer pourquoi le niveau d'endettement était plus élevé mais je peux certainement vous fournir un document d'information à ce sujet, si vous le voulez.
La vice-présidente: Vous dites que la dette nette pour les universités canadiennes s'élève à 13 000 $ comparativement à 11 000 $ pour les Américains.
Mme da Silva: En dollars canadiens.
La vice-présidente: Ces deux chiffres sont en dollars canadiens?
Mme da Silva: Oui.
La vice-présidente: Il ne serait pas du tout facile de mettre sur pied des programmes nationaux uniformisés en raison de la difficulté d'établir des normes semblables en art ou en design, par exemple, au Nouveau-Brunswick, à Halifax, à Toronto et à Montréal. Je pense que cela créerait de nombreux problèmes. Nous ne devons pas oublier que les universités d'une même province et d'une province à l'autre au Canada se font concurrence.
Mme da Silva: Nous avons envisagé une autre option, c'est-à-dire établir des indices de rendement pour des programmes de ce genre et non pas une politique générale uniformisée. Nous avons besoin d'indices de rendement auxquels devrait satisfaire chaque programme.
Mme Srivastava: Cela permettrait l'équivalence des crédits. C'est le principal htmect qui nous préoccupe. Ce n'est pas tant que chaque cours doit être exactement le même et que nous devons aborder exactement les mêmes sujets de la même façon parce que cela est impossible. Nous voulons plutôt une certaine forme d'équivalence des crédits afin d'éviter la situation de l'étudiant québécois en Colombie-Britannique qui se voit obligé de refaire deux années d'études.
Le sénateur Andreychuk: Je n'en continue pas moins à maintenir que cela est impossible dans certains cas. Il est impossible d'obtenir l'équivalence des crédits pour chaque cours que vous suivez ailleurs. Je pense que cela préserve la notion d'intégrité. Je ne veux pas d'une éducation homogénéisée. L'éducation doit servir à élargir l'esprit et non pas à le rétrécir. Ne serait-il pas préférable de pouvoir évaluer s'il est facile d'obtenir l'équivalence et la transférabilité des crédits? De nombreux étudiants ont indiqué qu'ils croyaient que certains des cours qu'ils avaient suivis étaient transférables et se sont finalement rendu compte que les deux années d'études qu'ils avaient faites n'étaient pas reconnues, et ont donc perdu beaucoup de temps. Nous avons besoin de systèmes et de méthodes qui permettent d'évaluer si vos crédits d'études seront reconnus avant que vous vous inscriviez à ces cours. Cela vous permettrait de faire alors de meilleurs choix de carrière. Est-ce que ce serait une façon d'aborder le problème?
Mme da Silva: Tout à fait.
La vice-présidente: Il est vrai que l'éducation en général a fait l'objet de nombreuses compressions. La responsabilité en revient au gouvernement fédéral et aux gouvernements provinciaux. Par suite des réductions des paiements de transfert, il est vrai que l'éducation a connu des moments difficiles. C'est un dossier dont le gouvernement fédéral et les provinces devraient s'occuper conjointement afin de déterminer s'il est prioritaire de remettre l'enseignement postsecondaire sur pied. Ils devraient axer leurs efforts en ce sens. On fait certains efforts dans certains secteurs mais d'autres facteurs viennent les saboter. C'est une question difficile, mais on nous a dit la même chose d'un bout à l'autre du pays, de Vancouver à Halifax.
Je sais que la situation sera difficile pour l'Université Bishop's. Votre organisation étudiante devrait peut-être s'adresser directement à la ministre de l'Éducation du Québec. N'ayez pas peur. Elle n'est pas si effrayante que ça. C'est l'établissement qui aura le plus de difficultés.
Les étudiants hors province devraient demander que les universités anglophones du Québec leur enseignent le français avant qu'ils obtiennent leur diplôme. Ce n'est toutefois pas l'objet de notre débat aujourd'hui.
Le sénateur Hervieux-Payette: Comme vous avez tous des quotients intellectuels élevés et que vous serez tous des professionnels, l'obligation de parler les deux langues officielles du Canada même pour obtenir un diplôme de premier cycle serait-elle mal accueillie par les étudiants? En Europe, le programme Erasmus exige la connaissance de trois langues, ce qui permet alors de travailler partout dans la Communauté européenne. Si en Europe on est obligé de parler trois langues, ici la connaissance des deux langues ne serait donc pas une trop grande exigence. Comment cela serait-il perçu dans le pays? En d'autres mots, il faudrait parler les deux langues pour obtenir un diplôme.
M. Kouri: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Si nous voulons que notre pays soit bilingue, c'est une exigence qui devrait être imposée à tout le monde, surtout à ceux qui font des études postsecondaires. Même au niveau secondaire, il faudrait que les étudiants possèdent au moins une connaissance de base de l'autre langue, selon la province. Vous constaterez toutefois au Québec une grande réticence à apprendre l'anglais et dans le reste du Canada, une réticence à apprendre le français. J'ai habité en Colombie-Britannique et j'ai constaté la même chose, mais dans le sens contraire.
La vice-présidente: Au Québec, les parents veulent que leurs enfants connaissent les deux langues.
M. Kouri: Les parents, oui, mais au niveau universitaire, ils ont déjà 18 ans.
La vice-présidente: De toute façon, leurs enfants vont probablement dans des camps d'été anglophones. Mais ce n'est pas non plus l'objet du débat d'aujourd'hui.
M. Ian Smith-Windsor, vice-président élu des Études, Bishop's University Students' Representative Council: Idéalement, c'est ce qu'on devrait faire au niveau secondaire aujourd'hui. Nous sommes un pays bilingue. Nous aimerions que nos étudiants du secondaire qui finissent leurs études secondaires possèdent une connaissance pratique du français. Malheureusement, cela n'est pas toujours le cas.
Le problème, c'est qu'en créant des obstacles pour les différentes provinces comme le Québec où les étudiants ont la possibilité d'apprendre le français, on rend la situation encore plus difficile pour l'ensemble des Canadiens.
[Français]
La vice-présidente: Je veux vous remercier. Vous parlez tous le français. Nous avons donné une petite pratique au monsieur là-bas. Les problèmes que vous nous soulignez sont ceux que nous avons entendus lors de notre voyage au Canada. Ils sont reliés au financement qui affecte les étudiants, le corps professoral, le fonctionnement administratif des universités. Encore une fois, je vous remercie, et nous prenons bonne note de vos remarques.
Les prochains témoins sont de l'Association canadienne de l'éducation de langue française. Monsieur Bordeleau, cela nous fait plaisir de vous accueillir, vous et votre collègue, M. Rioux. Je vous remercie de vous être déplacés. Quand nous sommes allés dans le reste du Canada, je me suis beaucoup préoccupée de la question du français. Je ne trouvais pas cela très riche dans le reste du Canada. Si l'on compare cela au Québec, on constate une situation difficile. Ce qui ne m'empêche pas d'avoir de la sympathie pour les institutions anglophones du Québec, car ce n'est pas en étant plus injuste que l'on va corriger des situations. Nous devons traiter tout le monde de façon équitable.
M. Louis-Gabriel Bordeleau, président, Association canadienne de l'éducation de langue française: Madame la vice-présidente, je sais que le document qu'on a déposé a été circulé. Je ne connais pas beaucoup les habitudes de fonctionnement des comités parce que c'est ma première expérience.
J'imagine que vous me permettrez de le lire même si je le fais rapidement, ou allez-vous poser des questions sur le contenu du document?
La vice-présidente: Je ne me porterais pas garante que tout le monde l'a lu de A à Z. Les sénateurs l'ont peut-être lu il y a trois jours. Je pense que sans le lire mot à mot, du début à la fin, vous pouvez en faire un résumé et souligner ce qui vous apparaît le plus important.
M. Bordeleau: Je vous remercie de l'invitation qui nous est lancée de nous exprimer sur la question de l'enseignement postsecondaire au Canada.
Vous comprendrez que nous allons réfléchir et vous faire part de nos réflexions en ce qui a trait à l'enseignement postsecondaire en langue française partout au Canada.
Cette perspective nous intéresse. Le document déposé relève deux ensembles d'éléments: le premier, plus bref, présente les grands objectifs de l'Association canadienne d'éducation de langue française qui, dit en passant, célèbre cette année le 50e anniversaire de sa fondation, et qui le célébrera en grandes pompes si je peux dire dans la ville de Québec, au mois d'août lorsqu'elle tiendra un forum sur l'avenir de l'éducation en langue française au Canada.
Cette documentation vous permet de prendre état de ce projet de forum. Je voudrais insister sur le fait que l'ACELF non seulement fait la promotion de la langue française mais l'ACELF, comme d'autres tenants, tient à insister sur le fait que la langue est expressément l'outil principal d'une culture, d'une façon de vivre, de penser et d'une façon de fonctionner.
Pour nous, la promotion de l'épanouissement linguistique et culturel des francophones partout au Canada est notre préoccupation fondamentale et centrale. Ceci étant, nous avons pris connaissance des éléments que votre comité examine et nous en avons retenu quelques-uns qui nous apparaissaient plus pertinents, ou plus percutants en ce qui à trait à l'éducation en langue française.
Le premier élément insiste sur l'importance de l'enseignement postsecondaire pour les francophones, tant sur le plan social et culturel que sur le plan économique.
Je me sens d'ailleurs à l'aise pour aborder cette question. Je suis moi-même professeur d'université depuis plus de 25 ans. J'ai oeuvré en milieu minoritaire francophone depuis tous ce temps. Ma perspective me permet de vous offrir des éclairages qui m'apparaissent assez justes.
Il est évident que la formation collégiale et universitaire est un outil privilégié pour permettre aux diplômés une participation active et créatrice pour la société canadienne, non seulement une partipation active et créatrice, mais leur insertion sociale se faisant d'une façon encore plus facile et plus dynamique, il importe alors que les lieux où se fait cette formation soit des lieux où l'identité culturelle francophone comme l'identité personnelle continue de se développer.
Nous sommes arrivés à la conclusion qu'il est difficile de penser qu'un francophone puisse se retrouver dans une institution où on ne perçoit pas sa langue et sa culture comme étant importante, qu'il perçoive ce lieu comme valorisant, bien au contraire.
Comme plusieurs l'ont prétendu et le prétendent encore, c'est au sein d'institutions éducatives où la langue et la culture d'expression française occupent une place centrale que se forge progressivement une identité francophone forte et compétente.
En faisait de la langue et de la culture d'expression française des composantes essentielles de la formation postsecondaire, ces institutions contribuent non seulement au développement de l'identité linguistique et culturelle des diplômés mais contribuent à l'essor de la francophonie partout au Canada.
Enfin, on ne peut pas nier l'importance de l'éducation postsecondaire comme instrument privilégié pour le mieux-être francophone au plan économique. Les données statistiques continuent de dire que ce sont chez les diplômés des études postsecondaire que l'accès à l'emploi demeure encore le plus élevé.
Bref, nous souscrivons entièrement à l'importance d'une éducation postsecondaire en français afin de faciliter chez les francophones leur insertion sociale, le développement de leur identité culturelle et de leur mieux-être au plan économique.
Maintenant quelques enjeux particuliers. La question de disponibilité d'institutions et de programmes pour les francophones est importante. Vous avez, madame la présidente, relevé les perceptions que vous avez dégagées lors de vos déplacements. Je ne peux faire qu'écho à ces perceptions lorsque nous voyons la très grande dispersion des programmes et des services en français lorsque l'on se déplace sur territoire canadien.
Si l'on fait exception de la situation que l'on retrouve au Québec, on continue d'assister encore à la situation de la mise en place d'institutions et de programmes pour mieux desservir les francophones. C'est dire que ces services n'existent pas encore à bien des endroits. Lorsqu'ils existent, ils n'existent souvent qu'au premier cycle lorsque l'on parle de formation universitaire.
Je relève la création récente de trois collèges communautaires de langue française en Ontario. C'est extrêmement intéressant de voir l'accroissement significatif des inscriptions que l'on a retrouvées au sein de ces trois institution, un an à peine après leur création. Non seulement assistons-nous à la mise en place de nouvelles institutions parce qu'elles n'existent pas suffisamment, mais les institutions dites bilingues aussi doivent continuer à accroître le nombre de leurs programmes disponibles totalement en français. Nous pourrons en discuter de façon plus détaillée tantôt lors de l'échange de questions si vous le voulez bien.
Le constat est que la disponibilité complète de programmes collégiaux et universitaires en français n'est pas encore assurée à ce jour.
Qu'en est-il de la participation des francophones aux études postsecondaires? Quoique, particulièrement au Canada français ou les francophones sont en milieu minoritaire, nous ayons réussi à accroître les taux de participation aux études secondaires à des taux comparables à ce que l'on retrouve dans la population en général, la participation des francophones aux études secondaires continue d'être inférieure à celle que l'on retrouve dans la population en général. Ces écarts sont encore plus prononcés dans le cas d'études universitaires.
Plusieurs facteurs peuvent être évoqués pour expliquer ces taux plus faibles de fréquentation ou de participation. J'aimerais insister sur le fait qu'il y a une corrélation importante entre la disponibilité des programmes offerts en français et les bas taux de fréquentation qui correspondent exactement aux programmes non disponibles en français ou disponibles seulement pour une petite partie du programme d'études universitaires.
Je cite une étude de Churchill et de ses collègues, qui, même si elle date de 1985, continue d'être valable. Une autre étude affirme que l'accroissement du taux de participation au postsecondaire passe par une plus grande disponibilité de programmes en français. Ce rapport est disponible pour ceux qui voudraient le consulter.
Nous continuons de soutenir qu'afin d'atteindre chez les francophones un taux de participation comparable à ceux de la population en général, on devra prendre les mesures nécessaires pour offrir des programmes dans la langue maternelle de la clientèle étudiante. Cela nous paraît tellement évident mais il est notamment important de le rappeler.
Quant à la modalité d'offres de programmes, c'est vrai que la clientèle étudiante francophone est dispersée sur de vastes territoires, et ce n'est pas d'hier qu'un nombre important de ces étudiants doivent se déplacer pour quitter leurs régions pour poursuivre leurs études postsecondaires. Afin d'atténuer ces déplacements, on peut envisager certaines mesures; certaines d'entre elles d'ailleurs sont déjà en place.
J'étais intéressé tantôt d'entendre l'échange portant sur la reconnaissance inter-institutionnelle des programmes et des crédits. Cela m'apparaît une question encore plus percutante lorsqu'elle touche les francophones, qu'il s'agisse de diplômés ou d'étudiants dans un petit programme à l'Université de Regina ou au collège Saint-Boniface ou à l'Université Saint-Jean ou à Pointe-à-l'Église, que ces étudiants puissent compléter ailleurs ce qu'ils ont commencé chez eux, à condition que l'on ait songé sérieusement à établir des arrimages entre ces programmes et des reconnaissances inter-institutionnelles.
Ces passages d'une institution à l'autre ne sont pas encore suffisamment facilités, et nous estimons que la poursuite des études postsecondaires passe par l'établissement de ces passages beaucoup mieux arrimés.
L'intégration des nouvelles technologies, la transmission des programmes et des coûts à l'aide des nouvelles technologies et l'apprentissage de ces nouvelles technologies, le télé-enseignement, l'Internet et ainsi de suite existent déjà depuis quelque temps. Je voudrais y faire référence. J'en fais l'expérience à titre de professeur d'université depuis trois ans. Il y a là des éléments importants à poursuivre.
À mon humble avis, on y retrouve des promesses mais aussi des écueils. Il faut examiner jusqu'à quel point on peut tenir compte de ces écueils ou de ces défis, si vous le voulez.
J'en relève quelques-uns. Il est important d'assurer l'encadrement de cette clientèle étudiante. C'est bien beau d'assurer un cours universitaire à North Bay ou dans le Nord de la Saskatchewan. Il faut s'assurer que ces étudiants soient bien encadrés. La disponibilité de matériel pédagogique et l'accès à des bibliothèques spécialisées sont importants. Bien sûr, Internet va faciliter cela, mais là n'est pas toute la réponse. Il faut donc en bout de ligne, lorsque l'on utilise ces programmes ou ces moyens de la nouvelle technologie pour dispenser ces programmes, s'assurer, au préalable bien sûr, de ces transférabilités si je peux dire d'une insitution à l'autre d'éléments que l'on relevait tantôt.
On conduirait cette partie en posant quand même la question: ne vaudrait-il pas la peine d'évaluer la qualité des programmes offerts comme cela à distance? Qu'en est-il des taux de satisfaction des étudiants et des taux de persévérance? Cela m'apparaît important.
La troisième question ou le troisième élément est la formation et le perfectionnement du corps professoral. Les éléments que l'on relève ici sont les suivants: ils touchent en particulier le corps professoral affecté dans des institutions surtout à l'extérieur du Québec dans des programmes dispensés dans des milieux minoritaires.
L'expérience que nous avons est que, très souvent, le corps professoral qui se rend dans ces institutions vient de l'extérieur de ces régions. Très souvent, il n'y reste que pour une période, mais quelle que soit la période, il est important que ces professeurs réussissent à saisir les problématiques propres à ces milieux.
Qu'il s'agisse d'enseignement au collégial ou à l'universitaire, il importe que ces professeurs saisissent particulièrement les enjeux de ces collectivités francophones auprès desquelles ils offrent leur enseignement.
Quant à la création et la diffusion de matériel didactique, deux problèmes se posent. Nous sommes encore en train de créer des programmes et pour appuyer ces programmes, bien sûr la mise en place de matériel didactique en français. Il y a encore énormément de travail à faire à ce niveau. Nous faisons souvent appel à des traductions, lorsqu'on ne fait pas appel carrément à du matériel en anglais, ou partiellement disponible en français. Je pense en particulier à des domaines comme les sciences et les nouvelles technologies.
Comment aider les organismes qui sont voués à la production de ce matériel, lorsqu'ils ont à préparer du matériel pour des clientèles moins nombreuses? Nous croyons que cette question vaut la peine d'être explorée. Nous devons donner des appuis techniques et financiers à ces maisons d'édition qui doivent publier pour des clientèles moins nombreuses.
En ce qui a trait à la recherche et au développement, particulièrement en milieu universitaire, je voudrais relever un élément, madame la vice-présidente. Il y a un mythe, qui circule souvent, qui dit que les minorités francophones au Canada ont fait l'objet ad nauseam de recherches. J'aimerais vous inviter à ne pas tomber dans le panneau de ce mythe. S'il y a un domaine ou un objet de recherche qui continue d'être sérieusement inexploité et ignoré, c'est bien celui de la francophonie, sous toutes ses coutures. Des démarches de recherche continuent et doivent continuer de s'intensifier pour examiner divers htmects de la francophonie. Qu'il s'agisse d'htmects sociologiques, économiques, démographiques, éducationnels; il importe que ces activités de recherche nous permettent de mieux saisir ce qui est spécifique à la francophonie au Canada. Il faut donc inventorier les instruments à mettre en place, pour appuyer, soutenir, encourager ces activités de recherche; et non seulement les activités de recherche, mais les diffusions de ces résultats de recherche.
Vous allez me permettre de citer le cas d'une revue, qui est la nôtre: Éducation et francophonie. Nous nous empresserons de vous en faire parvenir des exemplaires. Cette revue est la seule au Canada, dont l'objet est l'examen des problématiques propres à l'éducation en langue française au Canada. Sa survie est maintenant en péril, parce que les quelques appuis financiers mineurs qu'elle reçoit lui ont été retirés cette année. Cette revue, à court terme, va disparaître sous forme papier; on utilise la forme Internet, mais pour combien de temps encore? Cela vous démontre bien jusqu'à quel point nous sommes dans des situations fragiles, alors que nul autre instrument n'existe.
Nous aimerions conclure en réitérant que l'éducation postsecondaire pour les francophones au Canada, particulièrement ceux et celles qui vivent à l'extérieur du Québec, n'a pas encore atteint un niveau comparable à celui observé chez la clientèle de langue anglaise. En tant que minorité francophone, je suis en mesure de dire que les services, que je connais dans mon milieu en tant que francophone, ne se comparent certainement pas à ceux de la minorité anglophone que l'on retrouve au Québec.
En effet, l'éducation postsecondaire en langue française est encore à ce jour en situation de rattrapage. Or, pendant que ce rattrapage se fait, tant bien que mal -- souvent à la pièce, avouons-le --, la presque totalité de ces institutions est frappée par d'importantes coupures budgétaires. L'effet de ces dernières ne peut faire autrement que de ralentir sérieusement ses plans de rattrapage, sinon de les freiner complètement.
Il est malheureux d'ailleurs que. dans bien des cas, l'on effectue ces coupures de façon uniforme, sans tenir compte du rattrapage qu'il reste à effectuer. C'est le couperet qui passe rase-mottes et qui frappe tout ce qui est à frapper, que les éléments soient prêts à sortir de terre ou non.
Nous ne prétendons pas saisir toutes les complexités des juridictions fédérales et provinciales en matière d'éducation postsecondaire. Nous n'avons pas fouillé ce dossier complexe. Quelles que soient ces complexités, il importe que le développement et le maintien des programmes en français au postsecondaire soient davantage adéquatement soutenus.
Afin de saisir l'ensemble des défis, nous n'en avons que survolé certains éléments qui confrontent l'éducation postsecondaire en langue française au Canada, l'Association canadienne d'éducation de langue française vous transmet la recommandation suivante: qu'une étude exhaustive portant sur l'éducation postsecondaire en langue française soit entreprise dans les meilleurs délais.
Je me sens plus à l'aise, madame la présidente, pour vous transmettre cette recommandation; ayant lu en 1991 le rapport Smith, j'ai noté qu'il y avait dans ce rapport à peu près huit lignes sur l'éducation postsecondaire en français au Canada.
Il nous semble que cette étude devrait examiner au moins les htmects suivants: quelle est l'étendue des besoins de la clientèle de langue française en matière d'éducation postsecondaire? Que l'on nous brosse un portrait là-dessus. Quelle est l'étendue actuelle des services présentement disponibles pour cette clientèle? Quelle est l'étendue des écarts? Parce que l'on sait que les écarts sont là, mais où sont ces écarts et quelle est l'étendue de ces écarts?
Enfin, quelles sont les recommandations de mesures à mettre en place à court et à moyen terme, susceptibles de réduire ces écarts?
Madame la présidente, nous estimons qu'une telle étude aiderait grandement à faire de l'éducation postsecondaire en français un outil remarquable, permettant aux francophones du Canada d'entrer de façon encore plus résolue, dynamique et confiante dans le prochain millénaire et d'y apporter leur contribution qui est unique. Nous vous remercions pour votre aimable attention et aimerions tenter de répondre à vos questions et bien sûr, prendre note de vos commentaires.
La vice-présidente: Je vous remercie monsieur Bordeleau. Je dois vous dire que, pour la première fois, cela nous donne la chance de faire le tour d'une question dont j'étais très soucieuse. On en a eu des petites bribes ici et là, mais n'avions pas une vision d'ensemble. Votre témoignage ce matin, dans ce sens-là, est très précieux.
Le sénateur Losier-Cool: Je remercie Mme la présidente de me donner l'opportunité de poser mes questions maintenant, puisque je dois me rendre à un autre comité. Si je n'ai pas le temps d'entendre la réponse, les autres l'auront.
Ce comité arrive presque à la fin de ces auditions et je déplorais que l'on ait entendu que des petites bribes et de petites bribes là, comme Mme la présidente vient de dire.
J'aimerais entendre vos commentaires sur le débat que l'on avait commencé avec les étudiants tout à l'heure sur le bilinguisme chez nos finissants universitaires à travers le Canada. Quand le comité est allé dans l'Ouest, nous avons entendu des témoins nous relater qu'à cause du «Pacific Rim», les étudiants de niveau universitaire devraient apprendre le mandarin ou le japonais. Dans l'Est, avec le Mexique on nous a suggérer d'apprendre l'espagnol. Je me suis posé la question: n'allons-nous pas leur dire d'apprendre d'abord les deux langues officielles du Canada? La raison qui justifiait l'apprentissage de ces langues était l'htmect économique.
Au Congrès de l'ACELF, l'année dernière, dans un des ateliers, nous avions fait ressortir l'htmect économie des francophones au Canada. Peut-être que lorsque nous mentionnerons aux étudiants universitaires l'htmect économique d'être bilingue, on avancera peut-être plus. Peut-être que votre étude exhaustive va faire ressortir ce point.
M. Bordeleau: Quant à la compétence dans les deux langues, je suis à l'aise pour en parler.
La vice-présidente: Vous l'avez!
M. Bordeleau: Les diplômés des institutions, que je connais fort bien, les diplômés francophones sont à 98.88 p. 100 bilingues à l'entrée des études universitaires. Pour donner un exemple, à l'Université d'Ottawa ici, lorsque l'on fait l'évaluation linguistique des étudiants admis en premier cycle, il y a à peine 2 p. 100 de ces étudiants francophones de l'Ontario qui doivent compléter des programmes d'appoint en anglais; tous les autres sont bilingues. Donc, le bilinguisme existe, à mon humble avis, pour l'ensemble des diplômés francophones, qu'ils soient au collégial ou à l'universitaire.
La vice-présidente: Je crois qu'elle s'inquiétait pour l'inverse. Je pense qu'on se comprend tous.
Le sénateur Hervieux-Payette: Avez-vous les statistiques à savoir combien d'étudiants d'expression française sont en dehors du Québec? Le nombre total des gens qui sont de toutes les universités, que ce soit de Sudbury, d'Ottawa ou d'ailleurs.
M. Bordeleau: Qui sont présentement inscrits au postsecondaire français?
Le sénateur Hervieux-Payette: Un nombre approximatif, parlons-nous de 5 000, 10 000 ou de 50 000, combien d'étudiants?
M Bordeleau: Je dois avouer mon ignorance.
Le sénateur Hervieux-Payette: Donc, nous devrions mettre cela sous étude. Je dis cela, madame la présidente, parce que je crois que nous avons plus de 30 000 places dans les universités anglophones au Québec et je ne crois pas que nous ayons l'équivalent pour les francophones hors Québec. Je crois que notre province doit donner le bon exemple, et je crois que c'est important. Ces éléments vont ressortir d'une étude semblable.
M Bordeleau: Je crois que, pour le premier élément, l'étendue des besoins devrait établir certainement des effectifs.
Le sénateur Hervieux-Payette: Des corrélations..
M. Bordeleau: M. Rioux et moi faisions seulement le décompte de deux institutions: Moncton près de 5 000 étudiants et Ottawa 10 000; mais nous n'en n'avons que deux. La Laurentienne, je dirais, en compte à peu près 2 500. Mais, pour les autres il y a une baisse sérieuse, mais cela peut frôler les 20 000, uniquement au niveau universitaire. Au niveau collégial on pourrait se retrouver avec d'autres chiffres. Mais je n'ai pas de chiffres, je m'excuse.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Je vous remercie de votre document, surtout de l'étude que vous proposez. J'aimerais aborder deux htmects auxquels certaines personnes pourraient être sensibles.
Votre étude parle des francophones. Proposez-vous que l'étude ne porte que sur les francophones ou porte également sur les autres Canadiens qui voudraient devenir bilingues?
Je connais bien Regina et je sais que devenir bilingue à l'Université de Regina est une expérience tout à fait différente de la mienne, c'est-à-dire prendre des cours de français tout en étant dans un environnement entièrement anglophone. Je connais l'expérience des étudiants qui fréquentent l'Université de Regina et je sais à quel point ils sont privilégiés parce qu'ils ont accès à tout un éventail d'activités culturelles et ont l'appui de la collectivité francophone. Le milieu universitaire permet de répondre à un grand nombre des besoins des francophones du Sud de la Saskatchewan. Ce sont des htmects utiles qui devraient être abordés dans cette étude.
J'ai constaté que vous avez utilisé le mot «francophone», et je me demande si vous vouliez axer votre étude expressément sur la collectivité francophone ou en élargir la portée pour inclure tous ceux qui veulent se prévaloir du milieu francophone?
M. Bordeleau: C'est une question cruciale.
Personnellement, j'ai passé toute ma vie professionnelle dans un établissement bilingue ici à Ottawa et à l'Université Laurentienne, il y a quelques années.
Un établissement bilingue, ou un établissement qui admet une importante proportion d'étudiants anglophones, doit être solide sur les plans linguistique et culturel pour offrir un véritable milieu aux non-francophones qui le fréquentent.
Mon recteur ne serait peut-être pas d'accord avec moi s'il était ici, mais prenons par exemple l'évolution de la composante linguistique de l'Université d'Ottawa. Au cours des dix dernières années, l'équilibre entre les deux groupes linguistiques s'est graduellement modifié au point où, dans certains cas, on est appelé à se demander si, mis à part le programme dispensé en français, il continue d'exister une communauté culturelle dynamique, capable de s'exprimer.
Ma réponse est peut-être un peu vague, mais il faudrait s'assurer que la vigueur culturelle et linguistique du programme est telle qu'elle offre un milieu enrichissant à l'étudiant anglophone. Autrement, quel est l'intérêt?
Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.
Le sénateur Andreychuk: Est-ce que cette étude plus précisément porterait sur les besoins des francophones, ou les besoins des francophones et ceux de tout autre étudiant qui souhaite se prévaloir d'une éducation postsecondaire en français?
M. Bordeleau: Il faudrait que les études postsecondaires soient suffisamment intéressantes pour les non-francophones qui veulent les suivre dans cette langue. Il ne fait aucun doute que cela enrichirait leur expérience.
Le sénateur Andreychuk: On aborde maintenant de nombreux htmects relatifs à la langue, qui auparavant étaient absents des discussions au Canada. Si notre pays veut survivre en cette ère de mondialisation, il faut que nous apprenions d'autres langues. On nous a convaincus, comme on l'a fait à Vancouver, qu'on ne peut pas simplement se contenter d'aller faire du commerce en Asie-Pacifique; il faut comprendre la langue et la culture et cela doit faire partie de votre éducation. C'est ce dont on a réussi à convaincre certaines personnes.
C'est probablement ce qui cloche avec notre politique du bilinguisme. Si nous n'avions pas consacré tant de temps à donner des cours de recyclage à des fonctionnaires de longue date -- et je ne fais que répéter ce que bien d'autres gens ont dit -- et avions plutôt consacré ces ressources et ces initiatives à l'enseignement postsecondaire, je me demande si les Canadiens ne seraient pas dans une meilleure situation.
Comment pouvons-nous faire à nouveau accepter l'idée que nous devrions verser l'argent du bilinguisme au secteur de l'enseignement postsecondaire, non seulement à cause de toutes les retombées avantageuses, mais pour assurer aux Canadiens la formation qui améliorera leur motivation et les rendra productifs?
Je fais partie d'un autre comité où j'entends de plus en plus dire que peu importe la carrière que les gens choisissent, ils se voient obligés à un certain moment de travailler à l'étranger et constatent souvent, s'ils sont anglophones, qu'il leur serait utile de parler français, mais qu'il n'existe aucune façon de l'apprendre correctement. Les cours dispensés dans les universités sont de simples cours de langue ou des cours menant à un diplôme, mais ne permettent pas d'apprendre la langue dans un contexte culturel qui ferait d'eux de meilleurs gens d'affaires ou de meilleurs professionnels sur le plan international. S'agit-il d'une autre lacune de l'enseignement postsecondaire?
M. Bordeleau: Il est dommage que dans les universités que je connais très bien, on utilise dans une grande mesure des programmes informatiques pour enseigner la langue seconde. L'étudiant est assis devant un ordinateur toute la journée. Je connais des étudiants qui doivent rester assis devant un ordinateur pour apprendre le français, langue seconde. Cela n'a absolument aucun sens. Comment peut-on saisir l'essence ou la saveur culturelle de cette langue?
C'est vraiment réduire la langue à un simple instrument. Comme vous l'avez si bien dit, la langue est le miroir des gens et de leur façon de vivre.
Je constate que les établissements n'exigent plus la connaissance de la langue seconde. C'est dommage. Cette exigence a été abandonnée parce qu'elle créait trop d'anxiété chez les étudiants qui se demandaient: «Vais-je réussir?» L'établissement où je travaille, par exemple, n'exige plus la connaissance de la langue seconde, alors que cette exigence existait depuis 15 ans. Comment pouvons-nous faire à nouveau accepter ce que vous proposez si nous abandonnons ces exigences ou nous réduisons ces mesures d'encouragement?
Le sénateur Andreychuk: C'est sans doute que nous avons abandonné la notion même d'éducation. Il ne fait aucun doute qu'il y a des années, il était impossible d'obtenir un doctorat si on ne connaissait pas l'autre langue. Il était impossible de suivre certains cours sans connaître le grec ou d'autres langues. On n'accorde plus la même valeur à la formation linguistique que par le passé. J'espère que notre rapport permettra d'en faire valoir à nouveau l'importance.
[Français]
M. Jean-Guy Rioux, secrétaire-général intérimaire, Association canadienne de l'éducation de langue française: J'aimerais ajouter qu'ayant été moi-même le vice-recteur d'une constituante de l'Université de Moncton, soit celle de Shippegan au Nouveau-Brunswick, j'avais souvent la chance de poser la question aux étudiants, à savoir à quoi servirait d'apprendre l'anglais, que ce soit à l'école ou encore à l'université. Je me plaisais à leur dire que dans la vie, ce n'est pas ce que l'on sait qui va nous nuire, c'est ce que l'on ne sait pas!
Il est important, en tant que Canadiens, de réaliser la force et la chance que nous ayons d'apprendre le français et l'anglais. C'est ce qui nous identifie comme Canadiens. C'est ce qui nous distingue des Américains. Je connais un type qui est sorti du milieu de chez nous, un milieu défavorisé, dans le nord-est du Nouveau-Brunswick, qui a 27 ans aujourd'hui et qui travaille pour une compagnie internationale au Portugal. Il connaît quatre langues. Il a 27 ans, mais il avait appris le français et l'anglais. Ensuite, il a appris les autres langues. Cela est très important.
L'étude dont nous parlions tantôt devrait être capable de démontrer aussi ce que le sénateur Losier-Cool disait quant à la valeur économique d'avoir à la base les deux langues, le français et l'anglais.
[Traduction]
Le sénateur Forest: Bien que j'aie un nom français, je fais partie de ces pauvres malheureux qui ne parlent pas français. Tout ce que je peux dire à ma décharge, c'est que nos sept enfants ont tous fait leurs études en français et sont bilingues.
Lors de nos audiences à Halifax, nous avons entendu les témoignages des membres d'une association de francophones hors Québec. Je voulais confirmer ce que vous avez dit à propos du nombre d'établissements francophones dans l'Ouest surtout. Il ne fait aucun doute qu'au Collège de Saint-Boniface et à la Faculté Saint-Jean de l'Université de l'Alberta, ils ne sont que quelques centaines.
J'aimerais également revenir sur les commentaires de sénateur Andreychuk concernant les francophones et les anglophones ou d'autres groupes qui veulent apprendre le français. Lorsque je me suis occupée des écoles primaires à Edmonton dans les années 60, nous sommes passés d'une heure de français dans les écoles bilingues, aux écoles d'immersion, puis aux écoles francophones. Au tout début, dans les années 60, 85 p. 100 des enfants étaient francophones et 15 p. 100 étaient des élèves qui apprenaient le français. En 20 ans, cette proportion est devenue complètement inversée -- 15 p. 100 étaient Canadiens français et 85 p. 100 étaient Canadiens. J'ai considéré qu'il s'agissait d'une nette amélioration. Ce n'est pas que le nombre de francophones diminuait, mais plutôt que d'autres comprenaient l'utilité d'apprendre la langue seconde.
En ce qui concerne l'Université d'Ottawa, vous saurez qu'à une époque, le Collège Saint-Jean à Edmonton était affilié à l'Université de l'Alberta. C'est maintenant devenu une faculté à part entière de cette université. Malheureusement, pendant les années où j'ai été chancelière là-bas, ils ont également abandonné leur exigence relative à la connaissance de la langue seconde, sauf pour quelques programmes.
Bien que leur nombre soit faible, il y a un effet bénéfique, surtout au niveau de la formation des enseignants. Nous avons la chance d'avoir un certain nombre d'étudiants du Québec qui ont contribué à créer un mélange intéressant. Ils sont venus apprendre un peu d'anglais et se familiariser avec la culture de l'Ouest. D'un autre côté, la culture des Québécois a déteint jusqu'à un certain point sur certains de leurs camarades de classe.
Bien que nous soyons un peu plus satisfaits, nous avons encore du chemin à faire. Une étude détaillée serait utile.
Je suis d'accord avec le sénateur Andreychuk, surtout dans l'Ouest, compte tenu du nombre de non-francophones qui veulent apprendre la langue, il faut que nous connaissions leurs besoins aussi. Nous n'avons pas l'occasion de nous immerger dans la culture.
À l'époque où je faisais partie des conseils scolaires, nous avions un merveilleux programme d'échange, mais il a fallu l'abandonner par manque de fonds. C'était une expérience merveilleuse pour les enfants. Nous devrions remettre sur pied ce genre d'initiative. Le problème de nombreux étudiants dans l'Ouest, qu'ils soient francophones ou non, c'est qu'une fois qu'ils ont terminé leurs études supérieures, ils n'ont pas la possibilité d'utiliser leur langue seconde autant qu'ils le devraient.
Voilà donc une petit aperçu de la situation dans l'Ouest. Je tiens à nouveau à m'excuser. Nous courons d'un comité à l'autre aujourd'hui. C'est pourquoi je suis en retard. Je lirai votre mémoire.
[Français]
M. Bordeleau: J'aurais deux petits commentaires suite aux commentaires du sénateur Forest. J'aimerais simplement attirer votre attention sur un programme que l'ACELF met sur pied depuis plusieurs années maintenant. Vous le verrez dans votre trousse. C'est un programme d'échange d'élèves.
À chaque année, une quinzaine de groupes d'élèves de partout au Canada se retrouvent dans une école, dans une ville du Québec, dans un programme d'échange. À chaque année, on peut toucher de 300 à 400 élèves de cette façon. Les commentaires que l'on entend de ces enfants, de ces jeunes confirment ce que vous dites, sénateur Forest: avoir passé du temps au Québec, et vice versa, a changé beaucoup leur perspective. Le deuxième élément que je voudrais ajouter concerne la formation du personnel enseignant, parce que vous avez fait référence à la Faculté Saint-Jean. Il reste qu'au niveau de la formation et du perfectionnement du personnel enseignant, trop souvent nous restons enfermés dans les barrières provinciales. Le nombre de provinces qui offrent leurs services à leurs professeurs francophones est petit.
Comment pouvons-nous sortir de cet enfermement provincial pour déboucher sur des programmes qui sont offerts davantage à la grandeur du pays, si l'on peut ainsi dire? Vous me permettrez de faire référence à une autre activité que nous parrainons depuis quelques années. C'est une série d'ateliers de perfectionnement du personnel enseignant, qui a lieu dans la ville de Québec, pendant deux semaines, qui touche à peu près 125 enseignants de partout au Canada et qui, pendant deux semaines, viennent se ressourcer au plan pédagogique et beaucoup au plan linguistique et culturel. L'idée de sortir de ses limites territoriales pour déboucher sur des programmes qui soient davantage disponibles à l'ensemble de la clientèle francophone, cela nous semble être quelque chose que l'étude pourrait examiner pour arriver à des modalités de dipensation plus novatrices.
[Traduction]
Le sénateur DeWare: Je tiens à remercier M. Rioux d'être ici aujourd'hui. Il vient du Nouveau-Brunswick et a passé beaucoup de temps là-bas. Je suis moi aussi du Nouveau-Brunswick. Je viens de Moncton, où se trouve l'Université de Moncton. Je n'arrive pas à croire qu'il y a déjà 30 ans que l'université a été fondée. Elle a pris de l'expansion depuis. Nous avons également cinq collèges communautaires francophones au Nouveau-Brunswick.
J'ai fait partie du conseil scolaire en 1968 lorsque nous avons décidé d'introduire un programme d'immersion totale en français dans notre système scolaire. Il y a 30 ans, la décision d'opter pour l'immersion totale en français ou pour les deux langues a fait l'objet d'un vif débat. Je crois que nous devrions revenir aux deux langues. Il a été décidé d'opter pour l'immersion totale en français, ou c'est du moins la décision qui a été prise par la majorité, et c'est encore la situation. Dans une province bilingue, nous n'enseignons pas encore dans les deux langues en première année. Il existe toutefois deux programmes d'immersion au Nouveau-Brunswick. L'un est un programme d'immersion précoce et l'autre un programme d'immersion tardive, qui commence à partir de la septième année. Je pense que ces deux programmes ont du mérite. J'ai des petits-enfants qui ont suivi les deux. Ils considèrent que l'immersion précoce est préférable parce qu'on pense en français et en anglais. Les élèves qui suivent le programme d'immersion tardive pensent en anglais et doivent traduire. Je suppose qu'on apprend mieux la langue seconde à un jeune âge.
En ce qui concerne les programmes d'immersion au Nouveau-Brunswick, je crois que nous en sommes au même stade qu'il y a 30 ans et je trouve cela malheureux. En moyenne, la plupart des familles optent pour le programme d'immersion si les enfants arrivent à s'y adapter. On constate alors que les enfants eux-mêmes demandent à suivre le programme d'immersion tardive.
La situation qui existe au Nouveau-Brunswick est intéressante. Au moins la majorité de la population commence à parler les deux langues. Je pense que vous pouvez en attester.
M. Rioux: Il y a eu beaucoup de progrès. Dans le système scolaire du Nouveau-Brunswick, environ 80 p. 100 des étudiants seront bilingues une fois qu'ils auront terminé leur douzième année. Ils ont la chance d'aller à l'université. S'ils veulent suivre un programme universitaire en français, ils peuvent s'inscrire à l'Université de Moncton qui existe depuis 34 ans. Elle a été fondée en 1963. L'Université du Nouveau-Brunswick offre également des cours en français. Il n'y a donc pas de problème pour les étudiants au Nouveau-Brunswick qui veulent faire des études dans les deux langues.
[Français]
Je peux ajouter qu'il y a énormément de progrès qui a été fait depuis au Nouveau-Brunswick, que ce soit à Fredericton, Saint-Jean ou encore dans la Miramichi où l'on a donné accès aux étudiants francophones à l'enseignement en français; il y a eu un progrès considérable. Lorsque nous avons mis sur pied, il y a de cela 25 ans, la première école française à Fredericton, nous avions environ 32 élèves inscrits et maintenant il y a plus de 700 étudiants qui sont inscrits à l'école française à Fredericton. Avant cela, les francophones allaient à l'école anglaise. Alors, c'est un progrès considérable.
La vice-présidente: À la page 3 de votre mémoire, vous dites que la disponibilité d'institutions postsecondaires est indispensable. Je suis vraiment d'accord là-dessus. C'est un peu pour cela que je m'inquiète pour l'Université Bishop's. Je ne sais pas si vous êtes familier avec le Québec, mais pourquoi est-il resté une communauté anglophone, qui malheureusement se rétrécit mais qui quand même est encore là, dans les Cantons de l'est et non pas dans l'Estrie? C'est justement parce qu'il y avait un port d'attache dans le domaine de l'éducation. Cela demeure la base de l'enracinement, de la survivance. C'est pour cela que c'est tellement important.
Vous faisiez état tout à l'heure, dans votre présentation, du fait qu'évidemment, la population francophone est dispersée et qu'elle n'a pas des grands nombres et tout cela. Une des conditions pour qu'il y ait des étudiants au niveau postsecondaire, c'est qu'il y en ait au niveau élémentaire et puis ensuite, évidemment, au niveau secondaire. Je connais l'ACELF depuis longtemps. Selon vos dernières évaluations, vos derniers estimés ou observations, il y a eu du progrès du point de vue de l'établissement d'écoles élémentaires dans les provinces anglophones. Nous mettrons le Nouveau-Brunswick à part.
Dans l'Ouest, nous donnons cela à la goutte, au compte-gouttes. Si vous ne les avez pas à ce niveau, vous ne pouvez pas les chercher au niveau postsecondaire. Quelle est votre évaluation à l'heure actuelle? J'imagine qu'elle a dû être évaluée d'une façon positive, mais peut-être que c'est loin d'être suffisant.
M. Bordeleau: C'est ce qui est reconnu depuis fort longtemps et nous avons fait exception du Nouveau-Brunswick. J'aimerais faire référence à l'Ontario, si vous me le permettez, madame la vice-présidente.
Tant et aussi longtemps que l'Ontario n'a pas eu un réseau d'écoles secondaires françaises complet, on a assisté à des taux de participation sérieusement inférieurs chez les francophones au secondaire comparé à ceux de la population générale. Le taux de déperdition scolaire chez les francophones au secondaire demeurait particulièrement et sérieusement élevé. On a complété le réseau d'école secondaire française en Ontario. De 1963 à 1985, on a réussi à corriger cet écart.
Les taux de participation demeurent égaux. Au collégial, les taux de participation des francophones aux études collégiales se comparent adéquatement avec ce que l'on retrouve dans la population générale. Elle est encore inférieure au niveau universitaire.
Je suis un de ceux qui a publié à cet effet des données qui démontrent que la non-disponibilité de programmes offerts en français, à quelque niveau que ce soit, que nous parlons de l'élémentaire ou du secondaire dans l'Ouest, de l'université partout au Canada, dès que les programmes ne sont pas disponibles, on assiste à un taux de participation à la baisse. Il y a une corrélation particulièrement importante entre la disponibilité du programme en français et le taux de participation des francophones à ces études.
Pour compléter votre commentaire concernant l'Ouest, je suis un de ceux qui trouve que la mise en place d'un réseau d'écoles élémentaires et secondaires se fait beaucoup trop lentement, et dans des conditions qui obligent très souvent la clientèle à se déplacer, à attendre, à s'impatienter ou à opter pour l'immersion, qui n'est pas la réponse pour les francophones, ou à opter pour l'école anglaise.
La vice-présidente: Dans quelle mesure les coupures budgétaires ont-elles affecté les services postsecondaires en français dans le reste du Canada? Nous sommes allés à Regina où il y a tout un département de français. On m'a dit que les coupures budgétaires et les coupures dans les transferts fédéraux ont eu un effet négatif sur notre fonctionnement. Est-ce seulement là où si c'est dans le reste du Canada? Je parle des ressources francophones.
M. Bordeleau: Les fonds additionnels que l'on appelle l'enveloppe pour le bilinguisme, nommément affectés aux programmes et aux cours offerts en français en Ontario, pour prendre cet exemple, ont été à toutes fins pratiques éliminés. En Ontario, on souligne que c'est l'effet des transferts fédéraux vers la province. Je peux certainement donner cet exemple. En plus de cet exemple, ce que l'on remarque, en tout cas dans les institutions hors Québec que l'on connaît, est que le taux de mise en place de ces programmes est soit stoppé complètement ou sérieusement ralenti. Comment va-t-on réussir à continuer à corriger ces écarts dans les conditions financières que l'on connaît? Cela me laisse tout à fait inquiet.
M. Rioux: Je pense que pour renchérir sur ce que M. Bordeleau vient de dire, au niveau de l'Atlantique, c'est sûr que si l'on fait exeption du Nouveau-Brunswick, on regarde Terre-Neuve, la Nouvelle-Écosse et l'Ile-du-Prince-Édouard, ils ont maintenant des conseils scolaires acadiens ou francophones. Ce n'est pas parce qu'ils ont maintenant leurs conseils scolaires acadiens ou francophones dans ces provinces que la partie est gagnée. Ma fille est directrice de la Fédération des parents acadiens de la Nouvelle-Écosse. Quand on fait valoir aux Acadiens qu'ils seraient beaucoup mieux servis dans une école totalement française, ils croient encore qu'il faudrait que ce soit une école bilingue. Dans une école bilingue, les français s'assimilent. On n'a qu'à regarder le taux d'assimilation. C'est psychologique. Personne ne veut se sentir différent des autres. Lorsque la majorité est anglophone, on veut se sentir majoritaire. Des études le démontrent. La partie n'est pas gagnée.
Nous assistons à des réductions, mais on ne tient pas compte des particularités avant de les faire. On réduit d'une façon horizontale. Beaucoup de gens ne sont même pas à l'endroit où les réductions se font. C'est un problème sérieux actuellement. La Commission nationale des parents francophones, par exemple, a publié une étude l'automne dernier où on montrait que l'argent remis aux provinces par le fédéral ne sert pas nécessairement aux besoins requis.
La vice-présidente: Je vous remercie. Si nous avons besoin d'informations additionnelles, nous pourrons communiquer avec vous.
M. Rioux: Nous allons vous laisser une copie des actes de symposiums régionaux que nous avons tenus en 1996-1997 portant sur l'école de langue française et l'identité culturelle. Il y a tout un ensemble de recommandations qui touche le volet postsecondaire. Nous n'en avons pas suffisamment de copies pour l'ensemble, la situation budgétaire étant difficile. Dès que les actes du symposium national seront prêts, nous vous les ferons parvenir.
Monsieur Richard Landry, président, Fédération autonome du collégial: Madame la vice-présidente, on vous remercie de nous avoir invités à venir exposer nos points de vue sur les études postsecondaires. Je suis accompagné de M. Mario Laforest qui est vice-président aux communications. Étant donné le très court laps de temps dont nous avons disposé pour préparer ce mémoire, nous nous en sommes tenus aux choses que nous connaissons le mieux, c'est-à-dire le réseau collégial québécois, les cégeps, les conditions d'exercice de la profession enseignante et les contraintes d'études que vivent nos élèves.
La Fédération autonome du collégial est un regroupement syndical de quelques 4 000 enseignantes et enseignants de 17 cégeps. Elle est présente dans toutes les grandes régions du Québec.
C'est depuis juin 1988 précisément qu'elle existe, et qu'elle s'est donnée comme principaux buts la défense et le développement des intérêts économiques, sociaux, pédagogiques et professionnels du personnel enseignant qu'elle représente.
À notre avis, l'examen et l'analyse du système d'éducation doivent déborder du cadre strictement scolaire. En effet, il est important de souligner à quel point l'éducation est un moyen privilégié par lequel il devient possible de briser la spirale de la pauvreté, tant financière que culturelle. Ce qu'on a appelé la démocratisation de l'éducation, à partir des années 1960, a permis de fournir aux Québécoises et aux Québécois un puissant levier leur permettant d'améliorer leur sort.
Aussi, toute transformation de l'école, et on en parle régulièrement de cette transformation de l'école comme étant dynamique, doit impérativement prendre en compte les phénomènes sociaux et économiques qui menacent l'accessibilité à une éducation de qualité. Malgré des progrès importants, on relève toujours au Québec une proportion élevée de personnes ne sachant qu'imparfaitement lire et écrire. Globalement, cette proportion est supérieure à celle du reste du Canada, c'est-à-dire 44 p. 100 au Québec, et 38 p. 100 au Canada.
Avec l'évolution des technologies et la mondialisation des marchés, il est évident que les inégalités de formation vont, de plus en plus, se traduire par l'existence d'une dichotomie entre les types de profil socio-économique, amenant une division accrue entre les riches et les pauvres.
De plus, si les possibilités de participation au marché du travail s'accroissent avec la scolarité, il faut reconnaître que l'éducation postsecondaire est devenue une nécessité individuelle et collective, l'école étant un facteur d'inclusion sociale et économique très important.
Plus que jamais, on doit considérer l'éducation comme un investissement prioritaire, un investissement dont le rendement dépassera à coup sûr les coûts en matière de progrès économique et sociaux. À ce chapitre, les cégeps ont permis à des générations de jeunes d'accéder à l'éducation supérieure grâce à leur accessibilité géographique et financière. Aussi, la présence des collèges dans toutes les régions du Québec est un acquis social précieux à préserver, autant pour le secteur pré-universitaire que pour le secteur technique.
Une interrogation dérangeante, désormais connue, illustre bien la préoccupation inhérente à notre profession d'enseignant: «J'enseigne, mais eux, apprennent-ils?» Si l'école existe, c'est précisément pour permettre à l'individu de s'instruire et de dépasser l'expérience immédiate dans un environnement stimulant. À cet égard, le cégep est un indispensable milieu de transition, de développement et d'intégration. Dans ce sens, il a été démontré que la relation de l'élève avec l'enseignant est le facteur le plus déterminant, entre autres dans les études de Bloom. Le corps professoral est donc investi de lourdes responsabilités. C'est pourquoi on ne peut se contenter d'en faire un simple exécutant.
Parmi les conditions d'exercice de la profession figurent l'autonomie et la responsabilité, que nous réclamons bien sûr. Attaquer l'une ou l'autre, voir dévaluer l'image publique de la profession, s'avère, par conséquent, particulièrement pernicieux. Et on sait, malheureusement, que depuis une quinzaine d'années ou un peu plus, l'image de la profession enseignante a été non seulement dévalorisée, mais parfois systématiquement dénigrée par notre propre gouvernement provincial, ce qui est tout à fait déplorable. Lorsque l'ordre collégial a été mis sur pied, on avait compris ces réalités de valorisation de l'enseignement et de la profession enseignante.
Le fait que le cégep ne soit la copie d'aucun ordre d'enseignement fait frissonner ceux qui ne croient qu'aux importations. Pourtant, les collèges ont été des facteurs déterminants de la démocratisation et de la modernisation du système scolaire québécois.
Les enseignantes et les enseignants du collégial ont fait état, depuis plusieurs années, des nombreux problèmes qu'ils vivent au quotidien. La surcharge des groupes de classe et l'augmentation générale de la tâche complique notre intervention de pédagogue. Surtout si on considère qu'il faut constamment remettre nos pratiques en question, eu égard aux percées technologiques, eu égard également aux changements démographiques importants, surtout dans les grands centres urbains.
La contribution du palier collégial dans l'ensemble de la progression scolaire de l'individu est indéniable. Il nous faut répondre à cette soif d'autonomie et de connaissances qu'ont les étudiantes et les étudiants lorsqu'ils s'amènent dans ce milieu de vie souple et diversifié qui rompt avec ce qu'ils ont vécu jusque-là dans leur cheminement scolaire. De là, la particularité des études postsecondaires. En plus d'être un lieu de transition important entre le secondaire, l'université et le marché du travail, le cégep favorise l'acquisition de deux compétences fondamentales chez tout citoyen, soit l'autonomie et la capacité de s'adapter aux changements ou encore mieux de les provoquer, le cas échéant. De plus, la coexistence du secteur préuniversitaire et du secteur technique transmet une valeur sociale d'égalité, capitale de nos jours. Le cégep donc demeure un outil majeur de développement individuel et collectif.
Nous tenons à redire l'importance de leur reconnaissance et de la valorisation professionnelles. Vouloir exclure ou donner une place de second ordre aux enseignantes et aux enseignants, n'aura jamais comme conséquence que la poursuite de la dégradation des conditions de travail dans nos collèges et des conditions d'exercice de la profession.
L'enseignement de qualité est un choix que les enseignantes et les enseignants n'ont jamais remis en question. Il faut donc cesser de mettre en opposition l'exercice de la profession et les conditions de travail qui y sont rattachées. L'enseignant n'est pas un être désincarné qui transcende allégrement sa condition sociale. S'il faut que la société reprenne confiance en son système d'éducation, et il le faut absolument, il faut également que celles et ceux qui y oeuvrent sentent qu'on respecte leur travail et leurs droits.
Avec les formidables compressions budgétaires qui nous sont imposées, on ne nous demande plus de faire plus avec moins, mais bien de faire plus avec rien!
L'une des priorités que nous avons toujours défendue est la réussite scolaire. Pour y arriver, certaines conditions sont nécessaires: entre autres, la reconnaissance de l'autonomie professionnelle, un meilleur encadrement des élèves et des équipes d'enseignants stables, diversifiées et soucieuses d'actualiser constamment leurs connaissances. Cependant, le sous-investissement en éducation ne s'inscrit pas dans cette logique et est inconciliable avec une politique d'accès et de réussite pour le plus grand nombre de jeunes et d'adultes. Le sous-financement est en contradiction avec la lutte à l'échec, au décrochage et à l'analphabétisme, et compromet les objectifs de démocratisation. On ne peut assujettir la mission fondamentale de l'école aux lois du marché. Car, s'il y a une chose que nous n'avons plus les moyens de nous payer, c'est bien l'ignorance et la médiocrité bureaucratique. Ainsi, aucun effort ne doit être épargné afin de mettre l'école à l'abri d'un capitalisme de plus en plus dur.
L'école ne peut être confinée à un rôle de pourvoyeur de main-d'oeuvre spécialisée pour une économie néolibérale déshumanisante. L'école utilitariste ne peut être un projet de société. Aucune solution miracle ne pourra remplacer une école ouverte, démocratique, accessible et gratuite, où la relation maître-élèves sera au coeur de l'acte pédagogique.
Il faut comprendre qu'en éducation, comme on l'a dit un peu plus tôt, il faut parler d'investissements plutôt que de dépenses. Aussi, la Fédération autonome du collégial considère que l'accès à l'éducation doit demeurer une priorité de l'État. Un accès large et gratuit tel qu'on l'avait mis de l'avant à l'époque de la création des cégeps.
Si cette accessibilité à une éducation de qualité dépend de plusieurs facteurs tels que la présence des cégeps et la disponibilité des services, elle dépend aussi des conditions intrinsèques relatives à l'exercice de la profession. Parmi celles-ci, la stabilité des personnels, le perfectionnement et la recherche. Nous croyons que la multiplication des statuts d'emploi et des conditions qui s'y rattachent nuisent au projet éducatif des établissements d'enseignement. De plus, il nous apparaît vital que les possibilités réelles de perfectionnement soient équivalentes pour toutes les enseignantes et tous les enseignants et ce, dans toutes les régions du Québec et toutes les régions du Canada.
Il nous apparaît, 25 ans après la publication du rapport Parent, que l'État doit poursuivre le processus de démocratisation de l'enseignement collégial et faire de l'éducation sa principale priorité. Les études secondaires ne suffisent plus, et il faut dorénavant détenir un diplôme d'études supérieures pour accéder à un travail décent. Par ailleurs, les gouvernements actuels, tant fédéral que provincial, n'ont pas l'air de se rendre compte qu'ils charcutent, chacun à leur manière, les réalisations de la démocratisation de l'éducation. Pour nous, c'est une question de justice sociale qui ne saurait répondre à des impératifs comptables.
À cette fin, l'État doit, premièrement, faciliter l'accès du réseau des cégeps et des collèges pour le plus grand nombre, jeunes et adultes, selon le principe d'une éducation permanente, entre autres, en assurant aux élèves des prêts et bourses d'études convenables; en encourageant les candidatures dans les métiers non traditionnels, plus particulièrement les candidatures féminines, afin de promouvoir l'égalité des chances; en développant des mécanismes pour amener les personnes de milieux défavorisés à poursuivre leurs études, et en élaborant une politique cadre en matière de reconnaissance des acquis qui englobe les acquis de formation scolaire et les compétences professionnelles, ce dont vous avez discuté plus tôt ce matin.
Deuxièmement, l'État doit encourager l'accès au secteur professionnel du collégial en valorisant cette formation tant générale que spécifique et en assurant sa promotion. Ensuite, en organisant une campagne publicitaire large et soutenue tant au plan national que provincial.
La diminution des subventions gouvernementales au collège public, à l'heure où la population étudiante devrait augmenter eu égard à la conjoncture économique, risque de se traduire par une combinaison de solutions inacceptables.
Ainsi, il y a déjà une recherche de sources de financement, autres que les subventions gouvernementales. Notons d'abord que la recherche de sources de financement n'est pas nouvelle. Outre les services de formation sur mesure offerts à l'entreprise privée, les collèges cherchent un financement sous forme de droits d'inscription, de frais afférents et de droits de scolarité qui se multiplient et se surmultiplient. Cette nouvelle pression financière s'ajoute à la barrière socio-économique faisant en sorte que seulement 24,2 p. 100 des jeunes Québécois ont accès à des études postsecondaires, que nous jugeons pourtant essentielles. Il n'est pas étonnant non plus de constater que 34,9 p. 100 des élèves du collégial fassent appel à l'aide financière gouvernementale sous forme de prêts et bourses.
En ce qui a trait à ce régime d'aide financière aux élèves, celui-ci doit continuer à favoriser l'égalité des chances et des conditions d'études pour tous les élèves voulant poursuivre leurs études. En théorie, ce principe fondamental doit demeurer et, en pratique, il doit être amélioré.
Aussi, il importe que le régime permette une plus grande accessibilité à la réussite en fournissant les ressources nécessaires à l'élève afin qu'il se consacre à ses études à temps plein, ce qui fait actuellement défaut. Un système qui se veut accessible ne pratique aucune forme de discrimination basée sur l'origine socio-économique des élèves ou sur leurs ressources financières, tant avant, en dissuadant l'inscription, que pendant leurs études, contribuant ainsi à l'abandon scolaire et au décrochage.
Il ne faut surtout pas que l'aide financière ne fasse que reporter à plus tard l'impact des inégalités socio-économiques par un endettement postscolaire insurmontable. À cet égard, il faut résolument mettre l'emphase sur l'attribution de bourses plutôt que de prêts.
En conclusion, quoi qu'on en dise, c'est un succès mesurable que ce nombre de personnes qui ont accédé à une éducation postsecondaire grâce à l'existence des cégeps. C'est également une réussite moins directement mesurable, mais néanmoins réelle, que la constitution d'une population instruite, gage d'une croissance économique et d'un développement social et culturel.
Faire accéder à une éducation postsecondaire le plus grand nombre de personnes possible et faire le choix de leur réussite, c'est une question de fierté à la fois collective et individuelle. À notre avis, c'est là le choix qui nous porte vers l'avant. J'imagine que vous aurez des questions et des précisions là-dessus.
Le sénateur Hervieux-Payette: Voulez-vous m'expliquer ce que c'est votre école utilitariste. C'est important qu'on comprenne bien ce langage. Dans mon esprit, il y a toujours eu un malentendu entre la formation, surtout du côté technique, et vous représentez les deux côtés de l'enseignement collégial, le cégep en général et le cégep du côté technique.
J'ai vu l'évolution du côté technique avec un genre de partenariat avec les industries. Je suppose que votre concept d'école utilitariste ne critique pas ce partenariat avec différents secteurs économiques, que ce soit dans le domaine de l'imprimerie, par exemple. Je pense qu'à Montréal, un des cégeps s'est spécialisé dans ce domaine et dispose des meilleurs équipements. Cela permet aux jeunes d'apprendre avec tous les outils nécessaires qu'il leur faut, la même chose dans le domaine du verre. Il y a plusieurs cégeps spécialisés. C'est pour cela qu'il est important qur l'on voie où cette question vous préoccupe.
M. Landry: Évidemment, quand on parle de l'école utilitariste, on ne prétend pas qu'il faudrait abolir tout partenariat avec l'industrie. Je vais me permettre une boutade pour répondre. L'école utilitariste, c'est celle où l'on dit que l'on enseignera plus la philosophie parce que cela ne sert à rien. Nous sommes contre une école qui ne fait que répondre à des commandes immédiates, précises et pointues de l'entreprise privée, par exemple. Je suis en informatique et je suis bien placé pour savoir que les entreprises nous passent des commandes très régulièrement. Ils ne comprennent pas que nous insistions pour que nos étudiants étudient les langues, la philosophie et les sciences humaines. Ils ne comprennent pas non plus que nous leur donnions une formation technique plutôt large et non pas que l'on ne se concentre pas seulement sur les logiciels à la mode ou d'autres appareils plus actuels.
Quand on s'oppose à l'école utilitariste, on s'oppose à une école où l'ouverture d'esprit et l'atteinte de la liberté comme idéal ne sont plus vraiment fondamentales. Il faut pas qu'on devienne une succursale, une usine de production de main-d'oeuvre uniquement. Si on s'enligne dans cette direction, je pense qu'on va avoir une société bien triste et bien morne. On veut enseigner aux jeunes à penser, d'abord et avant tout, c'est le plus important. Il faut qu'ils soient capables, lorsque ils nous quittent, de se perfectionner par eux-mêmes. Il faut qu'ils aient appris à penser et à être critique. Il faut qu'ils aient appris à développer leur libre arbitre. C'est en partie en contradiction avec ce que nous appelons l'école utilitariste. Mais nous ne voulons pas dire une école où on enseignerait que des idéaux et sans rapport avec la société moderne, sans rapport avec les nouvelles technologies. Bien entendu, ce n'est pas le cas.
L'école a une autonomie à assumer, une liberté et une certaine distance à garder par rapport aux autres secteurs de la société, tout comme tous les groupes de la société doivent garder leur propre cachet, leur propre culture. C'est dans ce sens-là qu'un dénonce l'école utilitariste.
Le sénateur Hervieux-Payette: Vous vous référez au rapport Parent qui avait toujours fait état que le côté technique prévaudrait et, finalement cela n'a pas été le cas. J'aimerais avoir vos commentaires parce que tout le monde est allé au niveau supérieur, et je pense, par exemple, aux techniques de génie. Je sais qu'à l'heure actuelle, on a une pénurie du côté des techniques et qu'on a peut-être de la difficulté à placer des ingénieurs. En termes de meilleur ajustement des talents et de valorisation du côté professionnel, quelles sont vos recommandations?
J'étais au niveau secondaire du côté professionnel, c'était toujours les enfants pauvres, c'était toujours les enfants dénigrés, les enfants qu'on considérait pas tellement intelligents qui allaient du côté technique. Alors, cela commence avant d'arriver chez vous. Et je me demande quelles sont les moyens que vous prenez pour revaloriser le secteur professionnel et technique.
M. Landry: Le mot valorisation, c'est le mot clé dans toute cette problématique. Vous avez raison, le rapport Parent avait pensé que le secteur technique prévaudrait au collégial. Sauf qu'il faut se souvenir qu'à l'époque, les études universitaires étaient vues comme une panacée, jusqu'à un certain point. Donc, peu importe la raison, les parents poussaient leurs enfants vers la médecine ou vers le génie pour des raisons sociales compréhensibles pour l'époque. Aujourd'hui, on vit effectivement une certaine pénurie au niveau du secteur technique. On parle d'une campagne de promotion nationale et provinciale, on parle également de faire cette promotion auprès des filles pour les métiers non traditionnels. Cette valorisation se frappe encore malheureusement à cette vision de ceux, comme vous le disiez si bien, qui sont peut-être moins bons et qui vont au secteur technique puis les meilleurs vont dans les universités, alors que l'on sait très bien aujourd'hui que c'est tout à fait faux. Il y a quand même un progrès qu'on a noté au cours des dernières années.
Maintenant, il y a une limite à cette promotion qu'on peut faire et il y a une limite à vouloir pousser les jeunes vers le secteur technique, par exemple, plutôt que le pré-universitaire. Parce qu'il y a une mobilité, une acceptation de cette nouvelle réalité qui doit se faire graduellement. Et si on mettait une pression trop forte vers les techniques, on risquerait peut-être de pécher dans l'autre sens, d'envoyer des gens vers le technique, des gens qui auraient dû aller au pré-universitaire. Il faudra être extrêmement prudent. La valorisation va peut-être passer par la transparence surtout, la visibilité de la réalité des secteurs plus techniques et de la technologie. L'informatique a beaucoup aidé à valoriser la technique. Maintenant, presque tout le monde a à la maison un ordinateur, Internet, et cetera. On se rend compte avec nos étudiants que cela a été un des facteurs qui a fait en sorte qu'ils sont intéressés à la technologie et aux techniques. Et cela a valorisé la technologie. Je pense que nous ne sommes pas trop mal partis. Quand je dis nous, je parle comme société, pas trop mal partis dans cette revalorisation. Les parents sont maintenant moins gênés d'envoyer leurs enfants au secteur professionnel technique, c'est tant mieux. Mais il faut maintenir le cap, il faut maintenir la pression là-dessus. Maintenant, à savoir quelles seraient les meilleures façons de faire cette promotion, il n'y a pas de recette magique. C'est vraiment une incorporation sociale de ces réalités qui va faire en sorte que cela va fonctionner.
[Traduction]
Le sénateur Forest: Nous avons beaucoup entendu parler de la formation technique par rapport à la formation générale. Vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que nous devons apprendre aux étudiants à penser et à développer un esprit critique et ainsi de suite. Il est à espérer que cela pourra être incorporé dans le programme des écoles techniques.
En Colombie-Britannique, en particulier, la tendance était de suivre d'abord une formation technique, de travailler ensuite quelques années, puis d'aller à l'université. On constate maintenant la tendance inverse. Les étudiants du niveau universitaire constatent qu'ils ont besoin d'une formation technique et il semble que ce soit la combinaison idéale. De nombreux collèges ont constaté qu'en établissant un partenariat avec le milieu des affaires, ils devaient établir leur propre code d'éthique pour s'assurer que l'industrie ne leur dicte pas le type d'éducation à offrir.
Qu'en pensez-vous? Est-ce un problème au niveau des cégeps?
[Français]
M. Landry: Je crois que cela dépend des secteurs plus que de l'ordre d'enseignement. Il y a des secteurs d'enseignement de certaines technologies où les relations avec l'entreprise privée, où le partenariat dont on parlait tantôt s'établit relativement bien. Cela dépend également de certaines régions. La question régionale est particulière, et je pense que cela peut nous éclairer beaucoup. On est d'avis que tirer profit des spécificités. de l'entreprise régionale et de l'organisation sociale régionale, c'est une chose excellente, et cela fonctionne relativement bien dans la plupart des régions.
Là où les choses se compliquent parfois, c'est lorsque ces spécificités deviennent envahissantes. Il y a certains secteurs où l'entreprise, où l'organisation économique est tellement forte qu'elle devient envahissante; ce n'est pas pour rien qu'on parle maintenant de l'école utilitariste, parce qu'on l'a ressenti énormément dans certains endroits. Il faut dénoncer cette situation. Mais en même temps qu'on dénonce cet envahissement économique de l'école, on fait la promotion du fameux partenariat avec, comme vous le disiez si bien, un certain code d'éthique que chacun doit se donner, avec des règles très précises et surtout, je crois, en précisant les objectifs qu'on doit atteindre.
Tout va tellement vite de nos jours, surtout en technologie, qu'on réussit mal à se fixer des objectifs ou on ne s'en fixe pas parce qu'on se dit que, de toute façon on les aura dépassés avant même de les avoir vraiment identifiés. C'est une mauvaise philosophie. Les objectifs doivent d'abord être établis très clairement de part et d'autre. Il y a des conventions qui doivent être convenues entre les intervenants, conventions, espérons-le, qui seront respectées. Sur cette base, les problèmes ne sont peut-être pas éliminés mais amenuisés tout au moins.
[Traduction]
Le sénateur Forest: À la page 5 de votre mémoire, vous dites:
Nous croyons que la multiplication des statuts d'emploi et des conditions qui s'y rattachent nuit au projet éducatif des établissements d'enseignement.
Que voulez-vous dire par cela?
[Français]
M. Landry: Vous parlez des statuts d'emploi, si j'ai bien compris. Les collèges, et je sais que les universités ont un peu le même problème, mais peut-être plus particulièrement les collèges ont une multitude de statuts d'emploi. Il y a bien sûr l'enseignant permanent à temps plein, il y a l'enseignant à temps partiel, il y a le chargé de cours, et chacun de ces statuts a des contraintes, des obligations différentes. Et cela fait en sorte que l'enseignant chargé de cours n'a pas les mêmes obligations et n'a pas non plus les mêmes possibilités de perfectionnement, de développement et d'intervention auprès des étudiants. Je vous donne un exemple très précis pour que vous compreniez pourquoi on en fait état.
Les collèges au Québec, depuis l'année passée, tentent d'engager des enseignants au statut de chargés de cours plutôt que, comme ils le faisaient auparavant, au statut de temps partiel. Les chargés de cours ne sont pas tenus de faire de l'encadrement des étudiants et ainsi, ils sont payés moins cher. On trouve cela tout à fait scandaleux d'engager des enseignants qui sont moins bien rémunérés en leur disant que de toute façon: «Vous travaillerez moins, vous ne ferez pas d'encadrement.» C'est une aberration absolue. C'est un exemple bien précis par rapport aux étudiants. Évidemment, ces enseignants n'ont pas droit non plus au perfectionnement, n'ont pas droit à une multitudes de choses qui feraient en sorte qu'on pourrait stabiliser les personnels dont on parle. Une équipe stable, c'est bien important. Et cette équipe stable peut faire un suivi sur ces objectifs dont nous parlions tantôt.
On ne peut pas comprendre, et on ne veut pas comprendre ou accepter que sur la base de faire des économies, on engagerait des enseignants à qui l'on demande moins en terme d'encadrement alors que l'on parle de décrochage et de réussite faible dans les collèges.
La vice-présidente: Je voudrais vous poser une question. Vous dites que vous représentez les enseignants de 17 collèges, est-ce que ce sont tous des collèges privés?
M. Landry: Ce sont des collèges publics, sauf un collège privé.
La vice-présidente: Lequel?
M. Landry: Le collège du Frère Untel.
La vice-présidente: Je voudrais bien que vous compreniez les objectifs que notre comité spécial poursuit. Vous parlez du statut de l'enseignement et de votre préoccupation quant à la valorisation de son rôle. Est-ce que ce point de vue est partagé par les enseignants des 80 ou 100 autres cégeps du Québec?
M. Landry: Je pense que, dans sa forme générale, oui. Quand on parle d'autonomie, de valorisation et de financement adéquat, je peux vous garantir que oui, on s'entend très bien là-dessus. Dans son ensemble, ce sont là des considérations qui pourraient être agréées par l'ensemble des représentants des syndicats de collèges. Je ne crois pas m'aventurer trop loin en prétendant qu'en général, oui, on s'entend là-dessus.
La vice-présidente: Est-ce que la Fédération des cégeps n'a jamais fait une étude sur la valeur du cégep, comme prérequis à l'entrée à l'université et comparativement aux exigences dans les autres provinces eu égard à l'entrée à l'université? Est-ce que l'un vaut l'autre ou est-ce que l'un a des effets positifs par rapport aux effets négatifs? Enfin, cela peut varier selon les domaines. Est-ce que vous avez fait cette évaluation?
M. Landry: J'avoue que je suis un peu embêté de vous répondre à cette question de la comparaison avec d'autres systèmes d'autres provinces. Comme je vous disais au début, on a été prévenus la semaine dernière, on s'est donc préparés rapidement. Mais malgré tout, ce n'est pas vraiment une étude que nous avons menée. Je sais que certaines études existent à ce niveau, mais je ne pourrais pas vraiment commenter à ce moment-ci. Si on regarde l'évolution des admissions universitaires depuis la création des cégeps, définitivement, il y a une progression importante.
La vice-présidente: Ils ont fait entrer les femmes, en tout cas.
M. Landry: On a fait entrer les femmes, alors ce n'est pas rien, c'est quand même une grande différence. Je ne voudrais pas faire la comparaison des collèges classiques versus les cégeps, il y a tellement de comparaisons qui se font et qui ne disent rien en bout de ligne. Au niveau de la formation technique, on sait que les entrepreneurs, le secteur privé, sont très satisfaits des étudiants des cégeps. Au niveau des universités, je crois qu'il y a un fonctionnement intéressant et reconnu par tout le monde. Est-ce que c'est mieux que ce ne l'était? C'est bien difficile à dire.
La vice-présidente: Est-ce qu'il y en a plus qui passent du cégep à l'université ou un nombre égal ou équivalent au nombre de ceux qui entrent à l'université par une autre voie?
M. Landry: Définitivement, il y en a plus qui passent du cégep à l'université que par toute autre voie, c'est clair. Je n'ai pas les chiffres devant moi, mais je ne me tromperais pas en parlant d'un 80 p. 100 et même plus à ce niveau.
[Traduction]
Le sénateur DeWare: Quel est l'effectif étudiant de tous les cégeps?
[Français]
M. Landry: C'est peut-être 150 000 étudiants au niveau du cégep, grosso modo, sous toute réserve.
La vice-présidente: De vos cégeps?
M. Landry: De tous les cégeps.
La vice-présidente: Je penserais que ce serait peut-être plus que cela.
M. Landry: Il faudrait vérifier. Il y a environ 55 collèges ayant une moyenne de 3 000 étudiants, nous aurions 150 000 à 200 000 étudiants tout au plus.
La vice-présidente: Je voulais tout simplement vous dire en terminant, pour qu'on se comprenne bien, surtout au Québec, il y en a qui nous ont soupçonnés de vouloir se mettre la main dans la tarte provinciale de l'éducation. Ce n'est pas du tout cela. On examine vraiment cette question en fonction des responsabilités du fédéral qui touche, d'une façon très claire, les autochtones et le financement par le truchement des transferts fédéraux aux provinces qui semble avoir été très difficile pour les maisons d'enseignement. Il y a des provinces où l'on n'a pas fait porter aux institutions d'enseignement la diminution des transferts, mais il y en a d'autres où cela semble avoir été différent. Alors, il en découle des problèmes très sérieux.
Nous étudions aussi la question du financement des étudiants, parce que là aussi le fédéral intervient. Je veux vous rassurer qu'on ne veut pas se mettre le nez là où on n'a pas affaires. Par contre, si l'on veut corriger ce qui nous apparaît de plus en plus difficile dans le domaine de l'éducation postsecondaire, il est important qu'on se pose des questions.
M. Landry: Je vous remercie, cela nous a fait plaisir.
Monsieur Léon Germain, représentant de la Fédération étudiante universitaire du Québec: Madame la vice-présidente, je souligne la présence de Eric Tétrault qui représente les Cycles supérieurs du Québec, qui fait aussi partie de la Fédération étudiante universitaire du Québec. Donc, pour les questions des cycles supérieurs et de la recherche universitaire, je me référerai à Eric Tétrault.
M. Germain: M'accompagne aussi Alexis Deschênes, vice-président de la Fédération étudiante collégiale du Québec. La Fédération étudiante collégiale du Québec est une organisation qui regroupe 24 associations étudiantes générales des cégeps qui sont réparties dans 13 régions du Québec. Elle a été fondée en 1990, elle promeut, protège, développe et défend les intérêts, les droits et les préoccupations des étudiants collégiaux du Québec. L'accessibilité constitue la principale base de revendication de la FECQ. Selon les revendications de la FECQ, tous les citoyens devraient pouvoir avoir accès aux études supérieures peu importe leur condition socio-économique ou celle de leurs parents. La FECQ représente 95 000 membres et ils soutiennent ardemment le principe d'éducation comme investissement social et économique.
La Fédération étudiante universitaire du Québec est une organisation politique qui regroupe plus de 125 000 étudiants de toutes les régions du Québec. Elle a été établie aussi en 1990. Elle a pour mandat de défendre les droits et les intérêts des étudiants auprès des gouvernements et des intervenants dans le domaine de l'éducation. Depuis notre création, nous nous sommes employés à défendre une éducation humaniste comme choix de société. Nous nous attardons principalement à défendre nos membres avant, pendant et après leur passage à l'université. Ce qui veut dire que nous nous attardons à des thèmes qui concernent et les affaires académiques universitaires et l'emploi et la «diplômation» des jeunes étudiants qui passent à l'université.
Nous sommes très contents de nous adresser aux membres du Sénat. Cependant, et avec tout le respect que nous vous devons, nous tenons à souligner d'entrée de jeu qu'il y a un certain malaise de notre part à traiter des questions que nous considérons exclusivement de juridiction québécoise.
La vice-présidente: Est-ce que vous êtes rassurés un peu?
M. Germain: Voilà, cela nous rassure effectivement. Cependant, on va quand même se limiter, dans ce mémoire que nous vous présentons, à des questions qui sont exclusivement en lien avec le gouvernement fédéral, pour l'instant. Donc, nous ne parlerons pas, par exemple, dans le cas du Québec, de l'aide financière. Nous ne parlerons pas de l'évolution des programmes d'études, des nouvelles technologies, de leur implantation, du télé-enseignement, de l'éducation permanente, de l'alternance travail-études, de l'éducation des adultes et des études à temps partiel, et cetera. Nous nous limiterons à des thèmes comme le financement du postsecondaire au Québec et aux normes nationales en éducation, un thème qui est sur la table depuis déjà quelques années. Je tiens à préciser que nous avons décidé de faire un mémoire conjoint, les deux fédérations pour donner peut-être plus de poids aux arguments que nous amenons. Je laisserai Alexis Deschênes commencer sur les questions relatives au financement de l'éducation postsecondaire.
M. Alexis Deschênes, vice-président de la Fédération étudiante collégiale du Québec: Madame la vice-présidente, on va parler des transferts fédéraux en matière d'éducation postsecondaire. Les transferts financiers fédéraux au Québec n'ont cessé de décroître depuis le début des années '80. Ils sont passé d'environ 28,9 p. 100 des revenus budgétaires québécois de l'époque à environ 17,6 p. 100 cette année. Dans le dernier budget du Québec, les compressions dans les transferts du gouvernement fédéral représentaient 60 p. 100 des réductions de dépenses pour 1997-1998. De plus, depuis 1993, la moitié des réductions de dépenses du gouvernement fédéral ont été faites en sabrant dans les transferts aux provinces. À l'évidence, tout indique que la réduction du déficit fédéral s'opère par un pelletage savant des réductions budgétaires vers les gouvernements provinciaux. Il est désormais clair que le gouvernement libéral fait ce qu'il a reproché dans son Livre rouge, au Parti conservateur d'avoir fait pendant neuf ans.
L'année dernière, lors de la création du transfert social canadien, les transferts pour la santé, l'éducation postsecondaire et l'aide sociale ont été amputés de 2,5 milliards de dollars pour 1996-1997. Le transfert social canadien sera diminué de 4,5 milliards de dollars pour 1997-1998. Ce qui signifie une diminution nette de 7 milliards de dollars sur deux ans des investissements canadiens dans les programmes sociaux prioritaires.
Ces compressions nettes dans le financement de l'éducation postsecondaire ont des répercussions directes sur la qualité de la formation collégiale et universitaire au Québec, ainsi que sur son accessibilité. Pour l'année 1997-1998, les compressions fédérales dans le financement des programmes sociaux se traduira par un manque à gagner de 1,4 milliards de dollars pour le Québec. Ce qui, au niveau collégial et universitaire, se traduit par une compression nette de plus de 280 millions de dollars pour la même année. Par ailleurs, il importe de souligner que le gouvernement fédéral finance le système universitaire québécois dans une proportion d'environ 13 p. 100, c'est-à-dire moins que ce que contribue l'ensemble de la population étudiante québécoise, environ 15 p. 100.
Aux yeux de la FECQ et de la FEUQ, l'éducation est la pierre angulaire du développement à long terme d'une société, c'est même le moteur de notre développement social, culturel, démocratique et économique. Selon Statistique Canada, 65 p. 100 des nouveaux emplois créés au Canada, entre 1990 et 1993, exigeaient un minimum de 14 à 15 ans de scolarité. Et les prévisions du Conseil des sciences et de la technologie du Québec portent à croire que, d'ici le début du prochain siècle, 65 p. 100 des nouveaux emplois exigeront une formation universitaire.
Face à la situation, il est clair pour la FECQ et la FEUQ que deux options se présentent au gouvernement libéral fédéral, s'il veut respecter ses engagements en matière d'éducation. D'une part, il pourrait réinvestir en éducation tous les montants amputés dans les transferts destinés à l'éducation postsecondaire. Alors que cette dernière alternative nous paraît assez improbable, le gouvernement fédéral pourrait attribuer au gouvernement québécois les points d'impôts fédéraux correspondant aux paiements de transferts versés au chapitre de l'enseignement postsecondaire. Cette dernière proposition est l'expression d'un consensus québécois, tel que le souligne cette motion adoptée à l'unanimité le 2 février 1995 à l'Assemblée nationale du Québec:
Que l'Assemblée nationale du Québec exprime sa solidarité envers l'ensemble des intervenants du milieu de l'éducation en dénonçant les coupures envisagées par le gouvernement fédéral en matière d'enseignement postsecondaire et lui réclame les points d'impôts correspondant aux actuels paiements de transfert versés au Québec au chapitre de l'enseignement postsecondaire.
En foi de quoi, la FECQ et la FEUQ considèrent primordial pour le développement à venir du Québec que cette proposition unanime soit respectée par le gouvernement fédéral et que tout type d'ingérence dans le domaine essentiel de l'éducation cesse du même coup.
Par ailleurs, depuis la controverse entourant le projet de loi C-76 qui donnait suite au budget fédéral de 1995, et qui accordait carte blanche au gouvernement fédéral pour s'ingérer dans les programmes sociaux, la question de normes canadiennes ne peut être vue indépendamment de la question du financement des programmes. C'est pourquoi tout à l'heure, M. Léon Germain va traiter des normes canadiennes en matière d'éducation dans la dernière partie du mémoire.
Maintenant, je vais laisser la parole à M. Éric Tétrault qui va vous entretenir du financement des organismes subventionnaires de la recherche.
M. Eric Tétrault, représentant des cycles supérieurs, Fédération étudiante universitaire du Québec: Dans un geste qui rencontre très peu de justification, le gouvernement fédéral a réduit lors du budget de 1995, et ce pour une période de trois ans, les sommes allouées au trois conseils subventionnaires suivants, soit le Conseil de recherche en sciences humaines, le Conseil de recherche en sciences naturelles et génie de même que le Conseil de recherche médicale. Les conseils qui ont pour mandat de promouvoir la recherche universitaire et les études avancées, ainsi que de fournir de l'aide sous forme de bourses ou de subventions dans ces secteurs, subiront donc une amputation de l'ordre de 108 millions de dollars au cours des trois prochaines années.
Selon l'Association des universités et des collèges du Canada, cette réduction de l'aide fédérale à la recherche représente des compressions globales de 14 p. 100 pour le CRSNG et le CRSH, ainsi que de l'ordre de 10 p. 100 pour le CRM. Vous avez ici le détail des coupures.
Lors du dépôt sur le budget en 1994, le ministre des Finances Paul Martin déclarait pourtant que:
[,,,] les conseils subventionnaires ne seraient pas touchés par les réductions des dépenses en raison de l'importance prioritaire que nous attachons à la Recherche et le Développement (R&D).
Il ajoutait de plus que:
[,,,] son gouvernement reconnaissait que l'investissement dans la Recherche et le Développement était un moyen d'utiliser à bon escient les deniers publics permettant la création de nouvelles entreprises et de nouveaux emplois.
De même, lors de la vaste consultation entreprise sur la stratégie en matière des sciences et des technologies entreprise à l'automne 1994 à travers le Canada, de nombreux intervenants de tous les milieux réclamaient au minimum le maintien des budgets des trois conseils subventionnaires et au mieux, l'augmentation des enveloppes budgétaires des conseils pour couvrir les frais indirects de la recherche. Par ailleurs, les participants étaient d'accord pour consolider ce qui fonctionne bien au fédéral, et plus particulièrement, on vantait l'efficacité et le caractère impartial du système d'évaluation et d'attribution des subventions et des bourses par un comité de pairs.
À l'heure où le Canada accuse un retard important quant aux investissements en Recherche et Développement, une comparaison établie par l'OCDE sur les dépenses en Recherche et Développement montre qu'en pourcentage du Produit Intérieur Brut, le Canada se classe à ce chapitre au 14e rang parmi les 24 pays membres de l'OCDE. Il faudrait donc consacrer des montants extraordinaires pour rattraper les principaux pays de l'OCDE actifs et très actifs en Recherche et Développement. Ainsi, malgré qu'il soit au fait de cette faible performance, le gouvernement fédéral a décidé de couper dans les subventions et les bourses de soutiens directs à la recherche et à la formation de professeurs-chercheurs et d'étudiants-chercheurs en milieu universitaire.
La FEUQ et la FECQ jugent la situation inadmissible. Par ailleurs, l'annonce lors du dernier budget libéral fédéral de la mise sur pied d'une fondation pour l'innovation ne contribue pas, à notre avis, à améliorer la situation générale et ce pour plusieurs raisons. D'abord, le financement d'une fondation privée par des fonds publics annonce un virage inquiétant en ce qui concerne le financement de l'éducation. Ensuite, la fondation ne s'adresse qu'à des domaines de recherche de pointe, surtout médicale, qui sont déjà les domaines les plus subventionnés. De plus, les subventions que reçoivent ces domaines très pointus de la recherche médicale et autres se font au détriment du financement des secteurs des sciences humaines. Puis finalement, le financement de la recherche universitaire prend ainsi un tournant définitif vers une priorisation de la recherche utilitaire plutôt que fondamentale.
M. Landry: Je vous présenterai maintenant notre position sur les normes canadiennes, un thème que nous avons tenu à souligner lors de notre présence ici, puisque l'on en parle déjà depuis 1995. Cela a été très présent lors du dépôt du budget de 1995.
Nous avons fait référence lors de ce texte, au rapport du comité sur les normes nationales en éducation qui a été préparé par le Conseil consultatif national des sciences et de la technologie. Ce rapport recommande d'instaurer à l'échelle canadienne des normes en éducation. La FECQ et la FEUQ ne s'opposent pas formellement au principe sous-jacent à l'élaboration de normes canadiennes. Bien au contraire, cela pourrait être quelque chose de très positif. En effet, on est d'accord sur les objectifs poursuivis à travers l'élaboration de normes professionnelles, minimales, les normes d'exposition et de compétence telles qu'elles sont décrites dans le rapport.
Cependant, on tient à souligner que nous sommes opposés au nivellement des normes d'excellence en formation universitaire aux normes industrielles. C'est en effet un des fils conducteurs du rapport que je viens de mentionner. On peut y lire, par exemple que:
L'industrie tient la clé du progrès en définissant les compétences professionnelles et les normes d'excellence et, à ce titre, est tenue de jouer un rôle plus actif.
Cela est d'ailleurs dans leur conclusion pour souligner l'importance qu'ils accordent à cette affirmation. Nous devons affirmer notre ferme opposition à l'ajustement des normes universitaires aux normes industrielles. Pour faire un parallèle avec ce qu'a dit tantôt la Fédération autonome du collégial entre le collégial et l'universitaire. Le lien entre les entreprises et les universités doit être vu comme une plus value et non comme l'essence même de l'université, celle-ci devant conserver son indépendance face au secteur privé. Puisque l'indépendance d'esprit du secteur universitaire est probablement son essence même.
D'autre part, la FECQ et FEUQ ne peuvent non plus accepter l'ingérence fédérale dans le domaine de l'éducation, de juridiction québécoise, que prend la structure prévue à l'élaboration et l'application du projet de normes canadiennes. D'ailleurs, à ce sujet il est inacceptable pour les Fédérations que deux organismes privés, le Conseil canadien de l'éducation et le Forum canadien sur le savoir, soient responsables l'établissement de ces normes et de leur application. C'est en effet ce que mentionne le rapport. C'est une des propositions principales du rapport.
La Constitution canadienne est très précise à ce sujet, l'éducation est de juridiction provinciale, et je cite:
[...] dans chaque province, la législature pourra exclusivement légiférer sur l'éducation.
Le gouvernement fédéral, en prenant l'initiative de créer des normes canadiennes et de constituer des structures quant à leurs définition et application, s'immisce nettement dans les compétences québécoises.
Compte tenu de ceci, il est illégitime que deux organismes privés canadiens se retrouvent décideurs dans un domaine aussi important que celui de normes d'excellence. Confier ce mandat à des organismes privés isole le contingent québécois et limite son impact réel sur les orientations choisies.
Les recommandations en matière de normes canadiennes telles qu'énoncées par le comité sont inacceptables à nos yeux, si elles incluent l'utilisation d'instances privées d'une part, ou d'organismes gouvernementaux fédéraux d'autre part. Par contre, et on pourrait prendre cela comme une contre-proposition, les propositions énoncées par le comité deviendraient envisageables et même recommandables, si on veut, si le mandat d'établir de telles normes ou balises respectait la juridiction québécoise. Dans ce sens, confier le mandat au Conseil des ministres de l'éducation du Canada, en plus du respect de la Constitution, assurerait réellement aux Québécois le contrôle de leurs compétences. Concernant les normes canadienne en éducation, la FEUQ et la FECQ proposent, afin d'éviter toute forme d'ingérence dans les compétences provinciales de l'éducation, que l'initiative du projet, son élaboration, sa mise en pratique, sa gestion et son financement proviennent des gouvernements provinciaux exclusivement et que, par conséquent, seul des ententes interprovinciales puisse régir ces normes. On comprend bien qu'une entente permet aux parties de se retirer de l'entente, et ce n'est pas la même chose que de créer une instance gouvernementale fédérale.
Je conclurai le tout en soulignant que dans l'ensemble, nous avons présenté un mémoire qui traite de questions qui ont un lien directement actuellement avec la question fédérale. Nous n'avons pas traité des compétences provinciales. Je l'ai expliqué au début, nous nous sentons mal à l'aise de le faire devant une instance que nous jugeons d'ordre fédérale. Nous avons donc traité du rapatriement des points d'impôts en éducation, je tiens à le souligner, et nous avons traité des normes canadiennes en éducation. Nous n'avons pas une opposition de principe, mais bien comme je l'ai souligné, une opposition dans les modalités.
J'aimerais souligner que la Fédération collégiale voudrait intervenir pour souligner l'importance des cégeps au Québec.
M. Deschênes: Vu le court délai qu'on a eu pour écrire le mémoire, j'aimerais juste faire un bref retour sur la spécificité du cégep et son importance pour nous.
Il est important de souligner que l'éducation postsecondaire québécoise a ceci de particulier, qu'elle comprend un lieu de transition, de développement et d'intégration très bénéfique pour les étudiants, soit le cégep.
En fait le cégep, si on le transpose au reste du Canada, c'est un peu comme la dernière année du secondaire et la première année de l'université. Le cégep offre de plus une importante gamme de formations techniques menant au marché du travail. Le cégep, de par sa richesse, favorise l'acquisition de deux compétences fondamentales aux étudiants, soit l'autonomie et la capacité de s'adapter aux changements ou bien de les provoquer. En effet, pour les provoquer, le cégep offre la possibilité aux étudiants de s'impliquer dans leur collectivité, on sait tous combien c'est profitable pour la société d'avoir des gens qui ont une bonne conscience sociale et qui sont prêts à intervenir et qui sont conscientisés sur ce qui se passe autour d'eux.
Depuis 1967, le cégep est un plus du système d'éducation québécois, à notre avis, et c'est un merveilleux lieu de transition, de développement individuel et collectif pour tous. Alors, c'est pourquoi qu'il est important d'assurer l'accessibilité universelle et donc de maintenir les transferts fédéraux destinés aux études postsecondaires.
La vice-présidente: Je vous remercie de vous être déplacés, apparemment après un avis assez court.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: J'aimerais parler de la R-D. Monsieur Tétrault, vous avez dit que d'après vous, une trop grande part de la recherche est axée sur la médecine et que la perspective fédérale privilégie trop la recherche axée sur les affaires et non la recherche fondamentale. J'ai entendu le même point de vue dans tout le Canada et je partage votre inquiétude.
Un autre point de préoccupation a été soulevé et je me demande s'il l'est aussi au Québec. Traditionnellement, la R-D au Canada finit toujours par être remise entre les mains des plus grands établissements. Compte tenu de la diminution des paiements de transfert et du financement de la R-D, les établissements moins importants souffrent encore davantage que les plus grands.
Je suis au courant d'une tendance indiquant que 80 p. 100 des fonds de recherche sont versés aux 10 plus grands établissements du Canada. Avez-vous une observation à faire à ce sujet?
[Français]
M. Tétrault: Sur ce sujet, je dois vous avouer ne pas disposer de statistiques précises. Cependant, c'est une réalité qui s'avère pancanadienne, effectivement.
Historiquement, les budgets de recherche ont toujours été vers les grosses institutions universitaires. Il y a certaines explications à cela, jusqu'à récemment au Québec, il n'y avait à peu près que de grosses institutions universitaires. L'apparition d'universités en région est plus récente. Donc, le développement de la recherche a pu prendre un peu plus de temps mais cela nuit encore plus à un certain développement qui commençait à se faire dans les universités régionales. Donc oui, c'est une réalité aussi pour le Québec.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Savez-vous si des études ont été faites au sujet de la réduction du budget de recherche et du fait que cela cause le départ de nos jeunes chercheurs? En d'autres termes, il y avait beaucoup de candidats à la recherche, parce que cela leur permettait de faire un peu d'enseignement et de continuer à faire de la recherche dans leur discipline. Ils avaient des choix et des possibilités. Ce bassin de candidats compétents n'est plus créé ou s'est déplacé ailleurs. Cette tendance se dessine-t-elle également dans votre province?
[Français]
M. Tétrault: Oui, nous-mêmes, au Conseil national d'études supérieures la FEUQ, on a déjà fait des recherches et reçu des avis sur cette question. Je n'ai malheureusement pas les chiffres avec moi aujourd'hui. Le fait de couper dans les subventions de recherche fait en sorte que beaucoup d'étudiants se retrouvent avec moins de moyens financiers pendant qu'ils font les recherches puisque le travail de recherche est très important pendant la poursuite des études. Et donc, la coupure des ces budgets fait en sorte qu'ils se retrouvent devant beaucoup moins de ressources financières pendant leurs études et comme conséquence, un taux d'abandon beaucoup plus élevé. Donc oui, cela empêche beaucoup les gens de poursuivre des études.
Le sénateur Hervieux-Payette: Dans vos recherches de statistiques, j'ai apprécié vos données sur l'OCDE. Vous auriez pu peut-être nous donner les dépenses faites en éducation au Canada versus celles des autres pays de l'OCDE, et vous verriez qu'on revient parmi les cinq pays au monde où les dépenses sont les plus élevées.
En fait, les dépenses dans ce domaine sont plus élevés au Canada quelles ne le sont dans la plupart des pays du Groupe des sept, qui ne sont quand même pas les plus pauvres, tels l'Allemagne, les États-Unis et la France. Donc, le Canada dépense per capita plus que tous ces pays. Au départ, peut-être diriez-vous qu'on peut mieux dépenser ces argents, mais le montant que la population canadienne paie en impôts pour l'éducation est plus élevé ici que dans tous les pays du Groupe des sept. Cela vaut la peine qu'on se le rappelle parce que, s'il y a des réaménagements à faire, on doit examiner la question dans l'ensemble.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Vous parlez de toute l'éducation? Notre sous-comité se penche sur la question de l'enseignement postsecondaire.
Le sénateur Hervieux-Payette: Vous comprenez toutefois qu'il s'agit d'une compétence provinciale. Nous ne pouvons pas intervenir en ce qui concerne la répartition des fonds.
La vice-présidente: Est-ce vrai pour l'enseignement postsecondaire?
Le sénateur Andreychuk: Il me semble que nous ne dépensons pas autant par personne dans l'enseignement postsecondaire. L'enveloppe totale est peut être plus élevée, mais nous ne nous en sortons pas aussi bien par rapport à nos homologues dans le domaine de l'enseignement postsecondaire.
Le sénateur Hervieux-Payette: Je n'en suis pas si sûre.
Le sénateur Andreychuk: C'est ce dont nous sommes témoins.
Le sénateur Hervieux-Payette: L'Allemagne dépense moins que le Canada à chaque niveau. Il y a moins de diplômés universitaires en Allemagne qu'au Canada. Cela m'a semblé étrange d'apprendre que l'Allemagne dépense moins, mais plus d'Allemands fréquentent les écoles techniques. C'est un genre d'enseignement coopératif. Les étudiants vont en milieu de travail et à l'école et les coûts sont partagés avec l'industrie, plutôt que d'être supportés uniquement par les contribuables. Au bout du compte, le budget de l'enseignement est moins élevé dans ce pays. En tant que fédération, nous pouvons davantage nous comparer avec ce pays qu'avec d'autres.
[Français]
Je reviens aux normes européennes du programme Erasmus pour permettre aux étudiants de pouvoir travailler dans tous les pays de la Communauté économique européenne qui sont établies par le Parlement européen qui exerce de façon autonome cette juridiction. Ce ne sont pas les états qui négocient. Quand on parle de normes canadiennes, ce ne sont pas des normes fédérales. Ce sont des normes canadiennes où les provinces doivent participer.
Vous avez parlé du mécanisme et comment les choses devraient se passer. On apprécie vos suggestions, mais avec le concept d'une norme non seulement d'excellence, mais une norme canadienne établie par un mécanisme qui respecterait la juridiction de ceux qui donnent l'éducation. Si on veut que les biens, les services et les personnes circulent à travers le Canada, est-ce que vous êtes, en principe, contre une norme canadienne ou contre la modalité d'établir la norme canadienne?
M. Germain: Comme on l'a souligné, c'est beaucoup plus contre les modalités que l'on a des objections. Notre plus grande inquiétude, c'est qu'il y ait création d'un palier ou plutôt d'une instance fédérale dans laquelle le gouvernement fédéral aurait son entrée.
La vice-présidente: Si les provinces s'entendent pour qu'il y ait une instance et puis qu'elles y sont toutes représentées, je ne vois pas comment ceci empiéterait sur la juridiction des provinces en matière d'éducation.
M. Germain: Pourvu que les provinces s'entendent. Je soulignerais que le Québec participe activement au Conseil des ministres de l'Éducation du Canada et même, à présider le Conseil. Effectivement, on n'est pas du tout contre des normes. Il est important d'établir des normes, mais le principe d'une entente multipartite entre provinces sous-tend que lorsqu'une partie n'est pas satisfaite de l'entente, elle se retire. Par contre, une instance formelle fédérale ne pourrait pas permettre ce genre de choses.
Le sénateur Hervieux-Payette: Il y a des mécanismes qui sont déjà en place. Je pense que récemment, on a terminé les négociations sur la question, par exemple, des crédits d'impôt pour les enfants qui sont aussi de juridiction provinciale, où les provinces se sont entendues et où le gouvernement fédéral participe et agit plutôt comme catalyseur et non comme une autorité.
Vous retrouvez ce genre de négociations pour les ententes concernant les barrières fédérale-provinciales qui sont administrées par un organisme où chacun apporte sa contribution financière et où le fédéral également contribue au financement.
Il y a un secteur qui fonctionne très bien et qui est très méconnu, c'est celui de l'organisme qui définit toutes les normes dans le domaine du bâtiment: c'est-à-dire que tout ce qui est construit au Canada est développé par un organisme qui est présidé par le Conseil national de la recherche. Tous les organismes sectoriels et les provinces participent à l'élaboration des normes et cela a produit le Code du bâtiment, qui devint l'autorité pour établir les normes dans la construction.
Cela est vrai non seulement pour nous permettre d'exporter ces produits mais pour adhèrer à un autre niveau, qui est celui des standards internationaux ou des normes internationales.
Quand on parle de normes canadiennes, il faut bien s'entendre. Il n'y a pas tellement de différence entre ce que vous dites et ce que nous pensons, à savoir qu'il peut y avoir un organisme où les 11 gouvernements sont assis autour de la table. Mais par contre, à un moment donné, on a besoin d'un catalyseur qui n'est pas nécessairement partie prenante. Souvent, on joue ce rôle afin qu'il y ait un consensus, qu'il y ait une harmonie, et que la norme soit finalement établie.
Je vous rappellerai que le pays existe quand même depuis plus de 150 ans et qu'on n'a pas encore ces normes, on n'a pas encore de mobilité des étudiants et on n'a pas encore de reconnaissance d'équivalence. J'ai appris ce matin qu'on n'en a même pas à l'intérieur du Québec.
Si nous voulons vraiment être compétitifs dans le monde entier, il est à peu près temps que nous soyons capables d'être mobiles non seulement chez nous, mais aussi que nous puissions aller étudier à l'étranger pour compléter notre formation et surtout pour faire du commerce étranger.
Vous dites que les normes canadiennes ne sont pas rédigées pard des organismes privés. Les organismes privés peuvent être des organismes participants, mais pas nécessairement des organismes décideurs. Êtes-vous d'accord avec cela?
M. Germain: Oui, c'est-à-dire sur les principes, bien entendu, nous sommes d'accord. Je tiendrais juste à souligner deux choses. D'abord, effectivement, on avait une crainte par rapport à la création éventuelle d'un palier fédéral et par rapport au fait que des organisations privées seraient chargées de la gestion des normes canadiennes.
Vous avez parlé du secteur de la construction et je pense que le Québec devrait reconnaître, à ce niveau, un certains nombre d'erreurs par rapport, par exemple, aux normes d'excellence du Sceau rouge, la formation des travailleurs de la construction. C'est totalement absurde que le Québec ne participe pas à cet accord, c'est évident.
Cependant, je reviens à la trame de fond de notre intervention. Premièrement, on a une crainte par rapport aux organismes privés parce qu'il s'agit de fonds publics, entendons-nous bien. Et, deuxièmement, il est primordial que ce soit des ententes interprovinciales qui engagent des parties et qui leur permettent de se retirer.
Le sénateur Hervieux-Payette: La Fondation canadienne pour l'innovation a mis à la disposition des universités et des collèges plus de 800 millions de dollars récemment, dans le dernier budget, pour la santé, l'environnement, les sciences, le génie, et cetera. Cette approche nous permet de nous assurer que les équipements seront appropriés et que, évidemment, l'on ne mettra pas tous nos oeufs dans le même panier, c'est-à-dire qu'il ne restera plus d'argent. Est-ce que vous êtes d'accord avec la méthode de rattrapage qui veut que l'on donne plus d'argent aux chercheurs, mais que les chercheurs n'aient pas de laboratoires ou n'aient pas l'équipement moderne nécessaire à leurs recherches?
M. Germain: Évidemment, c'est un choix budgétaire. Dans notre intervention là-dessus, je soulignerais deux éléments. D'abord, le fait que des fonds publics sont destinés à une fondation privée, et deuxièmement, non pas qu'on en ait contre cet investissement, bien au contraire, c'est important pour le Canada, mais encore une fois, on doit constater qu'on priorise la recherche utilitaire.
Au début j'ai dit que nous favorisons un projet d'éducation humaniste pour notre société. Nous accordons une grande importance à la recherche fondamentale qui fait partie d'un projet de société humaniste de développement à long terme.
Le sénateur Hervieux-Payette: Je ne pense pas que ce soit une fondation privée. Cette fondation va demander aux entreprises privées de contribuer financièrement. La présidence de cette fondation est assumée par quelqu'un qui est nommé par le gouvernement canadien et gérée par le gouvernement canadien et non pas par l'entreprise privée. On va demander à l'entreprise privée de contribuer et de fournir des sommes d'argent en partenariat avec les fonds publics. Mais ce n'est pas une entreprise privée.
M. John Evans ne répond à aucune entreprise privée au Canada. Il va répondre de sa gestion au gouvernement canadien. Madame la vice-présidente, moi aussi je me suis posée la question à savoir pourquoi vous avez mis sur pied une fondation.
On m'a répondu que, sur le plan de la gestion des finances publiques, c'était le mécanisme le plus efficace pour mettre ces sommes à la disposition des universités, dans un laps de temps assez rapide. Les universités avaient souligné au gouvernement canadien qu'il y avait urgence, et c'était le mécanisme le plus efficace.
Ce n'était pas une invention machiavélique de qui que ce soit. On nous a demandé de répondre le plus rapidement possible, et c'était la formule la plus accommodante pour répondre à ce besoin exprimé par les universités. Cela n'enlève rien aux budgets des autres programmes de recherche. Cela était spécifiquement pour faire du rattrapage parce que les universités avaient présenté des mémoires au gouvernement canadien, à l'effet que leurs laboratoires se détérioraient et qu'ils n'avaient pas les équipements modernes nécessaires.
[Traduction]
Le sénateur Forest: Comme l'a dit le sénateur Lavoie-Roux, nous avons parfaitement conscience des compétences des gouvernements fédéral et provinciaux. Nous voulions entendre le point de vue des étudiants et des professeurs du Québec.
Je suis dans le domaine de l'enseignement depuis longtemps. J'aimerais dire qu'il m'a été très difficile d'accepter les compressions financières dans le domaine de l'enseignement aux paliers provinciaux et fédéral. J'en comprends la nécessité, mais c'est pour moi le dernier secteur à viser, puisqu'il s'agit d'un investissement pour notre avenir.
Je m'intéresse beaucoup à la R-D. Je suis heureuse de voir que vous indiquez votre préférence pour les arts, les lettres et sciences humaines, parce que nous mettons actuellement tellement l'accent sur la technologie que je crois qu'il faut s'occuper de ces disciplines. Dans ce domaine, je dirais que la province du Québec s'en est peut-être mieux sortie que toute autre province du pays.
Nous n'avons pas encore parlé de l'internationalisation bien que le sénateur Hervieux-Payette ait brièvement abordé ce sujet. Savez-vous comment nous pourrions mieux préparer nos diplômés pour qu'ils soient en mesure de soutenir la concurrence à l'échelle mondiale?
[Français]
M. Tétrault: La meilleure façon de se préparer pour une globalisation, une mondialisation, c'est tout simplement de donner de l'enseignement de pointe. Il n'y a pas de formule magique pour l'enseignement de pointe. Il faut y mettre l'argent, il faut y mettre les ressources. C'est aussi bête que cela. Je ne pense pas qu'on puisse concevoir des plans à 28 volets, trois htmects et des stratégies particulières. C'est vrai qu'il y a peut-être des secteurs très particuliers qu'on doit cibler. Il est vrai que maintenant, avec la rapidité de l'information qui se transmet, on ne peut pas éviter de parler de nouvelles technologies de l'information et de communication et que cela doit faire partie, probablement, de la formation de tout le monde, tant pour les étudiants de sciences humaines que pour les étudiants des domaines de pointe. Mais il n'y a pas, à notre avis, bien d'autres solutions que de réaliser et de concevoir que pour une éducation de qualité, malheureusement, il faut y mettre le prix. Je sais que c'est très bête et que c'est très bref, mais c'est de la façon dont on voit les choses.
[Traduction]
Le sénateur Forest: Dans d'autres parties du pays, nous avons entendu dire que le Canada était en retard en ce qui concerne la commercialisation de notre système d'éducation, qu'il ne se rendait pas vraiment compte de l'importance d'accueillir plus d'étudiants étrangers et d'envoyer plus d'étudiants canadiens à l'étranger. Pensez-vous que cela soit important?
[Français]
M. Tétrault: Je sais, pour avoir vu récemment des reportages, qu'il a eu des expositions internationales qui s'occupent de l'éducation universitaire et que notamment, il y avait peu de présence canadienne et québécoise. Il est évident que l'interaction est tout à fait nécessaire. À ce niveau, la Fédération étudiante a regretté les récentes décisions qui ont pu faire en sorte que moins d'étudiants internationaux pourront venir étudier ici.
Néanmoins, il est évident que ces échanges vont faire en sorte que les interactions entre les étudiants étrangers qui viennent ici et le fait de permettre à beaucoup plus d'étudiants canadiens et québécois d'aller étudier à l'étranger, va améliorer la qualité de par les simples échanges. C'est un fait, oui. Et oui, on constate un retard nous aussi.
La vice-présidente: Est-ce que votre vue très positive des cégeps est partagée par l'ensemble des étudiants des cégeps?
Si on pense au décrochage dans les cégeps, c'est très élevé. Et j'ai entendu de multiples témoignages. On ne les a pas sollicités parce que ce n'est vraiment pas de notre ressort, je m'en excuse, mais je réagis à votre témoignage.
Les gens disent que l'on devrait faire sauter le cégep puis trouver une autre formule. C'est assez répandu comme opinion. Et vous, vous avez l'air de dire que le cégep, c'est la meilleure institution au monde.
M. Deschênes: Au niveau des étudiants au collégial qui font partie de notre Fédération, tout le monde est convaincu du bien-fondé des cégeps. Pour ce qui est du décrochage scolaire, il ne faut pas imputer cela au fait que les cégeps n'ont pas leur place. C'est plutôt au fait qu'il y a des coupures subséquentes qui n'arrêtent pas de s'empiler.
La vice-présidente: Mais il y en avait avant les coupures.
M. Deschênes: Du décrochage?
La vice-présidente: Oui.
M. Deschênes: Oui, le décrochage, c'est un phénomène qui est présent dans tous les ordres d'enseignement. Je crois qu'au secondaire aussi, c'est assez fort. Je pense que le gouvernement devrait essayer de conscientiser la population à l'éducation de plus en plus.
Au niveau collégial, il y a des coupures qui se font au niveau de l'encadrement et de l'orientation. C'est aussi ce qui fait qu'il y a des étudiants collégiaux qui se retrouvent un peu perdus là-dedans et qui décident tout simplement de se retirer du système.
Mais je ne crois pas qu'au Québec, de la part des étudiants collégiaux, il y ait une remise en question du système collégial, absolument pas.
La vice-présidente: Mais j'ai souvent entendu les étudiants dire: «Je les ai faites mes années de cégep, mais je ne sais pas vraiment pourquoi je les ai faites. C'est parce que c'était la voie d'entrée pour entrer à l'université.»
Je ne veux pas être sévère à l'endroit des cégeps, mais c'est parce que c'était tout beau, tout rose, tout cela. Je vous trouvais tellement optimistes; j'ai voulu sonder le point de vue que j'avais entendu. Et il n'est pas question pour nous de se mêler de cela. Ce sont des questions de programmes, des questions d'encadrement qui relèvent de la compétence provinciale.
Je veux vous rassurer, encore une fois, qu'on n'a aucune ambition d'aller piger dans la tarte des provinces en ce qui a trait à l'éducation. Par contre, si on peut aider à améliorer les choses, parce qu'on a entendu à travers le pays des gens se plaindre, des étudiants en particulier, si on peut être l'instrument pour améliorer quelque chose, j'espère qu'à ce moment-là, on n'aura pas perdu notre temps.
M. Deschênes: Est-ce que vous comptez faire des pressions pour l'augmentation des transferts fédéraux en matière d'éducation postsecondaire?
La vice-présidente: Est-ce qu'on va être spécifique? On ne peut pas dire. Moi, je ne suis qu'une personne sur ce comité.
J'imagine qu'on va rendre compte de ce qui nous a été exprimé quant aux conséquences des coupures répétées qui sont survenues en éducation, que ce soit de la part des provinces ou que ce soit de la part du fédéral. Êtes-vous d'accords pour que les dépenses soient réduites globalement?
M. Deschênes: Nous, on est pour un assainissement des finances publiques. On parle d'assainir l'administration. Cependant, l'éducation, il ne faut pas calculer cela au même titre que les dépenses. L'éducation, c'est un investissement prioritaire face à tous les défis auxquels nous faisons face en tant que société. Alors, j'espère que votre comité souscrit à ce même principe.
La vice-présidente: En tout cas, le slogan qu'on aura retenu, c'est que l'éducation, c'est un investissement.
M. Deschênes: D'accord.
La vice-présidente: On a entendu cela partout à travers le pays.
M. Deschênes: Un investissement prioritaire.
La vice-présidente: Si vous avez des questions à nous poser, vous pouvez y aller, vous savez. On n'a pas l'habitude de faire cela, mais puisque vous êtes ici.
M. Germain: Oui, j'aimerais ajouter un petit commentaire par rapport à l'intervention du sénateur Hervieux-Payette. Par rapport à la Fondation sur l'innovation, je n'ai pas dit cela dans l'air. On a pris nos sources dans le livre du budget. Alors, peut-être qu'on a mal interprété ce qui était inscrit, mais c'était effectivement ce qui était inscrit par rapport au caractère privé de la fondation.
La vice-présidente: Oui, c'est vrai, c'est exact.
M. Germain: J'aurais aussi un petit commentaire sur les droits d'auteur. Je sais que le Sénat parle en ce moment d'un projet de loi sur les droits d'auteur. Nous tenons à souligner que nous n'avons pas fait de commentaires jusqu'à maintenant là-dessus parce que ce n'était pas peut-être un de nos dossiers prioritaires dans cette époque de budget, et cetera. Nous avons quand même remarqué que de cette loi a des dispositions sur les livres usagés et sur les photocopies. Nous tenons à souligner que dans le budget restreint dont disposent 80 p. 100 des étudiants, il est certain que cela va avoir un impact. J'aimerais que les sénateurs en soient conscients lorsqu'ils auront des discussions sur le sujet.
Au Québec, le revenu moyen des étudiants se situe à 9 700 dollars par année. Et là-dessus, il faut compter plus de 2 000 dollars en frais scolaires. Évidemment, le seuil de la pauvreté canadien, d'après Statistique Canada, c'est 16 000 dollars et le seuil de pauvreté du Conseil de la Santé québécoise, je crois, c'est à peu près 11 000 dollars. Donc, c'est clairement en-dessous du seuil de la pauvreté. Là-dessus, il faut compter plus de 2 000 dollars en frais scolaires.
Donc, il est important de souligner cela, c'est un impact certain. Quand on sait que dans certaines matières, on a pour plus de 500 dollars par session de livres à acheter à l'université.
Le sénateur Hervieux-Payette: On a des gens qui viennent nous faire des représentations de la part des créateurs et des auteurs. Alors, comme vous parlez de pauvreté, je veux juste vous rappeler que ces gens ont un salaire moyen de 10 000 dollars par année et, pour ce qui est du traitement de nos créateurs au Canada, on ne peut pas dire qu'on était sur la bonne voie sur le plan international.
Alors, c'est sûr que, en tant que société, on a à faire des choix. Je veux vous rappeler qu'on essaie d'établir un équilibre entre les utilisateurs et les créateurs. Si nos créateurs pouvaient mieux vivre, nous aurions peut-être un meilleur équilibre.
M. Germain: Je suis tout à fait d'accord avec vous et il faudrait peut-être se questionner sur l'intermédiaire.
La vice-présidente: Monsieur Bouchard, il nous fait plaisir de vous accueillir. Vous représentez la Fédération nationale des enseignants et enseignantes du Québec.
M. Oliva Bouchard, président, Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec: Honorables sénateurs, c'est un réel plaisir de pouvoir me présenter devant vous, au nom de la Fédération nationale des enseignants et enseignantes du Québec. La Fédération que je représente compte plus de 22 000 membres qui enseignent au niveau collégial, donc au niveau des cégeps, la presque totalité des cégeps de la province de Québec et aussi, la presque totalité des chargés de cours des universités. Comme l'on sait que plus de 60 p. 100 de l'enseignement universitaire de premier cycle est dispensé par des chargés de cours, je reçois certainement une écoute attentive de leur part et j'espère avoir une écoute attentive de la vôtre.
Nous représentons également des enseignantes et des enseignants de niveaux secondaire et collégial du secteur privé. C'est tout le secteur de l'enseignement privé qui, lui aussi, fait beaucoup couler d'encre au Québec. <#00C2> ce titre, c'est un honneur de me présenter devant ce comité pour vous entretenir brièvement -- parce que le temps nous est compté, n'est-ce pas? -- sur la situation de l'enseignement postsecondaire, donc, de l'enseignement supérieur au Québec et aussi, de nos préoccupations par rapport aux autres provinces, par rapport à toute cette idéologie mondiale liée à l'enseignement supérieur.
J'ai voulu résumer mes propos en trois volets. Le premier touchera l'enseignement au niveau des cégeps, l'enseignement collégial, pour parler plus spécifiquement de son originalité et aussi de sa nécessité.
Les copies du mémoire vous sont remises. M. Jean-François Beaudet, chercheur à la Fédération que je représente, m'accompagne aujourd'hui. Nous sommes en présence d'un auguste aréopage de sénateurs. Je parlerai, en deuxième lieu, de l'enseignement universitaire, un peu de la recherche, des nouvelles technologies de l'information et des communications et, dans un troisième temps, je glisserai un mot sur le financement qui est, bien sûr, le nerf de la guerre, si je peux employer l'expression, mais cette épineuse question du financement des études supérieures est liée à tout le développement social, au développement économique et, bien sûr, aux conditions qui permettent aux étudiantes et aux étudiants de pouvoir poursuivre des études de niveau supérieur.
Dans cette introduction très générale, nous avons voulu sortir de la dichotomie. Je le dis en introduction aux pages 1 et 2 de ce document: nous sommes souvent portés à faire ce débat sur le terrain d'une dichotomie entre l'utilitarisme et l'humanisme. Former un étudiant ou une étudiante de niveau supérieur, est-ce réduire le débat à la compétence, à l'utilité de cette personne en devenir, en formation, compétence pour sa vie et aussi avec les retombées que cela peut avoir pour la société en général ou pour les entreprises? Ou bien, est-ce d'abord et avant tout, une formation, toujours avec un individu en devenir, qui lui permettra d'acquérir une culture de base, une culture fondamentale solide?
Quel est le rapport, le lien que l'on peut établir entre ces deux volets tout de même essentiels dans la formation d'un individu et dans le développement social lui-même?
C'est ainsi que nous avons voulu situer notre propos. Dans un premier temps, ainsi que je vous l'annonçais tantôt, un mot sur les cégeps, une originalité bien québécoise et très nécessaire. C'est aussi un plaidoyer à la défense de l'enseignement collégial pour faire état à ce comité de nos attentes en matière de formation supérieure.
Selon l'analyse de spécialistes d'autres pays à travers le monde, les cégeps se révèlent des institutions très avant-gardistes et qui ont, à travers leur structure même, une fonction éminemment intéressante et productive pour les individus.
En page 4 du document, je commence à vous situer ce volet. Compte tenu de la brièveté du document que nous voulions vous soumettre, nous n'avons retenu que les normes qui avaient été indiquées pour la production des documents.
Nous aurions pu vous en soumettre beaucoup plus en guise de mémoire, mais j'ai retenu les propos d'un spécialiste qui, déjà en 1992, disait que le Québec avait 20 ans d'avance avec cette institution collégiale.
Loin de moi la volonté d'être prétentieux. J'essaie de préciser un peu plus à quoi tient cette originalité et en quoi peut-on dire que cette institution apparaît nécessaire à la société québécoise?
Au fond, ce qui marque l'originalité de l'institution collégiale, c'est la présence dans une même institution d'une filière pré-universitaire et d'une filière technique qui ont un lien en commun, qui est justement une formation générale. Et le principe qui sous-tend cette originalité est celui de l'acquisition, avant la spécialisation, d'une formation solide dans un domaine du savoir. Elle tire d'abord son originalité de cela. Cette cohabitation du général et du technique va permettre la maturation de l'orientation et la possibilité d'une réorientation dans un cheminement de carrière. En tant qu'éducateurs et éducatrices -- et je suis un éducateur de carrière d'abord -- nous avons d'abord, je pense, à permettre cette maturation de l'individu. Et d'une certaine façon, nous devons, comme éducateurs et comme éducatrices, accompagner ce cheminement.
D'une certaine manière, c'est déjà répondre un peu à la dichotomie que je plaçais en début de propos tout à l'heure, à savoir la réconciliation entre l'htmect utilitaire, utilitariste, et l'htmect de la formation plus fondamentale. Un des volets qui nous préoccupe beaucoup -- et j'en fais mention à la page 5 -- est celui du développement d'un réseau. Un débat fait rage au Québec actuellement. C'est tout le débat de la régionalisation. Le débat de la régionalisation est aussi lié à toute la question des décentralisations des fonctions dont certaines, particulièrement en éducation et en santé, étaient jusqu'à présent l'apanage des services publics. On assiste de plus en plus, pour toutes sortes de raisons, notamment économiques, à une forme de régionalisation ou de décentralisation. Dire cela, c'est poser de façon prééminente la question de l'existence d'un réseau collégial. Le cégep, comme institution, existe sur le plan national. L'élaboration, la révision et l'évaluation des programmes sont des opérations à caractère national puisque le réseau lui-même est national et que le diplôme d'études collégiales est un diplôme à caractère national.
Poser cette réalité de la régionalisation soulève tout le problème de la fragmentation du réseau collégial. C'est un des débats importants que nous menons au Québec actuellement, et pas seulement nous. Comme fédération, nous participons à un débat comme celui-là. Vous en êtes sûrement au courant.
On pourrait être beaucoup plus explicite sur ces questions. Je m'en voudrais également de ne pas soulever tout le problème, tout le volet de la formation technique aujourd'hui, qui est une question hautement préoccupante pour l'ensemble des pays industrialisés. Et chez nous, au Québec, cette question l'est également. En formation technique, je reviens toujours à mon introduction de tantôt.
Quel est le lien à faire entre l'utilitarisme et l'humanisme? Est-ce que l'école -- cela serait vrai pour le niveau secondaire, ce le sera également pour les propos liés à l'enseignement universitaire -- doit d'abord et avant tout former des gens pour l'entreprise?
On constate également qu'aux tables rondes aux comités, chez les organismes de définition des programmes, on fait de plus en plus de place aux entrepreneurs, aux dirigeants d'entreprises. Constater cela, c'est aussi poser le problème des liens entre l'école et l'entreprise. Que l'on comprenne bien mes propos ici. Je ne dis pas que l'école doit être coupée de l'entreprise, bien au contraire. Je dis que l'école doit inventer -- particulièrement le collégial -- de nouveaux modes d'arrimage avec l'entreprise pour que justement, elle rende le premier service qu'elle doit rendre à une société, qui est de former une main-d'oeuvre qualifiée. Mais former une main-d'oeuvre qualifiée, dans notre esprit, ne doit surtout pas signifier former une main-d'oeuvre qui soit compétente dans un domaine précis du savoir, particulièrement dans les programmes techniques, mais une main-d'oeuvre qui aurait une formation large, polyvalente, transférable.
Aujourd'hui, les compétences changent. Plus le domaine du savoir est à la fine pointe de la technologie, plus ces compétences risquent de se modifier rapidement. Alors, si nous ne formons dans nos établissements d'enseignement supérieur que des individus hautement qualifiés pour ces compétences, nous aurons, je pense, rapidement un problème de société.
Donc, mon plaidoyer pour ce premier thème de l'enseignement collégial est vraiment en faveur d'un arrimage plus serré, plus étroit, peut-être plus fonctionnel entre l'utilitarisme et la formation plus humaniste, plus large, plus fondamentale. Je dirais que c'est le débat de l'heure actuellement au Québec dans le domaine de l'enseignement collégial.
Le deuxième volet traite de la mission de formation. Je le traite à partir de la page 7 du document. Je m'excuse de n'avoir pu vous le faire parvenir avant, mais vous pourrez en reprendre connaissance par la suite.
S'il y a un débat qui fait encore rage au Québec, c'est celui de l'enseignement universitaire, sa mission de formation et la réorganisation du traail. Vous savez que nous sortons d'une vaste opération de plus de 15 mois, des états généraux au Québec, où nous avons vraiment brassé tout cela. Un rapport substantiel a été produit par les commissaires et une des questions qui émerge de ce rapport final, est celle de la mission et de la place de l'enseignement universitaire.
Il y a évidemment plusieurs vecteurs qui ont amené ce questionnement en profondeur des universités, de la mission d'enseignement universitaire. Ce sont des questions induites par les préoccupations budgétaires des gouvernements, le «définancement», si on peut employer l'expression ou le sous-financement de l'enseignement supérieur, les nombreuses demandes d'imputabilité des universités. C'est le débat de la sacro-sainte autonomie des universités. J'ai l'occasion assez régulièrement de me colleter avec des collègues universitaires sur ces questions. Et représentant particulièrement les chargés de cours, vous devinez bien que toutes les questions d'organisation du travail, d'imputabilité, de missions de l'enseignement par rapport aux missions de recherche sont évidemment hautement préoccupantes à l'égard de la mission.
Je n'ai pas entendu mes collègues de la Fédération étudiante universitaire du Québec, qui ont certainement fait état des pressions, de leurs préoccupations en tant qu'étudiants, en tant qu'étudiantes à l'égard des cours ou de la formation qui leur est dispensée à l'université, ux qui revendiquent une éducation et une formation de qualité.
Bref, des pressions nombreuses, importantes, senties dans la société, ont, à mon sens, progressivement et assez clairement mis en cause cette autonomie et cette indépendance presque absolues des universités.
Je parlene parle pas ici du réseau de l'Université du Québec qui est un héritage du rapport Parent des années 60. Ce réseau a porté ses fruits et continue de porter ses fruits à la grandeur du Québec.
C'est un débat important qui comprend les préoccupations que nous devons avoir à l'égard de la mission même de l'enseignement. Quelle est la mission de l'université, au fond? Si on considère que 85 p. 100 -- je glisse quelques chiffres dans le mémoire -- de la clientèle est de premier cycle, et si j'ajoute que 60 p. 100 des cours sont dispensés par des chargés de cours, il y a là une réalité éminemment incontournable, dont il faut tenir compte aujourd'hui.
Quelle doit être la mission de l'université par rapport, par exemple, à la recherche? Je l'évoque au passage. Vous n'ignorez pas qu'au Canada, qu'au Québec, nous ne faisons pas exception. Dans la plupart des pays industrialisés, on a vu depuis deux décennies, mais surtout au cours de la dernière décennie, une montée considérable des centres de recherche privés qui ont, évidemment, interpellé au premier chef les enseignantes, les enseignants et les professeurs d'université, donc, la communauté universitaire en général.
Comment doit-on situer cette fonction de recherche à l'intérieur de la mission de l'université? Doit-on dire que la recherche doit servir quand il s'agit de la formation des étudiantes et des étudiants de premier cycle particulièrement, est-ce qu'elle doit d'abord servir à la mission d'enseignement et de formation et que le reste de la recherche appliquée, si on veut, doit être davantage laissé aux centres de recherche privés, c'est-à-dire non subventionnés, justifiant par là même un «désinvestissement» des pouvoirs publics des pays ou des gouvernements, que ce soit les gouvernements provinciaux ou le gouvernement fédéral vers les universités, vers les chercheurs?
Cette question est loin d'être tranchée. C'est aussi un débat extrêmement important chez nous actuellement et que nous menons avec optimisme. Nous espérons pouvoir trouver des solutions à cet égard.
La réorganisation de la formation et de l'enseignement est nécessaire. Un mot à la page 8 l'évoque. Questionner la mission de l'université, pour le dire en d'autres mots, c'est questionner toute la réorganisation même de l'université, les rapports entre les administrations prises à gérer des compressions budgétaires récurrentes qui leur viennent de deux paliers de gouvernement au moins. Nous les comprenons. Mais la réalité est que l'étudiant ou de l'étudiante qui, comme consommateur ou comme consommatrice, doit aussi rencontrer -- parce que le coût de la vie joue pour lui ou pour elle également -- des obligations de plus en plus lourdes. Et du même souffle, les étudiantes ou les étudiants sont conscients qu'ils doivent également accéder à des formations de qualité supérieure, de niveau supérieur, pour pouvoir accéder à des emplois qui soient plus intéressants et plus rémunérateurs, peut-être les mieux rémunérés dans la société.
Ce «requestionnement» de la mission de formation s'inscrit dans une mouvance plus large qui traverse la société. Ce n'est pas qu'à l'université, en d'autres termes, que toute la délicate question de la réorganisation du travail se pose. Le sénateur Hervieux-Payette le soulevait tout à l'heure, je pense que toute la préoccupation du travail, c'est une préoccupation de l'organisation du travail et elle traverse toutes les couches de la société et tous les secteurs du travail aujourd'hui.
Le milieu universitaire n'y échappe pas et doit aussi composer avec cette réalité. Le mot clé qui traverse ce chapitre, au fond, c'est l'intégration. L'intégration est un concept qui a le dos large, bien sûr, mais pour la Fédération que je représente, ce mot signifie que nous devons nous préoccuper de développer un enseignement universitaire qui permet une intégration de toutes les composantes de l'université. Et parmi ces composantes, il y a évidemment le personnel, les professeurs qui sont, il faut le dire aussi, en nette attrition quand on regarde l'évolution des universités et l'intégration d'un personnel devenu incontournable, celui des chargés de cours. On a fait des études par rapport à d'autres pays et on constate que c'est un phénomène qui est même plus répandu. Je reviens d'un congrès au Mexique. On constate que c'est beaucoup plus que 60 p. 100 des gens qui sont des chargés de cours ou du personnel éminemment précaire ou qui travaille dans des universités maintenant à caractère privé.
Est-ce vers cela que nous devons évoluer? Nous disons non parce que nous pensons que l'enseignement supérieur doit demeurer vraiment sous notre contrôle, ou permettre, à tout le moins, une intégration des programmes à travers le ministère de l'Éducation. Sinon, nous allons vraiment développer un secteur de formation de niveau supérieur essentiellement privé. Et alors, on comprendra vite. On voit poindre le risque d'une formation à deux vitesses et c'est une école pour les riches et une école pour les moins bien nantis. Et c'est précisément ce dont nous sommes le plus fiers au Québec, comme héritage du rapport Parent, d'avoir permis cette démocratisation et cette accessibilité de l'école jusqu'à l'université.
Nous ne devons pas, en cette fin de siècle, travailler exactement dans le sens contraire. C'est le plaidoyer principal que je voulais soumettre à votre attention à l'égard de ce chapitre. Et enfin, un mot sur le financement de l'enseignement postsecondaire au Canada. Il est clair que les besoins en matière de formation postsecondaire, qu'il s'agisse du niveau collégial ou du niveau universitaire, n'échappent pas à cette fameuse crise des finances publiques qui traverse tous les secteurs de la société canadienne et de la société québécoise.
Les coupures affectent présentement. Vous savez, le vocabulaire s'enrichit beaucoup par les temps qui courent. On ne parle plus de coupures, on parle de compressions; on ne parle plus de compressions répétées, on parle de récurrence. Je pourrais parler aussi des conventions collectives, mais ce n'est pas mon propos aujourd'hui parce qu'aujourd'hui, on les assouplit.
Alors, c'est une crise des finances publiques qui touche profondément la société. Et évidemment, cela représente un obstacle à la réalisation d'objectifs qu'on pourrait par ailleurs se donner comme société. C'est un sous-financement qui n'est pas récent. Il a véritablement commencé au cours des années 1980 et s'est intensifié au cours des années 1990. Par exemple, au chapitre de la diminution des paiements de transfert du fédéral vers les provinces, il y a eu des changements importants qui ont eu des effets sur le niveau de financement des établissements. Et on sait que la structure de formation de niveau universitaire est ainsi faite qu'on ne peut pas penser être capable de dispenser le même niveau de cours et de programmes avec des ressources constamment diminuées.
Il n'y a pas 36 solutions. Vous devez trouver l'argent quelque part pour continuer à maintenir les programmes, ou bien vous restreignez la qualité. Alors, c'est dire à ce moment-là que, au lieu d'avoir une classe à 80 élèves, à 120, vous en assoyez 300 élèves dans une classe. Et voilà, vous avez de cette façon rencontré des impératifs budgétaires. L'autre manière, c'est de couper des programmes, ce à quoi on assiste malheureusement, alors que l'objectif même du développement d'un réseau d'universités à la grandeur du territoire doit permettre aux gens de pouvoir accéder, partout sur le territoire québécois qui est immense, à ces programmes. Ce que nous avons réussi à développer conduit à cette contradiction: nous devons annuler certains programmes à cause des problèmes de sous-financement.
Ou bien nous devons admettre que les frais de scolarité seront largement augmentés. Et je ne crois pas que la tendance, pour le moment, soit à la hausse des frais de scolarité, au grand dam d'ailleurs, des administrations universitaires qui demanderaient, évidemment, un décloisonnement au niveau de l'augmentation des frais de scolarité.
Ce sont là des obstacles, des éléments qui en eux-mêmes, si je me fais bien comprendre, s'opposent et créent cette situation inhérente au financement. Je dirais presque que c'est un cercle vicieux parce qu'il en faut sortir. Le sous-financement met en cause la capacité des établissements à dispenser des programmes d'un même niveau. Cette difficulté se lie à une difficulté supplémentaire et génère même une difficulté supplémentaire, celle de l'accessibilité des personnes à ces études supérieures et enfin, c'est tout le développement du système lui-même qui est mis en cause.
Et en ce sens, on a affaire à un très bel exemple de cercle vicieux, où, à partir d'une crise des finances publiques, d'un phénomène de société qui amène les gouvernements à prendre des décisions qui ont pour effet de provoquer ou des conduire à un «définancement» ou un sous-financement avec les conséquences sociétales que j'identifie maintenant. Je pense que tôt ou tard, ce problème de financement devra être considéré par les décideurs qui, j'en conviens tout à fait, ont des choix politiques difficiles à faire, par les temps qui courent, en matière d'équilibre des finances publiques.
Il y a bien sûr certains miroirs aux alouettes, certains leurres qui peuvent nous tenter. Et j'en évoque un au passage à la toute dernière page du mémoire, du court mémoire, avant la bibliographie, à la page 11: «Le miroir des nouvelles technologies de l'information et des communications.»
Nous sommes hérissés parfois d'entendre certains propos ou de lire certains articles qui soutiennent que grâce à l'avènement des nouvelles technologies de l'information et des communications communément appelées les NTIC, nous pourrons créer un enseignement virtuel, créer des classes virtuelles qui permettront à un étudiant de Calgary de suivre un cours dispensé en Californie ou à l'Université McGill. Outre les possibilités inouïes que cela ouvre en matière de circulation des connaissances, il ne faut jamais oublier que des études américaines très substantielles, qui ont été menées en termes de psychopédagogie à cet égard, montrent bien qu'au delà d'un certain rapport maître-élèves, il n'y a pas l'accompagnement que je mentionnais au tout début, il n'y a pas la démarche de formation assistée qui demeurera, à notre avis, toujours indispensable pour permettre à une personne d'acquérir un enseignement, une formation de haute qualité et réaliser ses objectifs autant personnels que les objectifs d'une société.
Je m'arrête là. Je suis conscient d'être très général sur un propos que j'ai volontairement placé sur le terrain des grandes idées, mais qui est traversé par une préoccupation principale, à savoir cette réconciliation entre l'htmect utilitaire, la crise des finances publiques, par rapport aussi à ce qui demeure essentiel en mon sens, la formation de base fondamentale d'un individu.
La vice-présidente: Sur l'université, on a eu plusieurs mémoires mais celui-ci a des htmects particulièrement intéressants. Alors, nous allons procéder aux questions immédiatement.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Merci pour votre mémoire. Vous avez donné la perspective du Québec au sujet de nombreux thèmes intéressant ce comité.
Vous avez employé des mots utilitaires, plus que j'en ai entendu dans le passé. J'ai suivi des discussions sur la recherche traditionnelle ou «fondamentale» dans un milieu postsecondaire et sur la recherche «appliquée» dans les secteurs d'affaires. Peut-être est-ce le seul débat que vous ayez qui soit légèrement différent de celui des universitaires du reste du Canada. Toutefois, c'est grosso modo le même débat.
Pensez-vous que si nous avons ce débat au Canada, c'est parce que, à l'échelle du pays, une grande part de la recherche s'est toujours faite dans les universités et dans les collèges, plus peut-être que dans d'autres pays de même esprit, ou y a-t-il une autre raison expliquant la tenue d'un tel débat en ce moment?
Je n'ai pas les statistiques ici, mais nous avons découvert que la recherche qui se fait dans nos universités et collèges occupe la première place. Si l'on y ajoute les conseils créés pour favoriser la recherche, on peut dire qu'au Canada, plus qu'ailleurs, c'est surtout dans les établissements d'enseignement que se fait la recherche.
Notre situation devient plus précaire alors que les gouvernements font des compressions dans ce secteur. C'est ce que divers témoins que nous avons entendus dans tout le Canada nous ont dit. Votre débat s'inscrit-il dans ce contexte ou non?
[Français]
M. Jean-François Beaudet, chercheur, Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec: La première chose qu'il faut préciser, ce sont nos préoccupations sur la question de la recherche. D'abord, notre organisation regroupe surtout des chargés de cours et la différence fondamentale, même en termes de règles ou de conventions collectives, c'est la recherche. Ce qui fait la différence entre un chargé de cours et un professeur régulier, c'est la recherche. Il y a déjà une différence d'approche entre la nôtre et celle, par exemple, d'une organisation qui représenterait des professeurs réguliers. Il y a différents htmects à cette question. Je vais essayer de tous les couvrir.
Donc, cela justifie un peu une approche différente face à la recherche et que l'on soit plus ouvert, peut-être, à d'autres approches qui sont en train de se développer. Sur la question de la différence entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée, il y a des gens au Québec, entre autres, Camille Limoges qui est maintenant devenu le président du Conseil des sciences et de la technologie qui lui, a commencé à faire une distinction, je dirais plus subtile que fondamentale et appliquée. Il parle de recherche en contexte. De toute façon, il dit qu'il n'y a pas une si grande distinction entre ce qui est fondamental puis appliqué dans la plupart des recherches. Souvent, on est en contexte. On utilise des concepts fondamentaux pour trouver des solutions à des problèmes concrets, donc plus appliqués. La plupart des recherches se situeraient peut-être entre les deux.
Ce qu'il suggère, c'est ce qui nous intéresse. On indique qu'il serait peut-être possible d'aller dans ce sens. Dans le fond, l'université devrait peut-être se limiter à la recherche liée directement à des htmects de formation. Et le reste de la recherche vraiment strictement liée au développement économique ou aux industries devrait se faire à l'extérieur de l'université. La question de la formation peut être assez large. Il y a la formation de premier cycle. Il y a aussi la formation de chercheur, la formation d'étudiants au doctorat, la formation de chercheurs pour des entreprises privées. Toute cette recherche liée à cette formation serait importante et pourrait se faire à l'université. Mais tout ce qui serait en dehors de la recherche devrait être fait à l'extérieur. Il y a aussi le problème aussi de la quantité de recherche qui se fait à l'intérieur des universités contre celle qui est faite par l'industrie comme telle. Au Canada, comparativement à d'autres sociétés, on a un taux relativement faible de fonds des entreprises pour faire du développement et de la recherche.
Dans certaines sociétés, les entreprises n'ont pas le choix de faire de la recherche. Il faut qu'elles investissent en recherche une partie de leurs profits. C'est le cas, par exemple, dans des sociétés comme le Japon, alors qu'ici, ce n'est pas exactement la même chose. Ces différents htmects sont en cause à l'heure actuelle.
Et l'autre élément important est la quantité de recherche faite à l'université par rapport à ce qui est fait à l'extérieur. Je dirais qu'il y a une culture de la recherche dans les universités. Je connais plus la réalité au Québec. À l'extérieur du Canada, j'ai l'impression que cela se ressemble un peu. À partir du moment où comme société, on a valorisé la recherche, on a mis de l'argent dans les fonds de recherche, à l'intérieur même des universités, la question de la recherche est devenue un élément de valorisation plus grand que celui de l'enseignement et de la formation des étudiants. Et les professeurs réguliers ont eu tendance à mettre beaucoup plus d'énergie dans la recherche plutôt que de la mettre dans l'enseignement et la formation. On a vu le phénomène qui s'est produit où finalement, ce sont les chargés de cours qui ont eu de plus en plus la responsabilité de l'enseignement et de la formation dans les universités, d'où notre intérêt pour cette dimension de la formation dans les universités.
Là-dedans, il y a un phénomène culturel de valorisation et même d'une certaine «sur-valorisation» de la recherche, dans le cas plus particulièrement de la promotion des enseignants, des professeurs réguliers, qui sont promus à partir de leurs recherches et non à partir de l'enseignement et de la formation des étudiants. Donc, finalement, il y a un effet un peu pervers de cette valorisation de la recherche dans les universités, qui fait maintenant que plusieurs personnes remettent en question l'importance, la place qu'on a donnée à la recherche par rapport à la formation et à l'enseignement. Ceci ne veut pas dire qu'il faille complètement enlever la recherche, mais il faut se questionner sur la place de la recherche à faire à l'université. De quelle façon doit-on la faire? Puis la question des finances publiques nous force à préciser cela aussi.
Le sénateur Hervieux-Payette: Juste une question supplémentaire là-dessus, sur la spécialisation versus le plus général. Je parle du Québec en particulier. Certains secteurs comme la biochimie, la biotechnologie, l'aéronautique, les télécommunications ou les sciences de l'environnement ont été privilégiés, d'une part parce qu'on avait peut-être les chercheurs, les facultés, les ressources et aussi, l'environnement naturel nous portait vers ces secteurs.
Et je me demandais, dans un cas de politique générale, si vous vous êtes donné un avis sur ces questions. Comment faites-vous la répartition? Est-ce qu'on devrait tout mettre cela sur un pied d'égalité? On a des secteurs gagnants qui sont le reflet même de toute notre économie. Dans le domaine de l'environnement, on sait fort bien qu'on a passablement de «know-how» là-dedans, peut-être parce qu'on a une bonne faculté de génie, et cetera.
Et je me posais la question. Comment feriez-vous la répartition? Il y a la spécialisation -- en enlevant le côté humanités -- ce n'est pas de cela dont je parle. Une bonne formation de base, de toute façon, pour moi, un bon baccalauréat à l'ancienne mode faisait bien mon affaire. Alors, je vous dis cela parce que je pars de cette donnée. Maintenant, quand on arrive dans des domaines à la fine pointe de la tetchnologie au niveau universitaire, est-ce que cela vous embête qu'il y ait des gagnants, qu'il y ait des secteurs qui soient plus privilégiés, qu'on ne soit pas bons dans tous les domaines?
M. Bouchard: Je répondrai d'abord, et peut-être que Jean-François, qui est plus voué à la recherche dans son domaine, pourra ajouter.
Je pense que, d'une manière générale, par rapport à la question que vous soulevez, c'est la rationalisation par rapport à des secteurs gagnants dans telle ou telle région dans les grands centres. Mais cela peut être ailleurs que dans les grands centres.
Le sénateur Hervieux-Payette: Chicoutimi a ses gagnants.
M. Bouchard: Oui, au Bas du fleuve. Vous pouvez avoir des secteurs gagnants. J'en conviens tout à fait. Mais nous ne disons surtout pas que nous devons niveler. Une approche qui consisterait à niveler sur l'ensemble du territoire et à dire que le développement de l'enseignement universitaire doit se faire au détriment des secteurs gagnants nous desservirait beaucoup comme pays ou comme province. J'en suis intimement convaincu. La question ouvre un débat qui fait rage au Québec.
C'est vraiment un débat de répartition équilibrée sur l'ensemble du territoire, de l'ensemble de la formation universitaire. Donc nous l'appelons une véritable politique des universités. Nous avons plaidé encore et encore pendant toute la durée des état généraux et après, avec les plans d'action de Mme Marois, nous plaidons qu'il faut d'abord amener les administrations universitaires à s'asseoir ensemble et à convenir de la nécessité de faire tel travail. Trop longtemps, je pense, nous avons fonctionné avec des chasses gardées au Québec, en matière de formation universitaire. Je suis sûr que vous avez en toile de fond cette préoccupation quand vous soulevez la question.
Oui, c'est un débat important. Nous avons des pistes à proposer. Nous continuerons de les proposer et nous pensons que le mouvement est irréversible. Il est engagé, à la fois pour développer au mieux nos secteurs de pointe, là où nous performons le mieux et à la fois aussi, pour permettre le plus possible sur l'ensemble du territoire, que les gens puissent accéder à la formation de niveau supérieur.
Le sénateur Hervieux-Payette: Et dans les états généraux, avez-vous fait des recommandations? Souvent, on se fait dire qu'au Québec, parmis les étudiants au niveau du doctorat et au niveau de la maîtrise, on pourrait avoir un pourcentage plus élevé de chercheurs.
Alors, à quoi attribuez-vous ce fait que, finalement, on n'a peut-être pas autant d'étudiants de niveau universitaire qui se rendent au niveau du doctorat qu'on le souhaiterait?
M. Bouchard: Il y a certainement beaucoup de raisons. C'est d'abord la question de l'accessibilité. Est-ce que les personnes peuvent accéder à ces études supérieures? Si elles ne le peuvent pas, il faut tenter d'en percer les motifs. Ce peut être à cause des débouchés sur le marché du travail. Ce peut être également pour des motifs bêtement financiers. C'est un phénomène.
La vice-présidente: Les docteurs sont partis aux États-Unis. Il n'y a pas de débouchés ici.
M. Bouchard: L'extrême absolu du problème, c'est d'investir autant dans une société. Quand on sait ce que coûte un spécialiste, on constate ensuite, l'attrait de l'étranger étant ce qu'il est, pour toutes sortes de raisons, qu'à cause d'un manque de débouchés, la personne va quitter.
C'est ce qu'on appelle l'exode des cerveaux et j'ai souvent l'occasion de le soulever. C'est un phénomène profondément attristant dans une société quand se produit une chose semblable. Nous devons tout mettre en oeuvre pour garder nos diplômés, pour leur offrir des débouchés intéressants. Mais ce n'est pas la seule affaire, ce n'est pas la seule décision des établissements eux-mêmes ou des entreprises qui doit compter ni l'absence de «diplômation» supérieure qui joue en matière d'exode des cerveaux. Il y a également des choix de société que nous pouvons faire, que nous devons faire également.
Il y a des décisions à prendre en matière de rationalisation. Si on pense au domaine de la santé, -- on l'a vu dans des cas récents au Québec -- la fameuse reconfiguration de la santé a des effets assez dévastateurs pour les médecins spécialistes, par exemple, pour des jeunes spécialistes.
Je dis que des décisions liées à la décentralisation ou à des réorganisations en éducation ou en santé à courte vue, peuvent avoir et ont, effectivement, cet effet pervers. Mais c'est extrêmement dangereux et cette question de la formation au niveau de la maîtrise ou du doctorat à l'enseignement supérieur au Québec nous préoccupe au plus haut point, compte tenu de ces éléments.
M. Beaudet: J'aurais peut-être un petit commentaire à ajouter. Dans le fond, une chose aussi qu'il faut préciser: nous, on a fait porter le mémoire plutôt sur la question de la formation de premier cycle parce que, de toute façon, la majorité des chargés de cours enseignent surtout à ce niveau. On dit que c'est quelque chose qui aurait besoin d'être revalorisé et davantage mis en valeur.
Je pense que cela illustre ici la discussion, l'importance qui est accordée à la recherche dans les universités puis à la formation de cycles supérieurs parce qu'on est en train de mener une discussion qui porte plutôt là-dessus. C'est justement un problème que tout porte là-dessus puisque 85 p. 100 des étudiants à l'université ne vont pas aller aux cycles supérieurs. Si c'est important de revaloriser cette formation, c'est aussi important pour la société qu'on forme des bons enseignants. On ne dit pas que c'est mauvais d'accorder de l'importance aux deuxième ou troisième cycle et à la recherche, mais une partie essentielle de la mission de l'université est de former des avocats, des médecins, des ingénieurs. Est-ce que cette mission-là est vraiment prise en compte ou est-ce qu'on consacre autant d'énergie ou autant de ressources à cette mission que l'on devrait? Justement, on semble en accorder beaucoup à d'autres éléments puis on en accorde moins à cette dimension.
Je veux illustrer le genre de problèmes que cela peut causer dans un département. Moi, je suis en éducation. Certains secteurs, les sciences religieuses, par exemple, sont déterminées par les intérêts de recherche des professeurs plutôt que des besoins des enseignants qui vont se retrouver dans une classe de secondaire I. Cela cause un problème. Les programmes ne sont pas faits en fonction des intérêts des étudiants qui sont formés. Ils sont faits en fonction d'intérêts tout autres à cause de la structure universitaire. Alors cela cause un problème. Ce n'est pas la formation de l'étudiant et ses capacités professionnelles au niveau de son travail sur le terrain qui sont les préoccupations premières de l'institution. C'est l'intérêt de recherche de l'enseignant, du professeur. Alors, il y a un problème au niveau de la formation professionnelle de la personne. Je pense qu'à ce moment, il faut voir ce que l'on attend des universités et où on veut mettre les énergies puis l'importance, sans nier qu'il faut qu'il y ait de la recherche et de la formation de deuxième et troisième cycle. C'est vrai qu'il y a un problème à ce niveau-là. Il faut quand même que nos étudiants de premier cycle réussissent aussi et il y a un problème de réussite à ce niveau, d'où l'importance de remettre l'accent sur la formation puis sur l'encadrement.
Le sénateur Hervieux-Payette: Je ne néglige pas ce fait. Je posais la question parce que l'on parlait des spécialisations. Je me demande si, dans toute cette rationalisation, on ne se conte pas d'histoires, comme disait M. Bouchard, les coûts d'opération des universités, l'administration et tous les coûts de support, versus le personnel enseignant. Vous êtes probablement les mieux placés pour nous le dire, parce qu'évidemment, vous êtes chargés de cours. Les universités n'ont pas les budgets pour payer un salaire de professeur, je pense bien qu'il n'y a pas d'autres raisons.
Donc, si demain matin, on avait à réorganiser l'enveloppe budgétaire et que c'était vous qui vous penchiez là-dessus, qu'est-ce que vous feriez? Je pense à tous les hommes d'affaires qui ont fait face aux difficultés financières de la récession. Ils ont tous regardé leurs budgets et là où ils ont coupé, ce n'est pas dans le marketing; c'est dans les opérations, c'est-à-dire dans le coût d'administration de leur entreprise. Ils n'ont pas arrêté de faire des produits.
Je me demande s'il y a un équilibre, au niveau des universités en général, mais au Québec en particulier, entre ce que cela coûte pour opérer une université versus ce que coûte le personnel enseignant. Moi, je me souviens, j'avais une commission scolaire, j'avais 1 000 non-enseignants, tout le personnel de soutien versus les enseignants. Puis à un moment donné, on s'est aperçu que le ratio n'avait pas de bon sens. Je me demandais si ce n'était pas une partie du problème.
M. Bouchard: C'est très certainement une partie du problème. Je dirais presque que c'est le problème, les htmects majeurs du problème. Vous soulevez la question de l'équilibre. Je dirais que si on parle d'équilibre par rapport à la masse salariale allouée à un établissement -- ce serait vrai dans un cégep aussi, mais on parle des universités -- pour la rémunération des enseignants et du personnel de soutien ou du personnel professionnel par rapport à tout le reste. Et vous me permettrez de ne pas cibler un autre endroit. Mais cela dit, je crois que cet équilibre-là est de plus en plus instable. Vous avez très bien identifié le phénomène tantôt. Vous voyez très bien que les chargés de cours, mon collègue en est un, est maintenant un chargé de cours de carrière. Vous savez, le vocabulaire s'enrichit: chargés de cours structuraux. Ce sont des gens qui, avec tout le respect que je porte aux chargés de cours, vont probablement faire de plus en plus la totalité, sinon la très grande partie de leur carrière en tant que chargé de cours, avec évidemment très peu de conditions d'intégration à l'intérieur de la communauté universitaire. Donc, ce que je veux dire par là, c'est que cela devient une main-d'oeuvre corvéable, compressible à souhait, étant donné qu'elle est très peu intégrée à l'intérieur des établissements. Et il est fort tentant, pour les administrations qui ont à gérer des budgets de plus en plus étriqués, de couper davantage en embauchant de plus en plus des chargés de cours et en fragmentant, aussi, la tâche des chargés de cours. Je ne connais aucune province canadienne, qui, en matière de rencontre de compressions budgétaires ou de crise des finances publiques, ne s'en prendrait pas très rapidement à ce qu'on appelle les coûts de main-d'oeuvre.
Et s'en prendre aux coûts de main-d'oeuvre pour réduire la masse salariale, c'est, en tout premier lieu, s'attaquer aux conditions de travail des enseignantes et des enseignants et des autres catégories de personnel également.
Mais moi, je ne me fais pas la moindre illusion, sortant, il y a quelques heures à peine, d'une crise importante au Québec. Vous avez sans doute entendu que le groupe des enseignantes et enseignants de cégep viennent tout juste de régler avec le gouvernement précisément sur le débat que vous soulevez. Et nous sommes en pleine crise, en ce moment, par rapport à la loi 104. À cet égard, les chargés de cours d'universités sont, de surcroît, en plus du problème que vous identifiez -- je vais m'arrêter bientôt parce que je vais devenir politique ici, sur le terrain de la défense politique -- il est permis de le faire, je crois, nous sommes dans un forum politique. Mais en plus, ils sont sous le coup d'une double coupure par rapport à celle que vous évoquiez tantôt qui est une coupure presque récurrente et permanente, car on donne aux administrations qui se prévalent, par ailleurs, de leur autonomie de négociation, le pouvoir de couper davantage, à la hauteur de 6 p. 100, leurs conditions salariales.
On assiste au même phénomène dans les établissements privés que je représente également. Vous voyez que la tendance est lourde. Et j'allais répondre à votre question en disant simplement que je ne me fais pas d'illusions sur cette tendance.
Le sénateur Hervieux-Payette: Je vais vous faire un petit commentaire. C'est que le sénateur Lavoie-Roux et moi avons travaillé au Québec, nous avons souvent rencontré des occasionnels permanents. Alors, effectivement, on a développé toutes sortes de sémantiques, mais je dois vous dire qu'on ne l'a pas retrouvé souvent au niveau fédéral. Cela semble être un phénomène culturel d'avoir des occasionnels permanents, c'est une façon technique d'avoir supposément de la souplesse dans la flexibilité.
La vice-présidente: Il y en a au fédéral aussi.
Le sénateur Hervieux-Payette: Mais il y en a beaucoup moins, en termes de pourcentage, du personnel d'appoint, oui, il y en a. Je pense qu'il n'y a personne qui va réclamer qu'une administration de plusieurs milliers de personnes ne puisse pas disposer d'un certain personnel d'appoint. Je pense que l'on questionne le pourcentage, ce n'est pas le personnel d'appoint. Il peut y avoir un personnel d'appoint qui est flexible, mais certainement pas au point d'avoir 60 p. 100 des effectifs qui sont du personnel d'appoint. Cela n'a pas de sens, je suis d'accord avec vous. Et je vais peut-être vous choquer et je vais peut-être le faire volontairement aussi.
J'ai une question sur la «business» des universités, c'est-à-dire que les États-Unis, l'Australie et l'Europe considèrent que donner de l'enseignement universitaire, c'est rentable, c'est payant quand on va chercher des étudiants dans des pays qui ont les moyens de payer, comme par exemple dans les pays du Moyen-Orient, où les étudiants sont bien prêts à payer.
La vice-présidente: L'Indonésie.
Le sénateur Hervieux-Payette: L'Indonésie, certain pays d'Amérique latine, et cetera. Le fait d'ouvrir largement nos universités, d'aller chercher une clientèle additionnelle, de créer des postes nouveaux, d'aller chercher des argents additionnels, d'avoir une structure de coûts, est intéressant. Je pense que même là, nous sommes encore trop généreux quant à notre structure de coûts. Il faut être concurrentiel avec l'Australie, les États-Unis et l'Angleterre, mais je pense qu'on pourrait peut-être relever encore nos frais de scolarité. Comment une fédération comme la vôtre peut-elle répondre à cette hypothèse où notre rapport dirait: le Canada ne devrait pas manquer l'opportunité d'aller chercher sa part de milliards de dollars qui vont être dépensés dans les années à venir pour former des gens de ces pays?
M. Bouchard: Vous soulevez là une question très difficile. Je pense que ce serait une erreur historique de ne pas pouvoir accéder à une part de ce marché, au fond, à une part de cette volonté-là de personnes qui pourraient vouloir se former chez nous, avec les retombées que cela peut avoir. Mais en même temps, je pense qu'il y a des principes extrêmement précieux auxquels nous devons tenir. Je pense que nous devons tenir le plus possible au principe d'une éducation de niveau supérieur qui soit à coût abordable. Nous sommes contre une augmentation des frais de scolarité. Nous allons continuer de l'être.
Le sénateur Hervieux-Payette: Je parle des étudiants étrangers.
M. Bouchard: Pour les étudiants étrangers, c'est un débat qui commence. Au Québec, il y a des ouvertures qui ont été souhaitées par les universités à cet égard. Nous n'avons pas fait ce débat en profondeur, mais je pense que, dans dans une certaine mesure -- et là, je m'avance presque personnellement sur ce terrain-là --, ce sont des questions que nous abordons parfois, mais dans la mesure où ces étudiants qui viendraient chez nous et qui suivraient des études supérieures, qui atteindraient une «diplômation» et qui, par définition, seraient ici pour repartir chez eux, donc, il n'y n'aura pas de retombées immédiates et à long terme pour la société québécoise. Je pense qu'il devrait y avoir des coûts variables au niveau des frais de scolarité.
Mais je pense que le débat devra être un débat de société. Moi, je ne voudrais pas que ce soit un débat où seule une décision de madame la ministre de l'Éducation compterait. Elle a annoncé justement un déblocage de ces frais de scolarité, des frais de scolarité variables pour les étudiants étrangers. Aucun débat de société n'a encore eu lieu. Il faut que nous fassions, comme société, ce débat-là et que nous prenions la décision la plus éclairée pour que nous continuions, au Québec, d'être une société tolérante, accueillante et ouverte à ses immigrants.
Je pense que c'est un débat important que nous devons mener.
La vice-présidente: C'est la première fois que le sénateur Hervieux-Payette assiste à nos délibérations, mais c'est un débat que nous devrons tenir au sein de ce comité parce que partout où nous sommes allés, à Vancouver, à Victoria puis à Halifax, les gens parlent du marketing, et je déteste l'expression. Je pense qu'il ne faut pas non plus se mettre à faire de l'argent sur leur dos -- peut-être pas du multimilliardaire de l'Indonésie -- mais il y a dans ces sociétés aussi un paquet d'inégalités pires que les nôtres, et je pense qu'il ne faudrait pas contribuer, indirectement ou directement, à une plus grande marginalisation des gens dans ces pays.
C'est bien beau de penser que cela va nous aider financièrement, mais je trouve que, étant un pays riche, il ne faut pas penser qu'on va soutenir notre système d'enseignement à partir de ce système. C'est un débat qu'on va devoir tenir. Il y a des conséquences pour notre pays et pour les pays d'origine de ces gens-là.
M. Bouchard: Oui.
La vice-présidente: Alors je pense qu'il faut être prudent.
Le sénateur Hervieux-Payette: Mais il y a deux catégories. Je veux juste apporter une précision. Je parle des étudiants qui ont les moyens de payer. Je pense que le Canada, au moment où on se parle, a au moins 30 000 étudiants des pays étrangers dans ses universités qui sont financés par le gouvernement canadien, par l'ACDI. Ce n'est pas de cette clientèle-là que je parle. Je n'élimine pas cette clientèle-là. Je parle d'une clientèle payante qui peut même venir des États-Unis. Ils viennent nous «piquer» des étudiants, c'est le cas de le dire. Il y a 20 000 Canadiens qui étudient à l'étranger chaque année. J'espérerais qu'il y ait au moins 20 000 Américains qui viennent en contrepartie, et la même chose pour les étudiants européens. Une façon d'aborder la mondialisation, c'est évidemment d'avoir ces échanges à votre niveau. Et c'est dans les universités que se créent les premiers liens que des professionnels futurs, qui vont retourner dans leurs pays, tisseront.
J'apporterai une petite variable à vos propos en disant qu'il n'y aura pas de retombées économiques. La meilleure façon de créer, à long terme, des retombées économiques, c'est d'avoir quelqu'un qui est venu chercher sa formation ici, qui se développe un réseau au Canada et au Québec, qui retourne chez lui et qui sait où sont les ressources, comment fonctionner dans une société et qui sait comment, par la suite, traiter avec notre pays. Il peut devenir notre meilleur allié sur le plan commercial.
M. Bouchard: Mais vous admettrez avec moi, cependant, qu'on n'improvise pas cela, qu'il faut nous donner très sérieusement des structures de concertation entre les pays intéressés à participer à de tels échanges. Ce sont d'ailleurs des choses que nous avons commencées avec quelques pays dont le Mexique, Cuba, certains pays d'Europe et d'Afrique également. Nous menons ces discussions actuellement, sur la base d'organisations syndicales ou d'organisations du travail très largement représentatives. Je pense que c'est une préoccupation que nous devons avoir, mais il faut aussi amener les gouvernements à se commettre en termes de volonté politique pour permettre également ce genre d'échanges, où il pourrait y avoir un monde idéal, mais je pense que c'est un monde atteignable, ce type d'échanges de niveau supérieur extrêmement productif. Là-dessus, je vous suis.
Le sénateur Hervieux-Payette: Laissez-moi vous donner un exemple. Il y a 35 000 étudiants étrangers chez nous, mais il n'y a pas 10 000 Canadiens qui étudient a l'étranger, que ce soit aux États-Unis, en Europe ou en Asie. Je pense que ce n'est pas suffisant, si on veut vraiment connaître ce qui se passe à travers le monde entier et si on ne veut pas s'isoler. Dans cette perspective, je pense que vous pouvez poursuivre la réflexion chez vous et nous de notre côté. Cela veut dire, au niveau fédéral, des règles spéciales en matière d'immigration, énormément d'actions à prendre, que nos ambassades, évidemment, soient équipées des services nécessaires pour faire ce genre de chose. Cela veut aussi dire votre participation au niveau d'établissement de normes internationales pour faciliter cet échange.
M. Bouchard: Nous en serons.
Le sénateur Hervieux-Payette: Merci.
La vice-présidente: Je pense que le message que je retiens de votre présentation, c'est qu'à ce moment-ci, le monde universitaire en est à se restructurer. Il n'a plus le choix parce que les fonds ne sont plus disponibles. On va certainement recommander, compte tenu des problèmes qui ont été signalés, que l'on dégèle un peu les choses. Vous n'êtes pas d'accord? Mais il y a des questions extrêmement sérieuses au niveau des universités qui se posent à l'heure actuelle. On parle toujours des autres pays ou des autres provinces, mais même à l'intérieur du Québec, il y a des rivalités, même et niveau collégial, mais on se concentre peut-être plus sur les universités. Est-ce qu'il y a des chargés de cours dans les cégeps?
M. Bouchard: Oui, il y en a beaucoup. Si je vous disais des chiffres aussi hallucinants, dans l'ensemble des cégeps de la province de Québec, quatre enseignants sur dix sont maintenant des enseignants précaires. Cette tendance que l'on constate dans les universités est lourde. C'est une tendance qui se dessine également dans les cégeps.
La vice-présidente: Je ne pensais pas que c'était le cas dans les cégep.
M. Bouchard: C'est assez incroyable. On parle de personnel précaire et qui, d'une session à l'autre, ne sait jamais s'il enseignera. Et je constate de plus en plus que les enseignants se font l'équivalent d'une charge complète en enseignant dans trois cégeps ou dans un cégep, dans une université, une charge de cours ici et là. Ce sont des tâches de plus en plus fragmentées et ce n'est pas une tendance à la baisse. Cela ressort à la question de la réduction des coûts de main-d'oeuvre dans l'enrichissement du vocabulaire.
La vice-présidente: Il y a juste une dernière petite question, c'est quelque chose que je n'ai pas très bien compris. Quand vous avez fini une de vos interventions, vous avez dit que la recherche devait sortir des universités. Et j'ai eu l'impression que...
Le sénateur Hervieux-Payette: La recherche appliquée.
M. Bouchard: La recherche appliquée.
La vice-présidente: La recherche appliquée, et que les étudiants ne devaient plus y être exposés. Ai-je bien compris? J'ai mal compris? Je fais bien de vous faire préciser. Cela m'étonnait beaucoup.
M. Beaudet: J'ai justement affirmé qu'il ne fallait pas sortir la recherche des universités, mais peut-être préciser le rôle des universités en recherche. Peut-être que la recherche qui est liée, d'une façon ou d'une autre, à la formation des étudiants, que ce soit qu premier cycle, à la formation des étudiants de deuxième cycle, de troisième cycle ou à la formation de chercheurs pour l'entreprise, fait partie de la mission de formation à l'université.
Donc, ce serait la recherche qui serait dans les universités. Et l'autre type de recherche, qui ne serait pas liée à la formation, pourrait se faire à l'extérieur. Je vous dis que c'est une position qui est tenue -- ce n'est pas la mienne -- par Camille Limoges, qui est actuellement président du Conseil des sciences et de la technologie au Québec. Il doit avoir une certaine influence dans ce qui se passe à ce niveau-là. Mais il a développé cette approche qui me semble intéressante, et qui est justement une revalorisation de la dimension de la formation à l'université.
Le sénateur Hervieux-Payette: Une dernière question, peut-être sans dessein, mais comment se fait-il que vous dites que vos professeurs titulaires, eux, concentrent leurs actions sur la recherche et la recherche qui devra être rentable, et qu'ils ne font pas des choses qui pourraient être plus utiles à votre étudiant?
Qui décide pour le professeur ce qu'il va chercher et qui l'autorise à chercher? Comment prenez-vous cette décision? À toutes fins pratiques, ce professeur a un patron, il y a une direction, puis il me semble qu'il y a un patron qui pourrait dire, à un moment donné, que sa première tâche, c'est d'enseigner. Alors, cela a l'air aberrant, mais est-ce qu'il n'y a pas de management dans vos cégep ou universités?
M. Bouchard: Je vais lui laisser le plaisir de répondre.
M. Beaudet: Vous venez de toucher à la magie de l'autonomie universitaire qui descend jusqu'à l'autonomie des départements, qui descend jusqu'à l'autonomie professionnelle du professeur qui, lui, est le seul maître à bord. Dans le fond, il a une tâche normale d'enseignement, mais il a toutes sortes de façons d'être dégrevé de l'enseignement pour faire de la recherche. Et c'est vraiment le professeur lui-même qui décide. Je suis bien placé pour en parler, n'étant pas professeur, et on parle d'un corps enseignant différent du nôtre. Nous sommes syndiqués dans des organisations différentes. Donc, nous avons une approche plus critique. Dans le fond, le professeur est libre de demander autant de dégrèvement d'enseignement qu'il le peut pour faire de la recherche, mais il faut dire que dans la promotion, à l'heure actuelle, de la façon dont cela fonctionne, c'est le nombre de publications qui compte. Ce n'est pas le nombre de cours enseignés, la qualité de l'enseignement. Et les professeurs, de toute façon, sont très réticents à ce qu'on mette en place des mesures d'évaluation de l'enseignement, par exemple. Tout cela est né d'une culture, d'une valorisation de la recherche dans notre société, d'une valorisation de la recherche dans les universités, mais cela a amené certains effets pervers que vous pouvez voir.
La dimension d'enseignement et de formation n'est même plus un élément dont on tient compte dans l'évaluation et dans la promotion des professeurs réguliers. Je ne sais pas si c'est le cas partout au Canada, mais au Québec, c'est le cas dans toutes les universités.
La vice-présidente: Je pense que nous pourrions continuer longtemps, mais nous allons devoir nous d'arrêter.
La séance est levée.